II. UNE PRIORITÉ ABSOLUE : LA CONSOMMATION HUMAINE

A. L'UTILISATION DOMESTIQUE : LES CONTRAINTES DE L'EAU POTABLE

Sur les 32 milliards à 35 milliards de mètres cubes prélevés chaque année en France pour satisfaire les activités humaines, 5,4 milliards de mètres cubes sont destinés à l'alimentation en eau potable, soit environ 15 % 78 ( * ) . Ces prélèvements s'élèvent à 234 litres par jour et par habitant.

Sur ces 5,4 milliards, 3,7 milliards de mètres cubes d'eau potable sont facturés pour les usages domestiques 79 ( * ) . Outre la consommation des ménages, est également inclus l'ensemble des activités et services raccordés au réseau public de distribution d'eau potable, soit un total, en moyenne, de 145 litres par jour et par habitant , correspondant à un niveau très largement inférieur à la moyenne européenne . Le CGDD et l'Onema observent d'ailleurs une diminution de cette consommation , qui avait atteint 165 litres en 2004, valeur maximale depuis 1998, et ce dans toutes les régions. On ne peut que se réjouir des efforts produits pour modifier les comportements et économiser la ressource en eau.

Cela étant, la difficulté de notre pays tient au fait qu'il a installé depuis longtemps un réseau unique de distribution alimenté en eau potable. Il en résulte cette situation singulière que c'est avec cette eau coûteuse, car traitée, stockée, acheminée puis livrée, que l' on assure des travaux de lavage, d'arrosage ou d'entretien qui ne justifient pas le recours à une eau destinée à la consommation humaine .

1. Une forte disparité géographique

Le niveau de consommation varie en fonction du climat, de la part de l'habitat individuel dans l'ensemble du parc de logements, de la présence ou non de piscines et de jardins et de l'activité touristique. Ainsi la consommation oscille-t-elle entre 109 litres par jour et par habitant permanent en Nord-Pas-de-Calais et 193 litres en Corse.

2. Captages et traitements

L'eau potable provient, pour les deux tiers, des eaux souterraines, via 32 335 points de captage, pour le tiers restant, des eaux superficielles, via 1 236 points de prélèvement 80 ( * ) . Les prélèvements dans les eaux superficielles nécessitent des traitements de potabilisation plus poussés pour satisfaire les exigences de qualité de l'eau distribuée.

B. LA PRODUCTION AGRICOLE : L'ENJEU DE L'INDÉPENDANCE ALIMENTAIRE

1. Il faut nourrir la population
a) De l'agriculture intensive à l'agriculture raisonnée

L'agence de l'eau Seine-Normandie 81 ( * ) éclaire ainsi le contexte et les enjeux : « L'agriculture traditionnelle était basée sur la polyculture et l'élevage. Dans la première partie du XX e siècle, le passage à l'agriculture intensive a permis d'augmenter très fortement les rendements grâce à la mécanisation des travaux agricoles, à l'introduction de la sélection végétale et animale, à l'utilisation croissante d'engrais minéraux et de produits phytosanitaires, mais aussi grâce aux progrès de l'irrigation. Cette intensification de l'agriculture répondait à un objectif alors d'actualité : nourrir la population française et développer l'activité économique agricole. Avec la nécessité croissante d'envisager un développement durable des activités humaines, cette évolution de l'agriculture est de plus en plus remise en cause : on cherche aujourd'hui à développer une agriculture peu consommatrice d'intrants chimiques et d'énergies non renouvelables. »

Le développement de l'agriculture intensive a eu pour conséquence de polluer les eaux des sols avec de fortes concentrations en azote, phosphore et molécules issues des produits phytosanitaires. La France se situe au premier rang européen pour ce qui est de la consommation de produits phytosanitaires 82 ( * ) . Les externalités environnementales liées à l'usage agricole de ces produits et des engrais azotés sont multiples : pollution des eaux et de l'air, pollution des sols (dans le cas des produits phytosanitaires), émission de gaz à effet de serre (dans le cas des engrais azotés) et atteintes à la biodiversité. S'agissant des engrais azotés, le calcul du coût pour la société engendré par ces externalités fournit une fourchette entre 0,9 et 2,9 milliards d'euros par an 83 ( * ) .

