TRAVAUX EN COMMISSON

I. TABLE RONDE AVEC DES ASSOCIATIONS D'ÉLUS LOCAUX - MERCREDI 30 JANVIER 2019

M. Hervé Maurey , président. - Nous organisons ce matin une table ronde sur la sécurité des ponts avec, pour représenter les différentes associations d'élus, M. Christophe Ferrari, président de la métropole de Grenoble, vice-président de l'Association des maires de France (AMF), M. Charles-Éric Lemaignen, premier vice-président de l'Assemblée des communautés de France (AdCF), par ailleurs conseiller métropolitain d'Orléans Métropole, M. Philippe Herscu, conseiller de l'Assemblée des départements de France (ADF), et M. François Poletti, adjoint au maire d'Argenteuil, qui représente France Urbaine. L'Association des maires ruraux du Puy-de-Dôme, qui devait être représentée par M. Sébastien Gouttebel, ne pourra se joindre à nous en raison des conditions météorologiques.

Ce débat s'inscrit dans le cadre de la mission d'information que je préside sur la sécurité des ponts, que notre commission a créée en octobre 2018, après l'effondrement du viaduc Morandini à Gênes. MM. Patrick Chaize et Michel Dagbert en sont les corapporteurs. Nous avons obtenu au mois d'octobre d'être dotés pour six mois des prérogatives de commission d'enquête, ce qui nous permet d'avoir communication de tous les documents qui nous paraissent nécessaires et d'auditionner toutes les personnes que nous jugeons utile d'entendre. Nous avons déjà procédé à une douzaine d'auditions et allons continuer à le faire. Nous réalisons également un certain nombre de déplacements sur le terrain. Nous serons ainsi lundi prochain en Moselle, pour examiner un ouvrage en mauvais état et rencontrer les élus locaux.

Je rappelle également que nous avons lancé une consultation des élus locaux sur la plateforme dédiée du Sénat. Cette consultation est accessible depuis le 21 janvier et jusqu'au 28 février. Je ne puis que vous inviter à relayer cette information auprès des élus de votre département pour qu'ils y apportent leur témoignage concernant la situation des ponts sur leur territoire.

Nous disposons en France d'un réseau d'infrastructures très dense, qui compte 11 100 kilomètres de voirie, à peu près 200 000 ponts, soit un pont tous les cinq kilomètres. L'État gère directement 12 000 ponts, les concessionnaires 15 000, les départements 100 000 et les communes 80 000. On estime la valeur de ce patrimoine d'ouvrages d'art à 200 milliards, ce qui représente un actif considérable.

Il n'est pas toujours simple pour les collectivités locales de connaître le nombre d'ouvrages d'art implantés sur leur territoire et l'état de ce patrimoine, ni d'en assurer l'entretien. Selon les premières auditions auxquelles on a pu procéder et les ratios donnés par l'Institut des routes, des rues et des infrastructures pour la mobilité (IDRRIM). Il faudrait à peu près 500 millions d'euros par an pour entretenir comme il convient ces ouvrages d'art, dans un contexte de baisse des dotations, de près de 20 % depuis 2014.

L'une des questions essentielles pour la mission que nous avons créée est de savoir comment améliorer la connaissance de ces ouvrages, effectuer un véritable diagnostic et en assurer l'entretien régulier. Le Sénat est, comme toujours, bien conscient du fait qu'il est extrêmement difficile d'ajouter des contraintes et des charges aux collectivités. Il y a quelques semaines, une journaliste - que je préfère ne pas nommer - m'a dit qu'il fallait imposer aux communes de réaliser un diagnostic. C'est compliqué du point de vue financier.

Il serait bon, dans un premier temps, que vous nous fassiez le point sur la manière dont les collectivités que vous représentez appréhendent cette question, à la fois en termes de connaissance et d'exercice de cette compétence et écouter les suggestions de solutions que vous pourriez nous faire pour améliorer la situation.

Vous avez la parole.

M. Philippe Herscu, conseiller de l'Assemblée des départements de France. - Les départements, vous l'avez dit, totalisent plus de 100 000 ponts sur le réseau routier, qui compte en tout environ 380 000 kilomètres de routes, l'État en totalisant plus de 12 000 kilomètres. La particularité de nos ponts est d'être deux à quatre fois plus petits que ceux de l'État, en rapport avec le réseau que nous couvrons.

Nos équipes routières suivent soigneusement le patrimoine grâce à l'Instruction technique pour la surveillance et l'entretien des ouvrages d'art (ITSEOA), référentiel utilisé par plus de 60 % des départements. Les données qui suivent sont tirées des travaux de l'Observatoire national de la route.

50 % des départements indiquent effectuer une visite par an au minimum sur les ouvrages en mauvais état. 50 % visitent les ponts tous les deux à neuf ans, les visites se rapprochant en fonction de l'état du bâti et des caractéristiques techniques. On peut avoir différentes typologies de ponts, différentes générations. C'est d'ailleurs une des problématiques importantes : beaucoup de ponts, notamment dans l'Est, ont été construits après la guerre et nécessitent aujourd'hui des travaux lourds, voire des reconstructions.

C'est assez inégal suivant les départements et leur place dans le réseau hydrographique, certaines rivières pouvant être plus importantes que d'autres. Les ponts peuvent être plus ou moins anciens suivant les phases de démolition et de reconstruction que le territoire a pu connaître au fur et à mesure du temps.

L'Observatoire national nous apprend par ailleurs que 64 % de nos ponts sont en bon état structurel, 27,5 % nécessitant des travaux spécialisés sans que la structure elle-même soit touchée. 6,7 % présentent une structure qui nécessite des travaux de réparation, et 2 % ont une structure altérée, ce qui peut conduire à des restrictions de circulation en fonction du tonnage sur 1 % des ouvrages d'art.

Les départements estiment pour une grande majorité avoir les moyens techniques et humains nécessaires pour suivre et organiser l'entretien de ce patrimoine. Cependant, 21 % évoquent des difficultés liées au manque de personnel, notamment au fur et à mesure des départs à la retraite, nos budgets de fonctionnement étant sous pression. Peu de compétences sont par ailleurs disponibles dans le domaine très pointu des ouvrages d'art.

Certains départements regrettent également le manque de compétences des entreprises privées, ce secteur d'activité n'étant pas le plus rentable et nécessitant une spécialisation extrêmement poussée.

L'entretien est bien sûr coûteux dans le contexte de crise que nous connaissons. La part consacrée à la préservation du patrimoine des ouvrages d'art se situe dans une fourchette qui va de 15 % à 20 % des budgets de grosses réparations pour les grands départements à 12 % à 14 % pour les petits départements et les départements moyens, avec une tendance à l'augmentation dans la période récente.

