B. DES ÉCHANGES TECHNIQUES FLUIDES AVEC LES SERVICES DU GOUVERNEMENT, QUI SERONT UTILEMENT COMPLÉTÉS PAR L'AUDITION DU MINISTRE EN CHARGE DES RELATIONS AVEC LE PARLEMENT MAIS QUI PRÉSENTENT DES LIMITES

1. Des échanges tout au long de l'élaboration du rapport, permettant de se concentrer sur les difficultés persistantes

Après rapprochement des états établis au 31 mars, les commissions échangent avec les services correspondants au sein des administrations, avec l'appui du SGG, afin de déterminer les raisons qui ont empêché ou retardé la parution de certains textes. Cela permet d'enrichir l'aspect qualitatif du contrôle et d'éviter d'éventuelles incompréhensions.

Cette interaction a permis d'aboutir à une convergence relative des taux globaux d'application des lois calculés par le Sénat et le Gouvernement. Le Sénat a ainsi calculé deux taux d'application : le premier, qui prend en compte les mesures dont le législateur a prévu une entrée en vigueur différée (dites « mesures différées ») est de 57 % ; il passe à 63% lorsqu'on exclut ces mesures. Leur nombre élevé - 76 selon l'estimation du Sénat - explique une bonne partie de l'écart entre les deux chiffres. Au cours de la session écoulée, ces mesures différées concernaient essentiellement les textes relevant des compétences respectives de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des finances. Cette dernière, dans sa contribution au présent bilan, s'alarme de la constante augmentation de ces mesures différées : avec 48 nouvelles mesures, le stock suivi par la commission s'établit à 83 mesures, soit un triplement depuis la session 2019-2020. Ces mesures relativement rares il y a quatre ans dans le périmètre de la commission des finances tendent ainsi désormais à proliférer.

Le taux d'application calculé par les services du Secrétariat général du Gouvernement , également hors mesures différées, est quant à lui de 60 % , en retrait de 13 points par rapport à la session 2019-2020, elle-même en retrait de près de 10 points par rapport à la session 2018-2019.

Cette convergence relative entre les taux de 63% et 60% calculés par le Sénat et le Secrétariat général du Gouvernement, permise par une harmonisation des modes de calcul, n'empêche pas des divergences ponctuelles d'interprétation sur la nature des mesures . Par ailleurs, le Sénat raisonne par mesure, et un même texte réglementaire peut appliquer plusieurs dispositions législatives : il peut donc être compté plusieurs fois, entraînant une hausse du taux d'application.

2. Une divergence tenace et peu justifiée : l'absence de suivi des arrêtés par le Secrétariat général du Gouvernement

L'absence de suivi des arrêtés par le Secrétariat général du Gouvernement, qui contribue également à l'écart entre les taux précédemment évoqués, demeure un angle mort du suivi de la prise des textes appelés par les lois votées, que le Sénat s'efforce, quant à lui, d'éclairer. Lors de son audition du 12 mai 2021, dans le cadre de l'élaboration du précédent bilan, la Secrétaire générale du Gouvernement expliquait ce défaut de suivi par une conjonction de facteurs humains et de considérations juridiques.

Si le Secrétariat général du Gouvernement peut recenser l'ensemble des décrets pris par l'exécutif, ses effectifs réduits ne lui permettraient pas de suivre les quelques 8 000 arrêtés pris annuellement par les ministères : « imaginer que le SGG puisse être la tour de contrôle de la production des arrêtés conduirait à un bouleversement complet de sa physionomie » 18 ( * ) .

Sur le plan juridique, tout en demeurant ouverte à une réflexion sur « des modes d'aiguillonnage des départements ministériels », la Secrétaire générale du Gouvernement expliquait cette restriction au suivi des seuls décrets d'application des lois par la raison que le Premier ministre en est l'auteur.

Quoi qu'il en soit, cette position de principe complique le contrôle de l'application des lois. Le Sénat ne peut que le regretter et rappelle avec force que, pour l'application d'une loi, peu importe que la disposition adoptée renvoie à un décret ou à un arrêté : la non-adoption de l'un ou de l'autre a pour effet, dans les deux cas, d'empêcher la volonté du législateur de se traduire pleinement dans le droit et dans les faits. En outre, conformément à l'article 21 de Constitution, seul le Premier ministre « exerce le pouvoir réglementaire » 19 ( * ) de droit commun. En dehors du pouvoir d'organisation de leurs services, les ministres ne sont associés à son exercice qu'en vertu d'une délégation accordée par une loi ou un décret. Le Premier ministre a donc à répondre des actes de ses ministres et, à ce titre, le Secrétariat général du Gouvernement n'outrepasserait pas son rôle s'il suivait la publication des arrêtés. Le Sénat s'étonne d'autant plus de cet état de fait que ses commissions permanentes veillent à ce suivi, chacune dans leur domaine de compétences, sans que leur « physionomie » n'en soit particulièrement affectée malgré une charge croissante.

Ce non-suivi de la prise d'arrêtés est d'autant plus regrettable que le Sénat constate chaque année que le taux de prise des arrêtés demeure faible, systématiquement inférieur au taux de prise des décrets. Ainsi, au 31 mars 2022, la commission des lois enregistrait un taux de prise des arrêtés de 33 %, contre 70 % pour les décrets. Ce taux de prise d'arrêtés s'établit à 40 % pour la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

Au total, le taux d'application des arrêtés ne franchit le seuil de 50 % que si l'on y adjoint les arrêtés non prévus. Sans ces derniers, le taux s'établit à 48 %. En d'autres termes, au 31 mars 2022, moins d'un arrêté sur deux appelé par la loi est effectivement publié par le Gouvernement.

Le contrôle minutieux de l'application des lois opéré par le Sénat ne saurait faire l'économie du suivi exhaustif des arrêtés, non seulement nécessaire, mais aussi utile. Dans la continuité de sa contribution au précédent bilan d'application des lois, la commission des finances souligne dans sa présente contribution que l'absence de suivi des arrêtés semble contraire aux dispositions de l'article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004, lequel ne vise pas seulement les décrets . Il précise en effet qu'un tel rapport « mentionne les textes réglementaires publiés et les circulaires édictées pour la mise en oeuvre de ladite loi, ainsi que, le cas échéant, les dispositions de celle-ci qui n'ont pas fait l'objet des textes d'application nécessaires et en indique les motifs ».


* 18 Compte rendu de l'audition de la Secrétaire générale du Gouvernement, en annexe du rapport d'information n° 645 (2020-2021) de Mme Pascale GRUNY, président de la délégation du Bureau en charge du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances, déposé le 27 mai 2021.

* 19 Selon l'article 13 de la Constitution, le Président de la République dispose également d'une compétence d'attribution sur les ordonnances et les décrets délibérés en conseil des ministres, laquelle a été progressivement élargie.

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