EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 1 ER JUILLET 2020

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Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - L'ordre du jour de notre réunion appelle à présent la présentation par nos collègues Sylvie Robert et Colette Mélot des conclusions de la mission d'information consacrée à l'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques publiques, que nous leur avions confiée en novembre dernier.

Mes chers collègues, vous avez la parole.

Mme Colette Mélot . - La mission d'information qui nous a été confiée par le bureau de la commission porte sur un sujet très précis : l'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques publiques. Nous avions concentré notre travail d'auditions sur un mois - entre fin janvier et fin février - afin de pouvoir vous rendre compte de nos constats et préconisations le plus rapidement possible. L'examen de notre rapport était ainsi programmé pour le 25 mars dernier, mais les circonstances exceptionnelles que nous avons vécues ont évidemment bouleversé ce calendrier initial. Nous sommes aujourd'hui heureuses de pouvoir enfin vous présenter notre travail.

Je tiens tout d'abord à souligner la grande expertise de notre collègue Sylvie Robert, qui avait déjà travaillé sur ce sujet en 2015 et qui a continué depuis à l'approfondir.

Premier équipement culturel public par leur nombre (16 500 établissements de lecture publique), l'importance et la diversité des publics qu'elles accueillent (environ 12 millions d'usagers), les bibliothèques ont vu leurs missions profondément évoluer à partir des années 1970, et plus encore depuis une dizaine d'années. Elles ne se limitent plus à leur rôle traditionnel de lieu de lecture et de prêt de livres : elles sont désormais des espaces d'animation culturelle au sens large.

De plus en plus de bibliothèques proposent ainsi des services dans des domaines divers (éducation artistique et culturelle, débat d'idées, formation et orientation professionnelles, médiation, lutte contre la fracture numérique...) et développent des partenariats avec d'autres acteurs issus des sphères culturelle, sociale ou éducative.

Nous avons tous, dans nos départements, des exemples illustrant cette transformation des bibliothèques en espaces de démocratie sociale et culturelle ou, pour reprendre l'expression de Noël Corbin, inspecteur général des affaires culturelles que notre commission avait auditionné avec Erik Orsenna, en « ponts avancés de la politique culturelle dans les territoires ».

Face à ces mutations profondes, les horaires traditionnels d'ouverture des bibliothèques, correspondant aux horaires de travail de la population, sont rapidement apparus comme inadaptés et dépassés.

Pour jouer pleinement leur rôle de service public culturel, les bibliothèques doivent en effet s'adapter aux demandes nouvelles des citoyens, prendre en compte les changements de leurs pratiques et intégrer les évolutions de leurs modes de vie. Tel est le constat dressé, en 2015, par Sylvie Robert dans le rapport sur l'adaptation des horaires d'ouverture des bibliothèques, qui lui avait été confié par l'ancienne ministre de la culture Fleur Pellerin.

L'une des recommandations de ce rapport était d'augmenter l'enveloppe de la « DGD - bibliothèques » pour permettre le financement de projets d'extension des horaires d'ouverture.

De quoi s'agit-il ? La « DGD - bibliothèques » (ou « concours particulier - bibliothèques ») a été créée au sein de la dotation générale de décentralisation (DGD) au moment des transferts de compétences consécutifs aux premières lois de décentralisation. Ce support budgétaire constitue le principal vecteur du soutien financier de l'État au développement des bibliothèques publiques territoriales (municipales, intercommunales, départementales). Il sert au financement d'opérations d'investissement (construction, rénovation, équipement, informatisation...) et aux dépenses de fonctionnement non pérennes, nécessaires à l'amorçage de projets.

À la suite de la publication du rapport de notre collègue, la loi de finances pour 2016 a étendu le bénéfice de cette enveloppe budgétaire aux projets d'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques. Cette mesure, dont les modalités ont été précisées par voie réglementaire, permet ainsi de financer depuis 2016, au titre de la « DGD - bibliothèques », des projets d'extension des horaires d'ouverture pour une durée maximale de cinq années consécutives.

