B. LE RENOUVEAU EN GERME ?

Au-delà de la condition des femmes, où va la société iranienne ? Il est bien sûr toujours hasardeux de faire oeuvre de prospective en ce qui concerne le destin des peuples, et cet exercice serait particulièrement délicat dans le cas d'un pays aussi complexe que l'Iran. Du moins, deux séries de constats peuvent être posés.

1. Une société développée

Alors que les dirigeants du régime appartiennent encore à la génération qui a fait la révolution de 1979 et, de ce fait, sont aujourd'hui vieillissants, le groupe de travail a été frappé par le potentiel que présente une société iranienne jeune - 55 % des habitants ont moins de 30 ans - et dont au moins la partie urbanisée, à l'évidence, aspire à des standards de vie "modernes". Or certains de ces standards sont déjà en place :

- l' espérance de vie moyenne des Iraniens - 72 ans pour les hommes, 75 ans pour les femmes - est comparable à celle que l'on constate dans les pays développés ;

- on a cité plus haut le faible taux de fécondité des Iraniennes, qui s'est établi à 1,7 enfant par femme en 2014. Certes, il paraît refléter, autant sinon davantage que le souhait d'une plus grande aisance de vie en famille, une perte de confiance dans l'avenir ;

- la classe moyenne iranienne est une réalité, en tout cas dans les grandes villes, malgré un taux de chômage estimé à environ 30 % par le FMI (12 % selon les autorités du pays) et bien qu'environ 18 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté ;

- l' éducation est accessible à tous en Iran, et reconnue comme d'un bon niveau global - avec la particularité, néanmoins, qu'environ un quart des enseignements du primaire et du secondaire a trait à l'éducation religieuse des élèves ;

- l' enseignement supérieur du pays repose sur un système de sélection comparable au nôtre. On compte environ quatre millions d'étudiants, dont 150 000 doctorants ;

- l'Iran dispose d'un vivier d' universitaires et de scientifiques de haut niveau (ce qui a contribué à rendre crédible la menace d'un programme nucléaire du pays orienté à des fins militaires), même si l'État ne parvient pas à leur fournir tous les outils nécessaires à leurs recherches, ni à éviter la "fuite des cerveaux" - vers les États-Unis, le Canada et l'Europe principalement ;

- la pratique iranienne de l' Internet se développe. Un tiers de la population (28 millions d'habitants) a désormais accès à cet outil qui, malgré les obstacles dressés par le régime, est aussi la possibilité d'une ouverture sur le reste du monde.

2. Des signes d'une aspiration au changement

Dans le contexte qu'on vient d'évoquer à gros traits, plusieurs faits politiques récents sont venus donner des signes d'espoir à ceux qui espèrent un changement . Sans aller jusqu'au remplacement du régime issu de la Révolution islamique par un système de type laïc - qui passerait par une nouvelle révolution et donc, après les années d'inconfort provoqué par les sanctions internationales contre le pays, par de nouveaux sacrifices pour le peuple iranien -, un assouplissement de l'emprise du régime des mollahs sur la société paraît à l'évidence souhaité au sein de celle-ci ; et il se trouve peut-être en effet enclenché.

En particulier, le « Mouvement Vert », issu de la protestation populaire - celle de la jeunesse éduquée notamment - à laquelle a donné lieu la réélection de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de la République, en juin 2009, même sévèrement réprimé alors, et officiellement tenu pour inexistant depuis, a semblé incarner une profonde volonté du peuple iranien de se libérer des apories d'un système politique qui l'empêche de tirer tout le bien-être que l'état de développement du pays, adossé à des siècles d'une des civilisations les plus brillantes et raffinées de l'histoire, devrait lui procurer. Sur un autre mode, la joie qui s'est manifestée dans les rues des villes iraniennes, le 14 juillet dernier, à la suite de l'annonce de la conclusion de l' accord de Vienne , témoigne probablement pour partie d'une fierté nationale satisfaite des termes de cet accord autorisant la poursuite d'un programme nucléaire pacifique, mais aussi et sans doute surtout, s'il était besoin, du voeu non moins profond des Iraniens à voir lever les sanctions internationales qui ont été prononcées à l'encontre de l'économie de leur pays et, par suite, à retrouver une aisance matérielle dont les a privé, ces dernières années, l'impact de plus en plus sensible de ces sanctions.

À présent, le crédit important conféré au Président Rohani par l'accord de Vienne, si le scénario de la mise en oeuvre de celui-ci se déroule comme prévu et permet donc la levée effective des sanctions 20 ( * ) , paraît de nature à favoriser les évolutions sociales positives que le gouvernement iranien déciderait de lancer - même si l'on ne peut exclure qu'en réaction, et au moins à court terme, les tenants conservateurs du régime pourraient choisir d'emprunter la voie d'un durcissement de leur emprise sur la société, à rebours de la normalisation recherchée par Téhéran dans le domaine de ses relations avec la communauté internationale.

La situation des libertés publiques devrait ainsi représenter à la fois le baromètre et l'enjeu de l'évolution du régime. Le résultat des prochaines élections législatives iraniennes, prévues en mars 2016, sera assurément un indicateur significatif de l'orientation de cette évolution. On peut raisonnablement penser que les progrès, en tout état de cause, resteront lents à prendre forme - même si l'Histoire, et notamment l'histoire contemporaine de l'Iran, a prouvé qu'elle peut réserver des surprises. En tout cas, la stabilité ou le mouvement de la société constituera nécessairement, à côté du rayonnement diplomatique et militaire et du dynamisme économique du pays, en mesurant la plus ou moins grande liberté d'action de ses gouvernants, l'un des paramètres du dimensionnement de sa puissance.


* 20 Cf. supra , chapitre I er .

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