Aujourd'hui, les traitements pour éliminer ces polluants sont complexes, onéreux et souvent difficiles à appliquer. Par conséquent, on s'oriente désormais vers d'autres pratiques agricoles plus respectueuses de l'homme et de l'environnement comme l'agriculture intégrée, biologique, raisonnée, la permaculture 84 ( * ) ou bien encore l'agroforesterie.

b) Quelques chiffres clés de l'agriculture française

La France dispose d'une superficie cultivable de 27 millions d'hectares environ, soit un peu moins de la moitié de la superficie totale du territoire. Situées de part et d'autre du 45 e parallèle de latitude nord, les terres cultivables permettent une grande diversité de production 85 ( * ) .

Notre pays comptait 516 000 exploitations agricoles en 2010. En vingt ans, leur nombre a baissé de moitié. Les petites et moyennes structures sont le plus touchées alors que le nombre des grandes reste supérieur à celui observé en 1988. La disparition d'exploitations permet l'agrandissement de celles qui se maintiennent. Cela étant, l'agriculture française reste le fait de petites entreprises à dominante familiale.

Les secteurs laitiers, de la polyculture et du poly-élevage subissent les plus fortes baisses. Les exploitations spécialisées en grandes cultures, soit près d'une exploitation sur quatre, sont celles qui résistent le mieux.

La France est globalement le premier pays producteur agricole de l'Union européenne, avec une production estimée en 2014 à 67 milliards d'euros. Cela représente 18 % de la production communautaire totale, qui s'élève à 373 milliards d'euros. Les autres grands pays producteurs sont l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, qui assurent respectivement 13 %, 12 % et 10 % de la production européenne.

L'agroalimentaire apparaît comme un secteur essentiel de l'appareil de production français, enregistrant entre 10 % et 12 % des exportations totales. Parmi les productions phares figurent les vins et boissons, les céréales et les produits laitiers. Elles soutiennent une industrie agroalimentaire de qualité qui contribue au maintien de l'emploi sur les territoires, à l'exemple de l'Agropole d'Agen qui emploie deux mille personnes.

2. Un secteur d'activité évidemment gros consommateur d'eau
a) Le volume des prélèvements agricoles

Actuellement, près de 3 milliards de mètres cubes d'eau sont prélevés chaque année en France pour les besoins de l'agriculture. Concentrée sur la période estivale, cette consommation importante s'explique par différentes raisons :

- l'élevage dont le régime alimentaire implique la mobilisation de grandes quantités d'énergie et d'eau par ration produite ;

- l'irrigation dans le but d'assurer des rendements maximums ;

- l'accroissement de la population qui nécessite la production de plus grandes quantités de denrées alimentaires ;

- des régimes alimentaires plus riches dus à une orientation croissante du mode de vie « à l'occidental ».

Le savez-vous ?

Les différentes cultures sont plus ou moins consommatrices d'eau 86 ( * ) .

Il faut, par exemple :

- 25 litres d'eau pour produire un kilo de salade,

- 100 litres d'eau pour produire un kilo de tomates,

- 500 litres d'eau pour produire un kilo de maïs 87 ( * ) ,

- 600 litres d'eau pour produire un kilo de pommes de terre,

- 1 300 litres d'eau pour produire un kilo de blé.

Et aussi :

- 900 litres d'eau pour produire un kilo de soja,

- 5 000 litres d'eau pour produire un kilo de riz inondé,

- 5 300 litres d'eau pour produire un kilo de coton,

- 13 500 litres d'eau pour produire un kilo de viande de boeuf.

b) L'irrigation nécessaire des cultures

La part la plus importante de l'eau prélevée est consacrée à l'irrigation des cultures . Elle est de l'ordre de 2,9 milliards de mètres cubes mais varie d'une année sur l'autre, en fonction des conditions météorologiques et du type de cultures à irriguer.

On l'a vu, l'irrigation représente 48 % du volume annuel consommé, tous usages confondus. Elle enregistre une pointe de consommation à 79 % pendant la période d'étiage, d'avril à novembre, quand il y a le moins d'eau dans les rivières 88 ( * ) .

