CHAPITRE III : LA RELATION ENTRE LA FRANCE ET L'IRAN, UN ATOUT STRATÉGIQUE À CULTIVER RÉSOLUMENT

Grâce à l'accord signé à Vienne le 14 juillet 2015, et sous réserve de la mise en oeuvre effective des engagements ainsi souscrits par le régime de Téhéran, l'Iran s'apprête à retrouver une place "normale" dans la vie internationale 21 ( * ) . Ce faisant, ce sont aussi les relations franco-iraniennes qui devraient reprendre un cours dont l'ancienne vigueur s'est vue en partie altérée par les développements récents de la vie diplomatique - la crise à laquelle le programme nucléaire iranien a donné lieu.

Cette relation entre la France et l'Iran s'inscrit dans une histoire longue , ponctuée de nombreux aspects positifs. De fait, la bonne image que notre pays conserve auprès des Iraniens - dont le groupe de travail de votre commission, fort des entretiens qu'il a menés sur place, peut témoigner - apparaît comme un atout stratégique , pour le rayonnement français, en termes à la fois politiques, économiques et culturels. À l'évidence, négliger un tel atout relèverait de l'erreur, tant les enjeux qui s'y attachent revêtent d'ampleur. Il s'agit en effet d'en tirer parti pour relayer nos positions au Proche et Moyen-Orient, au bénéfice en particulier de la résolution des crises qui affectent la région, et d'y préserver nos intérêts, en rééquilibrant nos alliances actuelles ; d'offrir de nouveaux appuis au développement de nos entreprises et à notre commerce extérieur ; de favoriser la diffusion de notre culture et de nos valeurs...

Il est donc heureux que de premiers signes encourageants du renforcement de liens qui ont pu se distendre dans les dernières années se soient faits jour, dès l'été dernier, aux plans politique et économique ; ils sont rappelés dans les développements qui suivent. Le groupe de travail les a notés avec satisfaction et appelle, pour l'avenir, à cultiver de façon résolue notre dialogue et nos partenariats avec l'Iran , dans tous les domaines où cette coopération s'avère possible :

- en poursuivant, avec l'assiduité requise, la reprise en cours d'un dialogue politique bilatéral désormais apuré, comme il faut l'espérer, de la question nucléaire ;

- en ne manquant pas les opportunités commerciales attendues avec la levée prochaine des sanctions internationales, et dont paraît augurer, d'ores et déjà, un premier redémarrage des échanges économiques ;

- en relançant, d'une façon aussi volontariste que l'est notre diplomatie économique, une coopération culturelle et scientifique qui, encore bien modeste par comparaison avec ses glorieuses heures d'autrefois, semble loin d'avoir épuisé son potentiel actuel.

La France, de la sorte, pourra commencer de restaurer de façon durable une relation qu'il faut souhaiter dense, et dont la vision sur le moyen terme reste impérativement à tracer .

I. DES LIENS AFFAIBLIS DE FAÇON CONJONCTURELLE

La dépression qu'a traversée, dans la dernière période, la relation franco-iranienne, à l'instar de la crise internationale qui l'a engendrée, paraît dès présent en train de se résorber. Les liens entre les deux pays, de toute évidence, sont promis à un renforcement qui permettra de prolonger une riche histoire commune.

A. UNE RELATION ANCIENNE ET RICHE AUJOURD'HUI APPAUVRIE

1. La richesse d'une histoire commune

L'image est bien connue : l'Ayatollah Khomeiny, le 1 er février 1979, débarque d'un avion de la compagnie Air France, de retour à Téhéran après quinze ans d'un exil dont les cent douze derniers jours ont été passés à Neauphle-le-Château. La petite ville des Yvelines donne aujourd'hui son nom à la rue de Téhéran où se trouve notre ambassade. Cependant cette image, malgré son caractère fortement symbolique, qui associe notre pays de façon positive à la genèse de la République islamique, ne saurait résumer la profondeur historique des liens unissant la France et l'Iran . Citons donc quelques autres faits, en partie enfouis dans la mémoire collective ; du reste, ils ne sont pas univoques au fil des siècles.

