C. LE POIDS DES DÉPENSES CONTRAINTES DANS LE BUDGET DES FRANÇAIS, SYMBOLISÉ PAR LES DÉPENSES RELATIVES AU LOGEMENT

« Avoir un toit sur la tête » reste un objectif prioritaire pour la plupart des Français qui aspirent à une certaine sécurité. Chaque foyer a besoin d'un logement. Le logement est le premier poste de dépense des ménages et plus particulièrement de leurs dépenses pré-engagées. France Stratégie, dans une note d'analyse récemment publiée 59 ( * ) , a mis en évidence la hausse de cinq points de ces dépenses entre 2001 et 2017, passant de 27 à 32 % et le poids toujours plus important des dépenses de logement qui en représentent 68 %. Au-delà de ces chiffres, l'étude met en évidence l'inégalité croissante entre ménages pauvres et aisés (désormais l'écart est de 13 points : 41 %/28 %), entre ménages selon qu'ils sont locataires ou déjà propriétaires dégagés d'emprunts et donc entre générations, et, enfin, ces évolutions comme facteur explicatif du décrochage entre pouvoir d'achat réel et perçu du fait de la baisse du « revenu arbitrable », c'est-à-dire réellement disponible pour les autres dépenses.

Dans ces conditions, accéder au logement, le conserver en cas de « coup dur », faire face à son mauvais état et à « la précarité énergétique » sont autant d'inquiétudes ou de difficultés qui sont les marques d'une précarisation face à un bien essentiel pour soi-même et sa famille.

1. Accéder au logement

Or, les Français sont confrontés à des tensions de plus en plus fortes sur le marché du logement qui les paupérisent et les fragilisent. La politique menée par le Gouvernement depuis 2017 a aggravé la situation en fragilisant le logement social et en réduisant les aides personnelles au logement qui sont la principale aide pour les ménages les plus pauvres. Enfin, si le développement du logement social reste essentiel, la difficulté d'y accéder fait ressortir le besoin de logements intermédiaires dans les grandes métropoles.

a) Des tensions croissantes sur le marché du logement qui précarisent les ménages français

La France est l'un des pays d'Europe où on construit le plus de logements. La Direction générale du Trésor 60 ( * ) avait d'ailleurs, en 2020, montré que le nombre de nouveaux logements dépassait le nombre de nouveaux ménages. Entre 2010 et 2017, le parc de logements en France a crû à un rythme moyen de plus de 370 000 unités par an du fait de la construction de nouveaux logements, tandis que le nombre de ménages n'a augmenté que de 240 000 par an, reflétant à parts environ égales l'augmentation de la population et la réduction de la taille des ménages. Au global, le nombre de logements dépasse le nombre des ménages. En 2018, on comptait ainsi 29 millions de ménages pour environ 36 millions de logements. Cela implique que près de deux logements sur dix ne sont pas occupés en tant que résidence principale par un ménage.

Par ailleurs, la France reste un des pays d'Europe qui consacre le plus d'argent à sa politique du logement, 38,5 milliards d'euros et 1,5 % environ de son PIB selon le rapport de la Cour des comptes sur la stratégie des finances publiques pour la sortie de crise de juin 2021 61 ( * ) .

Pour autant, s'il n'y a donc pas de crise générale du logement, il y a de forts déséquilibres et des tensions géographiques sur le marché du logement qui ont été soulignées par le rapport 2021 de l'Observatoire des territoires 62 ( * ) de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Ainsi, en 2018, en moyenne seule une demande de logement social sur 4,4 était satisfaite mais une l'était sur 9,5 en Île-de-France . Cette tension s'exerce encore plus fortement au détriment des moins de 30 ans dont le taux d'attribution a chuté de six points entre 2016 et 2019, selon l'Agence nationale du contrôle du logement social (Ancols) 63 ( * ) .

Et, comme un négatif ou un miroir de la même réalité, l'Observatoire des territoires fait ressortir une « diagonale du vide » des logements vacants et les zones où les résidences principales sont en situation de sur-occupation.

En plus de ces tensions sur le marché du logement, les ménages sont confrontés à une paupérisation face à la hausse des prix de l'immobilier qui n'est pas spécifique à la France. L'OCDE, dans son rapport intitulé Pierre par pierre, bâtir de meilleures politiques du logement paru en juin 2021 64 ( * ) , a relevé que le poids du logement dans les dépenses des ménages avait progressé de 20 % entre 2005 et 2015. Il représente 31 % du revenu des ménages intermédiaires. En France, les prix hors inflation des logements ont progressé de 88 % en vingt ans. Il faut en moyenne quinze ans de revenu pour acheter 100 m², cinq ans de plus qu'en 2000. Cette dynamique qui paupérise les ménages rend également difficile l'équilibre des programmes de logements locatifs sociaux ou intermédiaires.

Cette paupérisation relative a aussi un impact sur le parcours résidentiel des Français qui est très marqué en fonction de la classe d'âge et qui a tendance à se figer . Pour simplifier, un jeune ménage commence comme locataire dans le parc privé puis selon ses possibilités accède au parc social ou à la propriété (70 % des plus de 60 ans sont propriétaires contre 5 % des moins de 25 ans). L'Insee, dans son rapport France, portrait social 2020 65 ( * ) , a produit le graphique ci-dessous sur la base de l'enquête nationale logement de 2013 qui est particulièrement explicite sur la chronologie des statuts d'occupation des ménages en fonction de leur âge.

