II. FAIRE MIEUX AU NIVEAU EUROPÉEN : LA RECHERCHE DE LA PLUS VALUE EUROPÉENNE

Le scénario n° 4 du Livre blanc de la Commission sur l'avenir de l'Europe prévoit de « faire moins mais de manière plus efficace » . Cette ambition mérite d'être saluée tant elle doit permettre de renforcer la visibilité de l'Union européenne et d'améliorer la lisibilité de ses interventions. La Commission y détaille les domaines dans lesquels l'Union européenne pourrait intensifier son action. Elle cible principalement l'innovation, le commerce, la sécurité, la migration, la gestion des frontières et la défense. Le groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne avait, dans son rapport sur la refondation publié en février 2017, retenu les mêmes objectifs 17 ( * ) .

La recherche de la plus-value européenne n'implique pas forcément d'y parvenir à 27. Les coopérations renforcées ont été insuffisamment utilisées depuis leur introduction dans le droit européen par le traité d'Amsterdam en 1997. Trois seulement ont été mises en place. Elles concernent les règles communes concernant la loi applicable aux divorces des couples binationaux (2010), le brevet de l'Union européenne (2011) et la taxe sur les transactions financières (2013).

Les coopérations renforcées

Les articles 43 à 45 du Traité sur l'Union européenne et 326 à 334 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, révisés à l'occasion du Traité de Lisbonne, détaillent les modalités de mise en oeuvre des coopérations renforcées.

Les rédacteurs du Traité de Lisbonne ont souhaité faciliter le recours à ce dispositif, qui peut désormais porter sur tous les domaines de l'action européenne, à condition de réunir au moins neuf États membres. L'autorisation de procéder à une coopération renforcée est accordée par le Conseil des ministres, qui statue à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement européen. Dans le domaine de la politique étrangère et de la sécurité, l'autorisation est accordée par le Conseil des ministres statuant à l'unanimité.

La Commission et les États participant à une coopération renforcée encouragent le plus grand nombre d'États à devenir partie à cette coopération, mais seuls les États participants peuvent adopter des actes.

Les coopérations renforcées doivent permettre d'associer toutes les « bonnes volontés » et garantir un véritable effet d'entraînement. Elles peuvent constituer le cadre pour permettre de démontrer la capacité de réaction des États, unis face aux crises de toute nature - financière, économique, militaire, migratoire - et souligner, auprès des opinions publiques, la plus-value d'une action commune en la matière. Comme l'a relevé le groupe de suivi en février 2017, elles semblent condamnées à la réussite, tant elles doivent démontrer l'intérêt d'une action européenne et attirer, in fine , les États initialement réticents. Elles portent en effet, en elles, la relance du projet européen mais aussi son accomplissement à l'échelle de toute l'Union européenne. Il convient donc d'agir en faveur du développement de cette Europe à « géométrie variable » ou en « cercles concentriques ».

A. PROGRESSER VERS L'EUROPE-PUISSANCE

Le débat sur la plus-value européenne doit être replacé dans le cadre d'une réflexion plus générale sur les ambitions que nous entendons assigner à l'Union européenne. Si nos concitoyens récusent une Union européenne trop interventionniste au quotidien, ils privilégient une Europe qui s'affirme sur la scène internationale afin, notamment, de faire face aux défis sécuritaires. L'Europe-puissance ou « l'Europe qui protège » se décline dans plusieurs domaines : défense, sécurité, gestion de la crise migratoire ou négociations commerciales. Parvenir à son accomplissement doit être l'un des fils rouges de notre réflexion sur une meilleure répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres.

1. La lutte contre le terrorisme

Face à une menace terroriste transfrontalière, l'interconnexion des services de renseignements et la coopération entre les autorités policières et judiciaires font évidemment figures de priorité. Elles donneraient du sens à l'objectif de plus-value européenne. La Commission européenne table sur la création d'une agence européenne dédiée à la lutte antiterroriste, destinée à dissuader et à prévenir les attentats graves dans des villes européennes par le repérage et le signalement systématiques des suspects. Elle entend également faciliter l'accès à des bases de données européennes contenant les informations biométriques des délinquants.

