Rapport d'information n° 765 (2021-2022) de M. Pierre OUZOULIAS et Mme Anne VENTALON , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 6 juillet 2022

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LISTE DES RECOMMANDATIONS
DE LA MISSION D'INFORMATION

AXE N° 1 : Assurer une meilleure protection du patrimoine religieux le plus menacé

?  Lancer une opération nationale d'inventaire du patrimoine religieux permettant de disposer d'une cartographie précise de ce patrimoine sur l'ensemble du territoire à l'horizon 2030.

?  Doter les conservateurs des antiquités et objets d'art d'une base de données interopérable avec celle des services de l'inventaire en régions et celle de l'Office central de lutte contre le trafic de biens culturels permettant une documentation, y compris visuelle, de l'ensemble du patrimoine mobilier protégé.

?  Adopter un plan national en faveur de la préservation du patrimoine religieux en péril permettant d'empêcher la disparition totale de certains types d'édifices aujourd'hui particulièrement menacés en garantissant la protection d'un certain nombre d'édifices (patrimoine religieux du XIX e et du XX e siècles, patrimoine juif en Alsace).

AXE N° 2 : Accompagner les maires dans l'entretien de leur patrimoine religieux

?  Proposer, au niveau des départements, des outils destinés à accompagner les communes dans la conservation préventive de leur patrimoine religieux (carnet de suivi d'entretien, aides financières, techniques et juridiques).

?  Recourir aux conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) pour évaluer l'état du patrimoine religieux et identifier les solutions possibles pour chaque édifice.

AXE N° 3 : Permettre une réappropriation et une resocialisation des édifices cultuels

?  Garantir l'ouverture du patrimoine religieux en recourant au gardiennage ou à des bénévoles, notamment parmi les jeunes.

?  Améliorer la mise en valeur du patrimoine mobilier cultuel au sein des édifices.

?  Développer des parcours de visites touristiques autour du patrimoine religieux à l'échelle des territoires.

?  Favoriser l'usage partagé des édifices cultuels en clarifiant, par des conventions-types, les relations entre le maire, le curé affectataire et le diocèse.

AVANT-PROPOS

Dans un contexte de baisse de la pratique religieuse, la France est aujourd'hui confrontée, à l'instar des autres pays occidentaux, à la question de la pérennité et du devenir de son patrimoine religieux . Si les pays d'Europe du Nord et d'Amérique du Nord se sont engagés, depuis déjà plusieurs dizaines d'années, dans une logique de transformation et de reconversion des édifices cultuels, la réflexion éclot seulement dans les pays d'Europe de tradition catholique, dont la France.

Cette réflexion revêt pourtant un caractère fondamental face aux risques d'une dégradation accélérée du patrimoine religieux . À la différence des autres pays, la plupart des édifices d'intérêt patrimonial affectés au culte en France sont la propriété des communes, et non des cultes. La charge de leur entretien et, le cas échéant, de leur restauration, repose donc sur les maires. Ceux-ci éprouvent de plus en plus de difficultés à assumer ces dépenses, compte tenu de la raréfaction des ressources publiques et de la moindre fréquentation des édifices.

Dans la mesure où la majeure partie de ce patrimoine religieux est propriété publique, la réflexion sur son devenir constitue aussi l'affaire de tous . Au-delà de leur fonction cultuelle, ces édifices sont des témoins du passé de notre pays. La préservation de ce patrimoine constitue un enjeu public. S'il venait à disparaître, ce ne serait pas seulement quelques vieilles pierres qui seraient détruites, c'est un pan entier de la culture qui serait effacé.

Compte tenu de ces éléments, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a souhaité dresser un bilan de l'état du patrimoine religieux, des menaces qui pèsent sur sa préservation et des moyens de contribuer à sa sauvegarde.

Le rapport se concentre principalement sur la situation des édifices affectés au culte catholique bâtis avant 1905 , dans la mesure où il s'agit du patrimoine religieux le plus important en nombre et celui en proie aujourd'hui aux principales difficultés.

I. LES CONSTATS DE LA MISSION D'INFORMATION

A. UN PATRIMOINE RICHE AUQUEL LES FRANÇAIS SONT ATTACHÉS

1. Le patrimoine religieux le plus important d'Europe après l'Italie

• Un patrimoine largement détenu par les communes

D'après l'Observatoire du patrimoine religieux, la France pourrait compter jusqu'à 100 000 édifices religieux , tous cultes confondus, ce chiffre incluant aussi bien les lieux de culte actifs que ceux qui ne le sont pas, y compris des édifices dont ne subsistent que des ruines ou des vestiges. À ce jour, l'observatoire en a déjà dénombré 77 000, son recensement étant toujours en cours.

Plus de 40 000 des édifices cultuels qui demeurent affectés à cet objet sur le territoire français appartiennent à des collectivités publiques et non aux cultes . Il s'agit d'une particularité française. Dans leur quasi-totalité, ces édifices correspondent à des édifices du culte catholique .

Les communes détiennent l'ensemble des églises paroissiales construites avant 1905, auxquelles s'ajoutent les églises reconstruites après la première ou la Seconde Guerre mondiale à l'emplacement d'églises édifiées avant 1905 et détruites par les combats, ainsi que des chapelles et 65 des 154 cathédrales situées en métropole.

À ces édifices de propriété communale s'ajoutent les 87 cathédrales appartenant à l'État, ainsi que la cathédrale d'Ajaccio, qui relève de la collectivité territoriale de Corse.

Pourquoi beaucoup de lieux de culte
appartiennent-ils aux communes en France ?

La propriété publique d'une part significative des édifices de culte est un héritage de l'histoire. Il s'agit d'une singularité française.

Elle résulte de la Révolution française au cours de laquelle les biens du clergé ont été nationalisés et du Concordat qui l'a suivie.

Le régime de propriété des lieux de culte institué par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État prévoit que les édifices mis à la disposition de la Nation en 1789 « sont et demeurent la propriété de l'État, des départements, des communes et des établissements publics de coopération intercommunale ayant pris la compétence en matière d'édifices des cultes » (article 12).

L'appartenance d'un grand nombre d'édifices aux communes est également liée à l'attitude des catholiques face au régime de séparation mis en place en 1905 . En effet, cette loi prévoyait le transfert de propriété des lieux de culte qui appartenaient, avant 1905, aux établissements publics du culte (fabriques, menses, conseils presbytéraux, consistoires...) aux associations cultuelles créées pour les remplacer (article 4).

Si la constitution de telles associations cultuelles par le culte protestant et le culte juif a rendu possibles ces transferts de propriété, le refus du culte catholique de s'organiser en associations cultuelles a conduit à transférer aux communes les églises qui avaient appartenu aux établissements publics du culte catholique. Dans un premier temps, la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes a prévu qu'à défaut d'affectations cultuelles, les édifices restaient affectés de manière perpétuelle, gratuite et exclusive à l'exercice du culte qui s'y tenait (article 5). Puis, la loi du 13 avril 1908 a organisé le transfert de propriété de ces édifices aux communes sur le territoire desquelles ils étaient situés (article 9 de la loi de 1905, tel que modifié par la loi du 13 avril 1908).

En Alsace-Moselle , où ne s'appliquent ni la loi de 1905, ni celle de 1907, ni celle de 1908, le régime concordataire est toujours en vigueur. Les édifices des cultes statutaires reconnus (catholique, réformé, luthérien et juif) appartiennent soit aux communes, soit aux établissements publics du culte . Les communes peuvent en être propriétaires, en application du concordat ou lorsqu'elles les ont elles-mêmes édifiés après 1802. Les établissements publics du culte le sont lorsqu'ils les ont eux-mêmes édifiés. Les temples protestants et les synagogues, par exemple, sont en majorité la propriété des établissements publics du culte.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

• Un patrimoine datant essentiellement d'il y a plus d'un siècle

Tous les édifices religieux présents sur le territoire national n'ont pas nécessairement une valeur patrimoniale .

Seulement 15 000 édifices religieux ou d'origine religieuse bénéficient d'une protection au titre des monuments historiques . L'essentiel de ces édifices sont des lieux de culte ou d'anciens lieux de culte catholiques, les deux tiers étant constitués d'églises paroissiales appartenant aux communes. Plus d'une centaine de temples protestants, environ 60 synagogues ou anciennes synagogues, près d'une dizaine de lieux de culte orthodoxes, six mosquées ou anciennes mosquées ainsi qu'un lieu de culte bouddhique bénéficient également d'une telle protection.

La protection des objets religieux
au titre des monuments historiques

Au même titre que le patrimoine bâti, les objets mobiliers (peinture, sculpture, mobilier, textile, orfèvrerie, instruments de musique) présentant un intérêt artistique, historique, scientifique ou technique peuvent bénéficier d'une protection au titre des monuments historiques . L'intérêt de la protection s'apprécie à la lumière de la qualité artistique ou technique de l'objet, de son authenticité, de son intégrité, de sa rareté, de son exemplarité ou de sa représentativité par rapport à un corpus ou à un type.

D'après le ministère de la culture, plus de 80 % des 300 000 objets mobiliers classés ou inscrits au titre des monuments historiques sont des objets religieux , souvent conservés dans les églises paroissiales. La grande majorité appartient au patrimoine des collectivités territoriales.

L'initiative de la demande de protection appartient concurremment au propriétaire du bien, à l'affectataire, ou à toute personne y ayant intérêt (collectivités territoriales, association de défense du patrimoine, etc.), de même qu'au préfet de région (direction régionale des affaires culturelles) et au ministre de la culture (direction générale des patrimoines).

Cette protection vise à garantir la préservation de ces objets et à éviter leur dispersion . Les objets classés, en particulier, font l'objet d'un récolement au moins tous les cinq ans : cette opération permet de contrôler leur présence et leurs conditions de conservation. L'État a également la possibilité de mettre en demeure une collectivité territoriale défaillante de réaliser les travaux devenus indispensables pour assurer la conservation d'un objet mobilier classé. En cas d'inaction, le préfet de région est autorisé à inscrire d'office les dépenses correspondantes au budget de la collectivité pour éviter que sa conservation ne soit compromise.

Une enquête, conduite entre 2002 et 2005, visant à recenser le patrimoine religieux des églises de l'Aube avait mis en évidence que la protection - et même l'inscription - limitait très largement les disparitions d'objets, qui concernaient prioritairement les oeuvres peu connues et donc difficiles à retrouver.

Des subventions de l'État peuvent être allouées pour les travaux d'entretien, de réparation, de mise en sécurité des objets mobiliers protégés au titre des monuments historiques. L'État peut également soutenir les travaux de restauration, les études préalables qu'ils impliquent, ainsi que l'assistance à maîtrise d'ouvrage.

Dans le cadre de leur mission de protection du patrimoine mobilier, les conservateurs des antiquités et objets d'art prospectent le territoire pour repérer des objets méritant une protection. Il leur arrive fréquemment de constituer une documentation minimale relative à certains objets, quand bien même ils n'entrent pas dans les critères justifiant leur protection, afin de contribuer à leur inventaire.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Il existe néanmoins un nombre bien supérieur d'édifices qui, sans bénéficier d'une protection au titre du code du patrimoine, n'en possèdent pas moins une valeur architecturale ou historique certaine . La base Mérimée, qui compile les résultats de l'inventaire du patrimoine architectural, répertorie déjà 8 000 édifices religieux non protégés en plus des 15 000 qui sont protégés au titre des monuments historiques. Ce nombre reste sans doute très en deçà de la réalité du nombre d'édifices qui présentent un intérêt culturel, historique ou scientifique, dans la mesure où toutes les régions ne se sont pas penchées sur leur patrimoine religieux dans le cadre de leur mission d'inventaire général du patrimoine culturel. Environ 25 000 édifices sont antérieurs au XIX e siècle.

2. Un héritage commun à préserver

Les Français se montrent extrêmement attachés au patrimoine religieux. Cet attachement ne se réduit pas aux seuls croyants , comme l'a révélé l'émotion suscitée par l'incendie de Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019. Les vives réactions de la population locale dans son ensemble lorsqu'un projet de démolition d'édifice cultuel est envisagé en fournissent également une illustration. Ces quelques exemples démontrent qu'au-delà de la communauté des fidèles, les Français entretiennent un lien intime avec le patrimoine religieux historique. L'appartenance d'une partie significative de ces édifices au patrimoine de la Nation depuis plus de deux cents ans n'y est peut-être pas étrangère.

À la fois composante structurelle des paysages et de l'identité des territoires et élément de mémoire de la communauté locale, il est un point de repère dans l'espace et dans le temps. Il s'agit donc d' un véritable bien commun , visible et accessible par tous, dont la valeur n'est pas seulement spirituelle, mais aussi historique, culturelle, artistique et architecturale. Sa valeur repose aussi sur l'usage qui en est fait. Il possède une dimension fédératrice .

Sa répartition et sa présence sur tout le territoire en font aujourd'hui l'un des principaux éléments du patrimoine de proximité , dont on sait l'intérêt que les Français y prêtent. Ce n'est sans doute pas un hasard si les collectes lancées par la Fondation du patrimoine pour la restauration d'édifices religieux remportent généralement un succès légèrement supérieur à celui des autres collectes. Plus que tout autre type de patrimoine, le patrimoine religieux est un vecteur de transmission de mémoire et un atout pour le développement touristique des territoires. L'intérêt patrimonial de certains édifices situés dans de très petites communes peut contribuer à leur attractivité et à leur rayonnement. La préservation et la mise en valeur de ce patrimoine constituent donc un réel enjeu pour les Français comme pour les territoires .

B. UN PATRIMOINE EN BON ÉTAT MAIS DE PLUS EN PLUS MENACÉ

1. Un état sanitaire général jugé globalement correct

L'état du patrimoine religieux a toujours constitué un sujet d'inquiétude, comme le rappellent les alertes lancées par Victor Hugo en 1832 avec son pamphlet pour la sauvegarde du patrimoine intitulé Guerre aux démolisseurs ou par Maurice Barrès en 1914 avec son ouvrage intitulé La grande pitié des églises de France .

En l'absence d'inventaire complet du patrimoine religieux, il est difficile de se faire une idée précise de l'état sanitaire de celui-ci . Le dernier bilan national réalisé sous l'égide du ministère de la culture remonte au milieu des années 1980 1 ( * ) . La décentralisation de l'inventaire général du patrimoine culturel par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales n'offre plus la garantie d'un inventaire thématique permettant de couvrir l'ensemble du territoire national. Même si le patrimoine religieux fait partie des thèmes les plus sélectionnés dans les inventaires thématiques réalisés au niveau régional, la liberté laissée aux régions dans le choix du thème de leurs études et dans le calendrier de lancement de celle-ci empêche dorénavant d'obtenir à un moment donné une photographie de l'état du patrimoine religieux au niveau national. Cette situation est d'autant plus regrettable que les auteurs du dernier bilan national plaidaient justement pour sa mise à jour régulière afin d'évaluer correctement les dégradations subies par ce patrimoine et le niveau des menaces qui pèsent sur son avenir de manière à définir une politique de conservation et de mise en valeur adaptée.

Seul l'état sanitaire des édifices religieux protégés est régulièrement contrôlé à l'occasion des bilans périodiques réalisés par le ministère de la culture sur les immeubles classés et inscrits au titre des monuments historiques. Le dernier bilan sanitaire, dont les résultats ont été publiés en 2019, couvrait la période 2013-2018. La présentation des résultats de ce bilan ne fait cependant pas apparaître l'état des monuments en fonction de la typologie dont ils relèvent : il est donc impossible, à la lecture de ce bilan, de connaître précisément l'état du patrimoine religieux protégé au titre des monuments historiques . Le patrimoine religieux représentant le tiers des monuments historiques, les chiffres du dernier bilan de l'état sanitaire, qui concernent l'ensemble des monuments historiques, sont à prendre avec précaution car ils ne sauraient préjuger de l'état spécifique de cette catégorie de patrimoine. Le ministère de la culture prévoit néanmoins de produire, d'ici la fin de l'année, des bilans quantitatifs et cartographiés concernant l'état de conservation des seules cathédrales.

État des immeubles protégés au titre des monuments historiques
selon la nature de leur propriétaire

(en pourcentage)

Moyenne
nationale

État

Régions

Départements

Communes

Privés

Péril

4,76

4,78

5,06

4,61

3,90

5,66

Mauvais

18,53

12,41

10,13

15,23

21,11

15,80

Moyen

41,52

39,25

41,77

39,88

42,89

41,67

Bon

35,18

43,57

43,04

40,28

32,11

36,87

Source : ministère de la culture

Quelques enseignements intéressants du bilan de l'état sanitaire 2013-2018
en ce qui concerne le patrimoine protégé des communes

Le dernier bilan sanitaire 2013-2018 fait apparaître que les communes sont en dessous du taux national en matière de patrimoine en péril , même si elles ont un taux de monuments dans un état moyen ou bon très légèrement inférieur à la moyenne nationale (75 % contre 76,7 % au niveau national).

Contrairement à une idée reçue, le bilan sanitaire démontre également que les plus petites communes , en particulier celles de moins de 500 habitants, sont moins exposées au risque de détenir des monuments en péril que les communes situées entre 2 000 et 10 000 habitants . Les auteurs avancent l'idée que les maires des petites communes seraient plus soucieux d'entretenir leurs monuments au regard de l'importance qu'ils revêtent pour leurs administrés, qui considèrent bien souvent ce patrimoine comme un élément essentiel de leur identité. L'augmentation sensible du taux de monuments en péril dans les communes dont la population oscille entre 2 000 et 10 000 habitants pourrait être due à « une diminution du rayonnement "identitaire ou emblématique" du monument historique consécutif à l'accroissement de l'échelle urbaine de la commune ». Sans surprise, les communes de plus de 10 000 habitants restent néanmoins les moins exposées au risque de péril, sans doute en raison de leurs moyens humains et financiers supérieurs.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

L'état sanitaire du patrimoine religieux non protégé semble plus contrasté , ne serait-ce que parce que son entretien et sa restauration ne bénéficient pas du même niveau de subventions.

Ce patrimoine souffre d'un entretien irrégulier et d'un niveau très variable selon les capacités financières des communes . Le bilan sanitaire réalisé dans les années 1980 mettait en évidence que les bâtiments les plus menacés étaient les chapelles et les édifices isolés et, généralement, les bâtiments les plus anciens et les plus petits du fait d'un déficit d'entretien. Les auditions ont fait apparaître que le patrimoine religieux était plus dégradé en milieu rural qu'en milieu urbain : la moindre fréquentation des édifices et leur fermeture plus répétée facilitent la survenance de désordres par manque de ventilation et par une surveillance moins régulière. Moins les édifices sont utilisés pour le culte, plus leur état de santé est mauvais.

