D. DES RÈGLEMENTS ADOPTÉS ET MIS EN oeUVRE SANS ÊTRE TOUJOURS PROPORTIONNELS AU RISQUE RÉEL

1. L'absence d'étude préalable

La mise en oeuvre des politiques publiques fait aujourd'hui, de manière de plus en plus fréquente, l'objet d'études préalables et d'études d'impact. L'existence, et plus encore, le soin attaché à ces études représentent une garantie dans leur efficacité à venir et dans la bonne adéquation des moyens mis en oeuvre au regard des objectifs poursuivis. Votre délégation accorde une attention particulière à cette démarche dans l'action territoriale de l'État .

Or, de manière tout à fait préjudiciable, la DECI se trouve dépourvue de cette démarche d'évaluation préalable ou même a posteriori , à laquelle un état initial ou un état des lieux aurait pu constituer le point d'entrée . Le RNDECI ne prévoit pas cette précaution et aucune démarche systématique n'a été mise en place lors de sa déclinaison dans les départements, ainsi que l'illustre la réponse quasi unanime des préfets à vos rapporteurs sur ce point. Ils répondent ainsi par la négative à 94 % sur le sujet de savoir si une étude d'impact a été réalisée pour l'élaboration du RDDECI 20 ( * ) .

Pourtant le caractère impérieux d'une étude préalable parait à vos rapporteurs devoir faire partie intégrante de la démarche relative à la DECI . Comment imposer aux communes des règles incontestablement contraignantes sans en évaluer l'impact ? La recherche d'une meilleure corrélation entre les moyens fixes d'approvisionnement en eau et les moyens mobiles des services d'incendie, la maintenance et le dispositif de contrôle des PEI devraient faire l'objet d'une évaluation préalable, notamment des moyens à engager et de leur coût d'investissement et de fonctionnement à la charge de la collectivité.

Lors de la mise en place des RDDECI à partir de 2017, l'exercice d'évaluation préalable aurait d'ailleurs dû constituer un point d'appui précieux dans le cadre de la concertation attendue des élus. Son absence explique certainement pour une part l'insatisfaction largement exprimée par les élus à l'égard de la consultation beaucoup trop formelle et artificielle décrite supra .

Au total, les élus ressentent les décisions prises au titre de la DECI comme imposées par l'État sans concertation, ni évaluation de l'impact des décisions. Ils déplorent aussi de supporter les conséquences, notamment financières et budgétaires, de ces décisions sans qu'elles aient pu être anticipées et encore moins discutées .

2. La complexité des règles

Le renouvellement des équipes municipales à l'occasion des élections l'année dernière a pointé l'extrême difficulté des élus à s'approprier la matière relevant de la DECI . Dans l'enquête menée par vos rapporteurs, des maires nouvellement élus ont reconnu ne pas être en capacité de porter une appréciation sur cette politique à l'échelle de leur territoire par manque de compétences techniques. Parfois, certains ont pris la mesure du champ à investiguer devant eux en découvrant le questionnaire adressé par vos rapporteurs. Mais cette difficulté ne concerne pas que les nouveaux élus.

L'enquête de vos rapporteurs met en évidence ce malaise des élus, confrontés à un déficit d'expertise pour aborder au mieux les enjeux de la DECI sur leur territoire. Parmi les communes ayant gardé la compétence de cette politique, 60,6 % regrettent de ne pas disposer de « l'expertise suffisante pour suivre la compétence DECI » .

Faut-il pour autant s'en étonner lorsqu'on sait que le seul RNDECI compte 67 pages et qu'il doit être complété, dans chaque département, par un RDDECI souvent aussi complexe ? Conscients de cette difficulté d'appréhension, les SDIS produisent d'ailleurs eux-mêmes souvent des vade-mecum pour les maires , comme par exemple les SDIS du Bas-Rhin ou du Gers.

Le coût d'entrée dans la matière demeure toutefois élevé pour les élus confrontés à une grande diversité de notions à maîtriser.

La classification du risque à couvrir, tout d'abord, recèle une réelle complexité dans sa définition avec trois types de risques dits « courants » (faibles, ordinaires, importants) cohabitant avec des risques dits « particuliers » sur certaines zones (zones d'activité, bâtiments agricoles...). Ensuite, les règles relatives au besoin en eau varient en fonction du classement du risque. Selon le RNDECI, la quantité d'eau s'établit à un minimum de 30 m 3 utilisables sur une durée d'une heure (ou instantanément) pour un risque courant faible, à une fourchette comprise entre 60 m 3 et 120 m 3 utilisables en une ou deux heures (ou instantanément), pour un risque courant ordinaire, et peut dépasser les 120 m 3 en deux heures (ou instantanément) pour un risque courant important. En outre, les règles de distance entre la zone à défendre et le PEI varient elles aussi, cette distance étant soit de 200 m, soit de 400 m selon les cas et/ou les départements. Enfin, les règles d'intervention des SDIS , leurs objectifs en termes de délais d'intervention et le dimensionnement de leurs équipements (en véhicules, en équipements de protection...) nécessitent un fort investissement préalable avant d'être intégrés par un non-professionnel de l'incendie.

Certes, il faut mentionner in fine qu'une offre d'expertise tend à se développer de la part de sociétés ou de cabinets privés. Toutefois, cette expertise privée a un coût élevé (de l'ordre de plusieurs dizaines de milliers d'euros, en fonction des besoins et de la taille du territoire concerné) que beaucoup de communes ne peuvent pas assumer.