Les demandes de soutien financier doivent être adressées par les collectivités territoriales souhaitant s'engager dans un tel projet aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC), qui assurent l'instruction et le suivi des dossiers.

Les deux premières années de mise en oeuvre de ce dispositif (2016 et 2017) ont vu l'émergence de 58 projets soutenus par l'État à hauteur de 2,5 millions d'euros. Plusieurs facteurs ont pu expliquer ce premier résultat prometteur, mais relativement modeste : le temps de maturation nécessaire à l'émergence des projets, la relative méconnaissance par les décideurs locaux de cette possibilité d'accompagnement financier, un contexte budgétaire contraint pour les collectivités territoriales. La pertinence du dispositif n'a toutefois pas été remise en cause sur le fond.

La publication, début 2018, du rapport-manifeste « Voyage au pays des bibliothèques » d'Erik Orsenna et de Noël Corbin a eu un formidable effet accélérateur sur la mobilisation des pouvoirs publics, tant au niveau national qu'au niveau territorial, en faveur d'une plus grande ouverture des bibliothèques.

S'en est suivi, la même année, le lancement, par le ministère de la culture, d'un plan « Bibliothèques » structuré autour de deux grands axes :

Le premier axe, « Ouvrir plus », est destiné à favoriser un accès plus large aux bibliothèques, notamment en encourageant l'adoption d'horaires d'ouverture adaptés aux besoins des publics. Le principal levier d'action de ce volet est la « DGD - bibliothèques ». Afin de parvenir à l'objectif de 400 projets d'extension des horaires d'ouverture soutenus d'ici fin 2020, 8 millions d'euros lui ont été ajoutés en 2018, portant son montant global à 88,4 millions d'euros.

Le ministère s'est engagé à ce que cet abondement supplémentaire soit reconduit sur cinq exercices, c'est-à-dire jusqu'en 2022. Ainsi, en 2019 et 2020, les crédits de la « DGD- bibliothèques » ont été stabilisés à 88,4 millions d'euros.

Le second axe, « Ouvrir mieux », est consacré à la diversification de l'offre des bibliothèques autour de trois priorités : la modernisation des espaces, l'affirmation des bibliothèques comme service public de proximité, et le renforcement de leur rôle en matière d'éducation et d'inclusion sociale. Pour la mise en oeuvre de ce volet, l'État a déployé 3 millions d'euros en 2018, puis 4 millions d'euros en 2020, soit 7 millions d'euros.

Au total, l'effort budgétaire de l'État en direction de ces deux axes s'élève à 37 millions d'euros entre 2018 et 2020.

Le retentissement de la mission « Orsenna - Corbin » et l'abondement supplémentaire de 8 millions d'euros de la « DGD - bibliothèques » ont indéniablement provoqué un changement d'échelle dans l'utilisation du dispositif de soutien aux projets d'extension des horaires d'ouverture.

Ce constat est particulièrement perceptible dans le degré de mobilisation des DRAC, plus particulièrement des conseillers pour le livre et la lecture, qui en sont les chevilles ouvrières. Le ministère les a encouragés à porter un discours très incitatif auprès des collectivités : les conseillers pour le livre et la lecture sont chargées de les sensibiliser, de les informer sur le dispositif de soutien et, une fois le projet d'extension des horaires d'ouverture lancé, de les accompagner tout au long de sa mise en oeuvre.

À cette stratégie mobilisatrice s'ajoute une large prise en charge, sur les crédits de la « DGD - bibliothèques », des dépenses engagées au titre de l'extension des horaires (diagnostic temporel, frais supplémentaires de personnel, adaptation des locaux, des équipements ou des services informatiques, évaluation du projet, frais de communication, etc.), pour un taux-cible moyen de soutien de l'État de 70 %.

