Rapport d'information n° 90 (2022-2023) de M. Serge BABARY , fait au nom de la délégation aux entreprises, déposé le 27 octobre 2022

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N° 90

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 octobre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux entreprises (1) rendant compte de la Journée des entreprises organisée au Sénat le 13 octobre 2022 ,

Par M. Serge BABARY,

Sénateur

(1) Cette délégation est composée de : M. Serge Babary, président ; M. Stéphane Artano, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Gilbert Bouchet, Emmanuel Capus, Mme Anne Chain Larché, MM. Gilbert-Luc Devinaz, Thomas Dossus, Fabien Gay, Jacques Le Nay, Dominique Théophile, vice-présidents ; MM. Rémi Cardon, Jean Hingray, Sébastien Meurant, Vincent Segouin, secrétaires ; Mmes Cathy Apourceau Poly, Annick Billon, Nicole Bonnefoy, MM. Michel Canévet, Daniel Chasseing, Alain Chatillon, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, M. Alain Duffourg, Mme Pascale Gruny, MM. Christian Klinger, Daniel Laurent, Martin Lévrier, Stéphane Le Rudulier, Didier Mandelli, Jean-Pierre Moga, Albéric de Montgolfier, Claude Nougein, Mme Guylène Pantel, MM. Georges Patient, Sebastien Pla, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, MM. Christian Redon-Sarrazy, Olivier Rietmann, Daniel Salmon.

AVANT-PROPOS

La Délégation sénatoriale aux entreprises a organisé au Sénat jeudi 13 octobre 2022 la sixième édition de la Journée des entreprises, événement organisé chaque année depuis la création de la Délégation en novembre 2014, à l'initiative du Président du Sénat, M. Gérard Larcher.

Rassemblant 42 sénateurs désignés à la proportionnelle des groupes politiques, cette Délégation est chargée d'informer le Sénat sur la situation des entreprises, de recenser les obstacles à leur développement et de proposer des mesures visant à favoriser l'esprit d'entreprise et à simplifier les normes applicables à l'activité économique, en vue d'encourager la croissance et l'emploi dans les territoires.

Depuis janvier 2015, la Délégation est allée à la rencontre de centaines d'entrepreneurs français dans 37 départements, ainsi que dans quelques pays européens. Sur le fondement des témoignages et difficultés de terrain ainsi recueillis, elle intervient en saisissant les ministres concernés, par courrier ou par le biais des questions au Gouvernement, ainsi qu'en élaborant des propositions de loi, des propositions de résolution, des rapports ainsi que des amendements aux projets de loi concernant les entreprises. Elle conduit aussi des études utiles pour éclairer le vote du Sénat sur les dispositions ayant un impact sur l'entreprise. Enfin, elle contribue à une meilleure information de tous sur les défis que doivent relever les entreprises et les enjeux pour le dynamisme économique et social dans les territoires.

Afin de donner de l'écho à ces initiatives et de poursuivre une discussion directe avec les entrepreneurs, la Délégation a accueilli au Sénat le 13 octobre 2022 107 chefs d'entreprise venant de 45 départements.

Ils ont débattu, entre eux et avec les sénateurs, de deux sujets ayant fait l'objet de travaux de la Délégation car étant au coeur de l'actualité et des préoccupations des entreprises. Les échanges de la première table ronde ont ainsi porté sur la transition environnementale des entreprises et les conditions pour en faire un levier de compétitivité. La seconde table ronde a été consacrée à la transmission et la reprise d'entreprise, enjeu majeur dans tous les territoires et qui se pose avec une acuité croissante.

Le présent rapport, qui rassemble le compte-rendu des propos tenus lors des tables rondes de la journée, permet de prendre connaissance de la richesse des échanges intervenus à l'occasion de cette sixième édition de la Journée des entreprises.

Serge BABARY

Président de la Délégation sénatoriale aux entreprises

PROGRAMME DE LA JOURNÉE DES ENTREPRISES 2022

M. Emmanuel CUGNY modérateur, Chroniqueur-éditorialiste à franceinfo et Président de l'Association des journalistes économiques et financiers

Bonjour à toutes et à tous. Merci de nous avoir rejoints pour cette sixième édition de la journée des entreprises.

Cette rencontre se veut interactive. Les débats à la tribune seront enrichis de vos contributions. En effet, cette journée vous appartient également. Vous pourrez donc intervenir dans la dernière partie du débat. Nous écouterons vos questions, vos témoignages, vos retours d'expériences et vos éventuelles propositions.

Traditionnellement, les participants à cet événement sont accueillis par M. Gérard Larcher, président du Sénat. Retenu par un déplacement en région, M. Larcher n'a malheureusement pas pu être présent physiquement, mais a tenu à nous adresser quelques mots en vidéo.

I. OUVERTURE

M. Gérard LARCHER, Président du Sénat (vidéo)

Monsieur le Président de la Délégation sénatoriale aux entreprises, cher Serge Babary, Mes chers collègues sénateurs, Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprise, Mesdames et Messieurs,

Je vous souhaite la bienvenue pour cette sixième Journée des entreprises organisée ici, au Palais du Luxembourg, par notre Délégation aux entreprises dont je salue le Président ainsi que ses membres.

Je regrette vraiment de ne pouvoir être en votre compagnie ce matin et vous prie de m'en excuser mais, aujourd'hui même, je participe au congrès de l'Association des départements de France à Agen.

Monsieur le Président Babary, je souhaite profiter de cette occasion pour saluer votre engagement personnel à la tête de la Délégation. Cette Délégation est régulièrement sollicité à la fois par nos collègues et par les entreprises dans tous les territoires et ses travaux, sont toujours attendus et très appréciés.

Je ne citerai pour exemple que le dernier rapport de la mission conjointe de contrôle sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs que vous avez rédigé avec nos collègues Gilbert-Luc Devinaz et Sonia de La Prôvoté. Ce rapport constitue, comme vous aimez à le dire, un « service après vote », quatre ans après l'adoption de la loi ELAN dont les mesures de « revitalisation » doivent beaucoup, d'ailleurs, au Sénat.

Depuis sa création, en 2014, , la Délégation aux entreprises est guidée par un objectif cardinal : enrichir les réflexions et les travaux du Sénat à travers une approche concrète, pragmatique, de la vie des entreprises dans leur diversité.

Il s'agit d'informer le Sénat sur la situation et les perspectives de nos PME et de nos PMI, d'identifier les obstacles à leur développement et, bien sûr, de proposer des évolutions du cadre législatif et réglementaire en s'inspirant de bonnes pratiques et d'expériences locales réussies afin d'encourager la croissance et l'emploi dans les territoires.

Aller à la rencontre des entrepreneurs partout en France, observer le tissu économique local pour mieux comprendre les problématiques de terrain, oui, cela fait partie des fondamentaux de la Délégation.

Dans cet esprit, nous avons renouvelé au mois de juillet dernier notre partenariat avec le réseau des Chambres de commerce et d'industrie, présidé par M. Alain Di Crescenzo, qui permet aux Sénateurs qui le souhaitent, de passer quelques journées en immersion dans les entreprises. Cette nouvelle convention prévoit également un échange régulier d'informations économiques sur les PME qui alimenteront utilement les réflexions et les propositions du Sénat pour défendre la croissance dans les territoires, pour défendre l'emploi.

Ce dialogue approfondi, essentiel pour la bonne compréhension des enjeux économiques locaux et des attentes des entreprises, constitue à mon sens la meilleure des garanties quant à la pertinence de nos travaux.

Ce matin, vos débats vont porter sur deux sujets d'importance pour les entreprises et le dynamisme économique de nos territoires :

- Tout d'abord, la transition environnementale comme levier de la compétitivité des entreprises ;

- et la transmission et la reprise des entreprises.

La transition environnementale qui sera l'objet de la première table ronde, est un sujet de grande importance.

Nombre d'entreprises sont confrontées à une forte hausse de leurs coûts de production, particulièrement de leur approvisionnement énergétique, et cela menace directement leur compétitivité, voire parfois leur existence même.

D'ores-et-déjà, certaines ont dû se résoudre à réduire leur production au profit de concurrents extra-européens qui, eux, ne subissent pas la même envolée du prix de l'énergie. C'est notamment le cas dans le secteur du verre, de la métallurgie ou encore de l'alimentation. D'autres entreprises pourraient être tentées de délocaliser si les difficultés venaient à persister, nous conduisant à une nouvelle vague de désindustrialisation.

Dans ce contexte, la transition vers des systèmes de production décarbonés, plus économes en énergie et plus respectueux de l'environnement constitue un impératif de premier ordre. Elle nous permettra tout à la fois de lutter contre le dérèglement climatique, de renforcer notre souveraineté énergétique et servir notre objectif de reconquête industrielle en faisant de nos entreprises les pionnières mondiales de la transition environnementale et en les dotant ainsi d'un avantage compétitif qui peut être décisif pour affronter la concurrence.

Je ne doute pas que vos échanges inspireront les travaux que mènent actuellement nos collègues Florence Blatrix-Contat, Jean Hingray et Vincent Segouin dans le cadre de la mission sur les difficultés des ETI et des PME en matière de commerce extérieur.

La seconde table ronde sur la transmission d'entreprise fait écho à la mission de suivi conduite par nos collègues Michel Canévet, Rémi Cardon et Olivier Rietmann.

Leur rapport, adopté, tout récemment, c'était la semaine dernière, montre que, malgré plusieurs avancées législatives largement inspirées des travaux de notre Délégation, des difficultés persistent pour organiser la transmission d'une entreprise dans de bonnes conditions qui garantissent sa pérennité.

Moderniser la transmission d'entreprise constitue un enjeu vital pour l'économie et l'emploi dans nos territoires et, de manière plus générale, pour notre souveraineté économique grâce au maintien de certaines productions sur le territoire national.

Le rapport de nos trois collègues formule plusieurs propositions pour sécuriser, simplifier les dispositifs encadrant la transmission et la reprise d'entreprise. J'espère que ces préconisations, dont vous serez amenés à discuter ce matin, pourront se traduire sous forme d'une proposition de loi ou d'amendement, par exemple au projet de loi de finances, et qui rencontreront l'oreille attentive du Gouvernement comme l'ont été, en leur temps, celles formulées par Claude Nougein et Michel Vaspart.

Que ce soit à l'occasion de ses travaux de contrôle de l'action du Gouvernement ou au travers de l'examen et le vote des projets de lois, le Sénat porte un regard attentif sur la vie des entreprises, qui font la force et la vitalité de nos territoires.

