D. TABLE RONDE SUR LES RELATIONS DES ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR AVEC LES INSTITUTS CONFUCIUS (MERCREDI 1ER SEPTEMBRE 2021)

M. Étienne Blanc, président . - Nous avons le plaisir d'accueillir les représentants des cinq établissements d'enseignement supérieur qui coopèrent avec des instituts Confucius : pour l'université d'Orléans, M. Luigi Agrofoglio, vice-président chargé des relations internationales, et M. Guillaume Giroir, directeur de l'institut Confucius ; pour l'université de La Réunion, Mme Anne-Françoise Zattara-Gros, vice-présidente chargée des relations internationales, ainsi que, en visioconférence, M. Karl Tombre, vice-président de l'université de Lorraine chargé de la stratégie européenne et internationale, M. Pasquale Mammone, président de l'université d'Artois, et Mme Delphine Manceau, directrice générale de l'école de commerce Neoma de Reims.

Sur le même thème, M. le rapporteur entendra demain le président de l'université de Bretagne-Occidentale et, la semaine prochaine, le vice-président du conseil d'administration de l'université de Polynésie française.

M. André Gattolin, rapporteur . - C'est un plaisir de vous recevoir, et je tiens à souligner l'investissement des établissements d'enseignement supérieur dans les travaux de notre mission d'information.

Vos établissements ont tissé un partenariat avec un institut Confucius, signe d'ouverture internationale, marqueur de notre tradition académique. Toutefois, vous savez sans doute que les instituts Confucius ont récemment suscité des controverses. Sont mises en cause leurs relations avec le gouvernement chinois et leur possible influence sur le monde académique. En 2020, les États-Unis d'Amérique ont décidé de restreindre l'implantation de ces instituts en les classant comme des missions diplomatiques. La même année, la Suède a fermé l'ensemble de ses instituts Confucius. En France, on note une fermeture à Lyon et une suspension de partenariat à Nanterre après des accusations d'interférence.

Il nous paraissait donc indispensable, dans le cadre de cette mission, de recueillir l'expérience des établissements ayant noué ce partenariat. Il ne s'agit évidemment pas de remettre en cause l'ouverture internationale des établissements d'enseignement supérieur, qui est indispensable au rayonnement de la recherche française, mais d'assurer la meilleure articulation possible entre cette ouverture et la défense des libertés académiques.

À ce titre, toutes vos recommandations nous seront d'une aide précieuse.

M. Luigi Agrofoglio, vice-président de l'université d'Orléans chargé des relations internationales . - L'université d'Orléans a été l'une des trois dernières à ouvrir un institut Confucius, en 2019. Nous avons donc peu d'expérience, puisque la crise du covid est arrivée juste après.

L'université d'Orléans collabore avec diverses universités à travers le monde, et avec la Chine depuis plus de trente ans, en géosciences, dans le cadre de laboratoires dont certains sont labellisés zones à régime restrictif (ZRR). La formation en langue chinoise a d'abord été lancée sur le campus de Châteauroux ; il nous a semblé intéressant de la rapatrier sur le campus d'Orléans, où nous avons ouvert, dans le cadre de la composante LLSH - lettres, langues et sciences humaines -, un enseignement du chinois, deux jeunes maîtres de conférences étant titularisés.

Le climat était favorable, la région Centre-Val de Loire développant une relation de partenariat économique avec la province du Hunan. Quant à la métropole d'Orléans, elle partageait cette volonté de rapprochement avec la Chine. Nous avons ainsi poussé plus avant un projet qui était dans les tiroirs depuis un certain nombre d'années et créé cet institut Confucius avec la Central South University.

Cette expérience est très récente, comme je l'ai dit, et nous n'avons noté aucune interférence. Il nous semblait important de commencer par maîtriser l'enseignement du chinois via une approche très académique avant d'ouvrir ce partenariat à d'autres orientations et à d'autres étudiants qui ne seraient pas inscrits dans la composante langues étrangères appliquées (LEA) anglais-chinois. Très récemment, et en conformité avec le règlement général sur la protection des données (RGPD), nous avons ouvert des cours pour le test HSK (Hanyu Shuiping Kaoshi).