Source : Insee

Selon la même ligne de vie, un ménage subit la sur-occupation de son logement alors qu'il a de jeunes enfants puis va bénéficier de plus d'espace à leur départ ou s'il peut acquérir une maison individuelle. Toujours selon l'enquête de 2013, l'Insee considérait que 13,1 % des personnes souffrent du surpeuplement de leur logement mais 26,2 % en habitat collectif et 5,6 % en habitat individuel, donnée stable depuis 2006, la taille moyenne des logements n'augmentant plus (90 m² depuis 20 ans) et alors même que le nombre d'occupants par logement a nettement baissé passant de 2,7 en 1984 à 2,2 en 2018.

L'Atelier parisien d'urbanisme (APUR), dans une note d'avril 2020 66 ( * ) , a fait ressortir cette évolution générationnelle sur le territoire de la métropole du Grand Paris au-delà des critères géographiques et sociaux :

Le blocage de ce parcours résidentiel intimement lié à l'ascenseur social ou sa remise en cause est une explication importante de la fragilisation des Français par rapport au logement. Cela a pu expliquer en partie le mouvement des « gilets jaunes », comme l'a souligné l'universitaire Jean-Claude Driant lors de son audition. Il a également remarqué que la non-appétence pour la propriété et la préférence pour l'usage partagé plutôt que la possession, que beaucoup d'analystes attribuent aux jeunes générations, seraient plutôt les manifestations d'une rupture générationnelle et d'une incapacité à accéder à la propriété. La montée de la colocation apparaîtrait plus comme une adaptation pour faire face à la crise économique et à la cherté du logement que comme un réel choix.

b) Le mal-logement, un phénomène massif de précarisation

Ces tensions et cette fragilisation expliquent que la France soit confrontée à un phénomène massif de mal-logement.

Dans son rapport de 2018 sur le mal-logement 67 ( * ) , l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) , a cherché à définir le mal-logement. Cette notion va au-delà du sans-abrisme qui relève de la privation de logement et intègre une dimension d'inadéquation du logement qui peut avoir une dimension prescriptive ou normative d'une situation à résoudre telle que la promeut la Fondation Abbé Pierre dans le rapport annuel qu'elle publie depuis 1996.

L'ONPES a retenu trois critères d'analyse :

- les conditions d'habitat qui s'écartent des normes d'occupation, de soutenabilité financière, de confort ou d'habitabilité,

- la perception des personnes sur leur situation,

- l'existence de risques sanitaires et sociaux.

L'ONPES s'est ensuite principalement attaché à la situation des ménages à bas revenus des déciles 1 et 2 puis des déciles 3 et 4, dits « modestes ». Il en ressort que ces ménages sont plus jeunes et plus urbains, confrontés dans les grandes métropoles au coût du logement. Néanmoins, les conditions de confort sanitaire de l'habitat ont beaucoup progressé et ce sont maintenant des questions de bruit ou de précarité énergétique qui ressortent. En revanche, le surpeuplement persiste.

Mais le principal problème pour ces ménages à bas revenus est la hausse de leur taux d'effort pour se loger . Il est passé de 26,2 % en 2002 à 33,6 % en 2013 et atteint 42,4 % dans le parc privé. Ce taux d'effort supérieur à 40 % ne touchait que 15 % des ménages à bas revenus ou modestes en 2001, il en concerne 23,2 % en 2013, soit 2,6 millions de ménages .

La Fondation Abbé Pierre , dans son 26 e rapport sur l'état du mal-logement en France paru en février 2021 68 ( * ) , actualise les données de l'enquête de l'Insee de 2013 et regroupe d'autres données pour estimer le nombre de personnes mal-logées ou fragilisées par rapport au logement.

Elle dégage un premier groupe de 4,1 millions de personnes mal-logées . Il comprend plus d'un million de personnes privées de logement personnel dont 300 000 personnes sans domicile, 25 000 vivant à l'hôtel, 100 000 dans des habitations de fortune et 643 000 de manière contrainte chez des tiers.

S'y ajoutent environ 2,8 millions de personnes vivant dans des conditions de logement très difficiles comprenant 2 millions dans des logements privés de confort et/ou 934 000 dans une situation de surpeuplement accentué, soit manquant d'au moins deux pièces.

Enfin, la Fondation Abbé Pierre comptabilise dans cette catégorie des gens du voyage et des résidents de foyers de travailleurs migrants non traités, soit 230 000 personnes.

Le second groupe compte 12,1 millions de personnes fragilisées par rapport au logement dont 1,1 million de propriétaires occupants dans des copropriétés dégradées, 1,2 million de locataires en impayés, 4,2 millions de personnes en situation de surpeuplement modéré, 3,5 millions de personnes souffrant de précarité énergétique et 5,7 millions de personnes devant faire un effort financier excessif pour se loger (plus de 35 % de leurs revenus).

Au total, sans double-compte, la Fondation Abbé Pierre estime à 14,6 millions les personnes ayant des difficultés de logement dans notre pays .

c) Une politique gouvernementale qui rend plus difficile l'accès au logement social

L'accès au logement social lui-même est largement dépendant de la construction de logements sociaux en zones tendues. S'il est utile d'assurer une attribution plus transparente des logements ou de donner une priorité aux travailleurs clefs, comme l'a prévu le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale 69 ( * ) . Il est avant tout indispensable de proposer plus de nouveaux logements et donc d'en construire plus.

Or, l'année 2020 a été marquée par une chute très importante du nombre de logements agréés qui a plafonné à 90 000 environ contre 110 000 les années antérieures.

