B. QUEL DÉVELOPPEMENT APRÈS LA LEVÉE ATTENDUE DES SANCTIONS INTERNATIONALES ?

L'économie iranienne a connu ces dernières années un repli considérable - une contraction de 8,5 % du PIB entre 2012 et 2014 - imputable aux embargos internationaux mais aussi à une inflation massive et à la chute des cours du pétrole. Les perspectives actuelles de reprise sont en très grande partie conditionnées à la mise en oeuvre effective du scénario tracé par l'accord de Vienne du 14 juillet dernier pour la levée des sanctions 17 ( * ) ; le nouveau départ économique du pays devrait être à la mesure de l'impact qu'ont eu sur lui ces dernières.

1. Les conséquences pour l'économie iranienne des sanctions internationales

Les conséquences que les sanctions internationales ont emportées sur l'économie iranienne doivent bien sûr avant tout être mesurées en termes de coût pour celle-ci, mais elles peuvent également s'apprécier en termes de réorientation de modèle.

a) Un coût sensible

Globalement, avec toutes les réserves qui doivent accompagner ce type d'évaluations, le coût des sanctions internationales qui ont visé l'Iran est estimé aux alentours de 500 milliards de dollars . Le défaut d'investissement qu'elles ont entraîné dans le pays représenterait une somme plus grande encore.

Sous la pression des embargos, la capacité de l'Iran à vendre ses hydrocarbures a été fortement altérée. Des États qui auraient pu acheter son pétrole et son gaz naturel au pays ont en effet dû réduire leur commerce avec ce dernier, et les clients restants se sont retrouvés en position de force pour obtenir des prix à la baisse, alors même que les cours mondiaux en la matière étaient déjà orientés en ce sens. Après le durcissement des sanctions intervenu en 2012, les exportations pétrolières iraniennes ont atteint leur niveau le plus bas depuis 1988 ; elles ont ainsi été divisées par deux entre 2011 et 2013. Cette situation a engendré la perte de plus d'un quart des recettes budgétaires du pays, participant au déficit de son secteur public (10 % du PIB).

Parallèlement, l'accès restreint par les embargos aux biens de production et aux technologies sur le marché international a privé l'Iran des capacités de renouveler son appareil productif et d'augmenter la rentabilité de son industrie. La faiblesse des investissements a fragilisé, en particulier, l'exploitation du gaz : on a estimé que le pays perdait, par manque de moyens, notamment technologiques, autant de gaz naturel qu'en produit l'Azerbaïdjan. Les sanctions américaines frappant toute utilisation du dollar pour des échanges avec l'Iran 18 ( * ) ont dissuadé les investisseurs, tandis que l'exclusion des banques iraniennes du système de paiement international SWIFT a fortement compliqué le commerce du pays.

En outre, depuis 2012, entre 100 et 150 milliards de dollars d'avoirs iraniens à l'étranger se trouvent gelés du fait des sanctions internationales visant des sociétés ou des personnes physiques. Conjuguée à la baisse des revenus du pétrole, la difficulté à rapatrier des devises qui en a résulté a conduit à un effondrement du cours du rial , malgré la politique de restriction des importations menée en réaction par les autorités. Cette politique visait également à protéger l'emploi local et à affranchir progressivement l'Iran de la dépendance technique à l'égard de l'étranger, mais elle a surtout aggravé l'impact des embargos, sans paraître freiner vraiment la dépréciation de la monnaie nationale. À la suite de celle-ci, on a assisté à une accélération spectaculaire de l'inflation , passée d'un niveau inférieur à 11 % en 2009 à plus de 35 % en 2013 ; elle restait de près de 16 % encore en 2014.

Il est vrai que, ces vingt dernières années, l'inflation iranienne n'est jamais tombée sous le seuil de 10 %, le haut niveau des dépenses publiques ayant longtemps accru la masse monétaire en circulation. Les ménages, du reste, ont intégré cet état de fait à leur comportement économique, spéculant sur de nombreux actifs dont la valeur réelle progresse en période d'inflation (or, tapis, immobilier...).

b) Une réorientation de modèle

Dans le contexte des sanctions internationales frappant le pays, les aides publiques aux plus pauvres et la forte solidarité familiale, traditionnelle en Iran, ont joué un rôle d'amortisseur social sensible. En outre, bien souvent, la population a pu trouver sur le marché noir, largement contrôlé par les Pasdarans (cf. supra ), des biens de consommation officiellement interdits, ou disponibles à des prix prohibitifs seulement, dans le cadre de la politique de limitation des importations. Pour le reste, le pays, nolens, volens , a adapté son modèle économique.

D'une part, afin de contourner les sanctions, et comme on l'a déjà signalé plus haut ici, le marché iranien s'est réorienté vers ses voisins émiratis et irakiens, vers la Turquie, ainsi que vers la Chine, la Corée du sud et l'Inde .

D'autre part, la faiblesse du rial a rendu particulièrement compétitives à l'export les productions iraniennes non pétrolifères . Ces exportations ont de fait progressé de 50 % entre 2010 et 2012. Elles ont fait émerger une nouvelle classe d'industriels, moins dépendants de la bureaucratie et du régime, et ont montré une voie possible de diversification.

C'est ainsi que, malgré les contraintes qu'elle a subi ces dernières années, l'économie iranienne se montre particulièrement résiliente : la croissance du pays, en 2014, est redevenue positive, à hauteur de 1,5 % du PIB. Cette croissance est attendue à plus de 2 % du PIB pour 2015, d'autant que la promesse de la levée des sanctions suscite désormais l'optimisme des investisseurs.

