TROISIÈME PARTIE :
EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 5 MAI 2021

M. Claude Raynal , président. - Il me revient de faire le bilan annuel de l'application des lois, pour les lois promulguées lors de la session 2019-2020 et examinées au fond par notre commission. Pour cette période, trois quarts des mesures renvoyant à un texte réglementaire sont concentrées dans la loi de finances initiale pour 2020, qui prévoyait à elle seule 125 mesures d'application, le quart restant relevant des trois premières lois de finances rectificatives pour 2020 adoptées dans le contexte de la crise sanitaire. Les autres lois examinées par notre commission étaient d'application directe.

D'un point de vue statistique, il est regrettable de constater que le taux de mise en application globale baisse, avec 76 % de mesures prises cette année, contre 88 % l'an dernier.

Cela semble en partie dû au grand nombre de mesures prévues pour entrer en vigueur à une date différée, au-delà de la période de contrôle, qui s'arrête au 31 mars 2021. 18 mesures de la loi de finances pour 2020 ont ainsi une application différée, comme la nouvelle procédure d'autoliquidation de la TVA qui doit s'appliquer seulement au 1 er janvier 2022, ou encore les 7 mesures d'application nécessaires à la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation qui ne doit entrer en vigueur qu'en 2026.

Cependant, ceci n'explique pas tout. Le taux de mise en application décevant résulte aussi du fait qu'un grand nombre d'arrêtés n'ont pas été pris : si 93 % des décrets prévus par la loi de finances pour 2020 ont été pris, c'est le cas de seulement 60 % des arrêtés.

Par ailleurs, un peu plus de la moitié des textes réglementaires ont été publiés avant le délai de 6 mois prescrit par la circulaire du Premier ministre du 29 février 2008. Si ce n'était le cas que de 31 % d'entre eux lors du dernier contrôle, ce délai reste trop important.

Au-delà de ce constat global, on peut néanmoins se réjouir que les deux premières lois de finances rectificatives pour 2020 ont été totalement appliquées et assez rapidement, puisqu'une majorité des textes d'application ont été pris dans les 3 mois. Cela concerne les mesures urgentes à destination des entreprises et des ménages comme la mise en place de prêts garantis par l'État, d'avances remboursables et de prêts bonifiés, l'activité partielle ou le versement des primes exceptionnelles à certains agents publics. En revanche, certaines dispositions de la troisième loi de finances rectificative restent en attente de mise en application, comme le soutien en faveur de la presse et de l'audiovisuel ou les engagements des grandes entreprises à capitaux publics en matière de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, ainsi que l'ajustement de la trajectoire de suppression du tarif réduit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) au titre du gazole non routier.

Parmi les mesures d'application qui devraient encore être prises, je souhaite relever l'article 147 de la loi de finances pour 2020 qui porte l'essentiel des mesures de transposition du paquet TVA sur le commerce électronique. Dans le contexte de crise sanitaire, la Commission européenne a permis de reporter l'entrée en vigueur des mesures au 1 er juillet 2021. Cependant, le décret et l'arrêté prévus n'ont toujours pas été pris, ce qui limite la capacité des acteurs à anticiper l'entrée en vigueur de la réforme. Saisie sur le sujet, l'administration fiscale n'a pas apporté de précision sur la parution de ces textes.

Pour ce qui concerne les lois antérieures à la session 2019-2020, il faut malheureusement constater que le retard d'application a été peu comblé.

Certes, on peut se réjouir que des modifications aient été apportées au livre des procédures fiscales dans la dernière loi de finances, pour permettre l'application d'un des deux articles de la loi relative à la lutte contre la fraude qui ne l'étaient pas encore. Il s'agit des articles octroyant aux agents des douanes et aux agents des impôts un droit de communication des données de connexion pour les besoins des enquêtes portant sur les délits douaniers et fiscaux les plus graves. Cependant, des décrets en Conseil d'État sont toujours attendus et là aussi une accélération m'apparaît nécessaire.

Mais surtout, comme nous l'avions relevé l'an passé déjà, il n'est pas acceptable que des mesures prévues par la loi restent inappliquées depuis des années, certaines depuis presque 10 ans !

Par exemple, les textes concernant le régime des redevances pour l'obtention de certificats sanitaires en matière agricole prévus par la loi de finances pour 2012 ne sont toujours pas pris au motif que des négociations avec certaines professions seraient encore en cours. Ou encore, le décret attendu au titre de l'article 134 de cette même loi de finances pour 2012 qui portait sur le régime de licences de vente du tabac dans les départements d'outre-mer. L'entrée en vigueur de cette disposition a été repoussée d'année en année, jusqu'au 30 juin 2019, et depuis il ne s'est rien passé. Le rapporteur général, par amendement, avait proposé la suppression de ce dispositif. Ces deux points avaient déjà fait l'objet d'interpellations du Gouvernement l'an passé, sans autre suite. Un bilan me semble impératif pour statuer sur ces mesures inappliquées depuis tant d'années. Suite aux remarques que nous avions formulées l'an passé, je note que deux mesures d'application concernant respectivement, les tarifs de redevances de certificats sanitaires et les conditions d'accès du public aux informations réglementées des sociétés cotées, qui s'avéraient superflues, ont heureusement fait l'objet d'une abrogation.

