Rapport d'information n° 663 (2015-2016) de M. Didier MARIE , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 2 juin 2016

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N° 663

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 juin 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur l' Union européenne et les négociations interchypriotes ,

Par M. Didier MARIE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, M. Claude Haut, Mmes Sophie Joissains, Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard et Alain Vasselle.

AVANT-PROPOS

Plus de dix ans après l'échec du plan des Nations unies, dit « plan Annan », les négociations pour la réunification de Chypre ( kipriako ), divisée depuis 1974, ont été relancées en mai 2015. Les dirigeants des deux communautés espèrent désormais aboutir à un règlement dans les prochains mois. Des questions cruciales ne sont pour autant pas encore tranchées, qu'il s'agisse des ajustements territoriaux, des modalités de restitution des propriétés des personnes déplacées ou des garanties de sécurité visant l'île, définies par un traité de 1960 dont la Grèce, le Royaume-Uni et la Turquie sont signataires. L'armée de cette dernière occupe aujourd'hui, au nord de l'île, 36 % du territoire chypriote. Le gouvernement turc ne reconnaît pas, par ailleurs, la République de Chypre depuis 1963, date du retrait des représentants de la communauté turque de ses institutions.

L'ambition affichée par le plan Annan en 2004 était de permettre une adhésion à l'Union européenne d'une île réunifiée. Les incertitudes entourant la gouvernance du nouvel État et la question du retour des populations déplacées avaient néanmoins conduit les habitants de la République de Chypre à rejeter le dispositif par référendum. La réappropriation chypriote du processus par les dirigeants des deux entités comme l'absence de calendrier peuvent aujourd'hui dissiper l'impression d'une solution dans l'urgence, imposée par des acteurs extérieurs. Les négociations restent suivies de près par les Nations unies mais aussi par l'Union européenne, qui n'entend pas toutefois être partie prenante compte tenu du statut d'État membre de la République de Chypre.

Il n'en demeure pas moins que l'Union européenne dispose d'un rôle particulier à jouer dans ce processus. D'une part, parce que la réunification supposera l'intégration du nord de l'île - région dans laquelle elle mène déjà des actions de financement - en son sein et, d'autre part, parce que ces discussions interviennent au moment où, dans le contexte de la crise des migrants, une relance des négociations d'adhésion avec la Turquie est observée. Il apparaît en effet inconcevable qu'un État qui ne reconnaît pas un membre de l'Union européenne et qui occupe plus du tiers de son territoire puisse être intégré. Au-delà, la réunification aurait valeur de symbole au sein d'une Union européenne traversée ces dernières années par les séparatismes.

DES NÉGOCIATIONS INTER-COMMUNAUTAIRES RELANCÉES

Quarante ans après la fin du conflit ayant abouti à l'occupation d'une partie de l'île par l'armée turque et la séparation du pays en deux entités autour d'une « ligne verte » sous surveillance des Nations unies, la reprise des négociations en vue de la réunification du pays s'est traduite ces derniers mois par un accord sur le caractère bizonal et bicommunautaire du futur État, dont la répartition démographique semble également avoir été arrêtée. Ce consensus relatif a été accompagné de mesures de rapprochement concret, passant par l'ouverture de nouveaux points de passage entre les deux zones, qui viennent s'ajouter aux sept créés depuis 2003, et le lancement d'une réflexion sur un renforcement des interconnexions électrique et téléphonique. Il traduit également un engagement politique fort des deux dirigeants des deux communautés, qui ont souhaité que les communautés se réapproprient ces discussions, sans que l'intervention internationale ne soit trop prégnante. Ces discussions sont néanmoins à un tournant puisqu'elles devraient bientôt se concentrer sur deux points de crispation : les ajustements territoriaux et les garanties de sécurité, alors que le contexte politique tend à évoluer au nord de l'île.

LA RELANCE DE 2014 : UNE RÉAPPROPRIATION CHYPRIOTE DU PROCESSUS

Adoptée le 11 février 2014, une déclaration conjointe des deux dirigeants chypriotes grec et turc a marqué officiellement la reprise des négociations pour la réunification de l'île. L'ambition affichée consiste en la mise en place d'une fédération bizonale et bicommunautaire, reposant sur un principe d'égalité politique.

Il s'agit de la troisième tentative de relance des négociations depuis l'échec du projet de règlement, dit « plan Annan », en 2004. Ce dispositif a été rejeté par référendum par la République de Chypre, soit la partie sud de l'île, le 24 avril 2004 à une large majorité (76 %). 65 % des électeurs de la partie nord avaient, quant à eux, voté pour le projet 1 ( * ) .

Le plan Annan de 2004

Élaboré dans le cadre des Nations unies, le plan dit Annan devait permettre d'aboutir à une réunification de l'île avant l'adhésion de la République de Chypre à l'Union européenne le 1 er mai 2004.

Le déroulement des négociations a permis d'aboutir à un accord sur le principe d'un État fédéral. L'actuelle République de Chypre devait récupérer une partie des territoires situés au nord de l'île, le nouvel État fédéré du Nord conservant la tutelle sur Nicosie-Nord (Lefkosia), les ports de Famagouste et Kyrenia et l'aéroport d'Ercan. La présidence du nouvel État devait être exercée à tour de rôle par un représentant des deux communautés. Un système de double majorité devait être institué pour l'adoption des décisions les plus importantes et une Cour suprême instituée afin de trancher d'éventuels conflits : composée d'un tiers de juges étrangers elle devait pouvoir prendre des décisions de nature législative ou exécutive en cas de blocage.

Le Traité de Garantie, signé par la Grèce, le Royaume-Uni et la Turquie le 19 août 1960, jour de l'indépendance de Chypre, devait être maintenu. L'article 2 prévoit que les signataires assument également l'obligation d'interdire, pour ce qui relève d'eux, toute activité ayant pour but de favoriser directement ou indirectement aussi bien l'union de Chypre avec tout autre État que le partage de l'île. L'article 4 prévoit qu'en cas de violation des dispositions du Traité, les signataires s'engagent à se concerter en vue des démarches ou mesures nécessaires pour en assurer l'observation. Dans la mesure où une action commune ou concertée ne s'avérerait pas possible, chacun d'entre eux se réserve le droit d'agir dans le but exclusif du rétablissement de l'ordre créé par le présent Traité. C'est sur ce fondement que la Turquie était intervenue militairement en 1974. Le plan contraignait néanmoins la Turquie à réduire son contingent militaire présent sur l'île d'ici 2018, passant de 44 000 soldats à 650.

La question des propriétés occupées depuis la partition du pays et la fuite de part et d'autre de la ligne verte devait être réglée par le biais d'une compensation financière, limitant les possibilités de retour. Seuls les réfugiés des régions de Morphou et Famagouste devaient pouvoir récupérer leurs terres dans un délai pouvant aller jusqu'à neuf ans. L'indemnisation était, quant à elle, calculée en fonction de la valeur actuelle des terres. Celles-ci devaient être vendues aux occupants ou à un Conseil foncier.

Le texte mettait en place des quotas de résidence, aux termes desquels seules 45 000 personnes chypriotes installées au sud pourraient revenir s'installer au nord de l'île (soit un peu moins du quart des personnes déplacées au sud en 1974) à l'horizon 2019, sans garantie de récupérer leurs biens. Afin de préserver un équilibre démographique au nord, les autorités pouvaient également imposer de nouvelles limites dès lors qu'à l'horizon 2013, la communauté chypriote grecque représentait 6 % de la population de l'État fédéré du Nord. Ce seuil devait être relevé à 18 % en 2022. À terme, des mesures de sauvegarde pouvaient également être prises afin de préserver l'identité de chacune des entités et viser à s'assurer à ce que deux tiers de leurs habitants aient la langue officielle dudit État comme langue maternelle.

Les contours du plan avaient l'accord des dirigeants des deux communautés mais aussi de la Turquie.