Du côté des collectivités territoriales, leur appétence pour le dispositif correspond le plus souvent à une volonté de faire évoluer leur politique de lecture publique afin de mieux répondre aux besoins de la population. Le choix d'étendre les horaires d'ouverture est généralement l'aboutissement d'une réflexion sur les missions et les priorités des bibliothèques, à l'occasion de la rédaction d'un projet d'établissement, d'une mise en réseau de plusieurs structures ou de la construction d'un nouvel équipement.

Au final, la conjonction de ces deux dynamiques s'est globalement traduite par un véritable travail de confiance entre, d'un côté, les services déconcentrés de l'État, de l'autre, les collectivités territoriales.

Mme Sylvie Robert . - Ces éléments de contexte posés, venons-en au coeur de notre sujet : quatre ans après l'extension du bénéfice de la « DGD - bibliothèques » aux projets d'adaptation des horaires d'ouverture et deux ans après le lancement du plan « Bibliothèques », les bibliothèques ouvrent-elles plus longtemps ?

Notre réponse est clairement oui comme nous allons maintenant tenter de vous le démontrer.

Le nombre de projets soutenus a connu une forte progression à partir de 2018, passant cette année-là de 58 à 224. À ce jour, le dispositif d'accompagnement financier de l'État permet de soutenir 343 projets d'extension des horaires d'ouverture, ce qui représente 623 communes ou EPCI, 747 bibliothèques, et concerne 9,1 millions de Français.

Pour cette année, 60 nouveaux projets sont d'ores et déjà identifiés, laissant escompter l'atteinte, dans quelques mois, de l'objectif de 400 projets soutenus.

Cette réussite quantitative s'illustre aussi par un taux moyen d'accompagnement de l'État de 70 %, résultat conforme à la cible fixée par le ministère. Le montant moyen de l'aide en provenance de la « DGD - bibliothèques » s'élève à près de 43 000 euros annuels par projet. Cette moyenne masque toutefois des écarts importants, les coûts des projets étant très variables selon la taille de la collectivité concernée.

Un autre indicateur témoignant de l'attractivité et de la pertinence du dispositif est l'augmentation, depuis 2016 et surtout depuis 2018, de la part de la « DGD - bibliothèques » consacrée aux projets d'extension des horaires d'ouverture. Elle a ainsi atteint 10,24 millions d'euros en 2019, sur un montant global de crédits de 88,4 millions d'euros.

Ces crédits étant fongibles, si certains territoires ne consomment pas la totalité de l'enveloppe à laquelle leurs communes et intercommunalités peuvent prétendre au titre des projets d'extension des horaires, les crédits non consommés sont reversés aux territoires ayant des besoins de financement supérieurs à l'enveloppe qui leur a été attribuée initialement.

De tels mouvements de crédits, qui sont opérés à l'automne par la direction générale aux collectivités locales (DGCL), ont notamment eu lieu entre certaines collectivités d'outre-mer, qui n'avaient pas consommés l'ensemble de leurs crédits faute de projets présentés en nombre suffisant (la Guyane, la Martinique et Saint-Barthélemy), et des collectivités connaissant une forte dynamique des projets d'extension des horaires d'ouverture (la Bretagne, par exemple).

Au-delà de ces aspects chiffrés, l'ensemble des données que nous avons recueillies auprès des services centraux et déconcentrés du ministère de la culture, ainsi que des représentants des collectivités territoriales, nous permettent aussi de dresser un état des lieux très positif des politiques d'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques en termes d'inclusion culturelle et sociale.

Quelles sont ces avancées qualitatives ?

Les horaires étendus, en correspondant mieux aux rythmes de vie, améliorent tout d'abord le service offert aux usagers.

Sur l'ensemble des projets en cours, l'augmentation de l'amplitude horaire hebdomadaire s'élève, en moyenne, à 8 heures 30. Contrairement à une idée souvent répandue, l'ouverture le dimanche n'est pas le créneau supplémentaire le plus fréquent. Ce sont les extensions d'horaires les jours de semaine et le samedi qui, après élaboration de diagnostics de temporalité, sont privilégiées par les collectivités.

