CONCLUSION

Nous arrivons au terme de ce travail, plus conscients que jamais qu'il ne peut avoir de fin. Chaque semaine de nouvelles publications de qualité paraissent sur les nouvelles routes de la soie, chaque rencontre est l'occasion d'explorer de nouvelles dimensions de cette stratégie chinoise.

Comment répondre à la question posée initialement : que sont les nouvelles routes de la soie ? C'est un instrument de développement intérieur et extérieur de la Chine. C'est aussi un réseau d'infrastructures vecteur de croissance mondiale. C'est aussi une déclinaison d'une vision géopolitique chinoise, c'est-à-dire d'une politique de puissance dans un cadre géographique déterminé, d'un « desserrement » occidental de la Chine.

La France, mais aussi l'Europe, stimulée dans ce domaine par une France que nous voulons aussi lucide que dynamique, doivent prendre part à cette initiative. Une autre lecture du projet chinois l'assimile au plan Marshall du XXIe siècle. Imagine-t-on un pays européen refuser le plan Marshall après-guerre ? Cette question est volontairement polémique : peut-on après des années de ralentissement économique refuser de participer au projet de développement mondial porté par la Chine ? Doit-on pour autant y participer à n'importe quelle condition ?

Ce projet ne pourra être un succès, pour toutes les parties, que s'il fonctionne dans les deux sens en créant un équilibre satisfaisant entre les échanges Est-Ouest et les échanges Ouest-Est. La dimension économique et la dimension géopolitique doivent ainsi être prises en compte pour établir un double partenariat : un partenariat commercial basé sur la réciprocité de l'ouverture des marchés, le respect de la concurrence et de la transparence des marchés, et un partenariat stratégique basé sur la coopération multilatérale cartellisée.

EXAMEN EN COMMISSION

Mercredi 30 mai 2018, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen du rapport de M. Pascal Allizard et Mme Gisèle Jourda, co-présidents du groupe de travail sur « les nouvelles routes de la soie ».

M. Pascal Allizard, co-président. - Monsieur le président, mes chers collègues, en octobre 2017, notre commission a confié à Gisèle Jourda et moi-même la responsabilité de mener une réflexion sur les nouvelles routes de la soie, au sein d'un groupe de travail composé également de MM. Edouard Courtial et Jean Noël Guérini. La richesse et la complexité du sujet que nous soupçonnions nous sont apparues croissantes au cours d'un déplacement qui a nous conduits à Pékin, Changchun, Hong-Kong, puis Islamabad et Karachi en décembre 2017, et au long de plusieurs dizaines d'auditions menées de décembre 2017 à mai 2018.

En 2000, une boucle logistique entre la France et la Chine prenait trois mois. En 2012, il fallait encore, au minimum, un mois pour acheminer des marchandises depuis Shanghai jusqu'à Rotterdam par la mer, via le canal de Suez, moins de trois semaines en train, et environ quinze jours en camion. Le 21 avril 2016, un premier convoi ferré a rallié Wuhan à Lyon en quinze jours, après un périple de 11 000 kilomètres. Le 23 février 2017, le Premier ministre français, de passage en Chine, a assisté à l'arrivée en sens inverse d'un train chargé de bouteilles de Bordeaux et de pièces détachées en provenance des usines PSA. Pour autant, 80 % des trains arrivés chargés en France en repartent vides. Cette asymétrie illustre bien une des problématiques lourdes du sujet.

En 2013, le Président Xi Jinping a lancé son projet des nouvelles routes de la soie développant des infrastructures pour relier la Chine à l'Europe et à l'Afrique orientale. Deux axes composent ces nouvelles routes de la soie : un axe terrestre traversant l'Europe centrale, l'Asie centrale, la Russie, le Caucase, mais aussi la Turquie, l'Iran, l'Afghanistan et le Pakistan et un axe maritime reliant la Chine à l'Afrique orientale et à la Corne de l'Afrique. Entre ces deux axes, toutes les combinaisons sont possibles. Les cartes vont être projetées pendant notre présentation pour que vous puissiez visualiser l'ampleur de la politique chinoise. Notre première préoccupation a été de tenter de répondre à cette question, que sont les nouvelles routes de la soie ?

Elles concernent directement 70 % de la population mondiale, 75 % des ressources énergétiques mondiales et 55 % du PIB mondial. Les montants consacrés par la Chine à cette politique seraient compris entre 5 000 et 8 000 milliards de dollars dans les cinq prochaines années. Les besoins de financement pour tous les projets rattachés aux nouvelles routes de la soie pourraient dépasser le trillion (c'est-à-dire le milliard de milliard) annuel.

Ces nouvelles routes de la soie sont déployées par la Chine qui est devenue la deuxième puissance militaire et le premier contributeur en personnel de maintien de la paix dans le monde. Elle est aussi la deuxième puissance économique mondiale, avec un PIB estimé à 12 362 milliards de dollars en 2017. Elle est le premier exportateur mondial et le premier détenteur de réserves de change. Aux Cassandre qui prédisaient le ralentissement de sa croissance, elle oppose des taux de progression du PIB juste inférieurs à 7 %. Le bémol de ce tableau, ce sont les surcapacités de l'économie chinoise. À titre d'exemple, de 2015 à 2016, les cimentiers chinois auraient produit davantage de ciment que les cimentiers américains pendant tout le XX e siècle. Ces surcapacités fragilisent l'économie chinoise et suscitent des réactions, telles que la menace de taxation de l'acier par les États-Unis et les mesures antidumping prises par l'Union européenne. La recherche de solutions à ces surcapacités n'est pas étrangère à la politique des nouvelles routes de la soie.

Celles-ci, selon la doxa officielle, sont composées de 5 piliers :

- l'approfondissement de la coordination des politiques publiques de développement est présenté comme la priorité première des nouvelles routes de la soie qui se veulent une plateforme de coopération ou de connectivité visant à améliorer l'intégration économique afin de favoriser la croissance de l'économie mondiale,

- le second pilier concerne le développement des d'infrastructures et leur interconnexion. Nous parlons là de routes, de chemin de fer, de ports, d'aéroports, de réseaux de fibre optique, de câbles sous-marins, de réseaux électriques, de réseaux de transports d'énergie, etc.

- troisième pilier : le développement du commerce international. De 2013 à 2016, le volume du commerce de marchandises échangées entre la Chine et les pays le long des nouvelles routes de la soie s'est élevé à 3 100 milliards de dollars, représentant 26 % du chiffre d'affaires total du commerce extérieur enregistré par la Chine,

- le quatrième pilier de l'initiative chinoise est la libre circulation des capitaux, ou plus précisément les modalités de financement des nouvelles routes de la soie. La Chine a déjà engagé entre 800 et 900 milliards de dollars dans les premiers projets de la route de la soie depuis 2013. Alors qu'on parle usuellement d'investissements chinois, il s'agit bien de prêts dans la majorité des cas, proposés à un taux d'intérêt supérieur de plusieurs points au taux libor. La question de leur soutenabilité, du risque d'exportation de la dette et de la fragilisation des pays endettés auprès des banques chinoises a été soulevée en avril 2018 par le FMI.

- enfin, le développement de la « compréhension mutuelle entre les peuples » est le cinquième pilier des nouvelles routes de la soie.

Telle est la présentation officielle, mais quelle perception en avons-nous ? Le groupe de travail au cours de son déplacement en Chine et de ses auditions a entendu presque tout et son contraire, parfois à quelques minutes d'écart : les nouvelles routes de la soie ne seraient qu'un simple « label économique », sorte de marque apposée sur des projets économiques, et deviendraient quelques instants plus tard la proposition chinoise d'un nouvel ordre mondial.

