N° 584

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 mai 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur l' objectif de zéro artificialisation nette à l' épreuve des territoires ,

Par M. Jean-Baptiste BLANC, Mme Anne-Catherine LOISIER
et M. Christian REDON-SARRAZY,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Martine Berthet, M. Jean-Baptiste Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Marie Evrard, Françoise Férat, Catherine Fournier, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, MM. Sebastien Pla, Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .

L'ESSENTIEL

Le groupe de travail sur l'objectif de « zéro artificialisation nette » à l'épreuve des territoires a présenté ce mercredi 12 mai à la commission des affaires économiques son rapport intitulé « La lutte contre l'artificialisation à l'épreuve des territoires : territorialiser, articuler, accompagner » .

Le diagnostic et l'approche portés par ce rapport s'appuient sur la trentaine d'auditions menées tant auprès d'acteurs de l'aménagement que d'élus, d'agriculteurs, d'urbanistes, d'entreprises industrielles ou commerciales ou encore de personnalités qualifiées en matière de biodiversité. En prévision de l'examen du projet de loi « Climat et résilience », il propose trois principes autour desquels construire une politique plus ambitieuse de lutte contre l'artificialisation : territorialiser, articuler, accompagner.

I. PENSER UN PROJET DE TERRITOIRE PLUS SOBRE EN FONCIER : UNE AMBITION LÉGITIME, DÉJÀ PORTÉE PAR LES POLITIQUES LOCALES

A. Des objectifs partagés : assurer un usage équilibré des espaces et limiter l'artificialisation des sols

1. L'urbanisation de la France a accru l'artificialisation du territoire

Les conséquences de l'extension urbaine ont fait l'objet d'une prise de conscience nationale et européenne au cours des dernières années. Les aires urbaines recouvrent désormais 22 % du pays, contre 7 % en 1936, la surface urbaine par habitant ayant doublé sur la même période. Cet étalement croissant s'est traduit par l'artificialisation de sols auparavant de nature agricole, forestière ou naturelle.

L'artificialisation décrit le changement d'état d'un sol naturel, en raison de son mode d'usage ou d'occupation. Elle peut intervenir via la construction de bâti, le revêtement, ou la stabilisation des sols. Selon les mesures , entre 5 et 9,5 % du territoire français serait aujourd'hui artificialisé. Près de 28 % de cette surface relèverait d'infrastructures, 14 % de l'activité économique, et 42 % de l'habitat.

Sur la dernière décennie, le rythme d'artificialisation se situait autour de 28 400 hectares par an , destinés très majoritairement à la construction de logements (y compris jardins).

2. Des effets adverses bien identifiés, qui justifient un effort de sobriété foncière

Bien que cette dynamique reflète les évolutions de la société et de l'économie françaises - périurbanisation, relative déprise agricole, desserrement des ménages ou encore mutation des bassins économiques - les conséquences environnementales néfastes de l'artificialisation diffuse des sols sont désormais bien identifiées :

• Dégradation de la capacité des sols à absorber l'eau par infiltration en raison de leur imperméabilisation et tassement, et ruissellement accru ;

• Perte de biodiversité, tant au sein des sols eux-mêmes que des milieux auxquels ils servent de socle, par disparition des écosystèmes ou rupture des continuités écologiques ;

• Réduction du potentiel de stockage carbone en raison de la perte de végétation et du changement d'état des sols ; et pollutions accrues en raison de contaminations ;

• Renforcement des « îlots » de chaleur en zone urbaine.

En outre, l'artificialisation se réalise souvent aux dépens de terres agricoles , parfois délaissées en raison de la déprise agricole, mais parfois parfaitement aptes à être cultivés. 2,4 millions d'hectares de terres ont perdu leur caractère agricole entre 1980 et 2020, soit 4,3 % du territoire. À long terme, la poursuite de cette dynamique pourrait interroger la capacité du pays à assurer la production alimentaire .

Les auteurs du rapport partagent et réaffirment l'ambition d'une gestion plus économe des espaces et des sols, en vue d'équilibrer les usages et de limiter l'artificialisation.

B. Les acteurs locaux ont déjà intégré cet enjeu à leurs projets de territoire

La lutte contre l'artificialisation des sols a fait l'objet d'un objectif spécifique et de treize propositions au sein de la thématique « Se loger » des propositions de la Convention citoyenne pour le climat . Elle est largement traduite dans le projet de loi « Climat et résilience », qui sera examiné par le Sénat en juin prochain ( articles 47 à 55 notamment ).

Le rapport rappelle que les mesures avancées par le projet de loi Climat ne s'écrivent pas sur une page blanche. Depuis près de vingt ans, l'État et les collectivités territoriales ont mené d'importants efforts pour mettre en oeuvre une planification et des projets plus sobres.

Un renforcement significatif de l'arsenal législatif et réglementaire est intervenu depuis le début des années 2000, ayant conduit à la création des plans locaux d'urbanisme (PLU), des schémas de cohérence territoriaux (SCoT) et de cohérence écologique (SRCE). Les exigences environnementales applicables à ces documents ont été sans cesse renforcées : ils sont soumis à évaluation régulière, à l'avis des CDPENAF. Ils doivent inclure des objectifs chiffrés de réduction de la consommation d'espace. Les conditions d'ouverture à l'urbanisation ont aussi été durcies. Enfin, l'évaluation des projets individuels et la compensation de leur impact environnemental ont été significativement renforcées.