L'extension des horaires s'inscrit aussi dans un nouveau rapport à l'usager, qui se traduit par une meilleure adaptabilité de l'offre de services, une attention accrue portée à l'accueil, une médiation renforcée. Il consacre le passage d'une logique descendante - le personnel de bibliothèque prêtant un livre à l'usager - à une logique ascendante - l'usager, acteur de son identité culturelle, demandant un service ou une offre culturelle -, dans une approche de droits culturels.

Les horaires élargis, en étant plus conformes aux plages de disponibilité des citoyens, permettent ensuite une augmentation de la fréquentation et une diversification des publics, renforçant ainsi le rôle éducatif et social des bibliothèques. Nombre d'exemples en ce sens nous ont été rapportés et sont mentionnés dans notre rapport écrit.

À cela s'ajoute le fait que plus d'un tiers des projets actuellement en cours concernent au moins l'un des types de territoires identifiés comme prioritaires (commune du programme Coeur de ville, projet portant sur une zone de revitalisation rurale ou concernant un quartier prioritaire).

L'ensemble de ces données montre, selon nous, combien les politiques d'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques sont un puissant levier de réduction des fractures sociales et territoriales.

Les modifications de l'amplitude horaire incitent aussi, au sein des bibliothèques, à une réorganisation des missions. Il est ainsi fréquent que certaines tâches techniques, de faible valeur ajoutée et souvent répétitives pour le personnel, soient traitées autrement (automatisation des transactions de prêts et de retours, externalisation du traitement matériel des documents, offre de services dématérialisée, etc.), pour dégager du temps et axer le travail des agents en priorité sur l'accueil et le service au public.

Enfin, l'extension des horaires d'ouverture a un effet positif sur l'emploi de personnels, majoritairement titulaires. Le dispositif de soutien de l'État sert à 95 % au financement de dépenses de masse salariale. Au sein de ces dépenses, 60 % sont consacrés au recrutement d'agents titulaires, 36 % au recrutement d'agents contractuels et 16 % au paiement de primes ou d'heures supplémentaires.

Mme Colette Mélot . - Ce bilan que nous jugeons très satisfaisant sur le plan culturel, social et territorial connaît aussi des bémols, qui sont pour nous des sujets d'inquiétude.

Le dispositif d'accompagnement de l'État a été conçu comme une aide financière à l'amorçage des projets, limitée à cinq années. Cela signifie que dès 2021, les premiers projets engagés en 2016 ne bénéficieront plus du soutien de la « DGD - Bibliothèques ». Les projets suivants seront concernés en 2022, 2023, 2024 et ainsi de suite. C'est donc aujourd'hui la question de la poursuite du financement des projets en cours qui préoccupe le plus les acteurs concernés pour qui, tout retour en arrière est inenvisageable.

Les collectivités territoriales devront-elles prendre le relais de l'État ? D'autres sources de financement sont-elles à activer ? Nous constatons et regrettons qu'à ce jour, aucune réflexion n'ait été lancée, ni aucune période de transition préparée.

Une précision toutefois : le dispositif étant inscrit dans la loi, cela signifie que - sauf modification législative - les nouveaux projets d'extension horaire pourront continuer à bénéficier de la « DGD - bibliothèques » en tant qu'aide financière à l'amorçage, à condition bien sûr que les crédits suivent.

Une autre de nos inquiétudes porte sur le risque de tension financière au sein de l'enveloppe de cette DGD avec la reprise attendue du cycle politique local, à la suite des élections municipales. Il est probable que des projets d'envergure, du type construction de nouvelles structures, émergent et viennent diminuer d'autant les crédits disponibles pour les projets d'extension des horaires d'ouverture.