Le développement des infrastructures est plus sûrement un instrument au service des objectifs réels de la Chine que le but en soi de la stratégie chinoise. La politique des nouvelles routes de la soie nous semble avoir trois objectifs :

- assurer la stabilité de la République populaire de Chine. Cela passe par le développement interne, l'aménagement et le rééquilibrage du territoire chinois, la maîtrise des tentations séparatistes du Xinjiang et la création de nouveaux débouchés économiques pour cette économie chinoise en surcapacités. La croissance est la clé de la stabilité de la société et de la légitimité de son parti dirigeant.

- deuxième objectif : sécuriser les frontières, l'environnement régional et les approvisionnements, en particulier en offrant une alternative au détroit de Malacca entre la péninsule malaise et l'île indonésienne de Sumatra, par lequel passe l'essentiel de l'approvisionnement chinois en pétrole.

- enfin, le dernier objectif est de proposer une alternative à l'ordre mondial, hérité de Bretton Woods. La création de la banque asiatique d'investissement dans les infrastructures est apparue comme un instrument financier visant à permettre l'émancipation du système international américano-centré. Une nouvelle étape a été franchie début 2018 avec la décision de créer très rapidement un marché domestique pour la négociation des contrats à terme sur le pétrole brut libellé en yuan chinois et convertible en or, aux bourses de Shanghai et d'Hong-Kong. La Russie, l'Iran, le Qatar et le Venezuela acceptent désormais de vendre leur pétrole avec des contrats en yuans convertibles en or.

À cela s'ajoute une politique de diplomatie publique bien huilée. La Chine déploie tous ses efforts pour permettre la reconnaissance internationale des nouvelles routes de la soie, ce qui est chose faite à l'ONU. Les nouvelles routes de la soie sont citées dans des résolutions du Conseil de sécurité, le PNUD a même signé un mémorandum de participation aux nouvelles routes de la soie. La Chine mobilise ses think tanks, ses instituts Confucius, organise forums et rencontres internationales dont le premier forum international des nouvelles routes de la soie qui s'est tenu en mai 2017 à Pékin, etc. Cette stratégie fonctionne d'autant mieux qu'elle rencontre les attentes de nombreux pays qui acceptent de signer les mémorandums de participation aux nouvelles routes de la soie tant leurs besoins en développement et en particulier en financement d'infrastructures sont énormes. Nous avons déjà parlé la semaine dernière de Djibouti.

Dans le cadre des nouvelles routes de la soie, en 10 ans, la Chine a injecté près de 14 milliards de dollars, dont une partie sous forme de prêts, dans ce pays dont le PIB est de 1,2 milliard par an. En 2012, les investissements directs étrangers chinois ont été à peu près équivalents au total du PIB de Djibouti. Cette médaille a son revers. L'endettement externe de Djibouti est ainsi passé de 50 % du PIB en 2014 à 80 % en 2017. À partir de 2019, Djibouti devra rembourser 50 millions de dollars par an. Il pourrait alors être nécessaire, face aux défis de la soutenabilité de la dette, de revendre une partie des capitaux djiboutiens des infrastructures construites. Notre rapport propose une recommandation sur l'action que la France doit mener à Djibouti. Si nous ne pouvons pas égaler la force de frappe économique et la vitesse de la Chine, nous pouvons promouvoir la francophonie, l'éducation et la formation notamment dans les métiers de la logistique, des transports ou des finances.

Enfin, je voudrais vous dire quelques mots du Pakistan. Le corridor économique Chine-Pakistan (CPEC) est un projet de long terme basé sur la construction d'infrastructures, le développement industriel et l'amélioration des conditions de vie des populations situées le long du corridor. Lancé en 2013 pour un achèvement prévu en 2055 : notez bien la durée de ce plan. Le temps n'est pas une contrainte mais un atout. Il a été intégré aux nouvelles routes de la soie. S'il est difficile de faire la part entre les investissements, les dons et les prêts consentis par la Chine dans le cadre du CPEC, un montant de 54 milliards de dollars est avancé.

Ce projet est souvent présenté comme une première réalisation des nouvelles routes de la soie, et comme un modèle qui pourrait être reproduit sur d'autres portions de la BRI. Il est donc intéressant de constater qu'il présente des opportunités pour les entreprises françaises dont l'excellence est reconnue dans les domaines agricole et agro-alimentaire par exemple. Le CPEC soulève toutefois de réelles questions : sur le niveau de risque que représentent les investissements dans une zone supposée être désormais moins exposée aux attentats terroristes et sur le niveau d'adhésion des différentes forces politiques en présence au Pakistan et des populations. Un projet d'infrastructure a été « délabellisé », le Pakistan préférant que la Chine ne participe plus à son financement, de même le développement des zones économiques spéciales le long du CPEC ne semble pas faire l'objet d'un parfait consensus.

Le contexte appelle donc une certaine prudence, mais, et c'est une des recommandations de notre rapport, la France doit mettre en avant ses atouts reconnus pour réaliser des investissements rentables et sûrs au Pakistan, sans sous-évaluer le risque sécuritaire. Le Pakistan a été l'un des premiers pays à connaître des réalisations tangibles et considérables des nouvelles routes de la soie, ce qui explique qu'il ait été une étape de notre déplacement. Un travail d'analyse et d'évaluation serait à mener, comme nous l'avons fait, systématiquement sur les pays des routes de la soie.

Je donne la parole à ma collègue qui va maintenant vous présenter les perspectives de développement des nouvelles routes de la soie.

Mme Gisèle Jourda, co-présidente. - Monsieur le président, mes chers collègues, je vais pour ma part vous présenter les perspectives des nouvelles routes de la soie. Ce projet est particulièrement changeant, et dans ses dénominations, et dans ses contours. Les traductions de l'intitulé de cette politique chinoise « Yi dai yi lu » varient au fil du temps. C'est ainsi devenu « one Belt, one Road » -OBOR- « une ceinture, une route » où la ceinture est terrestre et la route maritime- puis, en 2017 « Belt and Road initiative » - BRI- traduite par l'Initiative des Nouvelles Routes de la Soie. Enfin, la logique d'installation de comptoirs commerciaux et de rachats ou de constructions de ports tout au long de ces nouvelles routes conduit également à les appeler le « collier de perles ». Ces changements de noms sont-ils la preuve que cette politique évolue pour prendre en compte les aspirations des pays qui la rejoignent ou pour coller à l'expansion des intérêts chinois ?

Loin de la route de la soie historique, les nouvelles routes de la soie déploient leurs itinéraires. Nous avons déjà parlé de l'Afrique dont Djibouti constitue l'une des portes d'entrée de l'Afrique de l'Est, avec deux chemins de fer vers l'Éthiopie. Nous avons également eu connaissance de nombreux projets de développement des nouvelles routes de la soie en Afrique de l'Ouest et du Nord, avec des infrastructures au Maroc et en Algérie (zones économiques et ports).

L'Amérique latine est également l'objet d'un nouveau développement de l'initiative chinoise. En janvier 2018 s'est tenue, à Santiago du Chili, la deuxième édition du forum Chine-CELAC (Communauté des États Latino-Américains et de la Caraïbe). Le ministre chinois des affaires étrangères est venu encourager la participation aux nouvelles routes de la soie. Plusieurs États, dont le Chili et la Bolivie, auraient annoncé leur intention d'adhérer à l'initiative des nouvelles routes de la soie. En 2017, les banques et institutions chinoises ont injecté 23 milliards de dollars en Amérique latine. Le Brésil, sur les 10 dernières années, aurait bénéficié de 46,1 milliards de dollars d'investissements chinois et 10 milliards supplémentaires d'acquisitions.

