II. Audition de MM. Jean-Pierre Viola, président de section, et Jean-Luc Fulachier, rapporteur général, sur les rapports de la Cour des comptes relatifs à la certification des comptes du régime général de sécurité sociale et du conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI)

(Jeudi 27 mai 2021)

Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous entendons ce matin MM. Jean-Pierre Viola, président de section et Jean-Luc Fulachier, rapporteur général, sur les rapports de la Cour des comptes relatifs à la certification des comptes du régime général de sécurité sociale et du conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI). J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

La Cour des comptes procède à l'exercice de certification des comptes du régime général de sécurité sociale depuis 2006. Cette mission a été élargie en 2020 à la certification du conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI), puis, en 2021, avec la création de la nouvelle branche « autonomie ».

Cette audition a en principe lieu chaque année devant notre commission où elle marque le début des travaux sur l'application de la LFSS de l'exercice précédent.

Globalement, elle a permis de constater, année après année, des progrès continus dans le processus de certification des comptes, les différentes branches faisant progressivement l'objet d'une certification de leurs comptes puis d'une diminution du nombre de réserves les concernant.

L'exercice 2020, qui se distingue aussi bien sûr par un déficit historique du régime général et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) de 38,7 milliards d'euros, marque une interruption de cette tendance avec l'impossibilité de certifier les comptes de la branche recouvrement et du CPSTI et une augmentation du nombre des réserves portant sur les autres branches.

Cette situation est très directement liée à la crise sanitaire et à la levée d'un certain nombre des dispositifs de contrôle et d'allègements des procédures s'agissant notamment des cotisations des travailleurs indépendants.

Dans un communiqué du 18 mai dernier, les ministres de la santé et des comptes publics ont tenu à relativiser la portée de cette impossibilité de certifier les comptes en soulignant « l'efficacité des mesures prises dans l'accompagnement de nos entrepreneurs et dans la préservation de notre tissu économique tout au long de la crise ».

Dans le dilemme entre la simplification des procédures, que nous avons soutenue pendant la crise, et la lutte contre la fraude, que nous soutenons également, nous nous interrogeons sur la capacité des caisses à concilier ces objectifs.

Il est par ailleurs des réserves récurrentes qui ne sont pas forcément liées à la crise sanitaire sur lesquelles vous pourrez certainement proposer des pistes de progression.

M. Jean-Pierre Viola, président de section à la Cour des comptes . - Merci de nous accueillir pour vous présenter les résultats de notre rapport sur la certification des comptes du régime général de sécurité sociale et du conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI).

Il convient d'abord de distinguer les principaux enjeux liés à l'audit : l'exhaustivité et l'exactitude de la prise en compte, dans la comptabilité générale, des informations issues de la production des prélèvements sociaux et des prestations sociales ; la correcte représentation, dans la comptabilité des entités de sécurité sociale, de leurs droits et obligations à l'égard de tiers, ce qui implique d'examiner la fréquence et l'impact financier des erreurs qui affectent les opérations effectuées et comptabilisées, malgré les dispositifs de contrôle interne ; la conformité des écritures aux principes comptables généraux, la pertinence et la permanence des méthodes, l'exhaustivité du recensement des passifs et le caractère raisonnable des enregistrements comptables qui résultent d'une estimation ; l'appréciation de la qualité de l'information financière procurée par les états financiers, y compris les annexes aux comptes.

Ces enjeux sont appréciés en fonction de critères d'audit et de l'examen de l'efficacité du contrôle interne, notamment par le biais d'indicateurs de risque financier résiduel, après contrôle interne - cette démarche est indispensable, car chaque opération comptabilisée représente une part infime des états financiers.

En 2020, le déficit du régime général a atteint 36,2 milliards d'euros. En ajoutant le solde du fonds de solidarité vieillesse, le déficit s'est établi à 38,7 milliards d'euros, niveau inédit, plus élevé qu'en 2010. Le déficit de la branche maladie a atteint 30,4 milliards d'euros, contre 1,5 milliard d'euros en 2019, et celui de la branche vieillesse s'établit à 3,7 milliards d'euros. Ce dernier est atténué par le versement, par le fonds de réserve pour les retraites, de la soulte de 5 milliards d'euros en provenance du régime des industries électriques et gazières, dont il assurait jusque-là la gestion. Le déficit de la branche maladie s'explique notamment par un déficit de recettes - des cotisations sociales, de la CSG, des impôts et taxes affectés comme la TVA - et par des mesures exceptionnelles liées à la crise sanitaire.