Par ailleurs, si nous nous réjouissons que les petites collectivités soient les principales bénéficiaires du dispositif, nous regrettons que les communes de grande taille soient beaucoup moins mobilisées. Ce moindre engagement s'explique clairement par les règles limitantes du pacte financier dit « de Cahors ». Nous relevons, à ce propos, une forme d'injonction paradoxale dans le souhait de l'État d'accompagner les collectivités à ouvrir mieux et plus leurs bibliothèques, avec les charges de fonctionnement qu'une telle politique implique, tout en voulant encadrer strictement l'augmentation de ce type de dépenses.

Nous pointons également des disparités territoriales dans le degré d'engagement dans le dispositif : certaines régions comptabilisent de nombreux projets d'extension des horaires (par exemple, Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Bretagne, Ile-de-France), alors que d'autres en comptent beaucoup moins (par exemple, Centre-Val de Loire, Grand Est, Corse, La Réunion). Cette situation tient sans doute à une mobilisation plus ou moindre grande des conseillers pour le livre et la lecture, mais aussi à un niveau d'ingénierie différent d'une région à l'autre. La mise en place de projets d'extension des horaires requiert en effet, en plus d'une aide financière à l'amorçage, un accompagnement sur le plan organisationnel (outils d'identification des besoins, de consultation des personnels, possibilité d'expérimentation, modalités de mise en oeuvre...).

Enfin, la dernière de nos préoccupations - et non des moindres - concerne la gestion des ressources humaines au sein des bibliothèques. Vous le savez tous, l'extension des horaires d'ouverture est un sujet très délicat sur le plan social car il faut parvenir à convaincre les personnels de travailler plus tard les soirs de semaine ou le week-end. Un tel projet nécessite un dialogue social approfondi qui va au-delà de la seule question des horaires de travail ; c'est le métier de bibliothécaire, dans tous ses aspects, qui doit, à cette occasion, être questionné et repensé.

Les bibliothécaires font en effet preuve d'un attachement très fort à leur coeur de métier, qui est le livre. Or la bibliothèque n'est plus exclusivement le lieu où l'on vient emprunter un livre ; tel est le cas de 55 % des personnes qui s'y rendent. Les personnels doivent désormais accueillir des publics divers et les accompagner dans l'usage de nouveaux services. Les anciennes compétences techniques laissent ainsi de plus en plus la place aux nouvelles compétences relationnelles.

La question des horaires de travail est donc indissociable d'une action en faveur de la formation des professionnels et de l'évolution de leurs pratiques. Certaines DRAC l'ont bien compris et proposent aux collectivités des offres de formation pour les personnels concernés.

Mme Sylvie Robert . - Au regard de cet état des lieux, que nous avons souhaité le plus exhaustif possible, et convaincues des bénéfices culturels, sociaux et démocratiques de l'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques, nous formulons plusieurs recommandations afin de préserver voire amplifier la dynamique en cours.

Certaines concernent directement le dispositif de soutien financier de l'État, d'autres se rattachent plus globalement à la politique de lecture publique :

Premièrement, assurer la pérennité financière des projets en cours au-delà des cinq années de soutien de l'État en préparant, dès à présent, la période de transition vers d'autres relais de financement.

Nous n'estimons pas responsable, ni équilibré du point de vue des relations entre l'État et les collectivités, de remettre en cause la nature même du dispositif, à savoir une aide financière de l'État à l'amorçage de projets et non une subvention pérenne - scénario qui nécessiterait d'ailleurs une modification de la loi.

En revanche, nous demandons à ce que le ministère de la culture entame, le plus rapidement possible, - maintenant que les nouvelles équipes municipales et d'EPCI vont être mises en place - une concertation avec les collectivités sur les leviers de financement qui pourraient être activés dès l'échéance des cinq années atteinte. Certains de nos interlocuteurs ont évoqué des pistes, sans qu'aucune n'ait vraiment fait l'objet d'une analyse approfondie : co-financement entre l'État et une ou plusieurs collectivités dans le cadre des contrats territoire-lecture, mutualisation des coûts en jouant sur la co-implantation géographique de services publics territoriaux... Il s'agit sans aucun doute d'un sujet dont la nouvelle étape de décentralisation annoncée devra s'emparer. Et nous pensons bien sûr au futur projet de loi « décentralisation, différenciation et déconcentration », dit « 3D », qui devrait aborder la question des bibliothèques.