L'Arctique, si riche de ressources énergétiques, intéresse également la Chine, qui a obtenu en 2013, sans être un État du cercle polaire, le statut d'État observateur au Conseil de l'Arctique. Le 26 janvier 2018, la Chine a présenté son document de politique étrangère sur l'Arctique. Fidèle à sa stratégie d'influence douce ou soft power, la Chine est devenue pourvoyeur de capitaux dans la mise en valeur des ressources de la région ainsi que pour l'exploitation, très coûteuse pour les riverains, des futures routes maritimes. Le gouvernement pousse ainsi ses entreprises nationales à établir des consortiums avec les entreprises des États circumpolaires, en particulier dans le secteur minier au Canada et au Groenland. L'intensification de la présence militaire chinoise en Arctique accompagne également sa stratégie d'intégration. Dans ce domaine, notre rapport prévoit une recommandation : la France doit veiller à maintenir une présence de haut niveau dans les différents forums Arctiques multinationaux pour porter sa position. Elle doit également favoriser les coopérations avec le Danemark, seul pays de l'Union européenne qui soit État riverain de la méditerranée Arctique (que vous voyez sur les cartes projetées) et membre du Conseil de l'Arctique.

L'extension des nouvelles routes de la soie concerne également directement nos territoires outre-mer, dans l'océan Pacifique. L'influence économique chinoise y est importante, comme l'avait déjà noté le rapport de notre commission sur la place de la France dans le Nouveau Monde en 2016. C'est un sujet qui doit faire l'objet d'un suivi attentif.

Ces nouvelles routes de la soie qui s'étendent à travers tout le globe diversifient également leurs thèmes d'investissement. Au-delà de la construction de routes, il est question de développer les voies aériennes de la soie mais aussi les voies spatiales. L'extension de l'initiative chinoise au domaine spatial est justifiée par les pouvoirs chinois par la nécessité d'apporter un appui spatial au développement économique réalisé dans le cadre des nouvelles routes de la soie : le déploiement accéléré d'une couverture satellitaire globale chinoise, semblable au GPS américain, à l'horizon 2020, étendrait les services, chinois, de navigation, de communication et d'e-commerce le long des nouvelles routes de la soie. La Chine incite ainsi les pays adhérant aux nouvelles routes de la soie à recourir à ses services pour lancer leurs satellites, soutenant financièrement ces projets et proposant des services « tout-en-un » comprenant la fourniture du satellite et le lancement par la fusée chinoise Longue Marche-5. En 2017, un satellite algérien a été mis en orbite par une fusée chinoise. De nouveaux contrats ont été récemment conclus avec le Cambodge et l'Indonésie. Un satellite commun serait en cours d'élaboration avec le Brésil : son lancement, prévu pour 2019, serait également effectué par une fusée chinoise. Dans ce domaine notre rapport comprend une recommandation : sur le rôle moteur que la France, leader de l'industrie aéronautique, doit jouer dans la définition d'une politique nationale et d'une politique communautaire spatiale ambitieuse.

Enfin, les perspectives des nouvelles routes de la soie doivent faire face à deux défis : les fragilités intrinsèques et les réactions qu'elles peuvent susciter.

Les nouvelles routes de la soie se heurteront à des obstacles géographiques, économiques, et géopolitiques, qu'il serait vain d'ignorer. Je ne m'attarde pas sur les reliefs et les déserts que les nouvelles routes de la soie doivent traverser, sur la difficulté de diversifier des économies basées sur la rente d'exploitation d'une ressource naturelle ou encore sur les enjeux géopolitiques que vous connaissez bien, qu'il s'agisse pour le CEPEC de sa partie située sur le territoire du Cachemire revendiqué par l'Inde, et pour la liaison Eurasie du positionnement central de l'Iran et de la Turquie, ou encore, plus globalement, du rôle de la Russie dans cet édifice régional.

Quant aux difficultés intrinsèques au système chinois, elles méritent d'être brièvement énumérées, le sigle OBOR aurait donné lieu au sarcasme, se voyant affublé de la peu flatteuse association « Our Bulldozers-Our Rules », soit « nos bulldozers, nos règles » au lieu de « One Belt-One Road ». Il a notamment été fait reproche aux entreprises chinoises d'importer dans les pays des nouvelles routes de la soie :

- leurs employés, au détriment des salariés locaux, leur management, leurs entreprises, notamment dans les fameuses zones économiques spéciales qui sont construites le long des routes de la soie. Les sociétés chinoises gagneraient près de 89 % des contrats liés aux nouvelles routes de la soie,

- un ordre juridique, aux caractéristiques chinoises, avec des marchés opaques, des changements de règles inattendus, des contrats peu respectés (les engagements pris sont considérés comme peu contraignants). À titre d'exemple, l'aéroport de Vatry, situé au coeur de la Champagne, devait assurer des liaisons régulières de fret aérien de marchandises avec Chengdu, dans la province du Sichuan. Après trois mois, l'exploitation de la ligne s'est interrompue faute de rentabilité selon le partenaire chinois. La région, elle, avait réalisé des investissements qui n'ont pu être récupérés.

- et enfin, la pollution chinoise est aussi exportée hors du territoire, avec la construction de centrales à charbon par exemple, ce qui est un comble pour le leader du photovoltaïque.

Ceci se traduit par une recommandation dans notre rapport afin, par le travail mené en coopération avec la France, en particulier dans les pays tiers, d'inciter la Chine à mieux prendre en compte les demandes des populations locales, à s'insérer dans l'ordre juridique local et à prendre en compte l'impact environnemental des nouvelles routes de la soie.

Elles suscitent de nombreuses interrogations dans l'environnement régional dans lequel elles se déploient. La question centrale est bien celle de la position des États-Unis. Il est vrai que les positions américaines adoptées depuis l'élection du président Trump, telles que l'annulation du partenariat transpacifique et les tentations isolationnistes et protectionnistes, laissent le champ libre à l'influence chinoise. On entend que les États-Unis construisent un mur pendant que la Chine bâtit des routes.

Les autorités indiennes quant à elles voient dans l'initiative chinoise une limite de la capacité indienne à bénéficier du commerce international et une contestation de leur souveraineté. Le Japon semble percevoir la volonté d'expansion chinoise comme une concurrence forte. Il s'est allié à l'Inde pour proposer le corridor de la croissance Asie Afrique visant à relier le Japon, l'Océanie, l'Asie du Sud-Est, l'Inde et l'Afrique. Surnommé la « route de la liberté », ce corridor, doté de 200 milliards de dollars, propose de créer une région indopacifique libre et ouverte en redynamisant l'ancienne route maritime, à faible empreinte carbone.

Enfin, dans le Pacifique, l'Australie, dont la Chine est le premier partenaire économique, a plusieurs fois interdit au nom de l'intérêt national ou de la sécurité du pays, l'achat de terres arables et de compagnies de distribution d'électricité par des consortiums chinois.

L'expansion chinoise interroge ces pays. En marge du sommet de l'Asean en novembre 2017 à Manille, le Japon, l'Inde, l'Australie et les États-Unis se sont rassemblés pour rechercher des alternatives au financement chinois d'infrastructures panasiatiques. Dans ce format, dit Quad, ces pays cherchent à développer des alternatives éventuellement complémentaires au projet chinois.