L'exercice 2020 est marqué par les impacts de la crise sanitaire. Les organismes de sécurité sociale ont continué, il faut le souligner, à exercer leurs missions pendant la crise, malgré les confinements, la mise en place du télétravail et les bouleversements économiques et sociaux. Les organismes ont aussi eu à assurer de nouvelles missions ou la gestion de nouveaux dispositifs. Je pense ainsi, pour l'activité de recouvrement, à la faculté générale de report du paiement des prélèvements sociaux pour les employeurs de salariés, à des mesures spéciales en faveur des travailleurs indépendants, ou à la suspension de tout le processus de recouvrement amiable et forcé. Pour la branche maladie, je pourrais évoquer le maintien des droits aux prestations, la distribution d'aides exceptionnelles aux établissements de santé et médico-sociaux et aux professionnels de ville, ou les indemnités journalières dérogatoires.

La priorité a été donnée en 2020 à la production, ce qui est compréhensible vu le contexte, mais cela s'est accompagné d'allègements significatifs des dispositifs de contrôle et d'audit, et, de ce fait, d'une réduction du niveau d'assurance apporté par le contrôle interne sur la fiabilité des comptes, et nos opinons s'en ressentent. Pour l'activité de recouvrement, on peut ainsi noter un allégement des plans de contrôle, l'absence de contrôle ou des contrôles insuffisants sur un certain nombre de risques apparus lors de la crise, ainsi que la réduction de l'ampleur des audits internes. Dans la branche maladie, les contrôles existants ont aussi été allégés, tandis que l'on peut noter l'absence ou la faiblesse des contrôles au cours de l'exercice sur les nouveaux dispositifs. En ce qui concerne la branche famille, le point essentiel a été une réduction des contrôles sur place auprès des allocataires - contrôles qui ont le rendement financier unitaire le plus important -, des redéploiements des contrôles sur pièces, ainsi que la suspension de l'estimation de la fraude. La branche vieillesse a été la moins touchée par la crise.

Les positions de la Cour se sont sensiblement dégradées par rapport à l'exercice précédent, puisque nous constatons une impossibilité de certifier les comptes de l'activité de recouvrement, alors que les comptes de 2019 avaient été certifiés, certes avec quatre réserves. Nous certifions les comptes des branches de prestations, mais avec un nombre de réserves sensiblement plus élevé qu'en 2019 - 22 au lieu de 16. Cela est dû à une forte hausse des constats d'audit par rapport à l'exercice 2019.

Notre impossibilité de certifier les comptes de la branche recouvrement est liée à des incertitudes majeures et à des désaccords en raison de facteurs exceptionnels dus à la crise sanitaire ou à ses conséquences. Ces incertitudes majeures concernent d'abord le produit des prélèvements sociaux des travailleurs indépendants. Il y a selon nous un risque d'insuffisance, car ces produits n'intègrent que 6 mois ou 2 trimestres de prélèvement du fait des modalités particulières d'appel de 2020 - je souligne que ces modalités particulières d'appel n'ont pas une base juridique suffisante, car elles sont fondées uniquement sur une simple circulaire ministérielle.

On a aussi des incertitudes concernant les dépréciations de créances. Les créances qui peuvent être constatées fin 2020 diffèrent sensiblement des exercices précédents : leur montant est beaucoup plus important, mais les perspectives de recouvrement sont meilleures, parce que d'habitude les créances en fin d'exercice sur les cotisants correspondent à des mauvais payeurs ou à des situations de redressement ou de liquidation judiciaire. Là, c'est différent : les entreprises ont bénéficié d'une faculté générale de report de paiement des prélèvements sociaux. Il était donc justifié que l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'Acoss, procède à une dépréciation de créances ; toutefois, la méthode ad hoc, qui a été appliquée, n'a pas concerné la totalité des créances nées en 2020, et ce sans justification suffisante, tandis que les taux de dépréciation retenus ne sont pas assez justifiés. Enfin, les employeurs de salariés frappés par les mesures administratives de fermeture ont bénéficié d'exonérations et d'aides spécifiques ; or, nous constatons que les produits comptabilisés à ce titre ne sont pas exhaustifs.

