II. LE RENSEIGNEMENT PENITENTIAIRE AU COEUR DU DISPOSITIF DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME

L'évolution de la menace terroriste, de plus en plus endogène, conduit à conférer au renseignement pénitentiaire un rôle central dans le dispositif de lutte contre le terrorisme. La radicalisation en prison présente des enjeux sécuritaires, autant à l'intérieur qu'à l'extérieur des prisons. En amont comme en aval, c'est toute la chaîne du renseignement qui s'en trouve impactée.

A. UNE SURVEILLANCE RENFORCÉE DE LA POPULATION CARCÉRALE

L'institution pénitentiaire prend en charge environ 250 000 personnes placées sous main de justice, dont 70 651 étaient détenues au 1 er janvier 2020, dans un contexte bien connu de sur-occupation carcérale.

1. L'impératif de sécurité en milieu fermé

Les conditions de détention d'individus « radicalisés » ou en voie de radicalisation doivent permettre de les isoler des autres détenus pour éviter le prosélytisme et la propagation des processus de radicalisation.

a) Le « profilage » des détenus

L'administration pénitentiaire établit deux profils distincts de détenus liés à l'islam radical : d'une part, les détenus incarcérés pour des faits de terrorisme en lien avec l'islam radical (les « TIS ») et d'autre part, les détenus incarcérés pour des faits de droit commun mais signalés pour radicalisation (les « DCSR »). Cela représente un total d'environ 1 500 détenus qui nécessitent une attention particulière.

Les TIS

En janvier 2020, on dénombrait 525 détenus - dont 72 femmes - considérés comme terroristes islamistes, en raison du motif de leur condamnation judiciaire. Les TIS sont automatiquement inscrits au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

Après avoir triplé entre 2015 et 2017, le nombre de TIS est désormais stabilisé autour de 500. La France est néanmoins le pays d'Europe qui recense le nombre de détenus terroristes le plus important - près de la moitié du nombre total de TIS à l'échelle européenne -, loin devant le Royaume-Uni (autour de 250 TIS) puis la Belgique.

Évolution du nombre de détenus TIS

Au 02/01/2017

Au 26/12/2017

Au 05/02/2019

Au 06/01/2020

390

507

499

525

Source : Direction de l'administration pénitentiaire.

Les détenus de droit commun suivis pour radicalisation avérée (RAV)

Aux TIS s'ajoutent les détenus incarcérés pour des faits de droit commun mais signalés pour radicalisation. Cette qualification et leur dangerosité sont donc liées soit à leur comportement à l'extérieur, repéré par les services de renseignement partenaires, soit à leur comportement en détention, repéré par l'administration pénitentiaire, ce qui implique une part de subjectivité en comparaison avec les TIS dont la qualification est liée au motif de leur condamnation.

L'administration pénitentiaire évalue le nombre de détenus de droit commun dont la radicalisation est avérée (RAV) à 585 personnes au 20 mai 2020, contre 627 au 1 er janvier 2020, soit une diminution de 6,7 % en seulement quatre mois. A ces 585 détenus RAV, il faut ajouter 269 détenus considérés par le renseignement pénitentiaire, au 6 janvier 2020, comme « potentiellement radicalisés » (radicalisé en évaluation - RAE) et faisant à ce titre l'objet d'une évaluation par le SNRP.

La décroissance régulière du nombre de RAV (en baisse de 16 % entre mai 2019 et mai 2020) s'explique notamment par l'amélioration des critères de repérage et d'évaluation de la radicalisation par les agents du SNRP positionnés tant au sein des établissements qu'aux échelons interrégional et central. Ce renforcement des méthodologies et du savoir-faire des agents permet de clore le suivi d'individus qu'il n'est plus pertinent de considérer comme présentant une menace du fait de leur radicalisation.

À la différence des TIS qui relèvent d'une population de stock, la catégorie des détenus radicalisés fait référence à une population de flux, avec un taux de renouvellement élevé, proche de 50 %. La population pénale présente en effet des fragilités psychiques et sociales et qui viennent renforcer la vulnérabilité au phénomène de radicalisation.

Il est d'ailleurs remarquable, selon des données transmises à la délégation par l'administration pénitentiaire, que 25,9 % des personnes inscrites au FSPRT : au sein de la population hébergée en établissement pénitentiaire ont été détectées par l'administration pénitentiaire.

Nombre de détenus TIS et RAV par établissement pénitentiaire

(au 6 janvier 2020)

Tableau *****

b) Des conditions d'incarcération adaptées

La stratégie pénitentiaire de repérage, d'évaluation et de prise en charge des détenus radicalisés est une composante majeure de la politique de prévention du terrorisme. En milieu fermé, elle repose sur une adaptation des conditions d'incarcération aux profils des détenus. La loi du 21 juillet 2016 74 ( * ) a ainsi durci le régime d'exécution des peines en excluant les terroristes des réductions de peine automatique et en les privant de certains aménagements de peines (semi-liberté, suspension et fractionnement de peines, par exemple).