La France, puissance riveraine de la zone indopacifique, a dans le cadre de sa politique étrangère d'initiative et d'équilibre, des relations étroites avec chacun des membres du groupe Quad. Elle a noué une relation stratégique avec l'Inde dès 1998, avec l'Australie en 2017. Elle mène un dialogue stratégique de haut niveau avec le Japon. La France qui participe largement aux instances de coopération indopacifiques, tels le dialogue Shangri-La, les sommets de l'Asean, etc., pourrait également s'associer aux discussions du groupe Quad.

M. Pascal Allizard, co-président. - J'en viens maintenant, mes chers collègues, à nos principales recommandations. Je vous présenterai celles relatives au domaine économique.

Comme vous l'avez compris, les nouvelles routes de la soie sont changeantes, multiformes, évolutives. Elles obéissent à des objectifs qui ne sont pas tous uniquement économiques. Dans ce contexte, la première recommandation qu'il nous faut formuler vise à soutenir l'évaluation indépendante des effets des nouvelles routes de la soie, dans le domaine économique, dans le domaine environnemental et dans le domaine géopolitique.

Aux collectivités territoriales comme aux entreprises, nous recommandons de veiller à dresser une analyse des risques économiques rigoureuse des participations envisagées aux nouvelles routes de la soie.

Injecter des milliards de dollars dans des pays en développement, ou en difficulté, renforce, on l'a vu, le soft power de la Chine. Mais il reste à voir si la Chine est en mesure de percevoir les remboursements des prêts massifs qu'elle offre aux États relativement moins prospères et potentiellement instables et si les conditions qu'elle offre sont jugées si avantageuses par les pays bénéficiaires.

En novembre 2017, le Pakistan s'est ainsi retiré d'un programme d'investissement de 14 milliards de dollars que les représentants du gouvernement ont qualifié comme allant «?contre leurs intérêts?». Quelques jours plus tôt, le Népal a annulé le projet d'une usine hydroélectrique de 2,5 milliards de dollars, en cours de construction par une société d'État chinoise dans le cadre des nouvelles routes de la soie. La Birmanie a mis fin à un projet similaire, déclarant qu'elle n'était plus intéressée.

En décembre 2017, le gouvernement sri-lankais a dû accepter d'accorder à la Chine une concession de 99 ans sur les activités commerciales du port stratégique de Hambantota dans l'océan Indien. Cette décision tenait compte de l'incapacité à rembourser 8 milliards de dollars de dettes que le Sri Lanka devait aux entreprises publiques chinoises. Enfin, en avril 2018, le FMI a alerté sur le risque que faisait courir la Chine aux pays riverains de la route de la soie en exportant sa dette.

Dans ce contexte, il nous paraît nécessaire de développer, par la coopération entre la banque chinoise de développement et l'AFD, annoncée à l'issue de la visite d'État du Président français en Chine en janvier 2018, la mise en place de méthodologies communes. Nous recommandons de favoriser le partage d'expérience et de méthode, pour tendre au rapprochement par les politiques d'aides publiques chinoises des bonnes pratiques internationales.

S'agissant du territoire national, nous recommandons de favoriser l'intermodalité et les connexions entre le réseau ferroviaire français et le réseau ferroviaire européen, en particulier par la réalisation de la liaison à très grande vitesse entre Lyon et Turin, afin que la desserte de la France s'améliore. La SNCF aurait certainement un vrai rôle à jouer dans ces problématiques, et n'a sans doute pas encore déployé toutes ses capacités dans ce domaine.

S'agissant de nos collectivités territoriales, il nous semble nécessaire de tirer le bilan des années d'expérience de la coopération décentralisée française en Chine. Mais aussi de mener des actions permettant de mieux connaître les procédures et fonctionnement des administrations et des entreprises chinoises. Pour cela il est recommandé de disposer d'un correspondant sur place, les intermédiaires ayant souvent montré leurs limites. Dans cette perspective, la possibilité d'employer un personnel de type « volontaire international en entreprise », adapté aux besoins des collectivités territoriales, devrait être étudiée.

Quant à nos entreprises, nous devons favoriser leur déploiement sur le territoire chinois, tout en les sensibilisant aux problématiques de protection des investissements stratégiques ou sensibles et en leur garantissant des conditions de stabilité juridique et de protection de la propriété intellectuelle satisfaisantes.

Je redonne la parole à ma collègue Gisèle Jourda qui va vous présenter les principales recommandations de portée géopolitique de notre rapport.

Mme Gisèle Jourda, co-présidente. - Les nouvelles routes de la soie sont-elles la proposition d'un nouvel ordre mondial alternatif ?

La Chine s'implique fortement dans les organisations internationales telles que l'ONU ou encore le Forum économique de Davos, où elle s'était faite le champion du libre-échange et de la mondialisation. Elle accroît son implication dans différentes structures de coopération internationale ou régionale telles que l'Organisation de coopération de Shanghai, ou le partenariat économique régional global (Regional Comprehensive Economic Partnership-RCEP) qui devrait être bientôt l'un des plus grands accords commerciaux de libre-échange au monde, concernant 45 % de la population mondiale. Il formalisera le premier accord de libre-échange entre la Chine et l'Inde. De même, la Chine favorise la mise en relation des nouvelles routes de la soie et des organisations régionales qu'elle rencontre sur son chemin, telles que l'Union économique eurasiatique-UEE.

Dans le même temps, elle développe ses propres organisations et forums internationaux, tels que le premier forum international des nouvelles routes de la soie dont elle maîtrisa les invitations, l'ordre des intervenants, le moment qu'elle avait choisi pour que la proposition de déclaration commune fut remise aux participants, etc. Selon les observateurs, ce sommet, rassemblant autour de Xi Jinping Vladimir Poutine, Recep Erdogan, Alexis Tsipras ou encore la présidente du FMI et le secrétaire général de l'ONU, avait des allures de « G20 réapproprié ».

Enfin, l'Expo Internationale d'Import de Chine réunira à Shanghai du 5 au 10 novembre 2018 des entreprises chinoises et de très nombreuses entreprises étrangères, mais aussi des États et des collectivités territoriales. Au-delà d'un événement purement économique, cette foire prend l'allure d'un Davos aux caractéristiques chinoises, la participation du Président chinois étant annoncée comme un point d'orgue de ce que la Chine considère comme un grand rendez-vous.

La perspective de voir émerger une proposition chinoise d'un nouvel ordre mondial, remettant en cause les organisations internationales dans lesquelles elle ne trouve pas sa place, semble plausible. Si tel devait être le cas toutefois, il n'est pas certain qu'il s'agirait d'un nouveau multilatéralisme.

En effet, la Chine semble privilégier les relations bilatérales, qui l'avantagent, par rapport aux relations multilatérales qui nécessitent des procédures permettant d'aboutir à un consensus pour lequel la plupart des parties doivent consentir certains sacrifices au regard de leurs intérêts propres. La Chine est ainsi souvent vue comme cherchant à diviser les organisations de coopération régionale existantes, par des échanges bilatéraux concurrents entre les membres d'une même organisation, à son profit. La politique chinoise semble plus volontiers fondée sur le « bilatéralisme de masse » que sur le multilatéralisme tel que nous le connaissons aujourd'hui.