• On distingue trois principaux types d'irrigation 89 ( * ) .

- L'irrigation gravitaire consiste à dévier l'eau d'un cours d'eau ou d'un canal dans des parcelles aplanies bordées de bourrelets ; on inonde plusieurs fois dans la saison chaque casier de manière à ce que le sol soit humidifié sur tout son profil, constituant des réserves jusqu'à l'épandage suivant. Cette technique est très bien maîtrisée et depuis longtemps. Néanmoins, les pertes en « conduction » et en évaporation y sont considérables en raison de la longueur de linéaire de canal nécessaire pour chaque parcelle.

- L'irrigation par aspersion s'est développée plus récemment et vise à distribuer au mieux l'eau mise sous pression, sur l'ensemble de la parcelle : elle s'effectue soit par des lances fixes et, de plus en plus, mobiles, dont le déplacement d'un bout à l'autre de la parcelle sur un support roulant est assuré par la pression de l'eau elle-même, soit par des asperseurs roulants. L'avantage de ce système, par rapport au précédent, est de permettre un arrosage vers le bas et de limiter les pertes par évaporation. C'est le dispositif majoritairement utilisé aujourd'hui .

- L'irrigation au goutte-à-goutte , plus sophistiquée et coûteuse, permet de réduire drastiquement les pertes tant par évapotranspiration que par ruissellement infiltration dans les nappes profondes 90 ( * ) . Le principe est de n'apporter que la quantité d'eau nécessaire à la plante par tout un réseau de tuyaux percés ou munis de petits gicleurs. Seuls la plante et le sol contenant son système racinaire sont mouillés. En revanche, l'irrigation est quasi permanente dans la mesure où les réserves en eau du sol ne sont pas reconstituées. Outre qu'il libère du temps pour l'agriculteur, le recours à cette technique permet de diminuer la consommation d'eau d'au moins 30 % par rapport à un système d'aspersion, et jusqu'à 80 % ou 90 % par rapport à l'épandage gravitaire. Le problème de l'amélioration des réseaux agricoles et de l'installation de systèmes d'irrigation plus économes de la ressource est évidemment financier et nécessite des aides publiques.

Au niveau européen, dans le cas de l'irrigation de zones nouvellement ou déjà irriguées, seuls les investissements qui satisfont à des conditions très précises - mise en place d'un système de mesure de la consommation d'eau, économies comprises entre 5 % et 25 %, etc. - sont considérés comme des dépenses admissibles 91 ( * ) . Cela étant, des regroupements européens d'associations environnementales dénoncent l'application trop laxiste de cette réglementation et considèrent que l'extension de cultures irriguées ne devrait pas bénéficier d'aides européennes dans le cadre de la Pac 92 ( * ) .

• On observe, depuis plusieurs années, une baisse des surfaces irriguées . Recommandés mais non obligatoires en application de la Lema 93 ( * ) , des organismes uniques de gestion collective (OUGC) peuvent être désormais chargés de la répartition des volumes d'eau pour l'irrigation d'un territoire déterminé. Il leur appartient alors de proposer une répartition annuelle des prélèvements pour garantir le respect du débit d'objectif d'étiage (DOE). L'idée est de satisfaire l'ensemble des usages sans avoir besoin de recourir trop souvent aux dispositifs de gestion de crise.

3. Injonctions paradoxales, emploi et revenu : le malaise agricole

Un ouvrage intitulé L'agriculture française : une diva à réveiller ? 94 ( * ) souligne qu'il faudra gérer les contradictions découlant de la complexité croissante de notre société et les injonctions paradoxales adressées à l'agriculture : réconcilier quantité et qualité, productivité et environnement, nature et technologie, industriels et locavores.

• Le monde agricole subit, depuis plusieurs années, la pression d'être accusé de détourner à son profit une ressource aquatique rare en même temps qu'il contribuerait fortement à la pollution des milieux naturels. Les rapporteurs souhaitent qu'on ne mette pas en opposition frontale et stérile consommateurs et exploitants agricoles dès lors qu'ils partagent un intérêt commun : celui de disposer d'une alimentation à coûts accessibles. L'irrigation n'est rien d'autre que l'eau verte nécessaire à l'alimentation dont les ménages sont les premiers bénéficiaires pour un prix toujours plus faible : la part de l'alimentation dans leur budget est passée de près de 35 % en 1960 à à peine plus de 20 % en 2014.