Mieux comprendre l'environnement des entreprises pour les aider à relever les défis qui sont devant elles, telle est la raison d'être de cette Délégation, de notre Délégation aux entreprises.

Vous allez en avoir, je crois, ce matin, une nouvelle démonstration au cours de ces échanges que je souhaite riches et fructueux.

Je sais que le Président Babary et nos collègues de la Délégation auront soin d'apporter une suite concrète et utile aux idées que vous ferez éclore aujourd'hui.

Vraiment, je vous souhaite une très belle et agréable Journée des entreprises au Sénat ! Merci de votre présence.

M. Serge BABARY, Président de la Délégation sénatoriale aux entreprises

Mes chers Collègues, Mesdames, Messieurs, après cette ouverture à distance par le président du Sénat, je prononcerai quelques brefs mots d'accueil pour vous dire combien nous nous réjouissons de vous accueillir aujourd'hui pour la 6 ème édition de notre Journée des entreprises.

Vous êtes environ 120 chefs d'entreprise, venus de 45 départements. Je crois que nous battons les records cette année en termes de représentation des territoires ! Vous incarnez donc le dynamisme économique des territoires français, dans toute leur diversité. Organisée par la Délégation sénatoriale aux entreprises, cette journée est l'occasion de poursuivre le dialogue établi sur le terrain entre sénateurs et dirigeants de PME et d'ETI.

Comme indiqué par le Président Larcher, qui est à l'initiative de la création de cette Délégation fin 2014, celle-ci rassemble 42 sénateurs de toutes sensibilités politiques. Elle est chargée d'informer le Sénat sur la situation des entreprises, de recenser les obstacles à leur développement et de proposer des mesures visant à favoriser l'esprit d'entreprise et à simplifier les normes applicables à l'activité économique, en vue d'encourager la croissance et l'emploi dans les territoires.

La Délégation est allée à la rencontre de centaines d'entrepreneurs français dans 35 départements à ce jour. C'est son ADN : être à l'écoute du terrain.

Sur le fondement des témoignages ainsi recueillis, elle intervient de diverses manières. Je pense en premier lieu aux interpellations et questions au Gouvernement : nous avons ainsi, par exemple, fait remonter les problèmes de « trous dans la raquette » des aides pendant la crise sanitaire ; plus récemment, nous avons saisi le directeur de la Caisse des Dépôts, car nous avons été extrêmement surpris d'apprendre la décision de déréférencement de CRA Formation en tant qu'organisme de formation reconnu pour le compte personnel de formation (CPF) alors que les formations délivrées par le CRA (association des Cédants et repreneurs d'affaires) sont plébiscitées par les chefs d'entreprise... Nous pouvons également intervenir par le biais d'amendements, de propositions de loi, de propositions de résolution et de rapports pour informer et préconiser des solutions sur des sujets importants pour la vie des entreprises.

En 2022, outre le suivi de l'impact de la conjoncture économique sur les entreprises, nous travaillons plus particulièrement sur 4 thèmes.

Premièrement, nous avons en septembre dernier, conjointement avec la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, adopté des préconisations en faveur de la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs.

Nous avons par ailleurs trois co-rapporteurs qui travaillent sur les problématiques liées au commerce extérieur. Le Président Larcher l'a évoqué dans son allocution tout à l'heure. Nous examinerons leur rapport début décembre.

Et nous avons aussi travaillé sur les deux thèmes qui font l'objet de nos débats de ce jour :

En premier lieu, « Transition environnementale des entreprises : comment en faire un levier de compétitivité ? ». Ce sujet n'est d'ailleurs pas sans lien avec le commerce extérieur. Je salue nos co-rapporteurs sur le thème de la RSE qui sont dans la salle en ce début de matinée : Martine Berthet, Florence Blatrix Contat et Jacques Le Nay. Leur rapport de suivi de la mission qui avait été conduite en 2020 sur ce sujet majeur sera examiné par notre Délégation jeudi 27 octobre prochain. Nous sommes donc très intéressés par vos points de vue et propositions sur ce thème. Notre travail concerne les trois volets de la RSE : environnemental, social et gouvernance, mais nous avons souhaité centrer notre table ronde de ce matin sur le premier volet.

Notre seconde table ronde a pour thème : « Réussir la transmission et la reprise d'entreprises : une priorité dans nos territoires ». Nous avons adopté le rapport de nos collègues Michel Canévet, Rémi Cardon et Olivier Rietmann sur ce sujet le jeudi 6 octobre dernier. Vous en avez d'ailleurs peut-être lu des retombées dans la presse économique ces derniers jours. Avec mes collègues, nous serons également à l'écoute de vos échanges, témoignages et réactions sur ce sujet, tout aussi important pour la vie et la survie des entreprises que le premier.

Cette journée sera un moment fort de ce qui fait le « coeur de métier » de la Délégation sénatoriale que j'ai l'honneur de présider : le dialogue avec les entreprises.

Afin que ce dialogue se poursuive au-delà de notre rendez-vous annuel, n'hésitez pas à nous contacter pour faire remonter d'éventuelles difficultés liées à l'application concrète de textes législatifs ou réglementaires. Notre mobilisation en faveur de la simplification de la vie des entreprises guidera toujours notre action, quelle que soit la source de complexité ou de difficulté. En outre, vous avez toujours un sénateur sur votre territoire, n'hésitez pas à le contacter.

Je donne maintenant la parole à Emmanuel Cugny, notre modérateur que je remercie chaleureusement, ainsi que vous tous pour votre présence et votre participation.

Je salue et remercie aussi bien sûr mes autres collègues également présents dans la salle ou à distance puisque nos travaux sont retransmis en direct sur le site du Sénat.

II. TABLE RONDE N°1 : TRANSITION ENVIRONNEMENTALE DES ENTREPRISES : COMMENT EN FAIRE UN LEVIER DE COMPÉTITIVITÉ ?

M. Emmanuel CUGNY

Je vous propose à présent de découvrir le long et intense travail mené par la délégation sénatoriale aux entreprises à travers un très court reportage.

Vidéo de présentation par les co-rapporteurs de la Délégation sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE)

M. Emmanuel CUGNY

Les questions relatives à la transition environnementale des entreprises et les manières d'en faire un levier de compétitivité seront abordées avec les invités suivants :

• Mme Véronique Degottex, directrice générale du groupe Cheval, spécialisé dans l'urbanisme, l'aménagement urbain et le paysagisme ;

• Mme Catherine Guerniou, dirigeante de l'entreprise la Fenêtrière et cheffe de file RSE au sein de la fédération française du bâtiment ;

• M. Vincent Wisner, directeur général délégué du cabinet de conseil Prophil ;

• M. Thomas Courbe, directeur général des entreprises au sein du ministère de l'Économie, des finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.

Ces invités disposeront chacun de quelques minutes pour mettre en avant leurs thématiques générales et leurs approches respectives du sujet de cette table ronde. Ces propos liminaires seront suivis d'un débat.

Mme Véronique DEGOTTEX, directrice générale du groupe Cheval

Le groupe Cheval est un groupe familial, comme bon nombre des 5 500 ETI que compte le territoire national. Nous sommes fortement investis dans les questions sociales, environnementales et territoriales.

Plutôt qu'un groupe, nous sommes une fédération de PME dont le siège est implanté dans la Drôme.

Par conviction, nous avons déjà adopté depuis un certain temps un modèle d'économie circulaire. Cela signifie que nous produisons nos matériaux, que nous les transformons, que nous les utilisons pour nos divers travaux et que nous allons jusqu'à l'étape du recyclage afin de donner une seconde vie à ces matériaux. Nous avons essayé de faire de ce modèle un véritable levier de compétitivité.

Après avoir subi les difficultés liées à la pandémie, nous faisons actuellement face à une crise qui affecte les coûts. Nous essayons par conséquent de nous transformer. À cette fin, nous avons pris des orientations stratégiques très fortes. Ainsi, nous avons choisi comme relais de croissance majeur l'urbanisme vert, lequel répond à des problématiques ayant trait à la décarbonation, mais aussi au climat puisque le fait de planter de la végétation permet de faire baisser les températures.

En nous lançant dans une démarche de société à mission, nous avons officialisé un pendant de notre identité qui était déjà inscrit dans l'ADN du groupe. Cela a également permis d'orienter la stratégie en la fondant sur trois grands piliers :

- l'aspect social, c'est-à-dire tout ce qui a trait à nos collaborateurs, mais aussi aux riverains et aux habitants du territoire ;

- l'aspect environnemental, à savoir la préservation des ressources naturelles ;

- l'aspect territorial afin de travailler localement et de développer les industries sur notre territoire national.

M. Emmanuel CUGNY

Catherine Guerniou, votre perspective est celle d'une PME ayant décidé des modalités de sa transition écologique jusque dans les process de fabrication. Pourriez-vous nous dire un mot sur votre entreprise et nous expliquer la philosophie générale de l'action que vous menez ?

Mme Catherine GUERNIOU, dirigeante de l'entreprise la Fenêtrière

La Fenêtrière est une petite PME de 12 salariés basée en Île-de-France qui fabrique des fenêtres en PVC et en aluminium. Nous commercialisons également du bois.

Il y a une dizaine d'années, nous avons dû faire face à une très forte concurrence des pays de l'Est. Nous avons donc été dans l'obligation de nous remettre en question, car nous ne pouvions pas lutter sur les prix. Nous avons donc réexaminé notre ADN et choisi de tout miser sur l'économie circulaire et sur le circuit court. Ainsi, 95 % de nos menuiseries sont diffusées à Paris et en Île-de-France. Cet aspect est très important, au même titre que le choix et la traçabilité de nos produits. De même, nos matières premières sont 100 % françaises et nous venons d'obtenir la certification Origine France Garantie.

M. Emmanuel CUGNY

Vincent Wisner, vous êtes un observateur privilégié puisque des dossiers relatifs à la transition environnementale vous sont fréquemment soumis.

M. Vincent WISNER, directeur général délégué du cabinet Prophil

Le cabinet Prophil est une petite PME comptant une vingtaine de collaborateurs. La raison d'être de la structure est la croyance en la nécessité de promouvoir de nouveaux imaginaires entrepreneuriaux. En effet, la maximisation du profit et la création de richesses sont certes importantes, mais, parallèlement, d'autres enjeux - notamment ceux afférents aux questions environnementales et sociales - sont de plus en plus cruciaux.

La nécessité d'une transition environnementale semble d'ores et déjà impérieuse. Dès lors, la question est de se demander si cette transition se fera de gré ou de force pour l'ensemble des entreprises et des acteurs du territoire.