Nous sentons bien que le climat a changé et n'ignorons rien de tout ce qui est dit sur ces instituts Confucius. Nous avons à coeur de bien dissocier la sphère académique proprement dite de l'institut Confucius : les collègues chinois qui nous sont envoyés par l'université partenaire ne sont pas membres de l'université d'Orléans, donc n'ont pas accès à toutes les facilités informatiques associées à ce statut.

M. André Gattolin, rapporteur . - Quel est le profil de ceux qui suivent les enseignements ? Sont-ce des étudiants de l'université ou d'ailleurs, des professionnels, des retraités ?

M. Luigi Agrofoglio . - Nous avons eu beaucoup de retraités issus de l'université du temps libre et pour l'instant, peu d'étudiants de l'université. Nous devons faire connaître l'institut Confucius ; certains voient la Chine comme un partenaire important en sciences et trouveraient un intérêt à le rejoindre.

La première année, les enseignements étaient ouverts à tous, donc il y a même eu des élèves mineurs. La deuxième année, nous les avons fermés à ces derniers, qui n'entrent pas dans notre périmètre. Pour l'instant, la majorité des étudiants sont extérieurs à l'université d'Orléans et 20 à 30 % en sont issus.

M. André Gattolin, rapporteur . - Y a-t-il un institut d'études chinoises au sein de l'université d'Orléans ? L'ancien président de l'université Paris 8 Nanterre a évoqué la complexité de la coexistence entre l'établissement d'études chinoises de l'université et l'institut Confucius.

M. Luigi Agrofoglio . - Non, nous n'avons pas d'institut d'études chinoises. En revanche, nous offrons un cursus de langue chinoise au sein du département de lettres et sciences humaines (LSH), à Châteauroux depuis plus de dix ans et à Orléans depuis trois ou quatre ans.

M. Guillaume Giroir, directeur de l'institut Confucius de l'université d'Orléans . - La faculté de lettres compte un département de japonais, mais pas de chinois. Les deux maîtres de conférence de chinois relèvent du département de LEA, tant à Orléans qu'à Châteauroux.

L'institut Confucius a accueilli 78 étudiants, dont 32 mineurs en 2019-2020, avec une forte demande de familles franco-chinoises désireuses de voir leurs enfants se réapproprier la langue chinoise. Il nous est ensuite apparu souhaitable de ne plus donner de cours aux mineurs. En 2020-2021, nous sommes passés à 49 étudiants, mais nous avons dénombré 66 inscriptions puisque certains étudiants se sont inscrits à plusieurs cours.

Nous sommes pionniers dans l'application du RGPD, qui nous a été fortement recommandée par le service juridique de l'université d'Orléans. Nous avons rédigé un avenant à la convention de création de notre institut, sur lequel j'essaie de sensibiliser les autres instituts Confucius. En effet, certains d'entre eux réalisent des tests de chinois à domicile, en totale non-conformité. Nous allons durcir notre procédure pour l'appliquer de manière intégrale.

Notre public est composé de retraités et de passionnés de la Chine - nous offrons des cours de calligraphie et de peinture -, mais aussi d'étudiants. Nous allons nous ouvrir à la formation professionnelle financée, via le service de la formation continue de l'université d'Orléans (Sefco). Nous avions déjà fait une tentative en ce sens il y a un an, mais elle n'a pas abouti pour des raisons tant sanitaires que diplomatiques, le contexte étant très pesant. Nous allons aussi proposer des formations internes destinées au personnel de l'université, à titre gratuit.

Étant géographe spécialiste de la Chine, je propose une vingtaine d'heures de cours sur le développement durable en Chine, de façon totalement libre, sans aucune pression de la partie chinoise. En revanche, on ne peut pas méconnaître l'autocensure. Si je voulais parler du Tibet au sein de l'institut Confucius, cela risquerait de poser des problèmes. Je ne peux pas dire qu'il y ait des ingérences manifestes, mais il y a des soupçons d'ingérences. Qu'ils soient fondés ou non, ils nous posent problème, notamment au niveau du conseil d'administration. Ces soupçons ont des répercussions délétères sur le statut administratif de l'institut, qui est un objet administratif mal identifié, soumis à des lourdeurs.

