E. RENFORCER LA LUTTE CONTRE LA PRÉCARITÉ ALIMENTAIRE ET L'AIDE AUX ASSOCIATIONS

1. Un accompagnement financier des associations de lutte contre la grande pauvreté qui doit s'inscrire dans la durée
a) Un effort financier important en faveur de l'aide alimentaire a été consenti en réponse à la crise

La précarité alimentaire constitue un enjeu central de la politique de lutte contre la grande pauvreté. En moins de 10 ans, le recours à l'aide alimentaire aurait presque doublé en France, passant de 2,8 millions à 5,5 millions de personnes 180 ( * ) .

Les associations entendues par la mission ont relevé deux caractéristiques remarquables des publics concernés par la précarité alimentaire : leur jeunesse (40 % des bénéficiaires des Restos du Coeur sont mineurs) et leur isolement (40 % de ce même public sont des personnes seules, souvent des femmes avec enfants).

La crise a entraîné une forte croissance du recours aux dispositifs d'aide alimentaire , estimée par les acteurs associatifs entendus par la mission entre 25 % (Restos du Coeur) et 40 % (épiceries solidaires), et en tout état de cause du même ordre que celle constatée lors de la crise de 2008.

Plus préoccupant encore, ces acteurs observent depuis le début de la crise l'apparition de nouveaux publics dans les centres de distributions et épiceries solidaires, notamment des jeunes, travailleurs précaires ou autoentrepreneurs. Une enquête menée en 2021 par la Fédération française des banques alimentaires révélait ainsi que près de la moitié des personnes interrogées déclaraient avoir recours à l'aide alimentaire depuis moins d'un an, et un tiers depuis moins de 6 mois.

Nicolas Champion, membre du Bureau national du Secours populaire français, a ainsi pu livrer un témoignage éclairant du déroulement de l'année 2020 du point de vue des associations :

« Pendant le premier confinement, des populations ont été précarisées très vite. Je pense notamment aux personnes vivant de petits boulots ou de missions d'intérim. Depuis la rentrée scolaire, nous sommes touchés de plein fouet par une vague de précarité chez les étudiants. (...) Ces publics qui ont basculé très brutalement dans la précarité se sont très vite trouvés en situation de précarité psychologique. À la suite du premier confinement, ils sont arrivés chez nous complètement désorientés, alors que l'organisation de la distribution alimentaire se faisait dans des conditions dégradées. Nous avons pu reprendre notre travail d'accompagnement et nos permanences d'accueil social. Nous avons innové. »

Face à ce constat, les pouvoirs publics, État et collectivités territoriales, ont su faire preuve d'une réactivité qu'il convient de saluer. En particulier, le lancement d'un plan d'urgence doté de 94 millions d'euros a permis :

- de compenser les surcoûts liés à la crise ;

- de financer des distributions de chèques d'urgence alimentaire ;

- de soutenir les actions des associations visant à maintenir l'accès aux biens essentiels (alimentation, hygiène) des publics précaires, et notamment les personnes sans domicile.

Pour l'année 2021 et les années suivantes, des financements européens conséquents devraient être mobilisés , avec notamment 132 millions d'euros sur 2020-2022 au titre de l'instrument de relance européen React-EU et 647 millions d'euros sur 2021-2027 au titre du Fonds social européen « plus » (FSE +) qui succède au FEAD.

b) Le soutien de l'État doit cependant s'inscrire dans la durée

En dépit des efforts financiers importants consentis par l'État en 2020, le caractère durable de l'impact de la crise sur la grande pauvreté impose de poursuivre le soutien aux associations.

Pour les années 2021 et 2022, le Gouvernement a mis en place, dans le cadre du plan de relance , un fonds de soutien aux associations de lutte contre la pauvreté , concernant principalement mais pas exclusivement les associations d'aide alimentaire, doté d'une enveloppe de 100 millions d'euros sur deux ans, et visant à financer des projets structurants de développement et de modernisation de ces structures. Le premier appel à projets, lancé fin 2020 et doté de 50 millions d'euros a rencontré un tel succès que le Gouvernement a finalement décidé de débloquer l'intégralité de l'enveloppe et d'annuler le second appel à projets initialement prévu courant 2021. Ce succès témoigne avant tout de l'importance des besoins des associations, raison pour laquelle les principales têtes de réseaux nationaux 181 ( * ) , qui comptaient sur le second appel à projets, ont adressé un courrier au Premier ministre réclamant le déblocage d'une nouvelle enveloppe de 100 millions d'euros.

Le rapporteur considère en effet que si les moyens supplémentaires issus du plan de relance sont bienvenus, ces derniers présentent un caractère très ponctuel, alors que les projets des associations qu'ils financent sont structurels.

Il convient donc de donner une meilleure visibilité aux associations sur la pérennité du soutien de l'État à moyen/long terme aux projets de modernisation des structures.

Proposition n° 46 : Donner une meilleure visibilité aux associations de lutte contre la pauvreté sur la pérennité du soutien de l'État à moyen/long terme aux projets de modernisation des structures.

