INTRODUCTION

Votre commission a constitué, en octobre 2017 un groupe de travail sur le thème des nouvelles routes de la soie, coprésidé par Monsieur Pascal Allizard et Madame Gisèle Jourda. Sont également membres du groupe de travail Monsieur Édouard Courtial et Monsieur Jean Noël Guérini. Plus l'étude de ce sujet a été approfondie -au cours d'un déplacement à Pékin, Changchun, Hong-Kong, puis Islamabad et Karachi en décembre 2017 et au long de plusieurs dizaines d'auditions menées de décembre 2017 à mai 2018-, plus la richesse et la complexité du sujet se sont déployées.

En 2000, une boucle logistique entre la France et la Chine prenait trois mois. En 2012, il fallait compter au minimum un mois pour acheminer des marchandises depuis Shanghai jusqu'à Rotterdam par la mer, via le canal de Suez, moins de trois semaines en train, et environ quinze jours en camion. Le 21 avril 2016, un premier convoi ferré a rallié Wuhan à Lyon en quinze jours, après un périple de 11 000 kilomètres. Le 23 février 2017, le Premier ministre français, de passage en Chine, a assisté à l'arrivée en sens inverse d'un train chargé de bouteilles de Bordeaux et de pièces détachées en provenance des usines PSA. Pour autant, 80 % des trains arrivés chargés en France en repartent vides. Cette asymétrie illustre bien une des problématiques lourdes du sujet.

Entre ces deux dates, en 2013, le Président Xi Jinping a lancé son projet des nouvelles routes de la soie développant des lignes de communication routières, ferroviaires, maritimes et électroniques pour relier la Chine à l'Europe et à l'Afrique orientale. Deux axes composent ces nouvelles routes de la soie : un axe terrestre traversant l'Europe centrale, l'Asie centrale, la Russie, le Caucase, mais aussi la Turquie, l'Iran, l'Afghanistan et le Pakistan et un axe maritime reliant la Chine à l'Afrique orientale et à la Corne de l'Afrique.

Du simple label commercial au nouvel ordre mondial aux caractéristiques chinoises, les acceptions que recouvrent les « Nouvelles routes de la soie » sont nombreuses. Sans doute autant que les traductions de l'intitulé de cette politique chinoise qui varient au fil du temps. « Yi dai yi lu », en Chinois est ainsi devenu « one Belt, one Road » -OBOR- « une ceinture, une route » où la ceinture est terrestre et la route maritime- puis, en 2017 « Belt and Road initiative » - BRI- traduite par l'Initiative des Nouvelles Routes de la Soie. La dénomination varie également en fonction des zones géographiques : la route de la soie se fera polaire, aérienne, ou deviendra au Pakistan « le corridor économique sino-pakistanais », soit en anglais le « China-Pakistan Economic Corridor » -CPEC-. Enfin, la logique d'installation de comptoirs commerciaux et de rachats ou de constructions de ports tout au long de ces nouvelles routes conduit également à les appeler le « collier de perles ».

Ces changements de nom sont-ils ce que l'on nomme du « window-dressing » dans le domaine comptable et financier, c'est-à-dire une opération visant à embellir une réalité, une sorte de « changement de façade » qui pourrait inquiéter, comme si la politique chinoise avançait drapée de nouveaux atours alors que les précédents ont été critiqués. Est-ce au contraire, comme le soutient Pékin, la preuve que cette politique évoluerait pour prendre en compte les aspirations des pays qui la rejoignent ?

L'ancienne route de la soie attise toujours l'imagination du monde, les nouvelles routes de la soie ne font pas exception. Elles véhiculent autant de promesses que de prévention dans l'imaginaire collectif. Promesse de développement, partagé dans le meilleur des cas, crainte de l'hégémonie chinoise, alimentée par le discours sur « le retour sur le devant de la scène » d'une « puissance chinoise longtemps humiliée ». Quels sont alors les objectifs que la Chine dissimulerait derrière ces nouvelles routes de la soie aux noms multiples ? Faudrait-il s'attendre à un changement de leadership de la gouvernance mondiale à l'heure où le positionnement et le rôle international des États-Unis sont devenus peu lisibles, et peut-être plus faibles un an après l'élection de Donald Trump ? Le fait même de choisir le terme « initiative » dans la dernière dénomination des nouvelles routes de la soie n'est sans doute pas anodin ; après des années de reproduction de la mondialisation occidentale, la Chine veut reprendre la main, se projette comme une puissance globale, exportant son modèle de développement sous le nom BRI.

Ces nouvelles routes de la soie ont pour elles l'inscription dans la durée. Rome ne s'est pas faite en un seul jour, les nouvelles routes de la soie ont encore devant elles une trentaine d'années pour se construire. Elles doivent en effet être achevées en 2049, pour le centenaire de la fondation de la République populaire de Chine.

À ce jour, on considère qu'elles concernent directement 70 % de la population mondiale, 75 % des ressources énergétiques mondiales et 55 % du PIB mondial 2 ( * ) . Les montants consacrés par la Chine à cette politique seraient compris entre 5 000 et 8 000 milliards de dollars dans les cinq prochaines années. Les besoins de financement pour tous les projets rattachés aux nouvelles routes de la soie pourraient dépasser le trillion (le milliard de milliard) annuel.

Il a donc semblé important de mener un travail pédagogique afin de répondre à cette première question : que sont les nouvelles routes de la soie ? Faut-il y voir d'abord un instrument de développement intérieur et extérieur de la Chine ? Peut-on répondre à cette question : un réseau d'infrastructures vecteur de croissance mondiale ? S'agit-il sans doute aussi de la déclinaison d'une vision géopolitique chinoise, c'est-à-dire d'une politique de puissance dans un cadre géographique déterminé, d'un « desserrement » occidental de la Chine 3 ( * ) ?

Cette première réponse détermine la position que la France, mais aussi l'Europe, doivent et peuvent adopter face à cette initiative.

Dans cette perspective, faut-il évaluer les domaines dans lesquels la Chine est un partenaire, ceux dans lesquels elle est un concurrent, voire un adversaire, dans le cadre de la mise en oeuvre concrète de ces nouvelles routes de la soie ? Est-il encore temps de se poser ces questions face au succès indéniable de l'initiative chinoise ?

Faut-il considérer les nouvelles routes de la soie comme une formidable aventure pour tous les pays, Chine comprise ? Bénéfique à tous les pays traversés, car répondant à leurs besoins spécifiques ?

Faut-il enfin questionner cette politique en étudiant ses limites, tant en termes d'impact environnemental, que d'augmentation du risque systémique dans les pays désormais très endettés auprès de la Chine ?

Pourquoi la France n'a-t-elle pas signé le mémorandum 4 ( * ) marquant son adhésion aux nouvelles routes de la soie, ni lors du forum international des nouvelles routes de la soie qui s'est tenu en mai 2017, ni lors du voyage présidentiel en janvier 2018 ? Que penser de la division des pays européens, entre ceux qui ont déjà signé un mémorandum et ceux qui ne l'ont pas, ou pas encore fait ? Quelles sont les conditions dans lesquelles cette politique chinoise sera un succès, bénéfique pour toutes les parties ?

I. LE SUCCÈS DES NOUVELLES ROUTES DE LA SOIE

A. UN NARRATIF PUISSANT

La Chine cumule désormais les attributs de la puissance : puissance économique, puissance diplomatique 5 ( * ) et puissance militaire.

1. La deuxième puissance militaire mondiale
a) La Chine s'investit dans les opérations de la paix de l'ONU

En 1990, la Chine a envoyé cinq observateurs militaires au Moyen-Orient. À partir de 2003, la Chine a envoyé des unités non militaires en République démocratique du Congo, au Libéria et au Soudan. Pour la première fois en 2013, les 170 premiers casques bleus chinois ont été déployés dans le cadre d'une force de sécurité oeuvrant au sein de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en Somalie.

En 2015, la participation de la Chine aux opérations de maintien de la paix a connu une augmentation conséquente sur décision du Président Xi Jinping. Il a engagé 8 000 soldats dans la force de paix de réserve de l'ONU, soit un cinquième des 40 000 hommes de cette force constituée de 50 pays. Cette même année, l'engagement chinois a également été financier avec 100 millions de dollars attribués à la force de réserve de l'Union africaine, et un milliard de dollars pour la création du Fonds de l'ONU pour la paix et le développement.

Aujourd'hui 2 500 casques bleus chinois sont déployés dans neuf opérations de maintien de la paix. La Chine contribue à hauteur de 10,29 % au budget de maintien de la paix de l'ONU (contre 28,57 % pour les États-Unis).

La Chine est désormais le premier contributeur en personnel aux opérations de maintien de la paix dans le monde . Cette position est le résultat d'efforts financiers importants, de la mise en oeuvre d'une réforme en profondeur de l'armée chinoise et du développement d'une base industrielle de défense puissante.

b) Les éléments de la puissance militaire chinoise

Quoique ralentie en même temps que la croissance économique, la progression des dépenses militaires reste très soutenue, soit 7,6 % en 2016. Cette augmentation était la plus faible depuis 2010. Les vingt dernières années, les crédits consacrés à la défense ont connu une croissance à deux chiffres. En 2018, la progression des dépenses de défense devrait s'établir à 8,1 %. Le budget chinois de la défense atteint 175 milliards de dollars, soit 142 milliards d'euros et 1,5 % du PIB chinois. PIB dont la croissance exceptionnellement dynamique suscite l'envie et assoit l'attraction que la Chine exerce sur de nombreux acteurs économiques et étatiques. La Chine est ainsi devenue la deuxième puissance militaire mondiale et fournit l'effort financier visant à combler le fossé qui la sépare encore des États-Unis. Selon la revue spécialisée « Jane's » 6 ( * ) , les dépenses militaires chinoises devraient ainsi atteindre 233 milliards d'euros en 2020 (contre 123 milliards en 2010).

