CONTRIBUTION DE GROUPES POLITIQUES

Contribution du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires

L'essor très rapide de la méthanisation sur une grande partie du territoire national suscite de fortes interrogations et de vives inquiétudes, de la méfiance voire de l'hostilité, pour un nombre croissant d'élus locaux et de citoyens.

Ces questionnements ne se limitent pas aux projets d'installation manifestement surdimensionnés, à l'instar de celui de Corcoué-sur-Logne en Loire-Atlantique, ou aux conséquences de l'accident d'exploitation survenu à Châteaulin dans le Finistère, en août 2019. Un peu partout en France, des élus locaux, des scientifiques, des responsables associatifs, des collectifs de riverains, ou de simples citoyens soulèvent la question de la compatibilité même du développement de la méthanisation, au regard des problématiques de la protection de l'environnement, de la politique énergétique, ainsi que de l'avenir de notre agriculture.

Tous ces sujets doivent faire l'objet d'une analyse objective et être placés au coeur du débat public.

En demandant la constitution de cette mission commune d'information, consacrée à la méthanisation dans le mix énergétique, ses enjeux et ses impacts, le groupe Écologiste Solidarité et Territoires a souhaité répondre à ces attentes.

La mission sénatoriale a activement travaillé sur ces sujets durant une période de six mois : son rapport est le fruit d'un travail collectif considérable, associant 23 Sénateurs issus de tous les groupes politiques du Sénat. Son contenu, de même que l'ensemble des recommandations et des propositions a fait l'objet in fine d'un vote, qui reflète les équilibres politiques majoritaires du Sénat.

Le rapporteur Daniel Salmon, Sénateur écologiste d'Ille-et-Vilaine, s'est attaché, conformément à son rôle institutionnel à rapporter, non pas pour le compte de son seul groupe politique, mais pour l'ensemble des parlementaires composant la mission, tout en faisant valoir la sensibilité écologiste et environnementale qui est la sienne. Nous nous félicitons qu'il soit parvenu à trouver ce point d'équilibre et que le rapport de la mission d'information ait été adopté.

Il appartient désormais au groupe Écologiste Solidarité et Territoires de faire valoir ses propres orientations et propositions sur la méthanisation, lesquelles recouvrent, pour une part, les analyses de la mission d'information, mais les dépassent également sur plusieurs points importants, pour une autre part. Tel est l'objet de la présente contribution.

Pour ce qui concerne le groupe Écologiste Solidarité et Territoires il convient d'aller plus loin sur plusieurs points clé, en particulier sur la question de l'équilibre entre réglementation et incitation. Les membres de la mission d'information ont certes majoritairement choisi de privilégier cette dernière voie, en mettant l'accent sur les nombreuses bonnes pratiques à valoriser dans ce domaine. Nous souhaitons donc des règles et des moyens en conséquence pour les services de l'État afin d'effectuer un vrai contrôle des pratiques. Une demande partagée avec le monde agricole.

En préambule, alors que le dérèglement climatique nous oblige à limiter et à terme arrêter la consommation d'énergies fossiles, nous insistons sur le fait que si l'usage la biomasse a un rôle important à jouer en matière de production d'énergie, il faut veiller à ne pas bouleverser les équilibres entre ses différents usages. En effet, la biomasse est essentielle dans la production alimentaire humaine et animale, la production de fibres, de fumure ainsi que pour la faune et la flore. Sa contribution à satisfaire les besoins en énergie doit rester limitée, au risque de voir les sols agricoles privés de matières organiques, et ce faisant nécessitant un appel à de plus en plus d'intrants chimiques. De plus concernant la biomasse issue des forêts, il faut s'inscrire dans le temps long et ne pas prélever davantage que l'équivalent de la captation annuelle de carbone pour éviter un déstockage.

Nous ne développerons pas ici les problématiques de la méthanisation propre aux ISDND et aux STEP. Nous avons là à faire avec de véritables déchets pour lesquels la méthanisation est un exutoire positif.

Concernant les déchets bio-ménagers, le tri à la source permet d'ouvrir deux possibilités, compostage ou méthanisation qui doivent être étudiées en fonction des objectifs territoriaux.

Ici, comme en agriculture, le terme de déchet est impropre car ces matières organiques ont une réelle valeur agronomique.

Il est important de rappeler que les projets de méthanisation ne doivent pas concurrencer la production alimentaire. Tout usage d'une culture dédiée pour la méthanisation, vient se substituer à un autre usage et peut dans certains cas conduire à des importations. Nous reprenons ici les propos de Marc Dufumier qui invite à s'interroger à chaque fois sur l'usage le plus pertinent d'une matière organique. Ainsi, une diminution du pourcentage maximum de cultures dédiées doit selon nous être envisagée (aujourd'hui fixé à 15% de la matière brute mais correspondant en cas d'atteinte de ce plafond à environ 25% de la matière sèche).