Cette chute est loin d'être seulement conjoncturelle car elle est continue depuis 2017 ( cf . graphiques ci-dessous) :

Source : Fondation Abbé Pierre

En réalité, depuis 2017, le Gouvernement mène une politique qui conduit à l'affaiblissement du logement social. Il considère que la France dépense trop sur ce sujet par rapport aux autres économies de l'OCDE (rapport du comité Action publique 2022 de 2018 70 ( * ) ) et en a fait une source d'économies budgétaires pour rétablir l'équilibre des finances publiques au début du quinquennat, comme l'a montré la Cour des comptes dans la partie consacrée aux aides personnelles au logement de son rapport public annuel pour 2020 71 ( * ) .

C'est dans ce but qu'il a décidé d'imposer d'une part une réduction des APL de 5 euros et d'en faire porter l'essentiel du coût sur les bailleurs sociaux en leur imposant la réduction de loyer de solidarité, la RLS, qui représente une ponction de 1,3 milliard d'euros par an.

En outre, il a procédé à une réforme des APL pour qu'elles soient calculées sur les douze derniers mois glissants de revenu. Cette réforme non paramétrique a été conçue dans un contexte économique favorable où une économie de plus d'un milliard d'euros par an était attendue sans la restituer au logement social.

Parallèlement, il a mené une politique de prédation à l'encontre du groupe Action Logement, héritier du 1 % logement, en procédant à des prélèvements de plus de 1,8 milliard d'euros en deux ans sur sa trésorerie. Il a menacé de réformer le groupe de force par voie d'ordonnance, de baisser la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC), et d'étatiser sa collecte et sa gestion.

Enfin, le Gouvernement a poussé les bailleurs à faire de la vente de leur patrimoine une modalité normale de financement. 40 000 ventes par an étaient initialement envisagées. Si un garde-fou existe dans le cas des communes SRU déficitaires, on peut s'interroger sur la cohérence de l'objectif avec la volonté affichée de construire plus de logements sociaux.

Globalement, l'effort financier public en faveur du logement s'établit à environ 1,5 % du PIB, son niveau le plus faible depuis 15 ans :

Source : Fondation Abbé Pierre

En réalité, comme a pu le montrer l'universitaire Jean-Claude Driant, dans un article intitulé « Menaces sur le logement social » 72 ( * ) , le Gouvernement vise à un changement de modèle du logement social, l'abandon du modèle généraliste français issu de l'après-guerre et du 1 % logement vers un modèle résiduel anglo-saxon réservé aux plus pauvres dont la Cour des comptes, dans son rapport sur la stratégie des finances publiques, s'est faite l'écho. Ce changement de modèle a aussi pour but de modifier les circuits de financement en passant de la solidarité nationale à l'autofinancement voire aux investisseurs de marché, comme cela a été évoqué dans un rapport de juillet 2019 de l'Inspection générale des finances et du Conseil général de l'environnement et du développement durable 73 ( * ) , plutôt que les subventions publiques et les fonds dédiés (Livret A, Participation des employeurs à l'effort de construction).

Ainsi, au-delà des tensions déjà fortes pour accéder au logement et au logement social en particulier, la précarisation de la situation des Français est accentuée par une politique délibérément défavorable au logement social en baissant ses financements .

d) Les APL, aide sociale ou source d'économies budgétaire ?

Comme indiqué précédemment, le Gouvernement a pris la décision en 2017 de baisser les aides personnelles au logement et a mis en oeuvre en 2021 la contemporanéisation de leur calcul.

La Fondation Abbé Pierre chiffre les économies accomplies sur les allocataires des APL par l'actuel Gouvernement à près de 10 milliards d'euros depuis 2017 sur la base des chiffrages réalisés par la Cour des comptes et par le Sénat à l'occasion de l'adoption de la proposition de loi de Mme Cécile Cukierman et plusieurs de ses collègues sur l'efficacité des APL 74 ( * ) :

Source : Fondation Abbé Pierre

Les APL bénéficient à 20 % des ménages français, soit 6,6 millions. Elles représentaient un budget de 17 milliards d'euros en 2019, soit 40 % des dépenses publiques pour le logement .

Source : Cour des comptes, Rapport public annuel 2020

Ce qui caractérise principalement les APL, c'est qu'elles bénéficient aux ménages les plus modestes.

Les locataires (y compris les résidents de foyers) représentent 94 % des bénéficiaires et 96 % des prestations . Parmi ceux-ci, les ménages logés dans le parc non conventionné , qui bénéficient des allocations de logement (AL), sont majoritaires (55 %). 500 000 ménages résident dans des foyers (foyers de personnes âgées, de travailleurs migrants, de jeunes travailleurs, de personnes handicapées, résidences sociales et pension de famille en APL, chambres de foyers universitaires, maisons de retraite, foyers de jeunes travailleurs en ALS). Les bénéficiaires des aides personnelles au logement sont en majeure partie des ménages sans enfants, ainsi on compte 53 % de personnes seule et 7 % de couples sans enfant . Il est à noter que les étudiants ne représentent qu'un effectif de 789 000 bénéficiaires (12 % de la population concernée). S'ajoutent à eux 446 000 bénéficiaires de moins de 25 ans non étudiants, soit 6,8 % de la population concernée. Les personnes âgées de plus de 60 ans représentent quant à elles 19 % des ménages (soit 1 130 000 bénéficiaires).

La répartition des bénéficiaires (hors étudiants) selon leur revenu imposable N-2 brut est décrite dans le graphique ci-après :

Source : Questionnaire budgétaire PLF 2020

Parmi les bénéficiaires, 96 % des ménages disposent d'un revenu imposable brut inférieur à deux SMIC et 70 % inférieur à un SMIC. En moyenne, ce revenu est de 0,73 SMIC par ménage . L'aide moyenne est de 218 euros par mois.