L'enquête que nous avons par ailleurs menée pour compléter celle de l'Observatoire nous révèle qu'environ 0,48 % des ponts devraient être reconstruits dans les cinq ans qui viennent, soit une moyenne de cinq ponts par département. Il peut aussi s'agir de grosses réparations pouvant constituer une alternative à la reconstruction, corrélée à l'âge du pont et aux dégâts occasionnés par la Seconde Guerre mondiale.

Interrogés sur les impacts financiers, les départements estiment que l'entretien et la reconstruction éventuelle posent des problèmes financiers très importants pour 13 % d'entre eux, importants pour 53 %, peu importants pour 28 %, 6 % ne se prononçant pas. Les tensions financières et budgétaires sont importantes si l'on mesure l'écart entre les besoins de renouvellement du parc et les moyens disponibles. Ces tensions sont évidemment bien plus importantes quand on a la responsabilité de grands ouvrages d'art et lorsqu'ils sont anciens.

Les coûts sont également sensiblement renchéris lorsque les ponts surplombent des voies ferrées ou des canaux, SNCF Réseau et Voies navigables de France (VNF) facturant des coûts jugés exorbitants au titre de l'interruption du trafic, parfois l'équivalent des travaux envisagés. Les relations avec ces opérateurs sont perfectibles.

On a interrogé les départements en leur demandant s'ils considéraient que la SNCF et VNF respectaient leurs engagements concernant l'entretien des ponts prévu dans le cadre de conventions. Ceci fait référence aux ouvrages de rétablissement, l'entretien et la réparation d'ouvrages d'art incombant, d'après la jurisprudence, à celui qui possède la route supportée par cet ouvrage d'art, sauf dans le cas où des conventions ont été conclues précédemment. Une loi prévoyant la conclusion obligatoire de telles conventions a été votée récemment pour les ouvrages neufs, mais le parc ancien, le plus important, n'est pas couvert par des conventions. Lorsqu'il en existe, elles sont parfois l'objet de dissensus. 35 % considèrent que ces opérateurs n'entretiennent pas l'ouvrage à la hauteur de ce qui était prévu dans le cadre de la convention, 37 % répondent négativement et 26 % ne se prononcent pas.

Sont évoqués le non-respect ou la contestation juridique des conventions répartissant les responsabilités d'entretien des ouvrages. Certains départements constatent une absence ou une insuffisance d'entretien aboutissant, in fine , à une dégradation de l'infrastructure et à l'obligation de renouveler le pont, parfois une mauvaise volonté ou un manque de réactivité de la part des opérateurs pour transmettre les conventions et les dossiers techniques relatifs aux ouvrages ou les conclusions de visites d'inspection. Il est difficile d'établir le dialogue pour rétablir les conventions sur les ouvrages neufs, du fait des changements fréquents d'interlocuteurs.

Nous avons également interrogé les départements sur leur action au service du bloc local en leur demandant s'ils sont directement ou indirectement en mesure d'apporter une assistance technique aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dans ce domaine, sachant que de nombreux départements travaillent en partenariat et que la loi NOTRe leur donne une compétence d'ingénierie pour raisons de solidarité territoriale. 13 % ont répondu être tout à fait en mesure d'apporter une assistance technique, 58 % en étant capables en partie, en fonction de l'évolution du personnel et des compétences internes, 21 % en étant incapables et 7 % ne se prononçant pas.

Par ailleurs, 26 % des départements affirment avoir mis en place des aides spécifiques pour financer les routes et les ouvrages d'art des collectivités locales. Vous savez que l'on donne plus de 1,6 milliard d'euros de subventions aux collectivités du bloc local sous différentes formes. Certaines mettent en place une ligne budgétaire particulière à ce titre.

Nous avons également interrogé les départements sur leurs préconisations dans le cas d'un plan national. Le premier point évoqué est celui du financement. Il est déterminant pour de nombreux départements et sera croissant à mesure que le patrimoine va vieillir. Beaucoup demandent la création d'un fonds spécifique abondé par l'État - amendes de police, vignette poids lourds... Il y a là tout un patrimoine qui, dans l'état actuel de nos finances, va poser un problème de plus en plus important pour l'entretien.

Il est également nécessaire de faciliter le suivi et le contrôle de ces ouvrages en temps réel. Tout ce qui concerne le contrôle des ouvrages, les audits, etc., est comptabilisé au titre du fonctionnement, lui-même plafonné dans le cas des pactes financiers à 1,2 %. Nous pensons que toutes ces actions de fonctionnement qui contribuent à la pérennisation de l'ouvrage devraient pouvoir être comptabilisées au titre de l'investissement et ne fassent pas l'objet de restrictions.

Il nous faut également maintenir et développer un centre de ressources spécialisées au niveau national sur la question de la maintenance et de la construction des ouvrages d'art. On pense surtout au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), dont les départements sont le plus grand client. Un droit de tirage doit être prévu dans ce domaine. Nous attendons beaucoup du Cerema en termes d'ingénierie technique. Il a déjà, dans certains départements, préconisé des solutions innovantes, alternatives à la reconstruction de ponts. Vous en verrez un exemple en Moselle.

Il faut donc sans cesse innover, trouver de nouvelles solutions, si possible moins chères. Le benchmarking est également nécessaire, tout comme le fait de sans cesse se maintenir à la pointe en matière technique, afin que la France demeure le pays des ponts et chaussées.

Une simplification réglementaire et administrative est également réclamée. Les techniciens nous disent que les dossiers exigés au titre de la loi sur l'eau et de l'environnement sont souvent excessifs. Les contraintes imposées par les architectes des Bâtiments de France sont également pointées du doigt - c'est un classique,

Certains dénoncent des problèmes de gestion prévisionnelle des compétences. Il est par ailleurs très important d'animer la communauté technique et d'avoir des échanges de bonnes pratiques. Les conférences techniques interdépartementales des transports et de l'aménagement (CoTITA) ne sont sans doute pas suffisantes. Il faut faire davantage, en partenariat avec le Cerema.

Il faut aussi mieux connaître le patrimoine et continuer les travaux que l'Observatoire national de la route mène avec l'Idrrim, pour arriver progressivement à un système d'information géographique (SIG) des ponts en France et à une cartographie de leur état, fluidifier et améliorer les rapports avec la SNCF et VNF en les obligeant notamment à respecter les conventions.

Il faut enfin remédier au manque d'entretien des ponts de l'État, qui impose une restriction des tonnages et entraîne un report de la circulation des camions ou des convois exceptionnels sur les ponts appartenant aux départements.