L'évaluation de la radicalisation

Tous les détenus condamnés pour des faits de terrorisme ainsi que les détenus condamnés pour des faits de droit commun identifiés comme radicalisés ont vocation à passer par des quartiers de prise en charge de la radicalisation spécialisés dans l'évaluation (QPRE). Au renseignement pénitentiaire revient toutefois la tâche de prioriser les détenus radicaux dont la dangerosité et le prosélytisme doivent être évalués en urgence. 94 détenus ont ainsi été évalués au sein de 4 QER en 2018 et 151 l'ont été en 2019 au sein de 6 QER.

La création des QER fin 2016, a mis fin aux unités de prévention de la radication (UPRA) constituées au sein d'établissements situés exclusivement en Ile-de-France pour regrouper des détenus radicalisés, mais qui furent considérées comme un échec en favorisant un climat de violence ayant conduit à l'agression de deux surveillants à la prison d'Osny (Val-d'Oise) en septembre 2016.

L'administration pénitentiaire en a tiré les enseignements en concluant qu'avant de prendre en charge les détenus considérés comme radicalisés, il était d'abord nécessaire de les évaluer. C'est la vocation des QER, dont le premier a ouvert en février 2017 à la prison d'Osny ; il en existe désormais sept. Ces unités visent non seulement à détecter et évaluer les personnes détenues radicalisées, mais aussi à protéger les personnels pénitentiaires par un renforcement des dispositifs de formation, une sécurisation accrue et un régime de détention plus sévère que pour les autres détenus : fouilles régulières, davantage de caméras, moins d'activités collectives et presque un surveillant pour chaque détenu. Ceux-ci passent énormément de temps en cellule et certains barreaux ont même été remplacés par des vitres, pour éviter tout contact avec l'extérieur.

Les QER accueillent les détenus pendant une durée de dix-sept semaines au cours desquelles ils sont évalués par des éducateurs, des psychologues, des référents religieux et des personnels de surveillance. Le but est d'évaluer le niveau d'honnêteté du détenu et sa potentielle capacité de dissimulation, la taqiya étant une pratique répandue chez les personnes radicalisées. Viennent ensuite l'évaluation du niveau de dangerosité, la probabilité de passage à un acte violent, puis le niveau de prosélytisme.

Des modalités de détention différenciées selon le niveau de dangerosité

Il s'agit pour l'administration pénitentiaire, à l'issue de cette période d'évaluation, d'être en mesure de décider en connaissance de cause des modalités de la prise en charge future des détenus. Trois options sont alors possibles :

- la grande majorité des détenus passés par un QER, environ 75 %, sont placés en détention dite ordinaire car leur imprégnation idéologique est considérée comme faible. Ils font l'objet d'un suivi spécifique par le renseignement pénitentiaire et sont mis à l'écart du reste de la population carcérale, dans des « quartiers étanches » dans l'un des 78 établissements (sur 188) qui ont mis en oeuvre des programmes de prévention de la radicalisation violence (PPRV) ;

- le placement à l'isolement pour les détenus considérés comme les plus dangereux, qui représentent environ 10 % des prisonniers évalués. Ceux-ci entrent dans la catégorie des idéologues très violents, présentant un risque d'agression physique et jugés incompatibles avec une prise en charge collective en détention. Ils ne croisent que des personnels dédiés et spécialement formés et ne sont jamais en contact avec d'autres détenus ;

- les détenus ne relevant d'aucune des deux catégories précédentes, soit environ 15 % des prisonniers évalués, seront affectés dans un quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR). Il existe à ce jour 4 QPR à Lille-Annoeullin, Condé-sur-Sarthe, Aix-Luynes et à Paris au sein de la prison de la Santé. Sont placés en QPR les détenus évalués appartenant à la catégorie des idéologues prosélytes ou susceptibles d'être violents mais accessibles à une prise en charge collective. En d'autres termes, les détenus concernés doivent démontrer leur volonté de désengagement à l'égard de la violence et du prosélytisme. Les QPR sont considérés comme une voie médiane, une sorte de « sas » entre la détention ordinaire et le quartier d'isolement. Les promenades y sont organisées en effectif réduit dans une cour intérieure dédiée, à l'abri des regards des autres prisonniers. Les petits groupes sont régulièrement renouvelés de manière à éviter la routine qui, en détention, représente un danger pour la sécurité. L'affectation en QPR est transitoire ; il ne s'agit pas en effet d'y effectuer la totalité de sa détention. La durée de passage y varie de six à dix-huit mois, éventuellement renouvelable, avant de réintégrer un régime de détention classique.

Après l'échec des UPRA, la mise en place de nouvelles méthodes d'évaluation de la radicalisation s'est donc accompagnée d'une politique d'adaptation des conditions de détention au niveau de dangerosité des prisonniers. Ce nouveau dispositif reste en cours de déploiement avec de nouvelles ouvertures de QER et de QPR prévues au cours du second semestre 2020 et du premier trimestre 2021 avec un nouveau QER à Vendin-le-Vieil et deux nouveaux QPR à Nancy et à Bourg-en-Bresse.

