III. LA DÉONTOLOGIE DES AGENTS DE RENSEIGNEMENT

A. LE CADRE EN VIGUEUR

1. Des dispositions propres aux différents statuts

En matière de déontologie, les agents des services de renseignement relèvent :

- pour le personnel militaire, des dispositions qui lui sont propres et de la commission de déontologie des militaires ;

- pour les fonctionnaires de police et de gendarmerie 126 ( * ) d'une part, et les agents de l'administration pénitentiaire d'autre part, des dispositions propres à chacune de ces catégories de personnels ;

- pour les autres fonctionnaires, des dispositions applicables aux fonctionnaires et contractuels de la fonction publique d'État.

Certains agents, comme ceux de la DGSE, bénéficient d'un statut autonome, régi par le décret n° 2015-386 du 3 avril 2015 fixant le statut des fonctionnaires de la DGSE, dont les dispositions en matière de déontologie sont également applicables aux contractuels.

En outre, des dispositions spécifiques aux agents des services de renseignement ont été prévues par la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement 127 ( * ) .

2. Une information essentiellement concentrée sur le début de la carrière

À leur arrivée dans le service, les agents sont informés des règles déontologiques qui s'appliquent à eux. À cette occasion, ils signent divers engagements relatifs à la manipulation d'informations classifiées 128 ( * ) , et bénéficient d'une formation initiale au cours de laquelle les questions de déontologie sont abordées.

Les agents peuvent également être sensibilisés au sujet à travers une charte, établie par leur ministère de tutelle ou par leur service d'emploi :

- la DRSD a diffusé, en 2017, une « charte de déontologie » qui actualise sa « charte éthique » de 2013. La charte de déontologie rappelle les valeurs de discrétion, de compétence, d'intégrité et d'impartialité du service, et ce qu'elles impliquent pour les agents dans leur manière de servir. En outre, elle donne des conseils aux agents pour sa mise en pratique et, pour ce faire, les invite à se poser trois questions en cas de confrontation à un problème d'ordre déontologique : est-ce conforme au cadre juridique applicable ? Est-ce conforme à la charte de la DRSD ? En cas de doute, à qui puis-je demander conseil ? Enfin, une douzaine de cas concrets sont présentés à la fin du fascicule sous forme de questions-réponses, avec le bon comportement à adopter ;

- la DRM a également élaboré une charte éthique, au caractère non contraignant, qui recommande les comportements appropriés au métier d'agent de renseignement ;

- la DGSI remet quant à elle la charte de sécurité du comportement et le guide de déontologie de la police nationale à ses agents ;

- le guide de déontologie élaboré par la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) est diffusé auprès des agents de la DNRED, ainsi qu'une « charte des valeurs » fondamentales pour la communauté douanière ;

- le commandant des écoles de la gendarmerie nationale a publié, en juin 2016, un ouvrage de réflexion sur les valeurs éthiques et déontologiques destiné aux formateurs et qui comporte un commentaire de chaque article du code de déontologie, exemples concrets à l'appui, pour mieux identifier les comportements fautifs ;

- enfin, le SNRP remet à ses agents une charte de déontologie propre au service.

En revanche, aucune formation obligatoire portant sur la déontologie n'est suivie par les agents de renseignement au cours de leur carrière. Ils peuvent généralement prendre connaissance de l'évolution des règles déontologiques grâce aux notes internes diffusées sur le site intranet de leur service.

3. Le dispositif mis en place dans les services et les sanctions prononcées
a) Dans les services relevant du ministère des armées

La DRSD a engagé un travail d'actualisation de son dispositif interne en matière de déontologie, à la lumière des notes de la commission de déontologie des militaires et des conseils du déontologue du ministère des armées. Cette actualisation s'est traduite par la désignation d'un référent déontologue au sein du service et l'identification des situations nécessitant la saisine de la commission de déontologie.

Les agents peuvent saisir le référent déontologue qui est chargé de leur livrer tout conseil utile sur la question.

Pour tout manquement aux obligations de dignité, neutralité, laïcité, secret professionnel, le contrôle sera exercé conjointement par le référent déontologue du service et l'officier de sécurité. Quelle que soit la situation, la division des ressources humaines et le bureau des affaires juridiques de la DRSD peuvent être sollicités pour de tels contrôles : constitution des dossiers disciplinaires 129 ( * ) ou pour la commission de déontologie, examen des questions posées, etc. Les commissions sont saisies par la voie hiérarchique, aussi bien par l'officier de sécurité que par la division des ressources humaines.

