Rapport d'information n° 748 (2015-2016) de Mme Chantal JOUANNO , fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 30 juin 2016

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N° 748

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 juin 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur les actes du colloque « Associations : les femmes s' engagent ! », organisé le 31 mars 2016,

Par Mme Chantal JOUANNO,

Sénatrice.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Chantal Jouanno, présidente , Mmes Corinne Bouchoux, Hélène Conway-Mouret, M. Roland Courteau, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Brigitte Gonthier-Maurin, M. Alain Gournac, Mmes Christiane Kammermann, Françoise Laborde, Michelle Meunier, M. Cyril Pellevat, vice-présidents ; M. Mathieu Darnaud, Mmes Jacky Deromedi, Danielle Michel, secrétaires ; Mmes Annick Billon, Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, M. Patrick Chaize, Mmes Laurence Cohen, Chantal Deseyne, M. Jean-Léonce Dupont, Mmes Anne Emery-Dumas, Dominique Estrosi Sassone, Corinne Féret, M. Alain Fouché, Mmes Catherine Génisson, Éliane Giraud, Sylvie Goy-Chavent, Christiane Hummel, Mireille Jouve, M. Marc Laménie, Mme Claudine Lepage, M. Didier Mandelli, Mmes Marie-Pierre Monier, Patricia Morhet-Richaud et M. Philippe Paul .

AVANT-PROPOS

Lors de sa réunion du jeudi 1 er octobre 2015, la délégation aux droits des femmes du Sénat a souhaité que son colloque de 2016 mette en valeur le rôle des femmes dans la vie associative.

Ce choix était inspiré par le contraste, dans le domaine associatif comme d'ailleurs dans d'autres domaines d'activité des femmes, entre une forte implication et un accès encore trop faible aux responsabilités.

L'objectif était en quelque sorte de poursuivre les débats qui avaient eu lieu sur le thème des « femmes citoyennes », lors du colloque organisé en mai 2015 à l'occasion du 70 ème anniversaire du premier vote des femmes.

Après une première séquence consacrée aux motivations de l'engagement des femmes dans la vie associative, une seconde table ronde a porté sur la place des femmes dans les associations et sur les moyens de mieux valoriser leur engagement.

Ce colloque a permis de faire témoigner des femmes sur leur parcours et les fonctions qu'elles exercent au sein d'un large spectre du monde associatif, en mettant plus particulièrement l'accent sur les associations oeuvrant dans le domaine de la protection de l'environnement. Il s'agissait d'inscrire cet événement dans le prolongement des travaux effectués par la délégation à l'occasion de la Conférence de Paris sur le climat de novembre-décembre 2015.

À travers la place des femmes dans les associations, le colloque du 31 mars 2016 a une nouvelle fois permis d'aborder les divers aspects de l'engagement des femmes au service de la Cité. Pour de nombreuses femmes en effet, un engagement associatif demeure le prélude à une carrière politique, de même que pour d'autres, ce sont les responsabilités associatives qui font suite à un engagement politique.

Ouvert par Gérard Larcher, président du Sénat et par Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes, puis introduit par l'historienne Michelle Perrot, ce colloque, intitulé « Associations : les femmes s'engagent ! », a eu lieu au Palais du Luxembourg le 31 mars 2016. Il a permis des échanges chaleureux entre responsables et militantes associatives, universitaires et sénatrices.

COLLOQUE - « ASSOCIATIONS : LES FEMMES S'ENGAGENT ! »
Programme

9 h 30 - OUVERTURE DU COLLOQUE

Gérard Larcher , président du Sénat ;

Chantal Jouanno , présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat.

INTRODUCTION

Michelle Perrot , professeure émérite à l'université Paris VII - Denis Diderot :
« Le rôle historique des femmes dans les associations ».

PREMIÈRE SÉQUENCE : POURQUOI LES FEMMES S'ENGAGENT.

Animatrice : Muguette Dini , ancienne sénatrice du Rhône (groupe UDI-UC).

Introduction par Claire Guichet , rapporteure pour la délégation aux droits des femmes du CESE de Les Forces vives au féminin : Les femmes dans la représentation citoyenne ( octobre 2015 ).

Témoignages

Anne Barre , co-présidente de WECF ( Women in Europe for a common future ) - France ;

Gisèle Bourquin , présidente de Femmes au-delà des Mers ;

Guylaine Brohan , présidente départementale de la Fédération Familles rurales - Vendée, maire adjointe de Saint-Georges-de-Montaigu ;

Damarys Maa Marchand , présidente de la Fédération IFAFE (Initiative des femmes africaines de France) ;

Florence Montreynaud , historienne, cofondatrice des Chiennes de garde, de Encore féministes ! et de Zéromacho ; auteure de Chaque matin, je me lève pour changer le monde. Du MLF aux Chiennes de garde. Mémoires féministes (2014, Ed. Eyrolles).

DIALOGUE AVEC LA SALLE

SECONDE SÉQUENCE : LA PLACE DES FEMMES DANS LES ASSOCIATIONS.
COMMENT VALORISER LEUR ENGAGEMENT ?

Animatrice : Corinne Bouchoux , sénatrice de Maine-et-Loire (groupe écologiste).

Introduction de Sophie Rétif , sociologue, auteure de Logiques de genre dans l'engagement associatif (Dalloz, 2013).

Témoignages

Claire Hédon , présidente d' ATD Quart monde France ;

Alice Clément , vice- présidente en charge des affaires sociales de la FAGE (Fédération des associations générales étudiantes) ;

Adeline Gerritsen , vice-présidente d' OSE (Organe de sauvetage écologique) ;

Présentation du prix « Terre de femmes » de la Fondation Yves Rocher - Institut de France, récompensant chaque année des lauréates françaises et étrangères qui, par leur combat, s'engagent pour une écologie solidaire, par Marie-Anne Gasnier , chargée du programme « Terre de femmes »  et projection de témoignages vidéo de lauréates.

DIALOGUE AVEC LA SALLE

CONCLUSION
Claire Guichet et Sophie Rétif

[Diffusion de cinq vidéos pendant l'installation du public :

- « 4 minutes pour comprendre ATD Quart monde » ;

- Magali Queyranne : « Jardins partagés à Lima » ;

- Fédération IFAFE : « Ma cousine et moi » ;

- OSE : « Pour des berges et milieux naturels propres » ;

- Meriem Fradj : « Jardins partagés à Valence ».]

Ouverture du colloque
par Gérard Larcher, président du Sénat

Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes

Je vous propose de commencer sans plus attendre.

Pour ouvrir notre séminaire, nous avons l'honneur d'accueillir le Président du Sénat, Gérard Larcher, qui a été très présent auprès de nous pendant toute la journée du 8 mars, et qui aujourd'hui encore nous honore de sa présence. Il me faisait remarquer, à l'instant, que nous étions aujourd'hui en « parité inversée », tant les femmes sont majoritaires ce matin dans cette salle.

Monsieur le Président, je vous laisse la parole.

Gérard Larcher, président du Sénat

Madame la Présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, chère Chantal Jouanno, mes chers collègues sénatrices et sénateurs, mes chères collègues anciennes sénatrices, chers collègues élus, Mesdames les présidentes, chers amis bénévoles du milieu associatif, Monsieur le secrétaire général du Sénat, Madame la professeure, Mesdames et Messieurs, c'est un grand plaisir d'ouvrir ce matin ce colloque organisé par la délégation aux droits des femmes.

La délégation a décidé de consacrer son colloque annuel à l'engagement associatif des femmes, après celui de 2015 dédié à l'anniversaire du premier vote des femmes en France.

Chantal Jouanno vient, avec Corinne Bouchoux, Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Brigitte Gonthier-Maurin et Mireille Jouve, de me remettre un rapport de la délégation sur les femmes victimes de la traite des êtres humains 1 ( * ) .

Il y a quinze jours, j'étais à Lampedusa pour une mission sur les migrations subsahariennes. À cette occasion, j'ai pu rencontrer certains de ces migrants mais aussi tous ceux qui les accueillent, les entourent, les soignent, notamment dans le cadre de responsabilités régaliennes. Lors de ce déplacement, une femme française, officier de l'agence FRONTEX 2 ( * ) , m'a apporté un témoignage qui me fait craindre que le thème de ce rapport sur la traite des êtres humains ne soit singulièrement d'actualité. Je peux vous dire que je ne suis pas rentré de Lampedusa avec les mêmes certitudes que celles avec lesquelles j'étais parti. Une journée et demie de rencontres avec les uns et les autres m'a montré que les réalités sont moins simples que ce que nous pouvons entendre sur tous les bancs.

Les femmes représentent aujourd'hui 10 % de ces migrants. Ces populations concentrent aussi beaucoup d'adolescents. Je n'irai pas plus loin dans ma description, mais nous sommes quelque part entre esclavage et mépris total de ce que signifie un être humain.

Revenons au thème d'aujourd'hui : engagement et citoyenneté. Il y a un an, le 15 avril 2015, je remettais à la demande du Président de la République, suite aux attentats de janvier 2015, un rapport sur les moyens de renforcer le sentiment d'appartenance à la nation française.

J'avais choisi de l'intituler La nation française : un héritage en partage . Ce rapport illustrait les liens entre le renforcement de l'engagement républicain et le renforcement du sentiment d'appartenance à une nation, et cela quel que soit le moment où l'on est entré dans cette nation.

L'engagement associatif, au-delà de toutes nos différences, permet de nous rassembler au service des autres, pour servir une cause générale ou particulière, pour apporter du sens à notre vie, pour partager passion et compétences. Tout particulièrement pour les jeunes, c'est un moyen de faire vivre la citoyenneté. C'est également souvent le premier pas vers un engagement électif, au service par exemple de sa collectivité locale, et plus si affinité !

Avec plus d'un million d'associations, on compte seize millions de bénévoles en France. Quoi qu'on en dise, la vie associative se porte plutôt bien dans notre pays. L'engagement associatif a été déclaré « grande cause nationale » en 2014. Il est essentiel de rappeler aujourd'hui que les associations jouent un rôle fondamental dans notre société et notre économie.

Dans son ouvrage publié à titre posthume, Citadelle , Antoine de Saint-Exupéry disait : « La pierre n'a point l'espoir d'être autre chose que pierre. Mais de collaborer, elle s'assemble et devient temple ». Ensemble, en nous associant, il me paraît que nous sommes capables de faire de plus grandes choses. Nous, les élus, nous le savons bien, nous le constatons : que seraient la vie locale, le lien social de nos territoires sans ces milliers d'associations qui organisent des activités sportives, du soutien scolaire, des manifestations festives, des loisirs pour toutes les générations, ou encore qui imaginent l'accueil ou la formation de futurs apprentis ? C'est l'expérience que je vis dans ma propre cité.

Quelle visage offrirait notre société sans tous ces bénévoles qui apportent réconfort aux plus démunis, aux personnes âgées isolées, aux malades, aux victimes de violences mais aussi aux jeunes ? C'est aussi ce que je vis dans ma cité.

Permettez-moi de laisser la parole à un lointain collègue sénateur, Pierre Waldeck-Rousseau, qui a joué un rôle déterminant, à l'issue de débats houleux, dans le vote de la loi de 1901 sur le contrat d'association. Je reprends son texte prononcé devant le Sénat : « L'association ne m'apparaît pas comme une concession de l'ordre politique, elle m'apparaît l'exercice naturel, primordial, libre, de l'activité humaine ».

Certes le secteur associatif rencontre actuellement des difficultés : les financements publics diminuent, et je ne doute pas que beaucoup d'associations voient la notification des soutiens d'État, des conseils départementaux, des régions, des collectivités locales s'ajuster à la baisse. Il y a des réalités financières, et c'est un sujet que j'aborderai en fin de matinée devant une assemblée de maires et de maires adjoints. Cette réalité ne facilite pas la vie associative, mais ce qui vous réunit aujourd'hui est un autre sujet. L'idée de ce colloque est de mettre en valeur tout ce que les femmes apportent à la vie associative. L'engagement des femmes dans les associations est réel, comme le traduit si bien le titre du colloque : « Associations : les femmes s'engagent ! ».

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. 51 % des bénévoles dans les associations sont des femmes. Nous ne sommes pas en parité inversée, mais en parité équilibrée. Toutefois, si l'on va plus loin dans l'analyse de ces chiffres, on s'aperçoit qu'il n'y a pas de parité dans les instances dirigeantes des associations. Cette question des freins à l'accès aux responsabilités sera le thème de l'une de vos tables rondes.

Les femmes s'investissent aussi dans des domaines d'action différents. Elles se tournent davantage vers l'aide aux malades, vers le social caritatif, vers la jeunesse, mais aussi vers l'éducation populaire, dont l'importance doit être rappelée dans l'état de désarroi de notre société.

Oui, participer à une association est un engagement, car participer à la vie d'une association, c'est donner de soi, donner du temps, de l'énergie, et faire des arbitrages parfois personnels. C'est pourquoi je suis heureux, non seulement de contribuer à mettre à l'honneur aujourd'hui les bénévoles et les militantes associatives qui sont dans cette salle, mais aussi tout simplement, pour leur exprimer la gratitude de la nation.

Dans mon vécu d'élu du département des Yvelines, j'ai souvent vu des responsables d'associations prendre des initiatives courageuses. Fréquemment, les femmes osent plus que les hommes et bousculent davantage les limites. Je précise que je ne dis pas cela afin de vous flatter ! Les femmes ont des arguments tirés de la vie, de l'expérience et du partage. Ceux qui me connaissent savent pertinemment que, pour moi, le concret et le pragmatisme prévalent, ce qui justifie parfois de bousculer certaines frontières.

Je constate que vous êtes très nombreuses aujourd'hui pour ce colloque. Je souhaite que cette journée soit une journée positive, heureuse. Alors que certains se demandaient pourquoi garder de telles délégations au sein du Parlement, je tiens à réaffirmer que c'est plus que jamais nécessaire car il y a des marges de progression extrêmement importantes à franchir.

Je vous souhaite d'excellents travaux dans cette salle qui porte le nom d'une femme qui a eu à affronter un destin terrible, à la fois l'assassinat de son époux Henri IV et la duperie du cardinal de Richelieu, dans cette salle qui porte le nom d'une femme au destin assumé, Marie de Médicis ; qui mourut dans l'abandon et la misère, oubliée par son fils.

Très bonne journée et merci à la délégation et à Chantal Jouanno.

Présentation du colloque par Chantal Jouanno,
présidente de la délégation aux droits des femmes

Merci beaucoup, Monsieur le Président.

Mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, je veux témoigner auprès de vous tous et toutes que notre président est toujours à l'écoute des sujets que nous lui soumettons sur l'égalité des chances et la parité en général. Merci de votre présence. C'est vrai que nous ne nous quittons plus depuis le 8 mars !

Ce colloque sur les associations et les femmes qui s'engagent fait suite à une série de colloques qui ont eu lieu au Sénat sur l'engagement citoyen des femmes. Un colloque a été organisé par Brigitte Gonthier-Maurin en 2004 sur les femmes résistantes, souvent oubliées de l'histoire. L'année dernière a eu lieu le colloque sur le soixante-dixième anniversaire du premier vote des femmes lors des élections municipales de 1945. Ce colloque a été très apprécié.

Cette année, notre colloque porte sur un autre aspect de la citoyenneté des femmes : leur engagement associatif. Il vise à montrer que la vie de la cité ne se fait pas uniquement par la politique, mais peut aussi passer par l'engagement bénévole. J'ai pu moi-même constater dans ma vie sportive ou dans le domaine de l'environnement l'importance de l'engagement féminin. Avec l'engagement associatif, on est au coeur de l'engagement citoyen des femmes puisque les femmes ont participé à la vie associative avant même que les droits politiques leur soient reconnus.

On entend parfois dire que les femmes ne font pas de politique car elles n'ont pas le temps ou parce qu'elles seraient trop timides pour s'engager pour la cité. On voit au contraire dans les associations que les femmes sont extrêmement engagées et trouvent le temps de s'investir. Il existe donc sans doute d'autres explications aux difficultés de faire progresser la place des femmes en politique et dans les lieux de pouvoir, en général.