La Chine développe une armée moderne dont elle ambitionne qu'elle devienne la première armée mondiale à l'horizon 2049. Les troupes chinoises ont diminué de 300 000 personnes en 2017 pour fixer l'effectif à deux millions de personnes, dans le cadre de la modernisation menée de façon volontariste afin de se conformer aux plus hauts standards et de parvenir à se déployer sur des théâtres extérieurs. Les objectifs de réforme de l'armée chinoise comprennent à la fois le renforcement du contrôle du parti communiste chinois, et le développement de la capacité de l'armée populaire chinoise à mener des opérations conjointes. Enfin, l'armée de libération du peuple chinois doit pouvoir s'engager dans des conflits régionaux de courte durée et dans des conflits d'intensité élevée sur des théâtres extérieurs.

À ces efforts budgétaires et de modernisation de son armée s'ajoute, selon le SIPRI 7 ( * ) , le fait que neuf conglomérats chinois de l'industrie militaire figurent parmi les 100 premières firmes mondiales du secteur. Deux d'entre eux, Avic, dans le domaine aéronautique, et Norinco, dans les systèmes terrestres, se hissent aux 10 premiers rangs de ce classement.

À la modernisation de son armée, la Chine ajoute la modernisation de ses systèmes militaires. La Chine s'arme à grande vitesse. La marine chinoise est désormais la deuxième marine du monde, après celle des États-Unis. Au cours des quatre dernières années, la Chine a mis à la mer l'équivalent du tonnage de toute la flotte française. La production de masse des sous-marins nucléaires chinois de nouvelle génération est annoncée. Ce mouvement de rattrapage engagé depuis déjà plusieurs années se double d'une nouveauté dans le domaine technologique. La Chine serait ainsi en passe d'égaler la supériorité technologique de l'Occident dans des domaines de plus en plus nombreux.

C'est dans ce contexte que doit être examiné le projet chinois des nouvelles routes de la soie.

2. ...et la deuxième puissance économique mondiale...

En une quinzaine d'années, la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale 8 ( * ) , avec une richesse nationale évaluée par le FMI à 12 362 milliards de dollars en 2017 (soit une augmentation de + 9% par rapport à 2016), pour 19 377 milliards de dollars pour les États-Unis, première puissance économique mondiale (avec une progression de 4 % sur 12 mois). Elle est le premier exportateur mondial et le premier détenteur de réserves de change.

a) Une croissance spectaculaire mais insoutenable en l'état
(1) Une croissance exceptionnelle

La croissance qu'a connue la Chine depuis les années 1970 est, selon la Banque mondiale, plus rapide que celle de tout autre pays. Le PIB chinois représentait 3 % du PIB mondial en 1978, et plus de 15 % en 2016 (contre 2,3 % pour le PIB français). La Chine est également le premier exportateur mondial depuis des années, loin devant les États-Unis, l'Allemagne et le Japon, selon les statistiques de l'OMC.

Le rythme de la croissance chinoise est certes moins rapide qu'il n'a été, et aux pourcentages de progression d'une année sur l'autre à deux chiffres ont succédé des taux de croissance annuelle plus proche de 7 ou 6 %. En 2015, la croissance chinoise est « tombée » à son niveau le plus bas depuis 25 ans avec 6,9 % d'augmentation du PIB. Si des interrogations se sont fait jour sur l'ampleur qu'aurait le « ralentissement », tout relatif, de la croissance chinoise, qui restait deux fois supérieure à la croissance mondiale, elles ont rapidement été dissipées par la stabilisation juste en dessous de 7 % de la progression de la richesse nationale chinoise.

La profondeur du marché chinois structure l'offre mondiale dans d'importants secteurs économiques tels que l'automobile et l'industrie nucléaire. Avec une richesse nationale de près de 11 000 milliards de dollars, représentant les deux tiers de celle des États-Unis, la Chine s'est parfaitement insérée dans l'économie mondiale, au point que les variations de la bourse de Shanghai sont désormais suivies de près. Les relations bilatérales économiques déséquilibrées entre la France et la Chine sont présentées en annexe. La Chine est, devant l'Allemagne, le premier déficit commercial bilatéral de la France, avec 30,4 milliards d'euros en 2016.

En 2017, le PIB chinois aurait ainsi progressé de 6,9 % contre 6,7 % en 2016. Ces chiffres sont à prendre avec une certaine prudence au vu de la fiabilité relative des statistiques chinoises qui font régulièrement l'objet de révision à la baisse par les autorités et qui sont jugées un peu surestimées par certains économistes. Même en retenant les hypothèses les plus prudentes, alors que le monde occidental traversait une crise de croissance, les taux de progression de l'économie chinoise restaient supérieurs à 5 % sur la période. Le FMI estime la croissance chinoise de 2016 à 6,5 %, avec une forte augmentation de la part de la consommation dans cette création de richesse, soit 66 %. La croissance chinoise ne serait donc plus principalement tirée par les grands projets d'État.

(2) Des faiblesses structurelles

Malgré cette réussite, le modèle de croissance chinois ne paraissait pas présenter tous les critères de soutenabilité à long terme comme le relevait en 2015 le rapport de la commission intitulé « Chine : saisir les opportunités de la nouvelle croissance » 9 ( * ) . Les points de faiblesse suivants étaient ainsi recensés :

- l'importance des inégalités sociales et territoriales ;

- les conséquences environnementales dramatiques du modèle de développement économique chinois basé sur le développement des infrastructures et de l'industrialisation rapide ;

- une évolution démographique défavorable, faisant craindre aux autorités chinoises que « le pays devienne vieux avant d'être riche » ;

- un risque non nul de voir la Chine tomber dans « la trappe des pays à revenus intermédiaires », caractérisant la situation des pays qui, après une phase de croissance rapide, ne parviennent pas à rejoindre le groupe des économies avancées.

L'augmentation des coûts salariaux et la raréfaction des ressources naturelles sont également des facteurs pesant sur le modèle de développement chinois expansif.

Enfin, en 2017, la dette chinoise totale s'établit à un niveau record de 250 % du PIB. Les agences de notation et le Fonds monétaire international (FMI) ont estimé très préoccupants les risques de crise et l'insoutenabilité d'une croissance gonflée au crédit 10 ( * ) , ce qui a amené la Chine à prendre des mesures visant à encadrer les conditions d'octroi des prêts par ses banques, y compris dans le cadre du développement des nouvelles routes de la soie.

(3) Une économie en surcapacités

À cela s'ajoute une réelle crise de surcapacités de l'économie chinoise, dont la décision américaine de taxer les importations d'acier et d'aluminium est la plus récente illustration. Selon la Chambre de commerce de l'Union européenne à Pékin, depuis plusieurs années, l'économie mondiale est menacée de déstabilisation par les très importantes surcapacités de production industrielle chinoises, notamment dans la sidérurgie ou le ciment, résultat d'une multiplication des investissements décidés par les autorités chinoises -souvent à crédit- alors même que la demande fléchissait, doublée d'un violent refroidissement du marché immobilier et de la construction dans le pays.

L'ampleur du phénomène est saisissante :

- la sidérurgie chinoise a produit plus en 2015 que les quatre autres principaux pays producteurs réunis que sont le Japon, l'Inde, les États-Unis et la Russie. Or, la moitié des aciéristes chinois est déficitaire. En l'absence de demande au niveau national, la production chinoise recherche des débouchés dans la construction d'infrastructures à l'extérieur du pays. En 2015, sur les 800 millions de tonnes d'acier produites par les entreprises d'État chinoises, on estime que 112 millions ont été exportées à prix cassés, faute de trouver des débouchés à l'échelle nationale ;

- de 2015 à 2016, les cimentiers chinois auraient produit davantage de ciment que les cimentiers américains pendant tout le XX e siècle. La multiplication des projets d'infrastructures au niveau mondial permet à Pékin de réduire cette surproduction qui met en danger ce secteur si important pour l'économie chinoise et qui crée des tensions avec les États-Unis et l'Europe notamment.

b) Une mutation décidée et annoncée
(1) Un choix politique « Chine 2030 »

L'essoufflement du modèle de développement chinois, l'existence de surcapacités industrielles, et les faiblesses intrinsèques de l'économie chinoise sont connus et analysés par les autorités chinoises et mondiales qui ont posé les bases de la modernisation de l'économie chinoise.

Dès 2010, la Banque mondiale et le think tank du Conseil d'État chinois ont évalué le développement de la Chine et ses perspectives de développement. Ces travaux ont abouti à la publication en 2013 d'un rapport intitulé « Chine 2030 : construire une société moderne, harmonieuse et créative ». Aux termes de ce rapport, la réalisation de l'ambition de la Chine à l'horizon 2030 repose sur les six piliers suivants : la consolidation des fondations du marché, la valorisation de l'innovation, la promotion d'un développement vert, la mise en oeuvre de la protection sociale pour tous, le renforcement des finances publiques et la mise en oeuvre de relations mutuellement bénéfiques entre la Chine et le reste du monde.