Les auditions ont également démontré que si le clos et le couvert sont généralement entretenus, les parties intérieures des édifices cultuels faisaient l'objet d'un déficit d'entretien.

Les représentants des cultes ont néanmoins jugé ce patrimoine en relativement bon état. La Conférence des évêques de France a ainsi rendu hommage aux efforts engagés par les communes pour entretenir les édifices affectés au culte catholique.

Une analyse comparée de l'état sanitaire des lieux de culte en France par rapport à celui des lieux de culte dans d'autres pays européens met en lumière le fait que la propriété publique d'une grande partie des lieux de culte dans notre pays a largement favorisé jusqu'ici leur préservation et leur entretien . Même si elle prohibe les subventions publiques aux cultes, la loi du 9 décembre 1905 ne paraît pas avoir eu les effets négatifs redoutés sur l'état des lieux de culte.

Les édifices de cultes juif et protestant sont dans une situation différente , dans la mesure où la charge de leur entretien relève des associations cultuelles juives et protestantes auxquelles, pour l'essentiel, ils appartiennent. Le volume d'édifices est par ailleurs sans commune mesure avec ceux de culte catholique. La Fédération protestante de France avance le chiffre de 3 800 lieux de culte identifiés comme protestants en France. Le Consistoire central israélite de France évoque 300 synagogues relevant de son autorité. La base Mérimée recense environ 600 temples protestants et 200 synagogues pouvant être considérés comme des édifices d'intérêt patrimonial.

La Fédération protestante de France a indiqué que les questions de préservation du patrimoine cultuel protestant ne s'étaient pas vraiment présentées jusqu'à présent. Le Consistoire central israélite a, pour sa part, jugé nécessaire de distinguer la situation entre les zones dans lesquelles la communauté juive s'est considérablement réduite - soit après la Seconde Guerre mondiale (Alsace-Lorraine, Normandie), soit du fait d'une montée de l'antisémitisme (Seine-Saint-Denis) - et les autres zones, en particulier en milieu urbain, où la communauté juive, au contraire, se développe, entraînant la construction de nouveaux édifices.

Le Consistoire central israélite de France et la Fédération protestante de France indiquent pouvoir aujourd'hui compter sur un soutien financier fort de la communauté de fidèles . Les nouvelles règles relatives au fonctionnement des associations cultuelles résultant de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République leur font cependant craindre de potentielles difficultés pour lever des fonds pour des motifs autres que cultuels dans les années à venir.

Le culte juif et le culte protestant n'accordent par ailleurs pas la même dimension sacrée à leurs édifices de culte que le culte catholique . Pour les protestants, le temple est un abri destiné à faciliter la célébration du culte. Quant aux synagogues, elles sont aujourd'hui de plus en plus fréquemment adossées à des centres communautaires abritant différentes activités. La co-activité règne donc très largement dans ces édifices.

2. Des menaces à anticiper sans tarder

Ce bilan plutôt rassurant ne doit pas occulter les menaces qui pèsent sur la préservation du patrimoine religieux. Beaucoup d'édifices sont peu utilisés ; leur architecture est de moins en moins adaptée au niveau de la fréquentation et rend compliqué leur équipement aux besoins actuels du culte et des fidèles.

Jusqu'ici, les ventes ou démolitions d'édifices cultuels sont restées marginales . Dans une étude parue en 2017, la Conférence des évêques de France comptabilisait 255 églises communales ou diocésaines désaffectées ou vendues depuis 1905 (soit 0,6 % du total des églises et chapelles) pour 1 886 églises construites par les diocèses depuis cette même date. Les réticences en France à désaffecter les édifices cultuels sont encore vives. Cette décision est encore vécue de manière douloureuse par l'affectataire, par les maires, comme par les habitants.

La procédure de désaffectation

L'affectation au culte d'un édifice qui appartenait à une personne publique au moment de l'entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905 étant perpétuelle, il est nécessaire de procéder à sa désaffectation lorsqu'une démolition ou une reconversion sont envisagées.

En application de l'article 13 de la loi du 9 décembre 1905, la désaffectation ne peut être prononcée que dans un certain nombre de cas : soit parce que l'association bénéficiaire est dissoute ; soit parce que le culte cesse d'être célébré pendant plus de six mois consécutifs, en dehors des cas de force majeure ; soit parce que la conservation de l'édifice ou des objets mobiliers classés est compromise par l'insuffisance d'entretien et après mise en demeure dûment notifiée du conseil municipal ou, à son défaut, du préfet ; soit parce que l'association cesse de remplir son objet ou les édifices sont détournés de leur destination ; soit parce que l'association ne respecte pas ses différentes obligations légales.

Lorsque l'une de ces conditions est réunie, la désaffectation ne peut alors être prononcée que par décret en Conseil d'État. En dehors de ces cas, seule une loi peut prévoir une telle désaffectation.

S'agissant des édifices du culte appartenant aux communes, et si les conditions de la désaffectation d'un édifice sont réunies, la désaffectation peut être prononcée par arrêté préfectoral, à la demande du conseil municipal, après avis du directeur régional des affaires culturelles, et sous réserve du consentement écrit du culte affectataire. Il s'agit donc d'une procédure lourde qui suppose un triple accord : celui de la municipalité, du culte affectataire et des services de l'État.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Les nombreuses ventes et reconversions d'édifices religieux intervenues en Europe du Nord et en Amérique du Nord depuis plusieurs années doivent toutefois inciter à la prudence. La France ne saurait être totalement à l'abri d'un tel mouvement au regard des facteurs de risque qu'on peut y identifier .

Vente d'églises en Europe :
les chiffres d'une enquête du Wall Street Journal de 2015

Dans un article paru en janvier 2015, le Wall Street Journal dresse un état des lieux des fermetures d'églises en Europe dans un contexte général de baisse de la pratique religieuse. L'article avance un certain nombre de chiffres concernant plusieurs pays d'Europe du Nord :

- environ 20 églises fermeraient au Royaume-Uni chaque année ;

- environ 200 églises au Danemark seraient considérées comme sous-utilisées ou non viables ;

- plus de 500 églises catholiques auraient été fermées en Allemagne au cours de la dernière décennie ;

- les Pays-Bas seraient le pays le plus touché par ce phénomène, avec potentiellement deux tiers des 1 600 églises catholiques menacées de désaffectation d'ici dix ans et 700 églises protestantes risquant la fermeture dans les quatre ans.

Il n'est pas rare, dans ces pays, que les bâtiments soient reconvertis pour y accueillir des activités relevant du secteur privé. D'anciennes églises se retrouvent ainsi transformées en librairies, en boutiques de mode, en restaurants, en salles de sport, en supermarchés ou en discothèques. Les plus petits édifices sont acquis par des particuliers qui souhaitent en faire leur habitation.

L'article revient sur la baisse de la pratique religieuse parmi les Chrétiens dans huit pays d'Europe. La France y apparaît comme le deuxième pays où les personnes se disant chrétiennes ont la pratique régulière la plus faible (à peine plus de 10 % d'entre eux), juste derrière le Danemark (environ 7 %), alors que l'Irlande et l'Italie compteraient respectivement près de 50 % et près de 40 % de pratiquants réguliers.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Trois facteurs principaux concentrent les inquiétudes et font craindre une accélération de la dégradation du patrimoine religieux ou de l'abandon de certains édifices dans les années à venir :

- la sécularisation toujours croissante de la société, conjuguée à la désertification de certaines zones géographiques .

Les changements importants qui affectent la pratique religieuse (progression de l'athéisme, baisse de la pratique religieuse, crise des vocations sacerdotales), en particulier chez les catholiques, ont des effets sur l'état des édifices cultuels. Si la baisse de fréquentation des édifices et la baisse du nombre des célébrations religieuses ne sont pas véritablement sensibles dans les plus grandes villes compte tenu de la densité de population, ce phénomène est très marqué dans les zones rurales et s'observe également dans les villes petites ou moyennes victimes de dévitalisation. Les effets éventuels du regain d'attractivité des villes moyennes à la suite de la crise sanitaire ne pourront s'apprécier qu'à plus long terme ;

- la raréfaction des ressources financières destinées à l'entretien des édifices religieux .

D'une part, la baisse du nombre de fidèles affecte le niveau des ressources à la disposition des cultes pour contribuer à l'entretien des bâtiments. D'autre part, la charge de l'entretien des édifices cultuels devient de plus en plus lourde pour les communes, compte tenu des contraintes croissantes qui pèsent sur leurs budgets et des attentes toujours plus nombreuses des habitants. Les maires se montrent de plus en plus hésitants à engager des crédits afin de restaurer des édifices dont l'utilisation est de plus en plus réduite.

Il convient d'ajouter que la loi ne définit aucune obligation pour les maires en matière d'entretien des édifices cultuels , sauf à ce que ceux-ci bénéficient d'une protection au titre des monuments historiques. L'article 13 de la loi du 9 décembre 1905 pose le principe selon lequel les associations cultuelles « seront tenu [e] s des réparations de toute nature [...] afférentes aux édifices et aux meubles les garnissant », exception faite « des grosses réparations », expressément exclues par l'article 14. Il ajoute que « l'État, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale pourront engager les dépenses nécessaires pour l'entretien et la conservation des édifices du culte dont la propriété leur est reconnue par la présente loi », sans y poser d'obligation. Dans ces conditions, il est rare que les dépenses d'entretien afférentes aux édifices cultuels soient budgétées par les communes, ce qui explique la grande irrégularité et la fréquente insuffisance de l'entretien de ces édifices . Néanmoins, leur responsabilité est susceptible d'être engagée en cas de dommage lié à un défaut d'entretien, dans la mesure où le maire est considéré comme responsable de la sécurité des visiteurs (Conseil d'État, 10 juin 1921, Commune de Monségur ).

La situation est différente en Alsace-Moselle où les communes ont l'obligation de pallier l'insuffisance des ressources des établissements publics du culte, en principe chargés de l'entretien et de la reconstruction de l'édifice du culte. La chambre régionale et territoriale des comptes peut être saisie afin d'inscrire d'office la dépense au budget de la commune dans les cas où celle-ci refuserait de se plier à cette obligation ;

- les réformes territoriales visant à favoriser la réduction du nombre de communes par leur fusion ou leur regroupement au sein d'établissements publics de coopération intercommunale .

De même que le regroupement paroissial engagé depuis quelques décennies, la multiplication des fusions de communes et le développement des intercommunalités pourraient amplifier les risques d'abandon de certains édifices cultuels dans les années à venir, chacune des communes possédant généralement un ou plusieurs édifices cultuels.

Ces trois phénomènes constituent une menace sérieuse pour le patrimoine religieux, singulièrement dans les zones rurales où ils se font davantage sentir . Ce constat plaide pour anticiper la question du devenir du patrimoine religieux afin d'éviter qu'une partie de celui-ci ne puisse disparaître.

Le risque n'est pas tant qu'il passe aux mains de propriétaires privés, dans la mesure où les dimensions et les contraintes architecturales des édifices religieux en font un patrimoine peu convoité. Il est plutôt qu'un grand nombre d'édifices ne soient plus entretenus au point de rendre leur démolition inéluctable.

Les bâtiments de qualité médiocre ou dont la valeur architecturale est moins prisée, à l'instar de ceux datant du XIX e siècle et du XX e siècle, apparaissent les plus en danger . L'Observatoire du patrimoine religieux évalue entre 2 000 et 5 000 le nombre d'édifices cultuels susceptibles d'être abandonnés, vendus ou détruits d'ici à 2030. 500 édifices seraient déjà aujourd'hui totalement fermés.

Il convient d'éviter à tout prix que les Français ne se désintéressent progressivement de ce patrimoine, dans la mesure où un patrimoine qui ne suscite plus l'intérêt est voué à dépérir. Ce constat accroît la nécessité de réfléchir sans tarder aux modalités de valorisation de ces édifices et à leurs possibles usages , y compris non cultuels, afin de garantir leur préservation en leur redonnant un sens pour le plus grand nombre. Si cette question apparaît encore peu dans le débat public, elle constitue pourtant un enjeu sociétal majeur, notamment pour ce qui concerne les zones rurales .

C. UN BESOIN D'ACCOMPAGNEMENT DES MAIRES ET DE PLUS GRANDE VALORISATION DES ÉDIFICES RELIGIEUX

1. Des maires souvent très démunis face à cette problématique

• Une connaissance souvent partielle de leurs droits et obligations

Le régime de l'affectation cultuelle, qui est propre au système juridique français, se traduit par une répartition des responsabilités entre le maire, représentant de la commune propriétaire, et le curé affectataire , de nature à dérouter certains nouveaux élus. Comme le résume Anne-Violaine Hardel, directrice du service juridique de la Conférence des évêques de France, « le régime de l'affectation légale au culte limite les prérogatives du maire qui ne dispose pas de la jouissance de l'édifice ».

La gestion quotidienne de l'édifice suppose donc une bonne coopération entre le maire et le curé affectataire . Même si les litiges sont extrêmement rares, des frictions sont régulièrement constatées entre le maire et le curé affectataire ou entre le maire et la communauté de fidèles. Ces conflits, souvent nuisibles à la préservation de l'édifice, mettent en lumière, d'une part, une formation sans doute insuffisante des nouveaux élus aux modalités de gestion du patrimoine religieux, et d'autre part, un manque d'instances de concertation. Dans bien des cas, les conflits pourraient s'apaiser si les élus et les affectataires étaient mieux sensibilisés à leurs droits, obligations et à leurs enjeux respectifs et si le dialogue entre eux était facilité.

• Des difficultés de financement

Les maires, en particulier ceux à la tête de petites communes, font état d'un important frein budgétaire pour le bon entretien et la restauration des édifices cultuels dont ils ont la charge. L'entretien irrégulier des bâtiments et les réparations inadaptées auxquelles il a parfois été procédé par le passé se traduisent par des dépenses de restauration onéreuses et souvent disproportionnées par rapport aux capacités budgétaires des municipalités. Les maires déplorent ainsi la disparition de la dotation d'action parlementaire, qui contribuait chaque année au financement de la restauration d'édifices.

Les communes peuvent pourtant bénéficier de subventions de la part des autres collectivités publiques pour les travaux de restauration qu'elles engagent sur ces édifices, même si le code général des collectivités territoriales prévoit, en principe que « la participation minimale du maître d'ouvrage est de 20 % du montant total des financements apportés par des personnes publiques au projet » (article L. 1111-10). Des dérogations à cette règle peuvent cependant être autorisées par le préfet lorsque les travaux de restauration sont justifiés par l'urgence ou par la nécessité publique ou lorsqu'il considère que le montant de la participation restant à la charge du maître d'ouvrage serait disproportionné compte tenu de ses capacités financières.

Le niveau des aides des collectivités publiques varie selon que l'édifice est ou non protégé au titre des monuments historiques. Ainsi l'État, via les directions régionales des affaires culturelles, n'intervient-il qu'en faveur du patrimoine religieux protégé , le taux de subvention accordé par l'État étant supérieur pour les édifices classés (en moyenne 50 %) par rapport aux édifices inscrits (en moyenne 28 %). Les crédits de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) servent néanmoins chaque année à la restauration ou à la mise aux normes d'édifices religieux non protégés.

Les régions et les départements accordent également des subventions aux communes pour l'entretien et la restauration de leur patrimoine. La majorité des subventions est orientée vers le patrimoine protégé, mais une aide à la préservation du patrimoine non protégé est possible. Les modalités de subventionnement (taux, type de patrimoine) par les départements et les régions diffèrent selon les territoires.

Ces modalités de subventionnement variable expliquent partiellement les disparités qui peuvent exister dans l'état sanitaire du patrimoine religieux en fonction de son degré de protection et entre les territoires. En l'absence de guichet unique pour le traitement des différentes demandes de subvention, le tour de table financier s'avère souvent une opération longue et complexe pour les communes demandeuses.

Ces dernières années, le secteur privé s'est montré de plus en plus présent pour accompagner la préservation de ce patrimoine . Plusieurs fondations interviennent dans ce domaine. C'est en particulier le rôle de la Sauvegarde de l'art français, dont le principal objet est de contribuer au sauvetage des églises rurales.

Si les entreprises mécènes apparaissent peu attirées par le fait de soutenir les projets de restauration portant sur des édifices cultuels, exception faite du chantier de Notre-Dame de Paris, le grand public s'y montre en revanche sensible. Le Loto du patrimoine a ainsi permis de contribuer au financement de la restauration de 182 édifices depuis son lancement (soit environ 30 % des projets bénéficiaires). La Fondation du patrimoine organise chaque année des collectes auprès du public, avec pour vertu de mobiliser la population locale en faveur de son patrimoine. Parallèlement, l'entreprise de financement participatif Dartagnans a également organisé des levées de fonds en faveur du patrimoine religieux au cours des dernières années (environ 15 % de son activité liée au financement participatif).

Sans nier les problèmes de financement, ces exemples démontrent que les difficultés financières peuvent être, dans une majorité des cas, surmontées à condition que les communes sachent à qui s'adresser et parviennent à mobiliser autour du projet de restauration, ce qui exige de lui donner du sens .

• Des difficultés techniques

Les maires souffrent d'un déficit d'ingénierie pour monter et conduire leurs opérations . Ils ne savent souvent pas de quelle manière entretenir et restaurer ce patrimoine, les procédures applicables et les interlocuteurs vers lesquels ils peuvent se tourner, y compris pour les aider à penser un véritable projet au-delà de la simple restauration.

De l'avis de l'ensemble des personnes auditionnées, ces difficultés techniques apparaissent aujourd'hui comme le principal frein à la réalisation des projets .

Comme le relevaient Michel Dagbert et Sonia de La Provôté dans leur rapport consacré aux maires face au patrimoine historique architectural 2 ( * ) , beaucoup d'entre eux n'ont pas toujours le réflexe de faire appel à l'architecte des bâtiments de France au moment d'entamer leur projet, même lorsque l'édifice est protégé au titre des monuments historiques.

Il faut reconnaître que les moyens des services de l'État dans les territoires leur permettent de moins en moins de répondre aux demandes dont ils font l'objet . Exception faite de la région Bretagne, les conservations régionales des monuments historiques ne sont plus en mesure d'assurer un service d'assistance à maîtrise d'ouvrage, qui aurait pourtant dû être une contrepartie au transfert au propriétaire de monuments historiques de la maîtrise d'ouvrage sur les travaux par l'ordonnance n° 2005-1128 du 8 septembre 2005 relative aux monuments historiques et aux espaces protégés.