Ma recommandation serait d'ajouter aux conventions un avenant rappelant le respect obligatoire des libertés universitaires, conformément au processus de Bologne. Cela me paraît une condition de notre fonctionnement dans une société démocratique.

Il serait également souhaitable d'avoir une politique universitaire tournée vers l'Asie, comme à La Rochelle, avec un département d'études asiatiques pluraliste.

Actuellement coexistent des instituts Confucius associatifs largement financés par la Chine, qui sont majoritaires, et des instituts Confucius universitaires, qui sont minoritaires. Il pourrait être souhaitable de tout harmoniser et de tout faire entrer dans le cadre universitaire que je rappelais il y a quelques instants.

M. André Gattolin, rapporteur. - Quels sont les coûts pour l'université, qu'ils soient immobiliers ou de gestion ? À l'université Paris 8 Nanterre, l'institut Confucius prenait beaucoup d'espace, ce qui est coûteux.

M. Guillaume Giroir . - Notre problème est inverse. La convention prévoit un cofinancement à parts égales entre la partie française et la partie chinoise. L'université met à la disposition de l'institut une secrétaire et un bâtiment. La partie chinoise donne une somme équivalente, réservée à des projets. Or, pour des raisons sanitaires et diplomatiques, nous ne parvenons pas à la dépenser. Nous conservons des reliquats que les règles de comptabilité publique imposent de ne pas garder trop longtemps.

Par ailleurs, en tant que professeur d'université, j'ai une décharge de 30 %, or je consacre 80 % de mon travail à l'institut Confucius. Le statut des directeurs français d'instituts Confucius pose problème.

Mme Anne-Françoise Zattara-Gros, vice-présidente de l'université de La Réunion en charge des relations internationales . - Sa position, dans le bassin sud-ouest de l'Océan Indien, place l'université de La Réunion à part dans le paysage de la recherche et de l'enseignement supérieur français. Notre population, très métissée, compte une communauté chinoise, notamment venue de Canton, ce qui a conduit au développement naturel de liens avec la Chine. Notre université a noué une dizaine de partenariats avec des universités chinoises dont l'Université normale de Chine du Sud, avec laquelle nous avons créé l'institut Confucius en 2010. J'en ai pris l'administration provisoire il y a un an. En tant que vice-présidente en charge des relations internationales, j'en avais une vision macro et je voulais savoir ce qui se passait à l'intérieur, car certaines procédures n'étaient peut-être pas mises en place et certains process devaient sans doute être améliorés.

Cet institut fonctionne bien. Nous n'avons jamais noté de problème particulier. Nous essayons de collaborer avec d'autres services de l'État pour connaître le profil des personnes mises à disposition par la Chine pour rejoindre l'université. Le contrôle est effectué en amont de la mise à disposition et pendant celle-ci. Nous avons essayé de limiter le recrutement par cette voie et de négocier avec le Hanban l'embauche de personnel local. En effet, à côté de l'offre de l'institut Confucius, nous proposons des diplômes d'État, dont une licence de LEA anglais-mandarin, et nous ne voulions pas d'un turnover constant des enseignants. L'an dernier, pour la première année de la licence, nous avons réalisé un recrutement parfaitement local. Les Chinois ont sans doute été surpris. Cette année, nous avons constaté que nous recevions des candidatures de personnes qui ne sont pas chinoises, mais pas non plus issues de La Réunion. Clairement, du côté de l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), des liens existent, avec des relations historiques et sans doute des ponts.

L'institut Confucius est un objet bien identifié au sein de l'université. Lors de sa création, nous avons souhaité qu'il soit un vrai département afin que l'ensemble des règles qui régissent l'université puissent s'y appliquer pleinement, de façon à encadrer le mieux possible toutes ses activités, y compris celles qui sont proposées par des partenaires telles que la Fédération des associations chinoises de La Réunion.