Cette orientation a trouvé deux déclinaisons : le plan quinquennal 2015-2025 : Made in China et le 13 e plan quinquennal 2016-2020.

(2) ...mis en oeuvre de façon volontariste

Le plan Made in China 2025 vise la transition du « fabriqué » en Chine vers le « conçu » ou « l'innové » en Chine, de la quantité vers la qualité, des produits vers les marques, pour faire de la Chine l'un des tout premiers pays manufacturiers du monde d'ici 2049, année du centenaire de la fondation de la République Populaire de Chine.

Avec une épargne domestique orientée vers l'immobilier et une certaine perte de compétitivité liée à la hausse récente des coûts de production, la Chine n'a pas progressé aussi vite dans le domaine des hautes technologies que nécessaire pour continuer d'alimenter sa croissance. Le plan Made in China vise à y remédier en faisant passer le pays du statut d'usine du monde à celui de grande puissance industrielle, voire la plus grande puissance industrielle. Ce plan vise la montée en gamme de l'industrie chinoise afin d'absorber la hausse des coûts de production et de réduire la pollution en Chine.

Pour cela, la Chine a mis en place une série de prêts, de subventions et d'aides fiscales, et selon la Chambre de commerce européenne de Pékin des restrictions d'accès de certains marchés aux acteurs étrangers 11 ( * ) . Ainsi, la volonté de créer des champions nationaux se traduit par de nombreux objectifs chiffrés qui devraient avoir pour conséquence la réduction des parts de marchés des entreprises européennes en Chine. La dépendance de la Chine vis-à-vis de fournisseurs étrangers pour les technologies clés et les composants fondamentaux doit être réduite de 40 % à l'horizon 2020 et de 70 % à l'horizon 2025. Selon la Chambre de commerce européenne de Pékin, et d'après les documents chinois relatifs au Made in China 2025, des centaines d'objectifs de parts de marché sont fixés par secteurs ou technologies clés, avec des taux de répartition entre les acteurs chinois et les acteurs étrangers, bien loin des règles de libre concurrence et d'ouverture que la Chine annonce par ailleurs promouvoir dans le cadre des nouvelles routes de la soie contre la tentation du repli protectionniste.

Le 13 e plan quinquennal pour sa part fixe les grandes orientations économiques de la Chine de moyen terme en mettant l'accent sur trois domaines : l'accès généralisé à Internet, le secteur des services et les industries stratégiques. L'objectif de croissance fixé par les autorités chinoises est de doubler le PIB de 2010 à l'horizon 2020, en limitant le déficit public à 3 % du PIB malgré les investissements publics.

La Chine est parvenue à intégrer le yuan au panier de devises du Fonds monétaire international 12 ( * ) en dépit de sa non convertibilité, au terme d'un long processus politique lancé en 2009. Le plan prévoit également une certaine stabilité du Renminbi/Yuan qui a été dévalué en 2015 avant son intégration au panier de devises.

Le 13 e plan vise la restructuration de l'industrie et la création d'emplois. La priorité affichée est la restructuration des industries dans les secteurs sidérurgique et houiller : la suppression de 1,8 million d'emplois est ainsi annoncée dans ces deux secteurs. La réduction du nombre de postes dans les entreprises aujourd'hui soutenues par l'État atteindrait 5 à 6 millions d'ici à la fin de 2018. Les pouvoirs publics annoncent un effort important, de l'ordre de 21 milliards d'euros, pour soutenir les personnes licenciées et créer sur la période de programmation 10 millions d'emplois dans d'autres secteurs économiques.

Pour atteindre de tels résultats, le plan quinquennal assoit l'innovation comme principal moteur de développement en consacrant 2,5 % du PIB à la recherche et définit les industries stratégiques qui doivent être les priorités économiques jusqu'en 2025. La Chine souhaite devenir autonome dans les domaines suivants : les nouvelles technologies de l'information, la robotique, le domaine aérospatial, les biotechnologies, l'ingénierie navale et ferroviaire, les véhicules électriques et de basse consommation, les équipements électriques et les équipements agricoles. La protection de l'environnement, le développement de nouvelles énergies et de matières nouvelles et l'intelligence artificielle sont également des secteurs prioritaires aux termes du 13 e plan.

3. Les défis posés par les surcapacités chinoises
a) Des résultats conditionnés à l'écoulement des surcapacités

La croissance économique chinoise doit faire face au défi que représente sa dépendance aux crédits. Avec une dette chinoise supérieure à 260 % du PIB en 2017, contre 150 % en 2006, l'économie paraît en effet dopée à l'endettement. Selon le FMI, la dette chinoise pourrait, si elle conserve le même rythme de croissance, atteindre 300 % du PIB dès 2022.

Ce phénomène touche tous les acteurs économiques chinois : l'endettement des entreprises est jugé trop élevé par les économistes et l'endettement des ménages chinois augmente rapidement. Dans un tel contexte, les marges d'action des autorités chinoises sont restreintes : geler le crédit aurait un impact négatif très important sur la croissance chinoise.

Des mesures ont été prises pour renforcer le contrôle des risques :

- les conditions d'achat et d'octroi de prêts dans le domaine immobilier ont été durcies ;

- des conditions restrictives ont été définies pour encadrer les micro-prêts en ligne ;

- les projets d'investissement en partenariat public-privé doivent faire l'objet d'un audit du ministère des finances chinois, afin d'évaluer leur solvabilité ;

- des chantiers ont été stoppés, tels que la construction de lignes de métro dans des grandes villes en Mongolie 13 ( * ) .

Malgré ces mesures, la Commission de régulation bancaire chinoise reste préoccupée par des risques financiers qu'elle qualifie de complexes, rejoignant ainsi l'analyse du FMI qui estime que les banques chinoises ne disposent pas des outils et des ressources financières nécessaires pour faire face aux tensions persistantes dues essentiellement aux « sociétés zombies », c'est-à-dire aux entreprises étatiques non rentables qui ne survivent que grâce aux crédits publics qui leur sont consentis. Les mesures prises par le pouvoir central pour réguler le crédit et le secteur bancaire et financier mais aussi pour améliorer les conditions environnementales, qui l'ont conduite à fermer des usines ne respectant pas les nouvelles normes, pèsent sur le secteur de la construction et de l'immobilier qui reste un des piliers de la croissance chinoise.

En termes de surcapacités, selon le rapport de la Chambre de commerce de l'Union européenne à Pékin 14 ( * ) , le rééquilibrage voulu par le pouvoir central rencontre, en l'absence d'un autre secteur économique alternatif capable de prendre le relais localement, une réelle résistance des gouvernements locaux (provinces et municipalités) cherchant à préserver l'emploi local et leurs recettes fiscales. Les secteurs en surcapacités sont déconnectés des besoins de marchés et reposent de fait sur le soutien des administrations locales qui investissent des fonds et facilitent l'obtention de crédits. Toujours selon la chambre, avec la récente envolée des prêts bancaires en Chine, dopée par une politique monétaire accommodante, les risques de créances douteuses et de défauts de paiement grimpent fortement... concernant essentiellement ces mêmes secteurs industriels dont l'activité s'exporte le long des nouvelles routes de la soie.

La nécessité d'écoulement des surcapacités de production chinoises est perçue par de nombreux analystes comme un puissant motif de développement des nouvelles routes de la soie qui visent au moins autant à sécuriser les sources d'approvisionnement de l'économie chinoise, notamment en minerais rares, indispensables dans l'industrie de haute qualité et plus largement dans les nouvelles technologies, et en terres agricoles, qu'à fournir de nouveaux débouchés, de nouveaux marchés aux entreprises publiques chinoises.

b) Les réactions aux surcapacités chinoises

L'annonce en mars dernier par les États-Unis de la mise en oeuvre de nouveaux tarifs douaniers de 25 % sur les importations d'acier et de 10 % sur celles d'aluminium visait essentiellement les exportations chinoises 15 ( * ) . Si elles sont relativement peu importantes aux États-Unis, les exportations chinoises ont fait baisser le prix mondial de l'acier en raison d'une production massive. L'Union européenne a pour sa part ouvert 28 enquêtes sur 52 produits d'acier chinois importés depuis 2014, estimant que le soutien public à ce secteur économique est responsable d'importants effets de distorsion des prix.

En réponse à la taxation américaine, Pékin a saisi l'OMC pour contester les taxes américaines et a établi une liste de plus d'une centaine de produits américains sur lesquels des droits de douanes compris entre 15 et 25 % devraient s'appliquer. Les fruits, le porc sont concernés mais aussi le soja (taxé à 25 %), les voitures, les petits avions, etc. La Chine et les États-Unis ont finalement annoncé renoncer à toute guerre commerciale et à l'augmentation des droits de douane respectifs, le 20 mai 2018, faisant état d'un « consensus » sur le fait de prendre des mesures pour réduire de manière significative le déficit des États-Unis sur les échanges de marchandises avec la Chine.