L'élection présidentielle de 2008 dans la partie sud a ouvert un nouveau processus de négociations dites globales et directes, débouchant sur une centaine de rencontres. L'arrivée à la tête de la communauté chypriote turque du nationaliste Dervis Eroðlu en avril 2010 n'a, cependant, pas permis d'observer de réels progrès. Un nouveau cycle s'est ensuite tenu les 22-24 janvier 2012, à Greentree (États-Unis), sous les auspices des Nations unies. Là encore, aucune avancée tangible n'avait été enregistrée concernant les principaux points de friction : gouvernance, propriété, territoire et question des colons turcs.

L'élection, en 2013, d'un nouveau président dans la partie sud, Nicos Anastasiades, favorable au plan de 2004, a permis de relancer le processus de négociations. La partie sud de l'île estime aujourd'hui que la réunification présente des avantages économiques indéniables alors que le pays sort du plan d'assistance financière européen. La valeur des échanges entre les deux entités est pour l'heure faible, atteignant 3,52 millions d'euros entre le Sud et le Nord en 2014 (soit une augmentation de 3,1 % par rapport à 2013) et 3,87 millions d'euros entre le Nord et le Sud (soit une baisse de 9,3 % par rapport à 2013). Selon certains économistes, la croissance annuelle pourrait être majorée de 3 points durant vingt ans en cas de réunification 2 ( * ) . Le revenu moyen par habitant pourrait ainsi passer de 17 000 euros annuels à 28 000 euros sur la même période. La réunification induirait en effet une remise à niveau du nord de l'île, ce qui relancerait le secteur de la construction, fragilisé par la crise, permettant une progression de ses revenus de 725 millions d'euros par an sur vingt ans. Elle contribuerait également à mieux exploiter le potentiel touristique de l'île. Les recettes issues de ce secteur pourraient ainsi passer de 1,3 milliard d'euros annuels environ à 2,9 milliards d'euros à l'horizon 2035. Le dynamisme de ces deux secteurs permettrait une relance de l'activité commerciale en général, dont les revenus progresseraient de 2 milliards d'euros annuels à 5 milliards d'euros annuels. Des effets seraient également attendus dans le secteur financier et dans celui des transports. La réunification faciliterait, en outre, un accès au marché turc pour les produits du sud de l'île.

Franchissement temporaire de la ligne verte par des résidents chypriotes en 2014

Sens

Nombre

Évolution par rapport à 2013

Nord vers le sud

927 141

+ 5,6 %

Sud vers le nord

589 906

+ 13,3 %

Source : Commission européenne 3 ( * )

Elle permettrait surtout de lever les réserves sur la poursuite de l'exploration des champs gaziers au large de l'île, contestés par la Turquie 4 ( * ) . Ankara a ainsi critiqué le 25 mars dernier le lancement de la troisième phase d'attribution des droits à explorer des gisements gaziers. Ankara souhaite que l'attribution des licences d'exploitation soit effectuée après la réunification, afin qu'une des deux communautés ne préempte pas l'ensemble des ressources gazières de l'île. Il s'agit là d'une revendication ancienne des autorités turques qui souhaitent depuis 2010 relier la question d'exploitation des zones gazières à celle de la réunification, et demandent qu'une gestion bicommunautaire des ressources soit mise en place. Des explorations sismiques menées par la Turquie à l'automne 2014 ont même conduit Chypre à suspendre un temps sa participation aux négociations intercommunautaires.

Le plan d'assistance financière international

Le deuxième plan d'aide à la Grèce, arrêté en février 2012, prévoyait de nouveaux prêts internationaux (130 milliards d'euros) mais aussi la participation des créanciers privés (décote ou rééchelonnement des titres qu'ils possèdent). Cette décote s'est traduite par des pertes pour les banques chypriotes équivalant à 25 % du PIB, conduisant les autorités à investir massivement dans le secteur financier pour le recapitaliser. Le contexte économique local était alors déjà marqué par l'éclatement de la bulle immobilière.

Face à l'impossibilité pour Chypre de se refinancer sur les marchés, l'Union européenne et le FMI ont annoncé l'octroi d'une aide de 10 milliards d'euros le 25 mars 2013 (9 milliards versés par l'Union européenne et 1 par le FMI). À cette somme s'ajoute une participation des déposants dans le cadre d'une vaste restructuration du secteur bancaire : les dépôts supérieurs à 100 000 euros au sein de la Bank of Cyprus se sont ainsi vu imposer un prélèvement de 47,5 %, converti en fonds propres. Un prélèvement additionnel de 22,5 % a également été prévu en cas de difficultés aggravées. Les dépôts au-delà de 100 000 euros de la banque Laïki ont été eux intégralement convertis en actions. Cette mise à contribution des déposants ( « bail in » ) constitue un précédent au regard du traitement de la crise bancaire en Irlande et en Espagne, où l'État et donc les contribuables ont dû financer la recapitalisation des établissements financiers ( « bail out » ).

Les autorités chypriotes ont dû, dans le même temps, accepter un protocole d'accord prévoyant la mise en place de réformes structurelles, la baisse du salaire des fonctionnaires (15 %) et des retraites (10 %), un programme de privatisation et l'augmentation du taux de l'impôt sur les sociétés de 10 à 12,5 %.

La République de Chypre est sortie du programme d'assistance financière international le 7 mars 2016. Le gouvernement chypriote n'a finalement utilisé que 7,5 milliards d'euros, les déposants ayant participé de leur côté au renflouement du secteur bancaire à hauteur de 9 milliards d'euros, soit la moitié du PIB chypriote. Le déficit public atteint aujourd'hui 1 % du PIB contre 8,9 % en 2014, et la croissance devrait s'établir à 1,4 % en 2016. Le chômage a, quant à lui, diminué, passant de 16,2 % en 2014 à 12,1 % aujourd'hui. L'endettement du pays reste élevé : la dette publique représente encore 108,2 % du PIB et la dette privée 348,3 % du PIB. La dette publique est concernée par le programme d'assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne.

Le processus de négociation a, néanmoins, été véritablement ouvert le 15 mai 2015 après l'accession à la présidence de la «République turque de Chypre-Nord » (RTCN) de Mustafa Akinci, élu sur un programme de rapprochement avec la partie sud de l'île 5 ( * ) .

5 chapitres ont été ouverts le 17 juin 2015 :

- le mode d'élection de l'exécutif territorial ;

- le processus de décision à la chambre basse ;

- l'élaboration d'un statut d'usager actuel de propriété spoliée ;

- la définition de la période de transition, soit la période comprise entre les référendums et l'application pleine et entière de l'accord ;

- le mécanisme de résolution des blocages dans le secteur judicaire.

Dans le même temps, des mesures de confiance visant l'ouverture de points de passage, l'interconnexion des réseaux de télécommunication et d'énergie ou l'appellation d'origine contrôlée de produits locaux, ont été annoncées.

Six nouveaux chapitres de négociation ont été ensuite ouverts le 29 juin 2015. Ils concernent :

- la répartition des compétences entre États constituants et État fédéral ;

- les critères d'examen et de résolution des conflits par la Commission pour les propriétés ;

- les conditions d'éligibilité à la citoyenneté ;

- les ratios communautaires dans la fonction publique ;

- la participation de Chypre à la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne ;

- l'application des libertés fondamentales reconnues par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne sur l'ensemble du territoire chypriote.

À la différence du Plan Annan, le processus actuel est avant tout le fruit d'une initiative des deux dirigeants. Il apparaît moins comme une solution imposée par une organisation internationale, faute d'accord entre les parties. Il n'est pas, de surcroît, soumis à une contrainte de calendrier. Dans ces conditions, une issue favorable peut être raisonnablement envisagée.

DE VÉRITABLES AVANCÉES ?