Ceci m'amène à nos recommandations dans ce domaine. La première est que la France doit jouer un rôle moteur dans les nouvelles routes de la soie. La France doit être force d'impulsion dans sa relation bilatérale avec la Chine afin de s'intégrer officiellement dans le processus, selon les modalités conformes à nos objectifs de réciprocité et dans le respect de nos engagements internationaux. À ce titre, la France a également un rôle moteur à jouer dans le développement de la relation entre la Chine et l'Union européenne. Il nous faut également considérer, sans naïveté ni agressivité, que la Chine, par ses caractéristiques économiques et militaires actuelles, est appelée à mener une politique de puissance, et que la politique des nouvelles routes de la soie y participe.

Lors de sa visite d'État en janvier 2018, le Président de la République a annoncé que la France allait participer aux nouvelles routes de la soie dans le cadre d'une feuille de route, annoncée pour la fin du premier semestre. Nous recommandons d'associer les entreprises et les régions à la conception puis à l'application de la feuille de route. Et nous pensons qu'il faut favoriser la mobilité en Chine, en particulier des étudiants français, afin d'améliorer la connaissance de la culture et du marché chinois.

Les coopérations en pays tiers seront sans doute les vecteurs des actions bilatérales de la France et de la Chine dans le cadre des nouvelles routes de la soie. Nous recommandons d'étudier les possibilités de mener ces coopérations en Europe centrale et orientale mais aussi en Afrique de l'Ouest.

Enfin, face aux dérives du sens des mots employés dans nos coopérations, il nous paraît important d'encourager la veille des institutions et associations juridiques françaises sur l'utilisation des concepts juridiques tels que « État de droit » dans le cadre des nouvelles routes de la soie.

J'en viens maintenant à la relation entre la Chine et l'Union européenne.

La Chine a créé un mécanisme appelé « Format 16+1 » en 2012 qui promeut les nouvelles routes de la soie dans les pays d'Europe centrale et orientale. Ce Format donne à la Chine des interlocuteurs privilégiés dans ces pays, et offre à ceux-ci un accès direct à Pékin. En sont membres, outre la Chine, 16 États d'Europe centrale et orientale, dont 11 sont membres de l'Union : la Bulgarie, la Croatie, l'Estonie, la Hongrie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie, et cinq États candidats à l'entrée dans l'UE : l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, l'ARYM, le Monténégro et la Serbie. Le sommet de Riga tenu en 2016 Ce sommet de Riga s'est caractérisé par l'institutionnalisation du Format et la diversification de ses objectifs.

Cette stratégie chinoise pourrait affaiblir l'Union européenne. Acte doit être donné aux pays membres de l'Union européenne qui participent au « Format 16+1 » qu'ils respectent les normes communautaires, particulièrement dans les domaines de compétences partagées qui sont abordés dans le cadre de leur coopération avec la Chine, malgré les demandes de dérogation portées par Pékin. La Commission européenne et le SEAE sont invités en tant qu'observateurs aux sommets du Format. Les pays membres de l'Union européenne pourraient s'appuyer sur eux pour définir, en tant que de besoin, des positions communautaires au sein du Format afin de défendre au mieux leurs intérêts et leur éviter ainsi de se trouver mis en concurrence sur certains sujets. Il serait souhaitable que les prochains sommets UE-Chine et 16+1 en 2018 fassent l'objet d'une concertation entre les pays membres de l'Union européenne, afin que la cohérence communautaire ne soit pas prise en défaut et que les membres de l'Union veillent tous ensemble à défendre leurs intérêts communs à l'occasion de chaque rencontre avec la Chine, quel qu'en soit le format.

La France doit avoir un rôle moteur pour porter les messages communs communautaires. Car une action concertée de l'Union a plus de chance d'aboutir. Il serait pertinent d'inscrire le sujet au Conseil des affaires étrangères et au Conseil « Affaires économiques et financières » (Ecofin), afin de sortir de la logique de silo qui prévaut actuellement. Il faut que l'Union européenne s'exprime sur ce sujet. Ce devrait être le cas avec l'adoption de la stratégie communautaire sur la connectivité entre l'Europe et l'Asie. Nous recommandons de prendre en compte, dans cette optique, le TRACECA (Transport Corridor Europe-Caucase- Asie).

Enfin, nous devons soutenir l'action de l'Union européenne en vue d'obtenir un accord global sur les investissements, la réciprocité de l'ouverture du marché chinois, et un accord sur les indications géographiques, si important pour l'économie de nos territoires.

Nous arrivons au terme de ce travail, plus conscients que jamais qu'il ne peut avoir de fin. Chaque semaine de nouvelles publications de qualité paraissent sur les nouvelles routes de la soie, chaque rencontre est l'occasion d'explorer de nouvelles dimensions de cette stratégie chinoise.

Comment répondre à la question posée initialement : que sont les nouvelles routes de la soie ? C'est un instrument de développement intérieur et extérieur de la Chine. C'est aussi un réseau d'infrastructures vecteur de croissance mondiale. C'est aussi une déclinaison d'une vision géopolitique chinoise, c'est-à-dire d'une politique de puissance dans un cadre géographique déterminé, d'un « desserrement » occidental de la Chine.

La France, mais aussi l'Europe, stimulée dans ce domaine par une France que nous voulons aussi lucide que dynamique, doivent prendre part à cette initiative. Une autre lecture du projet chinois l'assimile au plan Marshall du XXI e siècle. Imagine-t-on un pays européen refuser le plan Marshall après-guerre ? Cette question est volontairement polémique : peut-on après des années de ralentissement économique refuser de participer au projet de développement mondial porté par la Chine ? Doit-on pour autant y participer à n'importe quelle condition ?

M. Pascal Allizard, co-président. - Ce projet ne pourra être un succès, pour toutes les parties, que s'il fonctionne dans les deux sens en créant un équilibre satisfaisant entre les échanges Est-Ouest et les échanges Ouest-Est. La dimension économique et la dimension géopolitique doivent ainsi être prises en compte pour établir un double partenariat : un partenariat commercial basé sur la réciprocité de l'ouverture des marchés, le respect de la concurrence et de la transparence des marchés, et un partenariat stratégique basé sur une coopération multilatérale et cartellisée.

M. Christian Cambon, président. - Ce rapport donne parfois le vertige en raison des sommes mentionnées. J'étais il y a quelques semaines au Laos, au Nord de Luang Prabang, sur un axe non central des nouvelles routes de la soie, et j'ai eu l'occasion de voir, au détour de la route, un chantier géant, en pleine forêt. La construction d'un TGV est annoncée sur des panneaux, les travaux sont commencés. Le Laos risque d'être submergé de dettes lorsqu'il devra faire face aux engagements financiers contractés.

Ce projet chinois ne fonctionnera que sur la base de la réciprocité. Aujourd'hui les trains arrivent chargés de produits entiers et repartent quasiment vides. Ils rapportent quelques pièces détachées et caisses de bordeaux, et des wagons entiers de sciure de bois qui seront transformés en parquet en Chine avant de prendre le chemin du retour, fragilisant la filière bois européenne.

Enfin, les entreprises françaises rencontrées en Chine soulignent leur difficulté à travailler sur le marché chinois, en raison en particulier de la trop faible protection de la propriété intellectuelle.

M. Édouard Courtial. - Monsieur le Président, mes chers collègues, il me semblait important de préciser certains aspects plus financiers de ces nouvelles routes de la soie.

