Rapport d'information n° 293 (2021-2022) de Mme Annick BILLON , fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 14 décembre 2021

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N° 293

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 décembre 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur la cérémonie de remise du Prix 2021 de la délégation aux droits des femmes ,

Par Mme Annick BILLON,

Sénatrice

(1) Cette délégation est composée de : Mme Annick Billon, présidente ; M. Max Brisson, Mmes Laurence Cohen, Laure Darcos, Martine Filleul, Joëlle Garriaud-Maylam, Nadège Havet, MM. Marc Laménie, Pierre Médevielle, Mmes Marie-Pierre Monier, Guylène Pantel, Raymonde Poncet Monge, Dominique Vérien, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Sylviane Noël, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Bruno Belin, Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. Hussein Bourgi, Mmes Valérie Boyer, Isabelle Briquet, Samantha Cazebonne, M. Jean-Pierre Corbisez, Mme Patricia Demas, M. Loïc Hervé, Mmes Annick Jacquemet, Micheline Jacques, Victoire Jasmin, Else Joseph, Kristina Pluchet, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, Elsa Schalck, Lana Tetuanui, Sabine Van Heghe, Marie-Claude Varaillas.

Avant-propos

Le mardi 26 octobre 2021, la délégation aux droits des femmes a remis, pour la troisième année consécutive, au Sénat, le Prix de la délégation aux droits des femmes , qu'elle a créé en 2019, à l'occasion de son vingtième anniversaire 1 ( * ) .

Ce prix récompense chaque année des personnalités ou des structures (associations, ONG, etc.) engagées dans la défense des droits des femmes et ayant contribué à éclairer les réflexions de la délégation. Il s'agit pour la délégation aux droits des femmes et, à travers elle, le Sénat, d'affirmer sa considération pour des acteurs et actrices de la lutte pour les droits des femmes et l'égalité femmes-hommes, sans qui aucun progrès dans ce domaine ne serait possible.

Pour la troisième édition de son prix, la délégation a mis à l'honneur deux anciennes parlementaires, Marie-Jo Zimmermann et Maud Olivier, initiatrices de deux propositions de loi ayant marqué l'histoire législative des dix dernières années en matière de droits des femmes : à savoir, respectivement, la loi sur la présence des femmes dans les conseils d'administrations des grandes entreprises françaises et la loi sur la lutte contre le système prostitutionnel. En leur décernant ce prix, la délégation a également mis l'accent sur la question de l'évaluation et de l'application des lois qui est au coeur de ses préoccupations.

La délégation a en outre salué le travail de deux organisations associatives dont le rôle en matière de défense des droits des femmes est aujourd'hui primordial : la Fédération nationale Solidarité Femmes , à travers sa directrice générale, Françoise Brié, et Oxfam France . En apportant leur soutien aux femmes victimes de violences et à celles victimes de pauvreté dans le monde, ces associations oeuvrent pour la réduction des inégalités.

Ce recueil reproduit les discours échangés, lors de cette cérémonie, entre les lauréats du Prix 2021 et Annick Billon, présidente de la délégation, ainsi que d'autres membres de la délégation.

Introduction par Annick Billon, présidente

Chères lauréates, cher lauréat, chers collègues, Mesdames, Messieurs, je suis particulièrement heureuse de remettre le Prix de la délégation aux droits des femmes du Sénat aux lauréats de la promotion 2021, dans des circonstances autrement plus agréables que celles de l'année passée, marquée par les restrictions sanitaires que nous connaissons. En effet, nous avons pu cette année élargir le spectre de nos invités et je m'en réjouis.

Je vous rappelle que notre cérémonie fait l'objet d'une captation audiovisuelle, retransmise en direct sur le site Internet du Sénat. Les échanges de discours auxquels nous allons procéder seront retranscrits sur la page Internet de notre délégation.

Celle-ci, je le rappelle, a créé ce prix pour affirmer sa considération, et celle du Sénat, à des actrices et acteurs de la lutte pour les droits des femmes et l'égalité femmes-hommes, sans qui aucun progrès dans ce domaine ne serait possible. Nous avons pris cette initiative à l'occasion de la célébration du vingtième anniversaire de la délégation, créée par une loi de juillet 1999. Nous avons souhaité remercier ainsi, chaque année, des personnalités engagées dans la défense de l'égalité, qui contribuent par leur réflexion et leur engagement à enrichir et à éclairer nos travaux.

Sachez, chers lauréates et lauréat, que vous êtes pour nous de véritables sources d'inspiration.

Le 10 octobre 2019, nous remettions pour la première fois ce prix aux lauréats choisis de façon consensuelle par la délégation. Le 15 septembre 2020 avait lieu notre deuxième cérémonie de remise du prix, que nous avions souhaité préserver malgré les incertitudes causées par la crise sanitaire.

Celle-ci a souligné la fragilité des droits des femmes, rendant plus que jamais nécessaire notre vigilance en la matière. Nos récents rapports l'ont clairement montré : rien n'est jamais acquis en matière d'égalité, qu'il s'agisse des violences domestiques exacerbées en période de crise sanitaire et plus particulièrement pendant les confinements successifs ; de sujets tels que la place des femmes dans l'économie et les inégalités de genre au niveau mondial renforcées par la crise sanitaire notamment dans les pays en voie de développement, ou de la situation des femmes dans nos territoires ruraux qui cumulent inégalités de genre et inégalités territoriales.

Le Président du Sénat, Gérard Larcher, nous rejoindra en fin de cérémonie pour féliciter nos lauréats et prononcer quelques mots de conclusion.

C'est avec fierté et émotion que je vais maintenant procéder à la remise du prix de la délégation à nos lauréats 2021, présents dans la salle. Je les en remercie.

Remise du prix de la délégation
à Marie-Jo Zimmermann

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Le choix de Marie-Jo Zimmermann comme lauréate du Prix de la délégation aux droits des femmes s'est imposé comme une évidence pour ce troisième palmarès de 2021. Nous avons décidé de saluer l'action et le parcours d'une femme, d'une parlementaire, engagée dans le combat de la reconnaissance du rôle des femmes dans toutes les sphères de la société, au premier rang desquelles la sphère économique.

