D. EXEMPLE DE FRUITS DES ÉCHANGES ENTRE SÉNATEURS ET ENTREPRISES : LA LUTTE CONTRE LES SURTRANSPOSITIONS DE DIRECTIVES EUROPÉENNES EN DROIT FRANÇAIS

Table ronde animée par Mme Tam TRAN HUY

Ont participé à cette table ronde :

M. René DANESI, sénateur du Haut-Rhin, membre de la Délégation aux entreprises, auteur du rapport d'information « La surtransposition du droit européen en droit français : un frein pour la compétitivité des entreprises » (juin 2018) ;

M. Olivier CADIC, sénateur représentant les Français établis hors de France, vice-président de la Délégation aux entreprises, rapporteur du projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français ;

Mme Élisabeth LAMURE, sénateur, présidente de la Délégation sénatoriale aux entreprises et rapporteur du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE).

Mme Tam TRAN HUY

Nous allons poursuivre par la question de la lutte contre les surtranspositions de directives européennes en droit français.

M. René DANESI, sénateur du Haut-Rhin

Madame la présidente, Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs,

La pratique française de surtransposition du droit européen est régulièrement dénoncée par les entreprises. Elle génère en effet des distorsions de concurrence qui les placent dans une situation défavorable par rapport à leurs concurrentes européennes.

Pour mieux prendre la mesure de cette situation, la commission des Affaires européennes et la Délégation sénatoriale aux entreprises ont lancé une consultation en ligne auprès des entreprises du 11 janvier au 11 février 2018. Chargé par ces deux instances de présenter les cas de surtransposition signalés et d'en analyser les causes, j'ai présenté un rapport d'information en juillet 2018. Celui-ci montre que tous les secteurs d'activité sont concernés : l'industrie comme les services, la finance ou les assurances. Ces exigences supplémentaires ont des conséquences de plusieurs ordres : des surcoûts de production, des charges administratives, des contraintes commerciales, des risques en matière d'intelligence économique, en particulier pour les PME.

Dans les deux tiers des cas, les surtranspositions résultent de règlements ou d'ordonnances prises sur habilitation du Parlement et soumises à ratification tardivement, et de manière subreptice. Toutefois, plus du tiers de ces surtranspositions résulte de la loi, c'est-à-dire des Parlementaires et cela en totale contradiction avec les discours qui déplorent les normes et les règlements.

La surtransposition prend des formes diverses. Je vous renvoie sur ce point à mon rapport : seuils d'application des règles européennes inférieurs aux seuils européens, absence d'exploitation des dérogations ouvertes par les textes européens ou choix des options qui permettent d'ajouter des contraintes, extension d'obligations européennes à des situations, acteurs ou produits qui n'entrent pas dans le champ du texte européen, introduction de dispositions purement nationales à l'occasion de la transposition d'un texte européen ou encore maintien d'obligations nationales antérieures alors que l'harmonisation européenne aurait dû en emporter la suppression.

La plupart des surtranspositions identifiées répondent à des objectifs louables en matière de protection sanitaire et environnementale, de protection du consommateur, ou encore de transparence de l'action publique. Or le droit européen entend également répondre à ces préoccupations. Dès lors, l'impact économique de toute surtransposition doit être évalué et son coût économique rester acceptable.

Pour prévenir les surtranspositions, la France doit participer plus efficacement aux négociations européennes, afin de faire adopter, au niveau européen, les obligations qui lui paraissent devoir être défendues. Cette participation doit inclure les entreprises, y compris dans la procédure d'élaboration des normes, ce que nous appelons, dans le jargon européen, la comitologie et la normalisation.

Ensuite, le processus de transposition doit être amélioré, ce qui suppose une traçabilité des mesures concernées, la justification dans l'étude d'impact des options retenues, la documentation et l'encadrement des habilitations à transposer par ordonnances et enfin, le contrôle de ces ordonnances par le Parlement.

Le Sénat est particulièrement attentif à cette amélioration du processus de transposition. Il y a un an, la Conférence des présidents a en effet chargé la commission des Affaires européennes d'une mission de veille en matière de transposition des textes européens. La commission a ainsi formulé des observations sur cinq projets de loi, dont le projet de loi PACTE et le projet de loi d'orientation des mobilités dont le Sénat achève l'examen.

Enfin, le rapport appelle au traitement du stock des surtranspositions existantes. Cela suppose une identification exhaustive des dispositions concernées, en vue de supprimer toutes celles qui ne seraient pas dûment justifiées par un impératif d'intérêt général incontestable. J'ai ainsi déposé, avec 27 de mes collègues, une proposition de résolution visant à revenir sur des surtranspositions réglementaires pesant sur la compétitivité des entreprises françaises, dont je souhaiterais l'inscription prochaine à l'ordre du jour. Pour les dispositions législatives, le projet de loi Pacte, dont va nous parler Madame Lamure, et le projet de loi portant suppression de surtranspositions, que va évoquer mon collègue Olivier Cadic, s'inscrivent dans cette logique. Nul doute qu'il faille aller plus loin. Je n'exclus d'ailleurs pas de déposer une proposition de loi.