QUELQUES POINTS D'ACCORD

Ces négociations ont, pour l'heure, débouché sur quelques avancées. Il convient de relever le consensus trouvé sur le futur nom du pays - République fédérale de Chypre -, la définition de la phase transitoire, le fonctionnement de la Cour suprême en cas de blocage
- celle-ci devant être composée à parité de juges chypriotes-grecs et de juges chypriotes-turcs -, et le traitement individualisé des litiges en matière de propriétés spoliées.
Une commission a été instituée à cet effet. Les représentants du nord de l'île souhaitaient auparavant la mise en place d'un échange global de propriétés.

Un accord s'est, en outre, dessiné concernant la naturalisation des Turcs installés dans la partie nord. Les autorités de la « RTCN » militent pour qu'un certain nombre d'entre eux soient naturalisés afin de préserver une communauté turque représentant 20 % de la population totale (règle du 4 pour 1), soit l'équilibre démographique constaté en 1974. 70 000 colons et leurs familles pourraient ainsi être naturalisés Chypriotes, afin de parvenir à un seuil de 220 000 Chypriotes-turcs, la République de Chypre comptant aujourd'hui 803 000 habitants. Les autorités du sud de l'île souhaitent également que cet objectif de 4 pour 1 soit scrupuleusement respecté. La « RTCN » souhaiterait, cependant, que ce chiffre puisse évoluer si les négociations viennent à traîner en longueur.

Les discussions sur les mesures dites de « confiance » semblent également avoir abouti, qu'il s'agisse de l'ouverture du point de passage Lefka/Applic, le 28 mai 2015, ou des connexions à réaliser entre les réseaux électrique. S'agissant du réseau téléphonique, la connexion implique un accord entre les compagnies chypriote-grecque Cyta et chypriote-turque Telsim , elle-même filiale d'un groupe turc. Les deux entités passeraient par un centre de roaming installé au Luxembourg et appartenant à la compagnie Vodafone . Cette solution semble cependant contestée par la compagnie chypriote-turque Turkcell , qui demande, de son côté, une interconnexion physique, impliquant des travaux d'infrastructures.

Des difficultés sont néanmoins apparues sur d'autres points, à l'image de l'emplacement du point de passage de Derinya. Celui-ci revêt une importance symbolique puisqu'il devrait permettre de relier Famagouste, située dans l'actuelle « RTCN », à la République de Chypre. Ce qui induit un passage devant le quartier fantôme de Varosha. L'ouverture implique, par ailleurs, une vaste opération de déminage. Cette route passerait près de terrains militaires turcs, ce qui suscite des réserves de la part d'Ankara. Les Chypriotes du Nord demandent en conséquence la mise en place d'une route alternative qui induirait des travaux d'infrastructures et des expropriations.

L'attribution, quel que soit son lieu de production, de l'appellation d'origine protégée pour le fromage halloumi / hellim progresse, quant à elle, difficilement, suscitant l'inquiétude des Chypriotes du Nord.

DES POINTS DE BLOCAGE QUI PERSISTENT

La plupart des chapitres ouverts en juin 2015 n'ont pas connu de véritables avancées. Aucun calendrier précis n'a, cependant, été retenu. Un accord fin 2016 et une ratification par référendum courant 2017 reste malgré tout une hypothèse probable, compte tenu de la bonne volonté des parties mais aussi des échéances électorales au sud de l'île. L'actuel Président de la République, Níkos Anastasiádes, verra, en effet, son mandat se terminer début 2018. Reste cependant à trancher trois problèmes-clés : la question de la répartition des compétences, celle des ajustements territoriaux et de la répartition des propriétés et, enfin, celle des garanties de sécurité. Ces deux dernières ont été renvoyées à la fin des négociations.

En ce qui concerne la répartition des compétences des entités au sein de la future fédération et le mode de gouvernement, il n'existe pas, pour l'heure, de compromis. Les représentants du nord du pays souhaitent la mise en place d'une présidence tournante avec vote croisé et pondéré en fonction des communautés . Les autorités du sud sont d'accord avec le principe d'une présidence tournante dès lors qu'elle est symbolique et que le pouvoir exécutif dépende en large partie du Premier ministre, qui serait issu de la communauté grecque. Les Chypriotes du Nord souhaitent en outre que les États constituants soient parties aux traités internationaux. Les modalités d'organisation de la police fédérale n'ont pas été abordées. En ce qui concerne les quotas au sein de la fonction publique, les Chypriotes-grecs tablent sur 30 % de Chypriotes-turcs en général, taux relevé à 50 % pour certaines institutions (Cour suprême, Commission du service public, Banque centrale, Procureur général, Auditeur général, Médiateur).

La question du tracé des limites administratives est, quant à elle, sujette à controverse. En l'état actuel des échanges, les autorités du nord du pays rétrocèderaient moins de territoires que dans le cadre du Plan Annan. Celui-ci était pourtant considéré par les autorités du sud de l'île comme un minimum en matière d'ajustement territorial.

En dépit de la mise en place de la commission dédiée, les deux parties n'ont par ailleurs pas abouti à un accord sur les propriétés occupées. Se pose en filigrane la question de la priorité à accorder au propriétaire légitime ou à l'occupant actuel. 160 000 propriétaires réfugiés dans le sud de l'île seraient concernés contre 40 000 au nord. Les autorités du nord souhaitent qu'un minimum d'habitants actuels soit concerné et milite pour une indemnisation. La solution inverse induirait un transfert de population et des échanges de territoires. Si des occupants devaient céder leurs logements, la « RTCN » entend que soit appliqué l'arrêt Demopoulos rendu par la Cour européenne des droits de l'Homme en mars 2010 6 ( * ) . Celui-ci souligne la nécessité de respecter les droits des occupants Cette idée ne semble pas rencontrer l'adhésion des représentants du sud de l'île. Le montant des compensations financières est, par ailleurs, chiffré à une somme comprise entre 25 et 30 milliards d'euros, soit un montant supérieur au PIB chypriote. La République de Chypre souhaite à cet effet une aide internationale et exclut toute augmentation de la dette pour financer ces mesures. La partie chypriote-grecque estime par ailleurs que plus la rétrocession de territoires sera importante, moins le montant des compensations sera élevé. Une méthodologie commune a cependant été élaborée par les deux parties dans le cadre de la Commission sur les propriétés afin de définir les catégories de propriétaires (résidence principale ou secondaire), les types de propriété (habitation, terrain agricole, commerce), le degré de propriété (ayant-droit direct, descendant, héritier) et les raisons de l'occupation (réfugié, achat tardif, location).

Le problème des garanties de sécurité n'a pas encore été réellement abordé. Il implique une révision du Traité de Garantie de 1960, dont la Grèce, le Royaume-Uni et la Turquie sont signataires, et dépend en large partie de la position turque, qui dispose encore de 44 000 soldats répartis sur 156 bases au nord de l'île.

La question du coût de la réunification devra également être approfondie. Une évaluation conjointe est actuellement menée par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Les autorités turques ont évoqué, de leur côté, un possible soutien financier à la réunification, jugeant cependant que les institutions financières internationales et l'Union européenne devaient avoir un rôle primordial sur ce sujet. L'aide financière internationale pourrait en priorité contribuer au règlement de la question des transferts de propriété. Les fonds européens pourraient être mobilisés à hauteur de 2 ou 3 milliards pour permettre un effet de levier. Les États-Unis ont, de leur côté, fait part de leur souhait de financer à hauteur de 20 % les coûts induits par le règlement.

UN RALENTISSEMENT DES NÉGOCIATIONS ?

Si le rythme des réunions est maintenu (deux réunions mensuelles des dirigeants des deux communautés et trois réunions hebdomadaires des négociateurs), un ralentissement des négociations a, parallèlement, été observé ces dernières semaines. Outre le fait que les discussions vont bientôt aborder les questions les plus sensibles, comme les ajustements territoriaux ou la question des garanties, trois facteurs peuvent expliquer cette impression d'essoufflement.

