N° 481

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 mars 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) relatif à l' adaptation de la fiscalité à l' économie collaborative ,

Par MM. Éric BOCQUET, Michel BOUVARD, Michel CANEVET, Thierry CARCENAC, Jacques CHIRON, Philippe DALLIER, Vincent DELAHAYE, André GATTOLIN, Charles GUENÉ, Bernard LALANDE et Albéric de MONTGOLFIER,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Éblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'économie collaborative fait aujourd'hui partie du quotidien de millions de Français : ils achètent et vendent sur Leboncoin , voyagent avec Blablacar , louent leur voiture sur Drivy , leur poussette sur Zilok , leurs talents de bricoleur sur Stootie . Certains sont de véritables professionnels, chauffeurs VTC ou graphistes sur Hopwork .

Cette nouvelle économie, qui démultiplie les possibilités d'échanges et brouille les frontières existantes, a longtemps donné l'impression de se développer hors de tout cadre juridique. Une série d'événements, de la fermeture d' UberPop à la récente interruption de Heetch , en passant par les problèmes d' Airbnb à Paris, a rappelé qu'il n'en était rien. En matière fiscale et sociale, les règles existent bel et bien - et elles sont profondément inadaptées.

Contrairement à ce que pensent de bonne foi de nombreux utilisateurs, il n'existe pas en matière fiscale de « zone grise » : tous les revenus sont imposables au premier euro, quels que soient leur origine ou leur montant, et peu importe qu'ils soient occasionnels ou accessoires. Et s'ils relèvent le plus souvent du droit commun, ils peuvent aussi dépendre d'une multitude de régimes complexes, souvent désuets, et largement ignorés.

Il n'existe que deux exceptions. D'abord, les ventes d'occasion, mais leur définition est imprécise. Ensuite, le « partage de frais », mais il est très restrictif : s'il permet ainsi d'exonérer le covoiturage, il ne s'applique pas à un ménage qui louerait de temps en temps sa voiture pour couvrir ses dépenses courantes.

En matière sociale, par contre, il existe bien une « zone grise », du fait de l'absence de critère simple et objectif pour distinguer les particuliers des professionnels. Il n'existe aucun minimum en termes de revenu, de temps ou de fréquence, de sorte que quelques heures de babysitting par mois ou la vente sur Internet de quelques bijoux « faits main » peuvent, sous peine de constituer un travail dissimulé, entraîner une affiliation obligatoire au régime social des indépendants - et donc le paiement des cotisations sociales et impôts professionnels, l'obligation d'effectuer un stage de qualification, de respecter les normes d'hygiène et de sécurité, etc.

Toutes ces règles ont été conçues dans un monde d'échanges « physiques », celui des vide-greniers, des brocantes dominicales et des petits services entre voisins. S'agissant des échanges entre particuliers, elles n'étaient pas remises en cause... tout simplement parce qu'elles n'étaient pas appliquées. La faiblesse des enjeux répondait à celle des moyens de contrôle.

Alors que ces échanges sont devenus massifs, standardisés et souvent traçables à l'euro près, il n'est plus possible de « ne pas poser la question ». Si les règles étaient appliquées, elles décourageraient de nombreux particuliers et condamneraient largement l'économie du partage et son écosystème. D'un autre côté, comme elles ne sont pas appliquées, elles permettent de nombreux abus, avec de « faux particuliers » qui échappent à leurs obligations fiscales et sociales, causant à la fois une distorsion de concurrence et une perte de recettes publiques.

Le groupe de travail de la commission des finances du Sénat sur la fiscalité du numérique, dont la composition est pluraliste et le fonctionnement collégial, a présenté le 29 mars 2017 une proposition de loi visant à instituer un régime fiscal et social simple, unifié et équitable pour l'économie collaborative 1 ( * ) . Celui-ci serait fondé sur un seuil unique de 3 000 euros par an, connu de tous.

En matière fiscale, il permettrait une exonération des petits revenus complémentaires et accessoires perçus via des plateformes, et serait dégressif pour les revenus supérieurs, de sorte que toute personne percevant un revenu significatif serait traitée strictement à égalité avec les professionnels du monde « physique ».

En matière sociale, le seuil de 3 000 euros permettrait enfin de distinguer clairement un particulier d'un professionnel : sous ce seuil, il ne serait jamais obligatoire de s'affilier à la sécurité sociale en tant que travailleur indépendant. La Belgique et le Royaume-Uni ont aussi choisi la simplicité d'un système fondé sur des seuils.

En contrepartie de ces avantages, l'utilisateur devrait accepter que la plateforme déclare ses revenus à l'administration fiscale : ce n'est pas seulement un moyen d'assurer l'équité de traitement entre tous les contribuables, c'est aussi un service et un allégement des démarches. Ce système existe en Estonie, où il rencontre un grand succès.

En pratique, la très grande majorité des utilisateurs de plateformes collaboratives serait d'ailleurs exonérée grâce à l'avantage fiscal : chacun peut le constater grâce à un simulateur sur le site Internet du Sénat 2 ( * ). Et tout ce qui est exonéré aujourd'hui (ventes d'occasion, covoiturage...) le resterait demain, même au-delà de 3 000 euros. La mesure ne créé aucun nouvel impôt.

Le groupe de travail propose aussi d'adapter certaines règles obsolètes, comme l'interdiction de participer à plus de deux brocantes par an, ou l'obligation pour les fonctionnaires d'obtenir un accord écrit de leur supérieur hiérarchique pour exercer une activité complémentaire - deux règles qui s'appliquent assez mal aux pratiques numériques...

Ces propositions ont semblé trouver un bon accueil auprès de nombreux acteurs rencontrés, tant du côté des plateformes collaboratives que du côté des professions traditionnelles qui, au fond, demandent la même chose : des règles simples, équitables et respectées.

C'est le sens du présent rapport, et de la proposition de loi qui en découle : il y a là une opportunité qu'il ne faut pas manquer.


* 1 Cette proposition de loi fait suite aux premières propositions formulées en 2015. Voir à cet égard le rapport n° 690 (2014-2015), « L'économie collaborative : propositions pour une fiscalité simple, juste et efficace », 17 septembre 2015, fait par Michel Bouvard, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Philippe Dallier, Jacques Genest, Bernard Lalande et Albéric de Montgolfier.

* 2 http://www.senat.fr/espace_presse/actualites/201509/fiscalite_du_numerique_vers_un_
prelevement_plus_efficace.html#c632042