En outre, à l'initiative du Sénat, le plafond du dispositif dit « Coluche » 182 ( * ) permettant de porter la déduction d'impôt sur le revenu au titre des dons aux associations de 66 % à 75 % s'agissant des dons aux associations de lutte contre la pauvreté a été relevé de 537 à 1 000 euros au titre des revenus 2020 183 ( * ) . Ce dispositif, consensuel sur les bancs du Sénat, a ensuite été reconduit des revenus 2021 184 ( * ) : les amendements identiques déposés respectivement par M. Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, et par M. Rémi Féraud, sénateur du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, visaient initialement à porter ce plafond à 1 500 euros, mais l'amendement a été adopté tel que sous-amendé par le Gouvernement pour maintenir à 1 000 euros le plafond exceptionnel en 2021. Enfin, l'amendement de la commission des finances adopté par le Sénat au projet de loi de finances rectificative pour l'année 2021 185 ( * ) , qui visait à proroger le relèvement du plafond en 2022, n'a pas été retenu dans le texte final.

Le rapporteur considère pourtant qu'un tel renforcement du « Coluche » conserve son utilité dans un contexte social durablement bouleversé par la crise . Le dispositif a montré une réelle efficacité en 2020.

Proposition n° 47 : Proroger le relèvement exceptionnel à 1 000 euros du plafond « loi Coluche » a minima jusqu'en 2022.

2. Des pistes d'amélioration du dispositif français d'aide alimentaire peuvent être esquissées

Les auditions ont par ailleurs mis en évidence plusieurs axes d'amélioration de notre dispositif de lutte contre la précarité alimentaire, qui pourraient constituer des priorités de développement dans le cadre du soutien durable aux structures que le rapporteur appelle de ses voeux.

Une première piste concerne la nécessité de mieux coupler aide alimentaire et l'accompagnement social plus global, en partenariat avec les travailleurs sociaux et les autres acteurs de l'insertion , ce qui est d'autant plus nécessaire que les publics concernés sont bien souvent victimes d'isolement. L'enquête précitée menée par la Fédération française des banques alimentaires montre en outre que 66 % des bénéficiaires déclarent un besoin d'accompagnement important ou très important. Les centres de distribution alimentaire constituent ainsi un lieu stratégique pour la rencontre des populations précaires et le développement des politiques d' « aller vers » 186 ( * ) .

Comme l'a souligné lors de son audition Yves Mérillon, responsable des relations institutionnelles des Restos du Coeur : « L'aide alimentaire est la porte d'entrée vers toute une série d'activités, d'actions d'inclusion sociale : soutien à la recherche d'emploi, accès à la culture, microcrédit, conseil budgétaire, accès au droit, lutte contre la fracture numérique... » .

Une seconde piste concerne l'accès à l'aide alimentaire en milieu rural, qui est aujourd'hui largement insuffisant. Ce constat tient à des problématiques d'accessibilité géographique, mais également à des facteurs psychologiques et culturels, bien résumés par Claude Baland, président de la Fédération française des Banques alimentaires auditionné par la mission :

« Vivre à la campagne est souvent associé à l'idée d'autosuffisance, chacun pouvant produire sa nourriture grâce à son jardin. Mais cela n'est pas toujours le cas ! La pauvreté y est souvent aussi perçue comme le résultat d'une insuffisance personnelle, d'un manque d'efforts. Beaucoup de maires nous disent d'ailleurs qu'il n'y a pas de pauvres dans leur commune ; cela complique nos démarches. Il faut aussi rappeler qu'il n'y a pas d'anonymat à la campagne : tout se sait ! Imaginez un car d'aide alimentaire dans un village : certains auront honte d'y aller, tandis que ceux qui s'y adresseront risqueront d'être l'objet de commérages - est-il aussi pauvre qu'il ne veut le faire croire ? Par pudeur, beaucoup n'osent pas révéler qu'ils n'arrivent pas à subvenir à leurs besoins. Si l'on distribue un chèque alimentaire sous la forme d'un bon d'achat, il est probable que ses bénéficiaires n'oseront pas aller acheter leurs produits à proximité immédiate de chez eux, de peur de révéler qu'ils sont en situation de dépendance. Pourtant, je suis persuadé que la misère dans les zones rurales est aussi forte que dans les métropoles : il suffit de penser à ces agriculteurs qui touchent des pensions de 700 ou 800 euros et qui n'ont plus la possibilité de cultiver leur jardin. »

Les structures d'éco-jardinages ou de jardins solidaires peuvent à ce titre constituer des alternatives aux centres de distribution classique pour favoriser le déploiement de la politique de lutte contre la précarité alimentaire dans les campagnes.

Proposition n° 48 : Renforcer les liens entre associations d'aide alimentaire, travailleurs sociaux et acteurs de l'insertion pour favoriser le couplage de la distribution de l'aide et de l'accompagnement social.

Proposition n° 49 : Aider les associations à développer l'aide alimentaire en milieu rural et/ou des structures d'éco-jardinage ou jardins solidaires avec une finalité d'aide alimentaire.


* 180 Inspection générale des affaires sociales, « La lutte contre la précarité alimentaire. Évolution du soutien public à une politique sociale, agricole et de santé publique », décembre 2019.

* 181 Fédération française des banques alimentaires, Croix-Rouge française, Restos du Coeur, Secours populaire français.

* 182 Article 200 du code général des impôts.

* 183 Article 14 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020.

* 184 Article 187 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 202.

* 185 Article 7 du projet de loi de finances rectificative pour 2021.

* 186 Cf. supra .

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