M. Charles-Éric Lemaignen, premier vice-président de l'Assemblée des communautés de France. - L'AdCF, depuis 2014, a régulièrement attiré l'attention sur les risques liés à la baisse de l'investissement local. Avant même l'accident du pont de Gênes, nous avions analysé les conséquences de la baisse brutale de l'investissement dans les communes allemandes entre 1995 et 2002. La fédération du patronat allemand s'en était émue et avait réalisé une étude qui montrait en 2014 que 46 % des ponts allemands étaient dans un état critique. L'Italie n'est donc pas la seule concernée. Nous avons attiré l'attention sur l'effondrement de l'investissement des collectivités locales à compter de 2014, et en particulier sur ce qui ne se voit pas. L'entretien des routes, des ouvrages d'art et des réseaux fait partie des thématiques qui ont été les plus « zappées », à la suite de la baisse brutale des dotations de nos collectivités locales due à la crise financière.

Nous avions réclamé des Assises nationales de l'investissement pour dresser un état des lieux précis et définir des priorités qui puissent être déclinées aux niveaux national et régional. Nous avons parallèlement lancé un observatoire à compter de 2015 avec la Caisse des dépôts afin d'analyser la commande publique et examiner les appels d'offres au plus près de la réalité opérationnelle.

On constate bien un effondrement à compter de 2014, avec une légère reprise d'un peu plus de 6 % en 2017. En 2018, les premiers chiffres font apparaître une augmentation d'environ 1 % par rapport à 2017. On n'a donc pas encore, tant s'en faut, retrouvé les niveaux de 2013.

Par ailleurs, les investissements réalisés par les collectivités locales se sont modifiés : on y trouve davantage d'ingénierie et de services, et moins de travaux, ceux-ci continuant à diminuer. Nous attirons l'attention sur cette diminution grave de l'investissement local. Je rappelle que la qualité de nos investissements publics est l'un des rares éléments d'attractivité du pays en Europe.

Nous avons aussi mis en place une collaboration avec la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) et la Fédération française du bâtiment (FFB) pour travailler sur le thème de l'investissement autour de trois axes : des rencontres nationales et régionales consacrées à l'investissement, un travail conjoint sur l'observation des investissements publics locaux, la connaissance des projets et la répartition thématique et l'état du patrimoine, et, enfin, une analyse des bonnes pratiques afin de les diffuser auprès de l'ensemble des collectivités locales. Nous travaillons avec l'Idrrim et l'Observatoire national de la route, et c'est pour nous essentiel.

Il n'existe à ce jour aucun lieu permettant d'appréhender la connaissance globale du patrimoine. Autrefois, il incombait aux directions départementales de l'équipement de recenser l'ensemble des ouvrages d'art de leur secteur, et d'analyser leur état. Aujourd'hui, les apports méthodologiques du Cerema sont essentiels. Il devrait être intégré à l'Agence nationale des collectivités territoriales. Il est important que le Cerema serve d'outil aux collectivités locales. Il faut absolument un système d'information géographique des ouvrages d'art à l'échelle nationale, je le confirme.

Par ailleurs, l'Idrrim avait proposé un système de notation synthétique pour caractériser l'état des ouvrages d'art. En 2017, 43 départements avaient répondu à ce questionnaire. L'Idrrim peut jouer un rôle d'animation pour recenser tous les gestionnaires, quel que soit leur échelon, et pour partager un cahier de maintenance sur chaque ouvrage d'art. Une étude a démontré que lorsqu'on investit peu en réparations d'une route, sa réfection coûte à terme beaucoup plus cher. Il est important que chacun ait une idée des coûts de maintenance et des menaces qui pèsent sur l'ensemble du patrimoine. Des partages d'expériences sont nécessaires pour valoriser les bonnes pratiques. Des solutions peuvent permettre des économies.

La formation doit aussi être traitée. Il faut recenser toutes les propositions. Je partage le diagnostic évoqué tout à l'heure. L'Idrrim dispose d'un comité de formation, de recherche et d'innovations. Il faut valoriser et faire connaître l'ensemble des formations pour que nos collaborateurs aient les capacités techniques d'assurer la maintenance.

Les métropoles ont l'ingénierie et les moyens techniques pour assurer le suivi des ponts, un peu comme les départements. 65 % des communautés de communes et 62 % des communautés d'agglomération ont transféré la compétence de la voirie aux intercommunalités, avec parfois des mutualisations de l'ingénierie. Dans 70 % des cas, les ouvrages d'art sont transférés à l'intercommunalité.

S'agissant des actions, il faut tout d'abord aider les communes et les communautés de communes à identifier les ouvrages d'art potentiellement dégradés, soit grâce à des agents techniques départementaux, soit en recourant à des mutualisations de moyens. Par ailleurs, le Cerema doit être mieux utilisé par nos collectivités.

Les ouvrages de rétablissement soulèvent de vrais problèmes d'application du droit. Il est important qu'on sanctuarise ces conventions et qu'on les fasse strictement appliquer.

Il convient en outre de créer un pool , probablement à l'échelle départementale, chargé des questions de sécurité, sous l'égide de la préfecture, afin de créer un plan d'action départemental et de dresser le bilan de ce qui a été fait.

Je partage tout à fait l'idée qu'il faut que la surveillance et l'entretien des infrastructures soient inscrits en section d'investissement afin de ne pas être soumis à la règle du 1,2 %.

Il faut également un fléchage coordonné de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) pour faciliter l'entretien de ces ponts, un fonds exceptionnel pouvant être alimenté par les amendes et la future vignette poids lourds, complétées par des prêts de la Caisse des dépôts à taux zéro.

Il convient aussi de maintenir une ingénierie de pointe dans le domaine des ouvrages d'art. Le Cerema doit nous fournir de ce point de vue des guides méthodologiques.

Enfin, il faut mutualiser des formations ad hoc dans les départements, intercommunalités et communes pour maintenir un niveau de connaissance et d'ingénierie afin de suivre les travaux. Il est fondamental qu'on dispose d'un système d'information géographique national pour lister l'ensemble des ouvrages d'art et leur état.

M. Hervé Maurey , président. - Il m'avait échappé que nous dispositions d'une « vignette poids lourds ». On a abordé ce sujet avec Didier Mandelli, rapporteur du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM). La vignette étant instaurée, le débat est donc clos !

M. Charles-Éric Lemaignen. - Je n'ai pas dit qu'elle était instaurée, mais qu'il serait bon que le fonds puisse servir à des travaux sur la sécurité des ouvrages d'art.