En ce début d'année 2021, la délégation aux droits des femmes avait choisi de célébrer le dixième anniversaire de la loi qui porte votre nom, consécration ultime pour tout parlementaire. La loi dite « Copé-Zimmermann » du 27 janvier 2011, relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle, revêt en effet une importance particulière dans une enceinte politique comme la nôtre. Elle s'inscrit dans une continuité historique qui a, au fil du temps, enrichi notre législation pour favoriser l'accès des femmes aux responsabilités. Celles-ci ont tout d'abord concerné le champ politique, dans la dynamique permise par la révision constitutionnelle de 1999, qui a posé le principe d'égal accès aux mandats électoraux et aux fonctions électives, par exemple. Elles se sont par la suite étendues aux responsabilités professionnelles et sociales grâce à la révision constitutionnelle de 2008, qui a rendu possible la loi Copé-Zimmermann.

Pour les élus que nous sommes, concernés au tout premier chef par les lois relatives à la parité politique, la parité économique suscite donc un écho particulier. Elle procède d'une logique comparable et peut se heurter à des difficultés similaires.

Le monde de l'entreprise, la place qu'y occupent les femmes, à tous les niveaux, et les questions relatives à l'égalité professionnelle sont bien évidemment des sujets majeurs pour notre délégation. J'en veux pour preuve le rapport que nous avons consacré au bilan d'application des dix ans de la loi Copé-Zimmermann, publié en juillet 2021, et intitulé « Parité en entreprise : pour de nouvelles avancées, dix ans après la loi Copé-Zimmermann », de même que la tribune que nous avons publiée dans la presse, dans la foulée, intitulée « Parité : le moment est venu de faire entrer les femmes dans tous les cercles du pouvoir économique ! ». Je salue la présence de deux des trois rapporteures, Dominique Vérien et Martine Filleul, présentes ce soir.

Chère Marie-Jo, vous avez été une pionnière en matière de défense de la parité en entreprise et une source d'inspiration pour de nombreuses femmes du monde économique. Votre loi demeurera pour toujours une étape charnière dans l'accession des femmes au pouvoir économique. Le combat continue aujourd'hui puisque, dix ans après, nous nous apprêtons à discuter, dès demain en séance publique au Sénat, d'un nouveau texte visant à favoriser l'égalité économique et professionnelle. Il s'inscrit dans le droit fil de votre loi. Cette proposition de loi émanant de notre collègue députée, Marie-Pierre Rixain, présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, propose de franchir une étape supplémentaire. C'était un premier pas, en réalité, lorsque vous avez écrit votre loi. L'effet de ruissellement tant escompté n'a pas eu lieu. Nous nous apprêtons à mettre de nouvelles obligations en place pour que les femmes dans ce milieu économique prennent toute leur place.

C'est avec un immense plaisir que je vous remets, au nom de la délégation tout entière, cette médaille consacrant votre engagement en faveur des droits des femmes et de leur reconnaissance dans les cercles du pouvoir économique.

Je demande aux deux rapporteures présentes ce soir, Dominique Vérien et Martine Filleul, de m'accompagner pour remettre ce prix, puisqu'elles ont réalisé un travail extrêmement important consacré au bilan de la loi Copé-Zimmermann.

Martine Filleul. - Toutes mes félicitations pour le travail que vous avez fait ! Je pense que c'est vraiment une loi qui va marquer l'histoire des femmes.

Dominique Vérien . - Je vous adresse toutes mes félicitations pour votre travail remarquable. Cette loi a marqué l'histoire des femmes. La présidente disait que vous étiez toutes des femmes inspirantes. En effet, vous l'êtes. Nous continuons votre travail.

Réponse de Marie-Jo Zimmermann

Merci beaucoup. Je suis très émue.

Présider cette délégation à l'Assemblée nationale pendant dix ans a été une chance extraordinaire pour moi. Je vous souhaite d'en être la présidente aussi longtemps. J'ai ainsi eu le temps, avec la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, de toucher toutes les sphères de la société, la politique également, les lois sur la parité, les exécutifs régionaux, municipaux... Nous avons également participé à la réforme constitutionnelle du Président Sarkozy en 2008. Ça n'a pas été facile. Nous l'avons fait. Je répondais à un souhait de Simone Veil en le faisant.

En janvier 2011, nous avons légiféré sur les conseils d'administration des grandes entreprises françaises. Pourquoi n'avons-nous pas touché aux comités de direction et aux comités exécutifs à l'époque ? J'avais encore foi dans les patrons d'entreprises, qui devaient simplement respecter les lois. Si nous avions respecté les lois, et notamment la loi Génisson de 2001, nous ne serions pas obligés aujourd'hui de légiférer sur les Codirs et les Comex. Si je suis contente que Marie-Pierre Rixain ait déposé cette proposition de loi, c'est quelque part un échec pour moi. Pour un législateur, comme vous l'êtes toutes les trois, ne pas respecter les lois est très frustrant. Je me suis battue, entre 2002 et 2012, pour simplement faire respecter les lois sur l'égalité professionnelle. J'ose espérer qu'après la loi Rixain, les chefs d'entreprises seront un peu plus obéissants, et surtout qu'ils respecteront les femmes qui ont des compétences.

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Merci beaucoup, Madame la députée. Félicitations à vous. Merci à nos deux rapporteures qui avaient fait un important travail sur ce sujet.

Le respect des lois est une question cruciale. De nombreux sénateurs et sénatrices sont parmi nous ce soir. Nous avons mené plusieurs travaux de bilan d'application des lois, parmi lesquelles la vôtre, mais aussi celle sur la lutte contre le système prostitutionnel. En la matière, il reste du chemin à parcourir.

Remise du prix de la délégation à Maud Olivier

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - J'invite Maud Olivier à me rejoindre.

Madame la députée, chère Maud Olivier,

Pour la troisième édition de son prix, la délégation a choisi de mettre à l'honneur une ancienne collègue parlementaire, Maud Olivier, pour son engagement depuis de nombreuses années dans la lutte contre le système prostitutionnel.

Maud Olivier fut co-auteure et rapporteure à l'Assemblée nationale de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, promulguée le 13 avril 2016.

Au total, cinq ans de travail parlementaire ont été nécessaires à la promulgation de cette loi comme vous l'aviez rappelé devant notre délégation le 8 avril dernier lors d'une table ronde consacrée au bilan d'application de cette loi cinq ans après son adoption.

Au cours de cette table ronde, vous nous aviez fait part du combat difficile que vous aviez dû mener pour faire aboutir ce texte, à la fois en interne au sein des assemblées et en externe avec une presse et des lobbies proxénètes vent debout sur un aspect particulier du texte : la responsabilisation des clients.