Les élections législatives du 22 mai au sein de la République de Chypre ont pu contribuer à tempérer l'écho médiatique donné aux négociations. Le résultat de ce scrutin - principalement centré sur les questions économiques - pourrait influer sur la position de la partie sud. Le Rassemblement démocratique (DISY - centre droit) du Président de la République reste le premier parti du pays, devant le Parti progressiste des travailleurs (AKEL - communistes), qui conserve sa deuxième position, et le Parti démocratique (DIKO - centre-gauche). Le scrutin a cependant été marqué par une abstention importante (33,26 %) qui a profité aux petits partis, hostiles au processus de réunification. Au sein du parlement chypriote ( Vouli antiprosopon ), seuls le DISY et l'AKEL sont aujourd'hui favorables au processus de négociation. Ces deux partis ont perdu des voix par rapport aux élections précédentes : - 3,1 % pour le premier et - 7,1 % pour le deuxième, soit 70 000 voix à eux deux (13 % du corps électoral). Le DISY et le DYKO, qui composaient la précédente coalition parlementaire, ne disposent pas, par ailleurs, de la majorité absolue. Ce qui devrait conduire le DISY à composer un peu plus avec des formations opposées aux négociations actuelles, à l'heure où celles-ci devraient prendre un tour décisif. Les négociations restent, pour autant, portées politiquement par le chef de l'État.

Composition du Parlement chypriote

Formation

Nombre de sièges

Nombre de sièges
en 2011

DISY

18

20

AKEL

16

19

DIKO

9

9

EDEK (socialiste)

3

5

Alliance des citoyens (membres d'AKEL)

3

1

Solidarité (membres du DISY)

3

-

Écologistes

2

1

ELAM (extrême-droite nationaliste)

2

-

Le départ annoncé en juin prochain du négociateur chypriote-grec Andreas Mavoyannis, candidat à la présidence de l'Assemblée générale des Nations unies, a, par ailleurs, pu être analysé par certains observateurs comme susceptible de susciter quelques flottements dans les discussions au niveau technique. La qualité des rencontres au plus haut niveau - 25 entretiens entre les deux dirigeants depuis 2015 - et les échanges réguliers au niveau technique tendent, néanmoins, à dissiper cette impression.

L'éclatement de la coalition gouvernementale en « RTCN », le 2 avril dernier, sur la question de la gestion de l'eau apportée par l'aqueduc relié à la Turquie a pu également limiter les avancées. Les sociaux-démocrates du Parti républicain turc (CTP), favorables aux négociations, ont été contraints de céder le pouvoir à une alliance composée de partis nationalistes, l'UBP - déjà présent dans le précédent gouvernement - et le Parti démocrate (DP), plus favorable au rapprochement avec Ankara qu'avec Nicosie. Un nouveau « gouvernement » a été formé le 16 avril. Il convient de relever que la question de la gestion de l'eau témoigne encore de la tutelle de la Turquie sur la partie nord de l'île. La Turquie souhaite que la distribution de l'eau, gérée par les communes, soit désormais privatisée, au profit d'entreprises établies sur le territoire turc. Ce sujet de crispation entre une partie des forces politiques de Chypre-Nord et Ankara vient s'ajouter à ceux liés au projet d'accord économique entre la « RTCN » et la Turquie, au câble sous-marin destiné à fournir de l'électricité depuis la Turquie, et au souhait des autorités turques de voir naturaliser 10 000 colons turcs et leurs familles, soit potentiellement 30 à 50 000 personnes, en plus des 70 000 prévues dans le cadre des négociations. De tels projets pourraient être menés à terme par le nouveau gouvernement au risque de crisper la partie sud de l'île, en remettant en cause l'accord sur l'équilibre démographique. Ils affaibliraient la position de M. Akinci, très favorable à la réunification et hostile aux naturalisations supplémentaires, dans ses négociations avec le président chypriote. Reste que la coalition désormais aux affaires demeure fragile et ne peut s'appuyer sur une majorité absolue au sein du « Parlement » de « RTCN ».

Deux éléments ont, par ailleurs, conduit à décaler la reprise des négociations prévue le 27 mai, alors même que celles-ci devaient être relancées à l'issue de la séquence électorale :

- l'invitation, par les autorités turques, de M. Akinci au dîner des chefs d'État tenu le 23 mai à l'occasion du Sommet mondial de l'action humanitaire, organisé par les Nations unies à Istanbul, a conduit le Président de la République de Chypre à annuler sa présence. Cette invitation suivait un entretien bilatéral entre le Secrétaire général des Nations unies et le dirigeant chypriote-turc. Compte-tenu de cette rencontre, le chef de l'État chypriote a également différé son entretien avec le Secrétaire général des Nation unies prévu le 26 mai. M. Anastasiades craint une forme de légitimation internationale des autorités de « RTCN » ;

- parallèlement, l'annonce par les dirigeants chypriotes-turcs de limiter l'ouverture des églises situées au nord à une journée a contribué à générer des tensions.

Le contexte n'a pas, dans ces conditions, été jugé propice par la République de Chypre à une relance des discussions. Il reste néanmoins une volonté politique des deux dirigeants de faire aboutir ce processus, qui bénéficie d'un réel appui de l'Union européenne mais dépendra en large partie de l'attitude de la Turquie. Les deux dirigeants devront, dès qu'un accord complet aura été trouvé, le présenter à leurs opinions publiques de façon simultanée et conjointe.

CHYPRE, ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET LA TURQUIE

La volonté de réappropriation du processus de négociations ne saurait occulter l'importance de deux autres acteurs : la Turquie, dont les liens avec le nord de l'île tendent à se densifier à nouveau ces dernières semaines, et l'Union européenne, à laquelle appartient la République de Chypre et dont les relations avec la Turquie ont été réévaluées à l'aune de la crise des migrants. Au-delà, il est évident que le succès des négociations et la réunification de l'île constitueraient une réponse aux tendances séparatistes qui divisent plusieurs autres États membres.

QUELLE POSITION POUR LA TURQUIE ?

UN RETRAIT ASSUMÉ ?

Plusieurs réponses aux questions soulevées lors des négociations dépendent du gouvernement turc. Il en va ainsi de l'ajustement territorial et des garanties de sécurité. Ankara s'est déclarée opposée à la rétrocession de la ville de Morfou, située au nord de l'île, en arguant de craintes pour la sécurité de la communauté chypriote-turque. Des travaux d'infrastructures sont d'ailleurs en cours autour de cette ville. Cet argument n'est pas sans susciter d'interrogations : il apparaît en effet étonnant qu'un État membre de l'Union européenne puisse être perçu comme une menace pour une communauté appelée à évoluer en son sein.

Le gouvernement turc a néanmoins rappelé à plusieurs reprises son souhait de voir le processus aboutir sur une solution juste, durable et acceptable par toutes les parties. Il rappelle régulièrement son soutien passé au Plan Annan, soulignant en creux le rejet par la République de Chypre de la solution proposée à l'époque.

La Turquie se montre aujourd'hui favorable à ce que la question des garanties de sécurité soit traitée en fin de négociation. Elle entend que la Grèce s'investisse plus directement sur la question des garanties, ce qui peut constituer un retour au Traité de 1960. Le gouvernement grec a pourtant affirmé à plusieurs reprises son souhait de mettre fin au système des garanties et d'aboutir au retrait des forces turques. Le Royaume-Uni, également signataire du Traité de garantie, ne semble pas non plus enclin à s'investir un peu plus. De son côté, la République de Chypre souhaiterait une garantie plus large, de l'Union européenne ou des Nations unies. Les autorités turques ont également évoqué le retrait de troupes, dans la lignée de ce que proposait déjà le plan Annan en 2004. Un retrait de moitié des troupes dès la signature de l'accord entre les deux entités et une réduction progressive à 650 éléments sont ainsi envisagés. Il s'agit, selon les autorités turques, de conserver une présence symbolique destinée à dissiper la crainte au sud d'une invasion et répondre au nord à la peur d'une épuration ethnique. Le chiffre de 650 était, par ailleurs, prévu par le Traité de Garantie 7 ( * ) . Cette volonté de respecter le Traité de Garantie se retrouve également dans le souhait affiché par les autorités que les négociations se déroulent en trois phases : accord entre les parties, validation par les Nations unies, et enfin droit de regard des puissances garantes.