Si certains services de collectivités territoriales ont pris le relais, toutes n'ont pas les compétences, laissant de nombreuses zones du territoire non couvertes. L'offre privée en matière d'assistance à maîtrise d'ouvrage sur le territoire est elle aussi lacunaire et disparate. Il en résulte des situations d'une grande hétérogénéité sur le territoire qui sont globalement préjudiciables à la préservation du patrimoine .

En dépit de l'enjeu, il semble cependant peu probable que l'État se dote des moyens nécessaires pour relancer son activité en matière d'assistance à maîtrise d'ouvrage si l'on en juge par la teneur des échanges avec les services du ministère de la culture. C'est donc au niveau des collectivités territoriales qu'il appartient d'inventer des solutions et de faire en sorte que cette décentralisation de facto ne vienne pas creuser les inégalités territoriales.

2. Une valorisation encore réduite malgré les possibilités offertes

La mise en valeur des édifices n'apparaît pas toujours à la hauteur ni des trésors architecturaux qu'ils constituent, ni des trésors artistiques qu'ils recèlent . La crainte d'actes de vol ou de vandalisme conduit à maintenir fermés de nombreux édifices, faute de solution de gardiennage en dehors des horaires des célébrations. Les objets mobiliers ne sont pas toujours présentés au public. Les supports de visite font souvent défaut.

Cette mise en valeur revêt pourtant un enjeu majeur pour éveiller l'intérêt du public à leur importance et permettre à chacun de se les réapproprier . Les chiffres montrent clairement que les édifices religieux sont attirés par ce type de patrimoine : ils sont les monuments patrimoniaux les plus visités par les Français. En 2019, 44 % d'entre eux (48 % s'agissant des moins de 25 ans) indiquaient avoir visité un monument religieux au cours des douze derniers mois, un chiffre en progression constante depuis 2012 (37 %), d'après une étude du Crédoc réalisée à la demande de la direction générale des patrimoines.

Une plus grande valorisation du patrimoine religieux constitue sans doute l'une des meilleures clés pour en faciliter la préservation : plus ce patrimoine sera signifiant et utile pour le plus grand nombre, plus la charge de son entretien et de sa restauration sera acceptée. Cet axe est d'autant plus important qu'il est susceptible de générer des retombées économiques en renforçant l'attractivité touristique de la commune et d'améliorer le bien-être de ses habitants.

Il faut reconnaître que la loi du 9 décembre 1905 reste relativement muette sur la question de la valorisation patrimoniale des édifices religieux et de leur éventuelle exploitation touristique .

Elle mentionne la possibilité de visites des édifices, même si celles-ci se limitent aux jours et horaires prévus à cet effet par l'affectataire, après approbation du préfet. Son article 17 dispose que « la visite [...] et l'exposition des objets mobiliers est publique : elles ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance ». Cette gratuité est toutefois tempérée par les dispositions du code du patrimoine, qui autorisent la perception d'un droit de visite des objets mobiliers classés à raison des charges de garde et de conservation supportées par le propriétaire (article L. 622-9), ainsi que par les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques, qui donne la possibilité de fixer un droit d'entrée pour la visite de certaines parties d'édifices cultuels dont le bénéfice peut être partagé par la collectivité propriétaire et l'affectataire (article L. 2124-31).

La loi de 1905 prévoit également, en son article 16, le classement des « édifices représentant, dans leur ensemble ou dans leurs parties, une valeur artistique ou historique », ce qui a permis aux édifices ainsi classés le bénéfice des règles en matière de visite et de valorisation applicable aux monuments historiques. Pour les autres, le principe de l'affectation cultuelle a longtemps, si ce n'est empêché, du moins rendu plus délicate leur valorisation , puisqu'il interdit à la fois au maire d'utiliser l'édifice à sa guise et à l'affectataire de l'utiliser à des fins autres que son culte. Contrairement à d'autres pays, la législation française n'autorise pas la désaffectation partielle ou la double affectation qui faciliteraient le développement des usages mixtes.

La jurisprudence a toutefois permis peu à peu d'évoluer vers un usage cultuel moins exclusif des édifices , aboutissant en 2006 à inscrire dans la loi la possibilité qu'ils soient utilisés pour des « activités compatibles avec l'affectation cultuelle » à l'instar des expositions, des concerts ou des visites (article L. 2124-31 du code général de la propriété des personnes publiques précité). L'organisation de ces activités demeure subordonnée à l'accord préalable du desservant . Cette règle vaut pour tous les édifices cultuels, y compris ceux qui ne sont presque plus utilisés à des fins cultuelles. Le juge admet néanmoins qu'une commune puisse organiser, sans avoir à recueillir l'accord préalable du desservant, des visites de certains aménagements de l'édifice, dès lors que celles-ci ne perturberaient pas l'exercice du culte et seraient compatibles avec son affectation (Conseil d'État, 20 juin 2012, Commune des Saintes-Maries-de-la-Mer ). En l'espèce, cette décision concernait l'organisation par la commune de visites touristiques payantes du toit-terrasse de l'édifice.

Cette base légale ouvre de larges perspectives en matière de valorisation des édifices cultuels appartenant aux communes. La possibilité offerte par la loi de percevoir une redevance domaniale sur ces activités est susceptible d'avoir un effet incitatif sur les maires comme sur les affectataires.

Même si les possibilités offertes par cet article n'ont pas encore donné leur pleine mesure, les auditions ont mis en évidence une véritable évolution de l'ensemble des parties en faveur d'un plus grand usage partagé des édifices cultuels . Longtemps muette sur ce sujet, la Conférence des évêques de France semble y voir dorénavant une opportunité pour que ce patrimoine demeure vivant et qu'il redevienne un lieu central de la vie sociale communale, dès lors que sa vocation cultuelle demeure prioritaire. Une enquête réalisée par la Caisse d'Épargne pour la Fondation du patrimoine en 2016 avait déjà révélé que 71 % des répondants se disant de confession catholique étaient même favorables à la réhabilitation des églises non entretenues en bâtiments civils.

II. LES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION D'INFORMATION

Le cadre législatif actuel est suffisant afin de garantir la préservation et la valorisation des édifices . Aucune évolution législative n'apparaît donc nécessaire.

Outre qu'il serait déraisonnable de prendre le risque de rompre le subtil équilibre de la loi de 1905 , qui joue depuis plus de cent quinze ans un rôle fondamental pour la préservation de la laïcité et de la paix sociale, il apparaît inutile de modifier cette loi pour autoriser, par exemple, la désaffectation partielle ou la multi-affectation des édifices cultuels. D'une part, les possibilités désormais offertes par le code général de la propriété des personnes publiques ne font plus obstacle à des usages mixtes des édifices, sous réserve qu'il ne soit pas porté atteinte à leur affectation cultuelle. D'autre part, la désaffectation partielle et la co-affectation, autorisées par certaines législations étrangères, n'apparaissent pas compatibles avec le caractère sacré attaché aux édifices de culte catholique pris dans leur ensemble : leur partition n'est pas acceptable pour la Conférence des Évêques de France qui estime que le choeur ne saurait être dissocié des autres parties, toutes concourant à l'expression de la foi.

Le partage de la compétence en matière de conservation du patrimoine entre les différents échelons de collectivités ne paraît pas davantage devoir être remis en cause . Cette compétence partagée contribue à la préservation du patrimoine en multipliant le nombre d'acteurs impliqués et les sources de financement. La désignation comme chef de file de tel ou tel niveau de collectivité n'est jamais sans risque sur le niveau d'engagement des autres échelons aujourd'hui impliqués. La préservation du patrimoine passe par une meilleure mobilisation des compétences de chacun et une meilleure coordination de leurs actions .

A. ASSURER UNE MEILLEURE PROTECTION DU PATRIMOINE RELIGIEUX LE PLUS MENACÉ

1. Approfondir la connaissance de notre patrimoine religieux

Le travail d'identification constitue un préalable à toute politique de protection . Sans connaissance précise du patrimoine religieux, il est impossible d'assurer une protection adéquate et efficace de celui-ci, ni de favoriser son rayonnement. Ce n'est pas un hasard si la principale activité de l'Observatoire du patrimoine religieux consiste à réaliser un inventaire des édifices religieux. Toutefois, cette association manque de moyens pour le réaliser : elle s'appuie sur un réseau de correspondants bénévoles au niveau local et compte sur la participation du public pour enrichir sa base de données. Au-delà du dénombrement du nombre d'édifices, l'objectif de cet inventaire reste de documenter chaque édifice (situation juridique, aspect architectural et historique, état de conservation, usage).

Ce travail d'identification est indispensable pour éviter que ne disparaisse progressivement, dans l'indifférence générale, le patrimoine religieux, en particulier celui qui n'est pas protégé. Le dernier bilan du patrimoine religieux, réalisé dans les années 1980 sous l'égide du ministère de la culture, ne constitue pas une base suffisante. D'une part, il est sans doute incomplet, dans la mesure où seulement 38 000 édifices appartenant aux communes avaient alors été recensés. D'autre part, il mériterait d'être actualisé afin d'évaluer correctement le niveau des dégradations intervenues dans l'intervalle.

Même si l'inventaire général du patrimoine culturel a été décentralisé au niveau des régions, l'État conserve la possibilité de réaliser des opérations d'inventaire au plan national , conformément au II de l'article 95 de la loi n° 2004-809 relative aux libertés et responsabilités locales.

Deux opérations de ce type ont été lancées . L'une est relative au patrimoine littoral . Elle avait été justifiée par la volonté de disposer d'une vision territoriale d'ensemble permettant d'élaborer une politique raisonnée d'aménagement. L'objectif était notamment de déboucher sur des prescriptions méthodologiques pour la réalisation de l'inventaire. L'autre est relative au patrimoine industriel, scientifique et technique . Elle avait pour but de dresser un bilan de la manière dont ce patrimoine est étudié et d'en tirer des prescriptions méthodologiques, de faciliter l'élaboration de référentiels documentaires et de définir les champs dans lesquels des études ou des programmes se révéleraient nécessaires.

La mise en place d'une opération nationale apparaît pertinente d'un point de vue scientifique dans le cas du patrimoine religieux, afin de garantir une photographie complète de ce patrimoine et en tirer des conclusions pertinentes pour l'adaptation éventuelle des politiques publiques .

À défaut d'opération nationale préalable, il apparaîtrait indispensable que Régions de France, compte tenu de l'enjeu, lance un appel à toutes les régions pour réaliser de manière concomitante un travail d'inventaire sur le patrimoine religieux permettant de disposer, d'ici à 2030 , d'informations que l'État pourrait agréger et auxquelles il pourrait donner une visibilité nationale.

Recommandation n° 1 : Lancer une opération nationale d'inventaire du patrimoine religieux permettant de disposer d'une cartographie précise de ce patrimoine sur l'ensemble du territoire à l'horizon 2030.

Cette opération d'inventaire est également primordiale s'agissant du patrimoine mobilier. Depuis la décentralisation de l'inventaire, les interactions entre les services de l'inventaire et les conservateurs des antiquités et objets d'art (CAOA) apparaissent insuffisantes et disparates selon le statut des CAOA présents au niveau de chaque département .

Les CAOA sont en effet chargés, dans chaque département, pour le compte de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), de repérer les objets méritant une protection au titre des monuments historiques, de surveiller les objets protégés et d'aider les collectivités à les valoriser et à les restaurer. Ils jouent un rôle primordial dans la protection du patrimoine religieux mobilier. Leur fonction a d'ailleurs été créée, en 1908, à la suite de la loi de séparation des églises et de l'État, afin d'aider les inspecteurs des monuments historiques dans leurs opérations d'inventaire de manière à éviter la disparition d'objets mobiliers anciens. À l'origine temporaire, leur mission a finalement été pérennisée avec la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques.

Ces agents souffrent d'un problème de reconnaissance . S'ils perçoivent une indemnité de la part de l'État pour l'exercice de leurs missions, ils ne sont pas pour autant des fonctionnaires de l'État. Seulement la moitié relève de la fonction publique d'État ou de la fonction publique territoriale. Le décret n° 71-859 du 19 octobre 1971, qui régit leurs attributions, prévoit simplement qu'ils sont « choisi [s] parmi les personnes qui possèdent une compétence reconnue en matière d'art, d'archéologie et d'histoire, et qui résident dans le département ». Cette différence de statut entre les différents CAOA provoque des disparités dans la manière dont leurs missions sont exécutées selon les territoires.

Les CAOA ne disposent pas, à ce jour, d'une véritable base de données, interopérable avec la base Gertrude des services de l'inventaire en régions, ni avec celle de l'Office de lutte contre le trafic de biens culturels , permettant de documenter de manière précise, y compris par des photos, le patrimoine protégé au niveau national. Il s'agit d'un handicap, à la fois pour la documentation de ce patrimoine, ainsi que pour faciliter le retour dans leur lieu d'origine des objets religieux disparus ou volés.

Recommandation n° 2 : Doter les conservateurs des antiquités et objets d'art d'une base de données interopérable avec celle des services de l'inventaire en régions et celle de l'Office central de lutte contre le trafic de biens culturels permettant une documentation, y compris visuelle, de l'ensemble du patrimoine mobilier protégé.

2. Renforcer la protection des édifices particulièrement en danger

Certaines catégories d'édifices apparaissent aujourd'hui davantage menacées de démolition . Sur son blog, Benoit de Sagazan, directeur de l'Institut Pèlerin du patrimoine, a ainsi recensé 45 églises démolies entre 2000 et 2018, dont 17 datant du XIX e siècle et 23 du XX e siècle.

Ces chiffres démontrent que les édifices les plus récents sont, paradoxalement, ceux qui sont les plus menacés de disparition .

Le patrimoine religieux du XIX e siècle , qui représente environ le quart des édifices présents sur notre territoire, pâtit d'un manque d'intérêt pour leur conservation qui trouve son origine dans deux éléments :

- d'une part, la vaste dimension des édifices concernés qui, de ce fait, sont moins adaptés aux besoins actuels ;

- d'autre part, un certain désamour pour les styles architecturaux dans lesquels il a été bâti (néo-byzantin, néo-gothique, néo-médiéval...). Les édifices datant de cette période sont considérés comme des copies à la valeur patrimoniale et au potentiel touristique moindres que les édifices plus anciens.

Pour des raisons différentes, le patrimoine religieux du XX e siècle , notamment de sa seconde moitié, est lui aussi menacé en dépit des fortes mutations de l'architecture religieuse intervenues pendant cette période qui rendent sa préservation souhaitable.

La médiocrité des matériaux de construction utilisés et la durée de vie limitée du béton rendent le coût de leur restauration particulièrement onéreux.

Peu d'édifices sont aujourd'hui protégés au titre des monuments historiques . Le ministère de la culture estime que cette protection n'a pas vocation à s'appliquer aux immeubles les plus récents, construits il y a moins de cinquante ans, dans la mesure où elle est en principe irréversible et ne peut donc être décidée que sur la base d'un recul historique suffisant. Plus de cent cinquante églises et une cinquantaine de chapelles bénéficient, à défaut, du label « Architecture contemporaine remarquable ». Ce label n'offre cependant aucune véritable garantie en termes de protection puisqu'il ne crée pas de servitude d'utilité publique.

S'agissant des édifices de culte juif, une véritable inquiétude se fait également jour concernant l'avenir des synagogues en Alsace . Cette collectivité, qui a longtemps été l'un des foyers de la communauté juive en France, comptabilise près des deux tiers des synagogues construites sur le territoire français. La moitié d'entre elles auraient déjà été transformées, les membres de la communauté juive ayant, à l'exception des grandes villes, massivement quitté cette région suite aux persécutions intervenues pendant la période nazie. Il serait dramatique que ce patrimoine, qui constitue un témoin de la mémoire juive en Alsace et qui est parvenu à échapper à l'entreprise de destruction nazie, ne finisse aujourd'hui par disparaître, faute de protection.

Pour les différentes catégories d'édifices menacées, la mise en place de plans nationaux de sauvegarde devrait faire figure de priorité .

Ces plans devraient en particulier se traduire par le lancement de nouvelles campagnes de classement ou d'inscription des édifices remarquables ou représentatifs des styles de ces différentes catégories afin d'empêcher leur disparition totale. Cette idée s'inscrit dans le prolongement des dispositions de l'article 16 de la loi du 9 décembre 1905, qui prévoyait, dès l'origine qu'il devrait être procédé « à un classement complémentaire des édifices servant à l'exercice public du culte (cathédrales, églises, chapelles, temples, synagogues, archevêchés, évêchés, presbytères, séminaires), dans lequel devront être compris tous ceux de ces édifices représentant, dans leur ensemble ou dans leurs parties, une valeur artistique ou historique ».

Pour les édifices jugés remarquables appartenant aux associations cultuelles et qui seraient menacés de transformation ou de démolition suite à l'arrêt définitif de la célébration du culte, une réflexion pourrait également être engagée sur l'opportunité de faciliter le rachat d'un certain nombre d'édifices par des collectivités publiques afin d'assurer leur sauvegarde. Des aides de l'État spécifiques pourraient être mises en place à cette fin, dans la mesure où le rachat n'a de sens que si le bâtiment abrite ensuite un projet permettant de garantir leur entretien régulier.

Recommandation n° 3 : Adopter un plan national en faveur de la préservation du patrimoine religieux en péril permettant d'empêcher la disparition de certains types d'édifices aujourd'hui particulièrement menacés en garantissant la protection d'un certain nombre d'édifices (patrimoine religieux du XIX e et du XX e siècles, patrimoine juif en Alsace).

B. ACCOMPAGNER LES MAIRES DANS L'ENTRETIEN DE LEUR PATRIMOINE RELIGIEUX

Face aux difficultés ressenties par les maires, une première étape consiste sans doute à mieux les informer sur les enjeux de l'entretien du patrimoine religieux, la répartition des compétences entre la commune et l'affectataire, ainsi que les ressources et les interlocuteurs à leur disposition pour les accompagner. Les nouveaux élus, en particulier, sont peu familiers de ces questions complexes.

De nombreux documents sont déjà disponibles dans ce domaine . Plusieurs conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) ont élaboré des guides à destination des élus : le CAUE de Seine-Maritime a ainsi publié un guide méthodologique d'entretien des édifices cultuels ; le CAUE de Meurthe-et-Moselle a produit un recueil de fiches pratiques consacré à la question de l'élu et son église ; le CAUE du Calvados a organisé un colloque en 2019 sur la question de la restauration, du partage et de la reconversion des églises, dont les actes ont été publiés.