Dans le même sens, nous préconisons de proscrire l'emploi d'engrais de synthèse pour développer les cultures intermédiaires à vocation énergétique, dans la mesure où cette pratique ajoute de l'azote et dégrade le bilan carbone de la méthanisation, bien entendu l'usage de produits phytosanitaires sur les CIVE doit être proscrit car il viendrait encore dégrader la qualité des eaux.

Nous sommes également préoccupés par le risque que la méthanisation vienne renforcer un modèle agricole trop intensif et prédateur, qu'elle vienne insidieusement participer à l'agrandissement des structures, voire industrialiser l'agriculture et nous éloigner davantage de l'agriculture familiale et paysanne. Il est indispensable que la méthanisation reste une activité secondaire, une diversification visant à s'inscrire dans une logique d'économie circulaire et d'autonomie énergétique. Elle doit donc permettre d'orienter l'agriculture vers des pratiques plus vertueuses : rotation des cultures, diminution assumée des cheptels dans certaines régions, suppression des engrais chimiques, sortie des pesticides, limitation de l'irrigation, diversification des assolements, retour vers une polyculture élevage généralisée synonyme de résilience.

Nous considérons tout aussi nécessaire de quantifier avec prudence, lors de l'instruction des dossiers d'agrément des installations de méthanisation par les autorités administratives, le niveau prévisionnel des intrants internes à l'exploitation. L'unité de méthanisation doit être territorialisée et sa capacité doit être prudentielle, fondée sur une étude approfondie du gisement d'intrants propres à la ou les exploitations concernées. Les CIVE d'été sont en particulier soumises aux aléas climatiques. La capacité de l'unité de méthanisation ne devrait pas dépasser 70 % du gisement moyen mobilisable. Une priorité devrait être donnée à l'utilisation des fourrages pour la nutrition animale en cas de raréfaction de la ressource. D'autre part, il conviendrait de mettre en place de véritables contrôles pour les CIVE, afin de garantir qu'elles assurent pleinement leur rôle d'interculture et ne soient pas des cultures dédiées dissimulées. L'idée générale consisterait ici à éviter qu'un plan d'activité (business plan) initial excessivement optimiste ne condamne par la suite les agriculteurs à acheter de manière significative des intrants à l'extérieur ce qui dégraderait le bilan comptable comme le bilan carbone.

Concernant les intrants externes à l'exploitation, ils ne devraient pas constituer plus de 10 % de la totalité. Il serait de plus indispensable de mettre en place des contrats sur 15 ans entre fournisseurs de « déchets » et gestionnaires des méthaniseurs afin d'assurer l'équilibre du projet.

Nous jugeons également nécessaire d'introduire des seuils réglementaires supplémentaires, en limitant la distance parcourue par les intrants à 5 km pour les effluents d'élevage et 20 km pour les déchets issus de l'industrie agro-alimentaire (distance indicative à moduler selon les territoires).

En matière d'agronomie et d'impacts sur le monde rural, nous soutenons l'obligation, pour les digestats, de retourner vers les exploitations d'origine au prorata des intrants. La question du digestat et de sa capacité à non seulement maintenir mais augmenter de 4 pour mille par an le stockage de carbone dans le sol est un élément essentiel. La réponse donnée par les études en cours sera un élément décisif pour qualifier le bilan carbone de la méthanisation, son bilan agronomique et éventuellement réévaluer le soutien à la filière.

S'agissant du modèle économique, nous considérons que le plan d'activité des nouveaux projets d'unité de méthanisation soumis à l'agrément des pouvoirs publics devrait prévoir une limitation du recours à l'endettement sur 10 ans maximum, tandis que les tarifs sont garantis sur 15 ans. Nous souhaitons, là encore, protéger le cas échéant les agriculteurs en les préservant d'un business plan trop optimiste pouvant mettre à mal l'autonomie financière de leur exploitation.

En ce qui concerne la réglementation de la gestion des risques, le groupe Écologiste Solidarité et Territoires, juge nécessaire d'aller au-delà des trois arrêtés ICPE publiés en juin 2021, en envisageant une révision des seuils, par exemple avec la suppression du régime de déclaration, un régime d'enregistrement de 0 à 60 t/jour et une généralisation des autorisations au-dessus de ce seuil. Seuls la concertation et le débat démocratique sont à même d'éviter les oppositions frontales.

La formation des exploitants et la capacité à recruter du personnel qualifié sont également essentielles pour assurer la sécurité des installations.

