ENGAGEMENT POLITIQUE : UN ACCÈS CROISSANT MAIS COMPLEXE AUX RESPONSABILITÉS

Le renforcement de l'accès des femmes aux mandats et responsabilités électives au niveau local est depuis longtemps un sujet d'intérêt central de la délégation, qui est convaincue qu'il revêt une triple vertu.

Il constitue tout d'abord un gage d'égalité entre les femmes et les hommes qui souhaitent s'engager en politique. Il s'agit de donner aux femmes les moyens d'investir l'ensemble des lieux de responsabilité administratifs, économiques et sociaux.

Il favorise ensuite une meilleure prise en compte, par les collectivités territoriales, des besoins spécifiques des femmes , à tous les âges de la vie, et des enjeux de l'égalité entre les femmes et les hommes.

La délégation a été particulièrement sensible à l'analyse suivante de Marie-Pierre Badré, présidente du Centre Hubertine Auclert : « pour qu'un argument soit entendu et pris en compte dans une assemblée, quelle qu'elle soit, il faut que la minorité qui s'exprime soit représentée à plus de 30 %. Vous imaginez donc bien la difficulté d'évoquer des problèmes qui concernent les femmes dans des espaces politiques où elles sont absentes . »

Pour reprendre les mots de Julia Mouzon, présidente du réseau Élues locales , lors d'une table ronde de la délégation sur l'accès des femmes aux responsabilités dans les collectivités des territoires ruraux et le rôle des élus pour y faire avancer l'égalité, le 4 mars 2021 : « Les femmes dans la vie politique défendent les droits des femmes et ont des expériences de vie qui leur permettent peut-être de prioriser certains sujets par rapport à d'autres . »

Ce phénomène a pu se constater au niveau des départements dont les assemblées sont strictement paritaires depuis 2015.

L'exemple du département de la Gironde, mis en avant par Jean Galand, conseiller départemental de Gironde, représentant l'Assemblée des départements de France (ADF), lors de cette même table ronde, est particulièrement éclairant. Ce département a attribué huit des quinze vice-présidences à des femmes et créé une mission égalité femmes-hommes, représentée par un binôme paritaire, et ayant pour mission une action à la fois interne et externe. Sur le plan interne, des jurys entièrement paritaires ont été mis en place pour le recrutement et une cellule d'écoute a été instituée pour tous les problèmes internes rencontrés autour de l'égalité femmes-hommes, des violences et du harcèlement. Sur le plan externe, « il s'agissait de mettre en place une exemplarité départementale vis-à-vis du grand public mais également, parce que le département est garant des solidarités territoriales et humaines, de se montrer exigeant en termes de parité et d'égalité . » Par exemple : la commission d'appel d'offres vérifie que toutes les entreprises sollicitant un marché public présentent un rapport sur l'état de l'égalité femmes-hommes, et pas simplement une intention ; les subventions versées aux communes sont attribuées selon des critères liés à l'égalité femmes-hommes, relatifs notamment à un accès équitable aux infrastructures subventionnées ; le département a signé la charte européenne sur l'égalité des droits entre les hommes et les femmes.

Enfin, la délégation souhaite mettre en valeur le potentiel que constitue l'engagement politique des femmes pour les territoires ruraux .

Afin de dresser un constat éclairé, de mettre en avant des initiatives et femmes inspirantes et de formuler des recommandations concrètes et opérationnelles, la délégation s'est appuyée, outre la table ronde précitée, sur une consultation des femmes élues des territoires ruraux, relayée par le réseau Élues locales et mise en ligne sur la plateforme sénatoriale de consultation des élus locaux 39 ( * ) .