Plus largement, il est permis de s'interroger sur le fait qu'une puissance extérieure puisse continuer à être le garant de la sécurité d'une communauté présente sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne. Il convient, cependant, de ne pas mésestimer le fait que les États-Unis se montreraient réservés quant à une démilitarisation de l'île, compte-tenu du contexte régional. Les autorités du nord estiment de leur côté que la question des garanties ne saurait constituer une entrave à la réunification, et jugent possible une évolution du système de garanties à l'issue d'une période transitoire de plusieurs années après la réunification de l'île.

S'agissant de la question immobilière et de la rétrocession des territoires et, au-delà, de la situation de Morfou , la Turquie n'a exprimé, pour l'heure, aucune réserve à un ajustement permettant à la partie grecque de l'île de récupérer 6 à 7 % de l'île, comme prévu dans le Plan Annan. Elle entend également participer au financement des dédommagements, l'annulation d'une partie de la dette contractée par les autorités du nord étant régulièrement avancée. Cette volonté d'avancer est néanmoins contredite par son souhait de limiter le droit d'installation des Chypriotes d'origine grecque au nord de l'île, afin de garantir le caractère bizonal et bicommunautaire de l'île. En vue de renforcer celui-ci, la Turquie entend, en outre, que soit mise en place une présidence tournante à la tête du nouvel État. Si les négociations inter-chypriotes venaient à échouer, la Turquie préconise une solution à deux États.

Sans préjuger de l'attitude à venir du gouvernement turc, il apparaît que la Turquie a plus d'avantages à laisser le processus de négociation aboutir qu'à le ralentir. Le coût de l'aide directe à la partie nord de l'île est évalué, chaque année, à 1 milliard de dollars. Elle abonde, pour moitié, le budget de la « RTCN ». Le projet d'accord économique aujourd'hui à l'étude entre les autorités turques et celles de Chypre-Nord doit, quant à lui, permettre de financer 40 % des agents publics de « RTCN ». Ankara souhaite en contrepartie des réformes structurelles, à l'image de la privatisation de la distribution de l'eau, qui peinent aujourd'hui à aboutir. La Turquie souhaite aujourd'hui nouer un partenariat avec une île réunifiée, notamment en matière énergétique. Elle propose ainsi que les hydrocarbures découverts au large des côtes de Chypre transitent par son territoire vers l'Europe, soulignant le coût de la construction d'un réseau d'oléoducs et de gazoduc entre le continent et Chypre via la Crète (20 milliards d'euros). La Turquie entend, dans le même temps, faire bénéficier l'ensemble de l'île de l'aqueduc qu'elle vient de construire, qualifiant l'eau distribuée d'« eau de la paix ».

Au-delà de l'aspect économique financier, l'appui à la réunification doit permettre à la Turquie de rompre un isolement régional grandissant, comme en témoignent ses relations délicates avec l'Égypte, Israël ou la Russie . Il doit, aux yeux des autorités turques, faciliter le rapprochement entrepris avec l'Union européenne et rendre possible une adhésion à terme. Sa position sur le droit d'installation des Chypriotes grecs au nord de l'île peut cependant apparaître en contradiction avec cette ambition.

LA QUESTION CHYPRIOTE ET LES NÉGOCIATIONS UNION EUROPÉENNE-TURQUIE

La sortie de cet isolement passe, pour la Turquie, par un rapprochement avec l'Union européenne et donc avec la République de Chypre, qu'elle ne reconnaît pas formellement. Le sommet Union européenne-Turquie du 29 novembre 2015, principalement dédié aux questions migratoires, a été l'occasion de relancer deux processus distincts :

- la mise en oeuvre de la feuille de route sur la libéralisation des visas ;

- les négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

Le dialogue sur la libéralisation du régime des visas avec la Turquie a été lancé par l'Union européenne le 16 décembre 2013, parallèlement à la signature d'un accord de réadmission. Il repose sur une feuille de route destinée à mettre en place un régime d'exemption de visas. Aux termes de celui-ci, les ressortissants turcs seraient libérés de l'obligation de visa pour les séjours de courte durée, soit d'une durée maximale de 90 jours sur toute période de 180 jours, dans le cadre de voyages d'affaires, touristiques ou à des fins familiales, au sein de l'espace Schengen. La feuille de route comprend 72 exigences à remplir, réparties en cinq groupes : sécurité des documents, gestion des migrations, ordre public et sécurité, droits fondamentaux, et réadmission des migrants irréguliers. Le sommet du 29 novembre 2015 a fixé à octobre 2016 la mise en place de ce régime, dès lors que les critères seraient respectés. Deux concernent spécifiquement Chypre :

- l'application de l'accord de réadmission Union européenne-Turquie à l'ensemble des États membres ;

- la suppression de l'obligation de visas d'entrée en Turquie pour huit États membres, dont la République de Chypre 8 ( * ) . Les ressortissants chypriotes, qualifiés par l'administration turque de « citoyens représentant l'administration grecque de Chypre-Sud », ont, au sein de ce groupe, un traitement encore plus discriminatoire puisqu'ils doivent se préenregistrer avant toute entrée sur le territoire turc là où les ressortissants des sept autres États peuvent acquérir leurs visas au poste-frontière.

Le deuxième rapport de la Commission européenne sur l'application de la feuille de route, publié le 4 mars 2016, indiquait que des progrès devaient être accomplis dans ces deux domaines 9 ( * ) . Les autorités turques ont adopté, le 2 mai dernier, de nouvelles mesures permettant de répondre notamment à ces deux exigences et de parvenir ainsi à remplir 65 critères sur les 72 prévus. Il n'en demeure pas moins qu'aux yeux des autorités turques, la suppression du traitement discriminatoire ne vaut pas reconnaissance de Chypre.

Les négociations d'adhésion entre l'Union européenne et la Turquie ont, quant à elles, été ouvertes en octobre 2005. 13 chapitres de négociations sur 35 ont été ouverts entre 2006 et 2010 10 ( * ) . Les négociations n'ont pas progressé ensuite jusqu'en novembre 2013 et l'ouverture d'un nouveau chapitre, relatif à la politique régionale. Le sommet du 29 novembre 2015 a débouché sur l'ouverture d'un quinzième chapitre concernant la politique économique et monétaire. Un seul a été clôturé pour l'heure, il concerne les domaines de la science et de la recherche.

La question chypriote n'est pas sans incidence sur l'absence d'avancée tangible sur l'ouverture de nouveaux chapitres. Celle-ci dépend en large partie de l'application du protocole additionnel à l'accord d'Ankara, signé par la Turquie et l'Union européenne le 29 juillet 2005. Ce texte étend l'union douanière entre la Turquie et l'Union aux États membres ayant adhéré. Dans une déclaration unilatérale, les autorités turques ont néanmoins estimé que leur signature ne valait pas reconnaissance de la République de Chypre et jugeaient que l'accord signifierait que les marchandises chypriotes entreraient librement en Turquie, tandis que les marchandises du nord de l'île ne pourraient pas rentrer dans l'Union européenne. Le 21 septembre 2005, en réponse à la déclaration turque, l'Union européenne a adopté une déclaration rappelant que la Turquie devait appliquer l'intégralité du protocole additionnel à l'accord d'Ankara, reconnaître tous les États membres et normaliser ses relations avec eux. En dépit de ce texte, la Turquie n'a pas autorisé la République de Chypre à accéder à ses ports et aéroports. Le 11 décembre 2006, le Conseil Affaires étrangères a, en conséquence, décidé de geler huit chapitres des négociations 11 ( * ) . Ces chapitres n'ont pas été ouverts depuis. La décision du Conseil pose, en outre, le principe qu'aucun chapitre ouvert ne pourra être clos en l'absence d'application complète, par la Turquie, du protocole additionnel à l'accord d'Ankara.