Dans son Rapport public annuel 2020, la Cour des comptes souligne que les APL jouent un rôle central dans la redistribution monétaire au profit des plus modestes, soit un tiers de l'effort de redistribution en direction des ménages du premier décile de niveau de vie qui constituent 75 % des bénéficiaires. Les aides personnelles au logement couvrent en moyenne 49 % du loyer hors charges en cas d'APL, 36 % en cas d'ALF ou d'ALS.

La Cour des comptes remarquait donc que la baisse uniforme des APL et les mesures d'économie décidées depuis 2017 soulevaient des interrogations en termes d'équité .

De fait, François Adam, Directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) du ministère du logement, a indiqué lors de son audition que les APL jouent un rôle important pour réduire le taux de pauvreté
(- 2,2 points en moyenne) et plus spécialement auprès des moins de 25 ans qui ne peuvent bénéficier du RSA. Ce sont d'ailleurs les plus importantes allocations sociales devant le RSA en nombre d'allocataires. Leur impact est décisif pour solvabiliser les ménages en réduisant leur taux d'effort pour se loger et réduire l'intensité de la pauvreté.

Lors de son audition, l'économiste Pierre Madec de l'OFCE a, lui aussi, souligné l'aide décisive apportée par les APL aux ménages les plus pauvres mais il en a également montré les limites croissantes, évoquant une forfaitisation progressive les empêchant de jouer tout leur rôle. En effet, depuis 2000, leur revalorisation n'a pris en charge qu'environ la moitié des hausses des charges et de loyers car elle est calculée sur un loyer de référence de plus en plus décalé par rapport aux réalités du parc privé. Ainsi, si les APL parviennent à ce que le taux d'effort des plus pauvres soit plus faible dans le parc social, ce n'est plus le cas dans le parc privé.

Il a mis en évidence un véritable décrochage de l'effort national en faveur des plus pauvres à travers des APL dont le montant se réduit depuis 2017 et représente une part plus faible du PIB.

Dans ce contexte et celui de la crise sanitaire, les premiers résultats consolidés de la mise en oeuvre du calcul contemporain des APL , c'est-à-dire sur les douze derniers mois glissants, étaient très attendus. Alors que, fin 2020, le Gouvernement s'attendait à réaliser une moindre économie, de l'ordre de 750 millions d'euros, ce qu'avait confirmé François Adam lors de son audition, le Gouvernement estime à la mi-juillet 2021 que l'objectif d'1,1 milliard d'euros sera finalement atteint malgré 240 000 allocataires de plus . Cela semble s'expliquer par le fait que la réforme a accentué les effets de la réévaluation annuelle habituelle des droits. Ainsi 38,2 % des allocataires ont vu leur niveau d'APL diminuer au 1 er janvier 2021 d'un montant moyen de 110 euros. Inversement, 25 % des allocataires ont vu leur niveau d'APL augmenter au 1 er janvier 2021 d'un montant moyen de 57 euros. Parmi eux, 115 000 allocataires n'auraient pas bénéficié d'APL en 2021 sans la réforme.

Au-delà du mode de calcul, le fait même que le Gouvernement réalise au coeur de la crise sanitaire une économie de 1,1 milliard d'euros sur une allocation sociale destinée aux plus pauvres interroge d'autant plus qu'elle n'est pas réaffectée au logement. Il ne s'agit pas non plus d'une réforme ponctuelle, les mécanismes d'indexation sur les revenus et de sous-indexation par rapport au coût du logement devraient au contraire progressivement accroître son impact sur la réduction de la dépense de l'État et donc réduire son effet solvabilisateur au profit des ménages les plus pauvres .

On assiste vraisemblablement à un tournant de la politique du logement qui depuis 1977 avait progressivement privilégié les aides à la personne par rapport aux aides à la pierre mais, cette fois-ci, l'objectif semble moins de réorienter l'effort que de le diminuer .

Son poids budgétaire supérieur à 2,4 milliards d'euros par an rendra très difficile tout retour en arrière dans une perspective de rétablissement des finances publiques .

e) La question du logement intermédiaire

La mission n'a pas souhaité retenir une définition fermée de la « précarisation », elle l'a plutôt analysée comme un phénomène dynamique qui touche différentes catégories de Français et notamment des ménages qui ne se seraient pas tournés au préalable vers les aides.

À cet égard, la hausse des prix immobiliers dans les grandes métropoles, beaucoup plus rapide que celle des salaires, est un élément de déclassement pour nombre de Français qui ne peuvent plus s'y loger.

C'est à ce problème que cherche à répondre l'offre de logement intermédiaire entre une offre sociale souvent inaccessible et un marché libre inabordable. On retrouve cette situation dans les zones dites « tendues » du marché du logement, c'est-à-dire l'Île-de-France, une partie de la côte méditerranéenne, le Genevois français, le Lyonnais et le Bordelais. Cela correspond aux zones A bis ou A du zonage créé en 2003 dans le cadre du dispositif d'investissement locatif « Robien ».

Un récent rapport, rendu au Parlement, de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) 75 ( * ) a mis en évidence ce besoin. Il a publié une carte des écarts de loyers entre le marché libre et les logements PLS, c'est-à-dire les logements sociaux financés en prêts locatifs sociaux et s'adressant aux ménages moins défavorisés. Dans les communes en rouge sur la carte ci-dessous, le loyer du marché libre est supérieur de plus de 30 % au loyer plafond des PLS.