I. UN ACCÈS CROISSANT MAIS ENCORE DIFFICILE AUX RESPONSABILITÉS POLITIQUES LOCALES

A. UNE PROGRESSION DE LA MIXITÉ RÉELLE MAIS ENCORE INSUFFISANTE

1. Des dispositions constitutionnelles et législatives en faveur de la parité

À la suite de la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 qui a inscrit dans la Constitution le principe selon lequel « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives », plusieurs dispositions législatives ont eu pour objectif de faire progresser la parité au niveau local :

- la loi n° 2000-493 du 6 juin 2000 tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives impose de présenter des listes avec une parité par tranche de six candidats (trois hommes et trois femmes doivent figurer, en ordre libre, entre le 1 er de liste et le 6 e de liste, le 7 e et le 12 e de liste, etc.) aux élections municipales dans les communes de 3 500 habitants et plus, ainsi qu'aux élections régionales ;

- la loi n° 2003-327 du 11 avril 2003 relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques et la loi n° 2003-1201 du 18 décembre 2003 relative à la parité entre hommes et femmes sur les listes de candidats à l'élection des membres de l'Assemblée de Corse imposent une stricte alternance femme-homme dans la présentation des listes de candidats à ces élections ;

- la loi n° 2007-128 du 31 janvier 2007 tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives impose la parité sur les listes de candidats pour l'élection des adjoints dans les communes de 3 500 habitants et plus et une alternance femme-homme sur les listes pour l'élection aux commissions permanentes des conseils régionaux. Elle institue également des suppléants de conseillers généraux et impose que le titulaire du mandat et son suppléant soient de sexe opposé, avec, à compter de la loi n° 2008-175 du 26 février 2008 facilitant l'égal accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller général , un remplacement automatique par son suppléant du conseiller général démissionnaire pour cause de cumul de mandats locaux ;

- la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires et modifiant le calendrier électoral instaure un scrutin binominal, avec un binôme femme-homme, pour les élections départementales, étend l'obligation de parité, avec stricte alternance femme-homme, aux élections municipales dans toutes les communes de 1 000 habitants et plus, et instaure l'élection des conseillers communautaires et métropolitains au suffrage direct par fléchage sur liste paritaire dans les communes de 1 000 habitants et plus ;

- la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique impose une alternance femme-homme sur les listes pour l'élection des adjoints dans les communes de plus de 1 000 habitants. Son article 28 prévoit qu'« avant le 31 décembre 2021, les dispositions du code électoral relatives à l'élection des conseillers municipaux et des conseillers communautaires sont modifiées pour étendre l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives dans les communes et leurs groupements ».

2. Une féminisation des élus locaux

Ces diverses lois ont conduit à une nette féminisation des élus locaux. Ainsi, à l'issue des élections municipales, départementales et régionales de 2020 et 2021, la part des femmes parmi les élus locaux atteint presque 42 %, contre moins de 20 % dans les années 1990 .

Au sein des conseils municipaux, la proportion de femmes était inférieure à 10 % jusqu'à la fin des années 1970, de 22 % en 1995 et est passée à 33 % en 2001, 35 % en 2008 puis 40 % en 2014. Après les élections municipales de 2020, on dénombre au niveau national 42 % de femmes conseillères municipales et 49,5 % dans les communes de plus de 1 000 habitants. En effet, la composition d'un conseil issu de plusieurs listes paritaires n'aboutit pas nécessairement à un conseil strictement paritaire, en fonction du sexe des têtes de liste et du nombre de membres des conseils.

La proportion de femmes parmi les conseillers départementaux est quant à elle passée de 14 % en 2011 à 50 % depuis les élections de 2015, conséquence mécanique de l'obligation de présenter comme candidats un binôme femme-homme.

Enfin, la proportion de femmes au sein des conseils régionaux a fortement progressé après les élections de 2004 où a été mise en place l'obligation d'alternance des candidats de chaque sexe sur les listes, atteignant aujourd'hui près de 50 %.

Évolution de la proportion de femmes parmi les élus locaux

Source : Direction générale des collectivités locales

Des témoignages recueillis, notamment dans le cadre de la consultation en ligne et lors des tables rondes organisées par la co-rapporteure Marie-Pierre Monier dans la Drôme, indiquent que si les obligations de parité ont été controversées lors de leur mise en place, y compris par des femmes elles-mêmes qui tenaient à n'être élues que sur la base de leurs compétences, ces obligations ont de fait encouragé davantage de femmes à s'investir dans la vie politique locale et un certain nombre d'élues ne se seraient pas engagées si elles n'avaient pas été contactées en raison des obligations de parité.