Tout en rappelant que l'Union n'interviendrait dans ce domaine qu'en appui des États membres, cette ambition mérite d'être appuyée mais aussi d'être approfondie. Vos rapporteurs souhaitent notamment que l'entraide judiciaire européenne se concrétise au travers du renforcement d'Eurojust. Il s'agit d'aboutir à la création d'un véritable bureau d'ordre européen permettant des recoupements entre des procédures judiciaires ouvertes dans différents États membres. Dans le même temps, il apparaît indispensable d'étendre les missions du futur parquet européen à la criminalité transfrontière, ciblant ainsi le terrorisme. La Commission semble aujourd'hui vouloir avancer en ce sens d'ici à 2025 18 ( * ) .

2. Quels contours pour une défense européenne ?

La plus-value européenne devrait également se concrétiser dans le domaine de la défense. La Commission européenne table, dans son scenario, sur un développement des capacités communes de défense. Vos rapporteurs partagent ce constat. Il apparaît néanmoins indispensable de rappeler que la politique de défense reste par nature intergouvernementale et que le développement annoncé de capacités communes passe avant tout par une meilleure mutualisation des efforts financiers.

Il convient au préalable de tirer pleinement partie des dispositions des traités qui permettent, d'ores et déjà, de développer le financement européen des opérations de stabilisation et de formation des secteurs de la sécurité des pays en sortie de crise. Il est également juridiquement possible de créer une structure permanente de planification, de commandement et de conduite des opérations militaires liées à la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Au-delà, la question des capacités communes de défense implique une réflexion sur leur financement. Il pourrait ainsi être envisagé une réforme du mécanisme de financement des opérations militaires de la PSDC (Athéna), au travers d'une augmentation de la part européenne. Il s'agit également de susciter et d'amplifier les financements européens pour la recherche de défense et le développement de capacités communes avec la création d'un Fonds européen de la défense. La majoration des ressources et des responsabilités de l'Agence européenne de défense comme outil de développement des programmes d'armement européen et de définition des normes applicables aux équipements constitue une autre option. La participation de la Banque européenne d'investissement à des financements de défense, en particulier en faveur des PME, ne doit pas être écartée.

La dimension intergouvernementale de la politique de défense doit, dans le même temps, être approfondie. Là encore, les traités permettent la mise en place de nouveaux instruments, à l'image d'un Conseil européen de sécurité et de défense pouvant proposer les impulsions politiques nécessaires pour favoriser l'émergence d'un marché et d'une base industrielle européens de défense. Ses réunions seraient préparées par un Conseil des ministres de la défense. Le recours aux coopérations structurées permanentes doit également être envisagé.

3. Faire face à la crise migratoire

La Commission européenne est particulièrement ambitieuse s'agissant de la gestion des frontières extérieures de l'Union. Le scenario n° 4 prévoit ainsi que l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (FRONTEX) prenne entièrement en charge leur contrôle. Toutes les demandes d'asile seraient, par ailleurs, traitées par une unique agence européenne pour l'asile. Elle rejoint ainsi le souhait du groupe de suivi du Sénat qui appelait à l'émergence rapide d'une véritable police européenne des frontières.

Vos rapporteurs souhaitent apporter trois précisions sous l'angle de la subsidiarité.

En premier lieu, tout renforcement de l'intervention de l'Union européenne dans le domaine migratoire doit être doublé d'une réflexion sur la gouvernance même de l'espace Schengen . Un pilotage stratégique doit être instauré dans le cadre de réunions spécifiques des ministres de l'intérieur, distinctes de celles du Conseil Justice et Affaires intérieures. Il s'agit également de réfléchir au principe de responsabilité du pays de première entrée pour l'examen des demandes d'asile et de parvenir à un partage plus équitable de cette charge. Si la responsabilité des pays de première entrée doit être maintenue dans la mesure où elle est le gage de leur implication dans la gestion des frontières extérieures de l'Union européenne, il n'en apparaît pas moins nécessaire d'introduire dans ce système un mécanisme correcteur permettant une solidarité à l'échelle européenne en cas de pression migratoire exceptionnelle, à l'instar du mécanisme de relocalisation. Dans le même temps, il convient de faire émerger un véritable droit européen de l'asile, au travers d'une réforme ambitieuse du règlement dit Dublin III, portant sur le contenu et les procédures 19 ( * ) .