Depuis 2017, 8 cas de manquement aux obligations déontologiques ont été mis à jour au sein de la DRSD : 5 cas de non-respect des règles internes et 3 cas de comportements inadaptés. Ces cas ont fait l'objet d'un compte rendu transmis à la « chaîne sécurité » et ont donné lieu à une enquête interne qui s'est conclue par une révision de l'habilitation et une mutation hors du service.

En revanche, la DGSE et la DRM n'ont pas fourni de statistiques sur ce point, la DRM invoquant l'absence de base de données répertoriant les sanctions prononcées. Il serait pourtant utile que le service se dote d'un tel outil, sans préjudice des règles relatives à l'effacement des sanctions disciplinaires et professionnelles, afin de mettre en lumière les manquements les plus fréquents, de sensibiliser les agents à cet égard et, éventuellement, de faire évoluer son corpus réglementaire.

b) Dans les services relevant du ministère de l'intérieur

Le référent déontologue pour la DGSI est le chef de l'inspection générale. Placé sous l'égide du référent déontologue du ministère de l'intérieur, il est chargé d'élaborer un guide déontologique interne au service. Un réseau de correspondants déontologues a été mis en place en mars 2020 au sein de la direction générale et des directions territoriales 130 ( * ) . Leur rôle sera de faire remonter les dossiers au référent déontologue de la DGSI et de répondre aux obligations prévues par la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

Lorsque des manquements sont constatés à la DGSI, l'inspection générale est chargée de conduire des audits et des inspections. Si ces manquements sont constitutifs d'infractions pénales ou entrent dans le cadre d'une enquête pré-disciplinaire, le bureau central disciplinaire et judiciaire sera saisi. À la DRPP, en cas de manquement déontologique et professionnel sérieux 131 ( * ) , et à la suite d'une enquête administrative, le directeur de service peut demander au préfet de police de saisir l'IGPN ou de renvoyer le dossier devant le conseil de discipline. Cette commission administrative paritaire formule une proposition de sanction transmise au ministre de l'intérieur qui est la seule autorité à disposer du pouvoir disciplinaire. Selon la nature des infractions commises, et indépendamment de la procédure disciplinaire, l'habilitation peut être retirée.

Au SCRT, aucune sanction pour des cas de fraude ou de compromission n'a été infligée à l'encontre d'un agent. Seules des sanctions administratives pour des problèmes comportementaux ont été prononcées (alcoolémie en service, accident de la route avec un véhicule de service, perte d'arme ou de carte professionnelle, etc. ). Le bureau des affaires disciplinaires de la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN) tient à jour l'ensemble des sanctions prononcées pour les personnels de la police nationale ; la DGGN possède un service équivalent en son sein.

Si un agent du service commet un délit pour lequel il a été interpellé et gardé à vue, le service menant l'enquête informera le service d'affectation du personnel. Toutefois, si le délit commis n'a pas entraîné d'interpellation, l'agent n'est pas tenu de faire état de sa qualité, mais il a l'obligation d'en rendre compte. En cas de main courante ou de plainte déposée contre un agent, le service ayant pris la déclaration en avise la hiérarchie de l'agent mis en cause ; une enquête peut alors être diligentée, en plus de l'enquête judiciaire, et pourra conduire à une sanction en cas de manquement avéré.

Pour la SDAO, le référent déontologue et alerte est le chef de l'IGGN. En cas de manquement constaté, le sous-directeur de l'anticipation opérationnelle décide ou propose les suites qu'il entend donner d'un point de vue statutaire et disciplinaire. Lorsqu'un manquement constaté par l'IGGN est manifestement susceptible de constituer un crime ou un délit, il est proposé au DGGN de saisir le procureur de la République en recourant à la procédure de l'article 40 du code de procédure pénale 132 ( * ) .

c) Dans les services relevant des ministères économiques et financiers

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d) Dans le service relevant de la chancellerie

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4. Les délits commis dans un cadre extraprofessionnel ne sont pas systématiquement remontés aux services

Les agents de la DGSE sont tenus de déclarer auprès du service de sécurité toute mise en cause dans une affaire judiciaire, y compris pour des délits mineurs. Le service de sécurité peut également en être tenu informé par les services de police ou de gendarmerie. En cas de manquement aux obligations en matière de protection du secret ou de déontologie, la hiérarchie de proximité et le service de sécurité en sont informés. Les responsables hiérarchiques peuvent ainsi proposer des sanctions et le service de sécurité peut, en tant que de besoin, instruire le dossier à charge et à décharge en vue de suites disciplinaires.

