II. LA CIVS, UN ACTEUR DE LA RÉPARATION AU BILAN TRÈS ESTIMABLE MAIS CONTRASTÉ SELON LES SPOLIATIONS

La voie de réparation ouverte avec la création de la CIVS a été largement empruntée et a permis à un très grand nombre de victimes directes ou plus indirectes des spoliations antisémites d'obtenir réparation des préjudices correspondant à ces spoliations.

L'ampleur des demandes présentées à la commission, qui n'avait pas été anticipée, a connu ces dernières années une incontestable décrue. Il serait toutefois hâtif de conclure de la baisse du volume des demandes présentées à la CIVS à une quelconque finalisation du devoir de réparation des spoliations antisémites.

En la matière, si les approches globales ont leur mérite, seule une analyse fine des besoins de réparation restant à satisfaire peut avoir une portée pleinement conclusive.

D'ailleurs, même apprécié globalement, le bilan de la réparation des spoliations par la CIVS suscite nécessairement des interrogations.

La détermination du passif de réparation reste sujette à caution.

Le montant des indemnisations recommandées par la CIVS a largement dépassé le passif global de réparation tel qu'il pouvait sembler résulter des travaux de la mission Mattéoli. Outre l'actualisation monétaire, ce constat ne saurait être vu comme une anomalie tant les estimations disponibles restent entourées d'incertitudes. La mise à jour systématique de la dette de réparation n'ayant pas été conduite, le diagnostic d'une pleine et totale réparation, ne semble pas solidement étayé.

Au demeurant, le bilan des réparations de la CIVS apparaît très fortement contrasté selon les domaines de la spoliation qu'on considère, sans que ces contrastes ne semblent épouser le poids relatif des différents compartiments de la dette de réparation.

Les succès engrangés, dans le champ de la réparation bancaire notamment, ne doivent pas dissimuler les échecs, en particulier ceux essuyés dans le champ des réparations des préjudices matériels, au premier rang desquels les objets d'art et de culture.

Les facteurs qui ont pu favoriser les premiers n'étaient pas réunis pour que la commission puisse éviter les seconds.

Il est urgent d'en tirer les conséquences et de réunir enfin les conditions d'une réparation vraiment satisfaisante des préjudices restant à réparer, impératif qui est aussi celui de ne pas consacrer des situations de fait résultant des crimes commis au milieu du siècle dernier.

A. LES ENJEUX FINANCIERS ET BUDGÉTAIRES LIÉS À LA RÉPARATION DES SPOLIATIONS, UNE AMPLEUR NON ANTICIPÉE SUIVIE D'UNE APPARENTE DÉCRUE

Le programme 158 « Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la seconde guerre mondiale », constitue le support budgétaire de la CIVS.

Ce programme couvre trois dispositifs d'indemnisation, parmi lesquels celui mis en oeuvre par la CIVS apparaît désormais le plus modeste, sans, pour autant que cette situation puisse être jugée représentative des enjeux, même pris en compte sur la seule base financière, de la réparation des spoliations.

Les trois dispositifs financés par le programme 158 sont les suivants :

- l'indemnisation des victimes de spoliations antisémites, seule à être envisagée dans le présent rapport, puisque seule du domaine d'attributions de la CIVS ;

- les indemnisations des orphelins de victimes de persécutions antisémites ;

- l'indemnisation des orphelins de victimes d'actes de barbarie.

Doté de 100,8 millions d'euros dans la loi de finances initiale pour 2017 (101,05 millions d'euros en 2016) pour une consommation effective des crédits de 94 millions d'euros, le programme est structuré autour d'une programmation budgétaire qui dessine une nette hiérarchie de ses dépenses.

Dans celle-ci, se détachent les indemnisations des orphelins de victimes d'actes de barbarie , dont les crédits fixés à 54,4 millions d'euros en loi de finances pour 2017 ont été exécutés à hauteur de 51,7 millions d'euros (54,3 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2016 et 54,1 millions dans le projet de loi de finances pour 2017). Viennent ensuite les dépenses finançant les indemnisations des orphelins de victimes de persécutions antisémites , dont les crédits, fixés à 37,2 millions d'euros en 2017 , pour une exécution de 35,4 millions d'euros sont globalement stables ces dernières années (la dépense évolue sous l'effet des modifications du nombre de crédirentiers et de l'indexation des rentes 58 ( * ) ).

