EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 15 décembre 2021, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport d'information de MM. Ronan Le Gleut et André Vallini sur le projet de contrat d'objectifs et de moyens (COM) de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) (2021-2023).

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - La commission est saisie du projet de contrat d'objectifs et de moyens de l'AEFE pour la période 2021-2023, en application de la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État, qui nous donne la possibilité de rendre un avis sur ce COM dans un délai de six semaines à compter de la saisine.

L'avis que nous vous proposons, avec André Vallini, est nuancé. En effet :

- Ce contrat d'objectifs et de moyens s'inscrit, d'une part, dans une dynamique de croissance du réseau, qui est très positive. Le COM s'articule autour de 10 objectifs stratégiques, déclinés en 28 objectifs opérationnels, évalués au travers de 20 indicateurs. L'ensemble est mis au service de la croissance d'un réseau qui est l'un des principaux fleurons de notre diplomatie culturelle. Ce réseau est même, probablement, notre premier outil d'influence dans le monde. Il s'agit, avec ce COM, de créer les conditions nécessaires à la satisfaction de l'objectif de doublement des effectifs à l'horizon 2030, conformément à l'orientation fixée par le Président de la République en 2018.

- Mais, d'autre part, au regard des nombreux objectifs énoncés, le volet « moyens » est insuffisant. Encore faut-il préciser que ce volet « moyens » n'existait même pas dans le précédent COM. Il a le mérite, cette fois, d'être présent, même s'il représente 1 page sur les 25 qui nous sont soumises.

Sur le fond, le COM renvoie à l'annualité budgétaire : or l'année 2021 est déjà écoulée, et le projet de loi de finances a précisé ce que seront les crédits en 2022. Rien n'est garanti, ni même envisagé, pour 2023, et encore moins au-delà puisque ce COM ne porte en pratique que sur deux exercices. Le COM ne permet aucune prévisibilité, ce qui nuit à la crédibilité de la stratégie proposée.

Avant de détailler ce constat, notons qu'à la rentrée 2021, le réseau de l'AEFE comptait 543 établissements, scolarisant plus de 375 000 élèves dont 40 % sont français et 60 % étrangers. 67 établissements sont gérés directement par l'AEFE, 159 sont conventionnés et 317 sont des établissements partenaires.

Doubler les effectifs signifie atteindre le chiffre de 700 000 élèves en 2030. C'est donc un tournant qui a été engagé au cours des deux dernières années. Mais les efforts doivent s'intensifier car, au rythme de croissance actuel, l'objectif ne serait atteint qu'après 2050.

C'est un tournant car le quinquennat en cours s'était ouvert sur une période de disette budgétaire. En 2017, l'AEFE a subi une annulation de crédits de 33 millions d'euros, nécessitant un plan d'économies et une hausse temporaire du taux de la participation financière complémentaire due par les établissements.

L'Agence a observé une baisse de ses effectifs en termes de personnel, de l'ordre de 2 % entre 2016 et 2021. Cette baisse est due au schéma d'emplois adopté en 2017 pour la période 2018-2020 qui prévoyait la suppression de 512 ETPT (équivalent temps plein travaillé) de résidents et d'expatriés.

La baisse des effectifs est de 21 % pour les personnels expatriés et de 7 % pour les résidents.

À l'inverse, le personnel de droit local croît de 9 %, représentant logiquement une part croissante des effectifs de l'Agence.

Les personnels expatriés et résidents sont des fonctionnaires en position de détachement auprès de l'AEFE. Les personnels de droit local peuvent également être des fonctionnaires titulaires, en disponibilité, ou bénéficiant d'un détachement direct de l'académie vers un établissement partenaire.

La croissance de la part des personnels de droit local implique néanmoins, globalement, un effort de formation important pour que la croissance du réseau ne se fasse pas au détriment de la qualité qui fait la réputation de l'enseignement français à l'étranger.

Le précédent COM avait ainsi mis l'accent sur l'optimisation de la gestion, dont relevaient 4 objectifs sur un total de 9.

Par comparaison, le COM actuel est beaucoup plus dynamique :

- Il s'efforce d'accroître l'attractivité de l'enseignement français à l'étranger, d'attirer de nouveaux publics ;

- Il renforce le rôle de l'Agence au service du développement du réseau : l'Agence a déjà amorcé ce tournant, en organisant l'accompagnement des établissements candidats à l'homologation et en intensifiant ses efforts dans le domaine de la formation. 16 instituts régionaux de formation sont actuellement en cours de création dans des établissements mutualisateurs. La formation est l'un des piliers de la stratégie de croissance du réseau. C'est pourquoi il faudrait pouvoir disposer d'indicateurs plus qualitatifs que ceux proposés dans ce COM : connaître par exemple le nombre d'heures de formation proposé pour chaque enseignant formé, ou encore le nombre de parcours diplômants effectués.