L'existence de surcapacités chinoises est également source de tensions entre Bruxelles et Pékin 16 ( * ) . La Chine est le premier pays à avoir fait l'objet d'une enquête de la Commission européenne, ce qui s'explique par le fait que 94 des 144 taxes antidumping et antisubventions instaurées par l'Union européenne visent des produits chinois 17 ( * ) . L'analyse européenne de l'économie chinoise justifie le fait que l'Union n'ait pas accordé le statut d'économie de marché à la Chine, comme le prévoyait le protocole d'accession du pays à l'OMC. L'État continue de jouer un rôle prépondérant dans l'économie chinoise, empêchant les prix domestiques ou à l'exportation de refléter l'équilibre issu du marché entre l'offre et la demande. À titre d'exemple, dans le secteur de la céramique, la Chine décline son soutien sous forme de fonds d'innovation, de prêts préférentiels, d'incitations à l'export, de transferts financiers, de réduction d'impôts, de prix préférentiels pour l'utilisation du sol bâti, etc. ce qui conduit à un abaissement jugé artificiel des prix, et à la mise en place de taxes douanières antidumping comprises entre 13,9 et 69,7 % sur les tuiles en céramique.

L'Union européenne reproche également les contraintes pesant sur les investissements étrangers en Chine. La participation des investisseurs étrangers aux joint-ventures est limitée à 49 % du capital dans les domaines des télécoms et de l'assurance par exemple, et ne peut excéder 50 % dans celui de la construction automobile. La création de ces joint-ventures est de plus conditionnée à la réalisation de transferts de technologie au profit de la Chine. Enfin, les marchés publics chinois ne sont pas aussi ouverts que les marchés européens puisque la législation chinoise prévoit un traitement préférentiel des entreprises nationales, clause dite de « Buy China », notamment dans les secteurs de l'énergie, de la construction et de l'ingénierie. Tous secteurs qui trouvent des débouchés accrus dans le cadre des nouvelles routes de la soie.

4. ... propose un narratif puissant

Depuis 2013, la Chine dessine pas après pas une stratégie dite des nouvelles routes de la soie 18 ( * ) ou « une ceinture, une route », en anglais « one Belt, one Road » ou « Belt and Road initiative » -BRI-. Ces termes seront ci-après utilisés indifféremment et indépendamment de toutes nuances qui pourraient être associées au moment d'apparition de l'un ou de l'autre.

a) L'émergence des nouvelles routes de la soie

Avant 2013, l'acheminement de marchandises par liaison maritime entre Shanghai et Rotterdam prenait au moins un mois. L'acheminement par voies terrestres durait près de trois semaines en train et au moins quinze jours en camion. L'objectif des dirigeants chinois consiste à réduire ces temps de transports.

La stratégie des nouvelles routes de la soie est directement portée par le président chinois Xi Jinping et un petit groupe de dirigeants chargé de la promouvoir. Le renforcement du pouvoir du Président chinois au 19 e congrès du parti communiste chinois a considérablement accru le poids stratégique de ces nouvelles routes de la soie.

Elles s'appuient sur des décisions successives qui en esquissent peu à peu les contours :

• en septembre 2013, l'initiative est présentée comme s'adressant aux pays d'Asie centrale pour bâtir une ceinture économique le long de l'antique et mythique route de la soie ;

• en octobre 2013, c'est encore le président chinois qui, lors d'une réunion sur la coopération économique pour l'Asie-Pacifique, en Indonésie, présente le volet maritime du projet ;

• en mars 2014, les corridors Chine-Pakistan d'une part et Bangladesh-Chine-Inde-Myanmar d'autre part sont annoncés comme prioritaires. Le même mois, une plate-forme d'exportation pour les pays d'Asie centrale, bâtie par la Chine et le Kazakhstan, est inaugurée dans le port de Jiangsu ;

• en mai 2014, l'agence de presse Xinhua She a rendu publique une première carte officielle de « la nouvelle route de la soie », reproduite ci-dessous, dont les principales caractéristiques n'ont pas cessé de varier depuis.

Source : agence de presse Xinhua She

Cette nouvelle stratégie émerge donc petit à petit pour rassembler deux tracés : celui d'une route maritime de la soie, dite du XXI e siècle, et celui d'une ceinture économique de la route de la soie longue de 11 000 km.

Les deux routes combinées devraient former une sorte de boucle reliant trois continents : l'Asie, l'Afrique, l'Europe . Cette initiative se présente comme un projet géographique de connexion des pays traversés avec une vocation de développement économique : on parlait encore en 2014 de géo-économie, sans visée géopolitique explicite .

• en novembre 2014, le fonds de la route de la soie - Silk Road Fund, doté de 40 milliards de dollars (36 milliards d'euros) en capital, est créé lors du sommet de l'APEC ;

• en mars 2015, le plan d'action « construire ensemble la ceinture économique de la route de la soie et la route maritime du XXI e siècle - perspectives et actions » est publié par la République de Chine. Concrètement, partis de Wuhan dans le centre de la Chine, des trains de marchandises contenant des appareils électroménagers, des vêtements et des pièces détachées parcourent les steppes d'Asie centrale pour arriver, une fois par semaine, à la gare de Vénissieux dans la métropole lyonnaise en 17 jours. De même Yiwu, dans la province de Zhejiang, et Londres, soit un trajet long de 12 000 km, font l'objet d'une liaison ferroviaire en 18 jours, Duisbourg et Chongqing sont reliés en 16 jours. Lodz est connecté à Chengdu (en 15 à 17 jours, soit moitié moins de temps que n'en prendrait un fret océanique), et Xiamen. Ces liaisons sont assurées par des trains de longueur exceptionnelle, 700 m de long, 22 wagons, organisés en convoi. Diverses compagnies ferroviaires opèrent telles que le China Railway Express, filiale de la compagnie nationale chinoise ou la Trans Eurasia logistic, associant la Deutsche Bahn, la société ferroviaire russe et la société ferroviaire du Kazakhstan. Le rythme de desserte, actuellement hebdomadaire dans la plupart des cas, est appelé à devenir quotidien dès que le fret de retour sera assuré ;

• du 20 septembre au 10 octobre 2016, une exposition internationale culturelle de la route de la soie est organisée à Dunhuang. La France y est l'invitée d'honneur. 67 pays y sont associés, principalement d'Asie centrale, d'Asie du Sud-Est et d'Europe centrale. Le grand projet économique et infrastructurel chinois se trouve ainsi complété par un volet culturel ;

• enfin, les 14 et 15 mai 2017 s'est tenu à Pékin le sommet des routes de la soie . Présenté comme un forum international de développement, il a réuni 29 chefs d'État ou de gouvernement 19 ( * ) , et 69 pays y étaient représentés. Le secrétaire général des Nations Unies, présent, y a prononcé un discours.

Le président chinois a alors annoncé un effort additionnel de 103 milliards d'euros pour financer la stratégie des routes de la soie. Cet effort additionnel sera partagé entre les banques commerciales chinoises, des fonds ad hoc comme le Silk Road Fund (13 milliards d'euros en plus des 36 déjà accordés lors de sa fondation en 2015), et les deux traditionnelles banques publiques chinoises spécialisées dans les projets de développement, la Banque de développement de Chine - China Development Bank et la Export-Import Bank of China. La Banque de développement de Chine a prévu, à elle seule, de débloquer plus de 800 milliards d'euros d'investissements sur 900 projets . Trente nouveaux accords de coopération devraient également être signés dans la foulée du forum avec des pays situés le long de ces nouvelles routes de la soie. Des efforts supplémentaires en matière de lutte contre le changement climatique et d'aide humanitaire ont également été annoncés.

• Enfin, la confirmation du Président Chinois lors du 19 e congrès du parti communiste chinois 20 ( * ) a érigé les nouvelles routes de la soie au rang de « projet du siècle », concept clef sur lequel Pékin veut baser sa politique internationale . Les délégués du PCC ont ainsi voté un amendement pour inscrire dans la charte du parti « la pensée de Xi sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère » et la volonté de « suivre le principe de croissance économique commune à travers les discussions et les coopérations, et de poursuivre la Belt and Road Initiative ». Les nouvelles routes de la soie font désormais partie de la charte du PCC.

b) Le discours chinois : Les 5 piliers des nouvelles routes de la soie

La présentation des nouvelles routes de la soie est organisée autour de cinq piliers. À la surprise du groupe de travail de la commission, ces piliers ne sont pas exactement les mêmes selon qui les a énoncés devant lui. Sans qu'il y ait là de contradiction à souligner, un certain flou s'est ainsi manifesté qui est en fait consubstantiel de la nature de cette politique chinoise, qui se définit, en partie, au fur et à mesure de son existence. Les priorités ou piliers des nouvelles routes de la soie sont présentés, en synthèse, ci-après.

L'approfondissement de la coordination des politiques publiques de développement est présenté comme la priorité première des nouvelles routes de la soie.

Les nouvelles routes de la soie se veulent être une plateforme de coopération ou de connectivité visant à améliorer l'intégration économique afin de favoriser la croissance de l'économie mondiale. Telle l'ancienne route de la soie qui favorisait le développement des oasis et des villes carrefour qui la jalonnaient, les nouvelles routes de la soie seraient l'occasion pour la Chine d'encourager le développement de nouveaux marchés avec lesquels elle aurait des relations privilégiées au profit de tous. Les nouvelles routes de la soie traversent l'Asie centrale, le Moyen Orient, et l'Afrique, qui comprennent des régions en voie de développement. L'Asie centrale et le continent africain constituent un débouché actuellement modeste pour les exportations chinoises (évalué à moins de 8 % du total des exportations chinoises). Ces zones cherchent des vecteurs de développement quand la Chine cherche des débouchés commerciaux sur des marchés en expansion.