Je souhaite tout d'abord vous remercier, Michelle Perrot, de nous faire l'honneur d'introduire ce colloque. Vous avez écrit un ouvrage dont le titre est très significatif et que nous pourrions appliquer à de nombreux champs de réflexions de notre délégation : Les femmes ou les silences de l'histoire . Les résistantes, par exemple, ont été longtemps un silence de l'histoire.

Je souhaite dire quelques mots sur l'organisation de notre colloque qui va se structurer autour de témoignages de terrain et de la contribution d'universitaires, qui ont mené sur ces questions des recherches remarquables. La première séquence de notre matinée portera sur les raisons de l'engagement des femmes dans les associations. Cette table ronde sera l'occasion de s'interroger sur ce qui peut motiver un engagement associatif par rapport à un engagement politique.

La seconde séquence sera consacrée à la place des femmes dans les associations et à leur accès aux responsabilités : en d'autres termes, au fameux « plafond de verre ». En effet, dans les associations comme ailleurs, lorsqu'il s'agit d'exercer des responsabilités, l'exercice est parfois plus difficile pour les femmes.

Ces deux tables rondes seront animées par des collègues très engagées dans ces questions.

Muguette Dini, ancienne sénatrice, que je suis particulièrement heureuse de saluer, a beaucoup oeuvré dans notre assemblée pour les droits des femmes et pour la lutte contre les violences sexuelles sur les enfants.

Corinne Bouchoux, fortement engagée au sein de la délégation, préside le groupe écologiste du Sénat.

Je tiens à souligner que le fonctionnement de notre délégation est un fonctionnement extrêmement consensuel. Lors de nos débats, nous oublions souvent de quel parti politique nous sommes. En général, nous arrivons à des compromis pour porter ensemble nos préconisations.

Certains des témoignages que nous avons retenus feront écho à la COP 21 et à l'environnement : ce thème sera en quelque sorte notre fil conducteur. Je saisis l'occasion de ce rappel pour remercier l'association Care France , qui nous a envoyé les différentes affiches et photos présentées dans cet hémicycle, qui illustrent parfaitement notre propos.

Nous entendrons le témoignage féministe de Florence Montreynaud, qui du MLF à Zéromacho a toujours oeuvré dans ce domaine. Nous avons aussi souhaité donner la parole à une association dont la mission est l'accueil des femmes migrantes. Nous avons également voulu ne pas nous limiter à la métropole, pour que les femmes ultramarines soient présentes ce matin, avec l'association Femmes au-delà des Mers . J'en profite pour saluer Mayotte qui nous regarde en direct ! La lutte contre la pauvreté est un aspect important de l'engagement associatif et je me réjouis que nous puissions entendre tout à l'heure le témoignage de la présidente d' ATD Quart-Monde. Nous aurons aussi le plaisir de donner la parole aux femmes qui s'engagent dans le milieu étudiant pour que la relève soit assurée, et bien évidemment, nous entendrons le témoignage de femmes qui portent la voix de la ruralité. Au Sénat, rappelons-le, la France des territoires nous tient tout particulièrement à coeur.

Tous ces témoignages ne se feront pas depuis la tribune. Nous alternerons témoignages de vive voix et courtes vidéos. Toutes les femmes que nous entendrons ce matin, qu'elles soient présentes physiquement ou virtuellement, dans ces vidéos, ont en commun d'être inspirantes et de pouvoir servir d'exemple aux autres femmes qui souhaitent s'engager dans le milieu associatif et aller plus loin dans la vie de la cité, en exerçant des responsabilités. Certes, le « plafond de verre » existe mais - par définition - le verre se brise !

Avant de laisser la parole à Michelle Perrot, je souhaite remercier toute l'équipe du secrétariat de la délégation, toujours très attentive aux questions qui nous préoccupent.

Madame la Professeure, vous avez la parole.

Introduction par Michelle Perrot, professeure émérite l'université Paris VII - Denis Diderot

« Le rôle historique des femmes dans les associations »

Monsieur le président, Madame la présidente, cher(e)s ami(e)s, merci de m'avoir conviée à ce colloque sur l'engagement des femmes dans les associations. J'en suis d'autant plus heureuse que le secteur des associations a souvent été méprisé ou négligé dans l'histoire. Ceci est beaucoup moins vrai depuis quelques années, grâce aux travaux d'historiens et d'historiennes sur la question. Pourtant, les associations ont joué un rôle essentiel : elles ont ouvert une brèche dans l'inclusion des femmes dans la vie publique. Faut-il rappeler, une fois de plus, que les femmes n'ont eu que tardivement la reconnaissance de leurs droits ? Elles ont gagné le droit de vote en 1944 et la plénitude des droits civils seulement dans les années 1970 : cela souligne qu'auparavant les droits des femmes étaient vraiment très minces.

Autrefois, les associations étaient souvent mal vues du pouvoir et il a fallu attendre longtemps avant que le droit à l'association soit reconnu, dans une cité qui n'était pas encore démocratique. Cependant, à chaque fois que des progrès ont été notés, à la fin du Second Empire, et surtout sous la troisième République, lors de la promulgation de la loi de 1884 sur le syndicalisme ou de la loi Waldeck-Rousseau de 1901, loi véritablement fondatrice du droit d'association moderne, les femmes n'ont pas pu en profiter.

Certes, le droit progressait grâce à ces nouveaux textes, mais pas le droit des femmes, lesquelles restaient exclues de la politique et marquées par la minorité civile. Faut-il rappeler que c'est seulement en 1906 que les femmes mariées ont eu le droit de percevoir directement leur salaire ? Elles le percevaient parfois déjà, car la réalité n'est pas toujours le droit, mais ce droit n'existait toutefois pas. C'est en 1938 que les femmes mariées ont eu le droit de travailler sans demander l'autorisation de leur mari, et on pourrait multiplier les exemples de ce type.

Le seul droit civique qui leur était accordé était le droit de pétition. Cependant, les femmes en ont profité insuffisamment car elles ne savaient pas toujours que ce droit existait. On trouve dans les archives parlementaires un certain nombre de pétitions de femmes qui sont d'un très grand intérêt. George Sand, qui était informée de cette possibilité, encourageait les femmes à lancer des pétitions. Au cours du XIX ème siècle sont lancées des pétitions mémorables pour le droit au divorce.

Est-ce que cela veut dire que les femmes ne souhaitaient pas s'associer ? Bien sûr qu'elles le souhaitaient ! Sous la Révolution française, une minorité urbaine à Paris, à Lyon et dans quelques autres villes a créé des clubs de femmes, mais ils étaient mal vus et ont été parmi les premiers à être supprimés. Il faut rappeler que la République était très machiste et avait une conception très tranchée du public et du privé et des rôles sexuels : aux hommes, le public, et aux femmes, le privé, la maison, et encore, sous la coupe du mari.

De même, quand on utilise l'expression « femmes publiques » en France, on pense aux femmes galantes, aux prostituées, alors que, au contraire, l'homme public est un homme respectable, voire remarquable. C'est un statut souhaité par beaucoup d'hommes. Même le vocabulaire rend compte de ce clivage...

Progressivement toutefois, des secteurs ont été considérés comme pouvant être confiés aux femmes : les pauvres, la misère, les enfants. On leur laissait volontiers former des associations privées charitables dans lesquelles, en général, elles n'exerçaient pas la présidence, mais où elles étaient malgré tout présentes. Elles ont alors commencé à s'y initier à la vie associative.

Ce mouvement a été encouragé par l'Église, mais aussi par des médecins. En effet, le développement de la médecine et de l'hygiène au XIX ème siècle recourt souvent aux femmes. Beaucoup de médecins se tournaient vers les femmes pour lutter contre l'alcoolisme ou pour développer ce que l'on a appelé les Gouttes de lait . Les associations Gouttes de lait pour les soins aux enfants étaient des associations privées, dans lesquelles les femmes jouaient un grand rôle.

Dans les cités industrielles, le patronat faisait aussi souvent appel aux femmes. Il arrivait que les industriels demandent à leurs épouses de s'occuper des questions sociales. Pour traiter celles-ci, on déléguait volontiers aux femmes, si bien que charité et philanthropie ont été réservées à ces dernières. En particulier, beaucoup de femmes protestantes ont eu par ce biais de l'influence.

Ces mouvements ont permis de reconnaître aux femmes une activité publique. Ils ont aussi donné aux femmes la possibilité de s'initier à la gestion, à la comptabilité, à la prise de parole en public - timidement, mais tout de même. Par ailleurs, le social leur donnait la connaissance d'un terrain qui se développait. Beaucoup sont ainsi devenues des expertes du social, avant même la création d'organismes sociaux. Aussi, quand la III ème République s'est emparée des questions sociales, elle a souvent recouru à l'expertise des femmes. Il y a sans doute là une action un peu cachée, mais réelle, un lien créé entre les femmes et la cité par le biais du social.

Souvent, dans ces associations, il est arrivé que les femmes soient un peu instrumentalisées. Les partis, les syndicats, les associations en tous genres aimaient bien les embrigader. Par la suite, les femmes ont aussi souhaité créer des associations pour elles, reprenant le flambeau des clubs de femmes de la Révolution française.

On observe d'ailleurs, à chaque fois qu'il y a une brèche dans le système politique, des révolutions, des changements de gouvernement, en 1830, en 1848, en 1870, que des femmes lèvent la main pour demander : « et nous ? ». Ces interpellations ont souvent conduit à la création de journaux et d'associations. Pensez, par exemple, aux premières femmes journalistes des années 1830, auxquelles Laure Adler a consacré un très beau livre 3 ( * ) .

À partir de la III ème République, on assiste à un essor considérable de ces associations. Laurence Klejman et Florence Rochefort sont les auteures d'un très bel ouvrage sur le féminisme sous la III ème République 4 ( * ) . Elles ont montré que pas moins d'une centaine d'associations étaient nées entre 1900 et 1914, c'est-à-dire pendant la période appelée l'âge d'or du féminisme. Pendant cette période, les associations de femmes se sont beaucoup développées.

Comment vivaient ces associations ? Le premier problème auquel se confrontaient ces femmes était de déterminer le lieu où elles pourraient se réunir. En 1848, les femmes décidaient de se réunir chez celle qui possédait le plus de chaises... Un peu plus tard, en 1880, Hubertine Auclert, première suffragiste française, qui a créé l'association « La citoyenne » et le journal qui porte le même titre, réunissait son association dans son appartement, qui n'était pas forcément très grand. Nous avons encore quelques photos de ces femmes respectables, chapeautées, dans l'appartement d'Hubertine Auclert. Mais une structure a soutenu les femmes sous la III ème République : ce sont les municipalités, les mairies, notamment les mairies radicales qui se montraient généralement ouvertes aux réunions de femmes. La célèbre Marguerite Durand, fondatrice du journal La Fronde , très forte personnalité de l'époque, réunissait son association dans la mairie du V ème arrondissement, dont le maire était l'un de ses amis. Elle a créé la première bibliothèque de femmes en France, bibliothèque qui porte aujourd'hui son nom 5 ( * ) .

Au-delà du lieu de réunion, qui allait s'engager ? La sociologie de ces associations montre que ce sont généralement des femmes de la classe moyenne, des femmes qui avaient plus d'instruction que d'autres et qui avaient conquis cette instruction à la force du poignet.

Rappelons que c'est seulement en 1924 que les femmes passent le même baccalauréat que les hommes. Jusque-là, elles suivaient toujours des études inférieures. Il fallait donc puiser dans ce vivier. À partir des années 1900, on voit quand même des femmes accéder à ce qu'on appelle alors des professions de prestige. Curieusement, on voit arriver des femmes en médecine. Le rôle des immigrées a été ici très important. Les femmes juives, polonaises comme Marie Curie, qui étaient des femmes instruites mais persécutées dans leur pays, sont arrivées en France. Elles ont été autorisées à y continuer leurs études. Nous devons beaucoup à ces femmes immigrées. À leur suite, d'autres femmes ont demandé à jouir du même droit.

Les femmes ont aussi investi le droit, qui était considéré comme l'apanage des hommes. Nous avons vu arriver ainsi les premières femmes avocates autour de 1900 6 ( * ) . Elles ont joué un rôle tout à fait considérable.

Les associations de femmes permettent à celles-ci de se réunir, de discuter, de parler des droits, de tous les droits. On s'y bat pour l'égalité dans l'éducation, pour le droit de vote (le suffragisme est alors très développé), pour le droit au travail. On commence à parler d'égalité des salaires. Mais on n'ose pas encore parler des droits du corps. C'est encore un sujet très tabou. Madeleine Pelletier, qui était une femme médecin avant 1914, a été l'une des premières à écrire sur le droit à l'avortement. C'était tout à fait exceptionnel : même les féministes de l'époque n'étaient pas toutes d'accord sur cette question.

Les réunions des congrès féministes étaient également très importantes pour les associations. Ces congrès permettaient de tisser des liens avec l'étranger. Le Conseil national des femmes françaises (CNFF), crée en 1888, était ainsi une filiale d'une grande association fondée aux États-Unis, qui s'était donné pour vocation de créer partout des conseils nationaux de femmes. Les Françaises ont été parmi les premières à y adhérer. Ces groupements ont permis de nouer des contacts avec les Américaines, qui étaient souvent beaucoup plus en avance que les Françaises dans leurs revendications. A Paris, dans les années 1900-1914, les Américaines, qui étaient présentes dans ces associations, ont joué un rôle important. On les appelait les Amazones , autour de Natalie Clifford Barney entre autres. Les congrès permettaient aux femmes de parler, de monter à la tribune. C'est la fameuse revendication d'Olympe de Gouges : « Les femmes montent à l'échafaud, elles devraient avoir le droit de monter à la tribune ». Monter à la tribune est impressionnant pour une femme, apprendre à parler en public, discuter, c'était pour elles comme une propédeutique. Les congrès féministes ont été, pour les femmes, des formes très importantes d'initiation à la vie publique.

Entre les deux guerres, même si elles existaient en plus grand nombre, les associations de femmes ont subi les difficultés générales de la société, cette sorte de morosité qui s'est répandue à partir des années 1930 pour des raisons économiques et politiques. Ces difficultés ont atteint très vivement le féminisme et l'ensemble des associations.

Au-delà des associations féministes, il y avait aussi des associations féminines qui étaient fort nombreuses, non seulement du côté de l'Église, mais aussi de certains partis. Des ligues étaient créées. Le mot « ligue » est d'ailleurs intéressant : la ligue n'est pas un parti, mais lui ressemble malgré tout un peu. La ligue vise une action publique. C'est un champ considérable, où l'on voit des femmes qui s'initient aux affaires publiques de manière diverse et dans une très grande diversité.

Nous pouvons dire que les associations ont été l'école des femmes pour la cité. Dans la dernière enquête de l'Insee sur la vie associative, il est observé que la progression de l'engagement associatif concerne les hommes comme les femmes, mais avec une progression supérieure pour les femmes, qui s'engagent davantage que les hommes. 5 % seulement des hommes en France participent à une association, contre 8 % des femmes.

En conclusion, nous pouvons dire : vive les associations, école des femmes, bravo à vous toutes qui les développez et bon colloque, auquel je me fais un plaisir de participer avec vous.

Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes

C'était merveilleux de commencer par cette introduction, par vos propos enthousiasmants qui délivrent un très beau message sur les associations et l'engagement de femmes.

J'appelle à la tribune les participantes à la première table ronde, intitulée « Pourquoi les femmes s'engagent ». Elle sera animée par notre ancienne collègue, Muguette Dini, qui a été présidente de la commission des affaires sociales du Sénat.