M. François Poletti, adjoint au maire d'Argenteuil. - J'apporterai plutôt ici un témoignage...

Argenteuil a été touché l'année dernière par l'incident qu'a connu le pont de Gennevilliers, sur l'A15. Ce pont, qui relie le Nord-Nord-Est à Paris, s'est effondré en partie. De quatre voies, nous sommes passés à deux voies, ce qui a entraîné des répercussions dans tout le Val-d'Oise : les déviations auraient dû passer par la N104, qui était en travaux. Il n'était donc pas possible de dévier les camions. L'État a beaucoup attendu avant d'agir. C'est ainsi qu'on s'est retrouvé complètement bloqué. Argenteuil est relié à la petite couronne par trois ponts routiers et un pont de chemin de fer. Le pont de l'A15 dessert tout Paris. On attend d'ailleurs avec impatience qu'il continue jusqu'à Gennevilliers pour que l'on puisse parvenir au périphérique.

Ce pont était cependant sous surveillance : le 29 mai 2016, plus de dix tonnes de sablons se sont déversées dans une rue d'Argenteuil, la rue du désert, qui porte bien son nom ! On avait alors tiré la sonnette d'alarme. Quelques tonnes étaient déjà tombées en 2014. Au mois de juin, ce sont les écailles du pont qui se sont détachées, à la suite de la rupture des câbles qui les retenaient. Argenteuil a été pris d'assaut et envahi durant un mois et demi par tous les véhicules qui s'y sont retrouvés coincés.

M. Hervé Maurey , président. - S'agit-il d'un pont sous maîtrise d'ouvrage de l'État ?

M. François Poletti. - En effet. Il est géré par la direction des routes d'Île-de-France (DiRIF).

Le conseil départemental a créé une association pour essayer de faire accélérer les travaux. On a réussi en décembre à faire rouvrir une troisième voie, ce qui n'est pas suffisant. On nous a promis que tout serait rétabli au mois de mars.

Pour l'instant, les dates de travaux ont été à peu près respectées. Je pense que les vérifications n'ont pas été assez poussées. Certains problèmes d'évacuation d'eau ont eu pour effet de corroder les câbles tenant les écailles. Heureusement, on n'en est pas arrivé à un effondrement complet, comme à Gênes, mais cela aurait pu être le cas, même si l'incident est intervenu sur les bords de Seine et non au milieu.

Des réunions mensuelles ont lieu avec le préfet du Val-d'Oise, mais l'État a frôlé la correctionnelle du fait de ses manquements en matière d'entretien. Il a fallu faire intervenir des ingénieurs du ministère des transports. Toutes les solutions ont été étudiées pour réaliser deux voies de l'autre côté, mais cela n'a pas été possible. Il aurait fallu installer des ponts militaires. Si vous voulez passer à présent par le pont de l'A15, prévoyez du temps !

M. Hervé Maurey , président. - Il m'arrive de l'emprunter assez régulièrement, quand je vais dans la partie Est du département de l'Eure.

M. Christophe Ferrari, vice-président de l'Association des maires de France. - Quelques mots pour vous apporter un éclairage local...

Le territoire métropolitain grenoblois représente 49 communes, 450 000 habitants. Il est parsemé de torrents capricieux qui viennent des Alpes, de plaines, de coteaux et de montagnes. C'est un magnifique écosystème pour les ouvrages d'art de toute nature - ponts, murs de soutènement, etc.

La compétence relative à la voirie a été transférée des communes vers la métropole en 2015, puis en 2017 pour les voiries départementales. Or, nous détectons aujourd'hui des ouvrages orphelins qui n'apparaissent nulle part, et nos inventaires ne font que s'accroître d'année en année. Nous avions recensé à l'origine 1 200 ouvrages d'art sur le territoire métropolitain. À peine deux ans plus tard, à la suite des inventaires complémentaires, nous en comptabilisons 1 500. La question de la domanialité n'est toujours pas résolue pour nombre d'entre eux. La grande majorité se situe dans les communes rurales, montagnardes, périurbaines. Il s'agit là d'un sujet de bloc communal et de solidarité intercommunale.

Pour l'essentiel, ces ouvrages n'ont pas fait l'objet d'un suivi conforme aux obligations réglementaires. Ce n'est évidemment pas la faute des maires successifs.

La métropole a décidé, dès 2017, d'investir à l'horizon 2020 près de 3 millions d'euros pour leur surveillance et leur entretien, et 20 millions d'euros pour les opérations de réparations et de renouvellement d'ouvrages en péril identifié.

Parallèlement, plus d'une centaine d'inspections détaillées sont réalisées chaque année pour rattraper le retard accumulé. Elles révèlent chaque année de nouveaux ouvrages en péril nécessitant des mesures immédiates de mise en sécurité. Cette mise en oeuvre est réalisée en lien étroit avec les communes concernées, et se traduit généralement par une limitation voire une interdiction de circulation sur lesdits ouvrages.

Plusieurs ouvrages orphelins en état de péril ne sont pas pris en charge à ce jour, bien que les moyens humains dédiés aient été notablement augmentés par les services métropolitains. Mon équipe est à sept ETP, et nous avons connu un doublement des équipes en trois ans. Nous avons également fait appel à des renforts externes. Cette réalité n'est pas propre au territoire grenoblois.

Quelques pistes de réflexions ont fait l'objet d'un travail approfondi associant les maires et la métropole, ce qui constitue une spécificité grenobloise.

Un soutien financier de l'État est apparu nécessaire en premier lieu, en particulier pour rattraper le retard en matière de recensement. Ce soutien pourrait prendre la forme d'une enveloppe additionnelle dans le cadre des fonds de soutien à l'investissement local ou de la loi d'orientation des mobilités. Il est toutefois compliqué d'évoquer les mobilités sans évoquer les ponts, et il faut donc y veiller.

On ne peut non plus dissocier ces sujets de la contractualisation financière. De nombreuses dépenses en la matière concernent en effet le fonctionnement, notamment en matière de réparations et d'entretien classique.

Je rappelle que des attributions de compensation d'investissement sont aujourd'hui possibles entre communes et métropole, mais non entre les autres collectivités. J'invite les sénatrices et les sénateurs à examiner ce point de près. Cela a été extrêmement utile au financement des ouvrages d'art dans la métropole grenobloise, et a permis un équilibre financier intéressant entre communes et métropole.

En second lieu, l'évolution du cahier des charges des concessions autoroutières n'est pas non plus un mince sujet financier puisqu'il concerne les charges de surveillance, d'entretien, de réparation et de rétablissement des ouvrages construits par le passé.

Il apparaît difficile de récupérer des conventions établies en bonne et due forme par le passé avec les collectivités, les clés de financement pouvant être parfois très variables, alors que les montants sont loin d'être anodins. C'est également un sujet à examiner de près.

