AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Conformément à l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, la commission des affaires sociales du Sénat a demandé à la Cour des comptes, le 11 décembre 2018, de réaliser une enquête sur l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Partant du constat que « les missions confiées à l'ANSM se sont accrues sans qu'une réflexion ne soit conduite sur leur cohérence globale, sur leur articulation avec celles d'autres agences nationales ou européennes », votre commission a souhaité que cette enquête permette d'évaluer l' adéquation des moyens de l'agence à ses missions , en s'appuyant notamment sur des comparaisons avec des agences équivalentes en Europe.

La remise du rapport de la Cour des comptes intervient un peu plus d'un an après la publication de celui 1 ( * ) de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur la maîtrise des risques sanitaires par l'ANSM, qui concluait à des marges de progrès en matière de suivi des médicaments utilisés en dehors de leur indication initiale et exposés à des risques de mésusage, de pharmacoépidémiologie et de matériovigilance . L'enquête de la Cour s'inscrit également dans la suite de la signature du contrat d'objectifs et de performances (COP) de l'agence conclu avec l'État pour la période 2019-2023 qui met l'accent sur la communication de l'ANSM auprès des professionnels de santé, des patients et des usagers du système de santé ainsi que sur le renforcement du positionnement européen de l'agence .

Les conclusions de la Cour des comptes sur le dimensionnement des moyens de l'agence par rapport à ses missions rejoignent très largement les observations formulées par votre commission dans le cadre de son avis 2 ( * ) de novembre 2018 sur les crédits consentis à l'ANSM au sein de la mission « Santé ». Notre collègue Corinne Imbert avait en effet souligné, à cette occasion, les importants efforts de réduction des dépenses consentis par l'agence depuis 2012 : le nombre d'emplois sous plafond de l'opérateur est ainsi passé de 1 003 équivalents temps plein travaillés (ETPT) en 2012 à 912 en 2019, soit une diminution de plus de 9 %, et sa subvention pour charges de service public est passée de 135 millions d'euros à 118 millions d'euros, soit une diminution de 12,6 % sur la même période.

I. DES MOYENS SOUS-DIMENSIONNÉS PAR RAPPORT À DES MISSIONS SANS CESSE ACCRUES

Créée par la loi du 29 décembre 2011 3 ( * ) à la suite du scandale du Mediator®, l'ANSM a succédé à l'agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps) à compter du 1 er mai 2012. Son champ de compétences était déjà initialement entendu très largement puisqu'il couvrait la quasi -totalité des produits de santé mais aussi les produits cosmétiques et de tatouage. Ses priorités d'action n'ont eu de cesse d'évoluer depuis 2012, à la faveur de mesures prises pour répondre à des crises sanitaires qui se sont multipliées au cours de la période récente : affaire de l'essai clinique Biotrial, les incidents médiatisés consécutifs à des médicaments tels que le Lévothyrox®, la Dépakine® et l'Androcur®, ou encore l'aggravation du phénomène des pénuries de médicaments...

En dépit de ces défis croissants, les moyens consentis à l'ANSM en loi de finances ont diminué de façon continue depuis 2012, une évolution sensiblement décorrélée à l'évolution de ses missions et de ses objectifs stratégiques. Les comparaisons internationales de l'enquête de la Cour des comptes sont à cet égard particulièrement éclairantes puisqu'il y est indiqué qu'« à missions comparables (autorisation et vigilance), elle dispose [...] de moindres effectifs que l'agence britannique (359 effectifs en moins) et les deux agences allemandes. »

Dans le même temps, les responsabilités de l'agence ont été étendues à l'occasion de la loi « Santé » du 26 janvier 2016 4 ( * ) , notamment dans les domaines suivants :

- l' évaluation méthodologique des essais cliniques des médicaments et des dispositifs médicaux ;

- la lutte contre les ruptures d'approvisionnement de médicaments essentiels , c'est-à-dire les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM).

Dans le cadre de cette dernière mission, l'ANSM se voit d'ailleurs attribuer de nouveaux outils d'intervention par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 dont l'article 34 prévoit la mise en place d'une obligation de constitution de stocks de sécurité de médicaments essentiels et la possibilité pour le directeur général de l'ANSM de contraindre une entreprise pharmaceutique défaillante d'importer une spécialité médicamenteuse de substitution pour pallier une rupture de stock.