[Diffusion de la vidéo « Échange & transmission des savoirs »
de l'association
Femmes au-delà des Mers ]

Première séquence - Pourquoi les femmes s'engagent

Animatrice : Muguette Dini, ancienne sénatrice du Rhône

Intervenantes :

Claire Guichet, rapporteure pour la délégation aux droits des femmes
du Conseil économique social et environnemental (CESE)
de Les forces vives au féminin : les femmes dans la représentation citoyenne

Anne Barre, co-présidente
de Women in Europe for a common future (WECF) - France

Gisèle Bourquin, présidente de l'association Femmes au-delà des Mers

Guylaine Brohan, présidente départementale de la Fédération Familles rurales de Vendée , maire adjointe de Saint-Georges-de-Montaigu

Damarys Maa Marchand, présidente de la Fédération
Initiative des femmes africaines de France (IFAFE)

Florence Montreynaud, historienne, co-fondatrice des Chiennes de garde ,
de Encore féministes ! et de Zéromacho ; auteure de Chaque matin,
je me lève pour changer le monde. Du MLF aux Chiennes de garde. Mémoires féministes

INTRODUCTION

CLAIRE GUICHET, RAPPORTEURE POUR LA DÉLÉGATION AUX DROITS
DES FEMMES DU CONSEIL ÉCONOMIQUE SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL (CESE)
DE LES FORCES VIVES AU FÉMININ : LES FEMMES DANS LA REPRÉSENTATION CITOYENNE

Muguette Dini, ancienne sénatrice du Rhône

Je remercie Chantal Jouanno de m'avoir sollicitée pour animer cette première séquence sur le thème « Quelles sont les raisons de l'engagement des femmes dans les associations ? ». Comme nous l'a rappelé Michelle Perrot, cet engagement a préexisté à la reconnaissance des droits politiques. Il est donc à la fois très ancien et inséparable de la citoyenneté des femmes.

J'ai autour de moi cinq femmes aux engagements associatifs très divers.

Anne Barre est co-présidente de WECF - France (Women in Europe for a common future - France) , dont le but est de construire avec les femmes un monde juste, sain et durable.

Gisèle Bourquin préside Femmes au-delà des Mers , qui oeuvre notamment pour la reconnaissance de l'apport des femmes ultramarines à notre histoire.

Guylaine Brohan est présidente d'une fédération départementale de Familles rurales , celle de la Vendée, association présente sur tout le territoire et née il y a plus de soixante-dix ans pour, à l'origine, organiser la solidarité entre les familles.

Damarys Maa Marchand préside la Fédération IFAFE (Initiatives des femmes africaines de France) dont la mission est d'aider à l'intégration de femmes primo-arrivantes par un accompagnement individuel.

Florence Montreynaud est pleinement engagée dans le combat féministe, au MLF d'abord, puis plus récemment dans le réseau Zéromacho contre la prostitution.

Je donne sans plus tarder la parole pour introduire brièvement cette séquence à Claire Guichet, chargée de recherche et d'enseignement à l'Université Paris II - Panthéon Assas, ancienne membre du Conseil économique, social et environnemental et ancienne présidente de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) .

Claire Guichet, chargée de recherche et d'enseignements à l'université Paris II - Panthéon Assas

Il y a plus de douze ans que je suis engagée, d'abord dans le militantisme étudiant. Je pensais m'être engagée comme les garçons. Mais, en y réfléchissant, mon premier engagement était un engagement de lien social au service de l'éducation populaire, alors que je vivais à l'étranger, auprès d'un organisme né des anciennes « charities » protestantes britanniques. J'ai réalisé que c'est ce premier engagement qui m'a en quelque sorte mis le pied à l'étrier.

Le rapport du Conseil économique, social et environnemental intitulé Les forces vives au féminin vise à définir comment la société civile, de façon générale, représente les femmes. On évoque fréquemment la place des femmes en politique ou dans les conseils d'administration des entreprises, à la suite de la loi dite Copé-Zimmerman de 2011. En revanche, la question de la place des femmes dans les associations et parmi les partenaires sociaux est beaucoup moins traitée et semble moins facile à appréhender.

Pourtant, la place des femmes dans la société civile est un engagement essentiel pour donner de la visibilité aux femmes dans la vie publique et, ainsi, créer des modèles auxquels les jeunes femmes pourront s'identifier. C'est aussi parce que cet engagement au sein de la société civile est bien souvent le moyen d'acquérir de nouvelles compétences et parce qu'il peut servir de marchepied pour prendre d'autres responsabilités, non seulement dans le champ de la société civile, mais également dans le champ économique, voire dans le champ politique. On sait que de nombreuses femmes parlementaires ont accédé aux responsabilités politiques après de multiples engagements dans la société civile - il y a peut-être des exemples de ce type de parcours parmi les sénatrices présentes ce matin.

Si l'on se pose la question de l'engagement des femmes, il faut aussi se demander ce qui lui est spécifique. Or, ce qui lui est spécifique, c'est l'engagement associatif. Ce n'est pas que les hommes soient absents des associations, mais les femmes, plus souvent que les hommes, commencent leurs engagements par des engagements associatifs et, le plus souvent, sont engagées uniquement dans une association, alors que les statistiques montrent que le « poly-engagement » est beaucoup plus fréquent chez les hommes. Généralement, l'association est l'un des engagements des hommes, parmi d'autres (syndical, politique, etc.).

D'après une enquête de l'Ifop de 2013, les femmes chercheraient majoritairement, dans leur engagement associatif, à « donner du sens », là où leurs collègues masculins chercheraient plutôt à apporter leurs compétences à une cause particulière. On peut certes se dire qu'entrer dans une association sans chercher à donner du sens à son engagement est un peu dommage ! Ainsi, le problème ne serait pas chez les femmes...

En revanche, la question est de savoir si cette approche par le sens a des conséquences sur les thèmes de l'engagement des femmes. Dans le secteur associatif, peut-être plus encore que dans d'autres secteurs de la société civile, la sectorisation des associations par champ d'action met en évidence malheureusement une division genrée des thématiques d'engagement, avec des femmes que l'on retrouve plus nombreuses dans des thématiques assez traditionnelles, qui reflètent la vision des rôles attribués aux femmes et aux hommes dans notre société.

Par ailleurs, la question du sens semble s'opposer à celle de la compétence.

Il y aurait alors celles qui « donnent du sens » et ceux qui apportent des compétences techniques, une capacité à parler en public, une capacité à gérer une structure.

Cependant, la division sexuée du travail, à l'intérieur de l'association, s'organise un peu différemment. En fait, les femmes mettent bel et bien en oeuvre leurs compétences au sein des associations, mais souvent elles en sont les chevilles ouvrières internes, elles sont la « maison » de l'association. Elles s'occupent de son bon fonctionnement, elles gèrent les relations, elles font en sorte que l'association se structure suffisamment. Mais quand il s'agit de la représenter à l'extérieur, de faire partie des réseaux, de porter le message en public, ce sont bien souvent les hommes qui reprennent le devant. Ainsi, l'accès aux postes de trésorier est généralement égalitaire mais, quel que soit le domaine, même dans les domaines typiquement féminins, les présidences des associations restent majoritairement dévolues aux hommes.

Cette influence sur les postes clé se retrouve même dans la différence entre le travail et la gouvernance. Beaucoup de femmes, dans leur quête de sens, vont devenir salariées du secteur associatif, ce qui leur permettra de donner du sens via leur vie professionnelle. Mais cela n'a pas de conséquence sur la gouvernance de l'association. La difficulté par ailleurs est que les compétences acquises dans des fonctions internes sont moins facilement transférables à d'autres secteurs. Et la vie sociale est faite de réseaux qui se constituent à partir des rencontres que l'on fait en fonction des positions que l'on a occupées. Or chacun sait que le trésorier d'une association n'a pas les mêmes contacts sociaux que son président.

En fait, la question « Pourquoi les femmes s'engagent ? » serait la première question à se poser quand on s'intéresse à l'égalité entre les hommes et les femmes. Il faudrait donc d'abord poser cette question à celles qui s'engagent, mais aussi leur demander quelles difficultés elles percevaient avant de s'engager. Lorsque dans le secteur associatif vous proposez un poste à une femme, lorsque vous lui proposez de progresser dans la hiérarchie, bien souvent la première question qu'elle se pose est celle de ses compétences. Chez les hommes, c'est celle du temps disponible pour s'en occuper. Cela prouve que nous, les femmes, avons intériorisé l'idée de notre manque de capacités supposé.

Je serai donc particulièrement attentive à vos témoignages. Par ailleurs, au-delà de la question que nous nous posons, « Pourquoi les femmes s'engagent ? », je souhaiterais savoir pourquoi, encore en 2016, les femmes qui s'engagent ne le font pas de la même manière et pourquoi elles n'obtiennent pas les mêmes droits et la même visibilité que les hommes. Je suis donc curieuse de vous entendre sur le passage à l'acte de votre engagement et ce qui l'a rendu possible.

Mais vous êtes la preuve que c'est possible et je suis très honorée d'être parmi vous aujourd'hui.

Muguette Dini

Je vous remercie pour cette introduction. Pendant votre discours, j'ai vu beaucoup de femmes hocher la tête et se demander pourquoi elles ne prenaient pas le pouvoir.

Mais passons donc, maintenant, aux témoignages.

Je me tourne vers nos cinq témoins auxquels je poserai deux questions.

Anne Barre, qu'est-ce qui est le plus important pour vous dans l'action de WECF : l'aspect femmes ou l'aspect environnement ?

Selon une étude réalisée en 2012 par France Bénévolat , les femmes s'engagent dans l'action associative pour donner du sens, et les hommes pour faire bénéficier l'association de leurs compétences et talent, comme le rappelait Claire Guichet à l'instant. Vous sentez-vous concernée par ce constat ?

Anne Barre, co-présidente de Women in Europe for a common future (WECF) - France

WECF est une ONG qui existe depuis vingt-deux ans. Elle a été créée aux Pays-Bas en 1994, puis en Allemagne en 2001 et enfin en France en 2008. Je suis la fondatrice de l'antenne française. Votre première question vise à me demander si notre priorité est d'abord l'environnement ou d'abord le féminisme et le droit des femmes, mais nous agissons en fait à la croisée de ces chemins.

Notre association a été créée après le premier Sommet pour la Terre , qui s'est tenu à Rio en 1992. Cet événement a permis de reconnaître que les femmes jouaient un rôle fondamental dans la protection de leur environnement et dans le développement de leur communauté. Les États ont alors reconnu qu'il fallait leur donner une place importante et leur permettre de participer pleinement à l'élaboration des politiques de développement durable (Principe 20 - Déclaration de Rio : les femmes ont un rôle vital dans la gestion de l'environnement et le développement. Leur pleine participation est donc essentielle à la réalisation d'un développement durable.) Cela fait aujourd'hui plus de vingt ans que cette reconnaissance est établie par tous les États qui étaient présents à Rio. Dans nos agendas 21, on a voulu mettre en oeuvre ce principe de participation des femmes aux politiques de développement durable, mais beaucoup de travail reste encore à réaliser. Telle est la mission de notre ONG, qui démontre comment les femmes sont impactées de manière disproportionnée (par la pollution, par le changement climatique, pour l'accès à l'eau et à l'assainissement, autour des questions de santé liées à l'environnement), mais aussi combien elles sont porteuses de solutions différentes, qui sont un encouragement au dialogue et à la réflexion.

Notre ONG est constituée de 150 organisations réparties dans plus de quarante pays, qui travaillent au quotidien de manière très concrète. Il est difficile pour elles d'obtenir les financements dont elles ont besoin pour agir. L'utilité de leur action est très visible à l'échelle du foyer, mais l'est moins dans la vie publique et dans la politique. Permettez-moi de vous donner un exemple très concret. Nous étions présentes au Bourget en 2015 pour la COP 21, pour renforcer la question de l'égalité entre hommes et femmes et évoquer la place des femmes dans l'élaboration des politiques Climat. WECF est membre fondateur de la coalition d'ONG de femmes qui a le statut officiel d'observateur au sein de la Convention des Nations Unies pour le changement climatique. Or nous constatons qu'il est encore difficile aujourd'hui, pour le grand public, de voir quel est le lien entre les inégalités entre hommes et femmes et les questions climatiques. Pourtant, ce sont les inégalités sociales qui renforcent les difficultés auxquelles les femmes sont confrontées, face aux changements climatiques. Cependant, elles peuvent apporter des solutions pertinentes, notamment en ce qui concerne la transformation de l'accès aux ressources vitales, solutions qui permettront d'améliorer immédiatement les conditions de vie des populations.

Comment expliquer dès lors que ces solutions pertinentes ne bénéficient pas des financements Climat classiques qui sont en train de se mettre en place ? Ces financements sont dirigés aujourd'hui plutôt vers des solutions développées par des entreprises ou des États, technologiquement sophistiquées et de grande ampleur, qui certes vont permettre d'économiser beaucoup de CO 2 , mais qui ne vont pas toujours apporter une amélioration des conditions de vie des populations et leur permettre cette résilience dont elles ont absolument besoin face au changement climatique.

Nous ne souhaitons pas établir de priorité entre droits des femmes et environnement dans nos actions, mais nous voulons faire la démonstration que les femmes ont un rôle à jouer et que c'est en renforçant leurs droits qu'on va contribuer à renforcer la protection de l'environnement.

Vous rappeliez le résultat d'une enquête indiquant que l'engagement des femmes est d'abord motivé par une quête de sens : je le crois aussi, mais j'espère également que les hommes s'engagent dans le monde associatif ou dans le monde politique pour donner du sens à leur place dans notre société.

Pour moi, le sens a été une des premières motivations de mon engagement, mais j'ai voulu aussi apporter les compétences que j'avais acquises au travers de ma formation, de mon éducation, de mon expérience, de mon métier - car je n'ai pas toujours été engagée dans le monde associatif et j'ai travaillé aussi en entreprise, et notamment dans la communication. J'ai alors été amenée à gérer des équipes. Ces compétences sont essentielles car, si le monde associatif a parfois du mal à se faire reconnaître des autorités pour sa valeur et son action, comme le démontre l'histoire, c'est aussi parce que les associations ont besoin de structuration, de professionnalisation et de cet apport de compétences de la part de personnes qui ont travaillé dans d'autres milieux professionnels. Aujourd'hui, alors que le soutien des pouvoirs publics se fait plus rare, il est d'autant plus important d'avoir en tête ce besoin de professionnalisme, notamment pour collecter des fonds et pour communiquer.

Selon moi, il serait dommage de faire une différenciation sexuée entre les femmes qui s'engageraient pour « donner du sens », sans penser qu'elles sont capables d'apporter des compétences, et les hommes convaincus qu'ils ont le devoir d'apporter leurs compétences au service d'une cause. Il serait dommage de faire perdurer cette vision caricaturale. Il me semble que les femmes sont aujourd'hui bien conscientes de ce qu'elles peuvent apporter au monde associatif, et j'espère qu'elles vont continuer à s'engager comme elles le font en prenant la parole avec courage.

Muguette Dini

Merci beaucoup.

Gisèle Bourquin, vous avez créé Femmes au-delà des Mers en 2007, mais toute votre vie, vous avez oeuvré aussi et surtout pour le rayonnement de l'histoire et du patrimoine ultramarins.

L'action associative est-elle pour vous un engagement ? Êtes-vous d'accord avec le titre de ce colloque ?

De quelle réalisation concrète de Femmes au-delà des Mers êtes-vous la plus fière ?

Gisèle Bourquin, présidente de Femmes au-delà des Mers

Avant de répondre à vos questions, je souhaite remercier les organisateurs et organisatrices de ce colloque qui m'offrent l'opportunité de parler des femmes et de l'outre-mer. Je profite aussi de cette tribune pour saluer l'outre-mer. Je sais que la déléguée régionale aux droits des femmes de Mayotte, Noera Mohamed, nous regarde et je pense que Chantal Galenon, présidente du Conseil des Femmes, nous regarde aussi depuis la Polynésie, si le décalage horaire le permet. Les outre-mer sont très intéressés par ce qui se passe dans le monde et y apportent leur concours.

Je suis pleinement d'accord avec le titre de notre colloque car les femmes s'engagent et maintiennent leur engagement, elles veulent que leur engagement ait du sens. Je pense même que ce colloque va permettre aux femmes de le renforcer !