Le Sénat est particulièrement attentif à la surtransposition. Si celles-ci peuvent toujours se justifier individuellement, leur accumulation est un handicap pour les entreprises françaises dans la concurrence internationale. C'est pourquoi le Sénat s'est résolument engagé sur le difficile chemin des suppressions de surtranspositions. Derrière chaque transposition, un groupe de pression s'exprime.

Mme Tam TRAN HUY

La parole est à Olivier Cadic, rapporteur du projet de loi qui a supprimé un certain nombre de surtranspositions de directives européennes.

Olivier CADIC, sénateur représentant les Français établis hors de France

Madame la présidente, Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs,

Vous avez compris que la lutte contre les surtranspositions des directives européennes dans notre droit est un combat de longue haleine. Elles sont vectrices d'une telle complexité que les entreprises françaises ont fini par s'adapter à cette complexité, alors même qu'elles pénalisent la compétitivité de notre économie.

Au Sénat, nous y sommes particulièrement sensibilisés, notamment au sein de la Délégation aux entreprises dont certains membres sont, comme moi, chefs d'entreprise. J'aime à me définir comme un sénateur entrepreneur qui dirige ses entreprises depuis 37 ans. Cela fait plus de 4 ans que je suis membre de cette Délégation. Je peux témoigner de l'engagement exemplaire de sa présidente, Élisabeth Lamure, afin de faciliter la vie de nos entreprises. J'ai vu aussi la détermination de René Danesi pour identifier 75 surtranspositions à éliminer au plus vite. Et pourtant, les sénateurs, comme les députés d'ailleurs, le Gouvernement mais aussi les entreprises, comme l'a signalé René Danesi, ont une part de responsabilité dans ces sutranspositions.

Une première opportunité de diminuer le stock des surtranspositions de directives européennes en droit français s'est présentée en octobre 2018 avec le projet de loi mentionné par René Danesi, pour lequel j'étais rapporteur. Ce projet de loi présentait un certain nombre de suppressions de surtranspositions, notamment dans les domaines économique et financier. Sa portée restait cependant limitée puisque sur les 132 surtranspositions recensées par un rapport inter-inspections de 2016 sur lequel s'était basé le Gouvernement pour le produire, auquel on aurait pu ajouter les 75 surtranspositions identifiées dans le rapport de René Danesi, seules 27 étaient traitées dans le texte qui nous a été soumis par le Gouvernement. Notre champ d'action a été limité par le Gouvernement mais nous avons pu ajouter 3 surtranspositions supplémentaires au texte, portant le nombre à 30 et je tiens à ce titre à saluer les administrateurs du Sénat qui nous ont aidés dans cette mission. Malheureusement, le texte voté par le Sénat ne garde plus que 26 surtranspositions à supprimer, certaines entreprises s'étant mobilisées auprès des sénateurs afin de sauver certaines surtranspositions de la suppression. À noter que nous n'avions bénéficié que de deux semaines pour voter le texte, au vu du caractère urgent du projet de loi. Néanmoins, à l'heure actuelle, aucune surtransposition n'a été supprimée car la date d'examen du projet de loi n'a pas été fixée à l'ordre du jour à l'Assemblée nationale. Je crains que le projet de loi ne soit mort-né au vu de la récente démission de Mme Loiseau, ministre chargée des Affaires européennes, qui avait présenté le texte au Sénat.

Une nouvelle opportunité de « désurtransposer » est venue par le biais du projet de loi PACTE dont Élisabeth Lamure vous parlera dans quelques instants.

Mais ce processus n'est pas aussi simple qu'il y paraît, car ces surtranspositions ne sont pas issues uniquement de l'administration, du Gouvernement, ou du Parlement mais bien d'un système dans son ensemble, elles tiennent à notre responsabilité collective puisque c'est en voulant protéger tel ou tel secteur, à la demande de leurs représentants bien souvent, que nous adoptons des mesures plus restrictives que nos voisins, au détriment de l'intérêt économique général. Les tentatives de désurtransposer se heurtent donc à de nombreuses résistances, conjuguées à une trop faible prise de conscience de leur impact sur notre économie. Je peux citer, à titre personnel, quelques professions ayant eu gain de cause face à mes propositions d'aligner notre droit à celui des pays européens nous entourant : les pharmaciens, les experts-comptables, les chauffeurs de taxi, les ophtalmologues refusant les optométristes.

Il nous faut agir collectivement pour endiguer ce phénomène. Il nous faut notamment travailler à mieux faire la loi, et je m'adresse à mes collègues sénateurs présents dans la salle, cela signifie chiffrer l'impact concret de notre législation sur l'économie française. Il devient indispensable de mettre en place un « service qualité de la loi » comme préconisé dans le rapport de 2017 de notre Délégation, « Simplifier efficacement pour libérer les entreprises » : quelle entreprise peut fonctionner sans service qualité ? La logique serait la suivante : planifier avant de légiférer puis ajuster en fonction des conséquences. C'est cette logique qu'applique la Délégation aux entreprises : nous planifions nos déplacements, nous nous rendons sur le terrain puis nous évaluons le résultat de nos actions lors de cette Journée des entreprises et y tirons des enseignements afin d'améliorer nos travaux. Aussi, il nous faudrait nous attacher pour les prochains textes transposant des directives en droit français à ne transposer que les dispositions strictement exigées par le droit de l'Union européenne, sans en ajouter. Si, ensuite, nous voulions poser des exigences supplémentaires, elles devraient faire l'objet d'un texte distinct, dont l'impact serait évalué.