Les statuts de l'institut ont été négociés avec la Chine. Son conseil d'administration a été pensé pour être totalement contrôlé par l'université ou par d'autres personnes extérieures, mais de La Réunion. Le directeur général est obligatoirement un enseignant-chercheur de l'université de La Réunion. Auparavant, il y avait un exécutif à deux têtes avec un directeur chinois chargé de la pédagogie et un directeur français chargé des activités culturelles. Très vite, il y a eu des frictions et nous avons décidé de mettre en place une direction générale totalement assurée par un Français de l'université de la Réunion. Nous avons décidé de profiler ce poste.

Le conseil directorial est plutôt ouvert avec des membres de l'université de La Réunion, de l'institut Confucius - dont des membres de l'Université normale de Chine du Sud - ainsi que des personnalités extérieures de La Réunion et des invités permanents, dont le directeur général des services pour disposer d'une vision plus administrative.

Nous dénombrons aujourd'hui 900 apprenants, dont 300 de plus depuis 2016. Nous accueillons des étudiants extérieurs, dont des retraités et des chefs d'entreprise qui commercent avec la Chine, mais aussi nos étudiants de certaines filières, le chinois étant proposé comme langue vivante par l'académie de La Réunion. C'est le cas des étudiants de l'institut universitaire de technologie (IUT), de l'institut d'administration des entreprises (IAE) et de l'école supérieure d'ingénieurs de La Réunion Océan Indien (Esiroi). Tout cumulé, cela représente un bassin de 250 étudiants formés au chinois.

M. André Gattolin, rapporteur. - Des personnes de la diaspora viennent-elles suivre des cours ?

Mme Anne-Françoise Zattara-Gros . - Tout à fait. Nous fonctionnons en lien étroit avec la Fédération des associations chinoises.

Nous travaillons également avec le Consul général de Chine à La Réunion. Nos relations ont toujours été excellentes. Toutefois, depuis la crise de la covid, nous n'avons pas pu rencontrer le nouveau consul général, et nous sentons que les liens sont plus distants.

Nous avons également d'excellentes relations avec le Hanban. Les instituts Confucius seront gérés, après la réforme, par une nouvelle fondation. Nous aurons désormais deux référents : le CLEC - The Center For Language Education And Cooperation -, ou l'ancien Hanban, et la CIEF - The Chinese International Education Foundation -, qui labellise les instituts Confucius. Les moyens seront sans doute plus importants, puisque cette fondation est constituée de partenaires institutionnels privés et publics.

Le Hanban continue également à apporter un financement.

Pour notre université, il s'agit de continuer à diversifier ses partenariats dans la zone de l'océan Indien. Nous sommes situés en dessous des nouvelles routes de la soie. C'est un bassin qui intéresse fortement les Chinois, pour des raisons non seulement économiques, mais aussi géostratégiques et militaires.

Les partenariats recherchés initialement concernaient les sciences « dures ». Aujourd'hui, ils relèvent des sciences humaines ou sociales, afin d'atteindre les objectifs de la cinquième route de la soie. On observe une volonté d'aboutir à des accords en géographie, anthropologie, droit, économie ou littérature, pour mieux comprendre les peuples avec lesquels des liens pourraient être noués. Le virage a été pris voilà trois ou quatre ans.

M. Pasquale Mammone, président de l'université d'Artois . - Les relations de l'université d'Artois avec la Chine sont assez anciennes, puisque la première convention-cadre avec l'université de Nankin remonte à 1998, pour des activités de recherche, essentiellement sur des questions de transculturalité. Ce lien s'est renforcé en 2008, au moment de la création de l'institut Confucius, axé sur des missions d'enseignement du chinois, ainsi que sur une certification en langue chinoise. Nous avons également, à l'université, un département de chinois. L'Institut Confucius propose aux étudiants de ce département des séances de soutien pédagogique.