Un certain nombre de dispositifs de contrôle interne ont été suspendus, réduits ou reportés. Ces dispositifs de contrôle interne présentaient déjà, avant la crise, un certain nombre de faiblesses qui affectaient l'exhaustivité de la collecte des prélèvements sociaux ; ces faiblesses ont été sensiblement accrues en 2020 et leurs conséquences n'ont pu être mesurées. En effet, dans la mesure où l'activité de recouvrement ne dispose pas d'indicateur synthétique de mesure des risques financiers résiduels, la portée des allègements des contrôles ne peut être correctement appréciée.

Les branches maladie et accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) ont été marquées par de nombreuses mesures nouvelles, en faveur des assurés, mais aussi des acteurs du système de santé - établissements de santé ou médico-sociaux, professionnels conventionnés de villes. Là aussi, les répercussions de la crise sanitaire et des mesures nouvelles sont venues s'ajouter à des faiblesses structurelles du dispositif de contrôle interne, que nous avions déjà décrites, à plusieurs reprises, dans nos rapports de certification ou dans une communication que nous avons faite à la demande de votre commission sur la fraude aux prestations sociales, dans laquelle nous avions souligné que les possibilités de fraudes à l'assurance maladie étaient sensiblement accrues par les faiblesses du contrôle interne.

Sauf exception, la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) n'a pas évalué les impacts financiers des nouveaux risques. De manière générale, elle ne mesure pas certains risques financiers ou les évalue de manière très partielle. On peut noter un progrès, mais en demi-teinte : la CNAM, suivant une recommandation de la Cour, a corrigé sa mesure des risques financiers pouvant le plus aisément être appréhendés sur les facturations qu'elle reçoit des professionnels de santé et des établissements de santé privés à caractère lucratif. Le montant des erreurs, essentiellement au détriment de l'assurance maladie, atteint désormais 2 milliards d'euros, au lieu de 1 milliard comme en 2019, avant cette correction. Ce montant n'a pas un caractère exhaustif, car il n'intègre pas les erreurs de facturation qui concernent les séjours facturés par les établissements publics ou privés non lucratifs de santé, les assurés en surnombre, et la fraude. Ces erreurs peuvent masquer la facturation d'actes qui n'ont pas été réalisés ou qui ne correspondent pas à la facturation effectuée. Les indicateurs de risques financiers résiduels sont donc à considérer comme des valeurs seuils et non comme des valeurs centrales.

Par ailleurs, les éléments de justification des comptes produits par la CNAM ont une densité et une qualité souvent insuffisantes, notamment par comparaison avec les autres branches du régime général. Nous émettons donc deux réserves sur l'individualisation des constats relatifs aux droits des assurés et sur les impacts de l'opinion sur les comptes du recouvrement.

En ce qui concerne la branche famille, nous constatons, là aussi, un allégement du dispositif de contrôle interne et une dégradation des indicateurs qui mesurent les risques financiers résiduels. Si ces indicateurs fournissent des références globalement pertinentes pour apprécier les risques financiers finaux de cette branche, ils se dégradent année après année, sous l'effet de l'allégement du contrôle interne et en raison d'un effet de structure dans la composition des prestations que verse la branche famille : les prestations familiales proprement dites, celles qui sont enregistrées au compte de résultat de la branche, comportent relativement moins d'erreurs que les prestations qui sont versées pour le compte de l'État et des départements (RSA, prime d'activité, aide au logement, etc.) ; or la part relative de ces dernières augmente, en raison notamment de l'élargissement des possibilités de recours à la prime d'activité et de l'augmentation des dépenses liées au RSA ; cela a mécaniquement un impact direct sur l'évolution des risques financiers résiduels. Il faut noter aussi que notre constat repose sur un recul de 9 mois ; on ne pourra porter une appréciation finale sur le montant définitif des erreurs qu'à la fin de l'année prochaine, à l'issue du délai de prescription. Il est à craindre qu'il s'accroisse. Un chantier structurel est en cours, qui vise à l'utilisation des données du dispositif de ressources mutualisées, qui est mis en place pour permettre le calcul des aides au logement en fonction des revenus contemporains. La branche famille a l'ambition, avec le soutien du ministère, d'utiliser ces données pour calculer la prime d'activité ou le RSA.