2. Les perspectives de redémarrage en cas de levée des sanctions

L'Iran, sous réserve que les sanctions soient effectivement levées comme le permet l'accord de Vienne, pourrait renouer avec une activité forte, eu égard à son potentiel économique considérable. Un rapport de la Banque mondiale publié au mois d'août dernier prévoit ainsi, pour le pays, une croissance de l'ordre de 5 % du PIB dès 2016, qui devrait se prolonger pendant plusieurs années . D'ores et déjà, l'anticipation des acteurs économiques a permis à la monnaie iranienne de commencer à se redresser, sur le marché noir, contre le dollar, et la bourse de Téhéran est repartie à la hausse.

Cependant, alors que le secteur privé ne constitue aujourd'hui que 15 % de l'économie iranienne, pour permettre une véritable reprise le gouvernement de Téhéran devra sans doute relever plusieurs défis incontournables.

a) Les réformes économiques attendues du gouvernement

Le gouvernement et la Banque centrale d'Iran ont entrepris depuis plusieurs années un plan d'amélioration de l'environnement des affaires. Une première tâche des autorités consiste à favoriser le redressement de la monnaie nationale , afin d'atténuer la hausse des prix. Il s'agit toutefois d'éviter une trop forte appréciation du rial, laquelle nuirait à la croissance des exportations du pays, en particulier celles des productions non pétrolifères.

Un autre chantier d'ampleur tient à la stabilisation budgétaire . Le gouvernement paraît s'orienter vers la réduction des subventions publiques à l'économie, dans les secteurs pétroliers et alimentaires notamment. Pour financer les dépenses de l'État et construire des budgets réalistes, l'utilisation du fonds de réserve constitué par l'Iran grâce à ses ventes d'hydrocarbures et le recours à des privatisations - même si la Constitution du pays consacre la domination du secteur public - paraissent inévitables. Le récent tarissement de la manne pétrolière a en outre conduit le gouvernement à réfléchir à la mise en place d'une fiscalité plus large.

À la veille de la levée espérée des sanctions internationales et du retour des investisseurs étrangers en Iran, l'objectif est plus généralement de créer un climat plus favorable aux entreprises . Les autorités du pays entendent ainsi mettre en place un terrain propice à l'émergence d'une nouvelle génération d'entrepreneurs locaux, ouvrir le marché national, adhérer à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), lutter contre la corruption et clarifier le cadre fiscal et réglementaire des affaires. Par exemple, avant la fin de l'année 2015, un nouveau modèle de contrat d'exploitation des champs pétroliers devrait être présenté, plus attractif que les contrats de type « buyback » jusqu'à présent mis en oeuvre 19 ( * ) .

Dans le même temps, les banques iraniennes devront se réinsérer dans le cadre international et européen , en recréant le réseau de correspondants à l'étranger qu'elles ont perdu du fait des embargos. À cet effet, la banque centrale du pays devra instituer des mécanismes de supervision et faire respecter les ratios de solvabilité adéquats.

Ces réformes, dans la mesure où elles requièrent ou impliquent une diminution du contrôle de l'économie par les Pasdarans (« Gardiens de la révolution ») risquent naturellement de rencontrer une vive opposition chez ces derniers. Il semble néanmoins qu'un certain consensus se soit noué, au sein de la société iranienne, pour libéraliser graduellement l'économie.

b) Les secteurs à fort potentiel à court terme

À court terme, même si la croissance iranienne doit être ralentie par le faible niveau des cours du pétrole, de nombreux secteurs augurent d'un rapide redémarrage, dont ceux de l' agro-alimentaire , de l' automobile (selon une projection réalisée par Renault, le marché iranien pourrait atteindre deux millions de véhicules à l'horizon 2020), de la cimenterie (dont l'Iran est le quatrième producteur mondial après la Chine, l'Inde et les États-Unis ; le pays table sur une augmentation de 50 % en dix ans) et de l' acier (dont il est le premier producteur au Moyen-Orient, et souhaite multiplier par trois sa production). Les sanctions ayant privé l'Iran de quantité de biens d'équipement, un effet de rattrapage accéléré est prévisible. Par exemple, du fait de l'embargo dont le secteur aéronautique a fait l'objet, la moyenne d'âge des avions de la flotte civile iranienne s'élève aujourd'hui à une vingtaine d'années ; les compagnies aériennes du pays devraient donc la renouveler assez largement : au mois d'avril dernier, les autorités ont fait état d'un besoin de 400 à 500 avions de ligne sur dix ans.

En outre, l' afflux de capitaux que devrait engendrer le dégel des avoirs iraniens détenus à l'étranger - entre 100 et 150 milliards de dollars, comme on l'a signalé plus haut - donnera au pays les moyens de développer ses infrastructures publiques , dans les domaines du transport, du pétrole, de l'urbanisme ou encore du numérique.

Ainsi, sous la condition sine qua non de la levée des sanctions, la réinsertion de l'économie iranienne dans l'économie mondiale et son ré-essor devraient pouvoir s'engager promptement, même si le processus devrait exiger du temps pour déployer tous ses effets. Parmi ceux-ci, les incidences sur la société, dont on peut avancer l'hypothèse, ne sont pas les moindres.


* 17 Cf. supra , chapitre I er .

* 18 Cf. supra , chapitre I er .

* 19 Pour ne pas déroger à la Constitution iranienne qui réserve aux Iraniens la production et les réserves de pétrole, les contrats « buyback » prévoient que la compagnie étrangère cède à la compagnie nationale les champs pétroliers après exploration et développement. Le prix est fixé à l'avance, indépendamment des potentialités du gisement. Ce système est très peu avantageux pour la compagnie étrangère, qui ne bénéficie pas d'une éventuelle hausse des cours et n'est pas incitée à optimiser l'exploitation du champ.

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