Le président Larcher l'a évoqué dans son allocution : certaines entreprises mettent à l'arrêt des fours de production de verre en raison du coût trop élevé de l'énergie. D'autres connaissent d'importants retards de livraison qui mettent à mal leurs chiffres d'affaires. Enfin, les matières premières agricoles connaissent une flambée des prix. Dès lors, faut-il encore parler de compétitivité ? La question qui devrait être posée serait plutôt la suivante : la transition environnementale ne serait-elle pas la condition sine qua non pour assurer la pérennité des entreprises ?

M. Emmanuel CUGNY

Nous le savons, la transition énergétique est déjà à l'oeuvre. Thomas Courbe, quel tableau peignez-vous de la situation actuelle ?

M. Thomas COURBE

D'un point de vue général, la tendance en ce début d'année est à un accroissement de l'ambition européenne en matière de réduction des émissions de carbone, notamment avec les législations européennes dites « prêts pour -55 % ».

Atteindre cet objectif extrêmement ambitieux nécessitera de mobiliser un ensemble d'actions à différents niveaux, notamment une action partenariale à travers des feuilles de route. Ce travail a déjà été mené avec les 4 principales filières, lesquelles représentent environ 80 % des émissions de l'industrie, et sera progressivement étendu aux secteurs hors industrie.

Des actions seront également menées sur le terrain, au plus proche des entreprises. Cela concerne notamment les PME auxquelles nous souhaitons proposer une gamme d'outils qui faciliteront la mise en oeuvre concrète de cette transition.

Pour ce qui est du rapport entre décarbonation et compétition, deux enjeux se dégagent : le premier tient à l'existence même de cet impératif de décarbonation. Cet enjeu s'est imposé au niveau européen. Il s'agit désormais de le mettre en oeuvre. Le second enjeu a trait au fait de permettre la décarbonation des entreprises tout en maintenant leur compétitivité. Il est en effet nécessaire que les investissements de décarbonation soient rentables et permettent d'accroître la compétitivité des entreprises. L'État a mobilisé d'importants moyens dans le plan de relance France 2030 pour apporter l'aide qui permettra d'enclencher cet investissement et de le rendre rentable.

M. Emmanuel CUGNY

Véronique Degottex, une entreprise est une aventure humaine. Comment envisagez-vous les choses en termes de gestion de masse salariale ? Comment gérez-vous avec vos équipes les objectifs que vous avez évoqués précédemment ?

Mme Véronique DE GOTTEX

Nous avons beaucoup de mal à recruter, alors même que les ETI et les PME ont le potentiel nécessaire pour contribuer au développement de l'emploi. Les intentions sont au rendez-vous, mais la mise en oeuvre n'est pas toujours simple.

En travaillant localement, en mobilisant les acteurs du territoire et en menant un travail sur le volet social, nous parvenons cependant à impulser une véritable dynamique. En redistribuant la richesse de l'entreprise et en la partageant avec l'ensemble des salariés, nous avons constitué un vivier de 800 collaborateurs et sommes en phase de croissance.

La croissance pour la croissance n'est toutefois pas notre objectif. Nous souhaitons créer plus d'économie et de richesse sur le territoire, cela de manière saine.

Il importe aussi d'adresser la compétence. Auparavant, dans nos métiers, la transformation de l'entreprise se fondait sur une nécessité fonctionnelle, esthétique et surtout économique. Désormais, face aux enjeux climatiques dont nous avons tous mesuré les impacts, nous sommes passés à une nécessité vitale.

Dans une optique de performance durable, il faut aussi que nos modèles économiques soient pérennes. Il est dès lors nécessaire d'aller chercher les compétences. Bien entendu, nous essayons avant tout de développer ces compétences en interne en mettant en avant les sujets liés à la formation et à la transformation. Cependant, il est parfois nécessaire d'aller chercher la ressource là où elle se trouve. Ainsi, je me trouvais hier à Station F. Cela m'a permis de mesurer à quel point le pays est riche en innovation.

M. Emmanuel CUGNY

Sur les territoires, avez-vous vraiment la possibilité de travailler avec des jeunes pousses ?

Mme Véronique DE GOTTEX

Effectivement, un effort de persuasion conséquent a dû être déployé. Les start-ups ont les idées, mais pas toujours la maturité managériale et la structuration nécessaires pour les mettre en oeuvre.

Dans l'absolu, le groupe Cheval implanté dans la Drôme n'attirait pas vraiment foule. Nous avons donc beaucoup travaillé la communication et l'image de l'entreprise. Le statut de société à mission a ainsi été mis en avant. Nous essayons également d'échafauder des partenariats pertinents et efficaces. Dans tous les cas, les petites structures doivent nécessairement être plus agiles pour développer leur attractivité, surtout en situation de crise.

M. Emmanuel CUGNY

Concrètement, en quoi le statut d'entreprise à mission est-il un levier de compétitivité ? Comment les collaborateurs intègrent-ils ce principe ?

Mme Véronique DE GOTTEX

Nous faisons le choix de travailler localement, avec des fournisseurs sélectionnés à l'échelle nationale. Nous plaçons également notre confiance dans nos collaborateurs embarqués et essayons de travailler main dans la main avec les clients pour sortir d'une relation axée uniquement sur les devis, les prix, etc.

Il serait en outre judicieux de travailler avec les parties prenantes. En effet, les normes, les réglementations et les cahiers des charges en vigueur sont un peu dépassés. Ils ne prennent pas encore en compte tous les volets liés à la RSE.

M. Emmanuel CUGNY

Catherine Guerniou, vous nous expliquiez que votre PME a décidé de sa propre transition écologique. Quels sont les premiers résultats de votre action ?

Mme Catherine GUERNIOU

Le travail sur cette question n'en est qu'à ses débuts. Le premier résultat observé a trait à la culture d'entreprise. Il est en effet nécessaire d'acculturer l'ensemble des collaborateurs afin de leur faire comprendre pourquoi l'entreprise enclenche cette transition écologique.

Notre première action a été l'élaboration de notre fresque du climat pour embarquer le plus grand nombre de manière facile, rapide et efficace. Cette exigence d'efficacité, de rapidité et de résultats est effectivement inhérente au monde de la PME.

Une autre action menée précocement a été la réalisation du bilan énergétique du bâtiment. Nous avons ainsi pu déterminer notre consommation exacte. 54 % de cette consommation était dédiée à l'usage des locaux et 46 % à la fabrication. À partir de là, aidés par des énergéticiens, nous avons pu échafauder différents scénarios. Cela nous a permis de réfléchir à l'élaboration de notre plan d'action. Le pavage des travaux a commencé par l'isolation de la toiture et par le remplacement de tous les néons par des LEDs.

M. Emmanuel CUGNY

Combien en aviez-vous ?

Mme Catherine GUERNIOU

Environ 80.

Cette première phase a eu lieu juste avant l'été. Nous avions besoin de travailler dans un milieu tempéré pour les besoins de la matière, mais surtout pour le confort des collaborateurs. Or ces mesures ont permis un rafraîchissement de l'atelier. Auparavant, il fallait souvent mettre en route la climatisation pendant toute la nuit. Désormais, en deux heures, les 1 000 mètres carrés de locaux sont rafraîchis.

Par ailleurs, les ressources tendant à se raréfier, nous avons opté pour une organisation en lean management . Cette démarche de rationalisation permet de réduire la consommation en matière.

Concernant l'impact carbone, nous sommes en train de réaliser notre bilan carbone scopes 1, 2 et 3, car il nous est nécessaire de prendre en compte l'environnement dans lequel nous travaillons.

M. Emmanuel CUGNY

Ce sont là des démarches que vous ne réalisez pas seuls. Disposez-vous d'équipes en interne ou allez-vous chercher les compétences en externe ?

Mme Catherine GUERNIOU

Avec un effectif de 12 personnes, il est rare que les compétences pour gérer ce type de questions se trouvent en interne. Il faut donc se faire accompagner. Dans le cadre du lean management , un consultant assure cet accompagnement. L'ensemble des équipes a par ailleurs été formé il y a de cela un an. Ce point est important : tout le personnel, à chaque niveau de l'entreprise, doit bénéficier d'une formation sur ces questions.

Nous avons nous-mêmes payé notre bilan énergétique, car, s'il existe de nombreuses aides, les dossiers sont extrêmement fastidieux à remplir. Notre temps étant limité, nous avons préféré investir dans cette prestation.

Nous finançons également à 100 % un accompagnement portant sur le bilan carbone.

M. Emmanuel CUGNY

Pourriez-vous nous donner un ordre de grandeur du coût de ces actions ?

Mme Catherine GUERNIOU

Pour le bilan énergétique, il faut compter 5 000 euros pour une structure telle que la nôtre. Le coût du bilan carbone est à peu près équivalent. En revanche, le lean management a été pris en charge à 100 % par notre OPCO. Nous faisons appel à toutes les ressources disponibles, que ce soit la Fédération française du bâtiment ou encore la CPME. Ces instances nous aident également à rencontrer les bons interlocuteurs.

En termes de RSE, nous souhaitons véritablement formaliser certains de nos engagements. Nous sommes donc en train de nous lancer dans une labellisation B Corp. Cette certification structurante est assez contraignante pour une petite entreprise telle que la nôtre. Nous disposons par conséquent d'un accompagnement à hauteur de 10 000 euros.

M. Emmanuel CUGNY

Ces actions doivent par ailleurs être très chronophages.

Mme Catherine GUERNIOU

Effectivement. Cela demande énormément de temps, d'autant plus que j'occupe également la fonction de conseillère environnement au sein du Conseil économique, social et environnemental.

C'est aussi pour cela qu'il est important d'impliquer les collaborateurs. Il est crucial de ne pas se contenter de forcer les choses, mais de donner du sens.

M. Emmanuel CUGNY

Vincent Wisner, le cabinet Prophil accompagne des entreprises de taille plus importante. Les problématiques rencontrées sont-elles les mêmes ? Quels sont les résultats observés ?

M. Vincent WISNER

Les problématiques sont évidemment différentes. Nous travaillons essentiellement avec des PME et des ETI, car nous estimons que le fait d'avoir un accès facilité aux actionnaires confère un pouvoir de transformation accru. Le fait de travailler avec des entreprises cotées complexifie la transformation.

M. Emmanuel CUGNY

Parce que les actionnaires ont tendance à freiner les investissements nécessaires ?

M. Vincent WISNER

Parce qu'il existe tout simplement, au sein des entreprises cotées, un émiettement de la décision qui complique toute velléité d'alignement global de l'actionnariat en faveur d'une réelle transformation du modèle économique, des modes de gouvernance et du partage de la valeur.