En ce qui concerne les ordonnances, deux nouvelles ordonnances étaient attendues au titre de la session 2019-2020. L'une, relative à la centralisation des trésoreries publiques, a été publiée, dans un délai que le Parlement avait judicieusement réduit de 12 à 6 mois, l'autre reste à prendre, le Gouvernement ayant prévu un délai de publication de 18 mois à compter de la promulgation de la loi de finances pour 2020. Il s'agit d'une ordonnance relative à l'unification des modes de recouvrement de certains impôts et amendes. Le Sénat avait contesté la méthode de passer par une ordonnance pour une telle réforme, puisque le champ d'habilitation est en effet extrêmement large, et va au-delà d'un simple travail de codification et de coordination. Il est regrettable que le Parlement n'y ait pas été associé. Reste que 9 ordonnances déjà prises sont en attente de ratification, dont 7 d'entre elles ont été publiées il y a plus de cinq ans.

Enfin, le nombre de dispositions prévoyant la remise d'un rapport connaît une très forte croissance avec 55 demandes de rapports cette année, contre 24 l'an passé, et 36 il y a deux ans. On constate pourtant qu'à peine plus du tiers des rapports attendus ont été remis lors de la session écoulée. Le nombre foisonnant de demandes de rapports dans les projets de lois en cours d'examen devant notre assemblée apparaît inversement proportionnel au respect par le Gouvernement de ses obligations.

J'en viens pour finir à trois recommandations qui me semblent découler des constats précédents.

Tout d'abord, le Gouvernement fournit un suivi de la publication des décrets, mais non des arrêtés, qui sont pourtant essentiels dans un certain nombre de cas pour l'application des mesures. Une meilleure information serait utile. À titre d'illustration, c'est un arrêté qui doit fixer les conditions d'application de l'article 66 de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, lequel oblige certaines entreprises dans lesquelles l'État détient une participation à tenir des engagements climatiques. Cet arrêté n'a toujours pas été pris, l'administration mettant en avant certaines difficultés, en particulier pour passer d'un budget carbone établi par secteur à une trajectoire individuelle par entreprise ;

Ensuite, un certain nombre de mesures d'application dépendent de décisions de la Commission européenne. Ainsi, deux mesures de soutien en faveur des médias adoptées dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020 dépendent directement de son approbation. Celle relative au crédit d'impôt au titre du premier abonnement à une publication ou à un service de presse en ligne devrait être publiée prochainement, la Commission européenne venant de l'approuver mi-avril. Celle relative à l'investissement dans les programmes et la création audiovisuels n'a fait l'objet d'aucune décision. Ces mesures sont pourtant attendues. Le « feu vert » européen n'est pas obligatoirement acquis : la Commission n'avait ainsi pas donné son accord à l'application de taux bonifiés en Corse, au titre du crédit d'impôt recherche (CIR) ou du crédit d'impôt innovation (CII), pourtant prévus par l'article 150 de la loi de finances pour 2019, considérant que l'aide ainsi accordée dépasserait l'intensité maximale de 25 % permise pour les activités de développement expérimental menées par les entreprises de toute taille. Ces dispositions ont été abrogées par la dernière loi de finances.

Aussi, là encore, une meilleure information du Parlement sur l'avancement des demandes formulées auprès de la Commission européenne serait utile.

Dernière recommandation : nous devons continuer de nous interroger sur les demandes de rapports, lorsque l'on constate qu'à peine plus du tiers des rapports sont remis. Il faut bien sûr continuer à demander les informations indispensables pour l'exercice de notre contrôle parlementaire, mais un resserrement du nombre de rapports sur les informations réellement manquantes permettrait un meilleur suivi des délais de remise et de leur qualité. En effet, même lorsqu'ils sont remis, certains rapports le sont avec un tel retard que leur utilité s'en trouve amoindrie, à l'instar du rapport concernant l'exécution des autorisations de garantie accordées en loi de finances, prévu à l'article 24 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Ce rapport a été remis le 2 avril 2021 pour l'exercice 2019, alors qu'il devait l'être avant le 1 er juin 2020. Je regrette ce retard qui ne permet pas de prendre en compte son contenu lors des discussions relatives à la loi de règlement de l'année ni lors de la préparation du budget qui suit. La qualité des informations dans d'autres rapports laisse également à désirer, comme nous l'avions indiqué l'an passé.

En conclusion, je vous indique qu'un point précis sur toutes les mesures suivies par notre commission sera établi dans le rapport d'application des lois, après une réunion avec la secrétaire générale du gouvernement la semaine prochaine et un débat avec le Gouvernement au mois de juin.

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