J'en viens à la branche vieillesse, branche dont le fonctionnement habituel a été le moins perturbé par la crise sanitaire. Malheureusement, nous observons la poursuite, certes à un rythme plus lent que lors des exercices précédents, des erreurs qui affectent les prestations versées par la branche. Ces erreurs peuvent être en faveur ou au détriment des assurés ; elles sont essentiellement liées à des opérations internes aux caisses de retraite, à la différence des branches famille ou maladie, dans lesquelles les erreurs sont principalement liées à des erreurs affectant les données déclarées ou facturées par les bénéficiaires des prestations. Sur ce plan, la situation n'a cessé de se dégrader depuis 2016, année depuis laquelle nous disposons d'éléments d'une fiabilité suffisante pour apprécier le niveau et l'impact financier des erreurs. La plupart des prestations de retraite n'étant pas ultérieurement révisées, il en résulte que les erreurs en faveur ou au détriment des assurés auront des conséquences financières pendant toute la durée de versement de ces prestations, jusqu'au décès des assurés. Nous estimons à 1,6 milliard d'euros le montant cumulatif d'erreurs sur la durée de vie des nouveaux retraités, et ce montant, évidemment, s'accroît dans la mesure où les erreurs elles-mêmes s'accroissent. Elles peuvent porter sur la date d'entrée en jouissance des droits à retraite, mais aussi sur le montant des prestations versées.

Depuis cette année, la CNAV assure directement la gestion des droits à retraite des travailleurs indépendants. Nous avons donc étudié la question de l'adéquation des droits avec les cotisations versées par les travailleurs indépendants, puisque normalement ces droits sont fonction des cotisations. Mais nous n'avons pas pu recueillir ou établir des éléments suffisants permettant de garantir cette adéquation ; cela ne veut pas dire que toutes les prestations de retraite sont fausses, mais que nous n'avons pas été en mesure de déterminer l'importance des écarts et leurs conséquences financières. Quant aux mesures existantes de la portée financière des erreurs de liquidation, leur fiabilité et leur périmètre nous semblent incomplets. Là aussi, nous avons émis deux réserves sur les impacts de l'opinion sur les compte du recouvrement, et sur l'individualisation des constats relatifs aux erreurs définitives.

J'en viens enfin aux comptes du CPSTI. Notre appréciation est tributaire de celle que nous pouvons porter sur les comptes du recouvrement. Nous avons des réserves sur les modalités d'appel des prélèvements sociaux en 2020 et leurs impacts sur la physionomie des produits de l'exercice, sur les dépréciations de créances, ainsi que sur l'absence d'exhaustivité du recensement des réductions forfaitaires de cotisations sociales pour les travailleurs indépendants. Nous estimons que les produits du CPSTI n'ont pas un caractère exhaustif et sont sans doute assez éloignés des produits qui se rattachent en fait à l'exercice 2020. Dans ces conditions, évidemment, le déficit du CPSTI s'en trouve majoré, de notre point de vue, par rapport à ce qu'il devrait être. Par ailleurs, 2020 est une année de transition, puisque c'est la première année où l'ensemble des missions relevant du CPSTI sont gérées par les branches du régime général ; nous estimons que les dispositifs de contrôle interne ne procurent pas une assurance suffisante sur la maîtrise des principaux risques de portée financière. Enfin, en ce qui concerne les retraites complémentaires gérées par la CNAV pour le compte du CPSTI, on manque d'éléments d'assurance sur l'adéquation entre les cotisations versées et les droits à retraite liquidés.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Vos réserves nombreuses ne peuvent que nous pousser à nous interroger. Vous avez insisté sur la branche famille et les erreurs de déclarations qui peuvent entraîner des erreurs importantes concernant le RSA ou la prime d'activité.

Avez-vous les moyens d'estimer les enjeux financiers liés aux incertitudes que vous avez relevées dans votre contrôle ? En d'autres termes, les écritures que la Cour considère comme douteuses sont-elles susceptibles de modifier de manière significative les résultats de la branche - et de la sécurité sociale dans son ensemble - en 2020 ?