La Fondation du patrimoine a réalisé, avec le soutien du ministère de la culture et du ministère chargé de la cohésion des territoires, une plateforme numérique d'information sur le patrimoine, intitulée « le Portail du patrimoine », destinée aux propriétaires, publics et privés, de biens d'intérêt patrimonial. Mise en ligne en mai dernier, elle comporte de nombreux contenus destinés à faire le point sur les aides et financements disponibles, les modalités de valorisation du patrimoine et propose des conseils méthodologiques pour conduire un projet patrimonial. De nombreux contenus portent spécifiquement sur le patrimoine religieux.

Par conséquent, l'enjeu n'est pas tant d'élaborer de nouveaux guides que de donner davantage de visibilité aux outils existants . Les associations d'élus, en particulier l'Association des maires de France et l'Association des maires ruraux de France, apparaissent comme des vecteurs à privilégier pour informer les maires de ces différentes ressources documentaires.

Le déficit d'ingénierie des maires , en revanche, est une problématique sur laquelle des progrès doivent encore être accomplis, compte tenu du désengagement de l'État en matière d'assistance à maîtrise d'ouvrage. Plusieurs outils existent au niveau local qu'il conviendrait de transposer à l'échelle de tous les territoires pour produire de véritables résultats .

1. Assister les maires pour l'entretien de leur patrimoine

Afin d'éviter la dégradation du patrimoine religieux, l'amélioration de son entretien fait figure de priorité . Un entretien régulier permet d'assurer la conservation des édifices, tout en évitant de lourdes dépenses de restauration futures.

La mise en place de mutualisations dans le domaine de l'entretien des édifices apparaît comme le meilleur moyen de réduire les coûts liés à cette charge et de lever les blocages d'ordre technique qui sont à l'origine de sa fréquence irrégulière.

De l'avis de tous, les départements apparaissent, a priori, comme l'échelon le plus pertinent pour organiser de telles mutualisations . Les intercommunalités ont rarement une compétence en matière de maîtrise d'ouvrage. Les régions sont un échelon plus éloigné des réalités locales et restent encore peu investies en matière de patrimoine non protégé, même si leur engagement est variable. L'Assemblée des départements de France a fait part de la volonté des départements de se réengager dans le domaine du patrimoine.

Le dispositif de soutien à la conservation préventive des édifices historiques des communes de moins de 25 000 habitants, mis en place depuis 2018 par le département des Yvelines sur le modèle du programme hollandais et belge flamand d'entretien des monuments constituerait un outil approprié pour faciliter l'entretien régulier des édifices religieux à la charge des communes .

Le fonctionnement du dispositif de conservation préventive
des édifices historiques mis en place par le département des Yvelines

Inspiré du programme pour l'entretien du patrimoine mis en place aux Pays-Bas dès 1973 dénommé « Monumentenwacht », ce dispositif a été mis en place par les Yvelines à la suite des Assises de la Ruralité qu'elle a organisées en 2015. Il est complémentaire, sur le plan de l'entretien, du dispositif destiné à la restauration des édifices historiques des communes de moins de 25 000 habitants. Tous les édifices d'intérêt patrimonial sont concernés, qu'ils soient ou non protégés au titre des monuments historiques . Il est mis en oeuvre par l'agence départementale d'ingénierie des Yvelines, Ingénier'Y.

Il permet aux communes rurales de bénéficier de diagnostics sanitaires de leurs édifices , débouchant sur la réalisation d'un carnet d'entretien , mis à jour chaque année à l'occasion de visites de surveillance, afin qu'elles puissent disposer d'une programmation pluriannuelle des interventions préventives nécessaires à la conservation des monuments. Les travaux de strict entretien, de maintenance courante et toutes les opérations de conservation préventives des édifices peuvent faire l'objet d'une maîtrise d'ouvrage déléguée par le département, organisée par voie de convention.

Au-delà de cette aide technique , ce dispositif comprend des aides financières de la part du département (80 % des frais des diagnostics sanitaires, des visites annuelles de surveillance et des travaux d'entretien et de maintenance courante sont pris en charge dans la limite de plafonds), ainsi que des aides juridiques et techniques de la part de l'agence départementale d'ingénierie.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

La mise en place de carnets d'entretien des édifices permettrait aux conseils municipaux de mieux anticiper les travaux à réaliser dans leur programmation budgétaire. Elle permettrait de limiter le risque de réalisation de travaux dans l'urgence sans réelle connaissance des caractéristiques techniques et architecturales de l'édifice. Elle favoriserait par ailleurs le recours à des architectes spécialisés dans le bâti ancien pour exercer la maîtrise d'oeuvre sur les travaux . Ceux-ci sont généralement exécutés par des entreprises générales auxquelles les maires font appel, au risque que des dommages irrémédiables soient causés à ces édifices, dans la mesure où les entreprises ne disposent pas nécessairement des connaissances requises pour effectuer des interventions sur ce type de bâti, très spécifique.

Recommandation n° 4 : Proposer, au niveau des départements , des outils destinés à accompagner les communes dans la conservation préventive de leur patrimoine religieux (carnet de suivi d'entretien, aides financières, techniques et juridiques).

2. Aider les maires à évaluer l'état de leur patrimoine religieux

L'autre chantier pour lequel un accompagnement des maires se révèle indispensable est relatif au devenir du patrimoine religieux .

Encore variablement sollicités à ce sujet, les CAUE pourraient pourtant constituer de véritables partenaires des maires sur cette question. Lors de son assemblée générale de juin 2022, la Fédération nationale des CAUE a retenu cette thématique parmi ses priorités d'action à l'échelle nationale.

Les CAUE présentent en effet un certain nombre d' avantages pour accompagner les maires face à cet enjeu , à la croisée des chemins entre les problématiques en matière de patrimoine, d'urbanisme, de revitalisation, d'aménagement du territoire, de tourisme :

- ils sont des organes indépendants investis par la loi d'une mission d'intérêt public . Ils sont ainsi chargés d'accompagner les collectivités en leur fournissant des repères pour les aider dans leur prise de décision, en évaluant la pertinence d'une initiative, en renforçant leurs compétences pour exercer correctement la maîtrise d'ouvrage, en les aidant à choisir la maîtrise d'oeuvre privée ;

- ils disposent d' équipes techniques pluridisciplinaires qui leur permettent d'apporter des conseils transversaux ;

- leur composition en fait des organes de concertation . Ils peuvent être des pôles d'échanges entre citoyens, experts, élus et services de l'État. Leur conseil d'administration, systématiquement présidé par un élu local, est composé de représentants de l'État, de représentants des collectivités territoriales, de professionnels de l'acte de bâtir et d'aménager et de représentants de la société civile. Ils sont en capacité de faciliter le dialogue entre les élus et les habitants en animant la concertation et le débat public ;

- ils disposent d'un budget propre , puisque la loi leur attribue comme source de financement une partie de la part départementale de la taxe d'aménagement, l'autre partie étant allouée à la politique de protection des espaces naturels sensibles (article L. 313-3 du code de l'urbanisme). Il appartient à chaque conseil départemental de déterminer la part destinée aux CAUE et celle destinée aux espaces naturels sensibles.

Dans le cadre d'un travail plus global de réflexion sur le devenir possible des églises, reposant notamment sur une coopération avec le Québec, le CAUE de Meurthe-et-Moselle, en partenariat avec le Laboratoire d'Histoire d'Architecture Contemporaine de l'École d'Architecture de Nancy, a réalisé entre 2016 et 2018 un « diagnostic » des églises présentes sur le territoire de la communauté de communes de Mad-et-Moselle. Cette expérience réussie démontre que les CAUE sont en capacité d'établir ou de gérer un état des lieux du patrimoine, c'est-à-dire d'évaluer son état au regard de différents critères (qualité urbaine et paysagère, valeur historique et patrimoniale, état technique et sanitaire, fréquentation et usages) et de préconiser des pistes pour le devenir de chaque édifice .

Au regard de l'importance de l'enjeu du devenir du patrimoine religieux dans les zones rurales, il semblerait efficace que les maires fassent appel à leur CAUE pour organiser de tels états des lieux.

Recommandation n° 5 : Recourir aux conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) pour évaluer l'état du patrimoine religieux et identifier les solutions possibles pour chaque édifice.

Pour être pleinement opérationnelle, cette recommandation devrait être assortie d'un certain nombre d'évolutions.

Les CAUE sont aujourd'hui en place dans l'essentiel des départements . Sept départements (Alpes-de-Haute-Provence, Ardennes, Aube, Ille-et-Vilaine, Loire, Marne, Territoire de Belfort) n'en disposent toujours pas, alors même que l'article 6 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture définit une obligation en la matière. Leur mise en place dans ces départements doit faire figure de priorité .

Le réseau des 92 CAUE

Source : Fédération nationale des CAUE

La question du financement des CAUE constitue également un enjeu de taille pour garantir le bon fonctionnement et l'autonomie de ces structures. Suite à la rationalisation de la fiscalité de l'aménagement en 2012, un nombre croissant de départements s'est mis à financer les CAUE par le vote annuel de dotations de fonctionnement plutôt qu'en leur reversant de manière systématique la taxe qui leur a été spécialement affectée. Cette pratique constitue une anomalie générant des difficultés financières pour un certain nombre de CAUE.

Les interactions entre les CAUE et les commissions régionales du patrimoine et de l'architecture (CAUE) mériteraient également d'être développées , afin d'éviter qu'une barrière infranchissable ne soit peu à peu érigée entre le patrimoine protégé, également soutenu par l'État, et le patrimoine non protégé, exclusivement géré par les collectivités territoriales. Il serait bon que les CAUE puissent saisir la CRPA pour proposer l'inscription ou le classement d'un édifice au titre des monuments historiques au terme des états des lieux qu'ils auront gérés.

C. PERMETTRE UNE RÉAPPROPRIATION ET UNE RESOCIALISATION DES ÉDIFICES CULTUELS

La valorisation des édifices cultuels constitue un axe majeur pour faciliter la préservation du patrimoine religieux. Elle est indispensable pour permettre sa réappropriation par le plus grand nombre et sa réinscription progressive au coeur du fonctionnement de notre société.

1. Accroître la visibilité et le rayonnement du patrimoine religieux

La réappropriation du patrimoine religieux passe par un certain nombre de conditions.

L'ouverture la plus large possible des édifices au public est la première d'entre elles. Elle constitue également un facteur clé de préservation des édifices, dans la mesure où elle permet de prévenir, par une ventilation suffisante, un certain nombre de dégradations, ainsi que de repérer des dégâts rapidement après leur survenance.

L'enjeu est donc de parvenir à assurer une ouverture plus systématique de ces lieux qui relèvent du patrimoine public, mais dont l'accès est dépendant de la volonté de l'affectataire.

La baisse du nombre de prêtres impose de trouver de nouvelles solutions pour le gardiennage des édifices . Le recours à des fidèles est une option qui trouve ses limites en zone rurale face à la baisse de la pratique religieuse et au vieillissement des fidèles. La solution, expérimentée dans la Meuse, avec le projet des « jeunes ambassadeurs du patrimoine » pourrait constituer une formule à transposer pour contribuer à une meilleure accessibilité des lieux de culte et garantir un accueil patrimonial respectueux de l'affectation cultuelle du lieu.

Face au double constat de l'insuffisante ouverture des églises à la visite et de l'intérêt de fournir des activités aux jeunes du village, cette initiative, qui a débuté à Mont-Devant-Sassey, a consisté à sensibiliser les jeunes à leur patrimoine religieux et à les former à sa visite, puis à leur confier le soin d'organiser des visites guidées de l'église durant les week-ends et les vacances scolaires. Face au succès de ce dispositif, il essaime peu à peu sur tout le territoire lorrain.

Recommandation n° 6 : Garantir l'ouverture du patrimoine religieux en recourant au gardiennage ou à des bénévoles, notamment parmi les jeunes.

L'amélioration de la sécurisation des édifices reste un enjeu crucial . La fermeture des édifices est souvent liée à la crainte d'actes de vol ou de vandalisme. Malgré les principes fixés par la loi de 1905, l'État peut apporter des subventions pour la sécurisation des édifices (systèmes de vidéosurveillance), même si le culte catholique se montre très partagé sur l'installation de caméras, qu'elle juge contradictoire avec les valeurs d'accueil défendues par l'église.

Dans ces conditions, beaucoup d'objets religieux ne sont pas présentés au public au sein des édifices , alors qu'ils sont essentiels à leur attractivité. Leur sécurisation et leur mise en valeur permettraient aux Français de se réapproprier leur patrimoine religieux en faisant des édifices cultuels le premier musée de France .

Les DRAC sont nombreuses à avoir édité des guides sur les modalités de sécurisation du patrimoine religieux mobilier sans nuire pour autant à son accessibilité. Les conservateurs des antiquités et objets d'art peuvent conseiller les collectivités territoriales et octroyer des subventions aux fins de sécuriser et de mettre en valeur les objets protégés au titre des monuments historiques, par exemple pour l'installation de vitrines. Ils sont également en mesure d'accompagner les élus pour créer des circuits de valorisation de leur patrimoine religieux autour de différentes thématiques (les retables, la peinture religieuse, les reliquaires...).

Recommandation n° 7 : Améliorer la mise en valeur du patrimoine mobilier cultuel au sein des édifices.

De manière générale, le potentiel économique et touristique du patrimoine religieux reste encore insuffisamment exploité , alors qu'il peut répondre aux besoins actuels d'un tourisme durable, local et authentique.

Il serait utile de rassembler les différents acteurs du territoire (élus locaux, responsables des cultes, comités régionaux et départementaux du tourisme, offices du tourisme, parcs naturels régionaux, CAUE...) pour développer des offres (visites guidées, itinéraires, chemins, brochures, parcours audioguidés en ligne) permettant aux habitants et aux touristes de mieux découvrir les différents édifices d'un territoire.

Cette question pourrait être abordée à l'échelle des régions compte tenu de l'intérêt de cet échelon de collectivités pour les questions touristiques.

Recommandation n° 8 : Développer des parcours de visites touristiques autour du patrimoine religieux à l'échelle des territoires.

2. Développer les usages partagés des édifices cultuels

La réflexion sur les usages des édifices cultuels est incontournable, dans la mesure où un bâtiment sans usage a toutes les chances d'être démoli ou transformé. En ce sens, le développement des usages partagés des édifices cultuels doit être regardé comme un moyen de maintenir ou de raviver l'intérêt pour le patrimoine religieux .

Élargir les usages des édifices cultuels, les ancrer dans le calendrier des activités de la commune, n'est pas contradictoire avec la vocation cultuelle des édifices. Il s'agit plutôt d' un retour aux sources : jusqu'à la Révolution française, les activités cultuelles et les activités humaines cohabitaient au sein des églises . Les faire renaître en véritables « maisons communes » est également un enjeu fort dans une optique de revitalisation des zones rurales.

Le développement d'activités non cultuelles au sein des édifices exige néanmoins de définir les activités qui peuvent être considérées comme « compatibles avec l'affectation cultuelle ».

Les initiatives déjà mises en place en France permettent d'imaginer des usages culturels (concerts, expositions, spectacles, bibliothèques, médiathèques), éducatifs (éducation artistique et culturelle), sociaux ( refuge en cas de fortes chaleurs, accueil des élèves en période de révision d'examen) , touristiques (visites, musées, centres d'interprétation), caritatifs ou solidaires (accueil des plus démunis).

Le partage apparaît plus simple à organiser dans le temps , en répartissant les usages cultuels et les autres usages selon les horaires de la journée, les jours de la semaine, ou même les périodes de l'année, à l'instar du centre d'interprétation du vitrail, mis en place au sein de l'église Saint-Hilaire de Mortagne-sur-Sèvre chaque année du 1 er avril au 30 octobre. Le culte catholique est moins ouvert à un partage de l'espace, susceptible de remettre en cause l'expression de la foi qui émane de chaque partie de l'édifice. Celui-ci est plus aisé quand les espaces sont séparés.

Si l'enjeu de la réappropriation des édifices cultuels par la population locale commande de l'associer à la réflexion sur les usages envisagés pour garantir le succès du projet, un accord entre le maire et l'affectataire autour des usages possibles est nécessaire. Afin de réduire les tensions éventuelles entre ces deux autorités, il serait opportun d'avoir recours à des conventions-types afin de clarifier leurs relations et de dresser la liste des activités compatibles.

Le développement d'usages mixtes ne sera possible qu'à la condition d'un dialogue renforcé entre les élus et les représentants des cultes . La qualité du dialogue entre ces deux autorités sera déterminante pour lever les craintes du culte face à la perspective de cette évolution et permettre aux maires de mieux comprendre les enjeux de l'affectataire. Des efforts restent nécessaires de part et d'autre pour lever la méfiance entre ces deux autorités et accroître leur connaissance mutuelle, les nouveaux élus étant de moins en moins sensibilisés aux questions religieuses sous l'effet de la sécularisation de la société. L'association des maires de France, comme la Conférence des évêques ont un rôle pédagogique à jouer vis-à-vis des élus et des curés (guides pratiques, formations).

Recommandation n° 9 : Favoriser l'usage partagé des édifices cultuels en clarifiant, par des conventions-types, les relations entre le maire, le curé affectataire et le diocèse.

La voie des usages partagés apparaît préférable à celle de la désaffectation .

D'une part, elle n'a pas un caractère irréversible comme la désaffectation, qui est définitive, quand bien même un nouveau besoin d'édifices cultuels se ferait de nouveau sentir suite à une recrudescence de la pratique religieuse. L'édifice ne pourrait plus alors bénéficier du régime de l'affectation prévu par la loi de 1905.

D'autre part, les usages partagés permettent d'éviter que l'édifice ne subisse des transformations qui ne respecteraient pas les caractéristiques architecturales de l'édifice et pourraient entraîner la perte de valeur patrimoniale et artistique du bien.

Dans un certain nombre de cas, la désaffectation est néanmoins souhaitée à la fois par le maire, l'affectataire et la population locale, afin d'assurer une renaissance de l'édifice promis à la démolition. La France compte de plus en plus d'exemples réussis d'anciennes églises transformées en bibliothèques, en médiathèques, en musées ou espaces culturels, en épiceries solidaires ou même en refuges pour randonneurs.

Pour la pérennité du patrimoine, il apparaît souhaitable que le bien, une fois désaffecté, demeure dans le patrimoine public de la commune plutôt qu'il ne soit vendu à des personnes privées.