Ces témoignages mettent en avant une évolution des mentalités et une sensibilité plus grande des nouvelles générations d'élus aux enjeux de parité. La part des femmes est d'ailleurs plus élevée parmi les nouvelles générations : elle est ainsi supérieure à 45 %, parmi les élus locaux de moins de 55 ans alors qu'elle n'est que de 33 % parmi les élus de 65 ans ou plus .

Part des femmes parmi les élus locaux en 2021, selon l'âge

en %

Mandats

Âge des élus (a)

Tous âges

De 18
à 39 ans

De 40 à 49 ans

De 50 à 54 ans

De 55 à 59 ans

De 60 à 64 ans

65 ans ou plus

Ensemble des mandats

42

46

47

45

41

37

33

Conseillers régionaux et territoriaux (b)

49

51

53

54

44

46

33

Dont : présidents

32

0

50

50

0

0

33

Conseillers départementaux (c)

50

48

52

56

54

49

40

Dont : présidents

20

50

14

31

33

11

12

Conseillers communautaires

35

44

45

42

37

32

25

Dont : présidents

11

8

12

19

13

14

5

Conseillers municipaux (d)

42

46

48

45

41

38

34

Dont : maires

20

25

25

25

23

18

15

1 ers adjoints

33

37

39

39

33

32

28

2 es adjoints

42

42

48

46

42

40

36

autres adjoints

45

50

51

50

45

40

35

autres conseillers

45

47

49

47

44

42

39

Dont : communes de moins de 1 000 habitants

38

42

42

39

36

34

31

communes de 1 000 habitants ou plus

49

53

55

52

48

43

39

(a) Âge au 1 er janvier

(b) Y compris la Corse, la Martinique et la Guyane

(c) Y compris la Collectivité européenne d'Alsace

(d) Y compris Paris

Source : Direction générale des collectivités locales. Données : ministère de l'intérieur, bureau des élections et des études politiques (répertoire national des élus, 2021).

3. Une parité encore limitée dans l'accès aux responsabilités locales
a) Une proportion plus faible d'élues municipales dans les petites communes.

La proportion de femmes parmi les conseillers municipaux est proportionnelle à la taille de la commune, avec une différence notable entre les communes de moins de 1 000 habitants et celles de plus de 1 000 habitants. En effet, la parité ne s'impose pas aux élections municipales des communes de moins de 1 000 habitants. Les conseillers municipaux y sont élus au scrutin majoritaire plurinominal à deux tours avec possibilité de panachage françaises. Ce mode de scrutin ne permet pas l'application d'une règle paritaire. Ainsi, la part des femmes conseillères municipales au sein des communes de moins de 1 000 habitants - qui représentent trois quarts des communes - n'est que de 38 % , contre 49 % dans les communes de 1 000 habitants ou plus. Depuis les élections municipales de 2020, ce chiffre est néanmoins en progression de trois points par rapport aux élections de 2014.

Proportion de femmes dans les conseils municipaux
selon le nombre d'habitants de la commune après les élections de 2020

Source : Direction générale des collectivités locales

Le constat se confirme lorsqu'est établie une typologie des communes en fonction de leur densité de population : la proportion de conseillers municipaux et d'adjoints femmes est inférieure à la moyenne nationale dans les communes rurales, sans cependant que cela soit corrélé au sexe du maire, les femmes maires représentant même une proportion plus importante des maires des communes rurales .

Proportion de femmes au sein des conseils municipaux,
après les élections de 2020, selon le type de territoire des communes

Source : Direction générale des collectivités locales

b) Une mixité limitée au sein des intercommunalités

La sous-représentation des femmes est flagrante dans les intercommunalités, en dépit d'une progression marquée entre 2013 et 2020 : on compte, depuis juillet 2020, 35 % de femmes dans les conseils (en progression de trois points), 25 % dans les vice-présidences (en progression de cinq points) et seulement 11 % dans les présidences.

