D. UN NOUVEAU CARTON ORANGE ?

L'arrangement trouvé le 19 février 2016 avec le Royaume-Uni sur la question de la subsidiarité dans le cadre du paquet Tusk a été rendu caduc par le résultat du référendum britannique. Il n'est pas question de le reprendre dans sa totalité compte tenu du résultat du référendum britannique. Il comportait néanmoins un point précis visant spécifiquement le contrôle de subsidiarité par les parlements nationaux. Celui-ci pourrait être réétudié.

Ainsi, selon l'arrangement, dans le cas où les avis motivés sur le non-respect du principe de subsidiarité par un projet d'acte législatif de l'Union représentent plus de 55 % des voix attribuées aux parlements nationaux, la présidence du Conseil devrait inscrire la question à l'ordre du jour du Conseil afin que ces avis motivés et les conséquences à en tirer fassent l'objet d'une délibération approfondie. À la suite de cette délibération, les représentants des États membres pourraient mettre fin à l'examen du projet d'acte en question ou le modifier pour prendre en compte les préoccupations exprimées. Cette modification du protocole n° 2 permettrait de rendre plus précise la procédure dite du « carton orange ».

Aux termes du protocole n° 2, la procédure est en effet plus complexe. Si la moitié des parlements nationaux émet un avis motivé sur une même proposition législative, dont l'adoption est soumise à la procédure de codécision, la Commission européenne doit alors réexaminer sa proposition et décider de la maintenir, de la modifier ou de la retirer. Si elle choisit de la maintenir, le Parlement européen et le Conseil devront vérifier, avant d'achever la première lecture, la conformité du texte au principe de subsidiarité. Si le Parlement européen, à la majorité des suffrages exprimés, ou une majorité de 55 % des membres du Conseil, estiment qu'il n'est pas conforme, la proposition législative est considérée comme rejetée et son examen n'est pas poursuivi. Ce dispositif n'a, pour l'heure, jamais été utilisé.

E. RÉVISER LES TRAITÉS ?

Les premiers échanges au sein de la task force mise en place par la Commission européenne font état de pistes qui peuvent apparaître pertinentes.

La première concerne les seuils retenus pour émettre un carton jaune. Il est en effet possible de s'interroger sur l'efficacité d'un dispositif qui nécessite un tiers des parlements nationaux pour généralement aboutir à un simple réexamen du texte. Trois cartons jaunes seulement ont été adressés à la Commission européenne depuis l'entrée en vigueur du protocole n° 2, ce qui témoigne d'une relative difficulté à atteindre le seuil requis. Sur ces trois cartons jaunes, un seul a débouché sur un retrait du texte 14 ( * ) . Les deux autres n'ont donné lieu qu'à un examen formel, sans modification, permettant uniquement de préciser les motivations de la Commission européenne 15 ( * ) . Dans ces conditions, il pourrait être envisagé un abaissement d'un seuil considéré comme relativement exigeant alors même que le carton jaune ne lie pas réellement la Commission européenne.

Une deuxième piste de travail consiste en la possibilité pour les parlements nationaux de pouvoir réexaminer le texte au titre de la subsidiarité dès lors que celui-ci a connu des modifications substantielles au cours des négociations au Conseil et au Parlement européen. Le protocole n° 2 limite en effet à 8 semaines le délai d'examen d'un texte, soit avant le début effectif des négociations. En octobre 2015, notre commission a ainsi été conduite à adopter un avis politique, transmis directement à la Commission européenne, pour relever que le projet de règlement relatif à des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l'Union européenne, présenté en avril 2014 et largement amendé ensuite au Conseil, ne respectait pas le principe de subsidiarité 16 ( * ) . Il aurait été pertinent que les parlements nationaux puissent coordonner leurs actions visant ce projet dans le cadre prévu pour la subsidiarité, dès lors que nos arguments relevaient d'un contrôle de cette nature.

Dans ces conditions, vos rapporteurs ne peuvent qu'accueillir favorablement de telles options. Ils s'interrogent néanmoins sur la possibilité de les mettre en oeuvre effectivement. À la différence de l'allongement des délais de réponse en début de processus ou de l'examen des actes délégués qui peuvent être envisagés dans le cadre d'une lecture assouplie du protocole n° 2, les deux pistes évoquées impliquent une modification de celui-ci enclenchant un processus de révision des traités, et ne peuvent donc être envisagées qu'à moyen et long terme. En effet, comme l'a rappelé le groupe de suivi dans son rapport sur la refondation de l'Union européenne, la révision des traités n'est pas la priorité du moment. Elle risquerait en effet d'absorber l'élan politique nécessaire à la refondation de l'Union, tout en ne répondant pas aux aspirations actuelles des citoyens européens. Il s'agit donc de privilégier, en premier lieu, des solutions pragmatiques qu'il est possible de mettre en oeuvre très rapidement pour permettre des avancées concrètes, lisibles et efficaces.

Il convient dès lors d'encourager l'élaboration d'une déclaration commune dans le cadre de la COSAC, aux termes de laquelle la Commission européenne s'engagerait à réexaminer les textes dès qu'un seuil minimal, plus réduit que celui fixé par le protocole n° 2, était atteint. Ce texte prévoirait également une nouvelle transmission des textes dès lors qu'ils ont fait l'objet de modifications substantielles lors des négociations. Ce type de procédure informelle n'est pas une nouveauté. La Commission s'est déjà engagée récemment à examiner, au cas par cas, des initiatives législatives européennes des parlements nationaux, pourtant non prévues par les traités. S'agissant de la subsidiarité, des expériences pilotes ont été menées dans le cadre de la COSAC en 2005. Elles ont préfiguré la mise en place du dialogue sur la subsidiarité entre la Commission et les parlements nationaux. Avant d'être prévu par les traités, celui-ci a pris la forme d'une initiative en faveur d'un dialogue direct avec les parlements nationaux centré sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, présenté par l'ancien président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, suite aux référendums négatifs en France et aux Pays-Bas en 2005 sur le projet de traité constitutionnel européen. Cette initiative a été validée par le Conseil européen, réuni les 15 et 16 juin 2006. Le dialogue direct a été lancé le 1 er septembre 2006 et a perduré jusqu'à l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.


* 14 Proposition de règlement relatif à l'exercice du droit de mener des actions collectives dans le contexte de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services (COM (2012) 130 final). Le Sénat en adressant un avis motivé à la Commission européenne avait contribué à atteindre le seuil requis.

* 15 Proposition de règlement portant création du Parquet européen (COM (2013) 534 final) et Proposition de directive modifiant la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services (COM (2016) 128 final). Le Sénat ne s'est pas associé au carton jaune visant la révision de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs.

* 16 Avis politique sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l'Union européenne (COM (2014) 43 final), 29 octobre 2015.