Aujourd'hui, nous comptons entre 800 et 900 entreprises engagées dans une transformation en société à mission telle que la définit la loi PACTE. Ce nombre peut sembler dérisoire compte tenu du nombre d'entreprises en France, mais la dynamique est bel et bien amorcée.

Il importe de bien percevoir la différence entre l'engagement dans une politique de RSE et l'adoption d'un modèle de société à mission. L'orientation vers une politique de RSE renvoie à une approche normative. Le choix d'une transformation en société à mission implique que les entreprises se dotent d'une boussole stratégique. Indépendamment des actions mises en place, cela permet d'aligner l'ensemble des composantes de l'entreprise vers un dessein, une mission, une raison d'être.

Certaines entreprises ont déjà pris un véritable tournant et sont sorties de la logique du tout volume et de la croissance à tout crin. Ainsi, depuis une quinzaine d'années, l'enseigne de jardinage Botanic a engagé une véritable transformation de son modèle économique en supprimant les pesticides et les engrais de synthèse de ses produits. L'entreprise s'est aussi lancée dans le développement de certaines filières de valorisation et de recyclage, notamment des pots horticoles. Cette filière est devenue un nouveau relais de croissance pour la structure. Pour maîtriser davantage ses dépenses énergétiques, Botanic s'est aussi lancé, bien avant la crise que nous connaissons actuellement, dans une chasse au gaspillage énergétique. L'enseigne a également équipé ses bâtiments de panneaux photovoltaïques afin de s'inscrire dans une logique d'autoconsommation/autoproduction.

M. Emmanuel CUGNY

Ce type d'action peut-il être mis en place par une entreprise de taille inférieure avec de la volonté et quelques moyens ?

M. Vincent WISNER

Cela nécessite une vision et un courage entrepreneurial, un rapport particulier aux outils de contrôle de gestion et une définition un peu différente donnée à la notion de profit.

Il importe donc de changer d'alphabet comptable, autrement dit d'impulser un changement au niveau du système d'information et de gestion.

Un autre exemple est celui de Fnac Darty. Le groupe a mis en place depuis quelques années un système d'abonnement visant à lutter contre l'obsolescence programmée des produits électroménagers. Cela représente encore une part mineure de leur chiffre d'affaires. Pour autant, il s'agit du relais de croissance principal du groupe.

Decathlon est un autre bon exemple. L'enseigne a récemment beaucoup communiqué sur sa volonté de s'engager dans une stratégie d'économie circulaire et de se diriger davantage vers une économie de la fonctionnalité notamment par le biais de locations d'équipements. Decathlon développe aussi ses ateliers de réparation et propose des produits de seconde main.

D'autres exemples existent dans d'autres secteurs. Il est ainsi possible de citer l'entreprise CETIH laquelle a véritablement questionné son modèle économique, de la conception à la commercialisation.

M. Emmanuel CUGNY

Thomas Courbe, la transition énergétique est déjà à l'oeuvre. Que peuvent concrètement faire les entreprises pour gagner en compétitivité tout en contribuant à la transition environnementale et écologique ?

M. Thomas COURBE, directeur général des entreprises au sein du ministère de l'Économie, des finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Il existe plusieurs niveaux d'action. Le premier, très général, consiste à favoriser la décarbonation en modernisant l'outil de production et en implémentant la numérisation.

Un autre niveau d'action consiste à s'engager dans un plan d'efficacité énergétique. À ce titre, le diagnostic Éco-Flux réalisé par Bpifrance et l'ADEME donne de très bons résultats, à savoir un taux de satisfaction de 95 %, une rentabilité d'investissement au bout de trois ans en moyenne et, dès trois ans, une moyenne de 45 000 euros d'EBE générés.

Par ailleurs, certaines entreprises adoptent une démarche de décarbonation qui n'est pas nécessairement mue par des objectifs de compétitivité prix. Ainsi, de nombreuses entreprises procèdent à des relocalisations. Le plan de relance a financé 700 projets de ce type. À titre d'exemple, les bottes Aigle relocalisent leur activité en France dans une logique de décarbonation, de valorisation de leurs produits, de responsabilité d'entreprise et d'image de marque.

Dans le cas de projets ne générant pas directement de gains de compétitivité, mais dont l'entreprise se saisit, car elle souhaite participer à cet effort de décarbonation, l'État finance une partie de l'investissement. Ainsi, 200 projets de ce type ont été financés dans le cadre de France Relance. Avec France 2030, 5 milliards d'euros de crédit seront dédiés à la réalisation de ces projets.

Mme Catherine GUERNIOU

Le diagnostic Éco-Flux est effectivement un excellent mécanisme, mais il est réservé aux structures de plus de 20 salariés. Je ne peux donc pas en bénéficier.

Les seuils posent un vrai problème. Nous ne pouvons avoir accès à certains mécanismes, car nous avons plus de 10 collaborateurs. D'autres nous sont fermés, car nous avons moins de 20 salariés. Pour permettre une transition efficace, il serait pertinent de supprimer ces seuils.

Mme Véronique DE GOTTEX

Pour notre part, nous ne rentrons jamais dans les critères des appels à projets soit parce que seule la filiale est prise en compte, soit parce que nous sommes considérés comme un groupe.

Lorsque nous ne pouvons pas bénéficier d'aides ou de soutiens, nous faisons les choses par nous-mêmes. Nous avons ainsi transformé les flottes en faisant l'acquisition de véhicules hybrides ou électriques, mais aussi de poids lourds alimentés au gaz vert. Des actions seront également menées au niveau des stations et de la production. Ces investissements ne sont pas vecteurs de rentabilité, mais permettent de préparer l'avenir.

Avant que le gouvernement ne le suggère, nous avions acheté des doudounes de manière à pouvoir baisser la température dans les bureaux. Nous avons en outre mis en place des plateaux-repas afin que les collaborateurs n'aient pas besoin de prendre leurs voitures. Toutes ces petites mesures ont aussi un impact non négligeable.

M. Thomas COURBE

Il y a, en France, 2 millions d'entreprises qu'il est nécessaire d'emmener vers la transition écologique. Il est impossible de réaliser un diagnostic Éco-Flux pour chacune d'entre elles. En revanche, il est essentiel de trouver des solutions adaptées aux enjeux, à la taille et à la volonté de simplification de chaque catégorie d'entreprise. À ce titre, nous avons construit un partenariat avec le réseau des Chambres de commerce et d'industrie pour accompagner 20 000 entreprises dans leur transition écologique.

Un effort de volumes a donc d'ores et déjà été réalisé, même s'il reste beaucoup à faire pour passer à l'échelle. La question des seuils se rapporte à cette volonté d'offrir à toute entreprise des solutions simples et adaptées.

M. Emmanuel CUGNY

Dans la même veine, les incitations du marché de l'énergie ne suffiront peut-être pas à atteindre les objectifs de la transition écologique. Comment aller plus loin sans pénaliser les entreprises ?

M. Thomas COURBE

Des évolutions réglementaires importantes sont intervenues. Pendant la présidence française de l'Union Européenne, nous avons mis en oeuvre un certain nombre de nouvelles réglementations visant à orienter cette transition écologique des entreprises.

Dans les dernières décennies, une partie de la décarbonation s'est faite par le biais de délocalisations. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières a d'abord été appliqué à 5 secteurs et sera par la suite étendu. Le but est de restaurer des conditions de compétition égales entre les entreprises européennes et les entreprises hors Europe.

Nous avons aussi lancé de nouvelles réglementations portant sur l'éco-conception afin de mieux prendre en compte les enjeux environnementaux dès la conception des produits.

Afin de lutter contre une concurrence déloyale au niveau environnemental, nous avons également initié une démarche vouée à permettre que les produits entrant sur le marché européen bénéficient d'une évaluation environnementale qui pourrait conduire à une différenciation. De fait, à partir de 2027, un règlement interdira la vente en Europe des batteries de véhicules dont la production génère de grandes quantités de carbone.

M. Emmanuel CUGNY

Vincent Wisner, les outils de gestion dont disposent les entreprises permettent-ils de faire les choix dont il a été question ?

M. Vincent WISNER

La boîte à outils dont disposent les entreprises est incomplète parce que la bataille entre les différentes structures de standardisation des normes comptables n'est pas terminée. Cela concerne plus particulièrement les normes extra-financières.

À ce jour, il n'existe pas, pour les entreprises oeuvrant à l'échelle internationale, de normes IFRS extra-financières. Or il est nécessaire de disposer de telles normes pour pouvoir réellement bénéficier d'outils de gestion propres à valoriser les engagements environnementaux et sociétaux des entreprises.

À l'heure actuelle, il existe un certain nombre de référentiels et de labels, mais aucun référentiel unique qui permettrait aux entreprises de faire valoir leurs choix stratégiques à l'échelle internationale. Les entreprises ont encore du mal à y voir clair entre la GRI, le CSRD, le CDSD, la norme ISO 26000, etc.

Mme Catherine GUERNIOU

Les choses sont compliquées par le fait que nous nous sentons parfois loin de tous ces dispositifs. Pour remédier à cela, le mieux est encore de s'acculturer. Sur ce point, la convention des entreprises pour le climat est d'une grande aide.

L'objectif de la Fenêtrière reste de fabriquer des fenêtres, mais cet objectif est déjà sous-tendu par une réflexion sur la nécessité de passer d'une économie de volume à une économie à impact.

Ainsi, les scénarios que nous avons échafaudés nous permettront d'arriver à une réduction de 15 % des émissions d'énergie et à une baisse de 45 % des émissions de CO 2 .

Cependant, il faut encore aller au-delà. Un rapport récent de WWF fait état d'une situation catastrophique en termes de biodiversité. Ces enjeux doivent être intégrés dans les réflexions menées par l'entreprise. Dans la seconde phase de rénovation de nos bâtiments, nous intégrerons donc la récupération de l'eau de pluie.

Il existe un grand nombre de ressources que nous n'utilisons pas ou que nous ne savons pas utiliser. Les dispositifs foisonnent. Il est donc essentiel de procéder à une démarche de simplification pour atteindre plus de fluidité.

À l'heure actuelle, le plan comptable n'est pas du tout adapté aux investissements réalisés sur les sujets ayant trait à la RSE, alors même que ces thématiques sont l'avenir de l'entreprise. Cette lacune est systémique. Au moment de l'établissement du bilan carbone, il importe donc de ne pas s'arrêter à sa propre production, mais de prendre en compte l'écosystème dans lequel s'inscrit l'entreprise.

Des innovations splendides existent et, sur ce point, les entreprises ont encore de belles années devant elles même si le quotidien est difficile.