Deuxièmement, garantir aux nouveaux projets le bénéfice de l'aide financière d'amorçage en veillant, lors de l'examen des prochains projets de loi de finances, à l'abondement suffisant de la « DGD - bibliothèques » : d'abord jusqu'en 2022, comme le Gouvernement s'y est engagé, puis au-delà de cette date, en fonction du nombre de nouveaux projets escompté. À ce jour, ce nombre est difficile à évaluer. Le ministère estime toutefois qu'il sera amené à baisser progressivement à partir de 2020, les collectivités susceptibles de s'engager dans une démarche d'extension des horaires d'ouverture ayant déjà été largement mobilisées en 2018 et 2019.

Troisièmement, améliorer l'accompagnement en ingénierie des collectivités les moins bien dotées, en particulier en outre-mer, afin de réduire les disparités territoriales. Il appartient aux DRAC, sous l'impulsion du ministère, de mieux prendre en compte cette dimension logistique qui fait parfois défaut dans certains de nos territoires.

Quatrièmement, mettre l'accent sur la formation initiale et continue des professionnels en vue des prochaines « Assises de la formation en bibliothèque territoriale » qui devraient avoir lieu en novembre. Le ministère de la culture semble avoir pris conscience de l'enjeu de ce dossier qui couvre à la fois la question de l'évolution des compétences et celle des conséquences statutaires.

Cinquièmement, encourager la coopération, dans une logique de travail en réseau, entre les bibliothèques territoriales et les bibliothèques universitaires en incitant le ministère de la culture et le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche à mener une réflexion commune sur ce sujet.

Enfin, notre dernière et sixième recommandation - et elle n'est pas anodine, car en lien avec le futur projet de loi « 3D » que je viens d'évoquer : sécuriser juridiquement la compétence lecture publique des départements en affirmant dans la loi le caractère obligatoire du rôle du département sur les bibliothèques départementales de prêt. Il nous semble en effet important que les départements continuent à être engagés dans le champ de la lecture publique, aux côtés des communes et des intercommunalités.

Vous le savez, la lecture publique, et on l'a bien perçu au travers de nos travaux, est un enjeu de politique culturelle très important pour les communes et intercommunalités. La bibliothèque reste le premier équipement culturel de proximité, sur lequel les maires portent une vraie attention. Il était donc important de nous avoir permis de faire cette évaluation - ce dont nous vous remercions. Le soutien pour certains projets s'achève bientôt et nous devons veiller à ce que le ministère soit sensibilisé au fait de les reconduire.

Tels sont, madame la Présidente, chers collègues, nos principaux constats et recommandations. Nous vous remercions pour votre attention et sommes à l'écoute de vos questions.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie pour ce précieux travail sur lequel je propose que nous échangions.

M. Christian Manable . - Je félicite nos deux rapporteures pour ce rapport qui démontre combien la lecture publique est essentielle. Le bilan à deux ans est en effet satisfaisant : 747 bibliothèques sur 16 500 ont donc adapté leurs horaires, représentant 623 communes.

Néanmoins, il me semble que certains chiffres ne sont pas comparables. Vous indiquez que le nombre d'usagers des bibliothèques a été estimé à 12 millions en 2019, puis vous mentionnez 9,1 millions d'habitants. Pourriez-vous apporter des précisions ?

M. Laurent Lafon . - Je remercie à mon tour nos rapporteures pour ce rapport de qualité qui apporte un vrai éclairage sur le sujet. Je souhaiterais revenir sur l'un de vos constats négatifs relatif à la taille des villes, et qui constitue à mon sens un sujet en soi : les grandes villes ont moins adhéré au dispositif d'extension des horaires que les autres.