La directrice générale du FMI, à l'occasion d'un forum sur les nouvelles routes de la soie à Pékin au premier trimestre 2018, a mis en garde contre les risques de dérapage financier et le piège de l'endettement pour les pays concernés. Ces partenariats, je cite, « peuvent également conduire à un accroissement problématique de l'endettement (des pays concernés), limitant leurs autres dépenses à mesure que les frais liés à la dette augmentent (...) il existe la tentation de tirer profit des appels d'offres (...) Il existe toujours le risque de projets qui échouent ou de détournement des fonds. Parfois, cela s'appelle même de la corruption ».

De fait, les banques publiques de développement chinoises et autres institutions telles que les fonds, accordent aux pays dans lesquels se déploient les nouvelles routes de la soie des prêts conséquents pour les chantiers labellisés BRI, quitte à mettre ceux-ci dans une situation financière intenable. Faire estampiller son projet BRI est d'ailleurs une façon d'obtenir un financement chinois, ce qui n'est pas toujours sans conséquence. Les prêts sont consentis au-dessus du taux libor garantissant ainsi à la Chine une vraie rétribution de l'argent mis à disposition. Les prêts chinois sont offerts en moyenne à un taux d'intérêt de compris entre 2,5 et 3,6 %. Ils sont au moins partiellement formulés en yuans, dans le but affirmé de renforcer la monnaie chinoise. Ces prêts sont accordés à des compagnies d'État, elles-mêmes liées à des entreprises chinoises. Le financement des projets d'infrastructure est réalisé principalement par la China Exim Bank qui propose en général également une aide à la commercialisation des produits chinois. Les banques chinoises appliquent une méthode connue sous le nom de « ressources pour l'infrastructure » qui prévoit que le paiement du prêt pour le développement de l'infrastructure est effectué, en tout ou partie, avec des ressources naturelles, par exemple du pétrole ou du gaz naturel. Lorsqu'elles n'utilisent pas cette méthode, les banques chinoises conditionnent généralement les prêts qu'elles accordent à la possibilité de se rembourser en obtenant la propriété pendant un bail extrêmement long de l'infrastructure construite.

Ainsi, le Sri Lanka, s'est vu contraint, sous le poids d'une « spirale d'endettement », à céder l'exploitation et le contrôle du port d'Hambantota. Le Sri Lanka devrait près de 8 milliards de dollars à la Chine.

Le cas du Laos pose également question. Le coût du projet de liaison ferroviaire Boten-Luang Prabang-Vientiane s'élève à 6 milliards de dollars. Le Laos doit prendre en charge 30 % des frais, soit 1,8 milliard de dollars. Le Laos a apporté, au début des travaux, 715 millions de dollars (la Chine apportant 1,67 milliard de dollars par la banque chinoise de développement), dont 250 millions de dollars qui proviennent de son budget et 465 millions de dollars qui proviennent d'un prêt de la banque d'import-export de Chine à un taux de 2,3 % sur trente-cinq ans sans remboursement durant les cinq premières années. Reste donc 1,085 milliard de dollars à apporter sur lequel aucune information officielle n'est disponible. Il semble possible que le financement complémentaire soit apporté par des banques chinoises en échange d'une participation importante dans la Laos-China Railway Company limited, entreprise sino-laotienne chargée de créer et de gérer une zone tampon large de vingt à cinquante mètres de part et d'autre de la voie de chemin de fer sur l'ensemble du tracé entre Boten et Vientiane.

Notre rapport inclus donc une recommandation visant à favoriser la candidature de la Chine à l'adhésion au Club de Paris, afin que les conditions d'endettement des pays participants aux nouvelles routes de la soie soient conformes aux pratiques admises dans le cadre de l'OCDE et que le risque de surendettement, voire de faillite, soit évité.

M. Jean-Noël Guérini. - Monsieur le Président, mes chers collègues, il me revient de vous parler plus spécifiquement de la partie maritime des nouvelles routes de la soie. Afin de comprendre les enjeux du volet maritime, il est essentiel de rappeler qu'actuellement près de 80 % du commerce mondial est assuré par les transports maritimes internationaux qui sont encore en forte progression. La Chine est un très grand consommateur du trafic maritime, à titre d'exemple, sur un commerce de 1,4 milliard de tonnes de minerai de fer, 1 milliard correspond aux besoins de la Chine. La proportion est du même ordre pour le commerce du charbon et celui du pétrole. Ceci donne idée de l'ampleur de l'influence de la Chine dans l'évolution des grands enjeux du transport maritime.

La France porte dans ce domaine de hautes ambitions, visant une diminution significative des taux de soufre dans les carburants marins et plaidant pour l'instauration d'une zone de réduction de l'utilisation de ces carburants soufrés en Méditerranée. Cette transition vers des navires moins polluants est déjà très engagée en France, ce qui pourrait permettre de trouver dans ce domaine des possibilités de coopération avec la Chine qui est au huitième rang mondial en tonnage de navires possédés et au troisième rang en tonnage de navires utilisés, sous différents pavillons.

Nous avons donc inclus, au rapport qui vous est aujourd'hui présenté, une recommandation sur le secteur maritime afin de porter attention à la composition et à l'évolution du capital des opérateurs, dont CMA CGM et d'évaluer l'intérêt des prises de participation chinoise dans les infrastructures portuaires.

Nous devons également mener une politique de modernisation des installations portuaires favorisant l'intermodalité et l'adaptation à l'utilisation du gaz naturel liquéfié (GNL). Nous recommandons également, de développer l'intelligence économique afin de connaître toutes les opportunités d'implantations d'entreprises chinoises dans le cadre des nouvelles routes de la soie dans les réserves foncières dont disposent les ports français. L'exemple du Grand Port Maritime de Marseille est intéressant, il est en passe de devenir une étape des nouvelles routes de la soie, avec l'installation d'un centre de grossistes en textiles, le MIF 68, et l'implantation de l'industriel chinois Quechen Silicon Chemical pour produire 90 000 tonnes par an de silice à haute dispersion (HDS) pour « pneus verts ».

Dans ce secteur, les nouvelles routes de la soie peuvent être une opportunité pour la France, si elles sont abordées avec lucidité et avec le bon niveau d'intelligence économique. Il faut étudier et connaître les méthodes et les projets chinois dans ce domaine économique dans lequel la France peut faire valoir ses atouts.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Vos recommandations semblent à la fois sages et pertinentes. Dès l'introduction on est étonné par les chiffres que vous citez, qui ne sont pas assez connus et, qui, s'ils l'étaient, pourraient paraître un peu inquiétants. On réalise à les entendre que la Chine est « éveillée » aujourd'hui, avec une puissance financière incontournable. Lorsque vous mentionniez la différence de présentation du projet selon vos interlocuteurs cela a peut-être trait à leur niveau d'implication dans ce projet de maillage mondial.

Vous parlez de réciprocité, et c'est essentiel, mais quel est aujourd'hui l'intérêt de la France à soutenir l'avancée de la Chine dans les pays africains ? On comprend bien que la Chine arrive avec des moyens financiers importants, ce qui nous fait peut-être défaut, et à quoi nous devrions travailler. Faut-il pour autant mettre à sa disposition nos relais, notre expertise ? Ne risque-t-on pas après avoir ouvert la porte de la voir nous être claquée au nez ?

Ma deuxième interrogation porte sur la position de l'Union européenne sur ce dossier, sur ce maillage, qui ne concerne pas seulement l'Asie mais également le continent européen ?