La dynastie des Savafides, dès le XVI e siècle , a recherché une alliance avec la France. François I er dut décliner l'offre, à laquelle l'empêchait de donner suite le traité conclu en 1536 avec Soliman le Magnifique, et Henri IV renouvela ce refus ; mais Louis XIII infléchit cette stratégie, en envoyant une première mission politique et commerciale vers l'Empire Perse, auprès du Shah Abbas . Celui-ci a d'ailleurs suffisamment fasciné la France du temps pour que Charles Perrault donne son nom à l'extraordinaire marquis de Carabas. Louis XIV envoya également plusieurs missions diplomatiques en Perse.

Napoléon I er , en 1807, signa avec l'Iran le traité d'alliance de Finckenstein (Prusse occidentale). Cependant, l'alliance de la France avec la Russie a rapidement poussé l'Empire perse à se rapprocher des Anglais, provoquant la rupture des relations diplomatiques franco-iraniennes en 1811.

Dans la suite du XIX e siècle, alors que les relations de la Perse se sont détériorées avec la Grande-Bretagne, elles se sont améliorées avec la France. Ainsi, en 1838, Louis-Philippe acceptait de fournir des armes et des instructeurs militaires au Shah ; en 1840, les liens culturels entre les deux États étaient renforcés avec l'autorisation d'ouvrir des écoles françaises ; les relations diplomatiques se trouvaient officiellement rétablies en 1844. Napoléon III établit une légation française à Téhéran en 1854 et signa un traité commercial franco-perse en 1856. Les coopérations bilatérales - dans les domaines militaire, économique et éducatif - allèrent dès lors croissant ; plusieurs consulats français ouvrirent en Iran, les consuls perses se multiplièrent en France.

Les fouilles de Suse , entreprises par les Époux Dieulafoy en 1884-1886 puis par Jacques de Morgan à partir de 1897, ont donné lieu au début d'une toute particulière association de la France à l'idée culture, dans les esprits d'un pays où la culture est tenue en très haute estime. La contribution des missions archéologiques françaises à la redécouverte du patrimoine iranien - à Suse, Chogha Zambil, Masjed-e Soleymen - se révèlera significative.

Rompues en 1938 au motif de portraits satiriques du Shah parues dans les journaux français, les relations diplomatiques avec l'Iran ont été restaurées sous le gouvernement de Vichy. Plus près de nous, le programme lancé par le Shah Mohammed Reza Pahlavi dans les années 1970, ainsi que le présent rapport a déjà eu l'occasion de le signaler, permit à la France de démarrer une coopération en matière de nucléaire civil avec l'Iran. Celle-ci fut interrompue par la révolution de 1979, dont le projet constitutionnel - objet de la fascination d'un grand nombre d'intellectuels français, à l'époque - avait été mûri en dernier lieu, comme on le rappelait ci-dessus, à une trentaine de kilomètres de Paris, entre Versailles et Rambouillet.

2. Un appauvrissement conjoncturel de cette relation

La mise en place de la Révolution islamique, puis la période de la guerre Iran-Irak (1980-1988), pendant laquelle la France prit parti pour l'Irak, en suscitant la fermeture des instituts français en Iran, y raréfièrent notre présence culturelle. En revanche, le niveau des échanges économiques entre les deux pays est resté longtemps élevé . C'est ainsi que la France, en 2002, représentait le troisième plus important fournisseur de l'Iran (8,5 % des importations iraniennes) et son septième client (3,5 % des exportations du pays). Nos exportations concernaient particulièrement, outre les produits pharmaceutiques et l'industrie pétrolière, l'industrie automobile - comme tous les visiteurs se rendant dans le pays, les membres du groupe de travail de votre commission ont été frappés de voir, dans les villes, un parc de voitures très majoritairement françaises, témoignage physique, immédiatement perceptible, de la présence, à tout le moins économique, de la France en Iran ; nos importations, en très grande majorité, tenaient aux hydrocarbures.

Ce sont essentiellement les ambiguïtés du régime de Téhéran sur ses intentions en matière nucléaire, et en dernier lieu la crise diplomatique internationale nouée autour de son programme en ce domaine, du rapport de l'AIEA de juin 2003 à l'accord de Vienne du 14 juillet 2015 22 ( * ) , qui ont été préjudiciables à la relation franco-iranienne. Mêmes si les relations diplomatiques de nos deux États n'ont jamais été suspendues durant cette période, les échanges bilatéraux ont de fait connu un affaiblissement sensible, à tous niveaux.