En l'absence de méthaniseur, des systèmes de couverture des fosses existantes avec captation du biogaz émis sont très certainement à généraliser. Ils permettent avec un investissement modéré de récupérer du méthane - qui sans ce système part directement dans l'atmosphère - générant ainsi un bénéfice net pour l'environnement.

Un autre point de vigilance rarement évoqué : le bien-être animal. L'objectif de récupérer un maximum d'effluents d'élevage peut conduire à garder le cheptel en stabulation tout au long de l'année et le nourrir en permanence à l'auge. La vache dans le pré pourrait devenir un vague souvenir.

En définitive et d'une façon générale, il s'agit d'inscrire cette filière, plus fortement encore que cela est le cas aujourd'hui, dans une trajectoire réfléchie et durable sur le long terme avec l'affirmation que le regard des citoyens-contribuables sur ces dossiers est pleinement légitime. Chaque euro d'argent public doit être utilisé là où il est le plus efficace, dans la sobriété énergétique et/ou la production d'énergie renouvelable.

Comme le souligne le rapport de la mission d'information, l'objectif d'excellence environnementale apparaît effectivement « comme une condition non négociable, un prérequis indispensable à l'avenir de la méthanisation en France ». Mais nous devons être plus ambitieux encore, si nous voulons collectivement agréger les citoyens pour relever le défi de la transition écologique.

Telle est la voie que nous devons adopter pour parvenir à un modèle français de méthanisation agricole qui soit vertueux, respectueux de l'environnement, utile aux agriculteurs, utile aux citoyens.

Contribution de Jean-Claude Tissot, Thierry Cozic, Hervé Gillé
et Angèle Préville
Au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

La méthanisation s'inscrit au coeur de plusieurs enjeux très importants : l'environnement, la gestion des déchets, la politique énergétique et l'avenir de notre agriculture. Le récent développement de cette filière doit être accompagné par une réflexion construite et adaptée aux conséquences et aux potentialités. Ainsi, il est nécessaire d'être vigilant sur plusieurs points afin que la méthanisation soit intégrée dans notre bouquet énergétique, sans être créatrice d'externalités négatives pour l'humain, pour l'environnement et pour d'autres secteurs d'activité.

Premièrement, concernant les relations entre la méthanisation et la pratique agricole, il faut être particulièrement prudent sur le modèle que l'on souhaite installer. Les cultures dédiées à la méthanisation ne doivent pas rentrer en concurrence avec la production principale de l'exploitation agricole, que ce soit pour l'alimentation humaine ou animale. Les surfaces agricoles françaises ne doivent pas être progressivement accaparées par les différents usages de la méthanisation. Le plafond de 15 % sur les cultures alimentaires ou énergétiques, cultivées à titre principal, auxquelles les installations de méthanisation peuvent avoir recours, doit être scrupuleusement contrôlé. A terme, une proposition innovante pourrait être de valoriser fortement la tarification du biogaz revendu si l'exploitant s'engage à limiter l'utilisation d'intrants.

Deuxièmement, les recettes provenant de la méthanisation peuvent venir compléter les revenus des agriculteurs, mais il est nécessaire d'être vigilant sur la substitution progressive des revenus agricoles par ces recettes fortement subventionnées. De même, il existe un enjeu important sur la garantie du prix de revente de la ressource, notamment lors de la transmission ou de la vente des exploitations agricoles. En effet, dès l'installation du méthanisateur, les prix de revente sont garantis durant les quinze prochaines années. Ainsi, quelles sont les garanties de prix de revente pour les futurs exploitants ? Cette réflexion doit être prise en considération dans la logique où les méthanisateurs sont souvent considérés comme une valeur ajoutée et source de revenus stables pour les exploitations.

Troisièmement, à l'image de l'ensemble des énergies renouvelables, la méthanisation ne doit pas être pleinement privatisée et gérée dans des réflexions purement économiques. Les collectivités territoriales et les élus locaux doivent être pleinement associés, pour bâtir des projets de méthanisateurs à proximité immédiate des villes où la consommation est la plus importante. Nous rejoignons la proposition du rapport sur le renforcement de l'information des élus locaux sur les projets de méthanisation, à commencer par les maires des communes et les présidents des EPCI d'implantation. L'information des élus locaux, le plus en amont possible, est un impératif pour favoriser l'acceptabilité des projets dans les territoires.

Le développement de la méthanisation doit s'effectuer dans une logique de planification de notre politique énergétique et de respect de nos surfaces agricoles. Ainsi, il doit être progressif, conçu avec les acteurs locaux, adapté aux besoins territoriaux et doit prendre en compte les risques et les conséquences environnementales de cette filière. Les nombreuses incertitudes restantes sur cette filière justifient un développement raisonné et encadré de la méthanisation en France.

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