Enfin, je souhaiterais pouvoir poser la question de notre collègue Gilbert-Luc Devinaz qui avait une autre obligation. Cette question semble avoir été inspirée par son déplacement à Djibouti. Dans le domaine de la défense, existe-t-il des risques pour la liberté de naviguer, du fait notamment des investissements chinois dans les ports situés le long des nouvelles routes de la soie ? Par ailleurs, s'agissant des enjeux numériques, la totalité des informations transmises par Internet passe par des câbles sous-marins, technologie dans laquelle les investissements chinois sont particulièrement dynamiques. Cela présente-t-il un risque particulier ?

Enfin pour être allée au Laos et au Cambodge, il y a là de vrais enjeux. Votre recommandation sur la protection des pays qui s'endettent dans le cadre du développement des nouvelles routes de la soie sur les 30 ou 50 ans à venir est particulièrement judicieuse. Il faut savoir de plus que le long des infrastructures des nouvelles routes de la soie, de chaque côté, sur une large bande de terrain, des concessions sont cédées aux investissements chinois. Cela permettra de construire des gares et des villages et d'avoir une installation chinoise sur un territoire qui leur appartiendra. Il me semble que les Laotiens et les Cambodgiens sont en train de réaliser, peut-être un peu tard, l'ampleur du phénomène.

M. Christian Cambon, président. - Non seulement des villages, mais aussi des zones franches seront construites au bénéfice des entreprises chinoises.

M. Michel Boutant. - Vous parliez de surprise, mais lorsque j'écoutais attentivement nos deux rapporteurs, et que je regardais les infographies présentées en même temps, j'étais pris d'un certain tournis. Je me remémorais les propos de notre précédent Président, Jean-Pierre Raffarin, lorsque nous avons abordé pour la première fois ces problématiques des nouvelles routes de la soie. Je me souviens avoir alors posé la question de savoir s'il convenait de s'inquiéter d'un tel projet chinois. Il avait eu cette phrase que les stratèges militaires chinois utilisaient : « la plus grande des batailles gagnées c'est celle qu'on ne livre pas ». On a l'impression que l'on s'éloigne des batailles militaires qui pendant des siècles ont bouleversé notre histoire. On dominait ses voisins par les armes, par l'économie aussi, certes, car il fallait une économie forte pour soutenir une armée forte.

Aujourd'hui la stratégie est différente. Elle est économique. Elle n'en est pas moins redoutable. Elle m'inquiète un peu, car on a l'impression que c'est un nouvel ordre mondial qui est en train de se mettre en place. Sans doute les Chinois se défendent-ils de vouloir imposer un nouvel ordre mondial, mais, lorsqu'on regarde l'évolution des investissements chinois à l'étranger au cours des dix dernières années, et le montant qu'ils atteignent, on pourrait avoir l'impression d'être submergé.

Vous parliez de sémantique tout à l'heure, de l'appellation donnée à cette politique chinoise : des nouvelles routes de la soie, de la ceinture, du collier de perles. Je ne sais pas qui est à l'origine de ces appellations, peut-être les Chinois eux-mêmes. Lorsque l'on parle de route, il y a un aspect rassurant, la route est un élément qui réunit, mais lorsqu'elle s'étend jusqu'à l'Amérique latine, l'aspect rassurant est atténué. De même, l'extension des nouvelles routes de la soie dans le domaine spatial pourrait donner l'impression que la Chine s'approprie l'univers tout entier de façon assez méthodique. On pourrait trouver cela inquiétant s'il n'y a pas d'équilibre dans nos échanges avec la Chine. Or, aujourd'hui les Chinois sont dans l'action et réalisent concrètement leur projet. De notre côté, nous en sommes toujours aux voeux pieux et aux incantations. La partie semble complètement déséquilibrée au profit du joueur adverse qui a plusieurs temps d'avance sur nous.

M. Christian Cambon, président. - Jean-Pierre Raffarin nous rappelait que l'on pouvait ou non s'inquiéter, mais que, faute de stratégie, les nouvelles routes de la soie se feraient sans nous.

M. Jean-Paul Émorine. - En tant que président de la commission des affaires économiques, j'ai eu l'occasion de me rendre en Chine à plusieurs reprises. J'ai pu constater l'évolution de la Chine qui avait un produit intérieur brut inférieur à celui de la France. Quinze ans plus tard, le PIB de la Chine atteint 12 000 milliards de dollars, plus de trois fois supérieur au nôtre.

Les nouvelles routes de la soie font rêver le monde. Quant à la question de savoir s'il s'agit d'un simple label économique ou d'un nouvel ordre mondial, il faut avoir une vision pragmatique. Les nouvelles routes de la soie s'inscrivent dans le vingt et unième siècle sont incontournables. La France doit être présente, c'est indispensable et vous l'avez recommandé. Lors des voyages que j'évoquais, les Chinois nous disaient ne pas connaître l'Europe. Il faut faire évoluer l'Europe sur ces questions. Les forces financières chinoises ne laissent pas de doute sur la réalisation de leurs projets.

La Chine a 140 millions d'hectares pour nourrir une population d'1,4 milliard d'individus. L'Union européenne a 140 millions d'hectares pour nourrir une population de 500 millions d'habitants. Dans le domaine agricole, nous pouvons bénéficier des investissements chinois, et la France est le premier pays producteur agricole de l'Union européenne avec 30 millions d'hectares, soit 20 % du total européen.

Pour revenir sur l'Union européenne, les Chinois y investissent 35 milliards, quand l'Union n'investit que 8 milliards en Chine. Notre collègue se demandait si nous n'avions pas un temps de retard. Il est vrai que la protection de la propriété intellectuelle et des brevets pourrait être améliorée en Chine, mais en tout état de cause, la France doit être présente dans les nouvelles routes de la soie.

M. Olivier Cadic. - Les nouvelles routes de la soie vont faire de la Chine la première puissance mondiale du XXIe siècle. Je ne suis pas sûr que la Chine se soucie d'ailleurs réellement d'obtenir le remboursement de ses prêts. On pourrait presque assimiler ces prêts à de nouvelles formes de « subprime » international : pour rembourser les pays devront céder leurs infrastructures ou une partie de leur territoire. La Chine est un pays indépendant qui assure son indépendance en cherchant à rendre les autres pays dépendants d'elle-même.

Certains investissements sont d'ailleurs remboursés. C'est le cas dans l'Union européenne. L'Europe finance de grands travaux opérés par des entreprises chinoises avec des personnels chinois, je le vois notamment au Monténégro ou en Serbie.

En Nouvelle-Zélande, l'année dernière, 350 diplomates chinois étaient déployés à Wellington. C'est par l'apprentissage du chinois que la Chine étend là son influence. Des enseignants de langue chinois sont mis à disposition des écoles gratuitement.

Les routes « cyber » de la soie et le développement de champions nationaux tels qu'Alibaba posent également des questions. La Chine paraît construire un monde orwellien au service d'une unité chinoise dans un espace clos par une « muraille de Chine cyber ».

Je suis, à titre personnel, très réservé sur la recommandation tendant à ce que la France entre dans ces nouvelles routes de la soie. Le fondement de l'Union européenne est son union commerciale qui en a fait la première puissance commerciale du monde. Et la Chine, vous l'avez évoqué, cherche à diviser l'Union européenne et d'une manière générale les organisations multilatérales, en mettant en place des accords bilatéraux. Je trouve donc compliqué de recommander d'engager un approfondissement de notre relation bilatérale avec la Chine dans le cadre des nouvelles routes de la soie. Nous sommes trop petits pour faire face à cette organisation.