3. Des règles insuffisamment adaptées aux territoires

L'un des principaux paradoxes de la DECI, telle que mise en oeuvre aujourd'hui, réside dans des règles insuffisamment adaptées aux territoires, alors même que l'un de ses piliers est supposé être la décision décentralisée et en adéquation avec les spécificités territoriales . Visant à rompre avec une approche trop indifférenciée et à adapter au plus près des réalités du terrain les règles applicables, l'esprit de la réforme de 2011 a été soit perdu de vue, soit rogné par le délicat passage à la pratique. Dans tous les cas, la situation actuelle suscite beaucoup d'interrogations et de mécontentements de la part des élus locaux.

À ce titre, comment comprendre qu'une distance unique s'applique sur un même département , surtout lorsque celle-ci est aussi restrictive que dans le département de l'Eure où la règle des 200 m s'impose même pour un risque courant faible avec les conséquences que cela implique en matière budgétaire, d'urbanisme et de développement (cf. partie II E.). Dans la plupart des départements en effet, des cas de figure extrêmement divers peuvent se présenter, avec des agglomérations, des bourgs, des centres-bourgs, des hameaux, des maisons isolées... Ces spécificités territoriales ne s'accommodent pas d'une règle uniforme à l'échelle du département. En outre, si de nombreux RDDECI distinguent les zones urbaines où la distance peut être de 200 m et les zones rurales où elle est généralement de 400 m, même une commune située en zone urbaine comprend très souvent des hameaux ou des habitations isolées qui sont excentrés dans des zones plus rurales. Cette distinction, comme l'ont souligné les maires de Seine-Maritime, n'est donc pas suffisante.

Ainsi que l'a souligné la DGSCGC auprès de vos rapporteurs, des éléments de souplesse ont parfois été introduits . La DGSCGC pointe ainsi des volumes d'eau demandés de 10 m 3 en Savoie ou de 15 m 3 dans le Cantal. De même, des dispositions particulières prévoient des volumes inférieurs à 30 m 3 pour les îles du Finistère (Ouessant, Sein, Batz et Molène). Dans les Pyrénées-Atlantiques, le RDDECI précise que, pour un risque courant faible, « la distance entre le point d'eau et le risque varie de 200 à 400 mètres par les voies d'accès (longueur qui correspond à la longueur de tuyaux d'alimentation dont sont dotés les fourgons pompe-tonne), pouvant aller jusqu'à 2 000 mètres (longueur de tuyaux dont sont dotés les camions dévidoirs) » 21 ( * ) . Enfin, certains RDDECI acceptent même l'absence de DECI pour l'habitat isolé de moins de 50 m 2 (dans le Cher, l'Ain, le Cantal, la Drôme, les Deux-Sèvres et le Tarn, par exemple), les chalets d'alpage (en Savoie) ou les refuges de moyenne montagne (dans le Doubs). Pour louables qu'elles soient, ces initiatives restent trop isolées et ne font pas une politique d'ensemble cohérente .

À rebours d'une souplesse et d'une adaptabilité indispensables mais trop rarement rencontrées, l'absence de discernement et la rigidité paraissent souvent davantage caractéristiques de la conception guidant aujourd'hui la DECI. La commune de Heurteauville (Seine-Maritime), par exemple , compte 304 habitants et se situe sur un étroit cordon dunaire de 7 km. Son maire l'a décrite auprès de vos rapporteurs comme « coincée entre la Seine d'un côté et par les étangs de la Harelle de l'autre. De nombreux canaux, fossés et mares complètent notre territoire ». Récemment contrôlées par le SDIS, les bouches à incendie de cette commune ont toutes les quatre été déclarées non conformes, leur débit étant insuffisant (compris entre 0 m 3 et 22 m 3 ). Or, étant en bout du réseau d'eau potable, cette commune « ne pourra jamais obtenir un débit en m 3 suffisant pour répondre à la norme. En effet, le service des eaux ne pourra jamais installer une conduite plus large, car la consommation d'eau du village ne pourra pas vider suffisamment la canalisation, et l'eau sera impropre à la consommation, en raison de sa trop longue stagnation dans cette canalisation » 22 ( * ) . Il est regrettable que, dans un cas comme celui-ci, la Seine longeant la commune ne puisse pas être mise à profit au titre de la DECI.

Cet exemple illustre le fait qu'au-delà des difficultés financières, les communes rencontrent parfois des difficultés techniques pour se conformer au RDDECI. Comment implanter une bouche d'incendie si le débit ne le permet pas ? Comment implanter une citerne incendie, souvent peu esthétique, si l'on ne dispose pas d'un terrain pour le faire ?

Au final, l'absence de proportionnalité entre les mesures à prendre et le risque réel à couvrir se paie chèrement dans les territoires déjà les plus en difficulté et ceux disposant de moins de marges de manoeuvre financières, à savoir les territoires ruraux en premier lieu.


* 20 Les rares études menées ont concernées les conséquences financières du RDDECI sur les communes.

* 21 Ce RDDECI ne précise toutefois pas les cas dans lesquels la distance de 2 000 m trouve à s'appliquer.

* 22 Courrier du 4 mars 2021.

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