Pourriez-vous bien distinguer ce qui, dans vos réserves les plus importantes, présente un caractère structurel et ce qui est lié à la situation exceptionnelle de l'année 2020 ? Avez-vous d'ailleurs pu, lors de vos travaux, constater des améliorations laissant penser que l'exercice 2021 posera moins de problèmes en matière de certification ?

En complément de la question précédente, pour une année aussi exceptionnelle que 2020, la Cour ne considère-t-elle pas comme légitime que le contrôle ait pu ne pas constituer la première priorité des différents organismes, en particulier l'Acoss, qui ont dû mettre en place dans l'urgence de nombreux dispositifs de soutien à l'économie ?

Enfin, dans un tel contexte, la démarche d'unification du recouvrement des cotisations sociales vous semble-t-elle pertinente, ou risque-t-elle au contraire d'aggraver les difficultés relevées par la Cour ?

M. Jean-Pierre Viola . - La Cour n'a pas souhaité, et ce n'était pas l'objet d'un rapport de certification, se prononcer sur l'opportunité des mesures décidées par le gouvernement en réponse à la crise. En revanche, nous nous sommes attachés à leur justification sur le plan juridique et à leur traitement comptable. Or, nous constatons un risque sur la bonne répartition des résultats entre 2020 et 2021 : on déplore un manque d'exhaustivité sur les produits des prélèvements sociaux des travailleurs indépendants : cela signifie que des montants significatifs sont susceptibles d'être enregistrés en 2021, au titre de 2020, et d'améliorer ainsi la physionomie des comptes de 2021, au détriment de 2020. Il en va de même des produits comptabilisés au titre des exonérations et de l'aide au paiement « covid ». Ces réserves ne sont pas uniquement le fait de la Cour. L'Insee a ainsi procédé, lorsqu'elle a communiqué à Eurostat les éléments relatifs à la situation financière des administrations publiques en 2020, à des corrections significatives des comptes des administrations de sécurité sociale, notamment en ce qui concerne les produits des prélèvements sociaux des travailleurs indépendants et des exonérations et aides au paiement « covid ». Ses corrections sont d'ailleurs plus importantes que celles que nous avons chiffrées dans notre rapport.

Les chantiers conduits par l'Acoss sont très nombreux. Nous les avons décrits avant la crise dans notre rapport d'octobre 2020 sur l'application les lois de financement de la sécurité sociale : nous constations que beaucoup de chantiers étaient en cours, mais que peu étaient aboutis. L'extension du recouvrement de l'Acoss à la quasi-totalité de la sphère sociale comporte une série de sous-chantiers importants et consommateurs de ressources, pour s'adapter aux spécificités de tous les publics. Nous avions des interrogations sur le transfert du recouvrement des cotisations de retraite complémentaire Agirc-Arrco : nous soulignions la nécessité d'un maintien du calcul des droits à la retraite par salarié en fonction des cotisations déclarées par les employeurs, spécificité du régime de retraite complémentaire par points. La CNAV ne fait ainsi pas de rapprochements systématiques entre les cotisations déclarées par les employeurs et les salaires reportés au compte des salariés. C'est sans doute un motif d'insuffisance du produit des cotisations, que nous avions souligné dans notre communication à votre commission sur la fraude. Il est donc essentiel que le transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco s'accompagne du maintien d'une individualisation des droits. Les enjeux ne sont pas négligeables.

Chaque année Agirc-Arrco procède ainsi à une régularisation en sa faveur d'environ 1,5 milliard d'euros. Nous proposons que le transfert soit repoussé si l'individualisation des droits ne pouvait être assurée dans de bonnes conditions. Il n'y a pas à avoir de fétichisme des délais en la matière. Chacun a en tête le précédent de l'interlocuteur social unique des travailleurs indépendants, où deux systèmes d'information existaient, celui du recouvrement et celui du RSI, entraînant des problèmes de communication et des anomalies en série, difficiles à résorber.