Dans ce panorama, les dépenses d'indemnisation des victimes de spoliations antisémites sont désormais le chef le plus modeste de dépenses du programme . Les crédits correspondants avaient été fixés à 7 millions d'euros dans la loi de finances initiale pour 2017 , contre 6,5 millions d'euros en 2016.

La décrue observée traduit assurément que l'action de la CIVS a permis de résorber la dette de réparation existant à sa création.

Pour autant, elle ne saurait être considérée comme l'indice que cette dette est désormais éteinte.

1. Par le volume de son activité, la CIVS a contribué à résorber la dette de réparation des spoliations antisémites en permettant d'attribuer plus d'un demi-milliard d'euros aux demandeurs
a) Une activité très soutenue au bénéfice d'un nombre élevé de victimes

Le premier rapport d'activité de la CIVS a pu témoigner d'une certaine surprise face à l'ampleur du volume des demandes présentées à la commission (voir ci-dessous).

Or, l'ampleur des demandes s'est confirmée lors des exercices ultérieurs si bien que la CIVS a enregistré une activité longtemps très soutenue à ses débuts, suivie d'une décrue progressive , qui paraît s'accentuer ces dernières années .

La réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial adressé dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2017 témoignait de l'importance du volume d'activité de la commission à partir des données suivantes précisées dans le tableau ci-dessous,

« depuis octobre 2000, début de la campagne d'indemnisation, et jusqu'au 31 juillet 2016, 23 558 dossiers avaient été transmis aux services du Premier ministre, 21 677 dossiers proposent une indemnisation mise à la charge de l'État français et 1 881 dossiers portent rejet ou désistement. Au 31 juillet 2016, 21 677 recommandations avaient été traitées par le Premier ministre et concernent, compte tenu des partages successoraux, 47 616 bénéficiaires qui perçoivent des indemnités uniquement sous la forme d'un capital ».

Une actualisation à fin décembre 2017 permet de conclure qu'à cette échéance, depuis octobre 2000, 23 988 dossiers ont été transmis aux services du Premier ministre, 22 070 dossiers ayant fait l'objet d'une recommandation d'indemnisation mise à la charge de l'État tandis que 1 918 dossiers ont essuyé un rejet ou ont été marqués par un désistement.

Les 22 070 recommandations d'indemnisation ont concerné 48 215 bénéficiaires, nombre plus élevé que celui des dossiers déposés compte tenu des partages successoraux pour des indemnités versées sous la forme unique d'un capital, qui témoigne de l'ampleur de la population concernée par l'action de réparation mise en oeuvre par la commission.

Données sur les indemnisations recommandées par la CIVS entre 2000 et juillet 2016

(millions d'euros)

Nombre de requêtes traitées

Nombre de bénéficiaires indemnisés

Coût

2000/2001

726

1 576

13,7

2002

1 883

4 353

35,7

2003

2 117

4 719

53,4

2004

1 970

4 465

46,2

2005

2 381

5 290

44,0

2006

2 560

5 345

66,2

2007

2 712

5 565

59,3

2008

1 872

4 119

51,3

2009

1 318

3 090

27,6

2010

939

2 104

14,7

2011

927

1 998

17,2

2012

974

2 119

11,7

2013

470

972

7,8

2014

333

728

7,6

2015

351

846

7,6

Du 01/01
au 31/07/2016

144

327

3,5

TOTAL
au 31 juillet 2016

21 677

47 616

467,4

Source : réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial (projet de loi de finances pour 2017)

Ces données agrégées ne constituent qu'une indication un peu grossière du volume d'activité de la commission dans la mesure où la charge de travail associée à chaque dossier est susceptible de varier considérablement.

Cependant, elles témoignent d'autant plus de l'importance de l'activité de la commission que, sur la base des demandes dont elle a été saisie, celle-ci a dû opérer une démultiplication des dossiers, ouvrant séparément les dossiers de réparation matérielle et ceux relevant des préjudices bancaires (le nombre des dossiers traités s'en est trouvé porté à 29 326 au 31 décembre 2016). Elle a également spécialisé ses recommandations afin de tenir compte des difficultés particulières inhérentes à chaque affaire. Ainsi, le nombre des recommandations adoptées par la CIVS s'est élevé au total à 34 326 au 31 décembre 2016.