Ensuite, s'agissant de la gestion même des frontières par FRONTEX, elle implique que les États membres contribuent effectivement à la formation de la réserve d'intervention rapide dotée de 1 500 hommes, tout en continuant à assurer la mise à disposition de personnels nationaux pour les opérations courantes dans un contexte où leurs ressources dans ce domaine sont limitées, voire sous pression. Il apparaît indispensable, dans ces conditions, de relever rapidement le défi du recrutement et de la formation de profils adaptés.

Il apparait enfin indispensable de laisser aux États membres des marges de manoeuvre afin de pouvoir contrôler leurs frontières intérieures en cas de menaces pour la sécurité ou l'ordre public.

4. L'Union européenne, géant commercial ?

La Commission européenne souhaite, dans le scenario n° 4, que l'Union européenne soit en mesure de prendre des décisions rapides concernant la négociation et la conclusion d'accords commerciaux. Vos rapporteurs partagent cette position à condition qu'elle soit encadrée par deux principes : la transparence entourant lesdites négociations et la défense des intérêts des États membres.

La politique commerciale de l'Union doit, notamment, faire l'objet de débats réguliers dans les parlements nationaux le plus en amont possible, par exemple avant l'adoption en Conseil du mandat de négociation confié à la Commission pour le lancement d'un accord de libre-échange. La transparence doit aussi s'exercer au cours de la négociation avec la transmission de documents traduits et la diffusion aussi large et anticipée que possible d'études d'impact préalables, tant à l'engagement de négociations qu'à la mise en oeuvre provisoire des accords conclus. De même, une politique systématique de suivi de l'application de ces accords, après une certaine durée d'application, est nécessaire. Le scenario n° 4 insiste sur la rapidité de prise de décision par la Commission en matière commerciale. Ce qui semble induire un renoncement au principe de mixité des accords commerciaux, qui implique une procédure de décision associant Union européenne d'un côté et parlements nationaux de l'autre . La Cour a, en effet, récemment jugé que le volet commercial d'un accord appelle un avis des représentations nationales alors que le volet investissement relève de la compétence exclusive de l'Union européenne 20 ( * ) . Tout renoncement à la mixité implique une association préalable des parlements nationaux à la définition du mandat et, par la suite, à toutes les étapes des négociations.

Dans le même temps, la stratégie européenne en la matière doit permettre à l'Union de s'affirmer comme une puissance commerciale , centrée sur la défense de ses intérêts et donc de ceux des États membres. Elle doit donc utiliser les outils de défense commerciale dont elle dispose, promouvoir ses propres normes et travailler à une réciprocité équilibrée dans l'accès aux marchés publics. Au cours d'un échange récent avec votre commission des affaires européennes, la commissaire européenne chargée du commerce, Mme Cecilia Malmström, a indiqué qu'elle réfléchissait à des formes de protection de l'Europe contre des importations peu vertueuses du point de vue environnemental 21 ( * ) .


* 17 Rapport précité.

* 18 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : Programme de travail de la Commission pour 2018 : Un programme pour une Europe plus unie, plus forte et plus démocratique (COM (2017) 650 final).

* 19 Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

* 20 Avis de la Cour 2/15 du 16 mai 2017 relatif à l'accord de libre?échange entre l'Union européenne et la République de Singapour.

* 21 2018, une nouvelle année de défis pour l'Union européenne, rapport d'information n° 253 (2017-2018) de MM. Jean Bizet, Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Mmes Gisèle Jourda, Fabienne Keller et M. Pierre Médevielle, au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, 25 janvier 2018.