M. René-Paul Savary . - Nous avions indiqué que le transfert à l'Acoss de tout le recouvrement des cotisations sociales serait compliqué. Vous avez noté les différences de calcul entre le régime Agirc-Arrco et le régime général. Il ne faut pas hésiter à reporter ce chantier en raison de la crise. Les rapprochements sont toujours délicats. Il est aussi difficile de comprendre pourquoi l'Acoss sera chargée du recouvrement, tandis que l'Agirc-Arrco continuera à réaliser les contrôles. Ce n'est pas un gage d'efficacité !

J'ai été interpellé par le fait qu'une circulaire ministérielle n'a pas été suivie d'une mesure législative. Inouï : l'exécutif méprise le Parlement ! Les conséquences peuvent être importantes, notamment pour les différés de cotisations proposés par le Gouvernement, et notamment pour les indépendants et le fonds de garantie : pour un certain nombre d'entreprises, les 10 000 euros par mois étaient une aubaine ; pour d'autres, on va peut-être leur demander 47 % de cotisations ! Les régimes dont nous avons auditionné les représentants nous ont alertés sur ce point.

Vous préconisez toujours un certain nombre de mesures contre la fraude. Pouvez-vous nous rappeler lesquelles ? Il semble qu'il n'y ait pas encore de volonté vraiment significative de ces organismes de mettre fin, le plus possible, à la fraude, et j'en suis, tout comme le rapporteur général, franchement désolé. Quelle masse financière représentent les 260 000 révisions de droit intervenues en 2020, suite aux écarts entre les données de la CNAM et celles de l'Acoss en matière de décompte des droits à prestations ouverts pour les travailleurs indépendants ? Vous avez rappelé qu'une prestation sur six était mal calculée. Cela interpelle ! Quels facteurs expliquent cette importante augmentation ? La mise en oeuvre du Répertoire unique de gestion des carrières, qui devait être une avancée, a bien du mal à se faire. Permettra-t-elle d'éviter un certain nombre d'erreurs ?

Mme Frédérique Puissat . - La protection sociale des travailleurs indépendants a été créée suite à la fusion du RSI dans le régime général. La situation de crise sanitaire est inédite, et nous sommes sur un régime de transition, comme vous l'avez dit : c'est la première fois que vous certifiez ces comptes - et en l'occurrence vous ne les certifiez pas ! Le ministre de la santé a fait un communiqué de presse pour nous dire de ne pas nous inquiéter. Mais cela peut tout de même nous inquiéter, car cela concerne 2 millions de cotisants, et parce que ce régime a été intégré avec un excédent de fonctionnement d'un milliard d'euros fin 2019, et des réserves financières de 16 milliards d'euros.

Que pensez-vous de la fusion du régime des indépendants dans le régime général ? Le CPSTI dispose-t-il des outils nécessaires pour accomplir l'ensemble des attributions qui découlent de la réforme de la loi de financement de sécurité sociale de 2018 ? Dans les causes de la non-certification des comptes, quelle est la part du contexte sanitaire ? Quelle est celle de la fusion du régime des indépendants dans le régime général ? La prime Covid, contestée par le Gouvernement, a finalement été mise en place. Votre rapport indique que 27 000 micro-entrepreneurs étaient inéligibles à cette aide, mais en ont bénéficié. Ce chiffre est-il exact ? Peut-on expliquer ces erreurs ? Quelles en seront les conséquences ?

M. Jean-Pierre Viola . - Pourquoi cette dégradation continue de la liquidation des prestations de retraite ? Une part croissante des prestations est affectée par des erreurs de portée financière. En 2016, cela concernait une nouvelle prestation sur neuf. En 2019, c'était une sur six. Et l'impact financier des erreurs a doublé entre ces deux années. Certaines erreurs affectent la date d'entrée en jouissance des droits. D'autres, portant sur le montant mensuel des prestations versées, auront des effets généralement durables. La plupart des erreurs portent sur les données de carrière : trimestres manquants, ou surnuméraires, salaires en trop, ou en moins, périodes assimilées mal comptabilisées... Ce ne sont pas celles qui ont l'incidence financière la plus forte, puisque le calcul des retraites est lissé sur les 25 meilleures années. Certaines erreurs affectent les ressources, et notamment celles qui sont prises en compte pour les pensions de réversion, l'allocation de solidarité aux personnes âgées ou le minimum vieillesse. Leur impact financier est généralement important.