Qu'est-ce que Femmes au-delà des Mers ? C'est une association qui regroupe des hommes et des femmes de tous horizons, pour créer des ponts entre les outre-mer, qui sont des mondes différents même s'ils partagent une langue et une histoire. Cette diversité des outre-mer, avec des cultures différentes, est une chance pour notre pays. L'important est d'identifier ces différences, échanger et apporter à l'autre. Femmes au-delà des Mers travaille à ce maillage, à ce réseau, car nous sommes convaincus que « les univers se complètent et s'enrichissent mutuellement », comme le dit si bien le poète haïtien René Depestre.

De quelle réalisation ai-je été le plus fière ? Je pense que c'est le fait d'avoir pu garder un cap cohérent dans Femmes au-delà des Mers . Plutôt que de nous concentrer sur les histoires et les revendications, notre action, dans un parti pris positif, cherche à valoriser les personnes qui apportent aux autres. Par exemple, nous avons réalisé une mosaïque de portraits de femmes, qui ne sont pas des femmes célèbres mais des femmes qui ont cru à ce qu'elles faisaient et qui ont montré le chemin à d'autres. Avec ces portraits, nous permettons une transmission de notre mémoire et nous montrons à tous, en particulier à la jeunesse, que l'on peut se donner les moyens d'avancer, d'où que l'on vienne. Nous avons donc choisi de mettre en valeur des personnes d'aujourd'hui, de sorte qu'elles puissent guider les autres.

Une autre de nos actions consiste à rassembler les éléments d'un foyer qui retracent le parcours d'une famille, d'une communauté. Ce programme est appelé le « Patrimoine unique et privé ». Notre idée est de répertorier, cataloguer et préserver des éléments de l'histoire à partir de la valorisation de trajectoires individuelles. Nous pensons qu'il est important de rassembler les témoignages physiques d'un parcours. La valorisation de ces fonds familiaux favorise ainsi l'appropriation de notre Histoire commune (notamment auprès d'un jeune public) à travers l'histoire familiale. Ainsi, un fonds documentaire issu d'un foyer et se rapportant à Aimé Césaire permet de retracer des éléments d'histoire de sa famille, mais aussi de la Martinique et de la littérature. Ces éléments d'un seul foyer, patrimoine des descendants de ce foyer privé, sont des éléments du patrimoine des membres d'une collectivité, de la société et appartiennent donc aussi au patrimoine commun.

Plus que jamais l'engagement des femmes est au coeur de notre action. Que ce soit dans notre galerie de portraits, dans notre fonds Patrimoine unique et privé ou bien encore lors de nos conférences, expositions, nous ressentons leur volonté de s'exprimer et surtout de transmettre pour donner un sens à leur vécu. Leur témoignage et leur expérience sont attendus et porteurs d'avenir de de fierté des outre-mer.

Le mot qui émerge actuellement, « matrimoine », nous décrit parfaitement car nous nous attelons à mettre en avant un « matrimoine » ultramarin. Une productrice nous a demandé de participer à une série de films sur les savoirs des femmes, dont l'intitulé serait justement Matrimoine . Cette initiative est très bien accueillie en dehors de l'hexagone, notamment en Polynésie, et permet de mettre en évidence les liens entre les régions. Le premier film de cette série portera sur le savoir des femmes des Marquises, le tapa 7 ( * ) .

Muguette Dini

Je vous remercie beaucoup.

Guylaine Brohan, vous représentez Familles rurales . L'action associative est-elle pour vous un engagement ?

En préparant ce colloque, vous avez dit quelque chose de très riche que je me permets de citer : « Ce qui me plaît dans la vie, c'est l'autre, c'est le lien social. Mes objectifs de vie et d'action sont toujours basés sur le contact : travailler avec l'autre et pour l'autre, sans calcul, sans projection intéressée. » Ces propos traduisent-ils selon vous l'intérêt de la vie associative par rapport à une certaine façon de concevoir la politique ?

Guylaine Brohan, présidente départementale de la Fédération Familles rurales - Vendée, maire adjointe de Saint-Georges-de-Montaigu

Je vous remercie tout d'abord de votre invitation que je conçois comme une marque importante de reconnaissance. C'est moi qui aujourd'hui suis à la tribune, mais je parlerai aussi au nom de tous les bénévoles de Familles rurales de France .

Pour ma part, j'ai rejoint l'association Familles rurales pour apprendre à connaître les habitants de ma commune, où je venais de m'installer et dans laquelle j'avais peu de relations. C'est ainsi que j'ai répondu favorablement à la proposition de la présidente de l'association, qui m'a proposé de rejoindre le groupe. Trois ans plus tard, j'étais présidente de l'association locale ; vingt ans après, je suis présidente de la fédération départementale.

Mon engagement s'est amplifié au bout de trois-quatre ans, lorsque nous avons identifié le besoin d'un accueil de loisirs dans notre commune, dont la municipalité ne voyait pas l'intérêt. Notre association est alors « montée au créneau » et nous sommes allés à la rencontre des élus pour leur dire combien la création de ce lieu d'accueil était importante pour les familles de notre commune rurale. Nous avons su convaincre et ce centre d'accueil de loisirs a été créé.

Quelques années plus tard, en 1995, le maire de notre commune m'a sollicitée, avant les élections municipales, pour intégrer le conseil municipal. Il s'est tourné vers moi car j'étais présidente d'association. C'est donc à ce titre que j'ai étendu mon engagement à un mandat municipal. Cette expérience m'a aussi amenée à m'affirmer, parfois en m'opposant au maire pour convaincre, par exemple, que la commune avait plus besoin d'une salle de danse que d'une salle de sport. Mon engagement a été quotidien, mêlant à la fois vie associative et vie politique au sein du conseil municipal.

Je définis la politique comme une mission qui vise à agir sur le développement et l'équilibre de la société. Je crois que les associations jouent aussi un rôle politique, mais pas au sens parfois péjoratif du terme, tel qu'on l'entend par exemple dans les médias. Souvent, la politique a mauvaise presse. Hier soir, j'ai rencontré des sénateurs, en amont de ce colloque, et maintenant j'ai l'impression d'un peu mieux comprendre la politique. Je les remercie d'ailleurs de m'avoir accueillie parmi eux.

Par exemple, de grands bouleversements sont attendus dans la ruralité avec des « mariages » de communes. Les élus des communautés de communes seront plus éloignés des habitants. Les associations Familles rurales ont donc créé des groupes de travail pour être présents auprès des grandes communautés de communes. Sur les territoires, les bénévoles seront toujours auprès des familles, même si la commune s'agrandit, car nos bénévoles seront toujours présents dans les quartiers. Demain, dans cette nouvelle configuration, les politiques auront encore plus besoin des associations. Comme le président Larcher le rappelait en introduction, nous savons pertinemment que les fonds publics vont se contracter. Nous avons compris que nous devions favoriser les mutualisations pour nous adapter à cette réalité. Ainsi, plutôt que de nommer une directrice d'accueil de loisirs dans chaque commune, nous nommerons peut-être une seule personne responsable pour plusieurs communes. Nous chercherons à optimiser nos moyens, mais nous prendrons les décisions ensemble. Pour réussir ce pari du changement et de la mobilisation des territoires, il est nécessaire qu'associations et pouvoirs publics travaillent main dans la main.

Enfin, pour terminer, je souhaite dire que la convivialité est essentielle. Les femmes qui se retrouvent dans une association locale ou dans une fédération apprécient le côté sympathique de nos rencontres et de nos travaux. C'est comme cela que nous arriverons à avancer, car le lien social est la base de tout.

Muguette Dini

Je crois qu'il n'y a pas une seule d'entre nous qui ne soit entrée en politique sans passer par les associations. Pour simplifier, voire schématiser, nous pourrions dire que les hommes ont plutôt tendance à se former dans les partis politiques, tandis que les femmes arrivent en politique après un engagement associatif.

Guylaine Brohan

Je souhaite ajouter que nous perdons beaucoup de bénévoles associatifs qui partent rejoindre les conseils municipaux. Mais en fait, nous ne les perdons pas complètement, car nous les avons formés et nous savons qu'ils seront de bons élus !

Muguette Dini

Damarys Maa Marchand, parlez-nous de votre projet « Ma cousine et moi ». Quel est le profil de vos bénévoles françaises ? Qu'est-ce qui, selon vous, les motive ? À votre avis, qui reçoit le plus : les femmes migrantes que vous accompagnez ou les françaises qui les aident ?

Vous avez participé à de nombreuses initiatives associatives. Cela semble naturel pour vous. Est-ce cela, pour vous, être citoyenne ? Avez-vous été tentée par la vie politique ?

Damarys Maa Marchand, présidente de la Fédération IFAFE (Initiatives des femmes africaines de France)

Avant de présenter le projet « Ma cousine et moi », je souhaite remercier la délégation aux droits des femmes et sa présidente, Chantal Jouanno. Je suis très honorée d'être à cette tribune pour représenter les femmes migrantes qui sont aujourd'hui des citoyennes françaises.

Le dispositif « Ma cousine et moi » est porté par la Fédération Initiatives des femmes africaines de France et d'Europe (IFAFE) , qui a été créée en 1993. En 1996, nous avons pris conscience que nous n'étions pas assez visibles. Le plafond de verre existe partout, même dans la vie associative ! Notre mouvement s'appelle Initiatives des femmes africaines de France et d'Europe , mais nous sommes ouverts aux femmes de toutes origines. Nous accueillons notamment le comité des femmes tamoules de France, de la Martinique, et même une association de femmes de l'île de la Réunion, qui ne sont pas migrantes puisque françaises, et bien d'autres communautés encore... L'objectif était de mutualiser nos efforts et nos connaissances.

Nous célébrons cette année notre vingtième anniversaire. Notre marraine est la comédienne Firmine Richard.

Comment aider les femmes ? Pour cela, il faut chercher des solutions, inventer chaque jour de nouvelles idées. Ce projet, qui était dans les tiroirs, a fini par voir le jour lorsque nous avons rencontré l'association Enda Europe (Environnement Développement Action) qui lutte particulièrement contre les discriminations et pour la mobilisation des populations migrantes en faveur du développement. Nous avons estimé qu'il serait utile pour nous de travailler en partenariat avec Enda Europe pour être plus fortes, ensemble. Cela fait plus de trente ans que l'on parle d'intégration sans voir le bout du tunnel ! Notre collaboration a permis d'unir nos forces.

Le projet « Ma cousine et moi » est un dispositif qui a pour objet de renforcer le vivre ensemble et la participation citoyenne des femmes. Il tend à favoriser l'épanouissement de chacune au niveau local, grâce à des actions de solidarité, mais aussi à encourager un enrichissement réciproque entre des citoyens aux parcours différents. Ce programme vise également à renforcer l'accès aux droits des femmes migrantes par la prise en compte globale de leur situation. Il permet enfin de lutter contre les préjugés mutuels.

Cette action citoyenne, soutenue par la région Ile-de-France, la ville de Paris et par la Fondation SNCF, consiste à créer des binômes constitués d'une femme migrante (cousine d'ailleurs) et d'une femme désireuse de participer à des échanges interculturels (cousine d'ici). Ces binômes choisissent librement les activités partagées, en fonction de leurs centres d'intérêts communs (cinéma, shopping, cuisine, histoire de chacun des pays, etc.). Les femmes qui participent aux binômes définissent librement le contenu de leurs échanges, mais nous leur demandons de signer une charte qui rappelle que ces échanges doivent intervenir dans un climat de respect mutuel. Il nous a paru en effet important d'instaurer un cadre de référence et de principes partagés entre les différents binômes. La femme non migrante désireuse de participer à cette action ne doit pas, par exemple, adopter un ton paternaliste et prétendre qu'elle peut tout apprendre à l'autre. Ces échanges doivent valoriser le partage. La charte rappelle également que les propos racistes ou xénophobes sont proscrits. Ce message peut sembler évident, mais il doit être rappelé pour éviter de heurter l'autre. Ces échanges doivent aussi se faire dans le respect de chaque partie, en convenant de rendez-vous en fonction des disponibilités des deux femmes, partant du principe que l'une ne doit pas se mettre à la disposition de l'autre. Le dispositif « Ma cousine et moi » ne vise pas à ce qu'une femme accompagne l'autre, mais repose sur les principes d'équité et d'enrichissement mutuel.

Quel est le profil des bénévoles ? Les associations de notre fédération qui accueillent au quotidien les femmes migrantes identifient des femmes migrantes qui viennent à nos permanences d'accueil, suivent nos cours de français ou de couture, par exemple, et qui souhaitent avancer, mais qui rencontrent souvent beaucoup de difficultés. Enda Europe , pour sa part, par l'association Groupement des éducateurs sans frontières (GREF) , identifie également des « cousines ». Dès 2013, la Fédération IFAFE a pu mobiliser trois de ses associations sur le terrain, à Bagneux, Pierrefitte et Arcueil, pour organiser des expériences similaires. Les échanges permettent véritablement un enrichissement réciproque entre citoyennes aux parcours différents.

Avec mes collègues d' Enda Europe , nous avons réfléchi à cette question : qui reçoit le plus dans ces échanges ? Il s'avère cependant qu'il est impossible d'y répondre car donner est aussi recevoir, la vie est un perpétuel apprentissage. Ce dispositif permet d'abord de signer un contrat avec soi-même et ses convictions. Nous pensons aussi que ce projet peut apporter quelque chose d'inattendu par le regard de l'autre.

Enfin, d'où vient mon énergie ? Que dire, sinon que j'ai trouvé en France un dispositif formidable, qui est la loi de 1901 sur les associations. Beaucoup d'entre nous viennent de pays où s'associer et se réunir n'est pas si simple. Cette loi est extraordinaire et j'aurais aimé pouvoir en remercier chaleureusement Monsieur Waldeck-Rousseau en personne ! Force est de reconnaître que les associations apportent beaucoup à la société. Mon énergie vient aussi du fait que j'ai commencé très jeune à militer. En arrivant sur le territoire français, j'ai commencé par le syndicalisme. Ma mère était également militante.

Pour terminer, ai-je été tentée par un engagement politique ? Non, pas en tant que tel, bien que des opportunités se soient présentées à maintes reprises. En 1988, j'ai été recrutée en tant que chargée de la revue de presse auprès de la mission du Bicentenaire de la Révolution française par le président Edgar Faure, puis Jean-Noël Jeanneney. À cette occasion, j'ai pu approcher le monde du pouvoir et côtoyer toutes les tendances politiques. Les déconvenues rencontrées et la persistance du plafond de verre m'ont montré l'envers du décor et ont fait s'envoler mes espérances... J'ai plus tard été approchée pour participer à un mouvement politique mais, quoique sympathisante, j'ai décliné toute offre pour garder ma liberté d'action. Cela m'a coûté quelques sacrifices. J'ai dû renoncer ainsi au prestige de cette mission qui aurait pu faciliter mon quotidien et me donner de l'importance auprès de mon entourage. Consciente que l'engagement dans le monde associatif est souvent le tremplin d'une carrière politique, je sentais néanmoins que cela n'était pas ma voie et que cette ambition entrait en conflit avec mon coeur.

Muguette Dini

Je vous remercie.

Florence Montreynaud, vous avez un parcours militant féministe, que vous retracez dans votre livre Chaque matin je me lève pour changer le monde. Du MLF aux Chiennes de garde , publié en 2014, et que vous présentez comme vos « Mémoires féministes ». Auriez-vous pu vous engager dans l'action associative pour d'autres causes que pour la défense des droits des femmes ?

Florence Montreynaud, historienne, cofondatrice des Chiennes de garde , de Encore féministes ! et de Zéromacho ; auteure de Chaque matin, je me lève pour changer le monde. Du MLF aux Chiennes de garde. Mémoires féministes

Je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre invitation. J'ai toujours plaisir à rencontrer certaines sénatrices pour parler de sujets féministes. J'ai enfin lâché le mot « féminisme » que nous entendons pour la première fois au cours de cette matinée...

Le féminisme est capital dans ma vie. Je ne comprends même pas comment on peut ne pas être féministe, dans la mesure où je définis ce terme comme la recherche d'égalité et de dignité pour tous les êtres humains. Certains définissent peut-être ce terme autrement, et alors il y a malentendu. Mais le féminisme est pour moi la recherche de droits égaux, l'application de ces droits et le respect de la dignité.