Aujourd'hui, si les dispositions du texte sont effectives et les politiques publiques ont évolué, si l'esprit de la loi votée en 2016 doit être salué comme un tournant décisif dans la lutte contre « la plus vieille violence du monde », force est de constater que son application sur l'ensemble du territoire est loin d'être à la hauteur des espérances exprimées il y a cinq ans par tous les défenseurs de la lutte contre le système prostitutionnel.

On dénombre encore aujourd'hui 30 000 à 40 000 personnes prostituées en France ; l'âge moyen d'entrée dans la prostitution est de 14 ans ; on comptabilise environ 10 000 mineurs prostitués ; 85 % des personnes prostituées sont des femmes, à 90 % des étrangères victimes de la traite et 99 % des clients sont des hommes.

Si l'application de l'ensemble des dispositions de la loi sur le territoire national doit encore être améliorée, nous retenons toutefois ce constat positif dont vous nous aviez fait part le 8 avril dernier : il apparaît aujourd'hui inconcevable de revenir en arrière tant cette loi est en adéquation avec notre temps. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs réaffirmé le bien-fondé de cette loi en 2018 pour lutter contre le profit des proxénètes, la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle et leur asservissement. Plus encore, l'opinion publique est désormais acquise à cette cause et partage la démarche abolitionniste de notre pays : près de 80 % de nos concitoyens considèrent que la loi de 2016 est une bonne loi !

La prostitution est d'abord une violence et un système qui exploite les plus fragiles. Cette thématique reste une forte préoccupation de notre délégation puisque nous avons décidé de traiter de ce sujet dans le cadre de nos futurs travaux, notamment à travers le prisme de la prostitution des plus jeunes. L'aggravation de la prostitution des mineurs ou encore le développement exponentiel de la prostitution sur Internet demeurent en effet des points de vigilance incontournables pour nous.

Chère Maud Olivier, je suis très honorée de vous remettre, au nom de la délégation tout entière, cette médaille consacrant votre engagement en faveur de la lutte contre le système prostitutionnel et la protection des personnes prostituées.

Je vais demander à Laurence Cohen, qui a participé à ce combat, de me rejoindre.

Laurence Cohen . - Maud, je suis très heureuse de te remettre ce prix, car tu as porté ce combat très fortement dans l'hémicycle, à l'Assemblée nationale. Nous l'avons aussi mené au Sénat. Il nous a permis de relayer la mobilisation très forte des associations. Cette loi ne serait pas passée sans elles. C'est par le mouvement conjoint de ce qui se passe dans la rue et dans l'hémicycle que nous arrivons à gagner des droits pour les femmes.

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Bravo.

Réponse de Maud Olivier

Madame la Présidente de la délégation, je veux tout d'abord vous remercier d'avoir remis à l'ordre du jour des débats de politiques publiques la loi de lutte contre le système prostitutionnel, en organisant cette table ronde en avril dernier. Aujourd'hui, en me nommant à cette distinction, c'est aussi une autre façon de la remettre à l'ordre du jour. Et j'y suis particulièrement sensible, puisque c'est la première fois qu'à travers moi, cette loi dont j'ai été co-auteure et rapporteure, est explicitement mise à l'honneur. Je mesure bien l'importance de ce geste.

Je veux bien sûr associer à cette distinction, toutes celles et tous ceux, ministres, parlementaires de tous bords - car c'est une loi transpartisane -, militantes et militants d'association qui ont oeuvré pour que cette loi voit le jour. Certains, certaines, sont à mes côtés ce soir et je les en remercie.

Merci à la délégation aux droits des femmes du Sénat d'avoir été une partenaire attentive et constructive lors de l'élaboration de la loi qui, bien sûr, a pris un certain temps pour être finalisée. Mais cela était sans doute nécessaire.

Chemin tracé dès 2011 par Danielle Bousquet et Guy Geoffroy, cette loi est un marqueur sans précédent dans le combat contre les violences et pour l'égalité, tellement en adéquation avec son époque et l'exigence du mouvement #MeToo d'en finir avec le sexisme et le harcèlement. La prostitution était la dernière des violences contre les femmes qui n'était pas punie par nos lois. C'est chose faite depuis le 13 avril 2016. Avec cette loi, notre société a fait le choix d'une société égalitaire et d'extraire la sexualité de la violence.

Nous faisons collectivement le choix pour notre société d'affirmer qu'un acte sexuel, ça ne s'achète pas. Ça se partage. Qu'il n'y a pas d'un côté les personnes prostituées et de l'autre le reste de la population. Qu'aucun être humain ne devrait avoir à subir cela. Que le corps humain ne peut pas être source de profit.

Rappelons que plus de 80 % des personnes qui subissent ces pénétrations sexuelles non désirées sont étrangères et que 85 % sont des femmes. L'âge moyen d'entrée dans la prostitution est de 14 ans ; on le voit, la prostitution est l'expression la plus criante de la domination masculine mais aussi de la pédocriminalité.

Comme pour toute personne, tout citoyen ou citoyenne qui subit un acte violent, nous avons fait reconnaître le statut de victimes pour les personnes prostituées. Et s'il y a des victimes, il y a des coupables.

Les proxénètes, bien sûr, et parce que c'est une activité criminelle très lucrative, l'industrie du sexe a tenté de donner la vision de la prostitution comme celle d'un travail comme un autre, suggérant que celles qui s'identifient à des « travailleuses du sexe » consentent à leur exploitation. Or l'intégrité, la dignité, la non-patrimonialité du corps humain, tout s'oppose à la notion de travail dans l'activité sexuelle qui engage les parties intimes du corps, le sexe.

Être libre de son corps ne signifie pas pour autant que la sexualité puisse être monnayable. Alors comment nous faire croire que subir des relations sexuelles tarifées sous la contrainte économique relève du consentement.... Comme le disait Victor Hugo, « la misère offre, la société accepte... »

Et bien sûr, premiers coupables, les clients, 99 % d'hommes, qui en achetant un acte sexuel alimentent les réseaux de traite et les proxénètes, légitiment les rapports de pouvoir dans les rapports sexuels et l'idée que la sexualité masculine répond à des pulsions irrépressibles devant être satisfaites. Ils profitent de la misère économique de leurs victimes, montrant ainsi que tout s'achète.

Le Conseil constitutionnel a clairement et sagement rappelé dans sa décision de février 2019 que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation, est un principe à valeur constitutionnelle.