M. Emmanuel CUGNY

Véronique Degottex, vous inscrivez-vous dans la même configuration ?

Mme Véronique DEGOTTEX, directrice générale du groupe Cheval

Tout à fait. Pour piloter et se fixer des objectifs, il est impératif de mesurer. Or, pour procéder aux mesures, il faut que les différents types d'actions soient prévus dans le plan comptable.

Les très grandes entreprises sont en mesure de se doter de systèmes de pilotage. De son côté, le groupe Cheval est en train de procéder à sa transformation, mais, encore une fois, cela génère un surcoût. Il n'est même pas possible de parler d'investissement, car ces dépenses visent à satisfaire à des exigences spécifiques. Nous endossons ce surcoût sans rechigner, car nous sommes des responsables et nous sentons concernés. Cependant, il s'agit là d'un vrai sujet.

Une mesure très simple consisterait à baisser certaines taxes afin d'encourager les initiatives. De fait, les actions sont extrêmement onéreuses. Ainsi, un véhicule moins polluant coûte entre 30 et 40 % plus cher qu'un véhicule ordinaire. La mise en place des systèmes de suramortissement majeurs sur des périodes de deux ans, par exemple, serait donc bienvenue. Cela aurait un impact positif sur le résultat fiscal.

Mme Catherine GUERNIOU

Je suis entièrement d'accord. Les dispositifs tels que le diagnostic Éco-Flux nécessitent de remplir des dossiers. Une fois le processus entamé, il faut aller au bout, sans quoi les informations saisies sont perdues. Il serait beaucoup plus facile et efficace d'accorder un crédit d'impôt sur présentation des factures. Le gain de temps serait considérable.

M. Emmanuel CUGNY

La simplification administrative est effectivement un sujet récurrent depuis des années, mais est loin d'être une réalité sur le terrain.

Thomas Courbe, vous évoquiez la dimension européenne de l'action menée. À l'échelle nationale, que peut mettre en oeuvre l'État français pour aller dans le sens de cette simplification ?

M. Thomas COURBE

Le suramortissement des crédits d'impôt produit des résultats variables. En 2018, nous avons mis en place un suramortissement pour la numérisation des entreprises. Or, les demandes ont été très peu nombreuses. Nous avons donc cessé de proposer ce dispositif.

Quant au crédit d'impôt, il présente des avantages, mais aussi des inconvénients. Ainsi, le chef d'entreprise qui investit n'a pas de visibilité immédiate sur le résultat financier lequel est souvent différé par construction.

En termes de suramortissement, les dispositifs sont soit très transversaux, mais extrêmement coûteux pour les finances publiques, soit très ciblés et donc assez difficiles à justifier comptablement.

Un mécanisme comme le diagnostic Éco-Flux n'implique pas de dossiers complexes ou de démarches interminables. Des accompagnements sont proposés aux entreprises, notamment en mettant à leur disposition un consultant qui les aidera par exemple à élaborer un plan d'efficacité énergétique ou de décarbonation.

Par ailleurs, il faut que les aides soient ciblées sur des finalités. L'entreprise doit donc nécessairement fournir des justifications. Cette contradiction apparente entre le fait de proposer des aides ciblées et l'objectif de simplicité doit cependant faire l'objet d'une véritable réflexion.

M. Emmanuel CUGNY

Vincent Wisner, définiriez-vous la taxonomie comme quelque chose de positif ou comme un moyen de coercition ?

M. Vincent WISNER

Il n'est pas certain que la taxonomie soit un réel moyen de coercition. Il s'agit surtout d'un outil de transparence.

M. Emmanuel CUGNY

Rappelons en quelques mots ce qu'est la taxonomie telle qu'elle est ici envisagée.

M. Vincent WISNER

Il s'agit d'une manière de qualifier la part des activités d'une entreprise qui contribue à des enjeux sociaux et environnementaux. La taxonomie est aussi conditionnée à des seuils. Le premier seuil concerne les entreprises comptant plus de 500 collaborateurs. D'autres seuils ont trait au chiffre d'affaires.

La taxonomie est moins un élément de différenciation qu'un travail de reporting un peu structuré à mettre en regard avec des outils de comptabilité extrafinancière. Le travail mené par l'EFRAG semble, à ce titre, extrêmement important pour nourrir cette réflexion à l'échelle européenne.

En résumé, ce dispositif est relativement complexe et ne s'adresse pas encore à l'ensemble des secteurs et des entreprises. Cette première pierre à l'édifice présente un certain nombre d'atouts, mais aussi des défauts.

M. Thomas COURBE

Au-delà du mécanisme bruxellois, la taxonomie matérialise le fait que de plus en plus de parties prenantes (investisseurs, collaborateurs, etc.) souhaiteront conditionner leurs décisions à la démarche environnementale des entreprises. Ainsi, de nombreux donneurs d'ordres demandent d'ores et déjà à leurs sous-traitants de produire des plans de décarbonation. La taxonomie incarne ce mouvement de fond.

Mme Catherine GUERNIOU

La notion de temps est aussi essentielle. Ainsi, une aide dévolue au secteur tertiaire pour la rénovation des bâtiments n'a duré que 6 mois qui plus est pendant la période du Covid-19, période pendant laquelle la rénovation des bâtiments n'était pas la préoccupation majeure des entreprises. De même, la prime Rénov est péniblement prolongée d'une année sur l'autre.

Or il est important que ces dispositifs s'étalent dans le temps puisque, par ailleurs, il est demandé aux entreprises d'avoir une vision sur le moyen/long terme en ce qui concerne l'ensemble de leurs activités.

Mme Véronique DEGOTTEX

Pour revenir à la taxonomie, il est indéniable que les responsables d'entreprises sont courageux et résilients.

La Commission départementale d'assistance aux entreprises (CDAE) a été promise et annoncée. Or nous observons désormais un retour en arrière ou, en tout cas, une remise en cause. Il est évident que le temps de l'entreprise en crise n'est pas toujours celui des administrations.

La taxonomie présente des aspects vertueux, mais une fois que l'entreprise a montré qu'elle travaillait bien, ne pourrait-il pas y avoir, à terme, des règles fiscales différentes pour le résultat réalisé sur ce type de rapport ? Cela serait un vrai levier de compétitivité puisque les entreprises agissant dans le bon sens bénéficieraient d'un système fiscal un peu plus favorable.

M. Thomas COURBE

Je prends note de toutes ces propositions.

Je rappelle en outre que, depuis 5 ans, le taux d'impôt sur les sociétés a baissé. Concernant la CDAE, un engagement a été pris sur 2 ans. Globalement, la fiscalité des entreprises est à la baisse.

M. Emmanuel CUGNY

La parole est désormais donnée aux participants souhaitant échanger avec les intervenants.

M. Lionel FERRARIS, UGAP

M. Courbe a évoqué le fait qu'à l'heure actuelle, la réglementation n'est pas en opposition avec la démarche RSE et sa promotion par la commande publique. Bien au contraire, elle est alignée avec cette démarche. De fait, dans le cadre de la loi climat et résilience, d'ici à 2025, 100 % de nos marchés devront comporter au minimum une disposition environnementale. Il s'agit là d'une transformation pour l'ensemble des acheteurs publics dans le vaste univers de la commande publique en France.

M. Thierry CHAPUSOT, Equasens

Le sujet relatif à l'export n'a pas été abordé. À titre d'exemple, la dernière entreprise produisant des chalumeaux à flamme en France réalise 60 % de son chiffre d'affaires en France et dans l'Union Européenne. Les 40 % restants sont réalisés hors de l'Union Européenne, notamment en Afrique.

Certains investissements génèrent un retour sur investissement et d'autres non. Cela n'est pas très gênant lorsque l'activité est circonscrite à l'Europe, car les pays de l'Union Européenne se plient tous aux mêmes règles en matière de compétition. Lorsque les entreprises exportent en Afrique, elles s'inscrivent dans une démarche totalement différente. La population et la clientèle n'ont pas du tout le même regard sur les questions de RSE. En outre, les seuls compétiteurs sont chinois. Nous sommes 20 % plus chers qu'eux et devons donc nous battre sur le terrain de la qualité et de l'innovation. Cependant, les surcoûts liés à la RSE deviennent rapidement gênants en termes de compétitivité.

Or, la France a besoin d'exporter pour dynamiser son commerce extérieur. Il serait donc judicieux de réfléchir à des règles différentes pour les sociétés effectuant des exportations en dehors de l'Union européenne.

M. Thomas COURBE

Cette question est très pertinente. La réponse à apporter n'est cependant pas évidente.

Un effort a été consenti pour mieux différencier, sur le marché intérieur, les produits dont l'impact environnemental est moindre.

À l'export, la situation est plus complexe, car il n'existe aucun levier susceptible d'influer sur les réglementations locales.

M. Thierry CHAPUSOT, Equasens

Il serait possible d'imaginer une fiscalité ou une aide différente sur la partie export du chiffre d'affaires afin de redonner de la compétitivité sur ces marchés.

M. Antoine PONTAILLIER, groupe Next Emballage

Le groupe Next est spécialisé dans la fabrication d'emballages destinés au secteur agroalimentaire. Nous employons environ 120 personnes sur 3 sites industriels. Le groupe appartient au club des ETI de Nouvelle Aquitaine.

Je souhaitais interpeller MM. Ferraris et Courbe, et donner suite au propos relatif aux règles du jeu sur les marchés.

En mars 2020, les accents solennels du chef de l'État ont retenti pour expliquer qu'il fallait s'affranchir d'une tutelle sur des produits exotiques, notamment en matière de produits de santé.

Pour répondre à cette injonction présidentielle, j'ai investi 10 millions d'euros dans ce qu'il serait possible de qualifier de « patriotisme économique ». J'ai donc créé la plus belle usine de fabrication de masques au monde. Nous produisons des masques FFP2, des masques chirurgicaux, etc. L'objectif assumé est d'être le champion de cette production, au moins à l'échelle néo-aquitaine.

Or, deux ans et demi après le début de l'activité, nous nous interrogeons sur la capacité du gouvernement à tirer des leçons du passé. Ainsi, nous ne sommes toujours pas destinataires de marchés publics.

J'illustrerais les distorsions de concurrence par une anecdote : un acteur allemand du secteur nous a contactés pour nous proposer la production de 7 millions de masques. Nous avons accepté et nous sommes mis d'accord sur le prix. L'acteur en question nous a rappelé 48 heures plus tard pour nous proposer de démonter notre machine pour la remonter en Allemagne. Après que les masques ont été produits, la machine aurait été rapatriée sur notre site de production en France. Nous avons alors mis en exergue que cela coûterait une somme faramineuse. Il nous a été répondu que, pour honorer les marchés publics en Allemagne, il fallait produire sur le sol allemand.