En troisième lieu, il convient de renforcer la formation aux métiers du secteur, de veiller à la disponibilité et à la qualification des agents publics et des salariés des bureaux d'études comme des entreprises. On a besoin d'ingénierie et de compétences pour avoir de bons niveaux d'expertise. Cette carence va amener de fait à une augmentation des prix, alors que cet argent pourrait être utilisé à d'autres choses.

Quatrièmement, il faut demeurer vigilant s'agissant des mesures de simplification établies au début de l'année 2018 concernant l'instruction des demandes d'autorisation des convois exceptionnels. Ces mesures pourraient avoir notamment pour effet de conduire à des renforcements excessifs des ouvrages concernés et, in fine , à des dépenses publiques peu efficientes, à la charge des gestionnaires de voiries et des collectivités.

Enfin - et je m'exprime ici à titre personnel, et non en tant que représentant de l'AMF - les transferts des pouvoirs de police spéciale attachés à l'exercice des compétences transférées, notamment s'agissant des mobilités en matière de circulation et de stationnement, sont automatiques en l'état actuel de la législation, mais peuvent faire l'objet d'oppositions des maires concernés.

La métropole grenobloise compte sans doute le nombre le plus élevé de communes qui ont transféré leurs pouvoirs de police spéciaux à la métropole dès le début du mandat, ce qui n'a absolument pas écarté les maires des décisions, bien au contraire.

Cependant, pour un certain nombre d'ouvrages en péril, il a parfois pu être difficile, avant le drame de Gênes, d'obtenir des mesures de restriction voire d'interdiction de circulation, malgré des enjeux de sécurité extrêmement importants. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, la responsabilité collective engageant les maires, mais aussi les présidents de métropole et d'intercommunalités.

M. Patrick Chaize , rapporteur. - Comment vos adhérents perçoivent-ils l'inquiétude qui pèse sur la sécurité des ponts ?

On a peu parlé des murs de soutènement. Quel est votre point de vue sur ce point ?

Je voudrais également connaître votre vision du point de vue de la comptabilité publique : la gestion patrimoniale de ces ouvrages ne devrait-elle pas être imposée, notamment par le biais d'une comptabilité adaptée, avec des provisions pour renouvellement, comme pour d'autres ouvrages ?

S'agissant du recensement de documents, un coffre-fort national où seraient déposés l'ensemble des documents techniques dans un souci de conservation et d'utilisation ne pourrait-il être constitué ?

Enfin, un transfert de compétences est-il souhaitable selon vous ? Si oui, quel est le niveau qui vous paraît le plus opportun ?

M. Michel Dagbert , rapporteur. - J'insiste sur le recueil des données. On a ici ou là un niveau de connaissance des ouvrages qui peut être très variable. Par ailleurs, on a tendance à oublier que les murs de soutènement sont des ouvrages d'art et qu'ils nécessitent une surveillance importante.

S'agissant des transferts de compétences, vous avez témoigné qu'un certain nombre de collectivités n'avaient pas connaissance de la responsabilité qui était la leur en la matière. Quel niveau de collectivité vous apparaît aujourd'hui le mieux armé pour répondre à ce défi ?

Quant aux compétences techniques, je crois savoir, en tant qu'ancien président de conseil départemental, que nos collaborateurs disposent d'un réseau au sein de l'ADF. Cette compétence peut-elle être mise en commun avec les autres collectivités - communautés d'agglomération et métropoles ?

Enfin, comment est-on capable, au niveau national, de disposer d'une base de données et de la suivre dans le temps ?

M. Christophe Ferrari. - Le ressenti des maires de la métropole grenobloise ne fait qu'augmenter d'expertise en expertise. Depuis le drame de Gênes, on ne tergiverse plus pour savoir s'il faut ou non couper la circulation. Certains ouvrages sont usés jusqu'à la corde.

Depuis le drame de Gênes, il existe des lanceurs d'alerte sur les territoires. Nous en avons souvent sur le territoire grenoblois à propos d'un certain nombre de sujets.

Quant aux murs de soutènement, nous les traitons comme les ponts. Il s'agit d'enjeux de sécurité tout aussi sérieux. C'est la nature du risque et non de l'ouvrage qui détermine les priorités.

L'idée du coffre-fort national est excellente. Cela permet de faire coïncider les éléments d'études sans devoir repartir de zéro. Ce partage est évidemment très important.

Enfin, le transfert de compétences est indispensable. C'est un véritable sujet d'ingénierie. C'est dans les petites communes qu'on trouve le plus d'ouvrages concernés. On le voit bien sur le territoire métropolitain grenoblois. Le transfert de compétences permet de positionner l'expertise au bon niveau. Il est nécessaire, à l'avenir, d'envisager les choses sur le plan collectif.

Il va cependant falloir déterminer d'où viennent les recettes. C'est pourquoi il faut que les sociétés d'autoroutes prennent leurs responsabilités. Nous ne lâcherons pas sur ce point. Des aides à l'investissement de l'État pourraient également être nécessaires.

M. Charles-Éric Lemaignen. - Il est bien évident que la connaissance crée la conscience du risque. Cela vaut pour les ponts, les murs de soutènement, et l'ensemble des réseaux.

M. Hervé Maurey , président. - On ne peut pour autant prôner la politique de l'autruche !

M. Charles-Éric Lemaignen. - Absolument. Nous avons connu chez nous des problèmes liés aux inondations : nous nous sommes interrogés sur l'état de nos réseaux, qui ne sont pas bons.

Pour ce qui est de la gestion patrimoniale, pour l'instant, l'amortissement ne joue que pour les biens meubles des collectivités : si on y intègre l'amortissement des ouvrages de voirie, les conséquences en termes de gestion financière globale et de répartition entre l'investissement et le fonctionnement risquent de compromettre l'équilibre de nos collectivités et toutes les contractualisations que l'on a avec l'État. Vous avez évidemment raison sur le fond, mais ceci doit être réalisé dans le cadre d'une réforme globale de la comptabilité.

Le coffre-fort national, quant à lui, apparaît une très bonne idée qui devrait être mise en oeuvre sous l'égide du CEREMA.

En ce qui concerne l'ingénierie, on doit essayer, au niveau local
- probablement départemental - de recenser tous les éléments pour faire en sorte que les petites communautés de communes et les petites communes ne soient pas oubliées.

