N° 707

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 septembre 2020

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane (1) sur « Mettre fin au trafic de cocaïne en Guyane : l' urgence d'une réponse plus ambitieuse »,

Par M. Antoine KARAM,

Sénateur

(1) Cette mission est composée de : M. Olivier Cigolotti , président ; M. Antoine Karam , rapporteur ; M. Mathieu Darnaud, Mme Chantal Deseyne, MM. Michel Dagbert, Guillaume Arnell, Fabien Gay, Joël Guerriau , vice-présidents ; Mmes Maryse Carrère, Catherine Conconne, MM. Philippe Dallier, Jean-Luc Fichet, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Victoire Jasmin, Muriel Jourda, MM. Jacques Le Nay, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Vivette Lopez, MM. Pascal Martin, Georges Patient, Mme Claudine Thomas et M. Jean-Pierre Vial.

INTRODUCTION

Ces dernières années, le trafic de cocaïne en provenance de la Guyane a connu un essor considérable , au point de représenter aujourd'hui 15 à 20 % des entrées de cocaïne dans l'Hexagone. En volume, ce serait de l'ordre de 4 tonnes de cocaïne transitant chaque année entre Cayenne et Paris sur des vols commerciaux.

Ce trafic repose en effet sur le recours à des passeurs occasionnels, communément appelés « mules » , qui transportent la drogue in corpore ou dissimulée dans leurs bagages, pour le compte de trafiquants.

On estime qu'en temps normal, 20 et 30 passeurs souhaiteraient prendre chaque vol et que 8 à 10 y parviendraient effectivement .

Ce phénomène en expansion est préoccupant à plusieurs titres . Outre l'enjeu qu'il représente en termes de santé publique (notre pays compte 600 000 consommateurs réguliers de cocaïne), il constitue une préoccupation forte en termes d'ordre public . En effet, ce trafic en provenance de Guyane irrigue désormais tout le territoire national , avec une prédilection pour les villes de province, alimentant la délinquance et l'économie parallèle.

En Guyane, la banalisation de ce trafic et sa rentabilité élevée (acheté 3 500 euros sur les bords du fleuve Maroni, le kilo de cocaïne peut être revendu dix fois plus cher dans l'Hexagone) font craindre une dérive mafieuse . Pour preuve, les actes de violence liés au trafic (enlèvements, séquestration...) se développent.

Surtout, il s'agit d'un véritable fléau pour les jeunes de Guyane , qui, faute de travail ou de perspectives, sont susceptibles de tomber dans ce piège. Les passeurs, en effet, sont principalement des jeunes privés d'emploi et issus de l'Ouest du département, région où se concentrent de multiples difficultés socio-économiques .

Constituée le 13 mai 2020 à l'initiative du groupe La République en Marche, dans le cadre du droit de tirage annuel de chaque groupe prévu par l'article 6 bis du Règlement du Sénat, la mission d'information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane s'est donné pour objectif d'évaluer la politique et les moyens mis en oeuvre par l'Etat pour lutter contre ce phénomène et de proposer des pistes d'amélioration pour en renforcer l'efficacité.

Malgré les difficultés posées par le contexte sanitaire lié au Covid-19 , qui n'ont pas permis de déplacement en Guyane, la mission a mené des travaux approfondis pendant quatre mois et auditionné un grand nombre d'acteurs impliqués ou concernés par la politique de lutte contre le trafic de cocaïne dans ce territoire : forces de sécurité intérieure, douanes, autorités judiciaires, élus locaux, acteurs associatifs, ambassadeurs, experts... Elle s'est également rendue à l'aéroport d'Orly pour appréhender concrètement le dispositif de contrôle mis en place à l'arrivée des vols en provenance de Guyane.

Au terme de ce large tour d'horizon, la mission entend alerter sur l'ampleur du phénomène. En Guyane, le trafic de cocaïne se développe comme une activité économique à part entière, en l'absence de développement économique et d'alternatives. Il met en jeu des vies humaines et menace les équilibres économiques et sociaux , d'ores et déjà fragilisés par le chômage et la forte croissance démographique. Une réponse forte est nécessaire, de toute urgence.

Certes, il serait faux de dire que rien n'a été fait jusqu'à présent. Le plan d'action interministériel de lutte contre le phénomène des « mules » en provenance de Guyane, signé le 27 mars 2019, prend acte du problème et prévoit un renforcement des moyens de contrôle et une amélioration de leur coordination, en même temps que de nouvelles dispositions sont introduites dans la loi, notamment en termes de procédure pénale.

Pour autant, la réponse, essentiellement répressive, reste sous-dimensionnée par rapport aux enjeux . Malgré l'augmentation des contrôles, le trafic se poursuit, les trafiquants usant d'une stratégie de saturation consistant à envoyer des passeurs en nombre pour déborder les forces de sécurité et maximiser les chances de réussite. Par ailleurs , le volet social de la politique de lutte a été négligé , qu'il s'agisse de la prévention ou de la réinsertion, ce qui consiste une grande faille dans le dispositif.

Pour la mission d'information, l'Etat doit apporter une réponse beaucoup plus ambitieuse et plus complète que celle qu'il a mise en oeuvre jusqu'à présent . Ce n'est que par un ensemble d'actions coordonnées dans tous les domaines (répressif, social...) et à tous les niveaux (local, national, international) que le dramatique phénomène des « mules » et le trafic de cocaïne en Guyane pourront être enrayés . Par ailleurs, la Guyane a besoin d'un élan, d' une impulsion forte pour soutenir le développement de son territoire et donner des perspectives d'avenir à sa jeunesse . Il s'agit d'un enjeu de première importance, un enjeu de société aussi bien pour la Guyane que pour l'ensemble du territoire national.

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