Il faut ajouter que la commission a examiné la plupart des demandes qui lui ont été adressées . Sur les 24 624 requêtes enregistrées au 31 décembre 2016, 900 ont été classées du fait de la non transmission à la commission d'un questionnaire adressé au requérant, tandis que 939 demandes l'ont été pour désistement, incompétence de la commission ou autre carence des demandeurs. Au total, 7,6 % des demandes adressées à la commission n'ont pas été traitées. Cette proportion est passible d'appréciations opposées. Mais, dans la mesure où le taux de chute semble devoir être attribué à titre principal à la carence des demandeurs, qui peut s'expliquer par la large accessibilité de la commission, il ne semble témoigner en rien d'une politique de sélection des dossiers destinée à réduire le plan de charge de la commission.

Observation n° 31 : le nombre des dossiers traités par la commission a été plus élevé qu'anticipé et a permis d'attribuer une réparation à un nombre important de victimes.

b) Les indemnisations accordées par la CIVS ont engagé des masses financières très significatives

Le coût total des indemnisations pour le budget de l'État s'est élevé, pour la période allant jusqu'à juillet 2016, à 467,4 millions d'euros (hors indemnisations à la charge des établissements bancaires) .

Le montant unitaire des indemnisations peut être approché par les données suivantes, qui récapitulent, d'une part, les indemnisations moyennes par demande (par dossier) et les indemnisations moyennes par bénéficiaire (un dossier pouvant donner lieu au prononcé de plusieurs indemnisations en fonction du nombre des personnes indemnisables) recommandées chaque année.

Chronique des indemnisations unitaires par dossier et par bénéficiaire (2000-2016)

(en euros)

Année

Indemnisation
par dossier

Indemnisation
par bénéficiaire

2000/2001

18 871

8 693

2002

18 959

8 201

2003

25 224

11 316

2004

23 452

10 347

2005

18 480

8 318

2006

25 859

12 385

2007

21 866

10 656

2008

27 404

12 454

2009

20 941

8 932

2010

15 655

6 987

2011

18 554

8 609

2012

12 012

5 521

2013

16 596

8 025

2014

22 823

10 440

2015

21 652

8 983

Du 01/01
au 31/07/2016

24 306

10 703

TOTAL
au 31 juillet 2016

21 562

9 816

Source : commission des finances du Sénat

Au total, le niveau moyen d'indemnisation par dossier s'est élevé à 20 556,50 euros pour les exercices courant jusqu'en 2015.

Ce montant se distingue de celui des indemnisations prononcées en faveur de chaque bénéficiaire ( 9 324,5 euros ), qui est influencé par la composition des groupes d'ayants droit.

On doit considérer le premier indicateur comme plus significatif que ce dernier dès lors qu'on souhaite appréhender le niveau moyen de réparation des préjudices causés par les spoliations évoquées auprès de la CIVS.

En revanche, en soi, cet indicateur n'offre pas de garantie de proportionnalité entre les réparations obtenues et les préjudices effectivement subis. En dehors même du fait qu'il s'agit d'une valeur moyenne, il y a, en effet, lieu de considérer que ni l'assiette des préjudices effectivement endurés par les victimes, ni les conditions de leur réparation par la CIVS ne peuvent être considérées comme absolument incontestables, c'est-à-dire fidèles à l'ampleur réelle de ces préjudices.

2. Un déclin de l'activité qui ne doit pas conduire à des conclusions imprudentes

La question du maintien de la CIVS a été posée dès 2009. Il est heureux qu'alors la commission ait été prolongée. La France a ainsi évité une faute comme en témoigne, entre autres, l'octroi de plus de 80 millions d'euros d'indemnité depuis cette date.

Si un déclin de l'activité de la CIVS paraît aujourd'hui ressusciter un débat interne au Gouvernement sur ce point, le Parlement, à qui, sur un tel sujet, doit revenir la décision, ne saurait souscrire à une équation qui apparaît trop simpliste.

Si l'évolution du nombre des affaires traitées par la CIVS reflète une décrue du plan de charge de la commission et du nombre des demandes adressées à celle-ci, on ne doit pas associer à ce constat la conclusion que la dette de réparation des spoliations a été comblée.