L'une des explications ne tiendrait-elle pas au taux de prise en charge qui est moindre pour les grandes villes alors que leur masse salariale et leur nombre de sites est conséquent ? Avez-vous étudié cet aspect financier et cette distinction selon la taille des villes ?

Mme Françoise Laborde . - Je vous remercie pour cet excellent rapport. Ma remarque porte elle aussi sur les grandes villes et leurs indispensables bibliothèques de quartier, qui multiplient certes le nombre d'ouvertures, mais qui devraient être considérées comme des bibliothèques de village et être soutenues sur la même base.

Les nouveaux projets pourront-ils bénéficier d'aides pérennes ou devront-ils trouver eux-mêmes des financements au terme des cinq années de soutien de l'État ? Le cas échéant, la loi « 3D » apparaît très importante et permettra de soulager les collectivités.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Votre rapport très exhaustif évoque non seulement la question de l'extension des horaires des bibliothèques, mais aussi la politique en faveur de la lecture publique au sens large. L'élargissement des horaires d'ouverture est une bonne chose, mais encore faut-il qu'il y ait des bibliothèques ou des médiathèques, en particulier en milieu rural ! Parfois il n'y a que de très petits équipements qui dépendent des communes ou de regroupements de communes ; or aujourd'hui, si l'on veut pouvoir disposer de services et de personnels, c'est à l'échelle d'une intercommunalité que ces équipements peuvent se construire et se développer.

Avez-vous pu faire un état des lieux de l'aménagement du territoire au regard des bibliothèques ou médiathèques en milieu rural ?

Je souscris complètement à la proposition de profiter des récentes élections municipales et des nouveaux projets de territoire pour inviter le ministère de la culture à mettre en place une politique volontariste en vue d'accompagner les collectivités dans leurs démarches, et étudier si des financements croisés peuvent être mobilisés, au travers par exemple des contrats de territoires des départements et régions. Pour reprendre la notion de droits culturels évoquée par Sylvie Robert, il y a selon moi deux pôles ressources fondamentaux : les bibliothèques/médiathèques et les écoles de musique, lesquelles ne peuvent exister qu'à l'échelle intercommunale.

Au travers de cet état des lieux, la progression du taux d'équipement pourrait être évaluée, ainsi que le type d'obstacles rencontrés, car ils ne sont pas toujours financiers.

Mme Colette Mélot . - Le chiffre de 12 millions correspond au nombre d'usagers total fréquentant des bibliothèques en France, alors que les 9,1 millions représentent le nombre de Français vivant dans une commune dont au moins une bibliothèque a étendu ses horaires.

Mme Sylvie Robert . - Nous avons souhaité distinguer les usagers dans leur ensemble de ceux qui fréquentent les bibliothèques ayant étendu leurs horaires, ce qui a permis de montrer une évolution en termes de fréquentation mais aussi en termes de diversification des publics.

Mme Colette Mélot . - Il semble que les grandes villes aient moins proposé de projets car leurs équipements s'avèrent plus lourds à gérer et plus coûteux en termes de masse salariale.

Les petites communes ayant elles aussi leurs propres difficultés, comme l'a souligné la présidente, ce sont finalement les villes moyennes qui ont le plus adhéré au dispositif.

Mme Sylvie Robert . - Nous avons observé deux phénomènes. Tout d'abord, le pacte dit « de Cahors », limitant à 1,2 % la hausse des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales, a dissuadé certaines grandes villes à s'engager dans le dispositif, compte tenu de l'augmentation des coûts de la masse salariale qu'induit l'extension des horaires d'ouverture, auquel s'ajoute un travail de négociation parfois complexe. Il y a selon nous une forme d'injonction paradoxale dans le souhait du ministère d'accompagner les collectivités à ouvrir plus et mieux leurs bibliothèques, tout en voulant limiter l'augmentation de leurs dépenses de fonctionnement.