• Par ailleurs, l'une des priorités du monde agricole est de favoriser l'installation des exploitants , et l'eau joue, en la matière, un rôle essentiel, notamment parce qu'elle permet la diversification des cultures sur les petites parcelles 95 ( * ) .

Il n'est, par exemple, pas concevable d'envisager le remplacement de cultures fruitières et légumières produites dans le cadre d' un maillage d'exploitations familiales qui façonne les paysages et forge l'identité des territoires , par la culture du sorgho, certes plus économe en eau, mais à une échelle bien plus grande, sauf à vouloir détruire un modèle agricole et un cadre de vie auxquels beaucoup sont attachés et qui constitue une richesse pour la France.

• L'emploi est un enjeu prioritaire pour cette filière et l'irrigation est indispensable pour sécuriser le revenu des agriculteurs, assurer l'indépendance alimentaire de notre pays et la vie des territoires.

• Il faut enfin souligner que l'irrigation contribue également à la préservation de l'environnement en maintenant la fertilité des sols et en permettant le captage durable du CO 2 .

Deux questions :

Peut-on sécuriser l'approvisionnement alimentaire à un coût accessible sans l'irrigation ?

Peut-on, plutôt que des aides forfaitaires à l'hectare, prévoir des aides pour financer l'adaptation de l'agriculture aux nouvelles contraintes de la gestion de l'eau ?


* 78 Données transmises par la FP2E.

* 79 L'eau et les milieux aquatiques : chiffres clés. - Édition 2016 (Chiffres pour 2012).

* 80 Source : Observatoire national des services publics d'eau et d'assainissement.

* 81 Audition du 16 décembre 2015.

* 82 Rapport Sénat n° 42 (2012-2013) du 10 octobre 2012, fait par Nicole Bonnefoy au nom de la mission commune d'information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l'environnement.

* 83 Les pollutions par les engrais azotés et les produits phytosanitaires : Coûts et solutions - CGDD - Études et documents n° 136 - Décembre 2015 - Cité par le Bureau européen de l'environnement (BEE) et WWF Union européenne lors de leur audition, le 10 février 2016, dans le cadre du déplacement à Bruxelles.

* 84 Bien que pratiquée depuis les années soixante-dix, la permaculture connaît actuellement un essor notable, porté par le souci de concilier les principes d'écologie et le savoir des sociétés traditionnelles afin de reproduire la diversité, la durabilité et la résilience des écosystèmes naturels.

* 85 Données Insee et Assemblée permanente des chambres d'agriculture.

* 86 Pour une même culture, selon les sources d'information, les volumes d'eau utilisée peuvent sensiblement varier.

* 87 Soit moins que le blé, contrairement aux idées reçues.

* 88 Agences de l'eau et Onema - Fiche 7 : Besoins et ressources.

* 89 L'hydrologie continentale. - Claude Cosandey et Mark Robinson - Armand Colin 2000.

* 90 Il existe aussi le goutte-à-goutte superficiel, non enterré, qui suppose des investissements moins lourds mais beaucoup de manipulations pour les cultures de plein champ puisqu'il faut régulièrement démonter, puis remonter l'installation pour travailler le sol et replanter.

* 91 Article 46 (Investissements dans l'irrigation) du règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et abrogeant le règlement (CE) n° 1698/2005 du Conseil. Audition de la DG Agri de la Commission européenne, le 11 février 2016, dans le cadre du déplacement à Bruxelles.

* 92 L'application qui est faite de la DCE et des règlements qui en découlent est notamment contestée par le Bureau européen de l'environnement (BEE) et le WWF Union européenne - Auditions du 10 février 2016 dans le cadre du déplacement à Bruxelles.

* 93 Loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006.

* 94 Jean-Marie Séronie - Éditions Quae - 2013 - Cité par Bruno Hérault, Chef du centre d'études et de prospective du ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.

* 95 Audition des Jeunes agriculteurs - 8 mars 2016.

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