Il y a aussi nombre d'activités culturelles, comme l'enseignement des arts martiaux, l'organisation de conférences et des ateliers de calligraphie. L'institut Confucius a été sollicité pour accompagner un certain nombre de projets. Ainsi, la région Hauts-de-France a signé un partenariat avec la région du Xinjiang, au sud de Shanghai, et l'institut a créé, dans ce cadre, des diplômes universitaires s'adressant essentiellement aux chefs d'entreprise envisageant des relations commerciales avec la Chine.

L'institut Confucius participe également à un certain nombre d'activités culturelles avec le musée du Louvre-Lens. Il est d'ailleurs prévu d'implanter, en 2023, un jardin chinois au sein du musée.

Pour ma part, je ne perçois pas de pressions en provenance de Chine. L'institut bénéficie d'un double pilotage : un enseignant-chercheur de l'université est assisté d'un directeur adjoint nommé par Nankin. Mais le moteur, en termes de propositions et d'activités, est l'enseignant-chercheur de l'université.

Tous les projets proposés par l'université sont évalués par Nankin, qui les apprécie avant d'accorder son financement.

Mme Delphine Manceau, directrice générale de NEOMA Business school . - NEOMA est une école de management membre de la Conférence des grandes écoles. Elle est implantée dans trois villes : Reims, Rouen et Paris. Elle est née de la fusion, en 2013, des écoles de commerce de Rouen et de Reims. C'est une école d'enseignement supérieur consulaire, à but non lucratif, qui dépend de la chambre de commerce de la Marne et de celle de la métropole Rouen Normandie. Nous regroupons 9 000 étudiants, 185 enseignants-chercheurs et 500 collaborateurs administratifs.

Notre institut Confucius a été créé en 2014 à Rouen. Il s'agit d'un institut Confucius for business, une partie de notre activité consistant à simuler des relations économiques et à accompagner les entreprises chinoises qui voudraient s'implanter en France et les entreprises françaises qui souhaiteraient s'implanter en Chine. Nous travaillons avec l'université de Nankin, sur la base d'une convention de projets.

Nos activités s'articulent autour de trois sujets. Tout d'abord, nous organisons des cours de chinois pour les étudiants de NEOMA et un public externe, ainsi que des séjours linguistiques en Chine. Nous avons publié l'année dernière un manuel de chinois des affaires en français.

Ensuite, d'un point de vue culturel, nous célébrons des événements comme le Nouvel An chinois ou des fêtes traditionnelles chinoises. Nous organisons également des conférences sur des thématiques annuelles.

Enfin, s'agissant des relations économiques, nous organisons des séminaires et des tables rondes, dont les sujets peuvent être, par exemple, les nouvelles routes de la soie ou le développement des entreprises françaises en Chine. Nous avons également organisé des formations interculturelles pour les entreprises françaises souhaitant s'implanter en Chine. La perception de l'activité des instituts Confucius a beaucoup évolué depuis quelques années. Toutefois, nous avons toujours été encouragés dans notre activité, qui permet de favoriser la coopération entre les deux pays.

M. Karl Tombre, vice-président stratégie européenne et internationale à l'Université de Lorraine . - Notre institut Confucius se positionne essentiellement dans le champ de l'animation culturelle et de la formation linguistique auprès du grand public. Il est situé au sein d'une bibliothèque universitaire.

Sans naïveté aucune - je précise que je m'occupe de stratégie européenne et internationale et que j'ai présidé un institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA) travaillant sur des questions de cybersécurité, de protection du patrimoine et d'éventuelles influences étatiques -, nous continuons d'être vigilants, en particulier dans le domaine de la recherche. Ainsi, dans le cadre des instituts franco-chinois, autre construction dont l'implantation est plutôt chinoise, les thématiques sont, à mon sens, plus « punchy » que ce qui est expérimenté pour les instituts Confucius.

Pour autant, pour ce qui concerne les instituts Confucius, on sent bien une volonté chinoise de recadrage national. De par leur positionnement sur la culture et la formation linguistique, ces instituts n'interfèrent pas avec les formations universitaires.