Par ailleurs, le montant de l'aide attribuée ne peut raisonnablement pas être proportionnel à la taille des villes, au risque de consacrer l'ensemble des crédits de la DGD « bibliothèques » au financement de l'extension des horaires d'ouverture.

Nous avons ensuite insisté sur le fait que nous étions, au moment du démarrage du dispositif, en fin de cycle municipal, période par définition peu propice aux nouveaux projets. Désormais, les nouvelles équipes vont sans doute vouloir en monter et solliciter une aide. Il faudra veiller à ce que les crédits suivent dans le cadre de la DGD.

Mme Colette Mélot . - S'agissant de la pérennité évoquée par Mme Laborde, les projets ne peuvent recevoir un soutien financier que dans la limite maximale de cinq ans. Quid de leur reconduction au terme de ce soutien ? Telle est notre principale inquiétude. En revanche, le dispositif étant, lui, pérenne - il est ainsi inscrit dans la loi -, les nouveaux projets vont pouvoir bénéficier d'une aide à l'amorçage, ce qui est très satisfaisant.

Mme Sylvie Robert . - La fongibilité de l'enveloppe de la DGD « bibliothèques » a permis de consacrer plus de 10 millions d'euros à l'extension des horaires. Mais il est à craindre que le soutien aux projets en cours ne soit pas reconduit au-delà de ces cinq premières années et que la part de la DGD consacrée aux projets d'extension horaire se révèle insuffisante, parce qu'absorbée par les projets de création, d'extension et de rénovation des bibliothèques décidés par les nouvelles équipes municipales.

Mme Colette Mélot . - Enfin, pour répondre à notre présidente, une analyse fine de l'aménagement des territoires serait en effet intéressante - nous n'avons pu la mener faute de temps. Elle permettrait de définir quels financements croisés pourraient être mobilisés. Le futur projet de loi « 3D » sera l'occasion d'approfondir ce sujet.

Mme Sylvie Robert . - Les disparités territoriales évoquées dans notre rapport sont dues à plusieurs facteurs : la volonté politique, bien sûr, mais aussi la capacité des services déconcentrés et notamment des conseillers pour le livre et la lecture à bien accompagner les collectivités, et particulièrement les petites communes, en termes d'ingénierie.

À titre d'exemple, ma région, la Bretagne, a désormais la compétence de la gestion des filières des industries culturelles, précédemment dévolue au conseiller pour le livre et la lecture. Ce transfert a permis à ce dernier de dégager du temps pour aller sur le terrain et rencontrer les élus locaux. S'en est suivi une augmentation considérable du nombre de projets déposés. La région a ainsi pu bénéficier d'une dotation supplémentaire.

Sans un conseiller actif, les projets n'existent pas ou peu, le ministère le constate dans ses statistiques. Il faut aussi rendre hommage aux départements qui mènent des plans audacieux en matière de lecture publique.

Concernant les outre-mer, leurs capacités d'ingénierie sont parfois un frein à la mise en oeuvre du dispositif. C'est pourquoi il nous faut veiller à ce que les territoires ultramarins puissent être mieux accompagnés en fonction de leurs besoins.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Le projet de loi « 3D » sera en effet l'occasion de poser le sujet de la répartition des compétences et de pointer certaines carences de l'État. Nos intercommunalités sont finalement assez récentes et ont d'abord eu à s'emparer des compétences dites obligatoires. Elles vont sans doute maintenant pouvoir davantage se consacrer à la compétence lecture publique, en lien avec les départements et les régions.

Comment affiner cela dans le cadre de la loi « 3D »? Il s'agit d'un véritable enjeu. Internet ne peut remplacer les lieux de partage, de culture et d'apprentissage !

Je remercie à nouveau nos deux rapporteures dont le travail sur les bibliothèques méritera d'être poursuivi.

La commission autorise la publication du rapport d'information .

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