Cinq ans ont passé depuis l'adoption de la loi. On dit qu'il faut dix ans pour qu'une loi soit mise en oeuvre, mais nous n'avons pas dix ans. Sa réussite dépend de la volonté de tous les acteurs de la faire appliquer. Or les moyens et la mobilisation de ceux qui en ont la charge tardent. Leur responsabilité est considérable. On sait qu'elle peine à être déployée sur tout le territoire national, alors que là où elle est appliquée, elle fonctionne. Le portage politique et les moyens sont très insuffisants. Était prévue une campagne nationale de communication qui n'a jamais vu le jour, pourtant le débat qu'elle a ouvert dans la société est positif, nos concitoyens - et surtout nos concitoyennes - ne s'y trompent pas puisque d'après un sondage de 2019, 78 % soutiennent la loi.

Les chiffres effrayants de la prostitution des mineur.e.s sont connus depuis longtemps. Pourtant, peu ou pas de prévention à destination des jeunes de plus en plus confrontés à l'hyper-sexualisation et au proxénétisme de la porno-prostitution sur Internet.

Sont annoncées régulièrement des arrestations de proxénètes et c'est à souligner, - + 31% entre 2016 et 2019 - mais le trafic des êtres humains est tellement lucratif qu'il continue évidemment d'augmenter. Les clients sont rarement inquiétés, leur nombre pas même cité. Pourtant la pénalisation est le moyen le plus efficace pour les dissuader, eux, et dissuader les réseaux de s'implanter sur notre territoire.

De même, manque davantage de possibilité d'accompagnement pour les personnes victimes qui veulent sortir de la prostitution, qui ont besoin de se reconstruire, d'être mises en sécurité, d'obtenir réparation des dommages subis et d'appui pour quitter ce système de violences.

Les femmes sont encore considérées par beaucoup comme une sous-catégorie d'individus que l'on peut humilier, frapper, exploiter, violer, acheter, tuer, mépriser parce que ce sont des femmes. Les inégalités et les violences qu'elles subissent partout dans le monde - aujourd'hui en particulier on pense à l'Afghanistan - bien qu'elles soient régulièrement officiellement dénoncées, sont finalement largement et communément admises, c'est insupportable. Je pense à cette phrase d'Albert Einstein : « Le monde est dangereux à vivre ! Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire ».

Je remercie toutes celles et ceux qui luttent contre toutes les violences subies par les femmes, qui se battent tous les jours auprès des victimes, merci à toutes celles et ceux qui participent à la construction d'une société humaniste et civilisée qui affirme l'impératif d''égalité entre les femmes et les hommes, et merci à la délégation droits des femmes du Sénat de la mettre au coeur de l'agenda politique.

Remise du prix de la délégation
à Françoise Brié

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - J'invite Françoise Brié à me rejoindre.

Vous êtes une interlocutrice fidèle de notre délégation depuis de nombreuses années. C'est tout naturellement que nous avons choisi, dans une belle unanimité, de vous désigner parmi les récipiendaires du prix de la délégation pour 2021.

À travers vous, nous souhaitons saluer l'action sans équivalent de la Fédération nationale Solidarité Femmes , la FNSF, dont vous êtes la directrice générale, auprès de toutes les femmes victimes de violences sur le territoire national.

La FNSF anime un réseau de 73 associations spécialisées dans l'accompagnement des femmes victimes de violences, en particulier conjugales. 35 000 femmes sont ainsi accompagnées dans des centres d'accueil ; 7 000 femmes et enfants sont logés dans des lieux d'hébergement spécifiques. En outre, la fédération a créé il y a près de trente ans, en 1992, et gère, depuis lors, la ligne nationale d'écoute 3919 , qui a pris en charge près de 100 000 appels pour la seule année 2020. Elle a littéralement inventé le métier d'écoutant et d'écoutante.

Après une incertitude en fin d'année dernière liée au lancement par le Gouvernement d'une procédure de mise en concurrence du 3919 , que notre délégation avait dénoncée et qui a heureusement été abandonnée au début de l'année 2021, la ligne d'écoute nationale gérée par la FNSF est devenue un outil incontournable de la lutte contre les violences faites aux femmes. Elle est désormais accessible 24h/24 et 7j/7 sur l'ensemble du territoire national, métropolitain et ultramarin.

Chère Françoise Brié, à travers votre engagement constant et sans faille pour la défense de l'expérience et de l'expertise acquises depuis trente ans par la FNSF, vous vous êtes battue pour préserver la qualité de l'écoute des victimes de violences. En effet, le métier d'écoutant ne s'improvise pas, et les femmes qui subissent des violences conjugales ont besoin de ce professionnalisme et de cette disponibilité permanente.

Plus récemment, vous avez aussi aidé notre délégation à mieux comprendre les ressorts des violences faites aux femmes dans les territoires ruraux, et donc contribué au rapport que nous avons rendu public tout récemment intitulé « Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l'égalité ». À cette occasion vous aviez notamment souligné l'importance du travail en réseau, depuis le diagnostic jusqu'à la mise en sécurité et la reconstruction de ces femmes et de leurs enfants.

Comme vous, nous pensons que les violences conjugales sont un facteur d'inégalité entre les femmes et les hommes extrêmement important dans la sphère privée et qu'il faut, de ce point de vue, continuer à améliorer notre législation et surtout à mieux appliquer les lois existantes. Les deux prix que nous venons de décerner le démontrent également.

Chère Françoise Brié, c'est un immense privilège pour moi de vous remettre, au nom de l'ensemble des membres de la délégation, cette médaille consacrant votre action pour la protection des femmes victimes de violences.

De nombreux sénateurs et sénatrices nous ont rejoints. J'associe à ce prix les rapporteurs du rapport « Femmes et ruralité », puisque nous avons, avec ce rapport, balayé tous les sujets concernant les femmes des territoires ruraux, et notamment le sujet des violences conjugales.

Réponse de Françoise Brié

Monsieur le Président du Sénat, Madame la Présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs, Chères amies, quelle surprise et honneur de recevoir ce prix 2021 de la délégation aux droits des femmes du Sénat et de m'adresser à vous toutes et tous ce soir.

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs membres de la délégation aux droits des femmes du Sénat, je vous remercie sincèrement pour ce prix, reçu aussi comme directrice générale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF).

Je tiens donc à saluer le travail des équipes du siège de la FNSF, celles du 3919 , mais aussi celles des 73 associations de notre réseau Solidarité Femmes , présentes au quotidien aux côtés des femmes victimes de violences. Ce prix c'est à elles que je le dois et à toutes celles et ceux qui m'ont accompagnée dans mon engagement pour les femmes, en particulier mes amies féministes si présentes.