J'ai en effet été tentée par toutes sortes d'engagements, mais j'ai préféré me consacrer à un seul engagement et m'y adonner complètement. Bien entendu, d'autres causes me concernent. L'environnement en fait partie. J'ai aussi été membre d'une union de consommateurs, car je crois que nous avons le pouvoir de notre argent face aux producteurs et que, si nous nous unissons, nous pouvons imposer des choses. Je me suis aussi mobilisée pour l'interdiction de fumer en public, ce danger pour la santé en général. Je trouve scandaleux que l'État, sans que cela dérange nos dirigeant-es, perçoive un impôt sur le tabac qui provoque tant de morts.

Tous les matins, j'aimerais m'engager dans une nouvelle cause mais la sagesse me recommande de me concentrer sur une seule, qui est le féminisme, et que je considère comme la mère de tous les engagements. Selon moi et comme le dit Virginie Despentes, le programme féministe est « révolutionnaire » puisqu'il s'agit « de tout foutre en l'air », c'est-à-dire de changer le fondement machiste de notre société pour construire un autre monde sur la base de l'égalité femmes-hommes. L'égalité fait partie de la devise de la République française depuis des siècles, pourtant ce que nous en faisons est dérisoire ! Les autres combats m'intéressent aussi : j'ai participé à d'innombrables manifestations et rassemblements, j'ai aussi signé beaucoup de pétitions mais, avec le temps, je me suis concentrée sur cette action-là car, pour être efficace, il faut être identifié à une seule cause. Maintenant, on me reconnaît comme féministe.

Je suis aussi historienne, grâce à Michelle Perrot qui m'a donné ce titre, ce qui a été pour moi comme un adoubement. Je suis donc en même temps témoin et actrice. C'est ce que j'aime dans mon engagement.

Muguette Dini

Vous avez été pionnière en politique, puisque vous avez été la première conseillère municipale en 1977 de votre commune de l'Oise. En 1978, vous avez été candidate aux élections législatives dans ce département. Depuis 1978, avez-vous participé à d'autres élections ?

Quel jugement portez-vous sur la vie politique par rapport à la vie associative ? Estimez-vous que l'engagement associatif vous a apporté plus de satisfactions, si du moins vous pensez que l'on peut comparer les deux en ces termes ?

Enfin, pensez-vous que l'engagement associatif permette plus d'efficacité que l'engagement politique ?

Florence Montreynaud

Je me suis engagée en politique en étant élue dans une petite commune rurale. J'ai été dans l'opposition pendant six ans, et j'ai trouvé stérile de voter contre le budget tous les ans... En 1978, j'ai été la première femme candidate aux élections législatives dans l'Oise. Pouvez-vous imaginer que jamais une femme ne s'était encore présentée dans ce département ? Cependant, la campagne électorale a été d'une telle violence que cela m'a dégoûtée de la politique. Sur les affiches de ma campagne, on voyait mon grand sourire, et il était mentionné que j'étais traductrice et mère de trois enfants. Certains ont jugé bon d'y écrire en grosses lettres : « PUTE ». Je n'ai pas résisté à ces violences, aux coups de téléphone anonymes, aux injures, aux attaques contre mon mari.

Au premier tour, j'étais extrêmement déçue de ne pas être élue, car je pensais que les femmes entendraient mon message et que les hommes seraient sensibles à mon appel à l'égalité femmes-hommes. Avec un tel discours, je pensais évidemment être élue au premier tour...

Comme je le disais, la violence des attaques que j'ai vécues à cette époque m'a dégoûtée à tout jamais de la politique. Que peut-on répondre à ceux qui vous insultent et vous traitent de « pute » ? « Fils de pute » ou « salopard », ça n'est pas pareil. Ces insultes ont été blessantes et humiliantes. Il n'y a pas d'équivalent pour les hommes. On les traite de « salaud » et éventuellement d'« enculé », mais c'est une insulte à la fois homophobe et sexiste (« enculeur » n'est pas une insulte). Quand j'ai vu par la suite toutes ces femmes politiques être régulièrement insultées, j'ai pris l'habitude de leur écrire des messages de solidarité.

Dans tous les partis, les insultes publiques visant les femmes sont fréquentes. Dans aucun autre pays au monde, on ne voit des femmes politiques être autant insultées qu'en France. Des députées m'ont raconté ce qu'elles entendent dans l'hémicycle lorsqu'elles montent à la tribune. Dans d'autres pays, comme en Espagne et en Italie, il existe une solidarité entre femmes qui limite ces attaques. De plus, les hommes qui se comporteraient de cette manière indigne ne pourraient conserver leur poste.

Les « insulteurs de femmes » ne devraient pas avoir leur place en politique.

La réponse que j'ai trouvée à ces agissements a été de fonder un mouvement préventif. Ayant élevé des enfants, je sais qu'il faut allier prévention et punition, en leur disant : « Si tu fais ça, tu auras telle punition. » J'ai donc lancé le mouvement Chiennes de garde en optant pour ce nom, traduit de l'anglais watchdogs , qui évoque un mouvement en alerte, vigilant. Cependant, les gens entendent tout autre chose dans le mot « chiennes », comme c'est bizarre !

Je sais que l'allusion au sexe fait rire, mais je ne ris pas quand on insulte Nicole Notat ou Roselyne Bachelot ou encore Dominique Voynet. La coupe a débordé le 6 mars 1999 lorsque j'ai vu à quel point cette dernière avait été malmenée au Salon de l'agriculture.

À ma stupéfaction, Chiennes de garde a démarré très rapidement. Les médias se sont emparés de notre lancement, pensant faire scandale. Pendant quelques années, les hommes politiques se sont mieux tenus. Et puis, tout cela a recommencé. C'est effrayant !

Le mouvement Chiennes de garde est aujourd'hui présidé par Marie-Noëlle Bas. Tous les ans, il attribue un prix au Macho de l'année. Malheureusement, le choix reste encore large... La plupart de ces machos appartiennent au monde politique. Certains responsables osent écrire des tweets insultants, comme celui qui a osé écrire à propos de Barbara Pompili « Une place de ministre pour une pipe ». Comment est-il possible que cet homme ne soit pas sanctionné, en application de la loi de 2004 sur les insultes sexistes ? À chaque fois que nous réagissons, il se trouve des hommes pour affirmer que nous, les féministes, manquons d'humour. Il faut réagir, car cette violence continuera si nous nous taisons.

Malgré tout, je me suis présentée aux élections européennes, il y a deux ans, sur une liste féministe. Je ne regrette pas cette expérience, même si, à ma grande déception, nous n'avons pas été élues.

Muguette Dini

Je crois que les élues qui sont parmi nous adhèrent totalement à vos propos, car elles ont vécu ce que vous avez décrit.

Nous en avons fini avec la première séquence. Je vous remercie de votre participation.

PAUSE

[Diffusion de quatre vidéos :

- « 4 minutes pour comprendre ATD Quart monde » ;

- OSE : « Pour des berges et milieux naturels propres » ;

- Delphine Roullet, présidente de l'Association Française pour la Sauvegarde du Grand Hapalémur(AFSGH) ou HELPSIMUS, gestionnaire du programme européen d'élevage du grand Hapalémur ;

- Fédération IFAFE : « Ma cousine et moi ».]

Seconde séquence
La place des femmes dans les associations.
Comment valoriser leur engagement ?

Animatrice : Corinne Bouchoux, sénatrice de Maine-et-Loire

Intervenantes :

Sophie Rétif, sociologue, auteure de Logiques de genre
dans l'engagement associatif

Claire Hédon,
présidente de ATD Quart Monde France

Alice Clément, vice-présidente en charge des affaires sociales
de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE)

Adeline Gerritsen, vice-présidente
de l'association Organe de sauvetage écologique (OSE)

Marie-Anne Gasnier, chargée du programme « Terre de femmes »
de la Fondation Yves Rocher - Institut de France

INTRODUCTION - SOPHIE RÉTIF, SOCIOLOGUE, AUTEURE DE LOGIQUES DE GENRE DANS L'ENGAGEMENT ASSOCIATIF

Corinne Bouchoux, sénatrice de Maine-et-Loire

Avant de commencer, je souhaite remercier Chantal Jouanno pour toute l'énergie qu'elle met à animer notre délégation, dans la bonne humeur et la sérénité, mais aussi Brigitte Gonthier-Maurin, qui a été présidente de 2011 à 2014, et qui a elle aussi beaucoup oeuvré pour la délégation. Je suis heureuse de voir beaucoup de visages amis parmi nous, dont des sénatrices, des sénateurs et d'anciens membres de notre assemblée.

Nous abordons maintenant une séquence peut-être plus nuancée que la précédente, qui concernait les motivations de l'engagement associatif des femmes. Cette deuxième table ronde sera consacrée à la gouvernance des associations.

La présence dans cette salle d'un public venu très nombreux montre que l'engagement associatif au féminin suscite un véritable intérêt.

Lorsque l'on regarde de près la gouvernance des associations, on observe que la reproduction d'un certain nombre d'inégalités sociales et sexuées joue à plein. La tendance est qu'il y ait aux postes de responsabilité plus d'hommes que de femmes. Les responsables associatifs qui s'expriment dans les médias sont aussi majoritairement des hommes. Est-ce une intuition ? Ce constat est-il confirmé par la recherche ?

Pour répondre à ces questions, je vous propose un panel en deux temps. Dans un premier temps, nous allons entendre Sophie Rétif, docteure en sciences politiques, auteure en 2013 de Logiques de genre dans l'engagement associatif , publié chez Dalloz.

Je tiens moi aussi, comme l'a fait tout à l'heure Chantal Jouanno, à remercier le secrétariat de notre délégation pour son investissement et son implication dans l'organisation du colloque.

Je laisse la parole à Sophie Rétif pour nous éclairer sur cette différence genrée dans la direction des associations.

Sophie Rétif, sociologue, auteure de Logiques de genre dans l'engagement associatif

Mes recherches ont porté sur la place des hommes et des femmes dans les associations. Ce qui m'intéressait, c'était de comprendre pourquoi, encore aujourd'hui, les femmes sont plus engagées dans les associations que dans les partis politiques ou dans les syndicats, et pourquoi elles sont si peu nombreuses aux postes de dirigeants.

D'après les enquêtes de l'Insee de 2011, qui sont parmi les données les plus récentes sur ce sujet, les femmes représentent un tiers des présidents d'association, la moitié des trésoriers et 60 % des secrétaires. Ces chiffres sont extrêmement parlants. On observe une répartition différenciée des hommes et des femmes selon les fonctions (la présidence aux hommes, la fonction de secrétaire aux femmes) et, surtout, un clivage très net pour la fonction de président, même si la proportion de femmes présidentes d'associations augmente au fil des années.

Plus les associations sont de taille importante, moins elles ont de chance d'être présidées par une femme. La tendance est que plus les bénévoles et les salariés sont nombreux, plus le président est un homme âgé.

On sait également que, dans de nombreuses fédérations associatives, les femmes exercent plutôt des responsabilités au niveau local. Les responsabilités nationales sont majoritairement confiées aux hommes. Pendant longtemps, on n'a pas eu conscience de cette inégalité dans l'accès aux responsabilités au sein des associations. Ou alors, on ne voulait pas la voir ! Aujourd'hui, les choses sont différentes : en témoigne le fait que nous en discutions aujourd'hui. Beaucoup d'associations y sont plus attentives qu'hier. À cet égard, les débats sur la parité ont laissé leur empreinte.

Il existe cependant une donnée que les chiffres ne permettent pas de mettre en évidence, alors qu'il s'agit d'une donnée extrêmement importante. C'est ce que j'appelle le turnover , même si le terme n'est pas très élégant. Les femmes accèdent de plus en plus aux responsabilités, mais beaucoup d'entre elles n'y restent pas très longtemps. Souvent, ces femmes exercent un mandat puis laissent leur place à quelqu'un d'autre. Elles peuvent laisser cette responsabilité à une autre femme, auquel cas la proportion de femmes exerçant des responsabilités ne varie pas. Mais ce ne sont pas les mêmes femmes qui occupent des fonctions de responsables, et c'est une question importante. Ce constat est vrai aussi dans les conseils municipaux, où beaucoup de femmes exercent un mandat mais ne se représentent pas.

Les motifs sont pluriels pour expliquer ce turnover . La difficulté réside dans le fait que ce turnover ne permet pas aux femmes de connaître des trajectoires ascendantes dans les associations. Puisqu'elles quittent assez rapidement les postes de responsable, elles ne « grimpent » pas dans la hiérarchie. Cette donnée contribue à expliquer la persistance du plafond de verre.

Par ailleurs, les femmes sont moins « poly-engagées » que les hommes et davantage ancrées dans le monde associatif, alors que le « poly-engagement » des hommes est valorisé dans les associations, ce qui constitue un atout dans leur parcours et favorise leur accès aux responsabilités. Les femmes expriment également le sentiment d'une prétendue moindre compétence. C'est le signe qu'elles ont intériorisé les stéréotypes de genres : les femmes estiment qu'elles sont moins compétentes, et l'on renvoie aussi vers elles une image de moindre compétence. Aussi se portent-elles moins candidates aux responsabilités.

Autre constat : les femmes se tournent davantage vers les associations car elles ont le sentiment que l'on y attend moins de compétences que dans d'autres organisations (syndicats ou partis politiques). Parfois, les femmes accèdent aux responsabilités car il n'y a pas d'homme candidat. C'est un phénomène que l'on observe régulièrement à l'échelon local en raison de la charge de travail importante que cela représente, pour une gratification assez faible.

Pourtant, les femmes qui exercent des responsabilités dans les associations sont particulièrement diplômées. Le niveau de diplôme joue pour les hommes comme pour les femmes, mais il a une importance plus forte pour les femmes, comme si elles compensaient par leur diplôme le fait d'être des femmes. Or cela pose un vrai problème démocratique. Les responsabilités ne seraient-elles confiées qu'à certaines femmes, diplômées et appartenant aux classes supérieures ?

Certaines femmes, ayant intériorisé les stéréotypes de genres, croient qu'elles desserviraient leur association si elles accédaient aux responsabilités. Elles considèrent qu'une femme présidente renvoie une image moins sérieuse, moins professionnelle ou moins crédible. C'est déplorable, mais cette situation correspond à l'image qu'on leur renvoie.

Ces éléments peuvent expliquer le constat que nous dressons aujourd'hui et cette persistance du plafond de verre, même s'il ne faut pas en conclure que cette persistance doit être imputée aux femmes.

Corinne Bouchoux

Je vous remercie d'avoir si bien posé notre sujet.

Claire Hédon, vous avez pris vos fonctions à la présidence d' ATD Quart Monde France en septembre 2015. Vous êtes à la tête d'une structure qui a été présidée pendant trente ans par Geneviève Anthonioz de Gaulle. Quel défi ! Contrairement à la présidente du Secours Catholique , Véronique Fayet, vous n'êtes donc pas la première femme à exercer cette fonction. Néanmoins, comme nous l'avons évoqué plus tôt, deux tiers des présidents d'associations sont des hommes, et la proportion est encore plus forte dans les associations importantes.

Pouvez-vous nous décrire votre parcours à ATD Quart Monde depuis votre engagement initial, en 1993 ? Quel a été le mode de sélection des gestionnaires et responsables ? Le site d' ATD Quart Monde est assez discret sur la présidence. Vos communications sont essentiellement collectives et utilisent largement le « nous ». Cela fait-il partie de votre ADN ? Est-ce un choix de gouvernance ?

Par ailleurs, votre parcours de journaliste a-t-il joué un rôle dans votre engagement militant ? A-t-il une influence sur la manière dont vous concevez et exercez votre présidence ? Le fait d'être journaliste peut-il constituer une difficulté pour vous ?

Pour terminer, pourrez-vous réagir aux propos tenus lors de la première table ronde ? Comment briser le « plafond de verre » qui existe dans les associations ?

