B. OBSERVATIONS DU SÉNAT FRANÇAIS

1. Des échanges économiques à conforter mais contraints par l'orientation de politique économique russe et un contexte de sanctions

Après avoir significativement décru en 2014 et 2015 et atteint un point bas en 2016, le commerce bilatéral entre nos deux pays est reparti à la hausse, mais principalement grâce à nos importations et à un effet-prix sur les hydrocarbures. On constate surtout un rétrécissement du marché russe aux exportations françaises qui découle des politiques russes de substitution aux importations dans un contexte de sanctions et contre-sanctions économiques. Les exportations du secteur agroalimentaire, touchées pour partie par un embargo russe, sont ainsi passées de 1,2 Md€ en 2013 à 719 M€ en 2018. Il faut aussi noter la volatilité des livraisons d'aéronefs (certaines étant attendues pour 2020).

On ne peut nier l'effet des sanctions sur nos relations économiques. Si les sanctions européennes ont eu un impact direct sur les secteurs visés, il faut aussi souligner l'impact des sanctions américaines, compte tenu de leur effet extraterritorial, notamment sur le comportement des banques françaises. Selon nos milieux d'affaires, il en résulterait paradoxalement un avantage concurrentiel pour les entreprises américaines (sans doute grâce à des décisions accommodantes de l'OFAC 5 ( * ) ) alors que les entreprises françaises paient le prix fort pour cette politique . Le Sénat appelle la Russie à de vrais progrès dans l'application des accords de Minsk, de nature à permettre la levée des sanctions qui pénalisent nos entreprises.

L'évolution de nos échanges sur le plan commercial incite les entreprises françaises à s'implanter en Russie. La France conforte à cet égard sa position stratégique sur le marché russe, puisqu'elle est le premier investisseur étranger en stock et le deuxième en flux dans le pays, dont elle est aussi le premier employeur étranger.

La Déclaration sur le « Nouveau partenariat économique franco-russe pour l'économie de demain » signée à l'occasion du Forum économique de Saint-Pétersbourg en 2018 a créé des opportunités, notamment dans le domaine des « nouvelles mobilités » (la Russie est désormais le premier marché de Blablacar) et concernant les « réponses économiques au changement climatique ». Les perspectives sont également intéressantes dans le domaine des déchets et de la santé.

Malgré la progression de la Russie dans le classement Doing Business de la Banque Mondiale (28 e place en 2020), le climat des affaires reste un sujet de préoccupation pour les entreprises françaises qui souffrent d'un manque de sécurité juridique et redoutent le risque de pénalisation, illustré par l'affaire Philippe Delpal. Plusieurs observateurs évoquent même une dégradation .

Par ailleurs, des difficultés de financement de la part des banques internationales, dont françaises, continuent à se poser dans le contexte des sanctions extraterritoriales américaines et de leur possible renforcement (phénomène dit « de surconformité »). Ce problème a été évoqué lors du dernier Conseil économique, financier, industriel et commercial (CEFIC) de décembre 2019. Il fait actuellement l'objet d'une évaluation destinée à faire émerger des pistes de progrès.

2. Des échanges humains denses et variés

Le dynamisme des échanges culturels franco-russes ne faiblit pas . En 2018, l'année franco-russe « des langues et des littératures » a permis le lancement de coopérations fructueuses dans le domaine du livre. On relèvera, à cet égard, que le français constitue la deuxième langue de traduction en Russie, après l'anglais et devant l'allemand. Placée sous le signe du théâtre, l'année 2019 a vu la participation de la France à de nombreux événements organisés à cette occasion. En 2020 sera lancée, conjointement avec l'Allemagne, une grande exposition trilatérale intitulée « Unis dans la diversité », en commémoration du 75 e anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale. Consacrée à la création artistique européenne contemporaine, elle sera présentée successivement à Moscou, Berlin et Paris.

Lancé en 2017 à l'initiative des deux présidents français et russe et destiné à favoriser les échanges entre la jeunesse et les sociétés civiles des deux pays, le Dialogue de Trianon est un outil majeur de la coopération dans le champ culturel. Les échanges dans ce cadre s'articulent autour d'une thématique renouvelée chaque année. En 2020, il s'agit de « environnement et développement durable ». Ce dispositif devrait bénéficier d'une réévaluation de ses moyens qui devrait lui permettre de développer des actions plus ambitieuses à compter de 2020. Il importe en tous cas que cette initiative évite l'écueil de l'institutionnalisation et s'attache à préserver la spontanéité des échanges et de l'expression des sociétés civiles .