Il est important de comprendre que le projet chinois se veut participatif . Le rapprochement parfois fait dans la presse occidentale entre les nouvelles routes de la soie et le plan Marshall achoppe sur ce premier pilier selon les dirigeants chinois. La comparaison est compréhensible dans la mesure où le plan Marshall stimula après la deuxième guerre mondiale la reconstruction européenne, tout en évitant à l'économie américaine la récession à cause d'une surproduction massive qu'aurait pu entraîner la fin des hostilités et le démantèlement brutal de l'économie de guerre. Mais elle ne plaît guère aux autorités chinoises qui estiment que les nouvelles routes de la soie sont une plateforme de coopération, là où le plan Marshall n'aurait pas été participatif et aurait comporté des conditions politiques, correspondant à la montée de la politique d'endiguement menée par le Président Truman à l'égard des régimes communistes européens.

L'aspect « coopératif » du projet chinois et « sans conditions » est très largement mis en avant. Cela va jusqu'à un degré difficilement compréhensible pour les esprits cartésiens : les contours, les contenus, voire les objectifs des nouvelles routes de la soie ne sont pas prédéterminés. Ils sont à dessiner, à définir. Chaque « partenaire » est prié de venir avec sa vision, sa compréhension, ses ambitions pour les nouvelles routes de la soie, et de les mettre en oeuvre dans un processus collaboratif, « gagnant-gagnant ». Ce terme « gagnant-gagnant » semble d'ailleurs être le maître mot du premier pilier, mais reflèterait aussi plus globalement la visée ultime de l'initiative chinoise qui a été présentée au groupe de travail comme un outil de coopération internationale, voire comme un « bien public international ». La signature de mémorandums, demandée par Pékin aux pays ralliant la BRI, est, dans ce contexte, vue comme une adhésion des pays tiers à ce bien public proposé par la Chine.

• Le second pilier de la politique chinoise concerne le développement des connections d'infrastructures .

Les nouvelles routes de la soie sont parfois résumées à ce seul aspect, le plus concret et le plus visible , il est vrai : la construction d'infrastructures, et leur connexion les unes avec les autres. Ainsi la route terrestre doit relier les grandes villes de l'intérieur chinois comme Xi'an et Chongqing à l'Europe à travers l'Asie centrale, le Moyen-Orient et la Russie avec des dessertes de la péninsule indochinoise et une connexion avec la route maritime au Pakistan. Tout au long de cette route terrestre en Asie, en Europe centrale, au Moyen-Orient et en Afrique, est prévue la création de parcs industriels ou de zones franches. L'autre axe des nouvelles routes de la soie, la route maritime de la soie, part des grands ports chinois, tels que Fuzhou qui passe par le Sri Lanka, l'Océan indien, fait un détour notable par l'Afrique de l'Est, franchit le canal de Suez et arrive aux ports d'Athènes et Venise.

Dans cette perspective, la Chine conduit une politique de financement massif, par prêts ou investissements, de projets d'infrastructure titanesques, des constructions de réseaux routiers, de chemins de fer et de ports, ou de réseaux de production et de transport d'énergie qui font l'objet d'une annexe.

Selon les statistiques du Forum asiatique de Boao 21 ( * ) , depuis 2013, dans le cadre de la BRI « 15 aéroports ont déjà été construits, 28 ont été rénovés ou agrandis, dans les provinces chinoises » situées le long des nouvelles routes de la soie. De plus, les « grandes entreprises publiques chinoises, dont China Railway Group et China communications construction company, ont entrepris 38 grands projets pilotes d'infrastructures de transport à l'étranger au profit de 26 pays riverains ».

La route de la soie numérique est une dimension du projet chinois qui ne doit pas être négligée. Les infrastructures nécessaires à la mise en place de réseaux Internet indépendants du réseau mondial déjà existant font partie intégrante des infrastructures construites dans le cadre des nouvelles routes de la soie. Cet aspect des nouvelles routes de la soie comprend donc la pose de nouveaux câbles sous-marins 22 ( * ) , souvent qualifiés d'autoroutes vitales de l'Internet mondial. Plus prosaïquement, le long du CPEC, le groupe de travail a vu le creusement à la pioche des nouvelles autoroutes de fibres optiques terrestres.

La carte suivante présente les câbles sous-marins du réseau Internet et montre que les nouvelles routes de la soie rencontrent à plusieurs reprises ces réseaux qui sont qualifiés de biens communs à protéger? parce qu'ils sont les vecteurs physiques de la liberté de l'information et des échanges économiques.

• Le développement du commerce international est le troisième pilier des nouvelles routes de la soie.

Selon les statistiques du Forum asiatique de Boao, de « juin 2013 à juin 2016, le volume du commerce de marchandises entre la Chine et les pays le long des nouvelles toutes de la soie s'est élevé à 3 100 milliards de dollars , représentant 26 % du chiffre d'affaires total du commerce extérieur enregistré par la Chine. Dans un même temps, la Chine a établi dans 18 pays riverains 52 zones de coopération économique et commerciale (...) pour un investissement total de 15,6 milliards de dollars . À la date du 30 juin 2016, la Chine avait signé des accords d'investissement bilatéraux avec 104 pays riverains, et dans ces pays, le montant des investissements chinois atteignait 51,1 milliards de dollars , soit 12 % du total des investissements chinois à l'étranger sur la même période » 23 ( * ) .

Les recettes fiscales issues des zones économiques précitées sont évaluées à un milliard de dollars sur la même période, et les créations d'emploi dans les pays riverains des nouvelles routes de la soie à 180 000 , selon les informations transmises au groupe de travail lors de son déplacement en Chine. Les données statistiques sur les répercussions économiques pour les pays situés le long des nouvelles routes de la soie sont moins nombreuses que celles relatives aux effets positifs de cette politique sur l'économie chinoise.

• Le quatrième pilier de l'initiative chinoise est la libre circulation des capitaux , ou plus précisément les modalités de financement des nouvelles routes de la soie.

On estime que la Chine a déjà engagé entre 800 et 900 milliards de dollars dans les premiers projets de la route de la soie depuis 2013. Ceci comprend également des projets qui auraient été réalisés, voire avaient été réalisés, avant la mise en oeuvre de la BRI et ont ainsi « labellisés ». Le montant des investissements nécessaires au financement de tous les projets rattachés aux nouvelles routes de la soie est évalué à près de 1,7 trillion de dollars par an en moyenne 24 ( * ) .

La Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International ne participent pas au financement des projets labellisés BRI. La nouvelle route de la soie est donc financée par la Banque de développement de Chine -China Development Bank-, par l'Export-Import Bank of China , par l'Agricultural Development Bank of China (ABD), par la banque des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), par l'Organisation de Coopération de Shanghai , par les grandes banques publiques chinoises (CDB, ICBC, Eximbank). Des fonds chinois contribuent également au financement dont le Fonds pour les routes de la soie -Silk Road Fund- doté de plus de 40 milliards de dollars. Il se montre actif dans des secteurs considérés comme stratégiques par Pékin pour son projet de nouvelles routes de la soie :

- il a acquis en juillet 2017 5 % d'Autostrade per l'Italia, le principal gestionnaire d'autoroutes à péage en Italie, qui gère 50 % du réseau transalpin ;

- il a manifesté son intérêt pour entrer au capital de la société aéroports de Paris.

Le cas de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (Asian Infrastructure Investment Bank -AIIB) est un peu plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. Cette banque est traditionnellement présentée par la Chine, avec le Fonds pour les routes de la soie, comme l'instrument financier de mise en oeuvre de la BRI. Pourtant, lors de son déplacement à Pékin, le groupe de travail a rencontré des représentants de cette banque qui ont rappelé que leur 80 États membres participant au capital leur avaient fixé comme priorités : le soutien aux investissements privés dans les économies émergentes, l'investissement durable dans les infrastructures prenant en compte le respect de l'environnement, et l'investissement favorisant la connectivité entre les pays, comprenant la création de nouvelles routes, voies ferrées et réseaux d'énergie. L'investissement dans les nouvelles routes de la soie ne fait pas partie du mandat de la banque , même si des projets BRI respectaient les critères de rentabilité, d'adhésion des populations concernées et d'absence d'impact négatif sur l'environnement, l'AIIB pourrait participer à leur financement .

La question du financement des projets des nouvelles routes de la soie pose de nombreuses questions. Alors qu'on parle usuellement d'investissements chinois, il s'agit bien de prêts dans la majorité des cas 25 ( * ) , proposés à un taux d'intérêt supérieur de plusieurs points au taux Libor. La question de leur soutenabilité, du risque d'exportation de la dette et de la fragilisation des pays endettés auprès des banques chinoises a été soulevée en avril 2018 par le FMI (fera l'objet d'un développement ultérieur).

Enfin, malgré les sommes extraordinaires déjà mobilisées par la Chine, le total plausible des investissements jugés nécessaires d'ici 2049 est estimé à environ deux fois le PIB annuel de la Chine qui atteignait 12 300 milliards de dollars en 2017 26 ( * ) . Les nouvelles routes de la soie ne pourront donc être réalisées qu'avec l'apport du financement des banques commerciales étrangères. Or chacun sait que les infrastructures de transport ont rarement un taux de rentabilité positif. Le coût du financement de la BRI qui traverse qui plus est des zones instables, soumises à des risques réels, ne risque-t-il pas d'être prohibitif sur certains tronçons ?

• Enfin, le développement de la « compréhension mutuelle entre les peuples » est le cinquième pilier des nouvelles routes de la soie.