Le COM réaffirme le rôle de l'Agence au service du réseau labellisé (LabelFrancEducation) et des 173 associations Français langue maternelle (FLAM). C'est un point important en termes d'influence et pour le développement de la francophonie. L'AEFE est invitée à encourager les échanges entre ces associations FLAM et les établissements homologués, et à consolider les aides qui leur sont consenties.

Enfin, le COM invite l'Agence à poursuivre sa modernisation, en particulier en associant davantage les familles à la gouvernance de l'agence. C'est là aussi une évolution souhaitable, dans la mesure où les familles sont très impliquées dans cet enseignement français à l'étranger, dont elles financent 81 % du coût de fonctionnement (et 64 % pour les EGD).

M. André Vallini, rapporteur. - J'en viens au revers de la médaille de ce contrat d'objectifs et de moyens, qui pèche par la faiblesse de son volet « moyens ».

En LFI 2020, le montant de la subvention pour charge de service public de l'AEFE (programme 185) a augmenté de 25 M€, pour favoriser la mise en oeuvre du plan de développement de l'enseignement français à l'étranger.

Il s'agit d'un « rebasage » c'est-à-dire que la subvention ainsi augmentée a, depuis lors, été reconduite. Cette augmentation est toutefois intervenue, il faut le rappeler, après l'annulation de crédits de 33 millions d'euros, évoquée par Ronan Le Gleut.

Par ailleurs, l'augmentation observée en 2021 (+9 M€) résulte de la réintégration au programme 185 de dépenses de sécurisation des établissements, auparavant prises en charge dans le cadre d'un compte d'affectation spéciale. Il s'agit donc d'un transfert, non d'une augmentation.

S'agissant des bourses scolaires, une baisse de 10 M€ est observée en 2022. Ces bourses passent en effet de 104 M€ à 94 M€.

Cette baisse sera compensée par un prélèvement de 10 M€ sur la trésorerie de l'AEFE, qui sera d'ailleurs aussi mobilisée en faveur des établissements français au Liban.

Surtout, le COM n'apporte aucune garantie quant au retour de l'enveloppe des bourses à son niveau antérieur.

Or comment imaginer que le doublement des effectifs ne s'accompagne pas d'une trajectoire d'augmentation des crédits budgétaires dans ce domaine ?

Les ponctions sur la trésorerie de l'AEFE sont d'autant plus préjudiciables que celle-ci ne peut pas emprunter, au titre de la loi, qui interdit l'emprunt aux organismes français relevant de la catégorie des administrations publiques centrales.

Il s'agit d'une mesure de consolidation du périmètre de la dette publique destinée à favoriser le respect des normes européennes en la matière. L'AEFE ne peut ainsi recourir qu'aux avances de l'Agence France Trésor, de courte durée (un an).

Outre les avances accordées dans le cadre du plan de soutien à l'AEFE, en réponse à la crise sanitaire (plafonnées à 50 M€), l'Agence bénéficie ainsi de 4 M€ d'avances en 2021 pour financer son développement immobilier. En 2022, le montant inscrit en loi de finances initiale s'élève à 7,4 M€. Ces avances sont théoriquement destinées à un besoin de financement imprévu. Elles ne sont pas adaptées au financement immobilier. C'est pourquoi le COM prévoit leur mise en extinction en 2022 ou, au plus tard, en 2023.

La question du financement immobilier demeure donc ouverte. C'est un point de blocage très important.

Un groupe de travail interministériel doit être prochainement constitué en vue de la mise en place d'un mécanisme pérenne de financement, dont le COM dit qu'il « pourra reposer sur une mise en commun ponctuelle des réserves de trésorerie disponibles au sein du réseau ou la constitution d'un fonds mutualisé à partir de contributions des établissements ».

Cette idée d'un financement mutualisé entre établissements est problématique. Les frais d'écolage, les modalités de gestion de ces établissements sont très divers. Ponctionner la trésorerie d'un établissement pour financer des travaux dans un autre établissement sera, dans certains cas, totalement irréalisable.

Au sein d'un même établissement, constituer une soulte pour de futures générations serait aussi contesté, et contestable.

Or l'atteinte de l'objectif de doublement des effectifs passe nécessairement par des opérations immobilières. Il nous paraît nécessaire de permettre à l'agence de recourir à l'emprunt.

Par ailleurs, le dispositif de garantie qui se substitue à l'Association nationale des écoles françaises de l'étranger (ANEFE), pour accompagner les projets immobiliers des établissements conventionnés et partenaires, est moins favorable que celui qui préexistait.

Il prévoit en particulier une rémunération de la garantie par une commission variable en fonction des risques encourus, alors que cette commission était auparavant unique et mutualisée. C'est regrettable. Une première réunion de la commission interministérielle d'octroi doit se tenir prochainement, dans le cadre du nouveau dispositif institué. Il serait souhaitable que le COM mentionne la mission d'instruction des dossiers confiée à l'AEFE dans le cadre de ce nouveau dispositif.

Enfin, les deux contributions actuellement dues par les EGD et par les établissements conventionnés, la participation financière complémentaire (PFC) d'une part, et la participation à la rémunération des résidents (PRR), d'autre part, seront remplacées par une contribution unique assise sur le chiffre d'affaires, donc a priori décorrélée des moyens mis à disposition par l'Agence pour chaque établissement.