Enfin, il faut que notre pays cesse d'anticiper sur les règles européennes à venir et s'évertue à porter au niveau européen nos exigences nationales, de sorte qu'elles apparaissent dans les directives et s'appliquent à tous, évitant ainsi les distorsions de concurrence et assurant une protection équivalente à tous les Européens.

Je vous remercie de votre attention.

Mme Tam TRAN HUY

La parole est à Élisabeth Lamure, présidente de la Délégation aux entreprises, rapporteur du projet de loi PACTE.

Mme Élisabeth LAMURE, sénateur, présidente de la Délégation sénatoriale aux entreprises

Monsieur le président, Chers collègues, Mesdames et Messieurs,

Comme le rappelait Olivier Cadic à l'instant, le sujet des surtranspositions est également apparu dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, dit PACTE. Je rappelle que ce texte n'est pas encore adopté : le Sénat vient d'en commencer la nouvelle lecture puisque la commission spéciale s'est réunie hier après-midi pour un passage en séance publique le 19 avril prochain, après un échec de la commission mixte paritaire. De nombreuses dispositions de ce projet de loi sont en relation directe avec le droit européen et nous interpellent sur la façon dont il est intégré dans notre droit.

Tout d'abord, plusieurs articles du texte transmis au Sénat renvoyaient à des ordonnances le soin de transposer des directives sans préciser les options qui seront retenues ou écartées par le Gouvernement. Or comme le rappelait notre collègue Jean-François Rapin dans son rapport fait au nom de la commission des Affaires européennes sur le projet de loi PACTE, toute surtransposition, quelle qu'en soit la forme, devrait être dûment justifiée au regard d'impératifs d'intérêt général et limitée autant que possible afin qu'il ne soit pas porté atteinte à la compétitivité de notre pays.

C'est la raison pour laquelle la commission spéciale du Sénat chargée d'examiner le projet de loi a décidé par exemple de transposer certaines directives directement dans la loi, comme celle, dans l'article 63, relative à la facturation électronique dans le cadre des marchés publics. L'Assemblée nationale a d'ailleurs salué le travail des sénateurs et a choisi de conserver cette transposition directe.

Cette méthode de législation via des ordonnances est d'autant plus gênante que plusieurs transpositions figurant dans le projet de loi concernent des directives non adoptées définitivement. En résumé on demande au législateur de donner un blanc-seing pour transposer un texte dont les termes définitifs ne sont pas connus. La commission spéciale n'a pas manqué de le souligner et d'appeler à un changement de méthode.

Enfin avec PACTE, nous avons vu des surtranspositions totalement assumées par le Gouvernement et par nos collègues députés. Je pense par exemple à l'article 62 ter relatif à l'information sur les écarts de rémunération. La transposition pure et simple de la directive de 2017, relative à l'engagement à long terme des actionnaires, imposait d'informer sur l'évolution de la rémunération des mandataires sociaux et de la rémunération moyenne des salariés. Pourtant, Gouvernement et députés ont ajouté une nouvelle obligation d'information dans le rapport sur le Gouvernement d'entreprise prévu par le code de commerce : les entreprises devront ainsi donner « le niveau de la rémunération de chaque mandataire social mis au regard de la rémunération médiane des salariés de la société (...) ainsi que l'évolution de ce ratio au cours des cinq exercices les plus récents au moins ». Le Sénat avait supprimé cette surtransposition dans un souci de simplification mais elle a été rétablie par l'Assemblée nationale.

Vous le voyez, la tâche du législateur n'est pas simple mais nous continuerons à dénoncer ces méthodes qui portent préjudice à notre économie sans répondre à des impératifs d'intérêt général.

Enfin pour vous donner une idée de la façon dont les textes que nous adoptons « vivent leur vie », j'ajoute que trois articles du projet de loi de suppression de surtranspositions évoqué par mes collègues ont été insérés par voie d'amendement dans le texte de PACTE. Ils traitent de plusieurs sujets : allègement et simplification de certaines obligations comptables pour les PME ; simplification des procédures de fusion et de scission des sociétés par actions simplifiées et des sociétés en commandite par actions ; simplification de la procédure de fusion pour les sociétés anonymes absorbantes.

Le combat du Sénat pour porter ses positions et lutter contre les transpositions n'est pas un long fleuve tranquille et requiert une vigilance permanente sur l'ensemble des textes. C'est la raison pour laquelle il me semble également urgent de changer les méthodes pour mieux légiférer, comme nous le proposons depuis un moment avec Olivier Cadic et l'ensemble de la Délégation aux entreprises.

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