II. LA JORDANIE FAIT FACE À DES DÉFIS COLOSSAUX

A. LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DES CRISES IRAKIENNE ET SYRIENNE

L'économie jordanienne repose traditionnellement, pour l'essentiel, sur les échanges avec la Syrie et l'Irak. L'effondrement de ces deux pays et la fermeture des frontières ont eu des conséquences catastrophiques pour l'économie jordanienne . Celle-ci est ainsi passée d'un taux de croissance proche de 8 % par an dans la première décennie du siècle, à seulement 2 % aujourd'hui , avec un très haut niveau de dette publique, de l'ordre de 95 % du PIB . De même, le taux de chômage a fortement progressé pour s'établir à 18,9 %. Quant au chômage des jeunes , il est supérieur à 30 % , certains l'estimant même proche de 40 %.

B. LE POIDS DES RÉFUGIÉS

1. L'afflux considérable des réfugiés

Le roi Abdallah a pris deux décisions majeures concernant les réfugiés syriens : en premier lieu, il a accepté leur arrivée, en ouvrant la frontière : 45 points de passage provisoires, supervisés par l'armée, ont ainsi été ouverts. En second lieu, les autorités jordaniennes ont ensuite ouvert leurs services publics à ces réfugiés, et en particulier leur système scolaire et leur système de santé publique. Le gouvernement estime ainsi que 150.000 enfants syriens sont scolarisés dans le système scolaire public jordanien .

La délégation s'est rendue sur le camp de Zaatari pour rencontrer des réfugiés syriens. Il faut naturellement bien se souvenir que seule une petite minorité des réfugiés est hébergée dans de tels camps 2 ( * ) . Le camp de Zaatari est le plus grand d'entre eux, avec 79.000 personnes à l'heure actuelle 3 ( * ) .

Ce camp, qui a ouvert en 2012, est le deuxième plus grand camp de réfugiés du Moyen-Orient . Il fait 5,3 km de long. Les réfugiés bénéficient de l'aide de 45 organisations internationales. Cette population correspond à 22.000 élèves scolarisés. Tous les enseignants, au nombre de 1.000, sont jordaniens. Le camp compte également 250 assistantes maternelles. Pour la santé, il compte deux hôpitaux et 12 cliniques gérés par le ministère de la santé jordanien. Le camp est aussi organisé pour permettre l'insertion professionnelle des réfugiés . 1.500 d'entre eux sortent ainsi du camp pour travailler dans la journée. Le camp compte également un bureau de travail, qui a permis la délivrance de 12.000 autorisations de travail.

Rencontre avec des bénéficiaires du Programme ONU Femmes au camp de Zaatari

Le camp compte également un bureau d'état-civil, qui enregistre les naissances, même si les nouveaux-nés ne peuvent acquérir la nationalité jordanienne. On compte entre 80 et 100 naissances chaque semaine.

La population du camp est très jeune, puisque 56 % des réfugiés ont moins de 18 ans. Dans 30 % des foyers, la mère est seule pour élever les enfants.

Rue du camp de Zaatari

L'objectif de l'organisation du camp est d'encourager l'autonomie des réfugiés, en aidant leur accession au travail, d'une part : la France finance ainsi un programme d'aide à l'insertion professionnelle des femmes, qui a permis à 4.000 femmes de trouver du travail. D'autre part, il est essentiel d'encourager l'autonomie des familles , en leur permettant par exemple de gérer seules leur budget. L'aide est ainsi délivrée sous forme de crédits qui sont alloués à chaque famille et qui peuvent être utilisés dans les deux supermarchés du camp, de façon moderne puisque le paiement se fait par reconnaissance rétinienne. L'allocation du Programme alimentaire mondial (PAM) représente environ un dollar par jour et par personne 4 ( * ) .