La République de Chypre est, en outre, à l'origine du blocage de six autres chapitres. Constatant en décembre 2009 la non-application du protocole, elle a indiqué qu'elle bloquerait l'ouverture de cinq chapitres supplémentaires : Chapitre 2 « libre circulation des travailleurs », Chapitre 23 « pouvoir judiciaire et droits fondamentaux », Chapitre 24 « justice, liberté et sécurité », Chapitre 26 « éducation et culture » et Chapitre 31 « politique extérieure de sécurité et de défense ». Les contestations turques au sujet des gisements d'hydrocarbure au large de ses côtes l'ont également conduite à annoncer son souhait de bloquer l'ouverture du Chapitre 15 relatif à l'énergie.

Les efforts accomplis par la Turquie en ce qui concerne la feuille de route sur la libéralisation des visas incitent à penser que la position de son gouvernement à l'égard de Chypre semble évoluer favorablement. L'application complète du Protocole additionnel à l'accord d'Ankara n'est, cependant, pour l'heure, pas annoncée. En tout état de cause, le rapprochement entre l'Union européenne et la Turquie, pour partie légitime en raison de la crise migratoire, ne peut se faire au détriment de la République de Chypre ni influer sur le processus de négociations intercommunautaires en favorisant les positions turques.

L'UNION EUROPÉENNE, INDISPENSABLE FACILITATEUR

Au-delà des négociations Union européenne-Turquie, les négociations intercommunautaires font l'objet, depuis 2004, d'un suivi spécifique de la part de la Commission européenne. L'intégration du nord de l'île est déjà prévue dans le droit européen, comme en témoigne le Protocole n° 10 annexé à l'acte d'adhésion de Chypre à l'Union européenne.

L'UNION EUROPÉENNE ET LE NORD DE L'ÎLE

La Commission européenne dispose en « RTCN » d'un Bureau d'appui depuis 2004 et d'un Office d'information, ouvert en mai 2015. Un support financier a également été mis en place dès 2006 12 ( * ) . Un programme quinquennal avait alors été établi et doté de 259 millions d'euros. Depuis 2011, l'aide a pris la forme de dotations annuelles de 30 millions d'euros. De fait, entre 2006 et fin 2014, un montant de 370 millions d'euros a été programmé pour des opérations. Elles visent le développement économique et social de la partie nord, le soutien aux projets d'infrastructures, l'aide à la société civile et la préparation à la réunification et à l'intégration de l'acquis communautaire concomitante. L'intervention européenne a notamment permis l'aboutissement de projets de voiries afin de respecter les standards européens ou la mise en place de la première station d'épuration dans la zone 13 ( * ) . Elle permet de faire face à l'absence de stratégie d'investissement privé locale, le secteur public étant, par ailleurs, largement subventionné par Ankara.

Le protocole n° 10 annexé à l'acte d'adhésion de Chypre à l'Union européenne prévoit, par ailleurs, que rien n'empêche l'adoption de mesures visant à favoriser le développement économique des zones où la République de Chypre n'exerce pas de contrôle direct (article 3.1). Un règlement de 2004, dit « Ligne verte », est venu par ailleurs préciser la position de l'Union européenne sur l'article 2 dudit protocole sur la législation européenne applicable sur la ligne de démarcation, concernant la liberté de circulation des personnes et des marchandises 14 ( * ) . Une Task force pour la communauté chypriote-turque a été mise en place pour la bonne application de ce dispositif. Elle travaille avec le Bureau d'appui. Dans l'optique d'une prochaine réunification, la Task Force a récemment été transférée de la Direction générale du voisinage et des négociations d'élargissement (NEAR) à la Direction générale de la politique régionale et urbaine (REGIO).

LE SUIVI DES NÉGOCIATIONS

La Commission européenne dispose d'un envoyé spécial auprès de la mission de bons offices menée par les Nations unies. Il s'agit du Belge Pieter van Nuffel, nommé une première fois en 2012 et dont le mandat a été prorogé en juillet 2015. Il est placé sous la responsabilité directe du président de la Commission européenne. Il travaille conjointement avec le représentant des Nations unies, le Norvégien Espen Barth Eide. Il est plus spécifiquement chargé de faire le lien avec la Commission européenne et solliciter son appui technique. Ce positionnement particulier de la Commission européenne vise à éviter qu'elle soit par trop partie prenante dans la négociation, au risque d'alimenter la critique venant du nord de l'île qui considère que l'Union européenne défend avant tout les positions de la République de Chypre. La Commission européenne a exprimé, en tout état de cause, son souhait de voir l'île réunifiée prochainement, son président, M. Jean-Claude Juncker, estimant même le 15 janvier dernier que celle-ci pourrait intervenir avant la fin du premier semestre 2016.

Aux termes de l'article 1 er du Protocole n°10 cité plus haut, l'application de l'acquis communautaire est simplement suspendue dans la partie nord de l'île. La « RTCN », soutenue par la Turquie, souhaite pourtant que soient mises en place des dérogations permanentes à l'acquis communautaire. Ces exceptions sont censées constituer une garantie pour le caractère bizonal et bicommunautaire du nouvel État. Elles devraient être inscrites dans le droit primaire européen, les autorités chypriotes-turques appelant à la rédaction d'un nouveau Traité d'adhésion. La Commission européenne est assez réservée sur cette option, qui impliquerait une ratification par tous les États membres. La France a également exprimé son opposition de principe aux dérogations permanentes, jugeant qu'elles ne pouvaient être que limitées dans le temps et justifiées.

Dans le cadre des négociations à venir sur les propriétés et l'ajustement territorial, les autorités du nord, appuyées par la Turquie, souhaiteraient ainsi limiter l'exercice des droits de propriété et de vote des membres des communautés vivant dans l'État constituant de l'autre communauté, via l'instauration d'un droit de séjour. À l'instar des dispositions prévues dans le Plan Annan, de telles mesures ne sont pas sans susciter des réserves quant à leur adéquation avec l'exercice des quatre libertés prévues par les traités européens : liberté de circulation des biens et des personnes, liberté d'installation et libre prestation de services.

D'autres questions mériteront par ailleurs une attention particulière dès lors que la réunification sera mise en oeuvre : la question de mise en circulation de l'euro, celle, plus problématique, de l'absorption de la dette de la partie nord, ou celle de l'amélioration des standards des produits turco-chypriotes, ceux-ci n'étant pas encore présents sur le marché européen. Des domaines prioritaires apparaissent en la matière afin de respecter les critères européens de sécurité alimentaire et de santé animale et les normes phytosanitaires. L'entrée dans l'Union douanière impliquera en outre des mesures d'ajustement en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée ou les droits d'accises.

Un Comité bicommunautaire sur la préparation à l'Union européenne a, en tout état de cause, été mis en place dans le cadre des négociations. Il s'est réuni pour la première fois en septembre 2015 . Il a pour mandat de préparer la communauté chypriote-turque à l'intégration de l'acquis communautaire. Il est composé de trois représentants de chacune des parties. Il doit désormais identifier pour chaque domaine de l'acquis les actions nécessaires pour une mise à niveau. Les autorités du Nord souhaitent, en outre, que ses fonctionnaires puissent se former en République de Chypre. Aucun accord n'est encore intervenu sur ce point. Un renforcement de l'assistance technique européenne sera, quoi qu'il en soit, indispensable en vue de former l'administration du nord de l'île.