Source : DHUP - Bureau FE5 - Rapport IGF-CGEDD précité

Or, compte tenu du manque de logements sociaux pour les populations à faible revenu, plus de la moitié des attributaires de PLS ont des revenus inférieurs au plafond des logements les plus sociaux (PLAI), c'est-à-dire financés en prêts locatifs aidés d'intégration.

Ce rapport estime que l'offre de logements locatifs intermédiaires ne dépasse pas 140 000 logements, 110 000 relevant des bailleurs sociaux et des investisseurs institutionnels et 30 000 environ d'investissements aidés réalisés par des particuliers, notamment à travers le dispositif « Pinel ». La moitié seulement serait située en zone A.

En revanche, le rapport évalue entre 320 000 et 560 000 le nombre de ménages en attente d'un logement intermédiaire . Il s'agirait à 80 % de jeunes actifs, seuls, en couple ou avec un enfant. Leur taux d'effort pour se loger (part du revenu qui est consacré au logement) est compris entre 22 et 33 %. Il s'agit de ménages dont les plafonds de revenus restent inférieurs à ceux des logements PLS. Ils se situent dans le troisième quartile de revenus .

2. Le maintien dans le logement, le risque d'une explosion des expulsions après la crise sanitaire

Après l'accès au logement, la question du maintien dans le logement est centrale pour beaucoup de ménages fragilisés soit par une rupture familiale, soit par une rupture économique ou la crise sanitaire.

Si des expulsions sont dans un certain nombre de cas nécessaires au regard du comportement du locataire et des droits du propriétaire ou, bien entendu, pour mettre fin au squat d'un domicile, elles doivent se conjuguer avec le droit au logement reconnu par la législation et surtout avec le constat qu'elles sont un traumatisme pour une famille qui se trouverait « à la rue ». C'est la raison pour laquelle, dans le contexte de crise que nous connaissons, il paraît nécessaire de chercher à conjuguer la prévention des expulsions avec la préservation des droits des propriétaires.

Il reste relativement difficile de quantifier cette fragilisation depuis la crise sanitaire car, si la perte du logement a suscité une très forte inquiétude, l'efficacité des filets de sécurité sociaux en a pour l'instant limité l'impact.

a) Impayés de loyer, de premiers signes de basculement ?

L'Agence nationale pour l'information sur le logement (ANIL), a créé dès le premier confinement, en mars 2020, un baromètre des consultations de son réseau départemental pour impayés de loyers ou expulsions.

Ce baromètre est le reflet de l'inquiétude des ménages qui ont consulté beaucoup plus fréquemment les agences départementales et notamment après les périodes de confinement dans la perspective de fin des trêves hivernales.

Nombre de consultations mensuelles d'avril 2020 à juin 2021

Source : ANIL

Mais au fur et à mesure de la crise, la typologie de la situation des ménages qui consultent les ADIL a changé laissant place à un nombre croissant de foyers confrontés à une situation d'impayés (stade aval) qui sont devenus majoritaires par rapport à ceux qui sont encore en phase amont :

Source : ANIL

Au 30 juin, selon l'ANIL, la dette locative est désormais constituée au moment où ils consultent pour trois quarts des ménages et 17 % déclarent qu'elle est liée à une baisse de leurs ressources en raison de la crise sanitaire .

Ce basculement dans la crise de certains publics , l'ANIL parvient également à le saisir en détaillant les différentes catégories de ménages qui consultent pour impayés en phase amont. Elle a observé en une année que, parmi les locataires du parc privé, alors que les salariés du privé sont habituellement majoritaires, ce sont désormais les personnes sans emploi, les indépendants et les étudiants qui sont majoritaires :

Source : ANIL

Cependant, selon les données de l'Observatoire des impayés de loyer mis en place par le ministère du Logement, il n'y a pas, à ce stade, d'augmentation des impayés . À l'été 2021, on remarquerait même une diminution du nombre d'allocataires de la CAF en situation d'impayés.

L'Union sociale pour l'habitat (USH), qui rassemble le mouvement HLM, ne note pas non plus de hausse significative après une alerte cet hiver mais qui s'explique sans doute pour des raisons techniques et par le nouveau mode de calcul des APL.

De son côté, la FNAIM n'a pas non plus relevé une augmentation des impayés mais a en revanche remarqué une hausse des résiliations de baux. En effet, le parc privé loge beaucoup de jeunes actifs qui ont eu pour solution défensive, face à la crise, d'abandonner leur logement indépendant et de rentrer chez leurs parents ne pouvant plus subvenir à leurs besoins après la perte de « petits boulots » comme typiquement dans la restauration. Ce phénomène va à l'encontre de la tendance de fond du marché français par rapport à d'autres pays européens qui est la décohabitation précoce des jeunes.

Cependant, les associations témoignent d'une inquiétude sur la précarisation des ménages à moyen et long terme. L'attention se porte donc sur les dispositifs de prévention.

b) Éviter une vague d'expulsions après la crise

Le député Nicolas Démoulin, qui a été auditionné par la mission, a mis en évidence, dans son rapport de décembre 2020 76 ( * ) , que si la prolongation de la trêve hivernale pendant la crise sanitaire pendant trois mois en 2020 et deux mois en 2021 avait permis de protéger les plus vulnérables, elle avait aussi conduit à constituer un stock inquiétant d'expulsions potentielles.

À l'été 2021, au moins 30 000 ménages seraient menacées d'une expulsion avec le concours de la force public (CFP) car si 16 000 à 17 000 expulsions ont été recensées en 2019 et 2018, 3 500 seulement ont été dénombrées en 2020. Selon les chiffres du ministère du Logement, sur ces 30 000 concours de la force publique, 2 000 ont déjà été exécutés au mois de juin.