La réduction du nombre des dossiers adressés à la commission, ainsi que, d'un point de vue plus symbolique, l'éloignement des liens unissant les victimes directes des spoliations et les bénéficiaires des mesures de réparation proposées par la commission, sont parfois considérés comme autant de motifs d'une éventuelle clôture de la procédure de réparation instaurée il y a vingt ans.

Certaines observations, même cantonnées à la seule dimension quantitative portant sur le nombre des dossiers présentés à la commission, conduisent à ne pas accorder de valeur excessive à de telles suggestions.

En dehors même de motifs symboliques - puisque la distance généalogique pour n'être pas négligeable, ne saurait conduire à dénier l'existence de la spoliation et la persistance de ses effets sur les générations postérieures en cas de non-réparation - il y a lieu de mettre en évidence, à propos de la dimension quantitative de l'action de la commission, les risques qui seraient associés à une clôture prématurée du dispositif.

a) L'exécution budgétaire témoigne d'une certaine imprévisibilité de l'activité de la commission en lien avec la variabilité des enjeux de chaque dossier

Autour de la tendance à la réduction de l'activité de la CIVS, demeurent des oscillations, plus ou moins marquées, qui témoignent d'une réelle variabilité des demandes qu'elle peut être conduite à examiner comme de celle des enjeux de chaque dossier.

(1) La preuve par l'exécution budgétaire

En ce sens, ces dernières années, la programmation financière de la réparation des spoliations antisémites rend compte d'un niveau d'indemnisation présentant désormais des enjeux budgétaires relativement modestes.

Mais, elle témoigne aussi de cette variabilité et, qui plus est, d' une certaine imprévisibilité de la dépense qui tient tant au rythme des décisions rendues par la commission dans le cadre des demandes pendantes qu'à la variabilité du poids financier de chaque dossier.

Au total, dans le cadre des projets de loi de finances initiale , les différentes dépenses retracées dans le budget de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » au titre de l'indemnisation des victimes de spoliation ont suivi depuis 2015 la séquence indiquée dans le tableau ci-après.

Crédits liés à l'indemnisation des victimes de spoliation (2015-2017)

(en euros)

2015

2016

2017

Titre 2
(dépenses de personnel)

1 666 024

1 752 405

1 753 726

Titre 3
(dépenses de fonctionnement)

593 292

586 235

273 586

Titre 6
(dépenses d'indemnisation)

6 000 000

6 500 000

7 000 000

Total

8 259 316

8 838 640

9 027 312

Source : documents budgétaires relatifs à la mission « Anciens combattants, mémoire et lien avec la Nation

L'exécution budgétaire de ces dotations n'a jamais été « nominale ».

En 2015, la hausse effective du nombre de dossiers d'indemnisation a finalement été plus importante que prévu si bien que la consommation effective des crédits ouverts au cours de cet exercice a dépassé de 30 % la cible initiale, avec 7,8 millions d'euros de dépenses.

La budgétisation pour 2017 a tenu compte de ce dépassement une fois celui-ci constaté. Les dotations ouvertes en loi de finances initiale ont été portées à 7 millions d'euros. Le projet de loi de règlement en cours d'examen fait état d'une consommation inférieure à cette provision, la dépense ayant atteint 4,8 millions d'euros.

Sans qu'on puisse blâmer la programmation des crédits, les écarts entre prévisions et exécutions se succèdent, en plus ou en moins.

Si ceux-ci sont, pour partie, imputables à la capacité de la CIVS de traiter les demandes dont elle est saisie (voir infra ), ils dépendent également de l'importance très variable des enjeux financiers de chaque demande.

Celle-ci semble difficile à anticiper. La différence entre les crédits programmés en 2017 et ceux qui ont été consommés en témoigne. La sur-programmation des crédits dans le projet de loi de finances initiale s'est accompagnée d'une sous-estimation du niveau d'indemnisation moyen. Celui-ci avait été chiffré à 20 000 euros par recommandation mais il s'est révélé supérieur, s'étant situé à 23 902 euros. C'est le déficit des recommandations prononcées par la commission (205 recommandations contre une prévision de 350) qui est seul en cause dans la sous-exécution des crédits. Si ce déficit pourrait sans doute être mieux maîtrisé dans la mesure où il extériorise principalement un retard dans le traitement des demandes en stock, le niveau moyen des indemnisations peut jouer.

(2) La preuve par la dispersion des indemnités unitaires dans le temps

La distribution des indemnités individuelles dans le temps montre une forte sensibilité à des aléas.