Depuis des années, la délégation aux droits des femmes du Sénat est mobilisée sur tous les fronts pour faire avancer l'égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les violences à l'encontre des femmes. Votre connaissance et votre analyse fine des problématiques rencontrées sur l'ensemble du territoire, ont toujours constitué un appui pour les associations, à la fois pour faire avancer la législation mais aussi pour réaliser des états des lieux et propositions pour toutes les femmes de notre pays.

Ernest Renan écrit : « Tout ce qui a été fait dans le monde a été fait au nom d'espérances exagérées ».

Ces espérances exagérées, adjectif que je mettrai entre guillemets en ce qui concerne la défense de nos droits inaliénables mais loin d'être reconnus dans leur entièreté, je les ai partagées avec vous durant des années. Lors d'auditions, de tables rondes, de courriers, toujours pour faire avancer la cause des femmes et en particulier celle des femmes victimes de violences.

Mettre la protection des femmes au coeur de toutes les réponses, éviter la victimisation secondaire, évaluer le danger et la sécurité des femmes et des enfants, les soutenir dans leur reconstruction, déconstruire les stéréotypes sexistes et les inégalités femmes-hommes sont des défis quotidiens que vous élues et élus et nous, représentantes et représentants d'associations tentons de relever au quotidien.

Depuis 2019, date de la création du prix que vous avez créé, à l'occasion de votre vingtième anniversaire, nous avons eu de multiples occasions d'échanger à travers une activité de plaidoyer très dense.

À chaque fois nous avons pu compter sur votre appui pour faire évoluer les lois, organiser des réponses et relever des défis, comme celui de la ligne d'écoute nationale, 3919 Violences Femmes Info , un des piliers nécessaires aux associations féministes dans la lutte contre les violences sexistes. Le 3919 est une mission d'intérêt général, il a pourtant été menacé par une mise en concurrence, et vous avez été là avec l'ensemble de nos partenaires pour que la FNSF puisse poursuivre les financements de l'État via une convention pluriannuelle d'objectifs et de moyens.

Dans mon parcours sur la situation des femmes, j'ai tout d'abord été marquée dans les années 1980 lors de missions humanitaires par les inégalités de santé, dans l'accès aux soins, aux ressources économiques, du fait des violences dont les mutilations sexuelles féminines, les mariages forcés et précoces, les violences conjugales, les violences sexuelles, les avortements forcés, l'absence de contrôle de leur propre fécondité, et la traite des êtres humains avec la prostitution, etc.

Évidemment, la défense des droits des femmes a trouvé une résonnance particulière avec la Fédération Nationale Solidarité Femmes , l'association l' Escale Solidarité Femmes et les mandats confiés au sein de la commission violences du HCE et la nomination en tant qu'experte au GREVIO (Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique).

La FNSF, que j'ai rejoint comme directrice en 2017, permet de synthétiser les constats et de les lier aux politiques publiques et aux législations en vigueur par un plaidoyer constant. C'est un foisonnement d'initiatives, de projets, d'expériences et d'échanges dans ce réseau de soixante-treize associations. Les écoutantes du 3919 , l'équipe du siège y sont étroitement liées et, comme les équipes des associations, confrontées au quotidien des femmes victimes de violences et aux réponses à leur apporter. D'où l'importance de conserver l'ensemble de ce système au sein des associations féministes.

La FNSF a, avec les autres réseaux associatifs comme Femmes Solidaires , la FNCIDFF (Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles), le CFCV (Collectif féministe contre le viol), l'AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail), le MFPF (Mouvement français pour le planning familial, le Mouvement du Nid , l' Amicale du Nid , la fédération GAMS (Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles), soutenues par votre délégation et celle de l'Assemblée nationale, les ministères et secrétariats aux droits des femmes et à l'égalité et leurs administrations, en particulier le SDFE (Service des droits des femmes et de l'égalité), porté de multiples avancées pour le droit des femmes à vivre sans violences.

Avec les évaluations menées sur la convention du conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l'encontre des femmes, il est bien confirmé que ce fléau est international et de grande ampleur. Certes les réponses et les moyens peuvent être différents d'un État à l'autre, mais il existe de nombreuses problématiques identiques : les moyens alloués, les enfants co-victimes et tout ce qui touche à l'autorité parentale, les violences économiques, la disparité entre territoires, la situation des femmes étrangères, etc.

Votre rôle dans les échanges avec vos collègues de ces États est essentiel pour croiser les constats et unir les parlementaires. Nous savons toutes et tous ici combien les droits fondamentaux, de l'accès à la contraception et à l'IVG, et ceux que promeuvent la convention dite d'Istanbul sur les violences sexistes contre les femmes, font l'objet d'attaques virulentes, organisées et très bien financées en Europe et à travers le monde.

Nous connaissons toutes et tous les paroles de Simone de Beauvoir : « N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant . » C'est toujours d'actualité et votre délégation a un rôle essentiel, à nos côtés, pour résister à ces mouvements ultraconservateurs et religieux extrémistes opposés aux avancées pour l'égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les violences sexistes à l'encontre des femmes.

Monsieur le Président du Sénat, Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, Mesdames et Messieurs, Chères amies, encore une fois merci pour cette distinction et pour votre présence aujourd'hui au Sénat.

Remise du prix de la délégation
à Oxfam France

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - J'invite notre ancienne collègue sénatrice Claudine Lepage à me rejoindre pour remettre le dernier prix. Je suis très heureuse qu'elle ait répondu à notre invitation. Elle a été une actrice essentielle au cours de la précédente session.

Nous invitons également Louis-Nicolas Jandeaux et Sandra Lhote-Fernandes, représentant l'association Oxfam France , à nous rejoindre.

Chère lauréate, cher lauréat, chaque année, nous choisissons de distinguer, au-delà de personnalités marquantes, une association ou une ONG dont nous souhaitons saluer l'action en faveur de l'égalité. Cette année, nous avons choisi de récompenser Oxfam France pour son action contre la pauvreté et les inégalités au niveau mondial.

Nos travaux à l'occasion de l'examen du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales nous ont permis de constater le chemin qu'il reste à parcourir en la matière. Ainsi, au niveau mondial, les femmes gagnent encore 20 % de moins que les hommes. Elles représentent 70 % des 1,2 milliard de personnes vivant avec moins d'un dollar par jour.

