N° 724

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 juin 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'information (1) sur « L' exploration , la protection et l' exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? »,

Président
M. Michel CANÉVET,

Rapporteur
M. Teva ROHFRITSCH,

Sénateurs

(1) Cette mission est composée de : M. Michel Canévet, président ; M. Teva Rohfritsch, rapporteur ; MM. Stéphane Artano, Alain Cadec, Jacques Fernique, Joël Guerriau, Jean-Michel Houllegatte, Mme Micheline Jacques, M. Gérard Lahellec,
Mme Angèle Préville, vice-présidents ; Mme Vivette Lopez, M. Pascal Martin, secrétaires ; MM. Hussein Bourgi, Laurent Duplomb, Philippe Folliot, Mme Muriel Jourda, M. Didier Mandelli, Mmes Laurence Muller-Bronn, Catherine Procaccia.

L'ESSENTIEL

La politique des grands fonds marins a connu une nouvelle impulsion dans le cadre du plan d'investissement France 2030. Pour la France, dont la superficie maritime représente dix-sept fois la superficie terrestre, grâce à ses outre-mer, les enjeux sont essentiels. C'est pourquoi, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), le Sénat a créé une mission d'information sur « L'exploration, la protection et l'exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? ». À l'issue de cinq mois de travail, la mission formule vingt recommandations pour donner un nouveau départ à la stratégie nationale pour les grands fonds marins.

1. GOUVERNANCE : UNE NÉCESSAIRE RÉVOLUTION COPERNICIENNE

La politique des grands fonds marins est, à l'heure actuelle, abordée principalement sous le prisme de l'État et des experts. Il en résulte un climat d'incompréhension , voire de méfiance, à l'encontre de politiques publiques parfois suspectées de conduire subrepticement mais inexorablement à l'exploitation des ressources minières des grands fonds.

Or, la question des fonds marins concerne tous les citoyens , notamment dans les régions où les modes de vie, l'économie et la culture sont très marqués par un environnement maritime qui subit déjà de plein fouet le réchauffement climatique et une réduction drastique de la biodiversité.

C'est pourquoi il faut adopter une démarche beaucoup plus politique, dans l'élaboration et la mise en oeuvre d'une stratégie pour les grands fonds marins, en associant le Parlement et les outre-mer au pilotage et au suivi .

La multiplicité des acteurs impliqués impose par ailleurs de définir un leadership clair, de fixer un cap, un calendrier, d'allouer les moyens annoncés , c'est-à-dire de remplacer ce qui s'apparente aujourd'hui à une politique « stop and go » par une feuille de route précise et effective .

Les principales recommandations de la mission d'information concernant la gouvernance sont les suivantes :

Ø Nommer un délégué interministériel aux fonds marins , personnalité publique bénéficiant d'une expertise reconnue, placée auprès du Premier ministre et chargée de l'animation de la politique des fonds marins, de la coordination de l'action des différents ministères et acteurs scientifiques, de l'animation du réseau des outre-mer par bassin océanique et de la bonne application de la stratégie nationale pour les grands fonds marins ;

Ø Reconstituer un ministère de la mer de plein exercice chargé de l'élaboration et de la mise en oeuvre de la politique maritime française, incluant les grands fonds marins, et renforcer la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture en soutien de cette politique ;

Ø Nommer un député et un sénateur représentant les outre-mer au sein du comité de pilotage de la stratégie et associer les délégations parlementaires aux outre-mer , ainsi que les exécutifs ultramarins , à chaque étape de mise en oeuvre de cette stratégie et notamment aux décisions concernant la localisation et le déroulement des missions d'exploration ainsi qu'à la diffusion de leurs résultats.

2. EXPLORATION OU EXPLOITATION : UN DÉBAT PRÉMATURÉ

La mission d'information estime prématuré de se prononcer sur la prospection et l'exploitation des ressources minières des fonds marins, en l'absence de connaissances scientifiques suffisantes sur les grands fonds et leurs écosystèmes . Cette situation ne doit toutefois pas conduire à l'immobilisme, bien au contraire.

De nombreux travaux de recherche sont nécessaires, le fonctionnement des grands fonds marins et leur rôle dans le système océanique global demeurant très mal connus. L'État doit pleinement s'impliquer dans la structuration d'une base industrielle et technologique souveraine et compétitive au niveau international.

C'est pourquoi la mission propose une feuille de route réaliste. Ses principales recommandations à ce sujet sont les suivantes :

Ø Relancer la mise en oeuvre de la stratégie publiée le 5 mai 2021 , sous l'impulsion du délégué interministériel, dans le cadre de partenariats avec les collectivités compétentes sur les ressources minières , conformément à leurs lois statutaires, notamment en concrétisant, en cinq ans, le projet de démonstrateur afin d'évaluer l'impact environnemental, le cadre et la faisabilité d'une exploitation minière durable des grands fonds marins, d'abord en zone internationale puis éventuellement dans la ZEE des collectivités d'outre-mer qui y seraient favorables ;