Vous avez évoqué le groupe Quad, sans mentionner le concept de « route de la liberté ». Il me semble que ce qui est en jeu c'est un monde orwellien face à un monde démocratique. Le Japon, l'Inde, l'Australie et les États-Unis sont des pays démocratiques qui appliquent les règles de protection commerciale auxquelles nous sommes habitués. Le géant Alibaba attire toute l'industrie cosmétique et on peut se demander quel sera l'avenir des brevets des molécules cosmétiques. Il nous faut avoir une stratégie pour défendre l'Union européenne qui est un espace de droit.

M. Hugues Saury. - Je partage largement l'intervention de notre collègue. Je pense que plus qu'une conquête économique c'est à une conquête territoriale que nous assisterons à terme. Il me semble que la France n'a pas la taille critique pour répondre à cette initiative, c'est l'Union européenne qui l'a. La France doit donc agir dans le cadre de l'Union européenne.

M. Pascal Allizard, co-président. - Les chiffres sont effectivement impressionnants, ce qui nous a poussés à les vérifier à plusieurs reprises. Nous ne sommes pas sur des échelles de valeurs qui sont les nôtres au quotidien.

Nous partageons le diagnostic de nos collègues qui sont intervenus. Pour reprendre l'expression utilisée, ce n'est pas nous qui ouvrons les portes, aujourd'hui, les portes sont ouvertes aux investissements chinois par les pays récipiendaires. La Chine a une stratégie et un énorme avantage, qui est détaillé dans le rapport : sa puissance économique qui se traduit par des excédents et des réserves de change conséquents. Les Chinois disposent d'une réserve stratégique au sens financier et monétaire qui leur permet de financer les nouvelles routes de la soie, avec ou sans remboursement. Au niveau économique, on est dans une quasi-intégration en fait. Il n'y a pas de lien juridique hormis le contrat, mais le non-respect du contrat se traduit par un nantissement et induit un effet de dépendance économique et politique de facto. Des conflits du type de celui qui existait lors de la construction du canal de Suez pourront se reproduire. Il est à craindre que des pays ou des pays riverains des pays endettés n'accepteront pas que la Chine mette en oeuvre les clauses de nantissement.

Dans les pays situés en Afrique, il faut admettre que nous n'avons plus le monopole de la relation. Nous avons très peu de moyens pour intervenir, l'asymétrie avec la Chine est extrêmement forte. Nous en avons clairement parlé la semaine dernière dans le cadre de la relation entre la Chine et Djibouti. D'autres pays que la France d'ailleurs qui étaient sur leur zone d'influence historique vont vivre la même remise en cause. Il est assez étonnant de constater que la stratégie chinoise n'est en rien belliqueuse. C'est un peu anesthésiant si l'on n'y prête pas attention. C'est une sorte de cheval de Troie économique avec une politique de puissance en arrière-fond.

Lorsque l'on parle des problèmes de défense ou de main-d'oeuvre, les travaux réalisés dans le cadre des nouvelles routes de la soie mobilisent essentiellement des travailleurs chinois et pour assurer leur protection, certains pays mettent en oeuvre des polices spécifiques, mais il existe aussi des sociétés chinoises de sécurité qui assurent officiellement la sécurité des ouvriers. Leur présence dans ces pays soulèvera sans doute des questions.

Nous avons peut être présenté un peu rapidement la problématique du numérique qui fait l'objet de plus longs développements dans le rapport. Il y a effectivement de vrais enjeux de sécurité des câbles sous-marins, et la position de Djibouti est essentielle dans cette problématique. Le port de Gwadar au Pakistan est en face de Djibouti. Paisible port de pêche, Gwadar est en train de devenir un port de commerce important adossé à une zone économique chinoise et à 20 km de là un port militaire est en train d'émerger.

Dans le domaine de la défense, la problématique concerne également la présence maritime chinoise. La marine chinoise met à l'eau tous les quatre ans l'équivalent de la marine française. À court terme les Chinois ne sont peut-être pas encore dotés de la compétence humaine permettant d'exploiter pleinement ce potentiel, mais cela viendra, probablement d'ici une dizaine d'années. Dans ce domaine, une fois de plus, la notion de temps est très différente. Une montée en puissance sur dix ans ne pose aucune difficulté à la Chine. Mon expérience professionnelle antérieure m'a permis de me rendre contre à quel point le temps est perçu différemment par les Chinois. Montrer un signe d'impatience c'est déjà perdre une négociation.

Effectivement, je rejoins le constat de nos collègues, la France n'a pas la taille critique seule face à ce projet gigantesque. Cela étant, qu'on s'y intéresse ou non, qu'on y participe ou non, ce projet se concrétisera. Par conviction, j'ai tendance à dire il vaut mieux être dedans et essayer de l'orienter plutôt que de le subir. Notre principale recommandation, c'est d'être moteur au sein de l'Union européenne pour cartelliser la démarche. Il faut que l'Union européenne devienne l'interlocuteur de la Chine et non les pays européens pris dans une relation séparée et bilatérale.

À l'assemblée parlementaire de l'OSCE, une démarche intéressante se met en oeuvre : la totalité des pays membres de l'OSCE qui ont conventionné avec la Chine sont en train de cartelliser leur démarche. On a parlé des réticences du Népal du Pakistan etc. au sein de l'OSCE également certains pays semblent estimer que les choses sont peut-être allées trop vite et trop loin. C'est une démarche que je vais suivre.

Enfin, des questions commencent à se poser également sur la qualité des travaux réalisés dans le cadre des nouvelles routes de la soie, sur les modalités de sécurisation des chantiers et sur le prix des matières premières. Selon un rapport européen, le ciment chinois est facturé très au-dessus du cours des matières premières.

Les nouvelles routes de la soie sont, en tout état de cause, un sujet qui devra rester au coeur de l'attention de notre commission.

Mme Gisèle Jourda, co-présidente. - Il est vrai que l'utilisation faite par la Chine des accords commerciaux et du soft power montre que tous les instruments sont utilisés pour étendre son influence à toutes les zones et à tous les domaines. Dans les Caraïbes, la Chine agit par les biais les plus subtiles. Elle finance par exemple le jeu de maillots de l'équipe de foot dans nos propres territoires d'outre-mer. Dans cette politique d'influence, les instituts Confucius jouent leur part.

Il me semble que le train des routes de la soie est largement lancé et permet la montée en puissance géopolitique de la Chine. La France et l'Europe doivent se demander comment elles montent dans le train, pour combien de temps et dans quel wagon. Nous ne pouvons pas rester en dehors pour nos entreprises alors que certains pays européens multiplient les accords bilatéraux avec la Chine. Il nous faut donc définir un équilibre permettant le respect du droit commercial et le développement de nos entreprises. Il faut cultiver une dimension nationale et européenne. Nos recommandations sur le format 16+1 sont particulièrement importantes, de même celles sur la feuille de route. Enfin, il ne faut pas non plus négliger le rôle de nos régions qui ont instauré depuis de nombreuses années des coopérations décentralisées et qui doivent être associées à cette feuille de route.

Je rejoins mon collègue, ce rapport est un rapport d'étape, qui sera dépassé rapidement par les multiples développements que connaîtront les nouvelles routes de la soie. Nous n'avons pas parlé notamment de l'aspect culturel des routes de la soie, de la nécessité qu'il y a à encourager la mobilité des étudiants français pour s'approprier les manières de fonctionner des entreprises et des administrations chinoises.

À l'issue de ce débat, la commission a adopté le rapport des rapporteurs et en a autorisé la publication sous la forme du présent rapport d'information.

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