En outre, l'appel d'offres de Santé publique France a été lancé hier. Il semblerait que nous soyons en train de nous tirer une balle dans le pied en continuant à importer 97 % de masques chinois. L'empreinte carbone de masques produits en Chine est sans commune mesure avec celle de nos masques produits à Nersac. De surcroît, le nombre de masques non conformes acheté avec de l'argent public laisse songeur.

Pour citer Margareth Thatcher, « Il n'y a pas d'argent public, seulement des taxpayers ». Il est nécessaire de penser les choses en termes d'écosystème. Dès lors, comment faire bouger les lignes ? L'administration française est-elle moins courageuse ou moins vertueuse que l'administration allemande ?

M. Thomas COURBE

Je ne crois pas que cela soit une question de courage, mais bien plutôt de légalité. En effet, ce que vous a proposé l'acheteur allemand est tout bonnement illégal au regard des droits français et européen.

Par ailleurs, pour rester dans le cadre légal de la commande publique au niveau européen et au niveau français, une circulaire a été adressée à tous les acheteurs publics de masques, notamment les hôpitaux. Cette circulaire demandait aux acheteurs d'organiser leurs cahiers des charges afin de maximiser les chances que des producteurs tels que vous puissent répondre à l'appel d'offres.

Il est important que nous entamions un dialogue afin de comprendre ce qui vous empêche de répondre à l'appel d'offres de Santé publique France. De fait, c'est bien grâce aux clauses sociales et environnementales que nous parviendrons à différencier votre offre de l'offre chinoise.

M. Sylvain BAUDRY

Je dirige des PME en Bourgogne dans différents secteurs d'activité. Cela représente 300 salariés pour 100 millions d'euros de chiffre d'affaires.

Nous sommes tous convaincus que nous devons nous orienter vers la RSE. Nous oeuvrons à cette fin. Contrairement à ce qui été dit précédemment, il me semble que les termes « simplification » et « administratif » sont antinomiques. Dès lors qu'une démarche est administrative, elle est forcément complexe, à l'image de nos PME.

Nous ne sommes pas dans une période de crise dont nous pourrions espérer sortir, mais dans une période de mutation faite de crises successives. Nos entreprises doivent être extrêmement réactives pour répondre à cela. Leur tempo n'est donc pas le même que celui de l'administration.

En tant qu'entreprise de transport, nos investissements se font sur le long terme : entre 5 et 10 ans pour nos véhicules et entre 10 et 15 ans pour nos machines de production. Par conséquent, au moment du choix de l'investissement, nous devons adopter une vision à long terme. Il est impensable d'opter pour une énergie, puis, de devoir en changer pour des raisons géopolitiques l'année suivante.

Nous avons besoin non pas d'un cap qui change au rythme des crises, mais d'une stratégie gouvernementale à long terme pour assurer un accompagnement et permettre d'appliquer des stratégies d'entreprise. Dès lors, le temps qui devrait être passé auprès des collaborateurs à investir et développer des stratégies ne doit pas être happé par des démarches administratives fastidieuses.

Mme Sandra GALLISSOT

Je suis entrepreneure et membre de la Confédération des petites et moyennes entreprises.

Pour rappel, les TPE représentent la majeure partie des entreprises en France. Ces structures sont concernées en premier lieu par la transition que nous évoquons aujourd'hui. Or, là encore, les dispositifs manquent parfois cruellement.

Je souhaitais souligner l'importance d'une certaine durabilité des accompagnements et des dispositifs d'aides. De fait, nous avons parfois l'impression que ces dispositifs sont déployés selon des modalités qui rappellent les campagnes marketing, à coup de soldes et de promotions. Cela est un peu déstabilisant et ne correspond pas aux attentes des entrepreneurs.

Pour finir sur une note plus positive : une réflexion a-t-elle été menée sur des dispositifs d'accompagnement à la création, à la reprise ou à la transmission afin que les entreprises puissent devenir des entreprises à mission ?

Mme Véronique DEGOTTEX

Nous fonctionnons pour notre part beaucoup avec des partenariats et de la croissance externe.

M. Vincent WISNER

De plus en plus de dirigeants qui se posent ces questions s'orientent vers la création de fondations actionnaires. Ces structures n'ont pas d'existence juridique. Elles permettent la transmission totale ou partielle d'un capital à un fonds de dotation à visée philanthropique.

À ce titre, la communauté De Facto réunit une vingtaine de dirigeants liés par des valeurs communes. Ces dirigeants se sont posé la question de la transmission et de l'héritage à laisser aux salariés et à la société dans son ensemble.

M. Thomas COURBE

Il est à noter que les évolutions géopolitiques ne modifient en rien la stratégie présentée par le Président le 12 février à Belfort.

Quelques mois plus tard, la Russie coupait les approvisionnements en gaz. Il était évidemment nécessaire d'apporter une réponse adaptée à cet événement. Toutefois, toutes les démarches entreprises vont dans le sens de l'accélération de la transition et de la souveraineté énergétique. Cela passe par le nucléaire et le déploiement accéléré des énergies renouvelables.

Pour ce qui est des TPE/PME, pour des questions d'efficacité, il sera plus pertinent de commencer par accompagner les PME. Cela n'enlève cependant rien à la nécessité de trouver des solutions adaptées pour les TPE. Nous y travaillons.

En outre, il est à noter que nous lançons parfois des aides qui se révèlent peu efficaces. Dans ces cas-là, ces aides sont interrompues ce qui peut donner l'impression qu'elles ont une durée limitée.

M. Jérôme CICILE, Proviridis

Proviridis est la première entreprise en France à avoir conçu, construit et exploité des stations multi-énergie décarbonées à l'attention des transports de marchandises et de voyageurs, mais aussi des transports particuliers. Nous proposons du biogaz, du GNC et du GNL ainsi que des superchargeurs électriques. Nous préparons par ailleurs l'arrivée de l'hydrogène, filière qui n'a pas atteint sa maturité et est encore extrêmement chère.

En outre, j'ai oeuvré 20 ans au sein de l'ADEME en tant que chargé de la transition énergétique transports et mobilité dans la région PACA.

Les questions de la mutation des entreprises, du choix des flottes de véhicules et des obligations réglementaires sont essentielles.

Le gaz, carburant à privilégier pour les transports lourds, était vendu à 80 centimes le kilo il y a de cela une quinzaine de mois. Il est désormais passé à 3,60 euros. Par ailleurs, le biogaz français est indexé au gaz fossile. Nous sommes donc pour ainsi dire prisonniers. Qui plus est, après une période de croissance, nous sommes désormais dans l'obligation de réduire nos effectifs.

La stratégie du gouvernement repose sur le mix énergétique. À chaque usage correspond une énergie. À ce titre, le gaz naturel véhicule est une très bonne réponse. En outre, l'électricité arrive à grands pas. Or les poids lourds électriques vendus par Renault coûtent 300 000 euros. La défiscalisation de 50 000 euros accompagnée d'un bonus permet de bénéficier d'environ 100 000 euros pour s'équiper de véhicules électriques, sans compter les aides dédiées aux infrastructures de recharges véhicules électriques (IRVE) dans le cadre du programme Advenir financé par les CEE.

Mme Véronique DEGOTTEX

Merci pour ces compléments d'information. Cependant, même avec ces mesures, nous ne parvenons pas à rester compétitifs. Dès lors, il est difficile de résister aux offres des fournisseurs asiatiques qui se targuent de proposer des produits fiables, disponibles et, surtout, moins chers.

Par ailleurs, les ETI représentent un tiers des exportations, cela avec une minorité d'acteurs. Il convient donc de leur apporter le soutien nécessaire.

M. Bernard BOULANGER

Mon cas est un peu particulier, car je possède deux petites entreprises agroalimentaires en Guyane.

Nous avons bénéficié de l'accompagnement de notre CCI pour l'établissement de notre bilan énergétique. Nous sommes également passés à un éclairage par LED ce qui nous a permis de réaliser une première économie.

Il est étonnant, lorsqu'il est question de transition environnementale, de décarbonation ou encore de transition énergétique, que l'autoconsommation soit si rarement évoquée.

Compte tenu du coût de l'énergie, il est surprenant que le gouvernement ne mène pas des actions fortes pour aider les entreprises à installer des panneaux solaires afin qu'elles puissent s'inscrire dans une démarche d'autoconsommation directe.

M. Thomas COURBE

Vous avez tout à fait raison. D'une part, les aides de l'ADEME vont dans ce sens. D'autre part, le décret tertiaire prévoit l'équipement en panneaux solaires d'un certain nombre de structures afin qu'elles puissent se lancer dans l'autoconsommation.

Le décret tertiaire permettra de massifier le recours aux panneaux photovoltaïques.

En outre, des projets d'écosystème - par exemple de récupération de chaleur fatale - existent.

Mme Carole BERNARD

Je suis coiffeuse et ai obtenu le label « Développement durable, Mon coiffeur s'engage » en Saône-et-Loire.

Le cahier des charges dont je dispose pourrait être un modèle pour de petites structures désireuses de réaliser des économies d'énergie.

Nous sommes cependant un peu perdus devant la profusion des labels. Nous travaillons de plain-pied avec la clientèle et sommes en mesure de constater que tous ces labels ne lui disent absolument rien.

Mme Catherine GUERNIOU

Vous avez entièrement raison. La pléthore de labels suscite une confusion. La même situation se retrouve dans le domaine agroalimentaire.

Mme Carole BERNARD

Je précise que j'ai dû faire face à un contrôle de la répression des fraudes alors même que je suis la seule personne à bénéficier d'un label en Saône-et-Loire. Les agents de la répression des fraudes sont eux-mêmes victimes de cette confusion. Ils m'ont posé énormément de questions et confondaient développement durable et colorations végétales et bio. Or tout cela n'a rien à voir, car les structures peuvent tout aussi bien trier leurs déchets ou s'équiper de LEDs pour s'inscrire dans une démarche de développement durable.

M. Thomas COURBE

Je rappelle qu'une partie de ces labels est privée. Ces labels sont notamment organisés par les fédérations professionnelles. Il importe donc de trouver des accords avec ces fédérations dans une optique de rationalisation.

Sur la question du made in France , il existe aussi une multiplicité de labels ce qui occasionne des problèmes de visibilité pour le consommateur final.

M. Jérémy CANTIN, e-Néo

Notre entreprise implantée en Vendée travaille à la conversion des poids lourds thermiques en véhicules à hydrogène et électriques.