La première cause de cette situation est que les services ordonnateurs font beaucoup d'erreurs. Il n'est pas rare de voir que, pour un technicien de retraite, 50 % des nouvelles prestations qu'il liquide sont affectées d'erreurs. Deuxièmement, les agences comptables effectuent des contrôles sur une part prépondérante, mais non sur la totalité des retraites nouvellement liquidées, ce qui peut se comprendre au regard des effectifs qui leur sont attribués. Et, quand elles font des contrôles, elles ne détectent qu'une erreur sur deux. Enfin, lorsque les agences comptables détectent des erreurs, les services ordonnateurs ne font pas nécessairement les corrections attendues.

Résultat : le niveau d'erreurs augmente année après année. Les réponses, évidemment, sont à chercher dans l'évolution du système d'information. Un nouvel outil de régularisation des carrières sera généralisé en 2021. Il devrait mieux guider les techniciens de retraite dans les tâches qu'ils effectuent. Il y a aussi une question de formation initiale continue des techniciens de retraite : 30 à 50 % de prestations nouvellement liquidées affectées d'erreurs, à un titre ou à un autre, c'est évidemment beaucoup trop. Et le fait que le contrôle n'appréhende qu'une erreur sur deux, c'est insuffisant. Enfin, il y a un sujet managérial, de toute évidence. Le ministère de la santé a fixé, dans le cadre des conventions d'objectifs et de gestion, pour ce qui concerne la branche vieillesse, mais aussi la branche famille et la branche maladie, des objectifs de réduction des erreurs. Se pose toutefois la question des moyens de toute nature à mobiliser pour les réduire.

Vous m'interrogez sur l'évaluation de la fraude. Seule la branche famille procède à cette évaluation. Suite à la communication que nous avons adressée à votre commission sur la fraude aux prestations sociales, ainsi qu'au travail réalisé par l'Assemblée nationale sur ce même sujet, le ministre des solidarités et de la santé a prescrit à l'ensemble des branches de prestations une évaluation tous les deux ans de la fraude aux prestations. Nous suivrons ce travail attentivement. L'enjeu principal est celui d'une mesure la plus exhaustive possible des erreurs affectant les prestations versées, qu'elles soient liées à des fraudes ou non. C'est pour la branche maladie qu'à l'heure actuelle nous ne disposons pas des éléments nécessaires.

En ce qui concerne le CPSTI, la situation est très frustrante. Cela nous désole d'avoir été attributaires d'une nouvelle mission de certification et, la première année, de constater une impossibilité de certifier. Cette impossibilité est surtout liée aux impacts, dans le recouvrement, sur le montant des produits et le solde du CPSTI. Mais il y a aussi des questions relatives au contrôle interne. Ce sont les branches du régime général qui effectuent l'ensemble des tâches de gestion pour le compte du CPSTI, qui est une petite structure administrative. Il est important qu'elles intègrent dans leur dispositif de contrôle interne l'ensemble des enjeux relatifs aux travailleurs indépendants. C'est en grande partie le cas, mais si nous estimons qu'il y a des progrès à faire, à la fois pour disposer d'une représentation globale de l'ensemble des risques qui affectent les processus de gestion relatifs aux prestations gérées pour le compte du CPSTI, et aussi aux prélèvements sociaux - même si l'intégration de ces derniers au sein du régime général est plus ancienne -, et pour disposer de mesures pertinentes de l'efficacité du contrôle interne. À ce point de vue, nous attendons beaucoup de 2021. Le dialogue d'audit est engagé, et les gestionnaires administratifs du CPSTI ont bien pour objectif de prendre en compte l'ensemble des remarques de la Cour, avec beaucoup de bonne volonté. Encore faut-il que les branches du régime général suivent. Nous avons préconisé que le ministère des solidarités et de la santé soit très attentif aux remarques de la Cour et aux recommandations que nous avons pu émettre tout au long de l'audit, et les relaie.