*

C'est dans ce contexte que votre rapporteur vous propose d'adopter une proposition de résolution européenne destinée à accompagner la position de l'Union européenne dans le processus de négociations. Cette résolution sera doublée d'un avis politique qui en reprendra les termes et sera transmis directement à la Commission européenne, dans le cadre du dialogue politique noué avec elle depuis 2005.

EXAMEN PAR LA COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 2 juin 2016 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. Didier Marie, le débat suivant s'est engagé :

M. Simon Sutour . - Je suis très heureux que nous ayons ce débat, que nous aurions pu avoir plus tôt, mais qui est d'autant plus intéressant que les négociations semblent avancer - je reste prudent, car chat échaudé craint l'eau froide.

Nous remarquons en passant que les grands principes sont défendus lorsqu'il s'agit de certains pays - et qu'ils le sont moins pour d'autres. Plus de 40 000 soldats turcs occupent un pays membre de l'Union européenne ; la colonisation a créé des situations acquises. Les choses avancent néanmoins : les Chypriotes peuvent circuler librement. Un Chypriote grec propriétaire d'une terre dans le Nord m'a raconté qu'il était allé la voir, qu'il l'avait trouvée bien cultivée et qu'il y avait rencontré un jeune homme lui disant que ses parents étaient venus d'Anatolie, mais que lui était né à Chypre. C'est là qu'on se rend compte du temps qui passe, et que l'indemnisation est plus réaliste que les échanges de biens, sauf peut-être pour certaines maisons de Turcs au Sud sur lesquelles les voisins ont veillé.

Il y a eu des changements dans la structure de la population : les Chypriotes turcs d'origine avaient une plus grande facilité à s'entendre avec les Grecs, pour avoir toujours vécu avec eux et être souvent des descendants de Grecs convertis à l'Islam. Mais les colons anatoliens sont, semble-t-il, devenus plus nombreux qu'eux. Les Chypriotes d'origine ont profité de leur droit à obtenir un passeport de la République de Chypre pour fuir la situation économique, notamment en direction du Royaume-Uni.

Nous avons la chance d'avoir un leader chypriote turc favorable à la négociation. Mais ne nous leurrons pas : ce n'est pas lui qui décidera, mais le Président Erdogan.

Je profite de ce débat pour demander une rectification du compte rendu de notre réunion du 12 mai. Mon propos était de dire que le partage des réserves d'hydrocarbures entre les pays riverains de la Méditerranée orientale se faisait sous la houlette des États-Unis et non de la Turquie. En revanche, la Turquie a mis son grain de sel en procédant à des manoeuvres navales d'intimidation.

Aujourd'hui, le Bundestag votera la reconnaissance et la condamnation du génocide arménien, ce qui provoque des remous. Il n'est pas concevable qu'un pays candidat à l'Union européenne n'ait pas réglé ce problème avant d'adhérer. Un candidat ne peut pas occuper le territoire d'un État membre.

Je trouve cette proposition de résolution un peu modérée. Elle est excellente, mais elle sera ensuite examinée par la commission des affaires étrangères...

M. Alain Vasselle . - Quel est le poids de la population turque par rapport à la population grecque ? L'Union européenne agit-elle à l'initiative des Grecs ? Y a-t-il urgence à délibérer ? Qu'est que la France a à espérer de tout cela ?

Mme Gisèle Jourda . - Notant que la Turquie refuse toute reconnaissance formelle de Chypre, vous vous inquiétez dans votre rapport du fait que l'accord entre l'Union européenne et la Turquie sur les réfugiés puisse se faire au détriment de l'île. La Turquie ne fera-t-elle pas levier de cet accord pour consolider ses positions dans la négociation intercommunautaire chypriote ? L'intérêt de la réunification est évident mais ne lève pas toutes les interrogations.

Étant par ailleurs membre de la commission des affaires étrangères, je veux néanmoins souligner le rôle important de la commission des affaires européennes qui doit être reconnu.

M. Didier Marie . - Nous bénéficions d'une conjoncture exceptionnelle : de part et d'autre, deux dirigeants qui souhaitent la réunification et négocient en tête-à-tête. Un processus a été mis en place pour traiter les questions les unes après les autres. Les dirigeants se rencontrent deux fois par mois, leurs équipes techniques plusieurs fois par semaine. C'est désormais une affaire interne, alors qu'auparavant les solutions étaient imposées de l'extérieur - c'est notamment le cas du plan Annan. Bien qu'impliquée, l'Union européenne veille par conséquent à maintenir une certaine distance.

Les récentes élections pourraient atténuer l'optimisme régnant, puisque le Président de Chypre est désormais soutenu par une coalition au sein de laquelle les partisans de la réunification ne sont plus majoritaires. Au Nord, un parti a quitté la coalition dirigée par le centre-gauche, entraînant la formation d'une nouvelle coalition plus pro-turque. C'est pourquoi l'ONU, la Commission européenne et les autres partenaires souhaitent réaffirmer leur intérêt pour ces négociations qui représentent une dernière chance : en cas d'échec à l'horizon 2018, les autorités turques ont déjà fait savoir qu'elles privilégieraient une solution à deux États, option qui pourrait avoir les faveurs de certaines forces politiques au Sud.

L'Union européenne ne peut accepter qu'un État membre soit occupé par une puissance étrangère. Elle reconnaît l'ensemble de l'île ; l'acquis communautaire est suspendu au Nord, mais celui-ci fait bien partie de l'Union européenne. Un délégué spécial pour les questions chypriotes est attaché au président de la Commission européenne. Nous avons une mission permanente installée au Nord, et l'Union consacre un budget annuel de 30 millions d'euros à la préparation de l'intégration du Nord, notamment en formant l'administration chypriote turque.

La France a des liens historiques avec Chypre. Au moment de la partition, la République de Chypre a été abandonnée par tous ses parrains à l'exception de la France, qui l'a aidée à se réarmer face à la menace turque. Les Chypriotes grecs nous en sont d'autant plus reconnaissants que, membre permanent du Conseil de sécurité, la France y défend leurs intérêts. Nous avons par conséquent intérêt à promouvoir la stabilité à Chypre.

En 1974, on comptait un Chypriote turc pour quatre Chypriotes grecs. Or la population du Nord, qui est aujourd'hui de 150 000 personnes, est en décroissance démographique et les autorités souhaitent naturaliser 70 000 colons turcs implantés depuis longtemps sur l'île pour maintenir ce ratio. Les Turcs voudraient davantage. Si l'accord est signé, que deviendront les Turcs non naturalisés ?

Cette proposition de résolution peut paraître trop modérée, mais le sujet est sensible. La Turquie s'est déclarée favorable à un accord mais à certaines conditions. C'est une négociation sur plusieurs plans qui s'engage, avec la question des réfugiés, celle des visas pour les citoyens turcs et accords économiques et, à terme, l'adhésion à l'Union européenne. La Turquie peut en effet utiliser le dossier chypriote pour faire pression sur l'Europe, mais c'est plutôt une monnaie d'échange car Chypre n'est pas, en Turquie, un sujet majeur de politique intérieure. De plus, l'Union européenne pose comme préalable à toute discussion la reconnaissance de Chypre par la Turquie. Huit chapitres de négociation ont été suspendus par l'Union européenne, six par Chypre ; ils n'ont pas été rouverts. Les autorités européennes n'ont jamais donné le moindre signe de souplesse à cet égard.

Enfin, au point de vue stratégique, la Turquie a besoin de rompre son isolement. Elle ne peut développer ses relations commerciales et jouer un rôle significatif qu'en dialoguant avec les pays riverains, l'Union européenne et les États-Unis. La position de la Turquie sur un éventuel règlement de la question chypriote appelle donc un optimisme raisonné même si, naturellement, elle s'inscrira dans une relation donnant-donnant.

M. Jean Bizet , président . - Je vous félicite pour ce rapport et la précision de vos réponses. Je confirme la belle image dont jouit la France auprès de Chypre, notamment au sein de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC).