Dans son rapport, la Cour des comptes rappelle ainsi qu'un groupe de travail interministériel piloté par la direction générale des soins du ministère des solidarités et de la santé chargé d'examiner les leviers de redressement financier de l'agence avait conclu à un besoin de subvention de l'État supplémentaire pour 2017 compris entre 8,5 millions d'euros et 26 millions d'euros . La préconisation formulée par la Cour en faveur du recrutement d'experts dotés de compétences scientifiques pointues plaide pour un ajustement à la hausse des moyens publics consentis à l'ANSM.

Le transfert à l'assurance maladie du financement de l'ANSM , opéré par l'article 31 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, fait craindre à votre commission que la dilution de ses moyens dans un sous-objectif de l'objectif national des dépenses de l'assurance maladie (Ondam) ne conduise à une diminution de la visibilité de ces crédits et emplois qui pourraient échapper à l'examen parlementaire . Depuis leur transfert à l'assurance maladie, les moyens d'agences sanitaires telles que la Haute Autorité de santé ou l'agence de la biomédecine ne sont en effet pas retracés dans les documents budgétaires annexés aux PLFSS. Ni l'annexe consacrée à l'Ondam et aux dépenses de santé, ni le programme de qualité et d'efficience « Maladie », ni même les fiches d'évaluation préalable des articles du PLFSS ne permettent en effet de renseigner le législateur sur les dotations qui seront consenties chaque année aux agences sanitaires sous tutelle financière de l'assurance maladie.

Par conséquent, votre rapporteure estime que la définition dans le contrat d'objectifs et de performance (COP) de l'ANSM d'une trajectoire pluriannuelle de ses moyens en cohérence avec ses priorités stratégiques recommandée par la Cour des comptes doit être assortie de la mise en place de documents détaillant précisément, à l'occasion de l'examen parlementaire de chaque PLFSS, les crédits et les emplois qui seront accordés aux agences sanitaires . Elle recommande en outre l'inscription dans chaque PLFSS d'un article spécifiquement consacré aux dotations consenties aux agences sanitaires financées par l'assurance maladie et détaillant les modalités de compensation de ces financements par l'État , afin de les extraire des sous-objectifs de l'Ondam et de permettre ainsi un débat parlementaire éclairé sur la trajectoire de financement de ces opérateurs.

Proposition n° 1 : Créer une annexe au PLFSS détaillant les crédits et les emplois consentis aux agences sanitaires et prévoir un article du PLFSS dédié à ces moyens permettant une discussion parlementaire éclairée distincte de l'examen de l'Ondam.

Seul un examen parlementaire attentif des moyens consentis à l'ANSM permettra de s'assurer qu'elle dispose de la capacité de renforcer son positionnement européen que la Cour appelle de ses voeux, notamment en se voyant attribuer par l'agence européenne du médicament un plus grand nombre de demandes d'autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le cadre de la procédure centralisée .

Enfin, le rassemblement des agences sanitaires au sein d'un campus participerait du renforcement de leur collaboration et d'une meilleure coordination de leurs interventions. Les travaux envisagés dans le cadre de l'organisation des Jeux olympiques de 2024, notamment la création de nouvelles infrastructures de transport, permettraient un rapprochement de ces agences dans le département de Seine-Saint-Denis dans lequel l'ANSM, la Haute Autorité de santé, l'agence de la biomédecine et l'établissement français du sang sont déjà implantés 5 ( * ) . La mise en place de ce campus serait source d'efficience et d'économies bien pensées par des mutualisations de services support entre opérateurs, en particulier en matière de sécurité des systèmes d'information et de services juridiques, et par le partage et la valorisation des ressources en expertise et des compétences scientifiques rares dans des domaines d'activité bien souvent interconnectés entre agences.


* 1 Inspection générale des affaires sociales, Audit de la maîtrise des risques sanitaires par l'agence nationale de sécurité du médicament , rapport n° 2017-158R, octobre 2018.

* 2 Avis n° 150 (2018-2019) de Mme Corinne Imbert sur les crédits de la mission « Santé » dans le projet de loi de finances pour 2019, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 22 novembre 2018.

* 3 Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.

* 4 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

* 5 L'INCa est situé à Boulogne-Billancourt, Santé publique France à Saint-Maurice dans le Val de Marne et l'ANSéS à Maisons-Alfort.

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