Nicolas Démoulin préconisait donc une reprise maîtrisée des expulsions tout en améliorant l'indemnisation des propriétaires.

Ses propositions ont été globalement suivies par le ministère du Logement qui a transmis, le 26 avril 2021, une instruction en ce sens aux préfets de département. Ils doivent, d'ici au 1 er juin, établir un plan d'action poursuivant trois objectifs : réduire le stock des expulsions avec CFP à exécuter, échelonner la reprise des expulsions sur 2021 et 2022 en fonction des capacités de relogement et d'hébergement et limiter le nombre de nouveaux dossiers par une politique active de prévention.

Les préfets doivent prioriser les demandes en fonction de la fragilité des bailleurs, typiquement ceux dont les revenus dépendent de la location d'un seul bien, et des locataires, notamment ceux de mauvaise foi, portant atteinte à leur environnement ou refusant délibérément la reprise du paiement du loyer. A contrario , les plus vulnérables par l'âge, la santé, le contexte économique et social devraient être maintenus dans leur logement. C'est particulièrement le cas des ménages bénéficiant du droit au logement opposable (DALO). Par ailleurs, les préfets doivent éviter toute remise à la rue en proposant un relogement ou un hébergement, l'hôtel étant un dernier recours.

Enfin, pour prévenir les expulsions futures, les préfets sont invités à renforcer l'accompagnement social notamment auprès des ménages inconnus des services sociaux. Ils pourront pour cela s'appuyer sur les équipes mobiles de prévention des expulsions qui sont mises en place dans 26 départements afin de développer « l'aller vers » qui, dans cette matière comme dans les autres, doit être le nouveau modèle du travail social.

Carte des 26 territoires retenus pour l'expérimentation d'équipes mobiles
de prévention des expulsions locatives en 2021 et 2022

Le déploiement d'équipes mobiles de prévention des expulsions correspond à la mesure n° 18 de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté annoncée par le Premier ministre, le 24 octobre 2020. Cette mesure part du constat qu'il est souvent difficile de toucher les ménages du parc privé et d'obtenir leur concours dans les procédures de maintien dans le logement ou de relogement notamment pour établir un diagnostic social et financier (DSF), un décision contradictoire au tribunal ou mettre en place une médiation ou un apurement de la dette. Bien souvent cette difficulté résulte du fait que ces ménages ne sont pas connus des services sociaux. Nicolas Démoulin relevait que selon le Secours populaire, 45 % étaient de nouveaux demandeurs .

L'objectif est donc, de manière expérimentale, en 2021 et 2022, avec un budget total de 8 millions d'euros, soit de 120 000 à 200 000 euros annuels par département et permettant de financer trois à cinq postes équivalents temps plein, que 26 départements mettent en place ces équipes mobiles pour rencontrer les ménages concernés à leur domicile ou dans un lieu proche. Elles iront vers ces ménages, qui ne sont pas connus des services sociaux ou avec qui les services sociaux n'arrivent pas à entrer en contact, et les accompagneront à chaque stade de la procédure : le commandement de payer, l'assignation et la réalisation du DSF, le commandement de quitter les lieux et, enfin, le concours de la force publique. Selon les stades d'intervention, il s'agira d'établir un diagnostic des causes de l'impayé, d'élaborer un contrat d'engagement, d'accompagner ou de réaliser les démarches administratives pour le maintien dans le logement ou la demande d'un relogement. Il s'agira aussi d'informer les bailleurs sur l'ensemble des garanties mobilisables.

Si le dispositif est beaucoup trop récent pour en tirer un premier bilan, il résulte d'une réelle convergence de diagnostic et semble pouvoir répondre aux enjeux du maintien dans le logement .

Parallèlement, le Gouvernement a annoncé l'abondement de 20 millions d'euros du fonds d'indemnisation des bailleurs qui s'élèverait à 45 millions d'euros en 2021. Mais ces fonds restent toutefois très insuffisants : le rapport Démoulin avait chiffré les besoins d'indemnisation des propriétaires à 80 millions d'euros. Aujourd'hui, l'indemnisation n'est ni systématique, ni complète.

c) La remobilisation nécessaire des Fonds de solidarité pour le logement

Le Gouvernement a également annoncé 30 millions d'euros supplémentaires en soutien des fonds de solidarité pour le logement (FSL) qui sont gérés par les départements et les métropoles 77 ( * ) . À ce jour, près de 50 collectivités sur 120 ont déjà fait part de leur volonté de s'engager avec l'État et de signer une convention pour abonder leur FSL. Les premières conventions seront signées en septembre.

Globalement, les FSL sont un outil de moins en moins visible et de moins en moins utilisé. La connaissance de leur activité dépend d'ailleurs beaucoup des informations transmises par les gestionnaires :

Source : ONPE

Quoiqu'il en soit, les gestionnaires de ces fonds, destinés à aider les ménages à faire face à des impayés de loyer ou de charges, ne notent pas à ce stade de hausse des demandes . L'Assemblée des départements de France (ADF) a publié, mi-mars 2021, son deuxième baromètre sur la sollicitation des FSL départementaux. Sur 36 départements participant à l'enquête, seuls six font état d'une hausse des demandes . Les trente autres n'observent pas, ou très peu, de demandes supplémentaires. Pour répondre à cette hausse des demandes, certains de ces départements ont procédé à une révision des conditions de prise en charge comme le délai entre deux aides, l'obligation de reprendre le paiement du loyer dans le cadre de la crise sanitaire, les seuils ou les plafonds de prise en charge.