Claire Hédon, présidente d' ATD Quart Monde France

Je vous remercie de m'avoir invitée et de me donner la parole. J'ai toujours plus de mal à parler de moi que de parler du mouvement ATD Quart Monde . Je suis alliée du mouvement depuis vingt-trois ans. J'utilise volontairement le terme « alliée » car je ne suis pas bénévole, mais je suis alliée à une cause commune dans notre association : la lutte contre la pauvreté et je souhaite oeuvrer à l'avènement d'une société plus juste.

J'ai découvert ATD Quart Monde par ma famille, puisque l'une de mes cousines est volontaire permanente. J'ai participé à Bangkok, pendant une semaine, à une bibliothèque de rue permettant d'amener le livre dans des endroits où il n'y en a pas et de donner aux enfants le goût de la lecture. À mon retour à Paris, j'ai rejoint les universités populaires Quart Monde où j'ai passé douze ans ; c'est un lieu où des personnes comme vous et moi travaillent avec des familles qui vivent dans la très grande pauvreté et dont beaucoup sont aux minima sociaux. Ces universités populaires sont un lieu de formation aussi bien pour des gens comme moi que pour des militants Quart Monde qui connaissent la pauvreté. Nous essayons de produire une pensée commune sur des thématiques liées à l'éducation, la culture, l'accès aux droits, le logement, la santé, les politiques de lutte contre la pauvreté.... Lorsque j'ai rejoint ce programme, on passait du franc à l'euro et nous avons donc travaillé sur cette thématique. L'année dernière, je suis retournée dans les universités populaires en tant que présidente et nous y avons travaillé sur la COP 21 et sur l'accueil des réfugiés. De nombreuses thématiques de ces universités sont portées par l'actualité.

D'autres actions concernent l'éducation des enfants et la santé. ATD Quart monde m'a appris que nous vivons dans un monde très scindé, où certains vivent dans la pauvreté et d'autres ne savent pas ce que cela représente. Pendant douze ans, je me suis formée auprès de militants, sur leurs conditions de vie et sur ce qu'ils souhaitent pour eux-mêmes.

ATD Quart Monde intervient dans différents domaines : le domaine de la culture (bibliothèques de rue, universités populaires) mais aussi dans le domaine du logement, avec un centre d'hébergement à Noisy-le-Grand, et dans le domaine de l'éducation et de la jeunesse, entre autres auprès de jeunes, souvent issus de familles pauvres, qui sortent du système scolaire sans qualifications. Nous agissons aussi dans le domaine du travail avec l'initiative expérimentale « Territoires zéro chômeur de longue durée ».

Après plusieurs années, j'ai intégré le conseil d'administration d' ATD Quart Monde , puis je suis devenue présidente.

Notre gouvernance est très particulière.

Les postes de présidents, de délégués nationaux au niveau de la France et de délégués généraux au niveau international sont identifiés par un groupe relais d'une quinzaine ou vingtaine de personnes représentatives de l'ensemble du mouvement. Ce groupe réfléchit au profil recherché pour le poste et propose quelques noms. Je n'ai donc pas postulé au poste de présidente. Pour tout vous dire, je n'y aurais même pas pensé, ce qui signe que le « plafond de verre » existe aussi dans la tête ! Lorsque ce poste m'a été proposé, j'ai considéré que ma profession de journaliste pouvait représenter un obstacle. Je me suis demandé si je pouvais à la fois être journaliste et engagée à la tête d'un mouvement qui est politique, même s'il n'est pas partisan. En fait, peut-être me demandais-je si j'étais à la hauteur. Pour être honnête, sans doute les questions que je me posais étaient-elles de cet ordre et je n'exclus pas que mon interrogation sur ma profession de journaliste ait été une sorte d'excuse. Je pense que les hommes se posent beaucoup moins cette question de la compétence que nous.

Ce mode de désignation des présidents d' ATD Quart Monde est très agréable, car être pressentie pour occuper ce poste m'a donné d'emblée une légitimité. Je n'ai pas eu à me battre pour être élue mais j'ai été proposée par un groupe de réflexion. Et il est vrai qu'il est plus agréable de démarrer dans ces conditions que d'avoir à lutter. Dans notre mouvement, la présidente ne décide pas seule, les décisions sont prises de manière collégiale. Certes, cette procédure requiert du temps et peut être jugée parfois trop lourde, mais ce mode de gouvernance est vertueux car nous nous enrichissons de la discussion avec les autres et de la confrontation de nos points de vue. De plus, une fois que la décision est prise, elle devient plus facile à faire accepter. L'adhésion devient évidente, puisque la décision a été prise collectivement.

Je suis frappée par votre remarque sur notre site Internet car je n'avais pas remarqué que le président du mouvement n'était pas mis en avant. Cette utilisation du « nous » tient sans doute au fait que la base de notre mouvement réside dans nos militants et dans la collaboration avec les plus pauvres. Nous savons que nos actions ont plus de chances d'être efficaces si nous sommes associés. Nous savons aussi que, dans un tel contexte, la place des femmes est plus naturelle. Notre mouvement se bat beaucoup sur la question de l'accès au droit. Nous avons beaucoup milité pour le revenu minimum d'insertion (RMI), la couverture maladie universelle (CMU), la lutte contre le chômage et le droit au travail.

Je pense aussi que mon engagement à ATD Quart Monde a changé ma façon de travailler en tant que journaliste. Il a changé mon regard et ma façon d'interviewer les personnes. Cette association m'a permis de comprendre que ce n'est pas parce que quelqu'un a du mal à s'exprimer qu'il n'a rien à dire. Aussi, pour préparer mon émission diffusée sur RFI , mon équipe et moi-même pouvons passer deux ou trois heures avec des personnes pour extraire de ces entretiens trois minutes de paroles fortes.

Je n'ai pas eu le sentiment de me battre en tant que femme dans ma profession de journaliste jusqu'à il y a deux ans, quand on nous a demandé de veiller à la parité parmi nos invités. J'ai été consternée de constater que, dans mon émission, les trois quarts de mes invités étaient des hommes. Comme cette émission traite de sujets de santé, j'ai voulu vérifier la part des femmes chefs de service à l'AP-HP. Il s'avère que ce taux est de 9 %, même s'il n'est pas officiel, car l'AP-HP n'a pas souhaité me fournir cette statistique. En 2016, alors que le nombre de femmes médecins est important, seulement 9 % des chefs de service de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris sont des femmes !

Ce sujet nous a conduits à vérifier si l'égalité salariale existait au sein de notre antenne, RFI . Nous avons alors constaté l'existence de grandes différences de salaires. Cela m'a consternée, non pas tant de découvrir qu'il existait ces différences que de me dire que je ne savais pas me défendre, alors que j'avais toujours eu l'impression que je n'étais pas discriminée en tant que femme. Cette prise de conscience a été violente. Je pensais ne pas rencontrer ce type de problème mais, en fait, je suis comme tout le monde ...

Corinne Bouchoux

Pour cette deuxième intervention, c'est Alice Clément, vice-présidente en charge des affaires sociales de la FAGE (Fédération des associations générales étudiantes) , qui présentera cette organisation à la place de son président, Alexandre Leroy. Je vais donc vous poser les questions que nous avions préparées à destination d'un président...

La FAGE , Fédération des associations générales étudiantes , regroupe près de 2 000 associations étudiantes et des élu.e.s étudiant.e.s, soit environ 300 000 étudiant.e.s. Cette organisation agit, entre autres objectifs, pour l'amélioration des conditions de vie et d'études des jeunes et anime un certain nombre de projets.

Claire Guichet, que nous avons entendue pendant la première séquence, a été elle-même présidente de la FAGE il y a quelques années, donc on ne peut pas dire que les femmes ne trouvent pas leur place au plus haut niveau de cette structure. Toutefois, selon une étude d'ANIMAFAC de 2013 sur les femmes et le pouvoir dans les associations étudiantes, alors que les bureaux des associations étudiantes sont quasiment paritaires (48 % de femmes et 52 % d'hommes), pour l'accès à la présidence et aux vice-présidences, on ne constate pas en revanche le même équilibre : la présidence est exercée à 61 % par des hommes et les vice-présidents sont des hommes à raison de 57 %, cette inégalité étant d'autant plus importante que la structure est grande et influente. En matière de parité, les jeunes ne feraient-ils pas beaucoup mieux que leurs aînés ?

Ce déséquilibre au sommet est-il toujours valable aujourd'hui dans les associations étudiantes ? Si oui, à quoi est-il imputable ? Comment peut-on y remédier ?

Avez-vous remarqué des comportements sexistes dans les associations étudiantes, qui pourraient dissuader les filles de briguer des responsabilités ?

Selon une étude réalisée en 2010 pour le réseau ANIMAFAC, la question de la formation fait hésiter les filles (à raison de 57 %) à prendre des responsabilités, ce qui n'est pas le cas des garçons qui sont 29 % seulement à se poser cette question. Ce diagnostic est-il selon vous toujours valable actuellement ? Alors que d'habitude on se bouscule pour venir intervenir au Sénat, pouvez-vous nous expliquer également pourquoi Alexandre Leroy vous a laissé sa place aujourd'hui ? Était-ce pour vous mettre en valeur ou parce qu'il n'était pas disponible ?

Alice Clément, vice-présidente en charge des affaires sociales de la FAGE

Bonjour à toutes et à tous, je suis vice-présidente en charge des affaires sociales à la FAGE . Alexandre Leroy m'a demandé d'intervenir à sa place car, dans mes fonctions, je travaille sur la thématique de l'égalité entre hommes et femmes. Au départ, j'ai refusé sa proposition car, justement, je me suis posé la question de ma compétence ! J'ai également été effrayée de prendre la parole devant vous, mais Alexandre m'a poussé à le faire et je l'en remercie maintenant. Notre président est très engagé et se revendique comme féministe. Me laisser la place aujourd'hui était un geste militant.

Des inégalités perdurent dans les associations étudiantes. Ces associations véhiculent les inégalités qui existent en général dans la société française, en ce qui concerne notamment l'accès aux responsabilités ou la prise de parole. Certaines inégalités cependant sont spécifiques au milieu étudiant et universitaire. Nos associations regroupent les étudiants d'une filière. Aussi les filières dont la composition est très genrée peuvent accentuer une représentation inégalitaire des membres de l'association. La vie étudiante connaît aussi son lot de violences sexistes et de harcèlement. Chacun sait que le bizutage existe encore, les soirées étudiantes scandaleuses également. Nous faisons des progrès dans ce domaine au sein de notre réseau et j'en suis fière, mais je concède que ces situations peuvent rebuter quelques femmes de participer. Je suis moi-même étudiante en médecine et je peux témoigner que l'esprit carabin qui y réside ne permet pas nécessairement aux femmes d'avoir confiance. Il peut freiner des volontés, alors que, pourtant, nous sommes aujourd'hui majoritaires dans cette filière...

Au-delà de l'enjeu moral et éthique qui nous pousse à promouvoir l'égalité entre femmes et hommes, il faut rappeler que l'association étudiante est aussi une occasion exceptionnelle de porter un message d'égalité. À une phase de leur vie où les étudiants vont construire leur rapport aux autres et leurs comportements, le militantisme étudiant en faveur de l'égalité peut produire ses effets, à long terme. Les enjeux sont nombreux, notamment puisqu'un engagement étudiant peut être un tremplin vers un engagement politique, favoriser une réorientation vers une autre formation ou une reconversion professionnelle. D'autre part, l'expérience d'engagement étudiant permet également de se construire un réseau et d'acquérir des compétences qui ne sont pas celles que l'on acquiert dans sa formation diplômante. Elle permet enfin de s'épanouir. Pour toutes ces raisons, il est absolument nécessaire de rendre cet environnement égalitaire.

À cette fin, la FAGE travaille sur les stéréotypes de genre et propose aux étudiants de réfléchir aux idées préconçues. Même s'il existe encore des sexistes revendiqués, la grande majorité des personnes reconnaîtra qu'elle est favorable à l'égalité entre hommes et femmes. Pourtant nombreuses sont les personnes à conserver des comportements sexistes car ceux-ci ont été intériorisés, le plus souvent inconsciemment, par le plus grand nombre. Nous-mêmes, nous nous interrogeons sur nos pratiques : allons-nous pousser des militantes à évoluer et à prendre des responsabilités ? Allons-nous plus facilement accepter de répondre à leur réticence par : « si tu ne veux pas y aller, ce n'est pas grave » ? N'allons-nous pas plus facilement les « dispenser » d'expériences éprouvantes mais qui à terme, renforcent et donnent confiance? Cette prise de conscience de nos comportements potentiellement différenciés en fonction du genre de la personne que nous avons en face de nous est essentielle et permet de rechercher des solutions.

Nous estimons, entre autres, que ces solutions passent par la formation. Nous travaillons à l'élaboration d'un kit que nous enverrons à toutes nos associations. Ce kit contiendra des livrets théoriques, expliquant les mécanismes sous-jacents aux inégalités de genre, mais aussi des fiches techniques présentant de nombreux outils qui peuvent être mis en place. Nous souhaitons, par exemple, intégrer des fiches de poste types afin de convaincre les associations de créer les leurs. Celles-ci permettront de décrire clairement les qualités requises pour accéder aux postes à responsabilité et feront prendre conscience aux femmes qu'elles disposent bel et bien des compétences requises.

Pour avancer vers cette égalité, nous avons aussi proposé des réformes statutaires et rendu obligatoire la parité dans nos commissions permanentes. Ces commissions, qui réunissent des membres de notre réseau, experts sur des thématiques précises, sont souvent des « réservoirs » de personnes que l'on recrute ensuite pour occuper des postes à responsabilité.

Je me félicite par ailleurs du fait que nos fédérations lancent désormais de manière autonome des projets sur l'orientation, sur la lutte contre le sexisme. Pour conclure et pour répondre à la question de la table-ronde, je dirais qu'il est important de valoriser l'engagement des femmes puisque la valorisation de certaines femmes permet de créer des modèles pour d'autres, modèles auxquels on s'identifie, facilitant ainsi son propre engagement. C'est donc un des vastes chantiers auxquels nous nous attelons.

Corinne Bouchoux

Je vous remercie.

Comme l'a dit notre présidente tout à l'heure, nous avons souhaité, au cours de ce colloque, mettre en valeur un engagement particulier, au service de l'environnement.

Adeline Gerritsen, vous êtes vice-présidente d' OSE ( Organe de Sauvetage Ecologique ). Cette structure est originale puisque sa mission est de nettoyer les zones polluées et de lutter pour la sauvegarde des sites et des paysages. Votre engagement est donc très concret : vous opérez, par exemple, pour ramasser des déchets le long des berges de la Seine et de ses affluents.

Je souhaite que vous puissiez répondre très librement à nos questions. Je fais ce préambule car je sais qu'il peut être plus difficile pour une femme que pour un homme de prendre la parole. Par expérience, jamais un homme ne m'a dit qu'il était stressé de prendre la parole, alors que beaucoup de femmes, y compris des sénatrices, avouent qu'elles sont parfois un peu émues en certaines circonstances.

Vous avez rejoint OSE en 2004 et en êtes devenue vice-présidente en 2013, le président étant son fondateur. Pouvez-vous nous retracer votre parcours au sein de l'association ?

Le fait d'exercer des responsabilités à OSE a-t-il changé votre quotidien ? Cela s'est-il traduit par une plus lourde charge de travail ? Était-ce plus difficile que vous l'imaginiez ? Enfin, comment vivez-vous les manifestations de gratitude que vous avez pu recevoir ?

On évoque assez rarement, quand on parle des inondations, les actions comme celles que vous menez : c'est tout le travail en aval qui est effectué après la catastrophe.

Adeline Gerritsen, vice-présidente de l'association Organe de sauvetage écologique (OSE)

Je suis très honorée d'être parmi vous aujourd'hui. Je représente l'association OSE qui oeuvre pour la sauvegarde de l'environnement en nettoyant des zones polluées, en Ile-de-France mais aussi dans d'autres régions françaises. Je représente aujourd'hui toutes les bénévoles de notre association, qui sont nombreuses, et qui viennent de tous horizons.