D'une part, il n'est pas possible de faire figurer dans un acte de vente une clause empêchant tel ou tel usage, ou telle ou telle démolition. Le premier propriétaire peut s'engager à respecter certains souhaits, mais les propriétaires suivants ne seront pas liés par cet engagement, dans la mesure où le bien n'est grevé d'aucune servitude.

D'autre part, le maintien de l'édifice dans le patrimoine de la commune est un moyen de préserver le symbole qu'il représente pour la population locale et de lui permettre de conserver l'une de ses vocations originelles, à savoir d'être un lieu de rassemblement pour toute la communauté locale.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 6 JUILLET 2022

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M. Laurent Lafon, président . - Nous sommes réunis aujourd'hui pour la présentation du rapport de deux des quatre missions d'information lancées au mois de février, en commençant par celle qui porte sur la situation préoccupante du patrimoine religieux, un sujet qui nous concerne tous.

Mme Anne Ventalon, rapporteure . - Vous êtes sans doute nombreux à avoir été sollicités au cours des dernières années par des maires de vos départements au sujet des difficultés qu'ils rencontrent dans l'entretien et la restauration du patrimoine religieux dont leurs communes sont propriétaires. Avec la disparition de la dotation d'action parlementaire, ils ont perdu un levier non négligeable pour le financement de cette charge et un moyen pour nous de les soutenir.

C'est dans ce contexte que notre commission a confié, en février dernier, à Pierre Ouzoulias et à moi-même le soin de faire la lumière sur l'état du patrimoine religieux, les menaces qui pèsent sur sa préservation et les moyens de contribuer à sa sauvegarde.

La France a la chance de bénéficier d'un patrimoine religieux particulièrement riche et bien réparti sur l'ensemble du territoire. Il n'existe pas de décompte officiel, mais on estime qu'il pourrait y avoir jusqu'à cent mille lieux de culte encore en activité ou non sur le sol français.

La grande spécificité française, héritée de la Révolution de 1789, est qu'une bonne partie des édifices cultuels que nous comptons sur notre territoire appartiennent aux collectivités publiques et non aux cultes, comme dans les autres pays. Nous évoquons régulièrement le cas des cathédrales de l'État dans cette enceinte ; mais ce sont évidemment les communes qui possèdent l'essentiel de ces monuments. Là encore, c'est pour des raisons historiques liées à l'attitude des catholiques face au régime de séparation mis en place en 1905 que les édifices cultuels propriétés des collectivités publiques sont presque exclusivement des lieux de culte catholique.

Tous ces édifices n'ont évidemment pas une dimension patrimoniale. Quinze mille d'entre eux sont néanmoins protégés au titre des monuments historiques, et bien d'autres présentent une valeur architecturale ou historique digne d'intérêt. Plus de quarante mille édifices cultuels encore actifs sont antérieurs au XX e siècle.

Ce patrimoine étant porteur d'une grande charge symbolique, sa préservation est particulièrement importante : nous nous sommes rendu compte que ces lieux constituaient de véritables biens communs. Les édifices cultuels ne sont pas seulement des lieux de culte, mais aussi des lieux de culture ; ils structurent nos paysages ; ils définissent l'identité des territoires ; ils sont des vecteurs de transmission de la mémoire locale comme nationale ; ils contribuent à la qualité du cadre de vie. C'est ce qui explique que les Français dans leur ensemble, et pas seulement les fidèles, y soient très attachés.

Il reste que ce patrimoine n'est pas suffisamment connu et documenté. Faute d'inventaire complet du patrimoine religieux, surtout depuis la décentralisation de cet inventaire en 2004, il est difficile de dresser un bilan précis de son état. Seul l'état sanitaire des édifices protégés au titre des monuments historiques est régulièrement contrôlé par les services du ministère de la culture. Mais, même pour ceux-là, il est impossible de savoir avec exactitude combien de monuments religieux sont en péril ou en mauvais état, dans la mesure où le bilan ne comprend que des analyses globales sur l'ensemble des monuments historiques et ne distingue pas selon la catégorie de patrimoine dont ils relèvent.

Il faut donc s'en remettre aux résultats du dernier bilan de l'état sanitaire portant spécifiquement sur le patrimoine religieux, datant de la fin des années 1980, ou aux impressions qui nous ont été confiées dans nos auditions. Il en ressort que le patrimoine religieux ne serait pas en si mauvais état. Paradoxalement, il semble qu'en confiant la propriété d'une grande partie des édifices aux communes, la loi de 1905 ait largement contribué à la préservation de ce patrimoine.

Reste que la situation est contrastée. D'abord, le patrimoine religieux souffrirait globalement d'un déficit d'entretien ou, du moins, d'un entretien trop irrégulier. Cette problématique est commune à tous les types de patrimoine. Ensuite, les édifices protégés au titre des monuments historiques seraient globalement en meilleur état que ceux qui ne le sont pas. Les édifices seraient plus dégradés en milieu rural qu'en milieu urbain. Enfin, si le clos et le couvert sont globalement entretenus, les parties intérieures des édifices sont davantage négligées.

M. Pierre Ouzoulias, rapporteur . - Ce bilan pourrait laisser penser que le patrimoine religieux n'est finalement guère menacé et souffre simplement de maux similaires à ceux qu'il a déjà connus par le passé : Victor Hugo, puis Maurice Barrès, dénonçaient déjà, en leur temps, « la grande pitié des églises de France » pour reprendre les mots du second.

Ce patrimoine est pourtant désormais en proie à des menaces particulièrement fortes, qui peuvent faire craindre sa dégradation rapide, si le problème n'est pas rapidement anticipé. Nous nous étonnons d'ailleurs que l'Association des maires de France (AMF) ait décliné notre demande d'audition compte tenu de l'ampleur de l'enjeu pour bon nombre de communes.

La sécularisation croissante de la société, la désertification de certaines zones géographiques, les contraintes budgétaires accrues des communes, ainsi que les regroupements paroissiaux, la progression des fusions de communes et le développement des intercommunalités sont autant de facteurs de risque pour ce patrimoine. Ils menacent particulièrement les édifices non protégés situés dans les zones rurales, c'est pourquoi nous estimons que ce problème du patrimoine religieux est bien un enjeu d'ordre sociétal pour la ruralité.

Le risque n'est pas tant que ce patrimoine passe aux mains de propriétaires privés, comme cela arrive dans les pays anglo-saxons, où d'anciennes églises ont été transformées en boutiques, en hôtels, en supermarchés ou en discothèques. Les cas en France sont très marginaux. Les contraintes architecturales et les dimensions des édifices cultuels expliquent la convoitise modérée des investisseurs, a fortiori en zone rurale. De plus, il subsiste une vive réticence en France à l'égard de la désaffectation des édifices cultuels, qui n'est généralement souhaitée ni par l'affectataire, ni par les maires, ni par la population qui y voient la disparition d'un symbole.

Le danger est plutôt que ces édifices ne soient plus utilisés, et donc plus entretenus, au point de rendre leur démolition inéluctable. Ce risque menace particulièrement les bâtiments de qualité médiocre ou dont la valeur architecturale est moins prisée, notamment ceux qui datent du XIX e et du XX e siècles.

Or la France ne semble pas aujourd'hui suffisamment armée pour répondre correctement à ces défis : les maires sont confrontés à une situation difficile sous plusieurs aspects.

D'abord, il ne faut pas sous-estimer les relations conflictuelles qui peuvent exister avec le curé affectataire ou la communauté de fidèles, même si ce n'est heureusement pas une généralité. Ces conflits résultent du partage complexe des responsabilités entre le maire et l'affectataire qui découle du régime de l'affectation cultuelle. Pour résumer, le maire est propriétaire de l'édifice sans en avoir la jouissance, ce qui peut évidemment être une source de frustrations et de malentendus. Si nous mentionnons ce sujet, c'est parce que ces frictions peuvent avoir des conséquences préjudiciables sur la gestion des édifices et leur entretien. Nous estimons donc primordial de créer les conditions d'une meilleure coopération entre les maires et les affectataires.

La deuxième problématique des maires sur ce dossier est évidemment financière. La charge de l'entretien des édifices cultuels apparaît de plus en plus souvent disproportionnée au regard des budgets disponibles, des attentes multiples de la population et de l'utilisation qui est faite de l'édifice.

Au demeurant, nous nous sommes aperçus que ces problèmes de financement peuvent, dans une majorité des cas, être surmontés à condition que les maires sachent à qui s'adresser et parviennent à mobiliser autour du projet de restauration, ce qui exige d'être en mesure de lui donner du sens. Les communes peuvent recevoir des subventions de la part de l'État, des régions et des départements, même si elles restent évidemment plus faciles à obtenir pour le patrimoine protégé.

Elles peuvent également faire appel à la générosité du public. Nous avons évoqué la semaine dernière, avec Stéphane Bern, la contribution du Loto du patrimoine, mais des fondations comme la Fondation du patrimoine ou la Sauvegarde de l'art français, et même des entreprises de financement participatif comme Dartagnans, interviennent également dans ce domaine.

La principale difficulté, en fin de compte, est une nouvelle fois le déficit d'ingénierie des communes et l'accompagnement insuffisant dont elles peuvent bénéficier dans ce domaine. Lors de son audition, le ministère de la culture n'a laissé entrevoir aucune perspective d'évolution en matière d'assistance à maîtrise d'ouvrage de la part de l'État. Il est désormais temps de se résoudre à en prendre acte et de rechercher sans tarder des solutions au niveau des collectivités territoriales, en espérant que cette décentralisation de facto ne creuse pas les inégalités territoriales.

Le second aspect sur lequel la France nous semble pécher est la valorisation de ce patrimoine, pourtant un enjeu majeur pour éveiller l'intérêt du public à son importance et permettre à chacun de se le réapproprier. Elle est indispensable pour que ce patrimoine produise davantage de retombées économiques. Elle est surtout une clé pour rendre plus supportable la charge de son entretien.

Malheureusement, la mise en valeur des édifices cultuels n'est pas toujours à la hauteur, ni des trésors architecturaux qu'ils constituent ni des trésors artistiques qu'ils recèlent. Le silence de la loi de 1905 sur la question de la valorisation patrimoniale en est sans doute largement responsable. Le principe de l'affectation cultuelle a longtemps, sinon empêché, du moins rendu plus délicate la valorisation des édifices, puisqu'il interdit à la fois au maire d'utiliser l'édifice à sa guise et à l'affectataire de l'utiliser à des fins autres que son culte.

Heureusement, la jurisprudence a permis d'évoluer peu à peu vers un usage moins exclusivement cultuel des édifices. Le code général de la propriété des personnes publiques autorise, depuis 2006, l'utilisation des édifices relevant de la loi de 1905 pour des « activités compatibles avec l'affectation cultuelle » comme des expositions, des concerts ou des visites. Il subsiste une réserve de taille : l'organisation de ces activités est subordonnée à l'accord préalable du desservant. Le juge considère néanmoins que celui-ci n'est, par exemple, pas requis pour organiser des visites de certaines parties de l'édifice dont l'accès est indépendant.

Cette base légale nous semble ouvrir des perspectives pour un usage plus partagé des édifices cultuels, qui n'ont pas encore été suffisamment exploitées. C'est pourtant à nos yeux une vraie piste pour l'avenir des édifices, d'autant que la Conférence des évêques de France y semble désormais favorable. Elle y voit une opportunité pour permettre à ce patrimoine de rester vivant et éviter la solution radicale de la désaffectation, dont les conséquences sont irréversibles.

Mme Anne Ventalon, rapporteure . - Ces constats nous conduisent à estimer qu'il serait non seulement déraisonnable, mais aussi inutile de vouloir toucher à la loi de 1905. Nous ne jugeons pas non plus nécessaire de revenir sur la répartition des compétences en matière de politique patrimoniale. Nous préconisons plutôt de mieux mobiliser les compétences de chacun et de mieux coordonner les actions au service de la cause du patrimoine religieux.

Il est impossible de garantir un niveau de protection adéquat des édifices cultuels sans connaître précisément l'étendue de notre patrimoine religieux ; c'est pourquoi nous recommandons qu'un inventaire national de ce patrimoine soit réalisé à l'horizon 2030.

Même si l'inventaire général du patrimoine culturel a été décentralisé au niveau des régions, l'État conserve en effet la possibilité de réaliser des opérations au plan national. C'est à nos yeux la seule solution pour garantir une photographie complète du patrimoine religieux et en tirer des conclusions pertinentes pour l'adaptation éventuelle des politiques publiques.

Si l'État s'y refusait, il paraîtrait indispensable que Régions de France, compte tenu de l'enjeu, lance un appel à toutes les régions pour réaliser de manière concomitante un travail d'inventaire sur le patrimoine religieux. Cela nous donnerait, dans les mêmes délais, des informations que l'État pourrait agréger et auxquelles il pourrait donner une visibilité nationale.

Cette opération d'inventaire est également primordiale pour le patrimoine mobilier - le point a été soulevé par nombre d'entre vous la semaine dernière. Les conservateurs des antiquités et objets d'art (CAOA) sont chargés, au niveau de chaque direction régionale de l'action culturelle (DRAC), de repérer les objets méritant une protection au titre des monuments historiques et d'aider les collectivités à valoriser et restaurer les objets qui sont protégés.

Ces agents indemnitaires de l'État souffrent néanmoins d'un problème de reconnaissance. Leur statut est hybride : une moitié relève de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique d'État et l'autre moitié exerce ces missions à titre bénévole. Cette situation crée inévitablement des disparités territoriales.

Par ailleurs, les CAOA nous ont alertés sur le fait qu'ils ne disposaient pas, à ce jour, d'une véritable base de données, interopérable avec les services de l'inventaire en régions et ceux de l'Office central de lutte contre le trafic de biens culturels, permettant de documenter de manière précise, y compris par des photos, le patrimoine mobilier protégé au niveau national. C'est un vrai handicap pour la documentation de ce patrimoine.

Afin de mieux protéger les édifices particulièrement menacés, nous suggérons ensuite l'adoption d'un plan national en faveur de la préservation du patrimoine religieux en péril. Ce plan aurait vocation à lancer une nouvelle campagne de classement ou d'inscription des édifices les plus emblématiques pour les catégories les plus en danger afin d'empêcher leur disparition totale. Il devrait inclure le patrimoine religieux du XIX e siècle, ainsi que celui du XX e siècle, mais aussi les synagogues alsaciennes dont l'avenir est aujourd'hui menacé. L'Alsace a longtemps été un foyer de la communauté juive en France ; il serait dramatique que ce patrimoine, qui constitue un témoin de la mémoire juive en Alsace et qui est parvenu à échapper à l'entreprise de destruction nazie, finisse par disparaître faute de protection.

Nous en venons maintenant à nos recommandations afin d'atténuer les difficultés rencontrées par les maires dans l'entretien et la restauration du patrimoine religieux dont ils ont la charge. Les maires n'y arriveront pas seuls et ont besoin d'un meilleur accompagnement, notamment sur le plan technique.

L'État ne pouvant et ne voulant plus s'en charger, nous avons le sentiment que le meilleur échelon pour leur apporter un tel accompagnement est l'échelon départemental. Les régions sont trop éloignées des réalités du terrain et restent peu investies sur le champ des politiques patrimoniales - à quelques exceptions près, comme la région Auvergne-Rhône-Alpes. Les intercommunalités se voient rarement transférer la compétence en matière de maîtrise d'ouvrage.

Il convient donc, à nos yeux, de s'appuyer davantage sur les compétences des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) afin d'aider les maires sur cette problématique. Ils pourraient réaliser ou coordonner un état des lieux du patrimoine religieux, c'est-à-dire évaluer son état au regard de différents critères, notamment la qualité urbaine et paysagère, la valeur historique et patrimoniale, l'état technique et sanitaire, la fréquentation et les usages, et identifier les solutions possibles pour chaque édifice. C'est un exercice auquel s'est déjà livré avec succès le CAUE de Meurthe-et-Moselle pour la communauté de communes Mad et Moselle.

Les CAUE présentent plusieurs avantages : ils sont investis par la loi d'une mission d'intérêt public ; ils disposent d'une expertise pluridisciplinaire ; leur composition en fait des organes de concertation ; ils disposent d'un budget puisqu'ils sont financés par une partie de la part départementale de la taxe d'aménagement.

Cette recommandation nécessiterait la mise en place effective dans chaque département d'un CAUE, comme la loi le prévoit - sept n'en disposent toujours pas - et de veiller à ce qu'ils perçoivent une part suffisante de la taxe d'aménagement, celle-ci étant laissée à la libre décision des conseils départementaux. La présence d'un architecte du patrimoine dans la composition nous paraîtrait également indispensable. C'est une vraie piste pour combler les problèmes d'ingénierie des maires.

Autre recommandation, garantir un meilleur entretien des édifices cultuels appartenant aux communes, dans la mesure où un entretien régulier est le meilleur moyen de s'épargner de lourdes dépenses de restauration à l'avenir.

Pour cela, nous proposons de transposer dans les communes rurales le dispositif dédié à la conservation préventive des édifices historiques mis en place dans les Yvelines depuis 2018. Sur le modèle du programme pour l'entretien du patrimoine mis en place aux Pays-Bas dès 1973, appelé Monumentenwacht , ce département a mis en place un dispositif d'accompagnement des communes de moins de 25 000 habitants en contrepartie d'une cotisation modeste de leur part. Chaque édifice patrimonial des communes adhérentes au dispositif bénéficie d'un diagnostic qui débouche sur la réalisation d'un carnet d'entretien, régulièrement mis à jour, permettant aux communes d'anticiper et programmer les travaux à réaliser. Le département assure la maîtrise d'ouvrage déléguée sur les travaux de strict entretien, de maintenance courante et toutes les opérations de conservation préventive des édifices. Au total, 80 % des frais sont pris en charge par le département dans la limite de plafonds.

Ce système nous paraît être un excellent moyen de mutualiser les coûts et d'accompagner les plus petites communes. Nous avons perçu, de la part de l'Assemblée des départements de France, une vraie envie de s'investir de nouveau sur les questions liées à la protection du patrimoine ; c'est pourquoi nous plaidons pour la mise en place par tous les départements d'un tel dispositif, qui instaurerait enfin cette culture de l'entretien qui nous fait défaut.

M. Pierre Ouzoulias, rapporteur . - Notre dernière série de recommandations vise à permettre une réappropriation et une resocialisation des édifices cultuels. Elles reposent sur un constat simple : si le patrimoine religieux redevient signifiant et utile pour une part importante de la population, sa sauvegarde sera garantie.