À l'instar du premier baromètre, les départements relèvent les mêmes profils de nouveaux entrants : salariés en contrats courts, saisonniers, intérimaires, intermittents du spectacle et autoentrepreneurs .

Ainsi, à ce stade, même si une grande vigilance reste de rigueur, les inquiétudes des associations qui les avaient conduites à demander à l'État d'abonder les FSL à hauteur de 200 millions d'euros dans le cadre de la crise sanitaire ne paraissent pas se confirmer.

3. La précarité énergétique
a) Un phénomène qui touche 3,5 millions de ménages et qui a un fort impact sur la société

Selon l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), 3,5 millions de ménages sont en situation de précarité énergétique en 2019 , soit une légère baisse par rapport à 2018 qui résulte des progrès de la rénovation mais aussi de la distribution du « chèque énergie » à 5,7 millions de ménages.

La précarité énergétique est donc un phénomène important qui résulte de plusieurs critères et demande à être caractérisé plus précisément. L'ONPE s'appuie sur un panier d'indicateurs dont plus particulièrement le taux d'effort énergétique, soit le pourcentage de ménage dépensant plus de 8 % de son revenu pour se chauffer et ayant un revenu par unité de consommation inférieur au 3 e décile. L'indicateur de ressenti de froid est également retenu. Il est obtenu par enquête auprès de 1000 ménages et est déclaratif. Il permet d'estimer le phénomène d'auto-restriction du chauffage. Les ménages sont considérés en situation de précarité énergétique s'ils ont souffert du froid plus de 24 heures en raison d'une mauvaise isolation, d'une panne, d'une coupure, du coût ou d'une installation insuffisante de chauffage.

Or, 14 % des Français déclarent avoir souffert du froid au cours de l'hiver 2019-2020 pendant au moins 24 heures. Cet indicateur est stable. La raison principale est la mauvaise isolation (41 %) suivie par les problèmes financiers (31 %).

11,9 % des Français dépensent plus de 8 % de leurs revenus pour payer les factures d'énergie . Ce résultat autour de 12 % est lui aussi stable depuis 2014. Ses variations sont un peu plus prononcées si on les corrige des données météorologiques.

Selon le baromètre énergie-info du médiateur de l'énergie, la consommation et la facture d'énergie préoccupent 79 % des Français. 71 % y voient une dépense importante. 53 % disent avoir limité le chauffage pour ne pas alourdir leurs factures en 2020 alors qu'ils n'étaient qu'un tiers en 2019 . 18 % disent avoir eu des difficultés à payer leurs factures alors qu'ils n'étaient que 10 % en 2013.

Plus de 670 000 ménages ont subi une intervention de leur fournisseur d'énergie suite à un impayé. 76 000 ont reçu une aide d'un FSL pour acquitter leurs factures.

Le Secours catholique a indiqué que, sur les 1,4 million de personnes accompagnées en 2019, 48 % font face à des impayés liés au logement ; c'était 60 % en 2010. 40 % des impayés concernent l'énergie avec une surreprésentation des ménages des zones rurales et périurbaines . Le montant de l'impayé était en moyenne de 750 euros.

Cette situation résulte pour partie du décrochage des minima sociaux par rapport au prix de l'énergie selon l'ONPE . Alors qu'au cours des trente dernières années le RMI puis le RSA sont restés relativement stables, les prix du gaz et du fioul ont augmentés de 50 à 100 %. Seule l'électricité a, pour l'instant, augmenté moins vite.

Source : ONPE

Dans ce contexte, le montant des dépenses énergétiques des ménages est reparti à la hausse et atteint en 2018-2019 ses points les plus hauts de 2012-2013 . Il est important d'observer que la précarité énergétique n'est pas uniquement liée au logement mais également aux capacités de déplacement. La dépense de carburant représente plus de la moitié des dépenses des ménages. Le pic observé correspond aussi à la crise des « gilets jaunes » qui a débuté en novembre 2018.

Source : ONPE

b) Un phénomène européen qui doit faire l'objet d'une stratégie globale

L'Institut Jacques Delors a publié, en février 2021, une note de réflexion intitulée « L'Europe a besoin d'une stratégie pour mettre fin à la précarité énergétique » 78 ( * ) qui a été développé par ses auteurs devant la mission d'information.

Ils relèvent qu'il n'existe pas de définition partagée de la précarité énergétique, l'observatoire européen utilisant 28 indicateurs. Cependant, quatre indicateurs principaux ressortent. Le premier est le nombre de foyers ne pouvant maintenir une chaleur suffisante dans leur logement. Cela concernerait 30 millions d'Européens. Le deuxième prend en compte ceux qui ne peuvent payer à temps leurs factures d'énergie, soit 6,2 % des Européens. Le troisième concerne les 15,5 % qui doivent consacrer une part excessive de leurs revenus aux dépenses énergétiques. À l'inverse, le cinquième regroupe une proportion similaire mais dépense notoirement moins que nécessaire face au coût que cela représenterait.

À ces éléments, l'Institut Jacques Delors ajoute le coût des transports et la « précarité énergétique estivale » de plus en plus importante avec le réchauffement climatique et la multiplication des canicules. D'ailleurs, la nouvelle norme de construction des bâtiments, la RE 2020, fixe des objectifs en degrés-heures (DH), soit le nombre d'heures d'inconfort ressenti dans un logement. Le seuil de confort d'été est lui fixé à 350 DH et il sera interdit de dépasser 1250 DH, soit une période de 25 jours durant laquelle le logement serait continûment à 30°C le jour et 28°C la nuit au moins. Outre l'isolation déterminante en hiver, le travail sur l'inconfort d'été implique une conception bioclimatique des bâtiments allant de la couleur des façades à des aménagements fixes limitant l'exposition au soleil, assurant la ventilation ou permettant une végétalisation.