Le seul frein au développement en France tient à la législation et à la vitesse à laquelle les véhicules sont homologués. De fait, l'État ne dispose pas d'effectifs suffisants pour procéder à l'homologation des véhicules à un rythme qui permettrait d'assurer une transition énergétique efficace. Peut-on attendre des engagements à ce sujet ?

M. Thomas COURBE

Concernant les effectifs dévolus à l'homologation, je ne suis pas en mesure d'apporter une réponse immédiate, mais prends bonne note de la question.

M. Cyril BOLLIET, Fédération du bâtiment et des travaux publics du Var

À ce jour, il n'est pas certain que la commande publique soit la meilleure alliée des circuits courts et du localisme qui sont pourtant des soutiens importants à la transition énergétique.

Il importe de trouver des réponses au fait qu'à l'heure actuelle, la réglementation reste un frein à la mise en oeuvre de solutions innovantes comme l'usage de matériaux recyclés. Ces solutions seraient pourtant extrêmement valorisantes. Le législateur pourrait se pencher sur ces sujets.

Je m'interroge également sur le niveau de formation des agents techniciens ou acheteurs publics. Ils sont en effet très demandeurs de montée en compétence. Il devrait y avoir un peu plus d'interaction entre le monde économique et les acheteurs, car les montées en compétences doivent être mutuelles. Des expériences sont menées par le CNFPT, mais tout cela reste encore balbutiant.

M. Thomas COURBE

Il convient, là encore, de ne pas sous-estimer l'amélioration apportée aux cahiers des charges de la commande publique.

Cependant, pour ce qui est de l'allotissement pour l'accès aux PME, il reste effectivement beaucoup à faire.

M. Lionel FERRARIS, UGAP

Concernant la formation des acheteurs, il existe bien évidemment des axes d'amélioration. Le plan national pour les achats durables piloté de manière interministérielle travaille d'ores et déjà à des mesures sur le sujet.

Cependant, les entreprises n'ont pas attendu l'appui de l'État pour mettre en place des initiatives admirables qui viennent nourrir nos cahiers des charges.

Quant aux achats innovants, la réglementation a fait l'objet d'assouplissements très significatifs, même s'il reste bien entendu beaucoup à faire.

M. Frédéric DELCROIX, Jokey France

L'entreprise Jokey, implantée dans le Pas-de-Calais, est spécialisée dans la fabrication d'emballages.

Nous évoquions la simplification administrative. À ce titre, je rappelle que le dispositif OPERAT a été mis en place afin de faciliter les déclarations de consommation d'énergie pour les bâtiments administratifs et logistiques de plus de 1 000 mètres carrés. Cela ne représente toutefois qu'un très faible pourcentage de notre consommation énergétique. L'instrumentation de la consommation de nos bâtiments ne nous a donc pas semblé être une priorité.

En revanche, OPERAT nous donnera des objectifs de réduction de l'ordre de 60 % en termes de consommation énergétique au sein de nos bâtiments.

Les sujets environnementaux n'ont pas été découverts dans le contexte de crise actuel. Nous avions déjà mené de nombreuses actions telles que des travaux d'isolation, l'installation de LEDs ou encore la récupération de l'énergie produite par l'usine pour chauffer nos bâtiments.

M. Philippe Blanc, groupe MAF

Mon entreprise compte 1 200 personnes et oeuvre dans le domaine du conditionnement de fruits, avec une part d'export de 85 % pour 200 millions d'euros de chiffre d'affaires.

La question de l'export pose véritablement problème. Compte tenu du niveau d'endettement de la France, il est nécessaire de prendre des mesures fortes à ce niveau.

III. TABLE RONDE N°2 : RÉUSSIR LA TRANSMISSION ET LA REPRISE D'ENTREPRISES, UNE PRIORITÉ DANS NOS TERRITOIRES

M. Emmanuel CUGNY

Avant d'accueillir les intervenants à cette table ronde, je vous propose de regarder un bref reportage portant sur le travail mené par la mission sénatoriale des entreprises et les rapporteurs.

Vidéo de présentation par les co-rapporteurs de la Délégation sur la la transmission d'entreprise

Le rapport de la Délégation aux entreprises du Sénat sur la transmission d'entreprises sera examiné le 27 octobre prochain. Un résumé de ce rapport vous a été remis.

Nous allons à présent évoquer le sujet de cette table ronde avec les invités suivants :

• M. Florent Bonniou, dirigeant de l'entreprise Sobrefer, société bretonne de ferraillage spécialisée dans la réalisation d'armatures métalliques ;

• Mme Nelly Hemmo-Haladjian, Directrice générale du groupe Haladjian, leader des solutions globales dans les secteurs de la construction, des mines et de l'industrie ;

• Me Jean-François Desbuquois, avocat fiscaliste, membre du Cercle des fiscalistes et de l'Institut des avocats conseils fiscaux (IACF) ;

• M. Frédéric Parrenin, membre de la Direction de la législation fiscale à Bercy.

Florent Bonniou, pourriez-vous nous présenter votre entreprise et nous expliquer comment s'est déroulé votre projet de reprise ? En effet, l'histoire et les motivations de cette reprise sont très intéressantes.

M. Florent BONNIOU, dirigeant de l'entreprise Sobrefer

J'ai repris Sobrefer il y a de cela un an. Il s'agit d'une société de ferraillage implantée à Locmaria-Plouzané, à l'ouest de Brest. Nous sommes 21 collaborateurs pour une activité dégageant environ 3 millions d'euros de chiffre d'affaires.

Nous réalisons des armatures métalliques pour le béton armé. Les poutres métalliques que nous fabriquons sont distribuées à tous les acteurs du gros oeuvre sur le secteur brestois.

Cette très belle entreprise aura 50 ans cette année. Elle a été créée en 1972. Il s'agissait originellement d'une entreprise familiale créée par l'oncle du cédant. Elle a ensuite été transmise au chef d'atelier. L'entreprise a de nouveau été transmise au neveu de la famille fondatrice en 2022. Ce même neveu me l'a transmise il y a de cela un an.

J'appartenais auparavant à un grand groupe international au sein duquel je dirigeais une entité de 50 personnes. Or j'avais toujours souhaité entreprendre, mais je ne savais pas comment aborder le sujet. Il n'existe effectivement pas de guichet unique auquel s'adresser pour reprendre une entreprise.

Le bouche-à-oreille m'a permis de rencontrer le conseil qui m'accompagne encore à ce jour. Nous avons évoqué non pas des questions de fiscalité, mais mes goûts et mes envies. J'ai donc été amené à mener un travail sur moi-même pour déterminer le type d'entreprise que je souhaitais reprendre.

M. Emmanuel CUGNY

Le cédant vous a-t-il fixé des conditions pour la reprise ?

M. Florent BONNIOU

Les choses se sont faites très simplement. Nous avons eu une entrevue d'une heure en novembre 2020. Le cédant m'a alors fait visiter l'entreprise. À la fin de la visite, il m'a fixé deux conditions : d'une part, que l'entreprise reste à Locmaria-Plouzané. Le cédant avait effectivement à coeur de vendre les parts et les murs, ce qui me convenait très bien. D'autre part, il m'a demandé une somme pour l'entreprise. L'affaire était réglée. La confiance s'est établie dès le départ.

Je me préparais à cette reprise depuis quatre ans. J'avais défini ma cible et préparé mes moyens financiers. Mon apport s'élevait à 155 000 euros. Tout s'est par ailleurs bien passé avec les banques. Ainsi, j'ai pu bénéficier de prêts à taux zéro. Il est cependant à noter que ces prêts ne sont accordés que lorsque la reprise est signée. La question de l'apport est donc un vrai sujet.

M. Emmanuel CUGNY

Nelly Hemmo-Haladjian, malgré quelques similitudes sur la forme et le fond, votre expérience est foncièrement différente. Vous n'avez pas repris une entreprise, mais vous êtes inscrite dans une démarche de transmission.

Mme Nelly HEMMO-HALADJIAN, Directrice générale du groupe Haladjian

Le groupe Haladjian propose des solutions globales dans les domaines de l'industrie, des mines et de la construction.

Cette société basée dans le sud de la France, près d'Avignon, a été créée par mon grand-père, ancien mécanicien.

Nous dégageons à l'heure actuelle 120 millions d'euros de chiffre d'affaires et comptons 300 collaborateurs, 250 en France et 50 au sein de nos filiales internationales. Nous sommes notamment présents sur le continent africain, au Burkina Faso, au Sénégal et en Côte d'Ivoire.

J'ai rejoint le groupe il y a 15 ans, au départ en tant que cheffe de projet pour la mise en oeuvre d'un important système d'information. Cette mise en oeuvre avait été décidée par mon père et ce dernier ne parvenait pas à achever son implémentation. Ce projet structurant était en effet compliqué à appréhender pour une entreprise de cette taille.

Après des études de commerce à Grenoble, j'étais allée en Chine pour une expérience à l'international. Lorsque mon père m'a demandé de rejoindre le groupe, je n'ai pas réfléchi, endossant immédiatement ce rôle de cheffe de projet digital pour ensuite évoluer sur la partie SI dans un contexte de transformation de nos outils. J'ai ensuite occupé diverses fonctions opérationnelles.

Mon frère m'a rejoint il y a une dizaine d'années et, depuis 5 ans, nous travaillons véritablement sur la transmission.

Nous n'étions pas destinés à reprendre l'entreprise. Notre père avait toujours instillé l'idée que seule la passion assure la réussite. Cependant, tout naturellement, mon frère et moi en sommes arrivés à travailler au sein de l'entreprise familiale et à développer un attrait substantiel pour cette activité. Nous avons donc indiqué à notre père que nous souhaitions reprendre l'entreprise ensemble.

La transmission et la reprise d'une entreprise impliquent d'organiser la gouvernance et les holdings animatrices pour faire en sorte que les choses se fassent dans de bonnes conditions.

M. Emmanuel CUGNY

Votre statut au sein de l'entreprise procède-t-il de votre droit d'aînesse ?

Mme Nelly HEMMO-HALADJIAN

J'occupe les fonctions de présidente du groupe et de la holding animatrice. Nous avons mis en oeuvre, mon frère et moi, une présidence tournante. Chacun occupe ces fonctions pendant 3 ans.

Il a bien évidemment fallu se mettre d'accord et établir un pacte d'actionnaires, ce qui n'est pas toujours évident pour un frère et une soeur. Il était néanmoins nécessaire, pour notre père et nous, que nous ayons exactement les mêmes ambitions. Il était important que les choses soient écrites et structurées.