Cette réappropriation du patrimoine religieux repose sur plusieurs conditions. La première est que les édifices soient ouverts au public autant que possible ; c'est loin d'être le cas, par crainte des actes de vol ou de vandalisme ou faute de solution de gardiennage. Or, outre qu'il facilite les visites, le gardiennage est un bon moyen de s'assurer régulièrement de l'état de l'édifice et de repérer les dégradations éventuelles qui nécessiteraient des réparations. Une solution pourrait consister à faire appel à des jeunes de la commune pour faire visiter l'église. Cette formule gagnant-gagnant présente l'avantage de sensibiliser les jeunes à leur patrimoine, tout en garantissant, au moins le week-end, l'ouverture de l'édifice à la visite. Une initiative de ce type a été mise en place à Mont-devant-Sassey dans la Meuse. Le succès du projet, intitulé « Jeunes ambassadeurs du patrimoine », est tel qu'il essaime peu à peu sur tout le territoire lorrain.

Nous croyons aussi qu'il faut améliorer la mise en valeur du patrimoine mobilier cultuel. Les CAOA peuvent être d'une grande aide en la matière, dans la mesure où l'État peut octroyer des subventions pour sécuriser et mettre en valeur les objets protégés au titre des monuments historiques.

Nous recommandons également de s'appuyer sur les offices du tourisme, les comités régionaux et départementaux du tourisme, ou les parcs naturels régionaux pour développer des parcours touristiques autour du patrimoine religieux à l'échelle des territoires.

Enfin, et c'est sans doute notre recommandation la plus forte en matière de valorisation, il convient de développer les usages partagés des édifices cultuels.

La principale question consiste à définir les activités que l'on peut considérer comme « compatibles avec l'affectation cultuelle ». Pourraient entrer sans difficulté dans ce champ, à nos yeux, des usages culturels, sociaux, caritatifs ou solidaires. Les églises ont récemment été utilisées comme refuges dans le cadre du plan canicule. Pourquoi ne pourraient-elles pas, demain, accueillir les élèves qui révisent leurs examens ?

Il y a aussi des exemples plus atypiques d'usages partagés : l'église Saint-Hilaire à Mortagne-sur-Sèvre, chère au président Retailleau, est-elle transformée en centre d'interprétation du vitrail chaque année du 1 er avril au 30 octobre, avant de retrouver sa vocation cultuelle le reste de l'année. Des bancs réversibles permettent d'en changer la configuration, tournée vers l'autel lors des célébrations religieuses ou vers la scénographie consacrée aux vitraux les mois d'été.

Sans doute le mieux serait-il, pour réduire les risques de refus d'accord préalable et apaiser les relations entre le maire et l'affectataire, de clarifier leurs relations par le biais de conventions types. La Conférence des évêques de France semble ouverte à l'idée.

Reste la question de la désaffectation au profit d'une reconversion de l'édifice. Nous lui préférons l'idée des usages partagés. D'une part, parce que la désaffectation est irréversible, et que nous ne pouvons écarter que la pratique religieuse ne reparte à la hausse avant la fin du siècle. D'autre part, parce que c'est un moyen d'éviter la dégradation des édifices du fait de leur inoccupation ou de leur abandon, sans pour autant tomber dans le risque d'une nouvelle destination d'usage qui ne respecterait pas les caractéristiques architecturales de l'édifice, et pourrait tout autant entraîner la perte du bien.

S'il doit y avoir désaffectation, il nous semble préférable que l'édifice reste dans le patrimoine de la commune et conserve ainsi une fonction sociale. C'est à la fois une meilleure garantie de conservation pour l'édifice et un moyen de préserver le symbole qu'il représente pour la population locale, et qu'il nous paraît extrêmement important de sauvegarder dans une optique de revitalisation des centres-bourgs.

Un mot, enfin, sur la situation des autres cultes historiquement présents en France, que nous avons peu évoqués dans la mesure où, pour ce qui les concerne, la problématique se pose dans des termes différents. D'abord, le volume des édifices reste sans commune mesure et l'essentiel d'entre eux appartiennent directement à ces cultes. Ensuite, le culte juif et, dans une moindre mesure, le culte protestant sont moins touchés par la baisse de la pratique religieuse et parviennent à réunir des fonds pour l'entretien des édifices, même si les nouvelles règles applicables aux associations cultuelles découlant de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République pourraient restreindre leur capacité à lever des fonds pour des motifs autres que cultuels. Enfin, ils ont, depuis longtemps, des approches beaucoup plus mixtes de l'usage de leurs édifices.

Je terminerai sur une note plus personnelle : la secrétaire de mairie de Palisse, 222 habitants, dont mon grand-père Albert Ouzoulias fut le maire, m'a fait parvenir, après avoir visionné notre audition de Stéphane Bern, ce court texte dont je vais vous donner lecture.

« Je peux vous dire qu'avec votre grand-père, que j'ai accompagné pendant huit ans comme secrétaire de mairie, nous avons eu à coeur, avec le conseil municipal de cette petite commune corrézienne, de restaurer cette magnifique église qui, comme vous le savez, est unique en son genre, ayant un campanile séparé.

Je pourrais évoquer le nombre de courriers, d'appels téléphoniques qu'Albert et moi-même avons passés pour récolter des fonds ! Je ne sais pas si un fervent catholique aurait eu cette même énergie pour mener à bien ce projet. Il faut dire qu'Albert ne lâchait rien. »

Voilà un hommage touchant à tous ces maires de petites communes qui déploient une énergie formidable pour sauver leurs édifices.

M. Max Brisson . - Je tiens très sincèrement à saluer le travail de nos rapporteurs. Leur rapport montre qu'il y a un consensus sur ce sujet, consensus qui n'avait rien d'évident.

Mes chers collègues, vous avez eu raison de rendre hommage à la loi de 1905. Nous n'aurions rien à gagner à toucher à ce texte fondateur, qui régit la paix civile dans notre République.

Partout dans mon département, je constate l'engagement des maires, quelle que soit leur orientation politique, en faveur de ce patrimoine religieux, dont ils mesurent bien qu'ils en ont la responsabilité dans le temps long. Leur mission s'inscrit ainsi dans une véritable logique de développement durable. Comme nos rapporteurs, je suis profondément optimiste : je ressens en effet chez les élus locaux la volonté d'être des passeurs de l'histoire.

Dans un pays qui adore fixer des critères et classifier, je m'étonne qu'un inventaire général de notre patrimoine religieux n'ait pas encore été réalisé. Cela étant, ce rapport a le mérite de rappeler que la préservation de ce patrimoine passe avant tout par la fréquentation et l'entretien au quotidien des édifices.

Nos rapporteurs ne vont pas jusqu'à proposer un guide, un « mode d'emploi », négocié par exemple avec la Conférence des évêques de France pour ce qui concerne le patrimoine catholique, à destination des élus. Ne serait-il pas utile d'en créer un ? Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon préconisent à juste titre un usage partagé des lieux de culte plutôt que leur désaffectation. Encore faudrait-il mettre en place un cadre clairement défini qui contribuerait à l'apaisement.

Quand on aborde la question du patrimoine religieux, il est aussi question d'ingénierie. Nos rapporteurs plaident à raison pour que le couple département-commune, mis à mal depuis vingt ans par les lois successives, se charge demain de l'entretien et de la restauration des édifices cultuels.

Mme Sonia de La Provôté . - Je tiens à féliciter les deux rapporteurs pour leur travail, qui montre bien que, malgré tout, les choses évoluent en matière de patrimoine religieux. J'en veux pour preuve que le principe d'un usage mixte des édifices religieux semble s'imposer progressivement, alors qu'il était encore contesté il y a quelques années lorsque je préparais, avec Michel Dagbert, notre rapport, au nom de la délégation aux collectivités territoriales, sur les maires face au patrimoine historique architectural.

Le patrimoine est constitutif de l'identité d'un territoire. L'église est ainsi bien souvent un symbole dans les communes rurales, même si, paradoxalement, traiter ce sujet, c'est évoquer un sujet éminemment républicain. Notre patrimoine religieux a traversé les âges et a notamment survécu aux deux guerres mondiales.

Il reste qu'il faut améliorer l'assistance à la maîtrise d'ouvrage. Dans notre rapport de 2020, Michel Dagbert et moi-même avions proposé la création d'un guichet unique départemental. Nos rapporteurs reprennent cette idée de manière plus aboutie, ce qui est une très bonne chose. J'estime pour ma part que ce rôle devrait être dévolu aux CAUE ou aux conseils départementaux.

J'ai pu constater sur le terrain que les interventions de l'État avaient souvent des effets pervers, notamment qu'elles entraînaient une augmentation exponentielle du coût des travaux pour les communes. Il faudrait inventer une forme d'accompagnement intermédiaire des maires, qui préserve néanmoins la qualité architecturale des bâtiments.

Je conclurai en insistant sur l'effet de levier du patrimoine religieux sur l'économie locale et ses retombées touristiques et culturelles.

Mme Marie-Pierre Monier . - Je remercie nos rapporteurs pour ce travail de qualité. Le Gouvernement serait bien inspiré de s'inspirer des méthodes de travail du Sénat et du dialogue transpartisan qui a prévalu lors des auditions.

Pratiquants, croyants ou non, le patrimoine fait partie de notre histoire. J'apprécie par conséquent que nos collègues n'aient pas touché à la loi de 1905.

Je suis moi aussi convaincue qu'il est indispensable d'élaborer un inventaire de notre patrimoine religieux. Reste à savoir qui exercera cette mission. De manière plus générale, il me semble qu'il manque un volet financier aux recommandations figurant dans la première partie du rapport : veillons à ce que ces propositions, si elles venaient à s'appliquer, ne soient pas mises en oeuvre à budget constant.

Comme nos rapporteurs, je regrette que les CAUE ne soient pas présents dans tous les départements, car ils sont d'une aide précieuse pour les maires, en particulier ceux des petites communes, qui y font régulièrement appel pour leurs projets patrimoniaux. Je veux insister sur les difficultés que rencontrent les maires des petites communes rurales confrontés à la nécessité d'entretenir et de rénover les églises. Comme l'a suggéré Max Brisson, un vade-mecum leur serait certainement utile.

Je suis par ailleurs très favorable à l'idée que les édifices cultuels soient des lieux partagés, ouverts sur l'extérieur. En revanche, je suis plus dubitative sur l'idée de faire appel à de jeunes bénévoles car, hélas, dans les petits villages, la population est souvent vieillissante. Ne pourrait-on pas envisager de rémunérer les personnes qui aident à la maintenance ou la rénovation des édifices, par exemple dans le cadre du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée » ?

Mme Céline Brulin . - Je remercie les rapporteurs de s'être saisis d'un sujet qui préoccupe beaucoup les maires, notamment ceux des communes rurales.

Nos collègues ont judicieusement pris le parti de faire confiance aux collectivités territoriales pour gérer le patrimoine religieux. Il conviendrait tout de même d'obtenir de l'État un inventaire global de celui-ci. Contraindre les services centraux à réaliser un tel recensement aiderait probablement l'État à prendre conscience de l'ampleur des chantiers à conduire. De mon point de vue, la piste consistant à confier cette responsabilité aux CAUE devrait être approfondie, ne serait-ce que parce que les pratiques diffèrent selon les départements, et que les finances départementales varient fortement selon les territoires.

Je rejoins mes collègues Max Brisson et Marie-Pierre Monier sur l'utilité d'un mode d'emploi à destination des maires sur les modes de financement existants et les usages partagés envisageables.

Mme Monique de Marco . - Je remercie également les rapporteurs pour ce travail très attendu, qui s'inscrit dans le prolongement du travail réalisé par Sonia de La Provôté et Michel Dagbert. Il fait naturellement écho aux préoccupations de tous ces maires qui se trouvent démunis lorsqu'ils sont confrontés à la nécessité de restaurer le patrimoine non classé se situant sur leur commune. Les pistes figurant dans ce rapport me paraissent à cet égard très intéressantes.

Stéphane Bern, lors de son audition, a expliqué qu'il était nécessaire d'effectuer un inventaire complet du patrimoine bâti, religieux, industriel et ouvrier. Or des inventaires de ce type ont déjà été faits au niveau local, notamment par les communautés de communes ou les offices de tourisme. Simplement, aucune instance n'a été chargée de les regrouper : de ce point de vue, le département me paraît être l'échelon pertinent, même si les CAUE n'exercent pas cette compétence aujourd'hui.

Enfin, je suis personnellement très favorable à l'idée de favoriser l'usage partagé des édifices cultuels, surtout si l'on prend la peine de lancer des appels à projets dans les communes.

Mme Nathalie Delattre . - Je souligne à mon tour la qualité du travail des rapporteurs et les remercie pour leurs recommandations.

Les maires, ces passeurs d'un patrimoine qui fait l'identité de la France, s'interrogent sur les moyens dont ils disposent aujourd'hui pour entretenir et rénover le patrimoine situé dans leurs communes.

Aujourd'hui, j'observe avec inquiétude que les maires sont de plus en plus nombreux à appeler à l'aide. Le saupoudrage de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) comme de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) est tel que les maires se trouvent en grande difficulté lorsqu'ils se voient obligés d'intervenir en urgence pour sauver un édifice en péril. À cet égard, je rappelle à votre mémoire les épisodes climatiques récents qui viennent de toucher mon département de la Gironde.

Les édifices cultuels ne sont pas communs : il est urgent que les maires puissent disposer d'un guide qui les informe tant au niveau de l'expertise à conduire que des financements à mobiliser.

La radicale que je suis rend hommage à nos rapporteurs pour avoir respecté l'intégrité de la loi de 1905. Nous convergeons tous sur ce point, ce qui est une bonne chose.

Je veux également saluer la proposition de faire du département l'échelon compétent en matière de patrimoine religieux. Cela étant, il faudrait aller plus loin. Comme l'a bien montré l'élan de générosité observé à la suite de l'incendie de Notre-Dame de Paris, je pense qu'il serait utile de mettre en oeuvre un mécénat renforcé, sous la forme par exemple d'un fonds national dédié au patrimoine religieux.

Nos rapporteurs ont eu le courage d'aborder la question des lieux partagés : bien souvent, les maires n'osent pas évoquer ce sujet, car, aujourd'hui hélas, ils sont contraints de fermer les édifices cultuels pour les protéger des pillages.

M. Claude Kern . - Nos rapporteurs ont fait référence au droit local d'Alsace-Moselle et je les en remercie. Beaucoup de communes de ces territoires comptent une ou deux églises ainsi qu'une synagogue. Pour l'entretien de ces bâtiments, le droit local permet l'intervention directe des collectivités territoriales, notamment les départements.

La plupart de ces églises appartiennent encore aux conseils de fabrique, aux conseils presbytéraux ou aux consistoires et les niveaux d'intervention peuvent atteindre 80 %. S'ils éprouvent des difficultés, ces conseils peuvent céder l'édifice à la commune pour 1 euro symbolique.

Vous évoquez les difficultés que l'on éprouve, en Alsace-Moselle, pour restaurer les synagogues. Mais, dans la plupart des cas que j'observe, les communes prennent le relais pour aider les consistoires à conserver leurs biens.

Mme Alexandra Borchio Fontimp . - À mon tour, je tiens à saluer le travail accompli par nos collègues rapporteurs. Ils proposent notamment que les étudiants puissent travailler dans des édifices religieux. En tout cas, réviser son bac dans une abbaye, c'est d'ores et déjà possible sur la Côte d'Azur, grâce à une initiative du maire de Cannes. Cette opération est un succès chaque année.

Comme l'a rappelé Stéphane Bern devant notre commission la semaine dernière, notre patrimoine religieux est dans une situation critique. Or ces monuments font notre culture et donc notre richesse.

Les nouveaux élus locaux n'ont pas toujours toutes les clés ou tous les appuis nécessaires pour gérer le patrimoine de leur territoire. À l'évidence, il s'agit là d'une carence en matière de formation, notamment pour les maires. Quelles pistes proposez-vous à cet égard ?

Mme Catherine Morin-Desailly . - Ce rapport sera très utile et, j'en suis certaine, très bien reçu par les maires, qui nous sollicitent sans cesse sur ce dossier ô combien délicat.

Comment articulez-vous l'inventaire que vous préconisez avec le travail mené par l'Observatoire du patrimoine religieux ?

Pour ce qui concerne la compétence partagée, les rôles se répartissent parfois assez naturellement. Les régions se concentrent sur les plus gros édifices appartenant, ou non, à l'État. Les départements viennent quant à eux à l'appui des communes. Le véritable enjeu, à mon sens, c'est donc l'inscription et le classement : avez-vous pu entrer en contact avec les différentes commissions régionales du patrimoine et de l'architecture pour mesurer le taux d'inscription des églises comme monuments historiques ? Ne déplore-t-on pas une certaine réticence de l'État à cet égard, ces classements impliquant une part obligatoire de financement des travaux ?

Enfin, la chambre syndicale nationale du vitrail a alerté plusieurs d'entre nous dans la perspective de la révision des annexes du règlement Reach, qui classe les substances chimiques potentiellement dangereuses et peut entraîner des obligations parfois impossibles à assumer dans certaines industries ou certains métiers.

La demande d'inscription du plomb à l'annexe IV du règlement Reach a été formulée par les Norvégiens. La Norvège, pays protestant, compte très peu de vitraux. À l'opposé, la France dispose du plus vaste patrimoine de vitraux au monde. Viennent ensuite l'Allemagne, l'Angleterre et, dans une moindre mesure, l'Espagne et l'Italie.

Avec mon collègue Louis-Jean de Nicolaÿ, au sein de la commission des affaires européennes, je prépare précisément un rapport sur ce sujet, document qui doit être transmis à Bruxelles. Il s'agit tout simplement d'éviter le pire. Certes, la réglementation sanitaire a toute son importance, mais il ne faudrait pas mettre en péril des métiers, des savoir-faire et même des possibilités de restaurer. Le vitrail, c'est à la fois du verre coloré et du plomb : sans vitraux, nos édifices risquent de tomber en complète décrépitude.

M. Laurent Lafon, président . - Les lieux de cultes construits après 1905 ne relèvent pas des communes. Ne s'agit-il pas d'un angle mort ?

Mme Anne Ventalon, rapporteure . - Nous dressons tous le même constat : il faut accompagner les maires, qui sont souvent démunis face aux difficultés que présente la gestion de ce patrimoine, au demeurant très apprécié.