A cet égard, la France tient à pouvoir discuter avec la Russie de la situation des droits de l'homme et des libertés publiques . C'est pour cette raison qu'elle a soutenu la réintégration de la Russie au Conseil de l'Europe en juin 2019, la quasi-totalité des parlementaires de la délégation française ayant voté en faveur de cette décision. Le Sénat a pris toute sa part dans cette démarche et n'a pas ménagé ses efforts pour convaincre les plus hésitants. Néanmoins, la relance de consultations bilatérales en matière de droits de l'homme est aussi souhaitable. Dans le cadre d'une relation amicale, tous les sujets, si sensibles soient-ils, doivent pouvoir être évoqués en respectant naturellement une certaine confidentialité pour les affaires individuelles. Le dialogue interparlementaire constitue est d'ailleurs une occasion, parmi d'autres, pour aborder ces questions.

Concernant la coopération éducative et linguistique , la préoccupation française est d'enrayer la diminution de l'enseignement du français qui, s'il se maintient au troisième rang des langues étrangères enseignées en Russie, ne concerne plus que 2 % des élèves. Le pays compte 200 établissements à français renforcé, dont 22 à sections bilingues qui n'ont pas encore obtenu de reconnaissance officielle de la part des autorités éducatrices russes. On espère vivement que la signature prochaine d'un accord intergouvernemental sur l'apprentissage du français en Russie et du russe en France 6 ( * ) permettra de faire avancer cette reconnaissance mais aussi de relancer un programme d'assistants de langue déséquilibré (aucun assistant de français en Russie alors que 48 assistants de russe sont présents en France).

Si elle est déjà dense et variée, la coopération scientifique et universitaire peut encore s'intensifier et se structurer . Avec 5 337 étudiants russes en France et 300 étudiants français en Russie, la mobilité étudiante entre nos deux pays a un important potentiel de développement et plaide, particulièrement côté russe, pour une politique d'attractivité renforcée. Le Sénat y est particulièrement attentif. La signature d'accords de doubles diplômes est une priorité, de même que la valorisation de l'action des Collèges universitaires français de Russie (CUF) et du Centre d'études franco-russe (CEFR), ainsi que le développement de l'Université franco-russe (qui regroupe actuellement 5 établissements russes et 4 établissements français). Il est aussi nécessaire de définir clairement nos priorités stratégiques en matière de recherche , en cohérence avec la feuille de route franco-russe pour l'enseignement supérieur et la recherche, adoptée en 2018. Enfin, cette coopération peut trouver à se développer dans un nouveau champ, celui du patrimoine, compte tenu de l'intérêt manifesté par le ministère russe de la Culture.

La coopération décentralisée peut elle aussi contribuer à la relance de nos relations. Sur quelque 80 partenariats décentralisés recensés, une trentaine seulement seraient réellement actifs, dont de nombreuses villes. Afin de dynamiser ce volet, 2021 devrait être « l'année franco-russe de la coopération décentralisée.

Quel que soit le cadre dans lequel ils s'inscrivent (études, recherche, tourisme...), les échanges humains entre nos deux pays doivent pouvoir bénéficier d'une politique de visas accommodante . A cet égard, la France demeure favorable, sous réserve de réciprocité, à un régime d'exemption des visas de court séjour pour les ressortissants russes, ce qui suppose, au plan européen, la levée des sanctions et donc la mise en oeuvre par la Russie des accords de Minsk. Dans cette attente, nos deux pays doivent s'attacher à fluidifier la délivrance des visas , les difficultés d'ordre administratif parfois rencontrées pouvant constituer un frein regrettable à la circulation des personnes.


* 5 OFAC : Office of Foreign Assets Control (OFAC), rattaché au Département du Trésor américain et qui est chargé de l'application des sanctions économiques.

* 6 Symétrique à celui qui a permis de créer des sections internationales de russe en France.

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