La politique chinoise comprend un volet culturel. S'appuyant sur le réseau des instituts Confucius et sur des forums culturels des nouvelles routes de la soie, ce 5 e pilier se déploie pour favoriser l'adhésion internationale au projet chinois. Les réalisations concrètes dans ce domaine sont très nombreuses. Ainsi, selon le site de l'ambassade de Chine en France, fin 2016, la Chine avait signé plus de 300 accords intergouvernementaux et programmes de mise en oeuvre sur les échanges et la coopération culturels avec les pays le long des nouvelles routes de la soie. De plus, onze centres culturels chinois ont été créés dans ces pays. La Chine a également créé une bourse officielle de la route de la soie et organisé des événements culturels et des festivals artistiques avec les pays le long de « la Ceinture et la Route ».

La France est directement concernée par ces initiatives, même si elle n'est pas encore riveraine des nouvelles routes de la soie. Le Forum « la route culturelle de la soie », organisé du côté français par la Fondation Prospective et Innovation et le Centre de Recherche sino-français sur l'art et la culture et du côté chinois par la Fondation des étudiants chinois ayant fait leurs études à l'étranger (WRCA) et par le China Philanthropy Research Institute, se tient alternativement en France et en Chine. Il est un lieu de développement du dialogue entre les personnes et les institutions du monde culturel français et chinois 27 ( * ) , sorte de « Davos de la culture ». Le premier forum s'était tenu à Pékin en mai 2016, le second à Lyon en septembre 2017. Placé sous le patronage du Président de la République française et du Président de la République populaire de Chine, il s'inscrit dans la continuité du programme 50 ans/50 personnes démarré en 2014 à l'occasion du cinquantième anniversaire des relations franco-chinoises.

De même, lors de son déplacement à Changchun, le groupe de travail a rencontré les étudiants du centre culturel et éducatif français de Changchun, dont l'origine est le centre culturel français de l'université normale de Changchun. Le Centre a été fondé en juin 2015 sur une proposition commune du Président alors en poste, Monsieur Zhao Jimin, et de la Consule générale de France à Shenyang alors en poste, Madame Isabelle Miscot, pour promouvoir les échanges et les coopérations entre la France et la ville de Changchun, et plus largement la province du Jilin, dans les domaines de l'éducation et de la culture.

Les cinq piliers de la BRI sont la présentation chinoise de sa politique. Elle n'est toutefois pas perçue de la même façon par les observateurs extérieurs.

c) Du « label économique » au projet de « nouvel ordre mondial aux caractéristiques chinoises »

Le groupe de travail, au cours de son déplacement en Chine et de ses auditions, a entendu presque tout et son contraire, parfois à quelques minutes d'écart : les nouvelles routes de la soie ne seraient qu'un simple « label économique », sorte de marque apposée sur des projets économiques, et deviendraient par la magie de la franchise quelques instants plus tard la proposition chinoise d'un nouvel ordre mondial.

La construction de grands projets d'infrastructures et le développement des connexions entre eux est la partie la plus visible de la politique chinoise des nouvelles routes de la soie. Construire des routes serait la route vers la croissance, et la Chine exporterait ainsi, proposerait aux pays qui en ont besoin, le modèle de développement qui lui a permis de connaître pendant une période particulièrement longue une croissance à deux chiffres.

Le développement des infrastructures est plus sûrement un instrument au service des objectifs réels de la Chine que le but en soi de la BRI. La politique des nouvelles routes de la soie vise d'abord à assurer la stabilité de la République populaire de Chine, à sécuriser ce pays et, à terme, à lui permettre de mettre en place un nouvel ordre mondial, aux caractéristiques chinoises.

(1) Assurer la stabilité de la République populaire de Chine

Le président chinois Xi Jinping a fait de la restauration de l'autorité du parti communiste chinois la priorité de ses mandats successifs. Lors du 19 e congrès tenu à la fin de l'année 2017, il a ainsi appelé à combattre « les paroles et les actes » de nature à saper l'autorité du parti 28 ( * ) . La mise en place d'une « nouvelle ère du socialisme aux caractéristiques chinoises » vise notamment à conforter la place du parti au sein du système chinois. C'est dans ce contexte que s'inscrit l'initiative BRI qui doit garantir la stabilité la prospérité de la République populaire de Chine.

Pour cela trois objectifs sont assignés aux nouvelles routes de la soie : favoriser le développement de l'ouest du pays, renforcer l'unité du pays et réformer les entreprises en les poussant à exporter :

- favoriser le développement interne et l'aménagement du territoire chinois . La croissance chinoise s'est concentrée sur ses grandes villes ports, sur la partie est de son territoire. La Chine tente de rééquilibrer son aménagement intérieur, de réduire la pollution dans ses immenses métropoles et ports et pour cela les nouvelles routes de la soie prévoient de relier les villes de l'extrême nord telles Harbin, les villes de l'est telles Zhengzhou, Shanghai, Suzhou, Yiwu, Xi'an, Chongqing, Zhanjiang à Urumqi et par là à l'Asie centrale, au Proche Orient et à la Russie.

- résoudre par là même les tentations séparatistes du Xinjiang . Trois fois plus grand que la France, le Xinjiang 29 ( * ) peuplé de 23 millions d'habitants, est une des cinq régions autonomes de Chine. Il a une frontière de 5 600 kilomètres avec la Mongolie, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l'Afghanistan, le Pakistan et la partie du Cachemire contrôlée.

Dans cet extrême-ouest chinois vivent 10 millions d'Ouïghours, en majorité turcophones et musulmans sunnites, soit 45 % de la population totale de la région. Des liens entre des attentats terroristes et la minorité ouïghoure ayant été établis, la population ouïgoure fait l'objet d'une surveillance policière constante, visant à éradiquer toute tentation de terrorisme et de séparatisme. Dans ce contexte, Urumqi, capitale du Xinjiang, est un passage important des nouvelles routes de la soie, point d'entrée de la Chine vers l'Asie centrale et devrait être reliée notamment à Téhéran, Douchanbé, Tachkent, Astana. L'intégration du Xinjiang aux nouvelles routes de la soie est un moyen pour Pékin de renforcer la sinisation et l'intégration de ces territoires. Cette politique se poursuit jusque dans le voisinage de la Chine selon certains chercheurs 30 ( * ) : « Almaty, ancienne capitale du Kazakhstan qui compte la deuxième population ouïghoure de la région, est (...) une étape de la nouvelle «Route de la soie». La Chine, en incluant les pays voisins, inscrit donc sa lutte contre les indépendantismes dans sa politique régionale. L'Organisation de la Coopération de Shanghai par exemple lutte contre le séparatisme, le terrorisme et l'extrémisme islamiste depuis 2005. La volonté chinoise de stabiliser la région centre-asiatique peut s'apparenter à la politique étrangère américaine du pré carré en Amérique du Sud au début du 20 e siècle. La nouvelle « Route de la soie » passant par le Xinjiang est donc un enjeu à la fois national et régional pour la Chine. Son «étranger proche», qu'il soit interne ou externe, doit être maîtrisé par et pour la « Route de la soie ». »

- enfin, offrir des débouchés économiques à une économie en surcapacités 31 ( * ) afin de maintenir une croissance satisfaisante assurant ainsi la stabilité de la République populaire de Chine et de son parti dirigeant. Les nouvelles routes de la soie visent à assurer des débouchés économiques efficaces pour la production chinoise excédentaire et ainsi éviter des licenciements massifs qui entraîneraient de nouvelles tensions sociales. Alors que le taux de croissance chinois toujours élevé a connu un certain ralentissement, les entreprises chinoises connaissent, on l'a vu, des surcapacités dans les domaines de la production de l'acier, du ciment ou des équipements lourds. La Chine a donc besoin de trouver des débouchés hors de ses frontières, qui ne soient pas accusés de déséquilibrer le marché mondial. Il s'agit non seulement d'exporter les biens mais également les entreprises et leurs employés. Lors du 19 e congrès du parti communiste, le président chinois a ainsi déclaré qu'après avoir résolu le problème consistant à nourrir et vêtir plus d'un milliard de personnes, le régime devait désormais répondre « à leurs besoins d'une vie meilleure » notamment sur le « plan matériel et culturel » mais également en termes « d'environnement ».

(2) Sécurisation des frontières, de l'environnement régional et des approvisionnements

Les nouvelles routes de la soie répondent également au besoin de sécuriser des ressources ainsi que ses frontières et son voisinage comme vu ci-dessus. La stabilité de la Chine passe par la sécurisation de son environnement régional, notamment continental, afin de faire face au recentrage américain sur l'Asie-Pacifique, dit « pivot asiatique », à l'émergence de tensions multiples en mer de Chine et à la vulnérabilité de la Chine à l'égard du détroit de Malacca, entre la péninsule malaise et l'île indonésienne de Sumatra, par lequel passe l'essentiel de son approvisionnement en pétrole.

En 2013, via les routes maritimes, la Chine a importé de la péninsule arabique 43 % de son pétrole et 38 % de son gaz naturel liquéfié. Ces flux maritimes sont exposés aux risques de piraterie et à la possibilité, en cas de fortes tensions, que les États-Unis perturbent, forts de leur présence dans les océans indien et pacifique, les lignes de communication chinoises. À travers la BRI, la Chine cherche donc à réduire cette dépendance au transport maritime, à s'assurer de nouvelles sources d'approvisionnement en énergie, à diversifier et à « rapprocher » ses approvisionnements. Un gazoduc Turkménistan-Chine a ainsi été inauguré en 2009, amenant le gaz du Turkménistan jusqu'au Xinjiang, à l'ouest de la Chine. C'est le premier gazoduc qui relie l'Asie centrale au réseau gazier chinois. En 2013, il acheminait déjà près de 30 % de la consommation chinoise. La signature d'un accord de coopération à long terme entre la société de transport russe Sovcomflot et la Chinese National Petroleum Corporation garantit en partie à la Chine l'accès aux hydrocarbures russes via le passage du Nord-Est.