Les collectivités se sont saisies de ces évolutions. Aujourd'hui, près de 58 % des SCoT se fixent un objectif chiffré de réduction de la consommation d'espace supérieur à 50 %. Dans les faits, de plus en plus de PLU(i) opèrent des « rétrozonages » de zones auparavant constructibles, pour les reclasser en zones naturelles ou forestières. Les opérations de densification , de recyclage foncier et de réhabilitation des bourgs existants se multiplient. Enfin, les élus locaux animent et accompagnent les écosystèmes locaux pour mettre en oeuvre des projets de territoire plus sobres.

Les auteurs du rapport soulignent que l'effort de sobriété foncière a déjà été initié au sein des territoires. Les écosystèmes sont mobilisés pour faire naître des projets plus ambitieux et construire la ville de demain. Les résultats n'en seront pleinement visibles que dans quelques années, car le temps de l'urbanisme est un temps long.

II. TROIS PRINCIPES POUR UN EFFORT SUPPLÉMENTAIRE : TERRITORIALISER, ARTICULER, ACCOMPAGNER

Dans la perspective de l'examen prochain du projet de loi « Climat et résilience », les auteurs du rapport proposent trois principes pour intensifier la lutte contre l'artificialisation.

A. Territorialiser, pour permettre la différenciation locale

La dynamique d'artificialisation et ses déterminants varient très fortement selon les circonstances locales. Les taux d'artificialisation régionaux s'étalent de 21 % en Île-de-France à 4 % en Corse , et le rythme d'augmentation est très disparate. Différents facteurs expliquent ces divergences, notamment le degré d'urbanisation, le type d'activité économique, mais surtout la pression foncière , subie de plein fouet par les territoires littoraux et les métropoles.

Le projet de loi « Climat et résilience » prévoit pourtant de fixer, au sein des SRADDET, un objectif de réduction de l'artificialisation des sols, qui serait uniformément fixé à 50 % pour toutes les régions. Le texte issu de l'Assemblée nationale prévoit que cet objectif soit décliné au sein même du SRADDET, par secteurs du périmètre régional, selon une liste de critères précisée par décret. Les auteurs du rapport estiment que cette solution n'est pas satisfaisante : il est plus pertinent et efficace de fixer les objectifs au niveau des SCoT et des PLU(i), en cohérence avec la répartition des compétences décentralisées , et à un échelon qui permet le meilleur dialogue préalable à la fixation des objectifs. Il est préférable de conserver à l'objectif du SRADDET un caractère d'orientation générale , adapté au sein des SCoT et PLU(i).

B. Articuler, pour concilier les objectifs des politiques publiques

Les auteurs du rapport soulignent que les collectivités doivent réaliser la synthèse entre différentes politiques publiques et concilier leurs objectifs parfois contradictoires .

Pour résoudre la crise du logement , elles participent à l'effort de construction. Les communes soumises à la loi SRU , en particulier, doivent mobiliser le foncier disponible pour atteindre les objectifs de mixité sociale. Une partie du territoire est en outre soumise aux obligations des lois Littoral et Montagne . La raréfaction des terrains constructibles pourrait frapper durement ces communes : le rapport estime qu'un objectif de 50 % de réduction de l'artificialisation pourrait conduire à construire 100 000 logements de moins chaque année.

À l'heure où la France entend défendre sa souveraineté économique, réindustrialiser les territoires et relocaliser les activités stratégiques, il est aussi nécessaire de faciliter l'implantation de nouvelles activités, en particulier dans les zones peu denses qui connaissent des difficultés économiques. Or, celles-ci ne disposent pas nécessairement d'un « stock » de foncier artificialisé à recycler.

Les zones rurales font face à des enjeux spécifiques de revitalisation et de développement , souvent touchées par la mutation économique, le départ des jeunes ménages, et le manque de services de proximité. Les objectifs de lutte contre l'artificialisation doivent garantir à tous les territoires des opportunités égales de développement économique et démographique.

L'effort de réduction de l'artificialisation doit prendre en compte l'ensemble de ces exigences et concilier les objectifs des politiques publiques. C'est au niveau local que pourra le mieux s'opérer cette synthèse.

C. Accompagner, pour donner les moyens de la sobriété foncière

Pour atteindre les objectifs ambitieux de protection des sols, au-delà de l'approche réglementaire, l'accompagnement des projets et des acteurs, tant financier qu'en matière d'ingénierie, sera clef. La transition vers la sobriété foncière doit être soutenue jusqu'au dernier kilomètre.

Parmi les idées avancées par les auteurs du rapport figurent par exemple l'amélioration du recours aux établissements publics fonciers , la pérennisation du Fonds friches créé dans le cadre du plan de relance, la mobilisation d'incitations fiscales pour les opérations vertueuses, l'extension des programmes tels que « Action Coeur de ville » à de nouveaux territoires, ou encore le renforcement des aides à l'élaboration des documents d'urbanisme.

LA LUTTE CONTRE L'ARTIFICIALISATION
À L'ÉPREUVE DES TERRITOIRES :
TERRITORIALISER, ARTICULER, ACCOMPAGNER

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