Selon Danièle Bouchoule, co-présidente de l'association Elles aussi , entendue lors de la table ronde du 4 mars 2021, « ces statistiques sont bien sûr le résultat de l'insuffisance du système actuel de fléchage pour les conseils communautaires et de l'absence totale de contrainte dans leurs exécutifs . »

Les petites communes n'envoient qu'un délégué au conseil communautaire, et, selon l'association Elles aussi , il s'agit, dans 80 % des cas, du maire, qui est lui-même un homme dans 80 % des cas. Ainsi les intercommunalités les moins peuplées comptent moins de femmes que celles des intercommunalités les plus peuplées (32 % dans celles de moins de 15 000 habitants contre 39 % dans celles de plus de 300 000 habitants).

Dans une contribution écrite adressée à la délégation, l'Assemblée des communautés de France (AdCF) note que « la garantie apportée en matière de parité est moins “mécanique” au sein d'un conseil communautaire élu sur plusieurs circonscriptions communales qu'au sein d'un conseil municipal élu sur une seule circonscription : par exemple, si toutes les têtes de listes communautaires sont des hommes dans les communes, un déséquilibre sera constaté, y compris si toutes les communes comptent plus de 1 000 habitants . »

En outre, selon Cécile Gallien, vice-présidente de l'Association des maires de France (AMF), maire de Vorey (Haute-Loire), co-présidente du groupe Égalité femmes-hommes de l'AMF, « lors du regroupement des intercommunalités en 2017, de nombreuses femmes maires qui étaient vice-présidentes ne l'ont plus été ainsi que le prouvent des données à l'échelon national . »

Il convient de relever que les femmes président majoritairement des EPCI de petite taille, souvent dans la ruralité. Ainsi, elles président 12,5 % des EPCI de moins de 15 000 habitants et seulement 8,7 % des EPCI de plus de 300 000 habitants.

Un aspect positif doit être signalé : la part des femmes est importante parmi les élus communautaires de moins de 40 ans, dont elles représentent 44 %. Cependant, cette tranche d'âge est proportionnellement faible, ne représentant que 7 % des élus communautaires.

c) Une proportion de femmes encore insuffisante au sein des exécutifs locaux

Si le nombre de femmes au sein des exécutifs locaux progresse indéniablement, la parité est néanmoins loin d'y être atteinte, en particulier à leur tête .

En août 2021, les femmes représentent 11,4 % des présidents de conseils communautaires, 19,8 % des maires, 20,2 % des présidents de conseils départementaux et 31,6 % de ceux des régions. La proportion de femmes maires est légèrement plus élevée dans les communes rurales (20,3 % contre 18,0 % dans les communes urbaines). Cette proportion atteint même 22,4 % dans les communes de moins de 100 habitants.

Comme le relève le bulletin d'information statistique de la Direction générale des collectivités locales d'août 2021, « plus on s'éloigne de la fonction de président, plus les fonctions exécutives sont occupées par des femmes. Les dernières élections n'ont pas réduit significativement ces disparités, dans un contexte d'augmentation globale de la proportion de femmes parmi l'exécutif . » Ainsi, au niveau des conseils municipaux, la part de femmes est de 20 % parmi les maires, 33 % parmi les premiers adjoints, 42 % parmi les deuxièmes adjoints et 45 % parmi les autres adjoints.

Cela rejoint des constats relevés au niveau local. Ainsi, lors d'une table ronde organisée par le co-rapporteur Jean-Michel Arnaud dans son département des Hautes-Alpes, il a été noté que la proportion de femmes au sein des conseils municipaux de ce département était de 38 %, de 37 % parmi les adjoints et de 20 % parmi les maires.

Évolution de la proportion de femmes à la tête des exécutifs locaux

Source : Direction générale des collectivités locales

Proportion de femmes au sein des exécutifs locaux en 2021

* y compris collectivités territoriales uniques de Guyane et de Martinique
et Collectivité de Corse

Source : Direction générale des collectivités locales


* 39 https://participation.senat.fr/femmes-et-ruralit%C3%A9s-%C3%A9lues-locales-le-s%C3%A9nat-vous-consulte

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