Mais la précarité énergétique est le résultat de trois phénomènes : la mauvaise performance énergétique des bâtiments, les prix élevés de l'énergie et les faibles revenus de certains ménages . La pauvreté joue un rôle central mais elle n'explique pas tout, la qualité de l'habitat est très importante et peut protéger de la précarité énergétique ou au contraire l'aggraver.

Compte tenu de ces éléments, l'Institut Jacques Delors observe que les États membres oscillent entre deux stratégies : considérer la précarité énergétique comme une question sociale ou comme une question de politique énergétique .

La première approche conduit plutôt à apporter des solutions monétaires de court terme en facilitant le paiement des factures tandis que la seconde insistera sur le prix de l'énergie et la rénovation des bâtiments.

Il propose de retenir une approche mixte car, à court terme, il n'y a pas d'autres solutions que de traiter les impayés, tandis qu'aucune solution de long terme ne peut être obtenue sans élimination des passoires thermiques .

La mission est quant à elle convaincue qu'au regard du poids des dépenses d'énergie pour les ménages, les politiques de transition écologique doivent faire de la précarité énergétique une priorité pour éviter qu'elles ne se traduisent par un creusement des inégalités.


* 59 France Stratégie, « Les dépenses pré-engagées : près d'un tiers des dépenses des ménages en 2017 », Note d'analyse n° 102, août 2021 :

https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-na_102-depenses_pre-engagees.pdf

* 60 Direction du trésor, Publication Trésor-éco, juin 2020 : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/7145b891-8a10-48b7-bec1-d0ce58ac386f/files/acb6fa38-db71-4161-b096-b5148cff0089

* 61 Cour des comptes, « Une stratégie de finances publiques pour la sortie de crise », juin 2021 : https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2021-06/20210615-Rapport-strategie-finances-publiques-sortie-de-crise.pdf

* 62 Observatoire des territoires, « La France en douze portraits - Rapport 2019-2020 », février 2021.

* 63 Tableau de bord 2019 des attributions de logements sociaux :

https://www.ancols.fr/files/live/mounts/XNET_PRD-mount-mountPoint/INTERNET-PROD/Etudes%20et%20statistiques/DSET/2021%20DSET/DSET2021-08_TdB-attri-2019.pdf

* 64 OCDE (2021), « Pierre par pierre : Bâtir de meilleures politiques du logement », Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/78520651-fr

* 65 INSEE, « France, portrait social, Édition 2020 » : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4928952

* 66 APUR, « 1,8 million d'habitants du Grand Paris à l'étroit dans leur logement », note 173, avril 2020 : https://www.apur.org/fr/nos-travaux/1-8-million-habitants-grand-paris-etroit-logement

* 67 ONPES, « Mal-logement, mal-logés », 2 mai 2018 : https://onpes.gouv.fr/rapport-onpes-2017-2018-mal-logement-mal-loges.html

* 68 Fondation Abbé Pierre, « L'état du mal-logement en France 2021 », rapport annuel n° 26 : https://www.fondation-abbe-pierre.fr/actualites/26e-rapport-sur-letat-du-mal-logement-en-france-2021

* 69 Projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, texte adopté par le Sénat le 21 juillet 2021 (n° 144, 2020-2021), art. 22 : http://www.senat.fr/leg/tas20-144.html

* 70 Comité Action publique 2022, « Service public, se réinventer pour mieux servir », juin 2018 : https://www.modernisation.gouv.fr/files/2021-06/rapport_cap22_vdef.pdf

* 71 Cour des comptes, rapport public annuel 2020, février 2020 : https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-02/20200225-02-TomeI-aides-personnelles-logement_0.pdf

* 72 AOC, Menaces sur le logement social, Jean-Claude Driant, 27 novembre 2020 : https://aoc.media/analyse/2020/11/26/menaces-sur-le-logement-social?preview=true&fbclid=IwAR0IYjeLY3qqzoTHFX0cMuRePqjWT024H6Qd3ad6XDKfh1dlo0TUFO5aEKI?loggedin=true

* 73 IGF et CGEDD, « La diversification des sources de financement du secteur du logement locatif social », juillet 2019 :
https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/2019/2019-M-012-03_Logement%20social_version-publiable.pdf

* 74 Proposition de loi visant à garantir l'efficacité des aides personnelles au logement, texte adopté par le Sénat le 4 juin 2020 (n° 94, 2019-2020) : http://www.senat.fr/leg/tas19-094.html

* 75 IGF et CGEDD, « Développement de l'offre de logement locatif intermédiaire par les investisseurs institutionnels », avril 2021 : http://www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/013789-p_rapport_publie_cle0289de.pdf

* 76 Nicolas Démoulin, « Prévenir les expulsions locatives tout en protégeant les propriétaires et anticiper les conséquences de la crise sanitaire (Covid-19) », rapport remis au Premier ministre, décembre 2020 : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/RapportDEMOULIN-PEX.pdf

* 77 Créé par la loi n° 90-449 du 31 mai 1990, le FSL a ensuite été délégué aux départements et aux métropoles, par la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005. Chacun a désormais ses règles propres.

* 78 Institut Jacques Delors, « L'Europe a besoin d'une stratégie pour mettre fin à la précarité énergétique », policy paper n° 259, février 2021 : https://institutdelors.eu/wp-content/uploads/2021/02/PP259_210202_Precarite-energetique_Magdalinski_FR.pdf

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