Lors du conseil d'administration annuel, qui se déroule alternativement en Chine et en France, on a bien senti une volonté d'extension. Nous sommes une université multi-sites, et nous fonctionnons selon le principe du coût consolidé.

Nous sentons également l'intérêt de la Chine à ce que l'université soit plus ouverte sur le monde économique. Il nous est reproché, à la chinoise, c'est-à-dire de manière très courtoise, de ne pas offrir davantage de formations linguistiques aux Chinois, dans les entreprises travaillant avec la Chine. Leur remarque est tout à fait justifiée. Toutefois, nous souhaitons agir en nous fondant sur nos propres observations, sans avoir à répondre à une demande offensive, dictée par je ne sais trop quelles arrière-pensées.

Sans avoir le sentiment d'être naïfs, il nous semble que, pour border les politiques d'influence, les instituts Confucius ne constituent pas un sujet de profonde inquiétude. D'autres aspects nous paraissent plus préoccupants.

Comme l'a souligné ma collègue de La Réunion, la question de l'influence de la Chine se pose peut-être davantage dans le cadre des routes de la soie.

Par ailleurs, l'importance politique des instituts Confucius se ressent dans notre région au regard du nombre de déplacements qu'effectue le consul général de Chine pour assister à des événements culturels auxquels ni le président de l'université, ni le président de la métropole, ni même le maire de la commune n'ont cru nécessaire de participer...

M. André Gattolin, rapporteur. - L'évolution du pilotage de l'université du Hanban vers une fondation à la fois publique et privée me semble particulièrement intéressante. Nous avons le sentiment que la dimension économique revêt une importance très forte dans la stratégie des instituts Confucius, sans doute au regard du développement des routes de la soie.

Les autorités chinoises semblent s'intéresser particulièrement au tissu français des écoles de commerce et de management. À Brest, par exemple, l'institut Confucius s'est installé dans une école de commerce. Comme l'a souligné M. Tombre, au-delà des polémiques relayées dans les médias, nous n'avons pas le sentiment que les instituts Confucius soient le lieu central des interférences de la République populaire de Chine. Le nombre de créations d'instituts marque d'ailleurs le pas par rapport à ces dernières années.

À cet égard, une chercheuse américaine soulignait récemment que la fermeture massive des instituts Confucius aux États-Unis entraînait un déficit de l'enseignement du mandarin que l'offre universitaire ne compensait pas.

La présence de ces instituts en France semble aujourd'hui s'inscrire dans un dispositif de soft power beaucoup plus large, qui s'intéresse aux développements industriels spécifiques d'une région ou d'un territoire, parfois en lien avec les élus locaux. Je pense au rôle qu'ont pu jouer les pouvoirs politiques ou les collectivités territoriales dans les décisions d'implantation des instituts.

M. Luigi Agrofoglio . - Dès la création de l'institut Confucius à Orléans, la question de notre positionnement au regard des classements internationaux s'est posée. Nous sommes une université de taille moyenne, très dispersée, notamment entre Montargis, où Deng Xiaoping s'était rendu au siècle dernier, et Châteauroux - la métropole avait la volonté d'y implanter un institut dans le cadre du rachat de l'ancienne base de l'OTAN. Finalement, nous avons opté pour le campus principal de l'université d'Orléans. Nous avons pu profiter d'un accompagnement de la région, qui avait mis en place une zone de coopération décentralisée avec la province du Hunan.

C'est bien l'université d'Orléans qui pilote l'ensemble du dispositif. Les fonds alloués aux instituts rattachés aux universités font l'objet d'une gestion publique très stricte, ce qui permet de bien cadrer les choses. Ces dernières années, nous avons des demandes récurrentes, venues d'autres partenaires chinois, pour créer des écoles de commerce. Nous ressentons une réelle volonté de développer cette thématique.

Mme Delphine Manceau . - Je ne perçois pas une volonté plus marquée de développer la dimension commerce et business. Au-delà des instituts Confucius, l'ensemble des écoles de commerce de la Conférence des grandes écoles a noué des partenariats académiques avec des universités chinoises ; plusieurs ont également des campus en Chine. Ces instituts ne sont donc qu'un élément parmi d'autres visant à encourager les relations économiques.