L'histoire de la commission témoigne que les indemnisations moyennes accordées chaque année se sont accompagnées d'écarts à la moyenne parfois importants.

Distribution annuelle des indemnisations recommandées par la CIVS

Année

Écart à la moyenne
des indemnisations

2000/2001

-1 685

2002

-1 597

2003

4 668

2004

2 896

2005

-2 076

2006

5 303

2007

1 310

2008

6 848

2009

385

2010

-4 901

2011

-2 002

2012

-8 544

2013

-3 960

2014

2 267

2015

1 096

Du 01/01 au 31/07/2016

3 750

Source : commission des finances du Sénat

Fait notable, la baisse d'activité de la commission ne rime pas avec une réduction du montant moyen des indemnisations . Aucune corrélation n'est décelable sous cet angle.

L'année 2017 l'illustre assez puisque le niveau moyen des indemnisations prononcées par la commission y a excédé de 3 346 euros la moyenne historique, soit un écart à la moyenne de plus de 16 %.

Dans ces conditions, il ne faut pas conclure de la baisse du niveau global des indemnisations prononcées par la commission celle des enjeux individuels de la réparation à laquelle elle concoure. Cette dernière considération pèse d'un poids particulièrement important dans le débat sur le devenir de la CIVS.

Elle est d'ailleurs renforcée par la portée seulement très relative d'un raisonnement en moyenne dans un domaine marqué par une forte dispersion des enjeux de la réparation.

Ainsi, en convient d'ailleurs le responsable du programme budgétaire qui rappelle que « le coût moyen par recommandation, calculé sur l'ensemble des indemnités allouées en quinze années de campagne varie selon la nature des indemnités accordées chaque année, tant à la hausse (patrimoines importants) qu'à la baisse (levée de parts réservées). Le coût moyen traduit mal la très grande diversité des patrimoines spoliés et donc les disparités considérables entre les indemnités accordées » .

La perspective que des dossiers à forts enjeux demeurent dans les demandes pendantes doit d'autant moins être négligée que les conditions dans lesquelles certaines spoliations ont été répertoriées puis indemnisées sont, on l'a amplement démontré, largement perfectibles.

Observation n° 32 : la baisse du nombre annuel des indemnisations accordées par la CIVS n'équivaut pas à une baisse de la valeur moyenne de ses indemnisations, qui a connu une hausse, constat qu'il convient de garder à l'esprit dans l'appréciation des enjeux indemnitaires ; la forte dispersion des indemnisations doit également être prise en compte pour apprécier au bon niveau, celui individuel des demandes adressées à la commission, l'oeuvre de réparation qui est accomplie par elle.

b) Une réparation qui dessine une concentration autour de quelques catégories de spoliations et suggère la persistance d'une dette de réparation substantielle dans certains domaines

Le rapport d'activité de la CIVS pour l'année 2015 permet de dégager un bilan des recommandations formulées par celle-ci depuis sa création - au total, 504,9 millions d'euros -, en les rattachant à une nomenclature des différentes catégories de spoliations que la commission a choisi de dégager.

Par une prudence bien compréhensible, la commission se garde d'associer à chaque catégorie de préjudices, une évaluation monétaire, qui, compte tenu de l'état des connaissances, aurait été nécessairement hasardeuse.

Données de bilan des activités d'indemnisation de la CIVS

Agressions

Éléments d'estimation

2015

1999-2015

Pillages d'appartements

72 000 appartements dont 38 000 à Paris

2 369 341

158 700 824

Spoliation professionnelle et immobilière

Plus de 450 000 000 euros

1 946 812

164 719 820

Confiscations financières: banques et assurances

520 000 000 euros

1 043 777

52 650 334

Vol ou vente forcée de biens culturels mobiliers

Plus de 100 000 objets d'arts et plusieurs millions de livres

35 198 872

Confiscation de valeurs durant l'internement dans des camps

Plus de 750 000 000 euros

299 184

21 214 122

Compléments d'indemnisations antérieures

1 302 459

72 370 225

Total

Plus de 1 720 000 000 59 ( * )

6 961 573

504 854 197

Source : commission des finances du Sénat d'après les données publiées dans le rapport 2015 de la CIVS