D'une part, dans le contexte des sanctions internationales appliquées à l'Iran, les échanges d'ordre économique se sont considérablement restreints . Ainsi, les importations françaises en provenance d'Iran ont connu une chute brutale, passant de 1,77 milliard d'euros en 2011 à 48 millions d'euros en 2013, en raison de l'arrêt des importations de pétrole iranien à la suite de l'embargo européen total décidé, en la matière, en janvier 2012 ; en 2014, ces importations n'ont pas dépassé 61 millions d'euros - elles concernent essentiellement des produits agro-alimentaire et textiles (des pistaches et des tapis, notamment). Nos exportations vers l'Iran, de même, ont fortement diminué, s'établissant à 453 millions d'euros en 2014, contre 1,66 milliard en 2011. La structure de ces exportations s'est également trouvée modifiée.

Le seul poste « matériels de transport », grâce à la présence en Iran de PSA et Renault notamment, représentait des exportations de l'ordre de 1,3 milliard d'euros en 2004, soit près de 60 % de nos ventes totales en Iran ; en 2013, ce poste ne représentait plus que 32 millions d'euros, soit 6,5 % de nos ventes. Nos exportations d'équipements mécaniques, électriques, électroniques et informatiques ont connu une tendance similaire, en particulier à partir de 2012. N'étant pas soumis à embargo, les produits pharmaceutiques sont demeurés notre premier poste d'exportation vers l'Iran (à hauteur de 140 millions d'euros en 2013, le groupe Sanofi représentant 5 % du marché iranien) ; le reste, par ordre de grandeur selon les données de l'année 2013, tient aux « tubes, tuyaux, profilés » (pour 57 millions d'euros), pièces détachées automobile (pour 21 millions d'euros), équipements médicaux, parfums, matériel de distribution et commande électrique, produits chimiques, enfin céréales (15 millions d'euros environ pour chaque catégorie).

Les difficultés commerciales ont pour partie résulté d'un problème majeur de financement . En effet, les banques françaises se trouvent presque toutes exposées au marché américain, et donc soumises au dispositif de sanctions des États-Unis articulé, notamment, à l'utilisation du dollar 23 ( * ) - alors que les groupes allemands, notamment, peuvent s'appuyer sur les banques régionales. En considérant la "jurisprudence" dégagée l'occasion de l'affaire BNP-Paribas en 2014, elles ont généralement refusé de prendre en charge les transactions financières avec l'Iran, même dans des secteurs pourtant non ciblés par les sanctions. Sur place, en conséquence, d'autres firmes européennes, mais surtout des sociétés chinoises, coréennes et turques, se sont substituées aux entreprises françaises .

D'autre part, outre que la situation générale n'a pas favorisé une amélioration de notre coopération culturelle et scientifique avec l'Iran, les relations politiques ont évidemment été tendues . Comme on l'a souligné déjà plus haut ici, la France, dans les négociations relatives au programme nucléaire iranien qui ont conduit à l'accord de Vienne, s'est tenue, au bénéfice de la non-prolifération - et donc de la sécurité et de la stabilité régionales -, à une position de fermeté, cohérente avec son statut de membre permanent du conseil de sécurité des Nations Unies et, en somme, tout à son honneur. Cette ligne a incontestablement permis de déboucher sur un accord robuste ; mais, logiquement, elle nous aura aussi, un temps, froissé avec le régime de Téhéran.

On peut toutefois gager que la qualité de la relation franco-iranienne ne sera pas durablement affectée par l'histoire récente . En effet, la constance, la clarté et la franchise apparaissent comme autant de vertus que les autorités iraniennes, au fond, apprécient chez leurs partenaires ; l'accord désormais trouvé, elles ne devraient pas garder rancune de l'attitude légitime qu'a adoptée notre pays. De fait, des signes de restauration des liens bilatéraux, politiques et économiques, s'avèrent déjà tangibles.


* 21 Cf. supra , chapitre I er .

* 22 Cf. supra , chapitre I er .

* 23 Cf. supra , ibid .

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