Le CPEC, lorsqu'il sera opérationnel, procurera à la Chine une voie d'approvisionnement alternative au détroit de Malacca, le pétrole arrivant au port de Gwadar et rejoignant ensuite la Chine via les routes terrestres de la soie. La sécurisation énergétique de la Chine passe également par le développement d'infrastructures énergétique, routière et ferroviaire que certains chercheurs ont appelées les « routes de la soie en fer ».

Les nouvelles routes de la soie sont donc des routes énergétiques permettant à la Chine d'une part, de sécuriser ses approvisionnements en gaz et en pétrole et d'autre part, de diversifier ses sources afin de réduire les risques liés à la dépendance tant au détroit, qu'envers la Russie ou les pays du Golfe en s'approvisionnant directement en Asie centrale.

(3) Proposer une mondialisation aux caractéristiques chinoises

Le Président Xi Jinping rappelle régulièrement que les nouvelles routes de la soie sont fondées sur un objectif de développement pacifique de la Chine, basé sur « une coopération gagnant-gagnant » des pays parties du projet et participent à la mise en oeuvre d'une « communauté de destin partagé » inscrite à la charte du PCC lors du 19 e congrès du PCC et abondamment citée lors de la 1 re session de la 13 e Assemblée nationale populaire. La stratégie chinoise se veut soutenir la croissance et le développement à long terme des économies impliquées, les infrastructures créées devant bénéficier à des régions parmi les moins développées au monde.

Depuis l'apparition de Xi Jinping en chantre de la mondialisation au forum de Davos, en janvier 2017, et le retrait des États-Unis du projet de Traité de partenariat transpacifique (TPP), la Chine semble vouloir prendre la tête des puissances internationales qui promeuvent la globalisation économique, contre la tentation du protectionnisme. De façon relativement inattendue, la Chine tente d'apparaître comme la nouvelle championne de la libéralisation des marchés internationaux et du codéveloppement. En mobilisant les investissements internationaux sur les nouvelles routes de la soie, la Chine pourrait présenter des preuves concrètes aux États d'Asie du Sud-Est, d'Asie centrale et du Moyen-Orient qu'il y a beaucoup à gagner à embrasser une « mondialisation aux caractéristiques chinoises », présentée comme une stratégie bilatérale gagnant-gagnant, éloignée du multilatéralisme existant.

Dans le cadre des nouvelles routes de la soie se dessine une politique de remise en cause du système de Bretton-Woods 32 ( * ) , tel qu'il fonctionne actuellement. En 2008, la crise financière a fragilisé le système monétaire international et le G20 s'était emparé de l'idée d'instaurer un nouveau Bretton-Woods afin d'adapter l'architecture financière internationale au monde du 21 e siècle. Une réforme du droit de vote en faveur de la Chine et des autres pays émergents était envisagée. Mais finalement, ni le mode de prise de décision (basé sur le poids économique des États membres révisé), ni le type de direction (un Américain à la tête de la Banque mondiale, un Européen au FMI) n'ont été modifiés. Ainsi, la Chine ne dispose que de 3,8 % des voix, contre plus de 15 % aux États-Unis et 4,3 % au Royaume- Uni et à la France - alors que l'économie chinoise est devenue la plus importante du monde en parité de pouvoir d'achat, surpassant le poids économique des États-Unis depuis 2014, comme on l'a déjà vu.

Dans ce contexte, la création de la banque asiatique d'investissement dans les infrastructures est apparue comme un instrument financier visant à permettre l'émancipation du système de Bretton Woods. Une nouvelle étape sur ce chemin semble avoir été franchie début 2018 avec la décision de créer les conditions permettant de payer le pétrole en yuan (aussi appelé renminbi) 33 ( * ) . Les importations de pétrole de la Chine représentent 12 % du total mondial, ce qui fait d'elle le plus gros importateur du monde de pétrole. Elle importe aussi plus de la moitié de l'aluminium produit sur la planète, et presque la moitié de l'acier et du cuivre. Ceci lui confère un réel pouvoir pour imposer sa monnaie dans la plupart des transactions portant sur les matières premières. On estime que, si la Chine imposait le yuan pour payer ses achats de pétrole, elle éviterait l'emploi de 876 milliards de dollars.

La Chine semble pouvoir ouvrir très rapidement un marché domestique pour la négociation des contrats à terme sur le pétrole brut libellé en yuan chinois et convertible en or, aux bourses de Shanghai 34 ( * ) et d'Hong-Kong 35 ( * ) . La Russie, l'Iran, le Qatar et le Venezuela acceptent désormais de vendre leur pétrole avec des contrats en yuans convertibles en or. Le règlement du pétrole en yuan semble faire partie de la stratégie des nouvelles routes de la soie La participation chinoise dans l'introduction en bourse planifiée de la société pétrolière saoudienne Aramco 36 ( * ) pourrait permettre de convaincre l'opinion saoudienne d'accepter le yuan en guise de paiement. Une telle perspective n'est toutefois crédible que si les nouvelles routes de la soie se concrétisent. Ceci a semblé incertain au vu de l'ampleur des projets d'infrastructure, des territoires concernés, de la durée prévisible des travaux, etc.

d) Des projets d'infrastructures multiples

Les nouvelles routes de la soie sont d'abord perçues comme de grandes infrastructures de transports, dont le gigantisme surprend.

(1) L'ossature des nouvelles routes de la soie

Les nouvelles routes terrestres de la soie se déclinent en six corridors stratégiques :

- le corridor eurasiatique où le corridor Chine Kazakhstan Russie est l'axe principal ou route du Nord. Il désigne le réseau de chemin de fer et de gazoduc qui devrait à terme couvrir l'Eurasie et connecter la Chine à l'Europe via la Mongolie, la Russie et le Kazakhstan ;

- le corridor central relie le grand ouest chinois à l'Asie centrale et au Moyen-Orient vers la Turquie via l'Iran. Certaines infrastructures existent déjà et permettent des trajets quotidiens entre la Chine et plusieurs villes européennes ;

- le corridor méridional Chine Pakistan 37 ( * ) , ou CPEC reliera la province chinoise du Xinjiang au port pakistanais de Gwadar 38 ( * ) . Ce corridor est examiné ultérieurement ;

- le corridor Chine-Mongolie-Russie ;

- le corridor Bangladesh-Chine-Inde-Myanmar (BCIM) est le moins avancé des corridors faute d'accord transnational ;

- le corridor Chine-Indochine passe par le nord du Laos.

Les nouvelles routes terrestres de la soie se sont enrichies de projets en Afrique, comme on le voit sur cette carte, et en Amérique latine, et font l'objet de développements ultérieurs.

Les nouvelles routes maritimes de la soie concernent l'axe Chine-Malacca-Suez. Ce volet maritime de l'initiative chinoise comporte essentiellement la prise de participation d'entreprises chinoises dans la gestion de ports le long de la route maritime de la soie ou la construction de terminaux portuaires en mode Build-Own-Operate-Transfer (BOOT -ou Construction-Possession-Exploitation-Transfert) qui permettent aux entreprises chinoises de gérer sur le long terme les terminaux dans lesquels elles investissent.

Les principaux investissements chinois dans les ports sont les suivants :

- prise de la concession du port du Pirée par l'entreprise de transport maritime Cosco, transformant ce port en porte d'entrée pour les produits chinois dans l'Europe méditerranéenne ;

- acquisition d'une participation majoritaire dans le troisième port de containers turc, Kumport, par les entreprises Cosco, China Merchant Holdings, et CIC capital ;

- construction du port de Gwadar sous concession accordée à la China Overseas Ports Holding Company Pakistan ;

- investissement dans le port de Bagamoyo en Tanzanie pour 10 milliards de dollars ;

- investissement dans le port de Mombasa au Kenya ;

- investissement dans le port d'Hambantota au Sri Lanka, la compagnie China Merchants Port Holding acquérant 85 % du capital pour 1,1 milliard de dollars ;

- investissement dans le port de Djibouti, avec une prise de participation à hauteur de 185 millions de dollars de la compagnie China Merchants Port Holding ;

- enfin, investissement dans les ports de Manille et Cebu aux Philippines.

Les nouvelles routes maritimes de la soie se sont enrichies d'un axe appelé route maritime du Nord ou route de la soie arctique qui fait l'objet d'un développement ultérieur.

(2) Les réalisations concrètes des nouvelles routes de la soie

Les principales réalisations d'infrastructures dans le cadre des nouvelles routes de la soie font l'objet d'une présentation en annexe. Celle-ci ne peut prétendre à l'exhaustivité faute de recensement systématique des investissements dans autant de pays différents, mais aussi en raison du caractère « inclusif » de cette politique chinoise, qui requalifie, ou labellise parfois des projets déjà réalisés, ou en cours de réalisation, et qui ont ou auraient été réalisés indépendamment de la BRI.


* 2 Données recueillies lors du Forum sur les nouvelles routes de la soie coorganisé par l'IRIS et l'ambassade de Chine en France le 29 novembre 2017.