En revanche, même si, sur le fond, je partage totalement l'avis de Christophe Ferrari, je me méfie du transfert obligatoire d'une compétence des communes aux intercommunalités. Je pense que le Sénat est particulièrement sensible à ce point de vue. Laissons l'intelligence locale libre de réaliser ces évolutions. Pour les ouvrages d'art, je pense qu'une mutualisation sera vite indispensable, mais il est préférable qu'elle se fasse sur la base d'un accord plutôt que sous la contrainte.

M. Didier Mandelli . - J'interviens ici en tant que rapporteur de la LOM. À ce stade, rien n'y figure s'agissant du financement potentiel de la réfection ou de l'entretien des ouvrages. Je trouve intéressant de proposer en parallèle des axes de travail.

Nous avons à cette fin envisagé de conforter les financements de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), de trouver les ressources pour la conforter dans ses différentes missions, auxquelles on pourrait évidemment ajouter, comme c'était le cas à une époque pour les tunnels, l'ensemble des ouvrages d'art du territoire, même si c'est compliqué.

Le Cerema me paraît constituer une bonne solution pour centraliser les informations. Nous essaierons, dans le cadre des discussions et des auditions qui sont en cours, de formaliser la prise en compte des questions que vous soulevez en termes de financement et de gestion

Vous avez évoqué la taxe poids lourds et un certain nombre de ressources qui ne figurent pas dans la LOM à ce stade. Des affectations sont possibles sur d'autres volets.

Nous essaierons d'apporter des solutions à toutes les questions qui ont été posées ce matin.

M. Charles-Éric Lemaignen. - Nous préconisons quant à nous le maintien du Conseil d'orientation des infrastructures (COI), qui a disparu de la dernière rédaction. Il est important de le maintenir, ne serait-ce que pour définir les priorités, ce qui nous paraît essentiel.

M. Didier Mandelli . - C'est une position quasi-unanime : nous le réintroduirons, car le COI est le mieux à même de définir les priorités et les orientations dans la durée.

M. Claude Bérit-Débat . - Je voudrais revenir aux ponts et aux murs de soutènement qui appartiennent à de petites communes, le transfert de compétences n'ayant pas été exercé dans ce domaine dans tous les petits EPCI, beaucoup d'ouvrages d'art restant à la charge des communes.

Le diagnostic que vous avez établi est tout à fait exact : on constate un manque de connaissance et d'expertise, mais aussi un manque de moyens. Disposer d'un coffre-fort national pour bien connaître toutes les spécificités des ouvrages est une bonne chose, mais on va buter sur le problème financier. Les intempéries de juin, pour un certain nombre de départements, dont la Dordogne, ont mis en évidence la fragilité des ponts, et les petites communes découvrent le coût phénoménal de remise en état de ces ouvrages d'art. Les assurances ne jouent pas, les aides de l'État sont octroyées au compte-gouttes, et l'on se retrouve dans l'impasse. Comment faire ?

Vous avez évoqué quelques pistes de financement. Je pense qu'il faut proposer des solutions pour les petites communes qui ne sont pas encore rentrées dans une intercommunalité à l'image de celle que vous représentez.

M. Alain Fouché . - Je suis élu de mon département depuis 40 ans. Je l'ai présidé après le départ de M. Monory. J'ai toujours été choqué de constater qu'un certain nombre d'administrations étaient un véritable État dans l'État - architectes des Bâtiments de France, DDE...

Je suis toujours frappé par le coût exorbitant de certains travaux par rapport à d'autres pays, en particulier pour ce qui concerne les ouvrages d'art et les ponts. Cela coûte très cher aux contribuables. M. Herscu évoquait de nouvelles technologies permettant de réaliser des travaux à moindre coût et en toute fiabilité. Peut-on avoir plus de précisions dans ce domaine ?

M. Guillaume Chevrollier . - Quel est l'impact des nouvelles technologies et des bases de données sur le recensement nécessaire à la bonne gestion du patrimoine ?

Par ailleurs, les moyens du Cerema ont diminué de 5 millions d'euros. Comment percevez-vous cet établissement public créé récemment pour répondre au besoin criant d'ingénierie, particulièrement dans les territoires ruraux ? L'utilisez-vous ? On dit aussi que le Cerema souffre d'un manque de notoriété vis-à-vis des petites collectivités. Le percevez-vous ? Si c'est le cas, comment y remédier ?

M. Charles Revet . - J'ai cru comprendre que vous étiez plus que réservé concernant un recensement national, et je partage tout à fait votre point de vue. En effet, cela représenterait des coûts extrêmement importants. Certes, cela va donner beaucoup de travail aux bureaux d'études, mais il va manifestement falloir reporter des travaux.

Je suppose par ailleurs que chaque collectivité responsable dispose de personnel pour assurer le contrôle de l'état des ponts. L'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) pourrait en faire une priorité.

À ce sujet, vous avez affirmé qu'un représentant du Sénat devait participer au prochain conseil administration de l'Afitf. Christophe Béchu nous a dit hier qu'il n'en comptait aucun. Pourquoi n'en avions-nous pas ? Qui désigne ce représentant ? Qui est-il ?

M. Hervé Maurey , président. - La loi organique du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a précisé que des parlementaires pouvaient siéger dans des organismes extraparlementaires, sous réserve que cette présence ait été précisée par la loi. La loi du 3 août 2018 visant à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement et à simplifier les modalités de leur nomination a fixé les organismes comportant une représentation parlementaire. L'Afitf en fait partie, et le président du Sénat, Gérard Larcher, y nommera un représentant prochainement.

M. Charles Revet . - La Seine-Maritime, dont j'ai été président du conseil départemental, compte trois grands ponts, le pont de Tancarville, le pont de Normandie et le pont de Brotonne. Nous partageons donc les mêmes préoccupations.

M. Éric Gold . - Vous avez indiqué que les collectivités ont globalement une capacité d'ingénierie suffisante - au moins pour les plus grandes - concernant le suivi de l'état des ponts et des ouvrages d'art, les murs de soutènement et autres aménagements étant également concernés.

Notre commission est bien entendu attentive aux catastrophes naturelles que l'on peut imputer au dérèglement climatique. À chaque événement, les images nous montrent des ouvrages d'art emportés ou détruits. Le référentiel partagé utilisé par les collectivités prend-il désormais en compte ces conséquences potentielles ?

Mme Nadia Sollogoub . - On a évoqué la création d'un groupe de travail départemental à des fins de sensibilisation, mais l'État ne pratique-t-il pas depuis des années la politique de l'autruche ?

J'ai été maire d'une commune rurale qui a subi de violentes inondations, et j'ai voulu intégrer le contrôle de l'état des ponts dans mon dossier de catastrophe naturelle. L'État m'a précisé que ce n'était pas possible. Ce sont donc les services de l'État qu'il faut sensibiliser, dans la mesure où les phénomènes climatiques violents vont se renouveler de plus en plus.