Nous avons beaucoup de bénévoles réfugiés, de personnes en difficulté qui, précisément, habitent ces zones polluées et ces berges où nous intervenons le plus souvent. Ces bénévoles font partie intégrante de notre association depuis 2007. Il n'y a pas que des femmes, mais elles sont nombreuses. Beaucoup sont issues de populations Rom.

J'ai intégré l'association OSE en 2004, car je voulais m'engager sur le terrain. J'avais fait des études de droit de l'environnement mais je n'ai pas eu au départ l'opportunité de trouver un emploi en concordance avec mes qualifications. J'ai donc suivi un autre parcours professionnel. Cependant, grâce à mon engagement associatif, j'ai eu l'occasion de retourner vers mes premières amours, puisque je travaille maintenant dans un service de développement durable.

Après un reportage télévisuel, j'ai eu connaissance de l'action de l'association OSE et j'ai contacté son président fondateur, ayant toujours voulu m'engager sur le terrain. Notre association mène en moyenne une action par mois. Ce sont des opérations de nettoyage de grande envergure avec des partenaires institutionnels qui affrètent des bateaux pour nous permettre de collecter tous les déchets qui s'amoncellent. En une matinée, nous pouvons collecter plus de dix tonnes de déchets, avec une trentaine de bénévoles ! Ceci prouve que collectivement, nous pouvons faire beaucoup.

Très rapidement, j'ai intégré le conseil d'administration de l'association. Son président-fondateur a à coeur de mettre les femmes en valeur. J'ai été conseillère administrative de l'association. S'il a fallu un certain temps avant que je devienne vice-présidente, c'est qu'on ne me l'a pas demandé et que je n'ai pas souhaité l'être. Je souhaitais avant tout agir sur le terrain, et je n'aime pas me mettre en avant.

Du fait de ma formation, et parce que j'étais très motivée, je suis allée au-delà du terrain : je me suis investie dans des recherches juridiques, j'ai assumé des tâches administratives, j'ai recherché des subventions. Cet engagement m'a donc donné beaucoup de travail et a commencé à prendre du temps. La question de la conciliation de ma vie privée et de ma vie associative a commencé à se poser, mais mon engagement me poussait à poursuivre mes démarches.

J'ai eu l'opportunité de postuler à des prix, dont le prix Terres de femmes de la Fondation Yves Rocher qui m'a été décerné en 2012. Je lui en suis fortement reconnaissante car ce genre de récompense légitime l'action. Ramasser des déchets n'est pas forcément une mission gratifiante et la remise de ce trophée a permis de valoriser notre action, l'action de l'association avant tout, mais aussi mon action propre. Après l'obtention de ce prix, il m'a été proposé de devenir vice-présidente et j'ai accepté cette responsabilité sans me poser de questions : ce prix m'a donné confiance en moi et m'a soutenue dans ma prise de fonction. Je m'investis encore davantage dans l'association depuis que je suis vice-présidente.

Comment valoriser un parcours associatif ? Peut-être faudrait-il imaginer une reconnaissance systématique pour nous, les femmes. Pourquoi ne pas accorder une décoration spécifique aux représentants associatifs ou à leurs bénévoles ? Sur le plan professionnel, je pense que nous pouvons valoriser nos compétences associatives dans le domaine de la gestion de projet, de la logistique, de la communication, du secrétariat, etc. La vie associative valorise aussi les compétences comportementales, comme par exemple la capacité à travailler en équipe, sans hiérarchie. Ces compétences peuvent être valorisées en entreprise.

Pour conclure, je suis convaincue que toute femme qui souhaite s'engager doit suivre son envie. Je finirai par une citation de Gandhi : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ».

Corinne Bouchoux

J'en viens à notre dernière intervenante, Marie-Anne Gasnier, responsable du programme Terre de Femmes au sein de la Fondation Yves Rocher . Nous abordons maintenant un aspect important de l'engagement associatif des femmes, qui est son indispensable mise en valeur. Le Prix de la Fondation Yves Rocher , précisément, récompense des projets associatifs innovants et valorise le rôle des femmes dans la vie associative. Pensez-vous que ce prix donne confiance aux lauréates ? Y a-t-il un « avant » et un « après » ? Comment les aidez-vous à mieux valoriser leurs actions ou à prendre confiance en elles ?

Depuis que je suis sénatrice, je n'ai pas reçu une seule proposition pour décerner la Légion d'honneur à une femme. Lorsqu'une femme est identifiée, elle décline souvent la proposition, préférant poursuivre son engagement de terrain.

Les femmes doivent-elles apprendre à acquérir de la confiance en elles, réfléchir autrement ? Pour certaines, ces rétributions symboliques sont importantes, pour d'autres, elles le sont moins. Quoi qu'il en soit, ces prix donnent de la visibilité aux engagements associatifs au féminin.

Je vous donne donc la parole pour présenter votre action. Pendant que vous parlerez, nous pourrons voir des images d'une cérémonie de remise de prix et nous verrons que, pour les lauréates, c'est manifestement un grand moment.

[Pendant l'intervention de Marie-Anne Gasnier, est projeté l'enregistrement vidéo, sans le son, de la remise du prix Terre de femmes 2014. ]

Marie-Anne Gasnier, chargée du programme Terre de Femmes de la Fondation Yves Rocher - Institut de France

Le prix Terre de Femmes est remis par la Fondation Yves Rocher , qui est sous l'égide de l' Institut de France , et dont l'objet est de préserver l'environnement et la biodiversité. Il y a quinze ans, la Fondation Yves Rocher - Institut de France a pris conscience que l'égalité des sexes était essentielle pour nos sociétés. Elle a donc créé le prix Terre de femmes pour récompenser les femmes qui agissent pour la protection de l'environnement.

Pourquoi est-il important d'allier l'égalité des sexes et l'environnement ? C'est parce que nous voulons créer un monde plus durable, plus juste, plus harmonieux, pour être plus heureux. Nous sommes fortement animés par cette conviction. Par ailleurs, comme l'a souligné Anne Barre avant moi, les femmes souffrent davantage du changement climatique, mais sont aussi porteuses de solutions dans un esprit positif.

Pourquoi un prix ? Pourquoi une cérémonie ? Il y a quatre dimensions très importantes : ce prix permet tout d'abord aux lauréates de recevoir une dotation financière, car les moyens financiers sont essentiels pour mener des actions. Ce prix permet aussi de mettre en avant des associations et des lauréates. Nous mettons un point d'honneur à valoriser ces dernières non seulement lors des cérémonies de remise de prix, qui sont des moments solennels, mais aussi dans les médias, pour leur donner de la visibilité. En effet, nos lauréates peuvent témoigner dans la presse et dans les magazines pour mettre en avant leurs actions. Grâce au prix, OSE a pu capter de nouveaux soutiens, attirer de nouveaux bénévoles.

Ce prix est aussi une source d'inspiration pour les femmes et les hommes qui ont envie de s'engager et de montrer qu'avec de la volonté, on peut faire changer les choses.

Vous avez parlé de compétences pendant la matinée : notre prix souhaite valoriser des femmes expertes de leur thématique. Nous avons récompensé cette année une femme qui travaille à la préservation d'un lémurien. Ce combat est toute sa vie et nous sommes ravis de la mettre en avant. D'autres femmes n'avaient pas d'expertise particulière avant de s'engager, mais ont souhaité s'investir face à une injustice ou pour défendre une cause. C'est aussi l'envie de faire des choses que nous récompensons. Même si l'on ne détient pas de compétences particulières, il suffit souvent d'être enthousiaste pour avancer. Beaucoup de nos lauréates répondent à ce portrait, comme Adeline Gerritsen, qui n'était pas spécialiste des questions de déchets, mais qui a osé se lancer et qui est aujourd'hui vice-présidente de son association. La mise en avant de ces femmes doit être une source d'inspiration pour d'autres.

Ce prix est également l'occasion de favoriser des rencontres. C'est aussi le plaisir d'être ensemble, de partager un moment d'émotion, de rencontres et d'échanges. Ces actions permettent de créer un réseau de lauréates. Nous avons récompensé 350 femmes en quinze ans, dont plus de soixante-dix en France ! Il est important qu'elles se rencontrent, qu'elles puissent échanger et qu'elles sachent qu'elles ne sont pas seules. Il est aussi important de leur ouvrir notre réseau, même si leurs engagements et leurs projets sont différents. Bien souvent, elles portent leur projet de manière isolée. Grâce à nos jurys, nous pouvons mettre en contact nos lauréates avec des représentants de l' Unesco ou du Comité ONU Femmes - France , par exemple.

Pour terminer, je souhaite leur dire merci. Je le dis avec émotion, car je rencontre des femmes formidables qu'il faut absolument remercier pour ce qu'elles font. Je suis heureuse que la remise de ces prix leur permette de prendre confiance en elles. Ce sont des femmes géniales et il est donc très important qu'elles soient confiantes. En outre, cette confiance peut aussi leur donner envie d'aller plus loin, de faire encore plus ! Dans la situation actuelle, c'est essentiel car nous avons besoin de femmes qui ont envie de s'engager, de personnes positives.

Si ce prix peut donner envie à des femmes de s'engager et d'agir, c'est pour nous le plus important !

Corinne Bouchoux

Pour illustrer ce propos, je vous propose de regarder deux vidéos qui retracent deux témoignages concrets. Nous commençons par Magali Queyranne, qui crée des jardins partagés à Lima au Pérou pour reconnecter l'urbain et la nature. Nous avons choisi ce témoignage car cette jeune femme assimile son engagement associatif à une vocation citoyenne.

[Diffusion de l'interview vidéo de Magali Queyranne :
«
Jardins partagés à Lima ».]

Corinne Bouchoux

Nous allons maintenant entendre notre deuxième témoignage, celui de Mériem Fradj, qui a créé elle aussi des jardins partagés, mais en France, à Valence.

[Diffusion de l'interview vidéo de Meriem Fradj :
«
Jardins partagés à Valence ».]

Corinne Bouchoux

Avant de donner la parole à la salle, je souhaite me tourner de nouveau vers Adeline Gerritsen. Qu'est-ce qui change, grâce à un prix ? Au-delà des moyens que cela permet d'acquérir, est-ce qu'un prix aide à prendre confiance en soi ?

Adeline Gerritsen

Outre la dotation financière, recevoir un prix donne beaucoup de visibilité. Grâce au prix Terre de Femmes de la Fondation Yves Rocher , notre association a pu mieux communiquer sur nos actions. Nous sommes passés à la télévision et j'ai été interviewée par divers magazines. Ce prix m'a aussi permis de parler devant vous aujourd'hui. D'autres opportunités de rendre visibles nos actions devant des publics variés m'ont aussi été offertes.

Cette visibilité est essentielle car le fait de ramasser des déchets n'est pas un acte valorisant en soi. Or ce prix a valorisé notre action et l'a légitimée aussi. La remise de ce prix a également permis une mise en réseau et de belles rencontres. À chaque nouvelle remise de prix, je suis invitée et j'ai ainsi l'opportunité de rencontrer de belles personnes qui forcent le respect. Certaines d'entre elles ont déplacé des montagnes ! Ces rencontres nous permettent de nous découvrir, et aussi de nous enrichir mutuellement.

Corinne Bouchoux

Je voudrais aborder maintenant une autre manière de valoriser l'engagement des femmes, qui est la remise de décoration. Je m'adresse à nos témoins et à la salle.

Personnellement, la remise de décorations n'est pas un acte qui résonne en moi. Je m'adresse cependant aux invitées de la première table ronde : le fait d'avoir reçu une décoration vous a-t-il aidées, outre que recevoir une distinction fait plaisir ? La décoration est-elle selon vous un réel moyen de valoriser l'engagement associatif ?

Gisèle Bourquin, présidente de Femmes au-delà des Mers

Lorsqu'une décoration m'a été proposée, j'ai beaucoup réfléchi. Je ne me suis pas précipitée pour la recevoir, alors que l'autre moitié de l'humanité a tendance à se faire décorer assez vite ! La remise d'une décoration est évidemment un moment agréable, mais il est difficile de savoir dans l'instant quelles pourront être ses conséquences au quotidien. Au fil du temps et souvent à des moments inattendus, l'obtention d'une décoration ou d'un prix permet pourtant de peser. C'est aussi un moyen de crédibiliser notre association. Je suis officier de l'Ordre national du Mérite et j'oublie d'ailleurs souvent de le mentionner. Pour les personnes qui s'engagent avec nous et pour celles que nous sollicitons, ce titre a une résonance, à l'exception peut-être des financeurs. C'est donc avec le temps que l'on se rend compte qu'une décoration a de l'importance.

Damarys Maa Marchand, présidente de la Fédération IFAFE (Initiatives des femmes africaines de France)

Je suis chevalier de la Légion d'honneur. Pour ma part, je ne connaissais pas l'histoire de cette décoration et mon entourage féminin, des femmes françaises pour la plupart, m'avait conseillé de ne pas l'accepter. Pourtant, j'ai accepté cette récompense au nom de tous ceux et de toutes celles qui, malgré tout ce qu'ils ont pu faire pour la collectivité, n'ont pas eu la chance de recevoir une telle distinction. J'ai observé que cette récompense avait permis de nous ouvrir des portes et de rendre plus visible notre organisation. Hier, j'étais à l'Assemblée nationale pour parler du rôle de notre association et de l'accueil des jeunes en stage. Mais je pense que je n'aurais pas été sollicitée si j'avais représenté une association de quartier sans visibilité particulière. C'est aussi parce que nous étions connus que nous avons pu intervenir. C'est donc une forme de reconnaissance. Je souhaite que ces décorations récompensent encore beaucoup de femmes qui s'engagent car ces récompenses donnent aussi du courage !

Corinne Bouchoux

Notre emploi du temps étant très contraint, nous ne pourrons prendre qu'une question avant de laisser la parole à Claire Guichet et Sophie Rétif pour quelques mots de conclusion.

Geneviève Tapie, présidente, Assemblée des femmes - Observatoire régional de la parité

Pour l'Ordre national du Mérite et la Légion d'honneur, nous considérons que l'égale représentation des hommes et des femmes est une condition du pacte républicain. Des femmes se sont battues pour que la parité existe dans l'attribution des ordres nationaux. Je pense notamment à Colette Kreder, ancienne directrice de Polytechnique féminine, qui a obtenu en 2007 la parution d'une circulaire du Président de la République sur cette thématique. J'ai reçu les insignes de chevalier précocement et j'ai d'emblée voulu mettre cette décoration au service des autres. Aujourd'hui encore, systématiquement et inlassablement, nous sollicitons les préfets et nous soumettons des noms de femmes pour que celles-ci soient décorées à parité. À chaque fois qu'une femme est nommée ou promue, cela fait qu'il y a un homme de moins sur la liste officielle... Il faut donc mettre la décoration au service des autres et au service des causes que l'on défend. Si par bonheur, votre récompense est remise par le Président de la République et que votre nom paraît dans la presse, alors vous êtes respectée. Pour autant, rassurez-vous, je ne mets pas ma décoration pour aller nager à la piscine ...

Corinne Bouchoux

Je vous remercie de cette perspective optimiste et pour votre action. Notre matinée d'échanges prend fin et je sais que toutes les femmes engagées ici présentes n'ont pu prendre la parole. Cependant, je pense que le panel de témoins que nous avons constitué témoigne d'une grande diversité, que des solutions existent pour faire bouger les lignes et que les femmes ont de l'énergie à revendre.

Nous faisons partie de la solution à tous les problèmes qui se posent à nos démocraties. Nous n'avons pas pu aborder la question des associations sportives pendant cette matinée. Je souhaite cependant souligner la présence dans cette salle d'Yvonne Le Floch, présidente de l'association Tir sportif Châtenoy le Royal (TSCR) , qui a été invitée ce matin à l'initiative de notre collègue Marie Mercier, sénatrice de la Saône-et-Loire, que je remercie . Vous menez toutes des actions remarquables mais nous n'avons pas eu le temps de tout évoquer dans le délai d'une matinée qui nous était imparti. Je souhaite remercier tout particulièrement toutes les sportives à travers vous.