La délégation recommande qu'au moins un QER et un QPR soient dédiés aux femmes détenues.

Recommandation n° 26 : Ouvrir un quartier d'évaluation de la radicalisation (QER) et un quartier de prévention de la radicalisation (QPR) dédié aux femmes.

2. De nouveaux dispositifs de suivi en milieu ouvert

L'assassinat en juillet 2016 d'un prêtre à Saint-Etienne-du-Rouvray par un individu radicalisé sous bracelet électronique a provoqué une prise de conscience quant à la nécessité urgente à « boucher les trous dans la raquette » entre la prison et l'extérieur. Face à la multiplication des profils d'individus susceptibles d'être sensibles aux thèses djihadistes en milieu ouvert, l'administration pénitentiaire a dû adapter son dispositif.

Sur les 160 000 personnes suivies en milieu ouvert, quelques 274 sont en effet impliqués dans une affaire de terrorisme islamiste (TIS) et 474 qui relèvent du droit commun sont considérés comme radicalisés avérés (RAV). La réalité des profils est celle d'un éventail extrêmement large : on identifie parmi ces personnes sous main de justice quelques « revenants » de Syrie ou velléitaires du jihad mais surtout des individus poursuivis pour « apologie du terrorisme » ou « consultation de sites djihadistes » et des délinquants suspectés de radicalisation.

En milieu ouvert, il s'agit d'accompagner ces profils dits de « bas du spectre », que la justice n'a pas estimé nécessaire d'incarcérer ou qui ont obtenu un aménagement de leur peine, vers le désengagement d'une idéologie violente et, au bout du compte, la réinsertion. Tous sont suivis par le service de probation et d'insertion pénitentiaire (SPIP) dont des cadres ont été formés comme référents pour la radicalisation.

Pour les profils les plus complexes, un dispositif sur mesure dénommé « PAIRS » a été mis en place. Il s'agit d'un « Programme d'accueil individualisé et de réaffiliation sociale », qui succède à l'expérimentation non concluante du centre de déradicalisation de Pontourny, ouvert en octobre 2016 et fermé dès février 2017.

En complément de la prise en charge par un service pénitentiaire d'insertion et de probation qui demeure titulaire du mandat judiciaire, le programme permet un suivi renforcé et pluridisciplinaire de personnes faisant l'objet d'une procédure ou exécutant une peine en lien avec une infraction terroriste. Ce nouveau dispositif, d'abord expérimenté à Paris a été étendu à Marseille, à Lille et à Lyon, et propose désormais 110 places.

Des rencontres sont organisées avec des éducateurs, des psychologues et des conseillers pénitentiaires sous la forme de temps d'échanges pouvant aller de 10 à 20 heures hebdomadaires. L'accent est ainsi mis sur l'efficacité d'un accompagnement intensif dans le processus de désengagement de l'idéologie violente.

Au moindre incident, un rapport est adressé au juge et le renseignement est alerté. A ce jour, on ne dénombre aucun passage à l'acte violent d'un profil terroriste ou radicalisé suivi hors de prison.

3. Le défi d'un retour en nombre des djihadistes français pour nos prisons

Parmi les Français partis rejoindre Daech en Irak ou en Syrie, ceux revenus sur le territoire français ont fait l'objet d'une judiciarisation systématique à leur retour qui s'est accompagnée, pour certains d'entre eux, d'une incarcération.

Djihadistes français ayant fait l'objet d'une incarcération
à leur retour en France

Tableau *****

Les services de renseignement estiment qu'environ 200 ressortissants français se trouveraient encore détenus par les forces kurdes dans le nord-est de la Syrie.

La question de leur possible retour en France représente un défi pour notre système carcéral. Ces combattants sont des personnes très aguerries qui ont vécu pendant une longue durée dans une zone de guerre ; elles présentent a priori un niveau de dangerosité bien plus élevé que les autres détenus et nécessitent un suivi spécifique par le renseignement pénitentiaire.

Le retour des djihadistes français pose trois défis à notre système pénitentiaire :

- le premier est d'ordre capacitaire ***** ;

- le deuxième concerne la prise en charge des femmes radicalisées, dont le nombre est en augmentation régulière ces dernières années, au point que davantage de femmes que d'hommes revenant du djihad ont été incarcérées en 2019 ; et cette tendance semble se poursuivre au premier trimestre 2020. Le profil de ces femmes est généralement moins connu des services de renseignement que celui des hommes. Les établissements pénitentiaires pour femmes ne sont pas adaptés à la prise en charge de la radicalisation ; on n'y trouve à ce jour ni QER ni QPR. ;

- le troisième est relatif aux mineurs : ils seraient déjà près de 150 à être revenus des zones de combat avec leurs parents, dont une forte majorité est âgée de moins de dix ans. Une circulaire du Premier ministre du 23 février 2018 définit un dispositif de prise en charge spécifique qui s'appuie largement sur le droit commun tout en mettant en oeuvre des dispositions innovantes telles que le recours à des mesures de protection de l'enfance et la mise en place systématique d'un bilan somatique et médico-psychologique.


* 74 Loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste .

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