2. L'accès des réfugiés syriens aux services publics et ses conséquences

Ces décisions courageuses ont permis d'atténuer l'ampleur de la catastrophe humanitaire pour les personnes considérées. Mais elles ont aussi pesé d'un poids très lourd sur la société jordanienne . Pour donner un exemple, dans de nombreuses écoles, la journée est désormais coupée en deux, une demi-journée étant consacrée aux enfants jordaniens et une demi-journée aux enfants syriens. De même, comme cela a été bien précisé par plusieurs des ONG que la délégation a rencontrées, la population de réfugiés syriens pèse sur un système de santé publique qui peinait déjà, auparavant, à répondre à l'ensemble des besoins de la population jordanienne.

Toutefois, de façon remarquable, la population jordanienne a accueilli ces réfugiés sans réaction xénophobe ni violences. Tout au plus exprime-t-elle une certaine lassitude devant la dégradation des services publics, qui n'est du reste pas due qu'à l'afflux des réfugiés, mais aussi au fort ralentissement de la croissance et aux difficultés budgétaires de l'Etat.

3. Des perspectives de retour incertaines

Plusieurs éléments rendent difficile le retour dans leur pays d'origine des nombreux réfugiés qu'abrite la Jordanie.

La première difficulté est évidemment d'ordre sécuritaire . En Syrie, si Daech a perdu son emprise territoriale, ses combattants n'ont pas disparu et s'organisent pour pouvoir mener ponctuellement des opérations armées. Par ailleurs, la guerre civile n'est pas achevée, puisque le régime n'a pas encore repris le contrôle de la poche d'Idlib au nord-ouest, ni de la région nord-est. En outre, beaucoup de réfugiés redoutent les conditions dans lesquelles le régime en place accueillerait leur retour.

Par ailleurs, à cet aspect sécuritaire s'ajoute une difficulté économique : le régime syrien exige de nombreuses formalités administratives pour autoriser le retour sur son sol de ses ressortissants. Cela suppose à la fois des démarches qui sont matériellement difficiles à mener lorsque les réfugiés n'habitent pas Amman ; des frais importants, puisque le consulat syrien demande jusqu'à 300 dollars par personne pour délivrer des autorisations nécessaires au retour ; et enfin, la reconnaissance par les autorités syriennes des événements familiaux intervenus en Jordanie, en particulier les naissances.

On peut également penser que, dans certains cas, certains réfugiés puissent considérer que, malgré leur grande précarité, leurs conditions en Jordanie leur ouvrent tout de même plus de perspectives que dans les villages syriens dont ils sont originaires. C'est notamment le cas de certaines femmes qui ont gagné, par la force des choses et dans des conditions extrêmement difficiles, une autonomie de décision et de gestion dont elles ne bénéficiaient pas dans la société rurale traditionnelle syrienne.

Selon une ONG rencontrée par la délégation, on peut considérer qu'environ 100 personnes retournent en Syrie chaque jour, ce qui amène les autorités jordaniennes à évoquer entre 12.000 et 15.000 retours à ce jour. Toutefois, ce chiffre est peut-être surestimé, dans la mesure où certaines personnes retournent ponctuellement en Syrie avant de revenir en Jordanie, ce qui peut être le préalable à un retour définitif. Ce pourrait ainsi être environ 30.000 réfugiés syriens qui seraient retournés dans leur pays d'ici la fin de l'année.

4. Le cas particulier des réfugiés irakiens

La situation des réfugiés irakiens, dont l'exil a été motivé principalement par les persécutions subies, dépend là encore de l'amélioration de la situation sécuritaire en Irak. Si des progrès notables ont été constatés, votre commission a eu l'occasion d'examiner la difficulté de la situation de ces populations. Au-delà de la préoccupation sur leur sécurité, les réfugiés s'interrogent aussi sur les perspectives d'avenir qui pourraient être les leurs dans leur région d'origine, alors que leurs communautés ont été stigmatisées et persécutées pendant plusieurs années.

Dans le même temps, le retour de ces réfugiés issus des minorités religieuses d'Irak est indispensable si l'on veut que ce pays puisse retrouver sa diversité et poursuivre ses efforts de dépassement des frontières communautaires.


* 2 Les chiffres donnés à la délégation varient entre 10 % et 18 %.

* 3 Le camp aurait compté jusqu'à 120.000 personnes il y a quelques années.

* 4 31 dollars par mois et par personne.

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