La DRSD n'est pas systématiquement informé des délits commis par ses agents dans un cadre extraprofessionnel. Le cas échéant, les signalements qui lui sont adressés proviennent essentiellement des services partenaires (DGSE, DGSI, etc. ).

La DRM est quant à elle informée des délits commis par ses agents militaires via une fiche de renseignement spécifique portée à la connaissance de l'autorité militaire, dès lors que les agents sont gardés à vue ou qu'ils sont mis en cause dans un procès pénal. S'agissant des agents civils, la juridiction judiciaire ne notifie au service que les condamnations pénales desdits agents. Toutefois, la DRM est souvent informée par la direction centrale de la police judiciaire des mains courantes ou des plaintes visant l'un de ses agents, à condition qu'ils fassent état de leur qualité d'agent de renseignement.

Si un délit constaté fait l'objet d'un rapport de police ou de gendarmerie, d'une procédure judiciaire ou d'un simple déplacement des forces de l'ordre sans pour autant qu'il y ait de poursuites engagées, la DRPP est informée via un télégramme. Cette information n'exonère pas l'agent de son devoir de rendre compte.

Les agents de la DNRED doivent rendre compte à leur hiérarchie des infractions pénales qu'ils ont commises. En application de la circulaire du 11 mars 2015, l'administration peut solliciter des juridictions les décisions pénales qui concernent ses agents ; les parquets sont tenus de répondre avec diligence. En outre, les directives du ministère de la justice aux parquets demandent d'aviser les supérieurs hiérarchiques de l'engagement de poursuites pénales à l'encontre de leurs agents, ou du prononcé de condamnations définitives. Toutes les condamnations pénales sont susceptibles d'entraîner des poursuites disciplinaires.

Pour résumer, les agents des services de renseignement sont en principe tenus de rendre compte des délits, même mineurs, qu'ils commettent en dehors du cadre professionnel. Néanmoins, si ce délit n'entraîne pas de garde-à-vue ou de poursuites judiciaires, les agents n'ont pas à faire état de leur appartenance à un service de renseignement, ce qui empêche la remontée d'informations via les services de police ou de gendarmerie. Dans la mesure où l'anonymat des agents de renseignement doit être préservé, toute procédure de remontée automatique d'informations est impossible à mettre en oeuvre. Elle serait pourtant utile aux services pour détecter d'éventuelles vulnérabilités chez leurs agents ; la vérification (consultation du fichier de main courante informatisée des commissariats de police du lieu d'habitation du candidat) incombe donc aux services enquêteurs dans le cadre des enquêtes administratives qu'ils mènent.

Recommandation n° 41 : Contraindre l'ensemble des agents des services de renseignement à rendre compte à leur officier de sécurité des délits qu'ils ont commis dans un cadre extraprofessionnel, quelle qu'en soit la nature. Lors du renouvellement de leur habilitation, le service enquêteur prendra l'attache des services de police et de gendarmerie afin de recueillir des informations utiles sur les candidats et mettre en lumière toute omission de leur part.

5. La prévention des conflits d'intérêt

En cas de départ du service ou de retrait d'habilitation, l'agent signe le second volet de l'engagement 133 ( * ) , conservé par l'autorité d'habilitation. Ce volet précise que les obligations relatives à la protection des informations classifiées auxquelles l'agent a pu avoir accès perdurent au-delà du terme mis à ses fonctions ou à son habilitation.

L'agent peut également signer un document interne au service par lequel il atteste sur l'honneur avoir rendu l'intégralité des informations et supports professionnels manipulés lors de sa présence dans le service, et s'engage à ne communiquer aucune information métier ou technique dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions à des tiers.

Afin de garantir leur indépendance, les agents qui cessent temporairement ou définitivement leurs fonctions pour exercer une activité lucrative doivent éviter tout conflit d'intérêts. Dans ce cas précis, une commission de déontologie apprécie la compatibilité avec les fonctions précédemment exercées :

- pour le personnel militaire, il s'agit de la commission de déontologie des militaires ;

- pour le personnel civil, c'est la haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) qui est désormais compétente pour connaître de ces questions.