Le rapporteur général m'a demandé de distinguer ce qui relevait du structurel et du conjoncturel. Si la crise sanitaire n'était pas survenue, si un certain nombre de mesures exceptionnelles n'avaient pas été prises, si le rythme d'appel des prélèvements sociaux des travailleurs indépendants était resté le même, si les créances en fin d'exercice avaient toujours correspondu aux mauvais payeurs et à un certain nombre d'entreprises en redressement, je pense que nous n'aurions pas eu cette position. Cela étant, 2020 fut une sorte d'année parenthèse... Mais il nous semble important que ce ne soit pas une année inutile, pas plus que 2021. L'Acoss, à partir du second semestre 2021, doit s'engager à nouveau dans une trajectoire d'amélioration de son dispositif de contrôle interne. Malheureusement, comparativement à d'autres entités, nous avons constaté que les sujets de contrôle interne stagnaient, et qu'un certain nombre de constats anciens ne trouvaient pas leur résolution. Il est vrai que l'Acoss mène simultanément un très grand nombre de chantiers. Dans ce contexte, la maîtrise des risques ne reçoit pas le degré de priorité qui devrait lui revenir au regard des enjeux financiers qui s'y attachent. Il ne s'agit pas de faire plaisir à la Cour des comptes, mais de bien maîtriser les deniers publics, d'assurer l'exhaustivité des prélèvements sociaux et de payer à bon droit les prestations sociales.

Sur la prime Covid, nous avons constaté que l'Acoss a procédé très rapidement pour le paiement. Il y a eu une erreur dans la définition de la requête, qui a donc attrapé un certain nombre de cotisants ou d'assurés qui ne relevaient pas du champ légal de la prime en question. L'impact n'est pas monumental, et n'a pas en tant que tel d'effet désastreux sur le résultat du CPSTI. Mais c'est une anomalie importante, tout comme le défaut de comptabilisation de charges au titre de la seconde prime Covid : ces charges ont été comptabilisées dans la limite d'une dotation à caractère budgétaire, prévue par un arrêté ministériel, et nous n'avons pas compris pourquoi l'arrêté ministériel n'avait pas été modifié de façon à permettre la comptabilisation de l'ensemble des charges. D'un point de vue pédagogique, il nous a paru important d'indiquer à nos interlocuteurs l'ensemble des points significatifs en termes de montant, mais aussi par nature.

Mme Catherine Deroche , présidente . - À l'initiative de Jean-Marie Vanlerenberghe, très attaché au sujet de la fraude sociale, nous avions intégré au PLFSS des dispositions inspirées du rapport que vous nous aviez rendu en septembre. Et une proposition de loi a été déposée à la suite du travail de notre collègue Nathalie Goulet sur la fraude.

M. René-Paul Savary . - Nous y travaillons aussi dans le cadre de la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss).

Mme Catherine Deroche , présidente . - L'année 2020 a été particulière, et l'année 2021 le sera sans doute aussi...

M. Jean-Pierre Viola . - Elle ne doit pas être une année blanche. Beaucoup de chantiers se poursuivent, et les organismes de sécurité sociale n'ont pas cessé leur activité. Dans le cadre des orientations tracées par le Premier président, la Cour et les chambres régionales des comptes se rénovent, avec le projet « Juridictions financières 2025 », qui prévoit notamment un réexamen périodique des enjeux relatifs à la fraude aux prélèvements obligatoires, donc aussi aux prélèvements sociaux, et aux prestations sociales. Nous avons donc déjà programmé toute une série d'enquêtes sur des sujets ponctuels, mais importants, qui constituent autant de sous-ensembles de la communication que nous vous avions adressée.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - La Cour des comptes ne pourrait-elle proposer aux organismes concernés une méthode d'estimation et d'évaluation de la fraude ? Dans ce domaine, nous restons trop approximatifs. Que la Cour encadre ces estimations serait aussi un moyen d'inciter les différents organismes, et notamment l'assurance maladie, à y procéder.

M. Jean-Pierre Viola . - Je partage votre crainte d'un manque d'exhaustivité des mesures. Dans le cadre de la feuille de route qu'ils ont fixée aux organismes nationaux du régime général, les ministres leur ont demandé de procéder à ces travaux en liaison avec la Cour, entre autres.

Mme Élisabeth Doineau . - Ce point est important, car il donne lieu à d'innombrables fantasmes. Il faut veiller en particulier à ce que la communication soit très précise. Sinon, sur les réseaux sociaux, c'est du délire...

Mme Catherine Deroche , présidente . - Et pas que sur ce thème ! Merci à tous.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

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