Conclusion

Corinne Bouchoux

Je vais maintenant donner la parole à Claire Guichet et Sophie Rétif pour que chacune puisse dire un mot de conclusion après ces divers témoignages. Comment réagissez-vous à ces interventions ? Qu'est-ce qui vous a étonnées dans ces prises de parole ? Qu'est-ce qui vous a donné espoir ?

Sophie Rétif, sociologue, auteure de Logique de genre dans l'engagement associatif

J'ai retenu de ces différents témoignages une grande homogénéité des expériences. Ces parcours nous invitent à réfléchir encore aux moyens de mieux valoriser l'engagement associatif des femmes, pas seulement dans le secteur des associations, mais aussi dans le champ politique. J'ai été aussi frappée par les propos de Claire Hédon qui reconnaissait avoir pris conscience qu'elle n'avait peut-être pas su défendre ses intérêts dans son activité professionnelle de journaliste. Cette affirmation invite encore davantage à lutter contre l'intériorisation des stéréotypes de genre.

Claire Guichet, rapporteure pour la délégation aux droits des femmes du CESE de Les forces vives au féminin : les femmes dans la représentation citoyenne

Une chose m'a amusée : on demandait à des femmes de parler des femmes dans l'engagement associatif, et elles nous ont parlé d'abord et avant tout de leur association et de leur mode de fonctionnement. Ce n'est qu'à la fin de leurs interventions qu'elles osaient dire quelques mots d'elles-mêmes. Or c'était cela le sujet ! Ceci démontre que la question de la cause est essentielle. Elle est particulière au milieu associatif où la cause est placée au-dessus de tout. Ainsi, dans les associations de protection de l'environnement, on pourra entendre que l'on ne peut pas évoquer la question de la gouvernance au féminin, car c'est la protection de la nature que l'on défend avant tout. C'est cette posture qui fait que les femmes n'acceptent un poste de présidence que lorsqu'elles sont sollicitées.

J'ai entendu aussi ces femmes qui ont dit ne plus vouloir tenter l'expérience de la politique, considérant que le milieu est trop machiste. Elles préfèrent intervenir au sein d'une association qui respecte leurs valeurs. C'est une tentation que nous avons toutes et que moi aussi j'ai bien souvent. Cependant, je crois que c'est notre responsabilité, une fois que l'on s'engage, d'oser prendre des responsabilités, non seulement parce qu'il faut promouvoir la parité, mais aussi parce qu'il faut que des féministes occupent ces postes. L'enjeu est de changer la manière dont on gouverne les associations, les structures syndicales, les organisations patronales, etc. Il faut faire en sorte de gouverner autrement, comme le fait, par exemple, ATD Quart Monde qui propose d'autres modes d'entrée aux responsabilités. Il faut aussi former, comme le propose Alice Clément à la FAGE .

Pour cela, il faut à la tête de nos associations et de nos fédérations des gens conscients de cette nécessité. Je n'appelle pas les femmes à changer et à se jeter sur les postes à responsabilité comme les autres. Il faut simplement que les femmes utilisent leurs compétences pour que cette bataille ne soit plus celle de toutes les femmes, pour faire en sorte que tous les secteurs de la société civile et de la vie citoyenne soient des secteurs dans lesquels l'égalité vive.

Alice Clément disait tout à l'heure que le secteur des affaires sociales dont elle s'occupe est un poste de femmes dans les associations étudiantes. Lorsque j'ai été la vice-présidente en charge des affaires sociales de la FAGE , c'était pourtant une première. Jusqu'alors, jamais aucune femme n'avait occupé ce poste, considérant qu'il était trop politique. Mais c'est par ce poste que je suis devenue présidente de la FAGE . Je souhaite donc encourager toutes les « vice » de cette salle à devenir un jour présidente...

Reprenant pour l'adapter le slogan de la COP 21 « Changeons le système, pas le climat », j'ai envie de vous dire : changeons la gouvernance, ne changeons pas les femmes !

Corinne Bouchoux

Avant de nous quitter, je souhaite aussi saluer les hommes qui ont été parmi nous ce matin, comme le sénateur Joël Labbé et toutes les femmes de son département, le Morbihan, qui sont venues partager ce moment avec nous.

En quelques mots, je souhaite également vous inviter à lire l'ouvrage d' ATD Quart Monde : En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté . Profitons aussi de l'été prochain pour relire ces livres d'histoire qui nous montrent que nous avons beaucoup avancé en un siècle. Faisons en sorte de consolider la République dans un sens inclusif ! Faisons en sorte que la fraternité et la bienveillance ne soient pas une vision d'utopie, mais un projet collectif et partagé. Merci à toutes et à tous.

Annexes

AU-DELÀ DES MERS. PAROLE DE FEMME

(Document communiqué par Gisèle Bourquin,
présidente de Femmes au-delà des Mers ,
en vue de la publication des actes du colloque)

De la Polynésie à Miquelon, des Antilles à Mayotte, des Terres australes à Wallis et Futuna, les françaises d'outre-mer détiennent une grande diversité de richesses culturelles, des connaissances particulières, des talents indéniables... Et pourtant on les connaît peu. Elles pourraient partager, entre elles, idées et savoirs, mais elles ne se connaissent pas. L'association Femmes au-delà des Mers braque le projecteur sur ces femmes, stimule l'échange des savoirs, revivifie les racines. La greffe va-t-elle prendre ?  Leur exemple sera-t-il suivi par toutes les femmes de ces terres lointaines ?

*

Malgré des progrès indéniables, la femme d'outre-mer peine à s'imposer. Le phénomène n'est pas réservé à ces régions. Il y est simplement beaucoup plus important. On peut considérer qu'il y a plusieurs façons de rétablir l'égalité entre hommes et femmes : la coercition par des lois sur la parité, ou bien l'incitation au dépassement de soi par l'exemple. La première solution implique une volonté du Gouvernement de s'attaquer frontalement à une société encore phallocrate. La seconde implique une libération de la femme par elle-même. Deux approches qui loin d'être antinomiques peuvent et doivent se compléter.

C'est la seconde approche qu'a choisie, semble-t-il, Femme au-delà des Mers , une association créée à Paris par Gisèle Bourquin. Cette dernière, après avoir occupé une chaire d'enseignante à l'université de Kisangani (Congo), enseigné le français en Iran, organisé des Salons du livre de l'Outre-mer et bien d'autres choses, a décidé qu'il était temps de mettre le projecteur sur des femmes remarquables de la France d'outre-mer. Elle a donc donné à son association pour objectif de faire connaitre celles qui ont un parcours original ou remarquable, de stimuler les échanges de savoirs, de constituer un fonds documentaire à partir d'archives, de documents et d'objets ayant appartenu aux anciens pour retracer leur histoire et ce qui a construit leur identité, car « Celui qui oublie ses racines n'atteint jamais sa destination » dit un proverbe philippin.

Véhiculer une image positive

Et l'idée a pris. De prestigieux parrains et marraines ont rejoint l'association : Yves Chémla, professeur à Paris V, chercheur en littérature francophone, Aimé Charles-Nicolas, psychiatre et professeur de médecine, Michel Chatot, responsable du réseau des directions régionales à la Caisse des dépôts et consignations Titouan Lamazou, navigateur, écrivain et artiste peintre, Marie-Claude Tjibaou, ancien membre du Conseil économique, social et environnemental régional de la Nouvelle-Calédonie, présidente du conseil d'administration de l'Agence de développement de la culture Kanak (ADCK), Annie Heminway, professeur à l'Université de New York (NYU), Monique Raikovic, écrivain et médecin en retraite.....

Ni fermée, ni sectaire, l'association a suscité tout naturellement l'adhésion de personnes originaires des DOM-TOM. Mais elle a attiré également des métropolitains, hommes et femmes, ce qui est la preuve d'une grande curiosité à l'égard de ces contrées lointaines. Il ne fait pas de doute qu'en métropole, on a souvent, de ces terres d'outre-Mer, une image à connotation touristique. Leurs richesses culturelles, intellectuelles et sociales sont assez peu appréhendées. Comment expliquer que des femmes talentueuses ou ayant un parcours original restent souvent dans l'ombre ? Les causes en sont multiples, la première est qu'en dehors de Mme Taubira, on ne leur tend guère le micro. D'autre part, en matière de communication institutionnelle vers l'hexagone, seul le tourisme fait florès, tandis qu'épisodiquement, la presse se fait plutôt l'écho des dévastations de cyclones, du chômage et d'autres cataclysmes qui eux, véhiculent des images plutôt négatives. Et pourtant... La deuxième raison réside dans l'éloignement. Beaucoup de ces femmes ont quitté leur lieu de naissance, pour développer leurs talents là où elles pourraient exercer leur métier avec plus d'efficacité ou tout simplement là où les aléas de la vie les ont entraînées. Prenons quelques exemples dans les « portraits » que présente le site de Femmes au-delà des Mers . Jenny Alpha a fait sa carrière en métropole, Marylin Sophocle aux États-Unis, Maxette Olsson habite la Suède, Murielle Wiltord Latamie oeuvre pour le tourisme martiniquais à New York... Femmes au-delà des Mers va les chercher, là où elles se trouvent, car cette transplantation démontre à l'évidence, leur capacité d'intégration, d'adaptation, leur capacité à proposer et imposer leur différence en même temps que leur projet. Une affirmation de soi qui devrait faire école. C'est pourquoi cette galerie de portraits, est un « projet » fort de l'association. Largement commencé et jamais terminé il s'allonge au fil des découvertes de « nouveaux talents », de nouvelles réussites. « L'idée qui préside à la réalisation de cette galerie de portraits, explique Gisèle Bourquin, est de constituer une mosaïque de talents et d'itinéraires singuliers, de mettre en lumière des femmes au parcours exceptionnel. Ces femmes doivent être en vie, originaires d'une région de l'outre-mer français ou avoir un lien avec l'outre-mer. Mais elles peuvent résider aux quatre coins de la planète. Tous les profils nous intéressent, toutes les générations, toutes les disciplines, tous les pays. Nous recherchons des talents insolites, des itinéraires singuliers ou des parcours hors pair à travers le monde ».

Mobiliser les femmes

On pourrait citer, parmi ces femmes étonnantes la Martiniquaise Marie-Claude Valide qui a fait vaciller le monopole d'Air France, en créant la première compagnie low cost , la Validair, qui proposait des billets Antilles/métropole à des prix jamais vus. Et même si les entraves se sont multipliées, même si le pot de terre a explosé contre le pot de fer, on ne peut manquer de reconnaître l'extraordinaire aventure de cette femme et regretter qu'elle ait manqué de soutiens et d'une notoriété qui l'eussent protégée. Mais quelles étaient les causes sous-jacentes de cet échec ? Était-ce parce que c'était une femme ? Parce qu'elle osait lever la tête ? Parce qu'elle touchait à un monopole ? Sans doute tout cela à la fois. Dommage, car Marie Claude-Valide a apporté à une autre île des Caraïbes, anglaise cette fois-ci, sa passion d'entreprendre. Un formidable exemple à suivre.

On serait tenté de dire qu'il ne faut pas qu'un tel gâchis se reproduise. Il ne faut pas que de tels talents soient assassinés. Il ne faut pas désespérer les femmes, faire avorter leurs ingéniosité. C'est un problème éthique, mais c'est aussi un problème économique. Et là aussi Femme au-delà des Mers a un rôle à jouer. Vitrine des femmes qui gagnent, quel que soit le domaine ou l'importance économique de leur action, Femme au-delà des Mers est aussi un ferment de l'entrepreneuriat par la confiance qu'elle redonne aux femmes. « Ce n'est pas tant la profession qui importe mais plutôt le fait que ce soit des femmes qui apportent quelque chose à la société, qui rayonnent, qui ont un savoir à faire connaître et à transmettre », précise Gisèle Bourquin ». Le coup de projecteur que donne l'association a pour but non seulement de faire de ces femmes des exemples, mais de mobiliser celles qui pourraient sortir de l'ombre et les encourager à mettre en oeuvre leurs projets.

Échanger les savoirs de toute nature

Femme au-delà des Mers mise sur un autre pôle, celui de l'échange de savoirs. « Mettre en avant les savoirs des femmes d'outre-mer, qui, de par la variété de leurs univers (Amérique, Océanie, Terres australes, Europe...) représentent le « Tout Monde » c'est participer de ce mouvement. Mais c'est aussi mettre en valeur la spécificité de leur culture métisse et enrichir le débat d'idées par un éclairage nouveau, que ce soit en matière de science de la nature, de structure familiale, de traditions... » Évoquant le haka polynésien lors des célébrations du 14 juillet 2015 place de la Concorde, Gisèle Bourquin a ainsi rappelé que la France est une France plurielle : « L'outre-mer, de la Polynésie à St-Pierre-et-Miquelon, est un véritable laboratoire. Nous avons beaucoup à apprendre, notamment en matière d'habitat, de comportement, de gestion des risques naturels. On peut donner l'exemple des pratiques traditionnelles de soins où le savoir se transmet de génération en génération. Cette connaissance de la nature, que l'on retrouve chez les amérindiens mais également chez les kanaks sont des savoirs anciens qui régulièrement sont récupérés et adaptés par la médecine dite moderne ».

Et pour cet échange de savoirs, Gisèle Bourquin n'hésite pas à mobiliser les médias : conférences, articles dans la presse. Elle participe aux manifestations sur les grandes figures de la Martinique, féminines, bien sûr, mais également masculines comme Aimé Césaire, sur lequel elle a rédigé une thèse, sur Gontran Damas qu'elle a connu, ou encore Gaston Monnerville.

Des racines et des êtres

« Les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut... », avait dit un jour Frédéric Mistral et dans un projet comme celui de Femme au-delà des Mers qui mise sur la richesse culturelle des terres d'au-delà des mers, il est fondamental de conserver, de diffuser ce qui peut en témoigner. Qui sait quels trésors trainent dans les greniers de ceux qui ont fait leur vie en métropole ou ailleurs et dont les descendants n'ont pas le même attachement à ces choses ? « Il fallait éviter à tout prix que les richesses des aînés soient perdues, commente Gisèle Bourquin , c'est ce qui nous a conduit au projet Patrimoine Unique et Privé. Il s'agit de rassembler des archives privées rares (photos, manuscrits, oeuvres d'art, audio, numériques). Chaque propriétaire participe de la mémoire collective de sa famille, de sa culture et de la conservation d'un certain patrimoine, jusqu'ici non protégé. Le moindre objet peut faire sens. En effet, si isolé, il semble appartenir à la mémoire individuelle, associé à d'autres, il participe à l'élaboration d'une « Histoire commune ». Tâche titanesque qui nécessitera des soutiens importants... Mais que serait l'image de la France sans le Louvre ?


* 1 Traite des êtres humains, esclavage moderne : femmes et mineur-e-s, premières victimes - Rapport d'information n° 448 (2015-2016) de Mmes Corinne Bouchoux, Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Brigitte Gonthier-Maurin, Chantal Jouanno et Mireille Jouve, sénatrices, fait au nom de la délégation aux droits des femmes.

* 2 L'agence FRONTEX est un organisme de l'Union européenne chargé de coordonner la coopération opérationnelle entre les États membres en matière de gestion des frontières extérieures, d'assister les États membres pour la formation de garde-frontières nationaux et dans les situations qui exigent une assistance technique et opérationnelle renforcée aux frontières extérieures.

* 3 Laure Adler, À l'aube du féminisme : les premières journalistes, Payot, 1979.

* 4 Laurence Klejman et Florence Rochefort, L'égalité en marche, le féminisme sous la III ème République, Presses de la Fondation nationale de sciences politiques, 1989.

* 5 La Bibliothèque Marguerite Durand, fondée en 1932, conserve une riche documentation sur l'histoire des femmes et du féminisme. Elle est située à Paris, dans le 13 ème arrondissement.

* 6 Cf . Juliette Rennes, Le mérite et la nature : une controverse républicaine, l'accès des femmes aux professions de prestige , Paris, Fayard, 2007.

* 7 Il s'agit d'étoffes fabriquées à partir d'écorces battues (écorces de mûrier, de jeunes arbres à pain ou du banian), les couleurs des étoffes étant différentes en fonction des essences.

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