À ce titre, les outils existent. Les CAUE distribuent notamment des carnets de suivi et des guides d'entretien. J'espère que nos travaux faciliteront la mise en place des CAUE dans tous les départements. Les Ardennes s'y emploient d'ores et déjà.

De son côté, la Fondation du patrimoine, qui est en train d'élaborer une plateforme en ligne, recense toutes les aides et les outils possibles pour la gestion du patrimoine à la charge des communes.

La Conférence des évêques de France est favorable à de nouveaux efforts de communication, notamment pour l'envoi de conventions types et de modèles de cahier des charges.

Nos travaux sont donc une occasion supplémentaire de communiquer au sujet de ces outils, qui méritent bien sûr d'être développés.

Depuis les derniers renouvellements, le département dont je suis l'élue dénombre 46 % de nouveaux élus. La Conférence des évêques de France y a exprimé la volonté de dispenser des formations communes à l'Église et aux élus. Une journée des curés et des maires a ainsi été organisée en juillet 2021. D'autres pistes doivent encore être explorées.

En résumé, les outils existent : à nous de favoriser leur visibilité et leur communication.

M. Pierre Ouzoulias, rapporteur . - Il faut acter le désengagement de l'État pour la défense du petit patrimoine non protégé, qu'il soit cultuel ou non. Notre entretien avec le directeur du patrimoine a duré en tout et pour tout un quart d'heure. Il nous a posé cette question : « Est-ce que vous demandez quelque chose à l'État ? » Nous lui avons répondu non. Il a conclu : « C'est parfait. Au revoir, merci. » Cette administration ne dispose plus des moyens humains et budgétaires nécessaires pour mener un tel travail. De plus, l'inventaire relève désormais des régions. Aujourd'hui, c'est à elles d'agir. Mais, pour assurer la coordination nationale des régions, le ministère de la culture ne semble pas le moteur principal.

Voilà pourquoi nous parlons de décentralisation de facto . Il faut dire aux élus de ne plus regarder vers le ciel et vers l'État, mais vers les collectivités. Ils ont tous les outils pour travailler ensemble. Je pense en particulier aux CAUE, structures d'interface très intéressantes pour les communes, les départements et les régions. Nous invitons donc les départements à rendre de la valeur aux CAUE, à les constituer en forum pour fédérer toutes les bonnes volontés.

Néanmoins, il ne faudrait pas voir se dresser un mur hermétique entre le patrimoine classé et protégé, relevant de l'État, et tout le reste, relevant des collectivités.

Pour ce qui concerne les synagogues, nous pensions davantage au Haut-Rhin qu'au Bas-Rhin. Il faut un plan national pour sauver ces édifices, qui représentent une part fondamentale de notre identité nationale. Il ne faut pas laisser ce travail aux seules collectivités.

J'y insiste : nous, sénateurs, avons également un travail de pédagogie à mener auprès des collectivités territoriales. Nous devons leur dire et leur répéter : « Oubliez l'État et travaillez ensemble. »

Pour ce qui concerne les édifices construits après 1905, on constate de grandes disparités entre les départements. Ainsi, dans les Hauts-de-Seine, 75 % des édifices religieux sont propriété de l'évêché. Du fait des évolutions que connaît la géographie de la pratique religieuse, l'Église doit assurer, d'une part, la création de nouveaux lieux de culte et, de l'autre, l'entretien d'édifices dans des lieux où la pratique a diminué. Les édifices construits après 1905 sont souvent en béton et, on le sait aujourd'hui, ce n'est pas le matériau le plus facile à restaurer.

Ce rapport acte plusieurs consensus forts, qu'il s'agisse de la compétence des collectivités territoriales ou de la volonté générale des cultes de travailler à une resocialisation des édifices. Si nous faisons passer ces deux messages, nous aurons réussi notre travail.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

ANNEXE

Audition de M. Stéphane Bern, chargé par le Président de la République d'une mission sur le Patrimoine

MERCREDI 29 JUIN 2022

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M. Laurent Lafon, président . - Mes chers collègues, nous accueillons ce matin M. Stéphane Bern, chargé par le Président de la République depuis 2017 d'une mission sur le patrimoine en péril, sujet qui nous tient particulièrement à coeur.

Je salue nos collègues qui assistent à cette réunion par visioconférence.

Monsieur Bern, c'est un réel plaisir pour notre commission de vous recevoir une nouvelle fois. Nous vous avions déjà entendu il y a trois ans pour faire un premier bilan de votre mission, qui bénéficie, depuis 2018, des ressources issues du Loto du patrimoine.

C'est sur un sujet plus ciblé que nous vous avons sollicité ce matin, la sauvegarde du patrimoine religieux. Nos deux collègues, Anne Ventalon et Pierre Ouzoulias, nous présenteront la semaine prochaine le rapport qu'ils préparent depuis plusieurs mois, au nom de notre commission, sur le sujet. C'est pourquoi nous souhaitions bénéficier de votre expertise sur cette question.

Votre mission a en effet un double objectif : identifier le patrimoine en danger et contribuer à la restauration et à la valorisation de ce patrimoine. Nous savons que le patrimoine religieux représente une part importante des dossiers qui vous sont soumis chaque année.

D'où nos questions : dans quel état se trouve ce patrimoine selon vous ? Vous paraît-il véritablement menacé ? En quoi le Loto du patrimoine permet-il de contribuer à sa sauvegarde ? La pérennité du Loto est-elle désormais assurée ? Faut-il faire davantage pour sauver le patrimoine religieux et, le cas échéant, comment ?

M. Stéphane Bern, chargé par le Président de la République d'une mission sur le patrimoine en péril . - Je vous remercie de m'accueillir au sein de votre noble institution. J'ai constaté à plusieurs reprises que vous portiez un intérêt particulier aux questions relatives au patrimoine et à leurs impacts économiques sur les territoires.

Quelque 30 % des dossiers qui sont adressés à la mission Bern concernent le patrimoine religieux, qu'il soit classé ou non, protégé ou non, sacralisé ou désacralisé. En vue de la sélection que nous annoncerons à la fin de l'été, je me suis penché sur ces dossiers cette semaine et j'ai été choqué par le nombre de petites églises de nos campagnes qui se trouvent dans un état de déréliction avancé. C'est là une conséquence de la déchristianisation de notre pays : lorsque les églises ne sont plus fréquentées, elles ne sont plus entretenues.

De fait, dans les budgets des communes, la ligne « entretien du patrimoine » sert souvent à financer autre chose. Or si on n'entretient pas le patrimoine, celui-ci se dégrade peu à peu, et les coûts de restauration augmentent. Dans les petites communes, les maires se font réélire en s'engageant, non pas à sauver l'église, mais à construire un stade.

Les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) aident les municipalités à hauteur de 30 % ou 40 %, mais bien souvent, les 20 % qui restent à la charge des communes ne sont pas financés.

Pourtant, dans bien des villages, l'église de campagne est le seul élément culturel qui reste. C'est de l'art et de la culture de proximité, ouverts à tous.

Les maires sont aussi confrontés à un manque de ressources en matière d'ingénierie administrative. J'avais proposé que l'on mette à leur disposition une assistance à la maîtrise d'ouvrage, mais cette proposition est restée lettre morte.

Nous devons faire cesser ce cercle vicieux de toute urgence, car nous sommes en état d'alerte.

Les présidents de communautés de communes, qui ont parfois sept ou dix églises à restaurer, m'expliquent qu'ils n'ont d'autre choix que d'en sacrifier certaines. Je me bats contre ce genre de discours, que l'on entend parfois au sein des plus hautes sphères de l'État, car j'estime qu'il y va du respect de notre histoire et de nos racines. Mais c'est aussi un non-sens économique, car l'église est le premier lieu où l'on se rend lorsqu'on visite un village.

On a tant attendu qu'aujourd'hui nous devons répondre à l'état de catastrophe dans lequel se trouvent de très nombreuses églises de campagne, si bien que sur sept ou huit typologies de patrimoines, 30 % des crédits de la mission Bern sont consacrés au patrimoine religieux.

Je précise d'ailleurs qu'aucune religion n'est mise de côté, puisque nous finançons la rénovation d'églises protestantes, de synagogues, notamment en Alsace, ou encore de temples tamouls et hindous sur l'île de La Réunion.

M. Pierre Ouzoulias, co-rapporteur de la mission d'information sur l'état du patrimoine religieux . - Je m'exprimerai en mon nom et en celui d'Anne Ventalon, qui ne peut pas assister à notre réunion.

Nous partageons l'essentiel de votre constat. Le patrimoine français compte 100 000 édifices religieux, dont 40 000 sont encore utilisés. Parmi ces derniers, seulement 15 000 sont protégés. Je parlerai pour ma part, non pas de déchristianisation, mais plutôt de baisse d'une certaine pratique religieuse. On observe aujourd'hui, notamment depuis le covid, des formes de pratique qui ne passent pas forcément par le culte dans un édifice.

Le ministère de la culture a abandonné tout travail dans ce domaine, mais on estime que 2 000 à 3 000 lieux de culte ne font l'objet que d'une fréquentation très sporadique, voire inexistante.

Nous constatons qu'il existe aujourd'hui un consensus général, y compris du clergé, pour resocialiser ces édifices, c'est-à-dire pour y développer des activités qui permettent de justifier que l'on finance leur restauration.

Nous constatons aussi que la restauration de ces édifices ne relève plus de l'État. Les DRAC nous ont clairement indiqué qu'elles ne pouvaient plus apporter d'aide à la maîtrise d'ouvrage aux collectivités pour la restauration du patrimoine non protégé.

Nous espérons pouvoir démontrer qu'il peut toutefois exister des solutions reposant sur la coopération des communes et des départements, et quelques ressources budgétaires.

Le moment n'est-il pas venu de retirer la compétence relative à l'entretien du patrimoine à l'État, qui ne l'exerce plus, et de la transférer aux départements et aux communes ? Les départements pourraient notamment apporter une aide administrative aux communes pour solliciter des subventions, car elles existent.

Je vous remercie d'avoir évoqué les synagogues alsaciennes, car il s'agit d'un sujet majeur. Du fait du Concordat, elles appartiennent non pas aux communes, mais aux établissements publics du culte. Or les communautés juives, notamment dans le Haut-Rhin, n'ont plus les moyens d'entretenir ce patrimoine qui est peu à peu vendu et transformé, le risque étant qu'il disparaisse complètement. Dans notre rapport, nous entendons indiquer avec solennité qu'un effort de solidarité nationale est nécessaire pour sauver ce patrimoine.

M. Stéphane Bern . - Vous avez raison sur la répartition des compétences. À Thiron-Gardais, l'église abbatiale est en travaux depuis dix ans, et les habitants, ne voyant pas les travaux avancer, s'en sont désintéressés. Avec notre association oeuvrant à la préservation de ce lieu, nous avons donc décidé de la nettoyer. La DRAC dont nous dépendons, laquelle, depuis la création des grandes régions, se trouve à deux heures et demie de route, s'est contentée de nous donner des recommandations sur le type de chiffons que nous devions utiliser. Autrement dit, elle est totalement déconnectée de la réalité du terrain.

Dans cette église qui est spectaculaire, la messe n'est dite qu'une fois toutes les huit semaines et pour une vingtaine de personnes. Que l'on parle de déchristianisation ou de baisse du culte, il reste que, lorsque plus personne n'entre dans un édifice, plus personne ne voit les dégradations qui s'y produisent. C'est aussi le cas des palais archiépiscopaux, qui ne sont plus ouverts que pour les journées du patrimoine, et même des couvents et monastères, qui sont parfois vides.

Chaque année, les soeurs de Tréguier déposent un dossier de restauration auprès de la mission. Nous ne pouvons pas les aider tous les ans, mais nous l'avons fait en 2018, car elles avaient un projet de valorisation. Le patrimoine religieux pourrait être transformé en centres d'aide sociale ou de prise en charge de personnes autistes, handicapées ou dépendantes, par exemple. La restauration doit toujours permettre de redonner du sens au lieu.

Je pense comme vous que les compétences doivent être exercées par les départements et les communes, sous réserve toutefois que des experts y soient nommés, comme cela a été fait par le président de la région Normandie. Cela permettrait d'évaluer le patrimoine de manière pérenne et d'éviter que des erreurs dramatiques ne soient commises.

Lorsque la Catho de Lille a voulu détruire la chapelle Saint-Joseph pour construire des logements, j'ai alerté à la fois le Président de la République et le ministère de la culture. Cet édifice a pourtant été démoli, ce qui a provoqué un choc immense. Les Français ne fréquentent peut-être pas les églises, mais ils sont choqués quand on détruit le patrimoine religieux, car c'est un outrage à notre mémoire collective. Les synagogues d'Alsace et les églises protestantes en sont constitutives au même titre.

Il faut trouver des solutions ; nous sommes nombreux à nous mobiliser. En 2018, le maire de La Baussaine a jugé décevante la subvention qu'il a reçue dans le cadre du Loto du patrimoine, mais comme je l'avais alors expliqué à la télévision, j'avais voulu soutenir cette année-là non pas 100, mais 250 projets. François Pinault m'a appelé, et il a payé la différence.

Pour la restauration de la synagogue de Verdun, j'ai élaboré un projet avec la Fondation du patrimoine. La Fondation du judaïsme français a complété le financement. Bien souvent, les projets servent de levier.

M. Olivier Paccaud . - Merci, monsieur Bern, de votre engagement et de votre foi dans notre patrimoine.

Dans le rapport que j'ai rédigé avec Else Joseph sur la réalité de la mise en oeuvre du plan de relance en faveur des patrimoines, nous soulignons que la ruralité a été oubliée.

Dans l'Oise, la plupart des églises sont en bon état en raison de l'engagement du conseil départemental, de celui, plus récent, de la région et de l'État via la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et de celui des communautés de communes. La communauté des Sablons a notamment rénové ses vingt églises. Je ne suis pas certain que la création d'un chef de filât pour la compétence entretien du patrimoine serait une bonne chose, car je constate que lorsque tout le monde s'y met, cela donne de bons résultats.

En matière de co-affectation, permettez-moi d'évoquer l'exemple de la commune de Catillon-Fumechon. Celle-ci étant le fruit de la fusion de deux communes, elle était dotée de deux églises, dont l'une a été transformée en mairie et en salle polyvalente.

Que pensez-vous d'une telle conversion ? Notre rapporteur indiquait précédemment qu'il avait constaté un consensus sur la nécessité de diversifier les usages des lieux de culte, mais je connais pour ma part des prêtres très réticents à l'idée que des concerts aient lieu dans leur église.

Mme Sonia de La Provôté . - Dans le rapport que j'ai rédigé avec Michel Dagbert sur les maires face au patrimoine historique architectural, nous indiquons que le patrimoine religieux est la première préoccupation de ces élus. En effet, l'État n'assure plus l'assistance à la maîtrise d'ouvrage, qui constitue pourtant le noeud du problème, tandis qu'il est de plus en plus difficile de boucler les montages financiers.

Une grande partie du patrimoine religieux n'étant pas classée, elle échappe aux radars, mais pas tout à fait, car de nombreuses contraintes encadrent la restauration des édifices non classés, entraînant des démarches supplémentaires et des coûts prohibitifs. Il faut à mon avis imposer un régime d'urgence administrative.

Par ailleurs, les communes nouvelles ont parfois un patrimoine important : elles ont besoin d'un accompagnement de l'État pour le restaurer.

Comme pour d'autres typologies de patrimoines, le patrimoine religieux doit faire l'objet d'une veille afin d'éviter d'en arriver à l'arrêté de péril. Il conviendrait donc de doter les DRAC de budgets dédiés à l'entretien et à la protection des édifices religieux.

Enfin, les églises sont des musées. Elles abritent des tableaux de peintres flamands, du mobilier et des objets d'office et de culte, ainsi que de précieux registres. Il convient d'en faire l'inventaire, car certaines de ces pièces sont totalement méconnues et doivent être protégées.

Mme Sylvie Robert . - Le maire de La Baussaine vous est éternellement reconnaissant !

Je souhaite attirer votre attention sur le patrimoine mobilier. Beaucoup de collections de livres et d'archives de communautés religieuses et de diocèses sont devenues propriétés de l'État, mais sont restées dans les diocèses et sont en grand danger, faute de personnel pour les entretenir. J'ai notamment assisté à des ventes publiques de bibliothèques entières de séminaires diocésains à la limite de la légalité. C'est toute une partie de notre patrimoine national qui est en danger.

M. Bruno Retailleau . - Je remercie Stéphane Bern de mettre sa notoriété au service de l'intérêt général.

Le patrimoine religieux est une partie de notre patrimoine culturel, il nous relie à travers l'histoire aux générations qui nous ont précédées, mais il comporte aussi une dimension économique et une dimension urbanistique. Sans l'église au milieu du village, celui-ci serait déstructuré.

Les édifices menacés aujourd'hui sont les édifices non protégés, en particulier les églises du XIX e siècle.

S'agissant de l'attribution de la compétence entretien du patrimoine, je demeure convaincu qu'il faut préserver la possibilité d'avoir plusieurs financements. En revanche, j'estime que la protection des archives religieuses relève clairement des archives départementales. De même, la protection des objets de culte et des oeuvres d'art présents dans les édifices religieux doit être confiée aux départements.

Par ailleurs, j'estime que la déconcentration doit permettre de donner au préfet de département un rôle de coordination de toutes les administrations, y compris de la DRAC, car il dispose d'une finesse d'analyse qu'elles n'ont pas.

Enfin, il faut trouver des utilités nouvelles aux lieux de culte. Dans mon département, nous avons mis en valeur certains trésors de nos églises derrière des vitres blindées. De même, les églises peuvent accueillir des expositions.

Le patrimoine a une puissance de suggestion et de création qu'il nous faut préserver.

Mme Catherine Morin-Desailly . - Je ne suis pas certaine qu'il faille attribuer définitivement la compétence entretien du patrimoine à telle ou telle collectivité. Je constate que les communautés de communes et les départements interviennent sur les églises non protégées, tandis que les régions se chargent des très grands édifices qui nécessitent la mobilisation de fonds plus importants. Cela se fait assez naturellement.

Parallèlement, des comités régionaux du patrimoine pourraient voir le jour pour traiter en urgence les dossiers de restauration des édifices religieux. De même, la situation des édifices fermés ou en très grand péril justifierait la création d'un fonds d'urgence.

Par ailleurs, les fonds de cohésion européens ont vocation à soutenir cet effort dans le cadre de projets de territoire puisque rien ne l'interdit dans les traités européens.