À l'occasion de l'instruction du dossier, ces commissions peuvent procéder à des auditions, y compris celles des agents concernés, afin de se prononcer sur les relations directes ou indirectes des intéressés avec les entreprises concernées. Le cadre juridique applicable en cas de prise illégale d'intérêt (exercice d'activités lucratives dans des entreprises privées) leur est également rappelé.

Certains agents passent devant une commission ministérielle de déontologie : c'est le cas des agents de la DGSI. La commission ministérielle émet des restrictions à l'accès de certaines professions réglementées pour lesquelles les personnels actifs sont réputés bénéficier réglementairement de l'aptitude professionnelle (métiers de la sécurité, directeur ou agent de recherche privée, reconversion d'ingénieur dans le secteur privé, etc. ).

La DRSD a également mis en place certaines restrictions pour ses agents rejoignant le secteur privé. Ainsi, si l'un de ses agents a eu un lien quelconque avec une entreprise privée dans le cadre de ses fonctions (surveillance, contrôle, conclusion de contrats, formulation d'avis, etc. ), il doit alors respecter un préavis de 3 ans avant de pouvoir l'intégrer.

Les agents de Tracfin, titulaires ou contractuels, souhaitant exercer une activité annexe (enseignement, publication d'articles, etc. ) ou quittant le service pour rejoindre le secteur privé, doivent en informer le référent déontologue. En cas de départ du service, Tracfin joint au dossier constitué par l'agent un courrier relatif aux missions qu'il a exercées, ainsi qu'un document relatif à l'appréciation de la demande d'exercice d'une activité privée dans lequel le service doit répondre à plusieurs questions (par « oui », « non », ou « possible ») :

- en application de l'article 432-13 du code pénal, l'agent a-t-il été chargé, au cours des années précédant le début de son activité privée en raison de ses fonctions :

o de la surveillance ou de contrôle de l'entreprise ou de l'organisme dans lequel il souhaite travailler,

o de la conclusion de contrat ou de formulation d'un avis sur de tels contrats,

o de proposer directement à l'autorité compétente des décisions relatives à des opérations réalisées par cette entreprise ou cet organisme ou de formuler un avis sur de telles décisions ;

- en application du quatrième alinéa du III de l'article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983, l'activité envisagée nous semble-t-elle de nature :

o à compromettre ou mettre en cause le fonctionnement normal du service,

o à compromettre ou mettre en cause l'indépendance ou la neutralité du service,

o à méconnaître un principe déontologique mentionné à l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 (en particulier les obligations de dignité, d'impartialité, de probité, le principe de laïcité, etc. ).


* 126 Livre IV, titre 3, chapitre 4 du code de la sécurité intérieure portant code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale ; décret n° 95-654 du 9 mai 1995 modifié, fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale.

* 127 Cf. notamment les articles L. 862-1 et L. 862-3 du code de la sécurité intérieure.

* 128 Par exemple, un engagement de responsabilité sur le modèle de l'annexe n° 8 de l'IGI 1300.

* 129 Mesures disciplinaires prises par le service ou la direction d'armée. En cas d'infraction grave, constitutive d'un délit pénal, la direction des affaires juridiques transmet le dossier aux autorités judiciaires.

* 130 C f. arrêté du 16 novembre 2018 relatif à la fonction de référent déontologue au sein du ministère de l'intérieur.

* 131 Faits commis en service sur les motifs suivants : manquements au devoir d'obéissance et au crédit et au renom de la police nationale, à l'obligation de loyauté, au principe hiérarchique, au discernement. Ces faits donnent lieu à des sanctions des premier, troisième et quatrième groupes (avertissement, exclusion temporaire et révocation avec ou sans sursis). Depuis 2015, 11 cas ont été recensés.

Faits commis en dehors du service sur les motifs suivants : manquements au crédit et au renom de la police nationale, au principe de probité, à l'obligation de rendre compte, à l'obligation de discrétion et au devoir d'exemplarité. Ces faits donnent lieu à des sanctions des premier et quatrième groupes (blâme, exclusion temporaire avec ou sans sursis). Depuis 2015, 6 cas ont été recensés.

* 132 En effet, pour garantir la neutralité et l'impartialité de l'IGGN à laquelle les magistrats du parquet ou de l'instruction sont susceptibles de confier les investigations, le chef de l'IGGN ne signe jamais un article 40.

* 133 Le premier volet est signé par la personne habilitée lorsque la décision d'habilitation lui est notifiée.

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