Les données relatives aux indemnisations incluent, outre les dépenses publiques résultant des recommandations de la commission, les dépenses mises directement à la charge des établissements bancaires dans le cadre de l'accord de Washington (voir infra ). C'est la raison pour laquelle le montant des indemnisations ici recensées ressort comme supérieur à celui mentionné plus haut, qui ne concernait que les indemnisations prises en charge par le budget de l'État. Les indemnisations mises à la charge du secteur bancaire s'élevaient, fin 2015, à 42,65 millions d'euros (592 008 euros pour la seule année 2015), pour un total d'indemnisations des confiscations financières de 52,65 millions d'euros, traduisant la prépondérance de la prise en charge par les établissements bancaires de la réparation des préjudices intervenus sur ce point.

Le tableau ci-dessus, qui restitue ce bilan, conduit à un double constat : d'une part, celui d'une concentration de l'activité de réparation conduite sous l'égide de la CIVS autour de deux catégories d'intervention ; d'autre part, celui d'un défaut de proportion entre les réparations mises en oeuvre et l'ampleur des différentes spoliations antisémites, appréciée à partir d'indicateurs nécessairement imparfaits.

(1) Une concentration des réparations autour de deux catégories de spoliations

Les réparations recommandées par la CIVS ont suivi une distribution marquée par la prédominance de deux chefs d'indemnisation principaux : les pillages d'appartement et les spoliations professionnelles qui totalisent 323,4 millions d'euros, soit 62,8 % des enjeux financiers des indemnisations (30,8 % pour les premiers et 32 % pour les secondes).

Cette situation semble correspondre au volume des recommandations adoptées par la CIVS, dont les deux tiers ont porté sur des spoliations matérielles. Toutefois, celles-ci étant susceptibles de concerner des spoliations indemnisées à d'autres titres, de sorte que la part des indemnisations consacrées à réparer ces préjudices jouxte les 90 %, on peut relever qu'au total la valeur unitaire des réparations accordées pour les spoliations matérielles a été sensiblement supérieure à celle des spoliations bancaires. Il reste que la dispersion des indemnisations accordées pour chaque catégorie de préjudices serait sans doute plus éclairante que les données agrégées publiées par la commission.

Le montant relativement élevé des compléments d'indemnisation (72,4 millions d'euros, soit près de 15 % des indemnisations accordées) mérite d'être souligné. Une partie importante de ces compléments a été rendue nécessaire par les insuffisances des indemnisations allouées dans le cadre de la loi allemande BRüG.

(2) Un défaut de proportion entre les indemnités accordées et les préjudices tels qu'ils peuvent être estimés sur la base d'indicateurs nécessairement imparfaits

La gravité des spoliations antisémites, qui a fait l'objet d'une analyse fouillée mais nécessairement incomplète durant les travaux de la mission Mattéoli, semble ne pas avoir eu de stricts prolongements dans l'activité d'indemnisation de la commission.

Cela ressort nettement de la comparaison entre les estimations portant sur les préjudices et les indemnités accordées.

Les écarts sont très significatifs, certains pouvant provenir des réparations mises en oeuvre après la Libération 60 ( * ) qui, dans certains cas, comme en matière bancaire, ont pu être relativement complètes, d'autres relevant manifestement d'autres facteurs.

Il en va ainsi pour la spoliation professionnelle et immobilière, mais aussi pour les confiscations dont furent victimes les internés et pour les spoliations d'objets d'art et de culture, trois catégories de spoliations pour lesquelles le besoin d'indemnisation subsistant était fort et n'a pas été suffisamment comblé jusqu'à présent.

Observation n° 33 : la concentration de l'activité d'indemnisation de la commission sur quelques catégories de préjudices et le défaut de proportionnalité entre l'ampleur des spoliations et le niveau des indemnisations accordées par la commission suggère, malgré les incertitudes portant sur les spoliations et leur réparation lors de la période immédiatement postérieure à la Libération, que des besoins d'indemnisation complémentaires très significatifs subsistent, particulièrement dans certains domaines.


* 58 Les rentes bénéficient d'un mécanisme d'indexation qu'on peut considérer comme avantageux dans le contexte actuel puisqu'elles sont revalorisées de 2,5 % par an.

* 59 Pour les seuls préjudices estimés monétairement par la CIVS.

* 60 En France ou par l'Allemagne dans le cadre des différentes versions de la loi BRüG.

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