La pandémie de Covid-19 a exacerbé, à travers le monde, les inégalités et les violences de genre déjà à l'oeuvre avant le début de cette crise sanitaire, économique et sociale. Ainsi, ONU Femmes estime qu'elle pourrait avoir effacé, en une année seulement, les vingt-cinq ans de progrès réalisés en matière d'égalité femmes-hommes depuis la Conférence mondiale de Pékin.

À l'occasion de nos travaux sur le projet de loi relatif à l'aide publique au développement, nous avions pris connaissance avec beaucoup d'intérêt du rapport d' Oxfam intitulé Le virus des inégalités . Celui-ci indiquait notamment que 112 millions de femmes ne seraient plus exposées au risque de perdre leurs revenus ou leur emploi si le taux de représentation des hommes était le même que celui des femmes dans les secteurs affectés par la crise de Covid-19 (en premier lieu les secteurs du service). Il relevait aussi le fait que les femmes avaient contribué à faire « tourner le monde » pendant la crise sanitaire et qu'elles avaient été particulièrement exposées, puisqu'elles représentent 70 % des agents de santé et d'aide sociale et assurent les trois quarts du travail de soin non rémunéré. Enfin, il notait que les femmes et les filles faisaient les frais d'un accès restreint aux services de soins de santé sexuelle et reproductive, augmentant le risque de grossesses non désirées, de maladies sexuellement transmissibles et de complications survenant au cours de la grossesse.

Notre rapporteure à l'époque, Claudine Lepage, avait également entendu, dans le cadre de ses travaux sur le projet de loi, Louis-Nicolas Jandeaux et Sandra Lhote-Fernandes, respectivement chargé de plaidoyer « aide publique au développement » et chargée de plaidoyer « genre » de l'association Oxfam France .

Ils avaient notamment présenté les résultats d'une étude réalisée par Oxfam , scrutant la qualité de l'intégration du genre dans 72 projets des agences de développement de sept pays, dont la France. Nous avions noté avec désappointement que s'agissant de l'Agence française de développement, les dix projets sélectionnés réunissaient seulement 36 % des prérequis de l'OCDE pour être marqués « genre », avec une note globale de 22 % en termes de qualité de l'intégration de l'égalité femmes-hommes.

Nous avions été particulièrement sensibles aux recommandations formulées par Oxfam pour orienter davantage notre aide publique au développement vers des projets réellement favorables à l'égalité femmes-hommes.

Vos propos ont renforcé notre conviction que l'égalité des sexes et l'autonomisation économique et sociale des femmes constituent le socle essentiel d'un développement durable et qu'un changement de culture est nécessaire dans l'approche de l'aide publique au développement afin d'intégrer systématiquement un objectif d'égalité de genre à tous les projets.

Merci à vous pour votre engagement, vos travaux de recherche et vos actions. Je suis particulièrement heureuse de vous remettre, au nom de l'ensemble de mes collègues, cette médaille de la délégation, qui vous sera remise par Claudine Lepage, qui s'est beaucoup investie sur le sujet.

Claudine Lepage . - Je suis particulièrement heureuse de vous remettre cette médaille et ce diplôme. Merci beaucoup pour votre action.

Réponse d'Oxfam France

Sandra Lhote-Fernandes . - Merci beaucoup. Au nom d' Oxfam France , nous sommes très honorés de recevoir ce prix. Vous l'avez très justement décrit, nous sommes dans une année particulière. Nous avons tous été frappés par la pandémie. C'est aussi une année d'aggravation profonde des inégalités entre les femmes et les hommes. Nous risquons d'assister à un vrai recul en matière de droits des femmes à l'échelle mondiale. Nous avons perdu plusieurs décennies de progrès. Les droits des femmes sont en danger. Plus de 47 millions de femmes, à l'échelle de la planète, ont basculé dans l'extrême pauvreté à cause de cette pandémie. Pour éviter tout recul après des années de lutte des associations féministes, nous sommes mobilisés pour un plan de relance féministe.

Malgré ce tableau très pessimiste des risques que nous encourons en matière de droit des femmes, il y a des lueurs d'espoir. Nous souhaitons vraiment vous remercier, et je parle au nom de nombreux collègues ONG, pour les travaux réalisés par la délégation aux droits des femmes du Sénat. Celle-ci s'est très fortement mobilisée au moment de la loi sur le développement. Merci d'avoir entendu l'appel de la société civile de faire des droits des femmes une priorité de la politique de développement française. Il est vrai que la France a une diplomatie féministe, mais parfois les actes et les financements manquent à l'appel. Nous vous remercions de cette mobilisation. Nous sommes très honorés. La lutte contre les inégalités fait partie de l'ADN d' Oxfam . Nous ne pouvons pas avoir de justice sociale sans égalité entre les femmes et les hommes. Nous continuerons à nous mobiliser. Nous savons que nous avons de précieux alliés au Sénat.

Merci beaucoup.

Louis-Nicolas Jandeaux . - Merci beaucoup. En effet, nous sommes très heureux et honorés. Madame la Sénatrice Cohen parlait du mouvement des organisations de la société civile et des parlementaires qui font avancer ces sujets. Nous voyons un exemple criant dans cette loi contre les inégalités mondiales, qui a été un très gros sujet. C'est plus de trois ans d'investissement pour Oxfam France . C'est une belle loi, avec de beaux engagements et de grands progrès. Je tiens à remercier spécifiquement Madame la Sénatrice Lepage pour son travail d'une grande qualité. Son rapport sur l'égalité femmes-hommes dans l'aide au développement a, je pense, été décisif d'une certaine façon, y compris grâce au calendrier. Ce travail est arrivé en amont de la loi, ce qui a permis de prioriser de fait ces sujets et a ainsi permis à la France de se replacer, au moins législativement, sur la scène internationale sur ce sujet.

Le travail n'est pas terminé pour autant. C'est désormais à vous, parlementaires du Sénat et de l'Assemblée nationale, de veiller à ce que cette loi ait une existence, et qu'elle soit porteuse de tous les progrès qu'elle décrit en filigrane.

Merci beaucoup, au nom d' Oxfam France . Nous savons maintenant que la délégation aux droits des femmes du Sénat est un allié précieux sur le sujet.

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Merci à tous. Merci à toi, Claudine, d'avoir été présente ce soir. J'associe à ces remerciements la délégation et toutes les personnes qui travaillent à nos côtés. Je souhaite les remercier pour le travail qu'ils réalisent.