Ø À l'issue de ces tests, réunir l'ensemble des parties prenantes (chercheurs, élus, ONG, entreprises...) pour examiner l'opportunité de poursuivre ou non l'objectif d'une exploration en vue d'une exploitation industrielle et en déterminer le cas échéant les conditions techniques, le cadre juridique ainsi que les différentes étapes : à l'issue de chacune de ces étapes, un bilan permettra de décider de poursuivre, ou au contraire de renoncer au processus en fonction des risques identifiés ;

Ø Conditionner toute ouverture éventuelle de l'exploitation minière à un débat parlementaire transparent ayant préalablement associé les collectivités d'outre-mer, ainsi qu'à une clarification juridique en introduisant notamment des normes environnementales propres aux grands fonds marins qui permettraient de définir un régime de responsabilité, en prévoyant la réalisation d'études d'impact préalablement à tout projet d'extraction et en créant d'un corps d'inspecteurs chargé de veiller au respect des normes par les exploitants ;

Ø Créer un conseil scientifique réunissant des représentants de l'ensemble des disciplines scientifiques concernées par la compréhension des grands fonds marins (océanographes, géologues, biologistes, ingénieurs des mines, économistes, etc.) afin de favoriser le dialogue entre les différentes disciplines et d'éclairer les politiques publiques notamment sur le besoin en minerais d'origine marine pour la transition énergétique, compte tenu des ressources alternatives potentielles ;

Ø Renforcer les moyens humains et financiers de l'Ifremer et de l'Office français de la biodiversité notamment dans leurs implantations outre-mer , pour synthétiser les connaissances acquises, assurer leur diffusion auprès des élus et des populations et mener de nouvelles recherches sur les grands fonds marins dans le cadre de partenariats avec les acteurs locaux. Mettre également l'accent sur le renouvellement et la modernisation de la Flotte océanique française ;

Ø Créer un pôle d'excellence « fonds marins » , sur le modèle du pôle d'excellence cyber, associant acteurs civils et militaires, publics et privés, académiques et industriels, afin de favoriser les synergies et de structurer une filière industrielle qui ne pourra se développer, en tout état de cause, que grâce à la commande publique . Le pôle d'excellence aura également pour fonction de renforcer l'offre de formation en lien avec les universités, les grandes écoles et les territoires, en particulier outre-mer.

Concombre de mer dans un champ de nodules (c) Ifremer/Nautile, Nodinaut (2004)

3. ENTRE COOPÉRATION ET COMPÉTITION : DES ENJEUX DE SOUVERAINETÉ

Si la France doit se tenir prête, c'est aussi parce que les ressources des grands fonds marins font l'objet de convoitises à peine voilées de la part de la plupart des puissances mondiales. C'est manifeste dans le Pacifique , où l'implication des États-Unis et de la Chine est visible. Si la France continue à temporiser, d'autres puissances n'hésiteront pas, quant à elles, à creuser l'écart sur le plan technologique et à s'approprier le sujet de façon difficilement contrôlable. Les principales recommandations de la mission d'information pour répondre aux enjeux de la coopération et de la compétition internationales sont les suivantes :

Ø Accompagner la mue de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) pour que celle-ci dispose des moyens humains et matériels nécessaires au développement d'une véritable expertise scientifique et à la réalisation de contrôles efficients sur les sites d'exploration et, éventuellement, d'exploitation ;

Ø Associer le Parlement à la définition de la position française relative à l'exploitation minière des fonds marins internationaux . Élargir le débat sur les positions françaises à l'AIFM à la communauté scientifique et aux ONG.

Ø En matière de défense, confirmer dans la prochaine loi de programmation militaire la feuille de route présentée le 14 février 2022 par le ministère des armées, s'agissant de l'acquisition de capacités à - 6000 m et à - 3000 m. Prévoir une première projection outre-mer de ces capacités d'ici à 2025. Remplacer d'ici à 2030 des frégates de surveillance par des navires ayant nativement la capacité de mettre en oeuvre des AUV/ROV profonds dans le cadre du programme European patrol corvette . Permettre une montée en puissance de la base industrielle et technologique française afin de ne pas rater le tournant des drones sous-marins comme la France a manqué, il y a quelques années, le tournant des drones militaires aériens .

La compétition internationale appelle toutefois aussi des coopérations : au plan européen, l'Allemagne et la Norvège sont les deux pays les plus avancés. Loin de constituer des exemples à suivre sans discernement, ces pays sont néanmoins des partenaires incontournables en Europe. L'écueil principal au développement de partenariats réside toutefois dans le manque de détermination et de moyens dans la mise en oeuvre de la stratégie française. Par ailleurs, les bassins ultramarins présentent aussi des perspectives de partenariats internationaux, qui ne sauraient être sacrifiés sur l'autel d'un tropisme trop exclusivement européen.

Fonds marins : de quoi parle-t-on ?

La mission d'information s'est concentrée sur les « grands » fonds marins, et plus particulièrement sur les milieux abritant des ressources minérales, essentiellement en-deçà de 1000 m, en zone aphotique c'est-à-dire dépourvue de lumière. La mission s'est également intéressée à la colonne d'eau attenante, à la vie qui y est hébergée et aux risques environnementaux induits par une éventuelle activité anthropique non maîtrisée dans les fonds marins.

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