La région Normandie et la métropole ont été associées au projet dès le début, même si l'initiative revient bien à l'école, et continuent de jouer un rôle clef dans les décisions que nous prenons.

Mme Anne-Françoise Zattara-Gros - Un mot sur la question de l'intervention des pouvoirs publics et des collectivités locales. C'est le consul général de Chine à La Réunion qui, en lien avec les associations chinoises, avait souhaité qu'un tel institut y soit implanté. Le grand débat était de savoir si une association serait constituée ou si l'institut pourrait être abrité au sein de l'université de La Réunion. C'est ce second choix qui a été fait, ce qui permettait aux pouvoirs publics d'encadrer le développement de l'institut.

Il existe une autre construction dont on parle moins, à savoir les instituts de la nouvelle route de la soie, qui devraient prendre leur essor dans les prochaines années. Nous avons été approchés voilà deux ou trois ans, lorsque la question de l'implantation d'un tel institut dans le bassin sud-ouest de l'océan Indien s'est posée. Le vice-consul général de l'époque, qui aujourd'hui a rejoint le ministère des affaires étrangères chinois, a été très proactif en la matière. Contactés pour abriter ce nouvel institut aux côtés de l'institut Confucius, nous avons étudié très sérieusement la question, sachant que les collectivités locales y étaient extrêmement favorables.

En définitive, cela ne s'est pas fait. La crise du covid a permis de différer les discussions, qui furent très vives, et dont je ne suis pas certaine qu'elles soient fermées aujourd'hui. La force de frappe de ce genre d'instituts, dont la vocation est clairement économique, sera beaucoup plus importante que celle des instituts Confucius. Ce qui m'inquiétait, outre l'origine des fonds, c'était l'évolution du positionnement de l'université qu'engendrerait une éventuelle dépendance financière : par rapport à l'institut Confucius, nous serions passés sur une autre planète du point de vue du montant des dotations allouées.

M. Karl Tombre . - Les instituts de la nouvelle route de la soie sont en effet un point d'attention stratégique beaucoup plus important que ne le sont les instituts Confucius.

L'institut Confucius de l'université de Lorraine a une dizaine d'années ; ses fondements ont été posés juste avant la fusion par l'ancienne université de Metz ; il se trouve que, professeur à Nancy, j'enseignais dans une autre université. Je ne connais pas les détails, mais je sais qu'une collaboration existait déjà, aussi bien à Nancy qu'à Metz, avec une ville chinoise de province que personne ne connaissait à l'époque, Wuhan. Il y avait donc une certaine cohérence à ce que l'institut Confucius soit créé en partenariat avec l'université technologique de Wuhan : cette initiative entrait dans la stratégie globale des universités lorraines, puis de l'université de Lorraine, en direction de la Chine.

La ville de Metz a été à nos côtés depuis le début, mais c'est vraiment une volonté commune de l'université de Metz de l'époque et de la collectivité qui a permis l'implantation de cet institut Confucius à Metz.

M. Guillaume Giroir . - Un petit complément sur les aspects locaux.

L'ancienne mairie d'Orléans a organisé pendant huit ans le Nouvel An chinois, qui attirait pas mal de monde. La nouvelle municipalité a supprimé l'événement, ce qui montre que les relations avec la Chine au niveau local sont très différentes selon le contexte politique. L'institut Confucius est mal préparé à ce nouveau contexte municipal, mais aussi régional, et pâtit de la réactivation des partenariats avec des pays européens au détriment des relations avec la Chine.

M. André Gattolin, rapporteur . - Merci pour toutes les informations que vous nous avez apportées. Quand on parle d'influence étrangère, on pense naturellement beaucoup aux instituts Confucius. Or, ce qui ressort des travaux que nous menons, c'est que les vecteurs d'influence de la Chine sont beaucoup plus nombreux que les seuls instituts Confucius. Cette table ronde était l'occasion pour nous de bien comprendre le sens de ces instituts et d'appréhender la variété des situations d'un territoire à l'autre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page