Cette fusion est source de nombreuses incertitudes pour les établissements et les familles, d'autant qu'elle s'inscrit dans le cadre d'un objectif visant à « accroître les ressources propres de l'Agence » donc à augmenter la contribution des établissements, en tirant parti de la croissance du réseau, dans la mesure où le potentiel de diversification des ressources propres, semble limité.

Il serait logique que cette contribution soit corrélée aux services rendus par l'agence aux établissements.

Nous demandons donc une étude d'impact à ce sujet, afin d'y voir plus clair.

Je partage donc l'avis nuancé formulé par Ronan Le Gleut en introduction. Les objectifs de ce COM ne sont pas contestables, mais l'asymétrie avec les moyens proposés est évidente.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Merci pour ce rapport. Vous avez parfaitement identifié les forces et les faiblesses de ce contrat d'objectifs et de moyens. Je partage votre demande d'étude d'impact : celle-ci aurait déjà dû être réalisée alors que ce COM est attendu depuis longtemps.

Nous partageons l'objectif de doubler les effectifs, mais l'outil a été affaibli depuis 2017, avec l'annulation de 33 M€ de crédits, la suppression de nombreux postes et le remplacement de l'ANEFE par un dispositif moins favorable.

L'extension du réseau peut passer par le secteur privé mais cela ne doit pas être un objectif en soi. Nous disposons d'un outil unique que l'on ne peut pas comparer à d'autres systèmes d'enseignement qui ne sont pas constitués en réseau au plan international.

Notre commission doit continuer à soutenir l'AEFE.

M. François Patriat. - Je salue le travail des rapporteurs sur ce COM. Le réseau effectue un travail précieux qu'il nous appartient de soutenir. C'est un sujet essentiel pour de nombreux Français établis hors de France. La mise en oeuvre de ce nouveau contrat nous portera vers le cap fixé par le Président de la République.

J'ai bien noté ce que vous avez indiqué au sujet de la faiblesse du volet « moyens » ; néanmoins, le fait de favoriser la croissance de ce réseau, en portant une attention particulière à la formation, est essentiel, tout comme le fait d'associer davantage les parents d'élèves, les anciens élèves et les associations FLAM. C'est le sens de la proposition de loi, déposée par notre collègue Samantha Cazebonne, qui sera examinée en séance publique en janvier prochain.

M. Olivier Cadic. - Merci aux rapporteurs. La majorité des établissements du réseau relève du secteur privé. Ils ne sont pas gérés par l'AEFE.

Les points positifs de ce contrat d'objectifs et de moyens ont été rappelés, notamment la création des instituts régionaux de formation, qui répond à un véritable besoin.

Mais, s'agissant des moyens, la grande difficulté est qu'en France, dès lors que nous parlons d'enseignement, nous pensons « argent public ». Or en l'an 2000, il y avait une école française à l'étranger pour deux écoles anglo-saxonnes. Aujourd'hui, le rapport est d'un pour vingt. Dire que ces écoles anglo-saxonnes ne sont pas organisées en réseau révèle une méconnaissance du système.

Nous devons revoir les modalités d'homologation. Le doublement des effectifs d'ici à 2030 est une nécessité absolue pour la survie de l'enseignement français à l'étranger, qui ne doit pas rester lié à la gestion d'une administration. Il faut repenser le financement immobilier, qui ne peut plus reposer sur des fonds publics. Il faut penser différemment, mobiliser de nouvelles actions, lever de l'argent privé pour soutenir le dynamisme de l'enseignement français à l'étranger.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je maintiens que notre réseau est unique. Le système anglo-saxon repose entièrement sur le secteur privé, ce qui n'est pas le cas de l'AEFE. L'enseignement français est fondé sur un noyau d'établissements gérés par l'agence, avec autour une nébuleuse d'établissements privés. Ce réseau vaut la peine d'être protégé et développé.

M. Guillaume Gontard. - Merci pour ce travail. On ne peut en effet qu'approuver l'objectif de doublement du nombre d'élèves. Les rapporteurs rappellent qu'au rythme actuel cet objectif ne sera atteint qu'après 2050. Cela révèle un vrai problème de moyens. Par ailleurs, l'homologation de nouveaux établissements peut créer des phénomènes de concurrence. L'absence de dialogue social est regrettable. Enfin, le numérique éducatif a tendance à se généraliser, sans les moyens ni l'accompagnement nécessaires.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Merci pour toutes ces observations qui rejoignent les constats que nous avons formulés.

Concernant l'accès à l'emprunt, notre recommandation est de sortir l'AEFE de la catégorie des organismes divers d'administration centrale (ODAC) pour lui permettre de recourir à l'emprunt pour financer ses projets immobiliers et permettre ainsi la croissance des établissements.

Nous renouvelons cette demande que nous avions déjà formulée dans le cadre de notre avis budgétaire sur le programme 185.

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