B. UN CARREFOUR STRATÉGIQUE DES FLUX D'INFORMATIONS NUMÉRIQUES MONDIAUX

1. Les technologies de l'information et de la communication reposent sur une infrastructure sous-marine exposée en Méditerranée à des interventions extérieures hostiles

Une partie croissante de nos activités quotidiennes (consultation d'un site internet, transaction en ligne, démarche administrative dématérialisée etc.) fait appel à une connexion internet. Le fonctionnement de ce réseau repose largement sur des transmissions intercontinentales permises par une infrastructure composée de câbles sous-marins 25 ( * ) de communication qui concentre 98% des flux de données vers l'international 26 ( * ) . Ces fibres optiques permettent une transmission de données plus importante, plus rapide et plus sûre que les connexions par voie satellitaire ce qui fait du réseau des câbles sous-marins le principal vecteur du trafic mondial d'informations dont la valeur est estimée à 10 000 Md$ par jour 27 ( * ) .

Parallèlement au rôle essentiel joué par les réseaux de communication dans la quasi-totalité des secteurs d'activité économique, sur le plan militaire, la recherche de la supériorité informationnelle et l'émergence dans les années 2000 du concept de « guerre réseau-centrée » ( Network-Centric Warfare ) renforce le rôle des câbles sous-marins dans les conflits modernes et, partant, leur importance stratégique 28 ( * ) . Ce rôle des câbles sous-marins dans la résilience de notre société a été consacré par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) qui qualifie les réseaux de communication d'« infrastructures stratégiques et critiques » 29 ( * ) .

Si l'on estime que 60% des problèmes rencontrés sur les liaisons sont liés à des accrochages des câbles par des ancres ou aux activités de pêche, 20% des problèmes recensés restent inexpliqués ce qui suggère un risque d'atteinte volontaire à ces infrastructures. Ces atteintes volontaires peuvent être le fait aussi bien d'État que d'acteurs non-étatiques, bien que depuis 1945 aucune action de sabotage sur un câble sous-marin n'a été formellement attribuée à un gouvernement.

Par ailleurs, les atteintes volontaires contre les câbles sous-marins peuvent être dirigées soit contre l'infrastructure elle-même, comme dans le cas de la coupure du câble « Sea-Me-We 4 » par des plongeurs au large de l'Égypte en 2013, soit contre l'information transportée par les câbles, comme dans le cas des collectes de données à partir des câbles sous-marins par les services américains dans le cadre des programmes Upstream et Tempora révélé en 2013 par E. Snowden 30 ( * ) .

Ces attaques contre l'infrastructure des réseaux de communication ne sont pas nouvelles en Méditerranée où, dès la fin du XIX e siècle, les Britanniques avaient coupé le trafic circulant par câble entre Tanger et Gibraltar en 1894 à la mort du sultan du Maroc 31 ( * ) . Pour autant, ces attaques représentent un risque particulier de déstabilisation dans certains pays de la zone où les redondances sont rares dont notamment en Afrique du Nord. À ce titre, la coupure du câble « Sea-Me-We 4 » au large de l'Algérie à l'automne 2015 s'est traduite par une dégradation sensible de la connectivité du pays qui a justifié la décision des autorités publiques prises en 2018 d'investir dans une nouvelle liaison avec l'Europe.

Atteintes aux câbles sous-marins en Méditerranée recensés dans la presse (2014-2018)

Date

Lieu

Cause

mars 2014

Égypte

Acte de malveillance

octobre 2015

Maghreb

Coupure par un bateau

mars 2017

Annaba (Algérie)

Dommages causés à la chambre atterrissement

janvier 2018

Chypre

Inconnue

Source : C. Morel, novembre 2020, « L'État et le réseau mondial de câbles sous-marins de communication », thèse de doctorat de l'université de Lyon

2. Le bassin méditerranéen est une zone particulièrement dense et stratégique du maillage mondial des câbles sous-marins

La Méditerranée est située sur le tracé de l'axe Europe-Asie qui est un des corridors historiques du réseau de câbles sous-marins. Parmi les principaux câbles qui traverse la zone, peuvent notamment être cités :

- le câble « FLAG Europa » qui relie depuis 1997 le Royaume-Uni et le Japon ;

- le câble « Sea-Me-We 3 » qui relie depuis 1999 l'Allemagne à la Corée du Sud et à l'Australie ;

- le câble Sea-Me-We 4 » qui relie depuis 2005 Marseille à Singapour ;

- le câble « IMEWE » qui relie depuis 2010 la France à l'Inde ;

- le câble « Sea-Me-We 5 » qui relie depuis 2016 Toulon à Singapour ;

- enfin le câble « Asia Africa Europe 1 (AAE-1) » qui relie la France à la Chine depuis 2017.

Câbles sous-marins de communication en Méditerranée (juin 2022)

Source : https://www.submarinecablemap.com/

Situé sur l'axe Europe-Asie, la ville de Marseille bénéficie d'une position stratégique au sein du réseau des câbles sous-marins et elle sert de station d'atterrissage européen pour de nombreux câbles sous-marins reliant l'Europe de l'Ouest aux opérateurs d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Asie. Cette position de Marseille sur le marché des câbles sous-marins favorise en outre le développement d'armateurs français spécialisés dans le domaine de la pose et de la réparation des lignes sous-marines, faisant de la ville de Marseille « l'un des plus importants hubs européens de bande passante et d'interconnexion » 32 ( * ) .

Au-delà des opportunités économiques qu'elle représente, la compacité du bassin méditerranéen et la concentration des câbles sous-marins qui y sont enfouis fait de cette zone un point de vulnérabilité pour les infrastructures de communication.

Si les personnes auditionnées n'ont pas fait état d'une recrudescence caractérisée des atteintes volontaires aux câbles sous-marins dans la zone, la détection en 2015 d'un bâtiment océanographique russe, le Yantar , à proximité des câbles sous-marins dans le Golfe de Gascogne, les soupçons d'espionnage sur les câbles sous-marins du sous-marin russe Locharik capable de descendre à plus de 2 500 mètres de profondeur ainsi que l'endommagement non élucidé d'un câble sous-marin au large de l'archipel norvégien des Svalbard en novembre 2021 justifient pour les rapporteures que les risques d'atteintes volontaires contre les câbles sous-marins en Méditerranée fassent l'objet d'un suivi étroit.


* 25 L'Union internationale des télécommunications (UIT) définit un câble sous-marin comme « un câble posé dans le fond marin, ou ensouillé à faible profondeur, destiné à acheminer des communications ».

* 26 C. Morel, décembre 2019, « La mise en péril du réseau sous-marin international de communication » in Flux, n°118

* 27 Federal Communication Commission (FCC), 17 septembre 2015, « Improving Outage Reporting for Submarine Cables and Enhancing Submarine Cable Outage Data » [Notice of proposed rulemaking]

* 28 A. De Neve, J. Henrotin, 2006, « La Network-Centric Warfare : de son développement à Iraqi Freedom » in Stratégique, n°86-87

* 29 SGDSN, avril 2017, Chocs futurs. Étude prospective à l'horizon 2030 : impacts des transformations et ruptures technologiques sur notre environnement stratégique et de sécurité

* 30 C. Morel, mars 2017, « Les câbles sous-marins : un bien commun mondial ? » in Études, n°4236

* 31 C. Morel, novembre 2020, « L'État et le réseau mondial de câbles sous-marins de communication », thèse de doctorat de l'université de Lyon

* 32 Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), juin 2019, « L'état d'internet en France », Rapport d'activité 2019, tome 3

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