Chère Marie-Jo, tout à l'heure, vous me souhaitiez de rester dix ans à cette place. Il y a désormais des règles au Sénat. Nous ne devons pas cumuler les mandats dans le temps ! Nous travaillerons demain en séance publique sur la proposition de loi sur l'égalité économique et professionnelle. Si on ne libère pas de place pour les femmes, il n'y en aura pas. Je pense aux mandats d'administrateurs : s'il y a trop de cumul, il n'y aura pas de place pour les femmes.

Nous avons limité le cumul des mandats pour les politiques. On peut aussi limiter le cumul des mandats d'administrateurs, pour libérer des places pour les femmes. C'est aussi important.

Chère Françoise Brié, lorsque nous avons pris connaissance du projet d'appel d'offres pour le 3919 , nous avons souhaité nous engager. Nous avons communiqué, posé des questions écrites en quantité. Vous avez développé une expertise. Elle devait rester votre propriété pour garantir la continuité de ce service et de ce professionnalisme. Cette cause a été consensuelle.

Les rapports de la délégation aux droits des femmes sont bien souvent votés à l'unanimité. En général, lorsqu'il s'agit de lutte contre les violences ou d'égalité professionnelle, nous réussissons en effet à obtenir une belle unanimité.

Merci à toutes les personnes venues assister à cette remise de prix. Dans notre délégation siègent des femmes mais aussi des hommes qui défendent le droit des femmes. Je vois par exemple que Bruno Belin ou Jean-Michel Arnaud, rapporteurs sur le rapport « Femmes et ruralité » sont présents. La ministre Laurence Rossignol est également présente. Elle aurait pu, elle aussi, témoigner de la difficulté d'avancer sur la loi anti-prostitution. Marie-Pierre Monier était également présente.

Laurence Rossignol . - Je remercie la délégation aux droits des femmes, et félicite les primés de cette édition. Les choix révèlent une belle cohérence du travail de la délégation.

Je remercie cette dernière ainsi que sa présidente pour leur engagement constant en faveur de l'application de la loi de 2016 sur le système prostitutionnel. Ce n'était pas évident. Ce débat est souvent compliqué. Nous nous opposons à des résistances passives, à des représentations archaïques sur ce débat. Je suis très heureuse et très fière de ton engagement, Annick. C'est un point d'appui formidable pour les années à venir.

Nous nous battons. Maud Olivier, l'une des initiatrices de la proposition de loi à l'Assemblée nationale, sait combien il est encore difficile d'obtenir son application.

Merci également à Oxfam pour le travail réalisé. La question spécifique de la pauvreté des femmes est un sujet constant qu'il faut toujours objectiver. C'est ce que vous faites.

Chère Françoise Brié, votre nomination était évidente cette année, avec le beau combat que vous avez mené et que vous nous avez incités à mener contre l'appel d'offres du numéro d'écoute sur les violences faites aux femmes, pour que le 3919 conserve la compétence, l'expertise et l'expérience que lui apporte la FNSF.

C'est un beau moment, féministe, d'engagement et de sororité, qu'il faut saluer. Merci.

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Merci. Je suis sensible à tes mots de soutien. Nous avons organisé énormément de réunions, de tables rondes. Il a fallu faire un choix, à un moment donné. Laurence Rossignol le soulignait, les personnes nous ayant aidé dans notre travail sont nombreuses. L'égalité professionnelle et économique n'était pas un sujet évident il y a dix ans. La loi contre la prostitution a quant à elle représenté un changement de paradigme total. Il a fallu beaucoup de courage et d'endurance de la part des parlementaires.

Je laisse la parole à notre président. Je le remercie sincèrement. À chaque sollicitation de la délégation, il répond présent.

Discours de clôture par Gérard Larcher,
président du Sénat

Madame la Présidente, mes chers collègues sénatrices et sénateurs, chers collègues, Mesdames les anciennes députées, Mesdames, Messieurs, je tenais à participer, même en conclusion, à cette cérémonie.

La crise sanitaire nous appelle à redoubler d'efforts et de vigilance, car elle a exacerbé un certain nombre d'inégalités, pas uniquement entre les hommes et les femmes. Il y en a d'autres, que nous analysons actuellement.

Ce sont d'abord le Président du Sénat et toute l'institution qui souhaitent rendre hommage à ceux qui ont été salués ce soir, mais aussi aux membres de la délégation pour leur engagement au service des droits des femmes.

Je voudrais m'adresser aux lauréats que la délégation a souhaité distinguer. Je sais que vous avez été des interlocuteurs fidèles et constructifs tout au long des travaux de la délégation, et je vous en remercie.

C'est vrai, nous ne sommes pas une tour d'ivoire qui légifère et contrôle hors-sol. Dans leur travail sur le terrain, les sénateurs font remonter les préoccupations des Français, les dysfonctionnements des politiques publiques. Mais ils ont aussi un grand besoin d'éclairage de la part des experts de la société civile que vous incarnez, Madame Brié, responsable du 3919 , et Louis-Nicolas Jandeaux et Sandra Lhote-Fernandes pour Oxfam France . Je vous félicite.

Le Parlement, pour rester le coeur battant de la démocratie, a besoin du concours du plus grand nombre pour légiférer et contrôler de la manière la plus éclairée. Merci d'avoir pris le temps de venir débattre, expliquer, contredire devant la délégation.

Mes chères collègues, Mesdames Zimmermann et Olivier, vous avez apporté un éclairage tout particulier au Sénat, un éclairage rétrospectif qui me semble important : vos expériences d'auteure ou de rapporteure de deux lois fondamentales pour les femmes. Je parle ici de la loi dite « Copé-Zimmermann » du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle, et de la loi du 13 avril 2016 sur la lutte contre le système prostitutionnel.

Vous avez, par vos témoignages, contribué à exaucer un de mes voeux comme président du Sénat : renforcer le suivi de l'application des lois pour s'assurer de la qualité de la loi, mais aussi du respect du travail du Parlement. L'inaction du pouvoir réglementaire de l'exécutif, parfois volontaire, revient à faire échec à la loi, expression de la volonté générale.

La loi sur la lutte contre le système prostitutionnel m'apparaît être un cas d'école. Nous nous en souvenons, elle a été brandie sur les plateaux et dans les éditos le temps de son adoption et a été quelque peu délaissée par la suite. Depuis son entrée en vigueur jusqu'en 2020, le nombre de verbalisations de clients a été stable, avec une moyenne annuelle de 1 300 individus concernés. Surtout, seules 2 % des victimes, bien qu'elles ne souhaitent pas toutes porter ce nom, ont bénéficié d'un parcours de sortie de la prostitution. Il y a là un vrai sujet, qui mérite sans doute que nous reprenions ce travail. Y a-t-il eu, malgré toute la qualité du rapporteur, des faiblesses dans le texte, ou la mise en oeuvre pose-t-elle problème ? Abordons la procédure de contrôle et d'évaluation sans a priori. En tout cas, l'objectif du rapporteur et de ceux qui ont accompagné le texte n'a pas pu être atteint.