Mme Monique de Marco . - L'incendie de Notre-Dame a suscité de nombreux dons de mécènes et de citoyens. Par quels leviers pourrait-on encourager un mécénat local ?

Mme Alexandra Borchio Fontimp . - Bien que l'entretien des édifices religieux incombe aux maires, ces derniers sont parfois impuissants. Nous devons leur donner des leviers d'action, d'autant que tous ne peuvent pas compter sur le soutien de leur conseil départemental. En 2017, vous aviez suggéré de faire payer l'entrée dans les cathédrales. Maintenez-vous votre proposition, et si oui, comment distinguer les touristes des croyants qui viennent se recueillir ?

Mme Sabine Drexler . - Je suis en Argentine, où il est actuellement 4 heures 30 du matin, mais je tenais à assister à cette réunion pour vous dire tout le respect qui est le mien pour votre engagement. Dans ma région, où l'engagement associatif est très fort, vous savoir à nos côtés nous donne de la force.

À dix minutes de chez moi, la commune d'Hirsingue a racheté la belle synagogue du village, qui était squattée. Malheureusement, faute de financement, aucune restauration n'est envisagée. La synagogue se dégrade et il faudra un jour la détruire.

Pour attirer de nouvelles familles, les maires doivent construire des écoles et des équipements culturels et sportifs. Comment soutenir les élus qui font le choix courageux de reconvertir et d'intégrer le patrimoine cultuel dans les projets de leur mandature tout en s'assurant de l'adhésion des habitants ?

M. Stéphane Bern . - Il ne faut surtout pas opposer les pierres aux hommes. Pour paraphraser Lamartine, on n'a pas un coeur pour les hommes et un coeur pour les pierres : on a du coeur ou on n'en a pas. Chaque pierre raconte une histoire.

Ce patrimoine religieux est notre histoire, que l'on soit croyant ou qu'on ne le soit pas. Aujourd'hui, 45 000 emplois sont directement liés aux métiers d'art. Le chantier de Notre-Dame aurait dû être une occasion de nous permettre de valoriser ces savoir-faire et de donner envie à des jeunes de se former à ces métiers. J'ai par exemple aidé l'association Acta Vista, qui oeuvre à la réinsertion de personnes grâce aux chantiers du patrimoine.

Pour répondre à Mme Drexler, le programme « Action coeur de bourg » devrait permettre de recréer du lien social. Remettons l'église au coeur du village ! Les lieux de culte sont aussi des lieux de culture qui accueillent des oeuvres d'art, du mobilier et des registres.

Il n'y a pas de raison de sauver uniquement les grands monuments comme Notre-Dame, pour lequel on trouve 900 000 millions d'euros. Les maires de communes rurales n'ont aucune prise directe sur la médiatisation. Dès que l'on franchit la grande couronne, on vaut tout de suite deux fois moins de dotations. C'est une forme d'injustice antirépublicaine.

J'en viens au droit d'entrée dans les cathédrales. En Italie, cette pratique est généralisée. Depuis 1905, le clergé affectataire entretient une rancune tenace envers l'État. Mais pourquoi faire payer pour l'entrée du Trésor, de la crypte ou des tours de Notre-Dame, qui appartiennent aussi à l'État ? J'ai demandé au cabinet du Président de la République que l'on réalise une étude sur toutes les dérogations qui existent. Je n'ai plus abordé ce sujet, mais j'ai pu mesurer à quel point il était épineux. En Allemagne, tous les édifices religieux sont très bien entretenus, car les cultes perçoivent un impôt.

Il est vrai qu'organiser des concerts dans les églises suppose de tordre quelque peu le bras au clergé affectataire. On peut comprendre que ce dernier privilégie les concerts religieux ou spirituels. Mais depuis 1905, plus de 250 églises ont été désacralisées. Celles-ci peuvent tout à fait être converties, comme vous le suggérez, monsieur Paccaud, sous réserve que nos concitoyens en soient d'accord, d'autant que dans nos campagnes, le cimetière se trouve souvent à proximité immédiate de l'église. Cela doit se faire dans le respect, y compris de nos morts.

J'en viens à la question de Mme de La Provôté sur l'assistance à la maîtrise d'ouvrage pour le patrimoine non protégé. Il est vrai que s'il n'a pas les moyens de vous aider, l'État a les moyens de payer des fonctionnaires qui vous demandent des comptes, ce qui a pour effet d'augmenter les factures. Sans parler de déréglementation, sans doute faudrait-il que l'État ait une sensibilité différente sur les métiers d'art.

Je n'étais pas favorable à la décision de rogner les ailes des architectes des bâtiments de France - eux non plus d'ailleurs ! -, car, autrefois, ils protégeaient les maires, qui pouvaient se défausser sur eux. Quand un administré voulait faire construire quelque chose d'horrible, le maire pouvait lui dire que l'ABF ne l'autorisait pas. Cela le protégeait, il gardait sa voix. Aujourd'hui, si le maire ne donne pas son autorisation, il perd sa voix. Dans le cas contraire, il « amoche » son village. Je visite ainsi de plus en plus de villages « amochés ».

Le patrimoine non protégé ne bénéficie que de la générosité publique, des collectes en ligne lancées pas la Fondation du patrimoine. De fait, nous aidons davantage les monuments non protégés, sachant que les monuments protégés recevront la manne financière du Loto du patrimoine.

J'espère d'ailleurs que la pérennité de ce loto est assurée. L'Autorité nationale des jeux, avec qui j'ai rendez-vous cet après-midi, veut en effet abaisser le prix du ticket du Loto du patrimoine, car elle trouve scandaleux que l'on ruine les gens en leur vendant des billets à 15 euros. Cela ne la gêne pas en revanche que les gens se ruinent en Bingos ! Le Loto du patrimoine a été décidé par le Président de la République, voté par le Parlement, mais je suis encore obligé de me battre pour qu'il soit maintenu, alors qu'il a permis de récolter près de 200 millions d'euros en cinq ans. Ce qui gêne l'Autorité, c'est que ces sommes soient fléchées.

C'est oublier que la loterie a été créée en Italie pour construire le patrimoine, puis importée en France par François 1 er à la Renaissance. L'Église s'y est opposée, mais Louis XV a repris l'idée, a fait construire l'église Sainte-Geneviève, qui deviendra le Panthéon. L'École militaire a également été construite avec l'argent de la loterie. Le loto doit aujourd'hui permettre de sauvegarder le patrimoine.

Il va falloir se battre, rien n'est jamais acquis dans ce pays, on ne peut jamais dormir tranquille !

Je pense qu'il est urgent de faire un inventaire complet du patrimoine : du patrimoine paysager, des zones auxquelles il n'est pas possible de toucher - pas d'éoliennes, pas de choses immondes qui dénatureraient nos paysages de carte postale -, du patrimoine bâti, religieux, castral, industriel et ouvrier. Je revendique le fait de défendre la mémoire ouvrière de notre pays. Je suis contre le fait de détruire du patrimoine industriel, où nos parents ou grands-parents ont trimé. C'est bien de revaloriser ce patrimoine, de le transformer en espace de coworking ou en écomusée.

Il faut aussi défendre toutes les bibliothèques. Des fonds entiers du patrimoine écrit de notre mémoire collective sont en train de partir à l'encan. Personne n'en parle jamais !

Par ailleurs, il faut créer une police du patrimoine. Au XIX e siècle, Victor Hugo a écrit Guerre aux démolisseurs parce qu'il était choqué que l'on fasse du passé table rase, sans se préoccuper de l'histoire et de la sédimentation des siècles. Ce n'est plus possible aujourd'hui, d'abord parce qu'on est désormais conscient de l'importance du patrimoine pour notre histoire et notre identité, mais aussi pour notre portefeuille. Le patrimoine est parfois ce qui permet de faire vivre un village, dont le seul trésor est souvent le patrimoine religieux ou le château. C'est ce qui fait qu'il y ait encore un commerce, une auberge, qu'on puisse encore y acheter des cartes postales. C'est un non-sens de laisser détruire ce patrimoine. Une police du patrimoine devrait pouvoir édicter des règles.

Il faut entretenir le patrimoine, sinon le coût d'une restauration est exponentiel. Faute d'entretien, le patrimoine peut être déclaré vétuste et dangereux, puis détruit. Voilà comment on aboutit à la destruction d'un patrimoine d'une valeur inestimable.

Je le répète, il faut inventorier le patrimoine religieux non protégé.

Il faut également venir au secours du patrimoine religieux mobilier. Or les ministres de la culture m'ont autorisé à sauver le patrimoine bâti, mais m'ont interdit de toucher au patrimoine mobilier. J'ai insisté pour que la bibliothèque Fesch d'Ajaccio soit un site emblématique de la mission Bern, mais je n'ai pas le droit de m'occuper des livres. Nous avons donc sauvé l'enveloppe, mais à l'intérieur, tout pourrit et je ne peux rien faire !

Il faut se mobiliser pour les archives, pour les livres. À cet égard, l'idée de Bruno Retailleau concernant les archives départementales est très intéressante. Nous sauvons non pas des pierres, mais l'âme de gens qui ont vécu, aimé, souffert.

Souvent, ce sont les églises du XIX e siècle qui sont en danger, car, à l'époque, on a mélangé les matériaux. Ainsi, dans la chapelle royale Saint-Louis de Dreux, l'acier s'érode, ce qui entraîne l'explosion des pierres. C'est beaucoup plus cher et compliqué de restaurer une église du XIX e siècle. Il faut recenser ces églises, mais ne pas oublier le patrimoine du XX e siècle.

J'ai beaucoup discuté d'un fonds européen avec Mariya Gabriele, commissaire européen. Europa nostra, la fédération européenne du patrimoine culturel, fait ce qu'elle peut, mais elle n'a pas de moyens. Elle ne fait que de la communication. Elle n'a pas d'argent pour sauvegarder le patrimoine religieux.

Il y a énormément de bonnes volontés, de gens qui veulent aider, il faut les mettre ensemble et créer un fonds commun, un fonds citoyen. Cette mission pourrait être assignée à la Fondation du patrimoine ou à l'Observatoire du patrimoine religieux. Il faut trouver des solutions pour que toutes les petites rivières confluent et permettent d'aider le patrimoine religieux.

Il ne faut pas oublier les églises ou les synagogues. J'ai été très touché par l'intervention de Mme Drexler sur la petite synagogue de son territoire. J'ai l'impression d'être dans un bateau qui prend l'eau et d'écoper avec une cuillère à soupe ! On m'appelle pour protéger ici une église, là une synagogue.

Contrairement à ce qu'a écrit très méchamment un journaliste du Monde au début de ma mission, je n'ai pas vocation à me substituer à la puissance publique. Je lui viens bénévolement en soutien, avec mon argent, mes moyens et sur mon temps.

Comment expliquer que toutes les demandes viennent vers moi ou soient adressées à la Fondation du patrimoine, qui est la cheville ouvrière de ma mission ? Ce n'est pas normal ! Cela signifie qu'il y a une déficience de l'État, comme le montre d'ailleurs la Cour des comptes dans son rapport. La politique de l'État dans le secteur du patrimoine soulève un certain nombre de questions.

Pour conclure, permettez-moi d'adresser une petite pique au clergé, qui n'est pas toujours notre allié. L'église est affectataire, mais elle doit respecter les règles du patrimoine. Je veux bien secourir le patrimoine religieux, mais il faut aussi que ceux qui en ont la gestion au quotidien le défendent.

M. Laurent Lafon, président . - Merci pour votre passion sur ce sujet, qui est également celle de l'ensemble des membres de la commission. Nous partageons également vos préoccupations.

Nous avons toujours plaisir à vous entendre et à travailler avec vous. Nous espérons que votre rendez-vous cet après-midi se conclura bien.

M. Stéphane Bern . - La Française des jeux m'a garanti que nous aurions entre 25 et 30 millions d'euros. Cette somme me sert de levier. Ensuite, les départements, les régions, les fonds européens, les parcs, les pays nous aident.

J'ajoute que nous devrions peut-être travailler sur les chemins, les chemins de Compostelle ou les chemins clunisiens. Une aide européenne permettrait d'intervenir sur les églises.

Je vous remercie de m'avoir écouté, j'ai plaisir à venir au Sénat, où je bénéficie d'une écoute attentive. Pardon d'être aussi passionné et engagé, je fais cela de tout mon coeur et je continuerai jusqu'à ce que mort s'ensuive !

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mercredi 16 mars 2022

Observatoire du patrimoine religieux : MM. Édouard DE LAMAZE , président, Maxime CUMUNEL , secrétaire général, et Mme Claire DANIELI , responsable de l'inventaire du patrimoine culturel.

Mardi 29 mars 2022

Fondation de la sauvegarde de l'art français : MM. Olivier de ROHAN CHABOT , président, et Lionel BONNEVAL , directeur.

Mercredi 30 mars 2022

- Centre national de la recherche scientifique (CNRS) - Maison Interuniversitaire des Sciences de l'Homme d'Alsace : Mme Anne FORNEROD , directrice de recherche Droits et religions.

- Groupe Dartagnans : M. Bastien GOULLARD , directeur général.

Mercredi 13 avril 2022

- Fondation du patrimoine : M. Alexandre GIUGLARIS , secrétaire général, et Mme Ann-Sophie de JOTEMPS , directrice juridique et des libéralités.

- Assemblée des départements de France (ADF) : Mmes Pauline WINOCOUR-LEFEVRE , vice-présidente du Conseil départemental des Yvelines déléguée à la ruralité, l'agriculture, l'alimentation et les circuits courts, Cécile GARGUELLE , responsable du pôle sauvegarde et transmission des patrimoines du Conseil départemental des Yvelines, Marion NAHANT , conseillère éducation, culture et sports de l'ADF, et Marylène JOUVIEN , conseillère parlementaire de l'ADF.

- Association des maires ruraux de France : M. Victor PROVÔT , premier vice-président de l'Association des maires ruraux d'Eure-et-Loir, vice-président délégué à l'économie, au tourisme et au numérique de la communauté de communes Terres du Perche, et maire de Thiron-Gardais.

- Table ronde des associations de sauvegarde du patrimoine :

Fondation de la sauvegarde de l'art français : MM. Olivier de ROHAN CHABOT , président, et Benjamin MOUTON , architecte en chef des monuments historiques, expert de la restauration du patrimoine religieux,

Sites et Monuments : M. Philippe ROMAIN , historien d'art,

Patrimoine-environnement : M. Benoît de SAGAZAN , vice-président,

Maisons paysannes de France : M. Gilles ALGLAVE , président,

- Sites et Cités remarquables de France : Mme Marylise ORTIZ , directrice, MM. Nicolas DUFETEL , maire adjoint en charge de la culture et du patrimoine d'Angers et président de la CRPA des Pays de la Loire, Pierre AUBRY , maire adjoint en charge de la culture à Fécamp, et Patrick GEROUDET , conseiller municipal délégué à la promotion de la ville à la mairie de Chartres.

- Petites cités de caractère de France : M. Laurent MAZURIER , directeur.

Mardi 19 avril 2022

Centre des monuments nationaux : M. Philippe BÉLAVAL , président.

Mardi 10 mai 2022

Institut Pèlerin du Patrimoine : M. Benoît de SAGAZAN , directeur.

Mardi 24 mai 2022

- Union régionale des CAUE d'Île-de-France : M. Philippe LAURENT , président, président du CAUE des Hauts-de-Seine, président de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture d'Île-de-France, conseiller régional d'Île-de-France, Maire de Sceaux, Mme Sophie THOLLOT , directrice du CAUE des Hauts-de-Seine, architecte.

- Fédération protestante de France : M. Georges MICHEL , secrétaire général.

Mardi 7 juin 2022

- Consistoire central israélite de France : M. Elie KORCHIA , président.

- Association des conservateurs des antiquités et objets d'art (ACAOAF) : M. Emmanuel MOUREAU , président, chargé de protection pour l'Ariège, le Gers et le Lot, conservateur des antiquités et objets d'art de Tarn-et-Garonne.

- Fondation des Bernardins : M. Bertrand de FEYDEAU , président honoraire, vice-président d'Europa Nostra, vice-président de la Fondation du Patrimoine, vice-président de l'association des VMF et président de la Fondation Palladio.

Mercredi 8 juin 2022

- Association des Architectes du Patrimoine : M. Christian LAPORTE , président.

- Conférence des Évêques de France : Père Hugues de WOILLEMONT , secrétaire général et porte-parole, Mmes Anne-Violaine HARDEL , directrice du service juridique, et Charlotte CHAMBOUNAUD , en charge des relations institutionnelles auprès du secrétariat général.

- Ministère de la culture - direction générale des patrimoines : M. Jean-François HEBERT , directeur général des patrimoines, et Emmanuel ETIENNE , chef de service du patrimoine, adjoint au directeur général des patrimoines.

Mardi 14 juin 2022

Institut du droit local alsacien-mosellan : M. Éric SANDER , secrétaire général.

Mercredi 15 juin 2022

- Ministère de l'intérieur - Direction des libertés publiques et des affaires juridiques : MM. Vincent PLOQUIN-DUCHEFDELAVILLE , sous-directeur des cultes et de la laïcité au Secrétariat général, et Clément ROUCHOUSE , chef du bureau central des cultes.

- Association Future for Religious Heritage : Mme Sarah de LENCQUESAING , trésorière.

Jeudi 16 juin 2022

Fédération nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement : MM. Joël BAUD-GRASSET , président, et Pierre BAUMANN , administrateur fédéral, conseiller municipal de Laxou (54), Mmes Valérie CHAROLLAIS , directrice, Virginie WATIER , architecte et programmiste conseillère au CAUE de Meurthe-et-Moselle, et Éléonore CHAMBRAS LAFUENTE , chargée de mission.

Mercredi 29 juin 2022 (en audition plénière)

M. Stéphane BERN , chargé par le Président de la République de la mission Patrimoine.

CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Réseau des villes-cathédrales

L'Association des maires de France et Régions de France n'ont pas souhaité répondre à la demande d'audition ou, à défaut, de contribution écrite, que leur avait adressée les rapporteurs.


* 1 Ce bilan a fait l'objet d'un ouvrage de Bernadette Dubosq et Pierre Molinier, publié en 1987 par la Documentation française, intitulé « Églises, chapelles et temples de France, un bien commun familier et menacé : état et utilisation des lieux de culte » .

* 2 Rapport d'information n° 426 (2019-2020) du 13 mai 2020 de M. Michel Dagbert et Mme Sonia de La Provôté, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales : « Les maires face au patrimoine historique architectural : protéger, rénover, valoriser ».

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