L'examen par la commission des affaires étrangères de cette proposition de résolution européenne ne devrait pas poser de problème.

Il est incontestable que le comportement du Président Erdogan isole la Turquie, mais à terme, avec le retour de la Russie sur la scène internationale, il lui faudra modifier sa conduite. La dérive autocratique que nous constatons n'est pas acceptable. Une communication sera présentée la semaine prochaine par MM. Jean-Yves Leconte et André Reichardt sur les relations entre l'Union européenne et la Turquie.

À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport d'information et adopté la proposition de résolution européenne, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne .

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le protocole n° 10 annexé à l'acte d'adhésion de Chypre à l'Union européenne,

Vu le protocole additionnel à l'accord établissant une association entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie à la suite de l'élargissement de l'Union européenne,

Vu les conclusions du Conseil affaires générales et relations extérieures du 11 décembre 2006,

Vu le règlement n° 886/2004 du 29 avril 2004 concernant un régime en application de l'article 2 du protocole n° 10 de l'acte d'adhésion de 2003,

Vu le règlement (CE) n° 389/2006 du 27 février 2006 portant création d'un instrument de soutien financier visant à encourager le développement économique de la communauté chypriote turque et modifiant le règlement (CE) n° 2667/2000 relatif à l'Agence européenne pour la reconstruction,

Vu le deuxième rapport sur les progrès accomplis par la Turquie dans la mise en oeuvre des exigences de la feuille de route sur la libéralisation du régime des visas (COM (2016) 140 final),

Salue les négociations en cours en vue d'une réunification de Chypre ; insiste sur le rôle constructif de la Turquie en faveur d'un règlement ;

Relève que la réunification de l'île aurait valeur de symbole au sein d'une Union européenne traversée ces dernières années par les séparatismes ;

Estime que la réunification de l'île présente des avantages économiques indéniables et devrait contribuer à dynamiser la croissance du pays ;

Appuie le rôle de la Commission européenne depuis 2006 en vue de contribuer au développement du Nord de l'île et faciliter une future intégration au sein de l'Union européenne ;

Considère que l'application de l'acquis règlementaire européen doit être intégrale au nord de l'île et ne peut faire l'objet que de dérogations temporaires dans un nombre de domaines limité ;

Estime que le futur accord devra respecter les libertés reconnues par les Traités européens, qu'il s'agisse de la liberté de circulation des personnes, de celle des biens, de la libre installation et de la libre prestation de services ;

Juge indispensable la formation, par la Commission européenne, de représentants de l'administration du Nord de l'île afin de faciliter l'intégration de cette région au sein de l'Union européenne ;

Considère que des moyens devront être dégagés par les institutions financières internationales et l'Union européenne afin de créer un effet de levier en vue d'accélerer le règlement de la question des transferts de propriétés des personnes déplacées ,

Souhaite que l'accélération des négociations entre l'Union européenne et la Turquie sur la libéralisation des visas et l'adhésion n'ait pas d'impact sur le résultats des négociations interchypriotes ;

Insiste pour que la Turquie applique pleinement le protocole additionnel à l'accord établissant une association entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie à la suite de l'élargissement de l'Union européenne et reconnaisse la République de Chypre ;

S'interroge sur l'avenir du Traité de Garantie de 1960 et considère qu'une puissance extérieure ne saurait continuer à être le garant de la sécurité d'une communauté présente sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne ;

Invite le gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

- M. Pieter van Nuffel, envoyé spécial de la Commission européenne auprès de la mission de bons offices menée par les Nations unies, et Mme Gianna Daskalaki , Bureau d'appui de la Commission européenne ;

- S. E. M. Marios Lyssiotis , ambassadeur de la République de Chypre en France, et M. Doros Venezis , premier secrétaire ;

- S. E. M. René Troccaz , ambassadeur de France auprès de la République de Chypre ;

- M. Nevzat Arslan, premier conseiller à l'Ambassade de Turquie en France ;

- M. Bertrand Buchwalter , sous-directeur de l'Europe méditerranéenne, et Mme Sandrine Crouzet , adjointe au sous-directeur - Direction de l'Union européenne, Ministère des affaires étrangères et du développement international.


* 1 La participation s'est élevée à 89,18 % au sud et à 87 % au nord.

* 2 Alexander Apostolides, Mustafa Besim et Fiona Mullen : The Cyprus Peace Dividend Revisited : A Productivity and Sectoral Approach, PRIO Cyprus Centre Report, 1- 2014.

* 3 Onzième rapport sur la mise en oeuvre du règlement (CE) n°886/2004 du Conseil du 29 avril 2004 sur la situation découlant de cette mise en oeuvre pour la période comprise entre le 1 er janvier et le 31 décembre 2014 (COM (2015) 235 final).

* 4 Les premières explorations indiquaient l'existence possible d'un réservoir de gaz naturel pouvant ainsi fournir entre 150 et 200 années de consommation pour Chypre et la moitié des importations annuelles de l'Union européenne. La République de Chypre a annoncé, le 7 juin 2015, qu'un des gisements, contenant, 127,4 milliards de m3 de gaz, était exploitable. La commercialisation de produits de ces gisements ne devrait pas, cependant, intervenir avant 2022. Chypre s'est en outre associée avec la Grèce et Israël en vue de la construction du gazoduc EastMed , dont la longueur atteindrait 1 700 kilomètres, permettant de transporter 15 millions de m3 de gaz vers l'Europe par an.

* 5 La « République turque de Chypre-Nord », autoproclamée en 1983, n'est pas reconnue par les Nations unies.

* 6 Décision de la Cour européenne des droits de l'Homme, 1 er mars 2010, Demopoulos et autres c/Turquie.

* 7 Le même Traité prévoit la présence de 950.

* 8 Autriche, Belgique, Croatie, Espagne, Irlande, Pays-Bas, Pologne et Royaume-Uni.

* 9 Second Report on progress by Turkey in fulfilling the requirements of its visa liberalisation roadmap (COM (2016) 140 final) et Commission staff working document accompanying the document (SWD (2016) 97 final).

* 10 Chapitre 4 « libre circulation des capitaux », Chapitre 6 « droit des sociétés », Chapitre 7 « droit de la propriété intellectuelle », Chapitre 10 « société de l'information et des médias », Chapitre 12 « sécurité sanitaire des aliments, politique vétérinaire et phytosanitaire », Chapitre 16 « fiscalité », Chapitre 18 « statistiques », Chapitre 20 « politique d'entreprise et politique industrielle », Chapitre 21 « réseaux transeuropéens », Chapitre 25 « science et recherche », Chapitre 27 « environnement », Chapitre 28 « protection des consommateurs », Chapitre 32 « contrôle financier ».

* 11 Chapitre 1 « libre circulation des marchandises », Chapitre 3 « droit d'établissement et libre prestation de services », Chapitre 9 « services financiers », Chapitre 11 « agriculture et développement rural », Chapitre 13 « pêche », Chapitre 14 « politique des transports », Chapitre 29 « union douanière », et Chapitre 30 « relations extérieures ».

* 12 Règlement (CE) n°389/2006 du 27 février 2006 portant création d'un instrument de soutien financier visant à encourager le développement économique de la communauté chypriote-turque et modifiant le règlement (CE) n°2667/2000 relatif à l'Agence européenne pour la reconstruction.

* 13 Neuvième rapport annuel 2014 sur la mise en oeuvre de l'aide communautaire conformément au règlement (CE) n°389/2006 du 27 février 2006 portant création d'un instrument de soutien financier visant à encourager le développement économique de la communauté chypriote-turque et modifiant le règlement (CE) n°2667/2000 relatif à l'Agence européenne pour la reconstruction (COM (2015) 208 final).

* 14 Règlement n°886/2004 du 29 avril 2004 concernant un régime en application de l'article 2 du protocole n° 10 de l'acte d'adhésion de 2003.

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