Madame Zimmermann, vous n'avez pas seulement inspiré la grande loi de 2011, mais aussi, par votre engagement tenace, la proposition de loi visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle , en cours d'examen au Parlement. Là, nous avons des résultats plus positifs. Nous sommes sur une pente qui m'apparaît plus « vertueuse ». C'est parce que vous vous êtes attachée à mesurer les effets concrets de votre loi de 2011 que vous avez pu aider les parlementaires à la compléter utilement. Nous devons donc réfléchir par rapport au texte de votre collègue Maud Olivier. C'est peut-être le rôle d'un président d'assemblée de dire que nous n'avons pas atteint l'objectif, dans la diversité de ce que nous sommes.

Encore bravo aux membres de la délégation.

Le choix des lauréats reflète le champ de vos réflexions : les inégalités à l'international à travers Oxfam , les violences faites aux femmes à travers Françoise Brié, l'égalité professionnelle avec Marie-Jo Zimmermann, la situation des personnes prostituées avec Maud Olivier. Ces choix me semblent vous honorer tous les cinq. Ils doivent nourrir encore des travaux. J'insiste sur l'évaluation. Il ne suffit pas de voter un texte et de penser que nous sommes en quelque sorte libérés de tous devoirs. Nous avons une exigence. Nos collègues le savent, et travaillent sur une manière de mieux contrôler. Je le dis d'autant plus que 52 % de notre législation depuis cinq ans se sont faits par ordonnance. Le rôle et la place du Parlement constituent un véritable sujet. Seuls 18 % des ordonnances ont vu leur ratification mise en oeuvre.

Pardon d'être arrivé en fin de réunion, mais j'avais envie de conclure et de vous dire tout ça. Merci beaucoup.

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Merci, Monsieur le Président, de vous être rendu disponible ce soir. Merci pour vos mots et pour l'honneur que vous nous faites d'être toujours présent aux événements de la délégation.

REMISE DU PRIX 2021 DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES

ANNICK BILLON , PRÉSIDENTE DE LA DÉLÉGATION

MARIE-JO ZIMMERMANN ,
ANCIENNE DÉPUTÉE

MAUD OLIVIER ,
ANCIENNE DÉPUTÉE

FRANÇOISE BRIÉ , DIRECTRICE GÉNÉRALE
DE LA FÉDÉRATION NATIONALE SOLIDARITÉ FEMMES

OXFAM FRANCE

De gauche à droite, au premier rang : Laurence Rossignol , vice-présidente du Sénat ; Laure Darcos , vice-présidente de la délégation aux droits des femmes ; Françoise Brié ; Marie-Jo Zimmermann ; Gérard Larcher , président du Sénat ; Maud Olivier ; Annick Billon , présidente de la délégation aux droits des femmes ; Jean-Michel Arnaud ; Marie-Claude Varaillas .

Au deuxième rang : Guylène Pantel , vice-présidente de la délégation aux droits des femmes ; Louis-Nicolas Jandeaux ; Sandra Lhote-Fernandes ; Laurence Cohen , vice-présidente de la délégation aux droits des femmes ; Martine Filleul , vice-présidente de la délégation aux droits des femmes ; Elsa Schalck , Dominique Vérien , vice-présidente de la délégation aux droits des femmes.

Au troisième rang : Bruno Belin ; Claudine Lepage , ancienne sénatrice des Français de l'étranger ; Marie-Pierre Monier , vice-présidente de la délégation aux droits des femmes ; Annick Jacquemet ; Marie-Pierre Richer ; Marc Laménie , vice-président de la délégation aux droits des femmes.

ANNEXE

COMMUNIQUÉ DE PRESSE DU 8 OCTOBRE 2021

Prix de la délégation aux droits des femmes du Sénat :
un palmarès 2021 qui reflète les travaux et engagements de la délégation

La délégation aux droits des femmes a désigné, jeudi 7 octobre 2021, les quatre lauréats du prix qu'elle a créé en 2019, à l'occasion de son vingtième anniversaire. Ce prix distingue des personnalités ou des associations engagées dans la défense des droits des femmes et l'égalité entre les femmes et les hommes et qui ont contribué à éclairer la réflexion de la délégation au cours de la session parlementaire écoulée.

Pour sa troisième édition, les lauréats du Prix de la délégation aux droits des femmes du Sénat sont :

- Marie-Jo Zimmermann, ancienne députée, pour sa participation aux travaux de la délégation sur le bilan d'application des dix ans de la loi qui porte son nom, en faveur de la parité dans les instances de gouvernance des entreprises françaises et plus largement de l'égalité professionnelle ;

- Maud Olivier, ancienne députée, au titre de sa participation aux travaux de la délégation sur le bilan d'application de la loi du 13 avril 2016 sur la lutte contre le système prostitutionnel dont elle est l'une des auteures ;

- Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) pour son action en faveur de la protection des femmes victimes de violences ;

- l'association Oxfam France , entendue dans le cadre du rapport de la délégation sur l'égalité femmes-hommes comme enjeu de l'aide publique au développement, pour son travail sur les questions de pauvreté et de lutte contre les inégalités.

Pour Annick Billon, présidente de la délégation, « le choix de ces quatre lauréats permet de mettre en lumière l'engagement de femmes et d'hommes, parlementaires et associations, pour faire avancer la cause des droits des femmes, que ce soit en matière d'égalité professionnelle, de combat contre le système prostitutionnel, de lutte contre les violences ou de lutte contre la pauvreté par la voie de la solidarité internationale . »


* 1 Les deux délégations parlementaires aux droits des femmes résultent d'une loi adoptée en 1999 (loi n° 99-585 du 12 juillet 1999). Les premiers lauréats distingués par la délégation ont reçu leur prix le 10 octobre 2019, lors de la commémoration de la création de la délégation ( Vingtième anniversaire de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat , rapport d'information fait par Annick Billon, Laurence Cohen, Marta de Cidrac, Loïc Hervé, Françoise Laborde et Laurence Rossignol au nom de la délégation aux droits des femmes - n° 148, 2019-2020).

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