Les maires des petites communes avaient la culture du contrôle des ouvrages locaux, mais il faut faire maintenant appel à des bureaux d'études, à des cabinets et à des entreprises extérieures, ce qui écarte toute possibilité d'action. J'espère, monsieur le président, que le rapport de la commission pèsera donc très lourd !

M. Hervé Maurey , président. - Nous ferons tout pour cela !

M. Guillaume Gontard . - Je partage tout ce qui a été dit au sujet de la prévention et de l'entretien. J'ai récemment rencontré un ingénieur spécialisé dans les travaux sous-marins qui me faisait part de son inquiétude quant aux piles de pont immergées et à la qualité des fondations, pour lesquelles les travaux sont de plus en plus compliqués et difficiles. Il y a là une véritable urgence.

On a par ailleurs évoqué le besoin en matière d'ingénierie et le Cerema. C'est une vraie question. Le Cerema n'est pas très connu, et le lien n'est donc pas évident.

Un des problèmes spécifiques aux territoires de montagne réside dans les ouvrages de prévention et de sécurité qui se situent en amont des cours d'eau, ceux-ci ayant une répercussion sur les ponts. Or, les effectifs consacrés à la restauration des terrains de montagne (RTM) sont en baisse, et les petites communes ne parviennent plus à entretenir leurs ouvrages

Mme Christine Lanfranchi Dorgal . - Je suis tout à fait d'accord avec la présentation de Nadia Sollogoub. Un coffre-fort national serait certes intéressant, mais bien des agences permettent d'avoir une vision des ponts très claire. Toutefois, on constate un manque de communication. Beaucoup d'agences d'État ou d'associations n'interagissent pas. Il faudrait donc prévoir un plan de communication pour toutes les communes et communautés de communes.

En outre, le budget reste le nerf de la guerre, car il faut avoir les moyens d'agir. Il s'agit de sécurité des personnes ! Cela constitue un enjeu très fort. Tant qu'on ne dégagera pas de budget, on ne pourra pas demander aux collectivités de prendre en charge des ouvrages coûteux qui concernent la mobilité nationale.

M. Benoît Huré . - Je souhaite que la suite donnée à ce travail fasse date et que l'on sorte des propos convenus. On nous explique que la facture va être colossale, faute d'entretien. Quelle est la part des dépenses consacrées aux travaux publics par rapport à celles réservée aux études ? On a rétabli des ouvrages d'art sur des cours d'eau qui ne coulent pas l'été ! Je peux témoigner que certains « spécialistes » ne s'y connaissent ni en béton armé ni en travaux publics.

On l'a dit, c'est la sécurité des personnes qui prime. Les autres espèces, si elles pouvaient s'exprimer, riraient bien de nous. Elles ont une capacité d'adaptation remarquable ! Les maires, les élus ne sont peut-être pas ingénieurs, mais ils ne sont pas forcément idiots !

On ne trouve plus aujourd'hui de spécialistes. Les techniciens, les conducteurs de travaux, les ingénieurs étaient hier majoritaires dans les DDE. Aujourd'hui, ce sont les chargés d'études, de vérification, de contrôle et de coordination environnementale qui les ont remplacés. C'est là un véritable problème.

Je compte beaucoup sur les conclusions de ce travail, qui devraient faire date.

M. Frédéric Marchand . - Ma question s'adresse aux représentants de l'ADF. Vous avez affirmé que 21 % des départements s'estiment incapables de fournir une assistance technique. Pourquoi selon vous ? Le Lot-et-Garonne a mis en place un process pour y parvenir. Je pense donc que la mutualisation et le partage des connaissances permettraient de développer les bonnes pratiques.

Par ailleurs, j'aimerais connaître votre avis sur ces plateformes qui conseillent aux automobilistes et à certains poids lourds d'emprunter des itinéraires et des ouvrages d'art qui ne sont pas vraiment faits pour cela.

M. Joël Bigot . - À chaque fois qu'on a essayé d'oeuvrer pour l'entretien ou la consolidation des ouvrages d'art orphelins qui permettent d'assurer la sécurité des habitants - ponts, murs de soutènement, digues -, on nous a renvoyés dans les cordes au motif qu'ils n'appartenaient à personne. À quel niveau peut-on envisager leur prise en charge ?

Mme Angèle Préville . - M. Ferrari a évoqué l'évolution du cahier des charges des autoroutes. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Christophe Ferrari. - La question de la responsabilité historique n'est pas le problème à mes yeux. Certains ouvrages ont été construits il y a longtemps. Quelques-uns sont très vieux et doivent parfois être reconstruits.

Pourquoi l'entretien de ces ouvrages a-t-il été ralenti ? On sait très bien que le financement des collectivités est majeur. Il suffit de regarder le taux de renouvellement des réseaux d'eau, d'assainissement, etc. pour se rendre compte des effets d'élasticité.

À partir du moment où nous avons connaissance d'un risque, nous avons le devoir d'y remédier, mais l'usure s'accélère peut-être aussi faute d'un entretien continu, à une époque où les moyens des collectivités ne sont plus tout à fait les mêmes. Le défaut d'entretien que l'on constate depuis une dizaine d'années peut expliquer pourquoi certains ouvrages sont dans un tel état.

Le changement climatique est évidemment un élément déterminant dans l'accentuation de l'usure. Il faut donc l'intégrer. Pas un territoire, en France, ne méconnaît le sujet de la vulnérabilité climatique. C'est le sujet même de la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi).

L'ingénierie est un autre sujet. On en a besoin, et cela pose la question de la formation des futurs techniciens de notre pays. On a besoin de physiciens des matériaux, et cela manque un peu. Nous aurons demain un problème d'accès aux études, donc à la connaissance. Cela a été dit tout à l'heure.

Les ouvrages orphelins, quant à eux, sont au nombre d'une trentaine sur le territoire métropolitain. Il faudra bien les assumer. Personne ne comprendrait que l'EPCI n'assume pas leur prise en charge. C'est un problème de responsabilité, de sécurité, mais aussi de développement économique des territoires. Il faudra le traiter.

S'agissant des concessions autoroutières, il nous est difficile d'avoir accès au cahier des charges et à un certain nombre de conventions. On réunit les sociétés autour de la table, mais les choses ne sont pas claires. On est dans une négociation assez particulière, dans laquelle c'est finalement la collectivité qui assume l'entretien, alors que ce n'est pas sa responsabilité.