* 3 Selon l'expression de Thierry Garcin dans un article intitulé « Le chantier - très géopolitique- des Routes de la Soie, publié le 18 février 2018 sur le site La revue géopolitique diploweb.com.

* 4 Le mémorandum désigne un protocole d'accord, rédigé par la Chine, qui marque l'adhésion et le soutien du pays signataire à la BRI. Le mémorandum comporte des clauses très variées conformes dans leur ensemble à la vision « socialiste aux caractéristiques chinoises » des nouvelles routes de la soie.

* 5 La puissance diplomatique de la Chine sera examinée dans un développement ultérieur consacré à l'émergence et au renforcement du « Soft power » chinois -Le soft power est un concept forgé par Joseph Nye, utilisé en relations internationales pour décrire la capacité d'un acteur d'influer, sans recourir à des moyens coercitifs, sur le comportement d'un autre acteur ou sur la définition par cet autre acteur de ses propres intérêts.

* 6 Citée dans l'article « La Chine superpuissance militaire émergente » de Jacques Hubert-Rodier, publié le 25 janvier 2017 sur le site internet Les Echos.fr.

* 7 Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.

* 8 Si l'on prend en compte les parités des pouvoirs d'achat, la Chine est la première puissance économique depuis 2014.

* 9 Rapport n° 714 (2014-2015) « Chine : saisir les opportunités de la nouvelle croissance » de Jean-Pierre Raffarin, Henri de Raincourt, Hélène Conway-Mouret, André Trillard, et Bernard Cazeau.

* 10 En août 2017, le FMI a ainsi constaté la « trajectoire dangereuse » empruntée par Pékin sur la voie de l'endettement. Voir notamment sur ce sujet l'article intitulé « la Chine va encadrer les généreux prêts de ses banques de développement » publié le 16 novembre 2017 sur le site latribune.fr.

* 11 Voir notamment l'exemple des nouveaux véhicules énergétiques « où les constructeurs étrangers sont incités à transférer en Chine leurs technologies en échange d'un accès au marché » cité dans l'article « Industrie : l'Europe s'inquiète des ambitions de la Chine », de Frédéric Schaeffer, publié le 8 mars 2017 sur le site LesEchos.fr. Cet article précise également que : « Pékin a décidé que les nouveaux véhicules énergétiques produits localement devront détenir 70 % du marché chinois en 2020 ».

* 12 Le 30 novembre 2015, le Fonds monétaire international (FMI) a approuvé l'inclusion de la monnaie chinoise, le renminbi (RMB) ou yuan, dans les droits de tirage spéciaux (DTS) ou panier de devises qui sert d'actif de réserve international à l'institution. Depuis octobre 2016, les 188 États membres du Fonds peuvent ainsi échanger des DTS contre les cinq monnaies dites « librement utilisables » - dollar, euro, livre sterling, yen et désormais le RMB - pour équilibrer leur balance des paiements en tant que de besoin.

* 13 Voir notamment l'article : « La Chine prouve sa capacité à piloter son économie », de Marie de Vergès, Le Monde , 19 janvier 2018.

* 14 Overcapacity in China: An Impediment to the Party's Reform Agenda, the European union chamber of commerce in China, février 2016.

* 15 Ont obtenu une exemption, au moins à titre temporaire, l'Union européenne, le Canada, le Mexique, l'Australie, l'Argentine, la Corée du Sud et le Brésil.

* 16 Voir notamment sur ce sujet l'article intitulé « Commerce : le système économique chinois dans le viseur de Bruxelles » de Richard Hiault, publié le 1 er janvier 2018, sur le site LesEchos.fr.

* 17 Pour mémoire, la Russie, qui arrive en deuxième position, compte neuf produits taxés.

* 18 La paternité du concept des nouvelles routes de la soie était américain initialement et visait à pérenniser les accords de transit conclus à l'occasion du retrait des troupes et des matériels américains d'Afghanistan avec les pays suivants : l'Ouzbékistan, la Russie et les pays baltes, pour favoriser le désenclavement de l'Asie centrale depuis l'ouest. L'insécurité de certaines zones, notamment en Afghanistan, et la sous-estimation des positions de la Chine ne permirent pas la concrétisation de ce projet. Le concept s'est trouvé repris et amendé par Pékin. Le concept de Routes de la Soie, dont s'inspire les nouvelles routes de la soie est forgé à la fin du 19 e siècle par Ferdinand von Richthofen, géologue allemand, pour désigner le réseau tentaculaire de relations liant l'Orient et l'Occident, reliant l'Europe au Pacifique, courant des rivages orientaux de la Méditerranée et de la mer Noire jusqu'à l'Himalaya (cité par Peter Frankopan dans « Les Routes de la soie, l'histoire au coeur du monde », Edition Nevicata, octobre 2017).

* 19 L'Italie était le seul pays du G7 représenté à ce niveau.

* 20 Qui n'est plus limité à deux mandats successifs à la tête de la République populaire de Chine.

* 21 Cité dans l'article intitulé « Les nouvelles routes de la soie pour le bénéfice partagé et le développement » publié le 24 mai 2017 sur le site French.China.org.cn.

* 22 « Les câbles sous-marins sont également vitaux pour de nombreux autres secteurs. Le commerce, les banques ou encore l'administration en sont largement dépendants. Toutes les activités quotidiennes nécessitent aujourd'hui une connectivité à internet. De la consultation d'un compte en ligne à la déclaration d'impôt... La revue Études, de la même façon, ne pourrait exister sans nos précieux réseaux numériques?: de la recherche sur internet que réalisent les auteurs en passant par l'envoi de la contribution, l'édition et le transfert des fichiers à l'imprimeur, tout se déroule en ligne. L'Asian Pacific Economic Cooperation (Apec) évalue à environ 10?000 milliards de dollars la valeur transactionnelle globale du trafic transporté par jour ». Extrait de l'article intitulé « Les câbles sous-marins?: un bien commun mondial?? » par Camille Morel revue Études, mars 2017.

* 23 Ibid.

* 24 Selon les informations échangées lors du forum sur les nouvelles routes de la soie coorganisé par l'IRIS et l'ambassade de Chine, précité.

* 25 il existe des exceptions notables. L'aéroport de Gwadar serait ainsi financé gratuitement par la Chine. Cette infrastructure a été présentée au groupe de travail qui s'est rendu au Pakistan comme un « don chinois ».

* 26 Voir notamment à cet égard l'article intitulé « L'initiative « Belt and Road », stratégie chinoise du « Grand jeu » ? » d'Éric Mottet et Frédéric Lasserre, publié dans la revue Diplomatie n° 90 -Janvier-Février 2018.

* 27 Voir notamment l'article intitulé : « La Route culturelle de la soie, chemin vers l'autre: culture et attractivité des territoires » sur le site de la fondation prospective innovation : « Parce que les artistes, les designers et les industriels français comme chinois seront les nouveaux nomades de cette nouvelle route de la soie, le Forum culturel sera un levier d'influence favorisant les coopérations culturelles, industrielles et financières ».

* 28 Voir notamment à cet égard l'article intitulé « Xi veut combattre ce qui pourrait « saper » le pouvoir du PCC » publié le 18 octobre 2017 sur le site Ouest-France.fr. Les propos du président chinois sont ainsi rapportés : « nous devons (...) nous opposer fermement à toute action qui porterait atteinte aux intérêts du peuple ou éloignerait le parti et le peuple », « si notre parti parvient à unir et à mener le peuple (...) nous ferons face aux périls majeurs, surmonterons les obstacles ».

* 29 Également appelé Turkestan chinois. Le Xinjiang est depuis 2009 la seconde région productrice de pétrole de Chine, elle assure près de 15 % de la production domestique nationale. Des nouveaux gisements gigantesques viennent d'y être découverts.

* 30 Voir à cet égard l'article intitulé « Enjeux stratégiques de la « Route de la soie » » d'Alexandre Laparra publié le 20 novembre 2017 sur le site Geolinksfr.

* 31 Retardant ainsi le moment où la production chinoise ne pourra plus se permettre d'être extensive mais devra devenir intensive et durable.

* 32 Créé en juillet 1944, ce système reposait sur la coopération monétaire et le contrôle des mouvements de capitaux internationaux. Depuis la sortie des États-Unis du système en 1971, le bon fonctionnement du système est assuré par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD, mieux connue sous le nom de Banque mondiale) sous le nom de consensus dit « de Washington », ville où ces deux institutions ont leur siège.

* 33 Voir notamment sur ce sujet l'article intitulé : « 2018: l'année où le yuan pourrait ravir sa suprématie au dollar » publié le 2 mars 2018 sur le site https://fr.express.live.

* 34 Le Shanghai International Energy Exchange, une division du Shanghai Futures Exchange, permettra aux Chinois d'acheter à terme du pétrole à un prix défini tout en payant en monnaie locale. Les investisseurs étrangers auront également la possibilité d'investir dans ces contrats, une première sur le marché chinois des matières premières, car la bourse est enregistrée dans la zone de libre-échange de Shanghai.

* 35 Selon l'article de Damon Evans intitulé « China sees new world order with oil benchmark backed by gold » paru le 1er septembre 2017 dans la Nikkei Asian Review.

* 36 Initialement prévue au deuxième semestre 2018, elle pourrait être repoussée en 2019.

* 37 L'Inde conteste le tracé de ce corridor qui traverse une partie des territoires du Cachemire sur lesquels elle revendique sa souveraineté.

* 38 Ce port est sous concession accordée à la China Overseas Ports Holding Company Pakistan.

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