L'agglomération grenobloise compte une autoroute qui sert de digue au Drac et qui nécessite un réaménagement au coeur de Grenoble. On s'est longtemps battu pour savoir quels étaient les travaux nécessaires au renforcement de la digue, avant que celle-ci ne soit transférée à la métropole. Il est nécessaire de clarifier les choses, et nous comptons sur vous pour aller dans ce sens.

M. Charles-Éric Lemaignen. - C'est au COI et à l'État de définir la hiérarchie des priorités concernant l'entretien des ponts et d'y mettre les moyens nécessaires. Cela doit se décliner au niveau local par des plans particuliers d'intervention (PPI) à l'échelle des territoires, afin de prendre en charge les ouvrages orphelins.

Plusieurs d'entre vous ont abordé la question de la responsabilité historique. Je voudrais insister sur la responsabilité juridique, point que votre rapport pourrait intégrer. Les maires, les présidents de conseils départementaux et les présidents d'intercommunalités en ont besoin. Il faut un travail conjoint pour élaborer des fiches pratiques, ne serait-ce que pour ceux qui vont se présenter aux élections en 2020. Cela peut en dégoûter quelques-uns, mais c'est indispensable.

S'agissant de l'ingénierie, certains se sont interrogés sur le rôle du Cerema. Il est majeur selon moi. Son intégration dans la future Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) pourrait renforcer son rôle de coordination de l'ingénierie territoriale. Je pense que les opérateurs doivent travailler ensemble pour avoir un catalogue d'informations simple vis-à-vis des collectivités locales. Il est vrai que l'on peut tout trouver sur Internet, mais de façon très désordonnée et en mettant pas mal de temps.

Une véritable coordination du Cerema pourrait permettre de créer des fiches pratiques. Je crois énormément au fait que l'intelligence territoriale produit des expérimentations fabuleuses. En matière de coûts, certaines innovations font l'objet d'expériences ici ou là. Elles doivent être rendues publiques et popularisées. La Gazette des communes était, jusqu'à il y a quelques années, un outil fantastique pour savoir ce qui se faisait dans nos territoires. Cette notion a largement diminué, mais il existe de nombreux sites qui évoquent de bonnes pratiques.

Nos territoires ne sont pas obligés de toujours réinventer la poudre. Des expériences fantastiques ont lieu. Le rôle du Cerema et du Sénat est de les populariser.

M. Philippe Herscu. - Les élus départementaux ont tout à fait conscience de leurs responsabilités. La difficulté est de faire des budgets consacrés aux infrastructures une variable d'ajustement lorsque les budgets généraux sont extrêmement contraints et présentent peu de visibilité financière. Il existe là un certain antagonisme.

Un travail de sensibilisation doit être réalisé auprès des élus qui ne sont pas dotés des équipes techniques permettant de connaître l'état de leurs infrastructures. Ce n'est pas trop le cas des départements. Nos équipes sont normalement capables de s'en charger, mais ce n'est pas le cas de toutes, d'où le travail de l'Idrrim sur la notion de « dette grise », qui porte sur le manque d'investissement nécessaire pour maintenir l'infrastructure à son niveau opérationnel. Cette dette grise s'accroît et la facture devient bien plus lourde que pour un entretien régulier.

Le recueil des données et le coffre-fort national constituent sans doute de bonnes idées, mais la première difficulté consistera à obtenir des informations, beaucoup de collectivités n'en disposant pas faute de techniciens. Pour obtenir ces informations, il faut assumer ses responsabilités de maître d'ouvrage, être capable de passer une commande, solliciter un cabinet, lui dire ce qu'il faut auditer, ce qu'on en attend, etc.

21 % des départements nous ont dit ne pas être en capacité technique d'aider les collectivités. J'ai souligné le problème de la rareté de la compétence : certains départements comptent sur leur territoire plus de 500 communes de moins de 2 000 habitants. On peut toutefois essayer l'hybridation, les centres de ressources, le maillage territorial. L'Association des directeurs de services techniques départementaux (Adstd) s'est transformée en Adtech et s'est ouverte aux autres collectivités. C'est une bonne solution, tout comme les CoTITA, qu'il convient de développer.

Quant aux techniques les moins coûteuses, Mme Herbourg, de Meurthe-et-Moselle, directrice générale adjointe, m'a parlé d'un pont qu'elle comptait remplacer. Le Cerema lui a conseillé une technique de fibrage qui lui a permis de prolonger l'existence dudit pont à moindre coût.

L'une de vos questions portait sur les nouvelles technologies. Elles offrent en effet des moyens dont on ne disposait pas précédemment, comme les drones ou les fibres, avec lesquelles on peut contrôler les fissures, même à distance. Ceci allège le contrôle et permet une intervention intelligente et moins coûteuse. Encore faut-il avoir des personnes capables de mettre ces contrôles en place, de les analyses et de les suivre.

Concernant le Cerema, nous sommes très sensibles à son manque de moyens. On craignait d'ailleurs que l'État ne se désengage de la partie routière, ayant à présent peu de kilomètres à entretenir. Or nous considérons qu'on doit cette ingénierie aux collectivités locales, l'État ayant conservé l'ingénierie au niveau national lors de la décentralisation routière. C'est déterminant pour les collectivités, mais aussi pour les entreprises si l'on veut tester de nouveaux matériaux et être au meilleur niveau.

Le Cerema travaille d'ailleurs avec nous dans le cadre de l'Observatoire de la route afin de mettre en cohérence toutes les grilles d'analyses et de donner une lecture de l'état des infrastructures. Il travaille également à un guide simplifié pour les élus des petites communes, pour savoir ce qu'il faut examiner sur un pont en fonction de sa nature technique, etc. Ce guide, certes simplifié, permettra d'y voir plus clair.

La culture du risque est à redévelopper, d'autant plus lorsque les événements climatiques deviennent exceptionnels. Une cartographie des risques de transgression marine et d'inondations, qui pèsent très lourdement sur les infrastructures, est donc nécessaire.

Les plateformes de guidage constituent un vrai problème. Elles conduisent sur les routes et les ponts des camions en provenance d'Europe centrale, dont certains chauffeurs ne parlent même pas français, voire des engins agricoles particulièrement délétères pour les parapets, qui ne sont pas faits pour résister à de tels chocs.

M. Hervé Maurey , président. - Je rappelle que nous avons mis en ligne sur le site du Sénat un questionnaire à destination des élus locaux pour recueillir leur avis et leurs remarques. J'invite les sénateurs et les associations d'élus à relayer cette information. Plus on aura de remontées, de suggestions, de propositions et de remarques, mieux on pourra en tenir compte dans notre rapport.

Je vous remercie pour vos remarques et vos suggestions. Elles nous seront très utiles pour l'élaboration de nos propositions.

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