Je précise que notre père n'avait pas eu cette chance, car il avait dû reprendre le groupe à la mort de notre grand-père. Rien n'avait donc été préparé.

M. Emmanuel CUGNY

Deux cas différents nous ont été présentés : une reprise et une transmission. Jean-François Desbuquois, les deux exercices sont-ils réellement différents sur le fond ?

M. Jean-François DESBUQUOIS

Le second exemple est un peu plus complexe, car il met en jeu des relations familiales. Les paramètres techniques sont également plus compliqués, car ce type de transmission procède du droit civil de la famille et donc d'une fiscalité qui diffère complètement de celle d'une cession.

Comme cela a été décrit, une transmission familiale suppose une anticipation. Il peut cependant s'agir d'une transmission suite à un décès ce qui peut occasionner des situations catastrophiques lorsque la reprise doit se faire brutalement.

Je souhaiterais insister sur la dimension fiscale de la transmission ou de la donation. Ce volet doit absolument être maîtrisé, faute de quoi la transmission sera extrêmement difficile. Il convient d'aborder ces questions le plus tôt possible afin de se donner tout le temps nécessaire pour bien les examiner et les gérer. Ce paramètre est fondamental, car la possibilité d'un décès accidentel ne peut jamais vraiment être écartée. Sans anticipation, cela peut générer un réel traumatisme.

M. Emmanuel CUGNY

Frédéric Parrenin, entre transmission et reprise, une des deux options est-elle plus avantageuse que l'autre à vos yeux ?

M. Frédéric PARRENIN, Direction de la législation fiscale

Les choses dépendent avant tout de choix inhérents à la famille concernée ou aux aspirations de l'entrepreneur.

Je tiens dans un premier temps à recadrer mon intervention : j'appartiens à un bureau très particulier de la Direction de l'administration fiscale. Je ne m'occupe donc pas des droits de mutation à titre onéreux, mais bien des questions de fiscalité du patrimoine. Je travaille en outre au sein de la sous-direction de la fiscalité des particuliers. Compte tenu de mes attributions, je suis relativement limité dans ma capacité à répondre à certaines questions.

Ceci étant dit, notre bureau est sensible aussi bien à la transmission sous forme de cession qu'à la transmission à titre gratuit. Outre la mise en place du prélèvement forfaitaire unique au cours de la précédente législature, nous avons maintenu l'abattement de 500 000 euros dédié aux cessions d'entreprises en vue du départ en retraite. Cet abattement est propre aux personnes cédant une structure dans un délai qui suit ou précède de 2 ans leur départ en retraite ou leur cessation d'activité. La prorogation de ce dispositif jusqu'en 2024 a aussi été décidée du fait des difficultés rencontrées par les personnes souhaitant procéder à des cessions pendant la période de pandémie.

Par ailleurs, nous avons donné la possibilité aux personnes parties en retraite depuis 2019 de céder leurs entreprises dans un délai non plus de 2 ans, mais de 3 ans.

Nous sommes sensibles au fait que les entreprises sont un tissu à entretenir. Cependant, comme le disait Me Desbuquois, parler de transmissions à titre gratuit revient à évoquer des questions de droit civil et de patrimoine. Il n'est donc pas possible de raboter à l'envi les droits dus sur les transmissions d'entreprises, ne serait-ce que par respect des principes fondamentaux d'égalité devant l'impôt. Ce message est essentiel.

M. Emmanuel CUGNY

Florent Bonniou, compte tenu de l'importance de la notion de temps long, comment se préparer à une reprise ? Faut-il travailler conjointement avec des avocats ?

M. Florent BONNIOU

J'ai effectivement contacté un avocat qui est d'ailleurs mon conseil depuis quatre ans. Pendant deux ans, j'ai aussi fait partie du CRA (association cédants et repreneurs d'affaires).

Dans les faits, il importe avant tout de définir son projet.

En outre, l'entreprenariat est indissociable de la dimension humaine, principalement incarnée par les salariés. C'est là que réside la valeur de l'entreprise. Or, dès la genèse de mon projet, cet aspect me tenait véritablement à coeur.

M. Emmanuel CUGNY

Considérez-vous qu'à l'heure actuelle, la France, ses institutions et ses banques favorisent la reprise d'entreprises ?

M. Florent BONNIOU

Dans mon cas, les choses se sont très bien passées, car je me suis préparé et ai pu bénéficier d'aides et de prêts à taux zéro. En outre, il existe un programme appelé Breizh Fab développé par la région Bretagne. Grâce à ce programme, j'ai pu bénéficier pendant 12 jours de l'accompagnement de consultants qui m'ont aidé à suivre mon projet de transformation. Cela représente une aide de plus de 20 000 euros.

Les choses sont relativement bien coordonnées en France. En revanche, la reprise de petites entreprises continue à poser problème. En effet, de nombreux repreneurs potentiels ne seront pas en mesure d'investir des fonds dans leur projet.

M. Emmanuel CUGNY

Parce qu'ils ne sont pas suivis par les banques ou parce que le business plan n'est pas satisfaisant ?

M. Florent BONNIOU

Plus les entreprises sont petites et plus les banques sont frileuses. Il faudrait peut-être que l'État mette en place des mesures incitatives pour que les banques examinent les petits dossiers.

En outre, le départ à la retraite d'un cédant peut être vécu comme un traumatisme. Il serait judicieux d'inciter ces cédants à réinvestir quelques fonds et/ou à accompagner les repreneurs pendant quelques années. D'une part, cela permettrait de combler les sommes qui manquent au repreneur et, d'autre part, le cédant resterait présent pendant quelque temps au sein de son entreprise dans une position de conseil.

M. Emmanuel CUGNY

Nelly Hemmo-Haladjian avez-vous rencontré des difficultés de ce type ? Avez-vous pu bénéficier d'aides ?

Mme Nelly HEMMO-HALADJIAN

Nous avons effectivement été aidés. De surcroît, nous sommes passés en quelque temps du statut de PME régionale à celui d'ETI. Le fait de travailler avec mon frère et notre père nous a permis de nous répartir les sujets et d'aller chercher des conseils et des banques qui pouvaient nous accompagner dans notre démarche.

Nous avons fait usage du pacte Dutreil et nous continuons à l'utiliser. Il s'agit d'un outil formidable, mais très complexe.

Au final, il est crucial que le cédant soit prêt et que les repreneurs le soient aussi. Il peut arriver que les transmissions se passent mal parce que le cédant se dit prêt, mais ne l'est pas véritablement. Car, en outre, certaines conditions de direction opérationnelle et d'engagements des titres doivent aussi être satisfaites.

M. Emmanuel CUGNY

Me Desbuquois, serait-il possible d'établir une sorte de benchmark entre la France et l'Allemagne ?

M. Jean-François DESBUQUOIS

La France souffre d'un déficit dramatique de transmissions familiales. Nous ne disposons pas de statistiques précises sur le sujet, mais les sources s'accordent à dire qu'environ 15 % des transmissions sont familiales tandis que 85 % sont des ventes ou des cessions financées par un tiers. En Allemagne, le taux de transmissions familiales avoisine les 60 %. Par ailleurs, la proportion de transmissions familiales est de 70 % en Italie et d'environ 90 % en Suède. Les causes de cette disparité entre la France et les pays voisins sont complexes, mais tiennent en partie à la fiscalité française.

Il importe cependant de ne pas négliger les transmissions familiales. De fait, la transmission de certaines PME est compliquée par des contingences d'ordre géographique. Il est en effet difficile de faire venir des repreneurs dans certaines zones. Le marché de la cession est relativement équilibré, puisqu'il y a à peu près autant de repreneurs que de vendeurs. Cependant, le nombre de repreneurs est plus élevé en Île-de-France qu'ailleurs. Dès lors, la transmission familiale peut être une solution.

En outre, certaines très grandes entreprises françaises sont détenues par une même famille depuis plusieurs générations. Si la transmission familiale n'est plus permise, ces groupes devront être vendus. Or cela impacterait considérablement l'économie nationale.

Pour ce qui est des PME, sauf modèle économique extraordinaire, il faut leur laisser le temps de devenir des ETI. Là encore, si les transmissions familiales ne sont plus permises, cela pourrait entraîner des pertes de savoir-faire ou encore des délocalisations d'emplois. La société serait en outre dans l'obligation de payer, sous forme de distributions des dividendes, le remboursement des prêts nécessaires à son rachat.

M. Emmanuel CUGNY

À vous entendre, la transmission familiale est peu consommatrice de capital.

M. Jean-François DESBUQUOIS

Dans le cadre d'une transmission familiale, la seule consommation de capital a trait à la fiscalité. Cette consommation peut être fortement réduite grâce au pacte Dutreil.

En outre, le chef d'entreprise cédant peut avoir besoin de reconstituer un patrimoine privé. En effet, le patrimoine privé du chef d'entreprise peut être relativement modeste par rapport à la valeur de son entreprise. Or, lorsqu'il transmet sa société à ses enfants, il ne perçoit pas de contrepartie financière.

M. Emmanuel CUGNY

Pourriez-vous nous présenter les avantages et les inconvénients du pacte Dutreil ?

M. Jean-François DESBUQUOIS

Le pacte Dutreil est un dispositif purement fiscal visant à favoriser les donations ou les successions portant sur des entreprises.

En France, le barème de droits de mutation à titre gratuit est considérable et sans commune mesure avec celui de tous les autres pays européens. Il s'agit en effet du troisième barème le plus lourd du monde. Ainsi, en France, les droits de succession montent très rapidement dans une tranche à 45 %. Dès lors, si les enfants d'un cédant sont dans l'obligation de payer pratiquement la moitié de la valeur de l'entreprise sous forme d'impôts de succession, la situation devient vite intenable. C'était pourtant bel et bien le cas dans les années 1982 à 2000. Par conséquent, il n'y a eu quasiment aucune transmission familiale pendant cette période. Le nombre d'ETI en France a alors connu une stabilité, voire une décroissance alors même que la France comptait presque autant d'ETI que l'Allemagne en 1980. À l'heure actuelle, nous dénombrons entre 4 500 et 5 000 ETI tandis que l'Allemagne en compte 13 000.

Le pacte Dutreil a été élaboré pour créer de meilleures conditions de transmission. Il est assorti d'un certain nombre de conditions qui permettent d'expliquer l'écart de fiscalité avec les autres redevables. L'une des conditions est de s'engager à conserver l'entreprise familiale pendant au moins 6 ans.

Les avantages attendus consistent en une exonération de 75 % de la valeur de l'entreprise qui n'est pas soumise au droit de succession ainsi qu'en une réduction d'impôt de 50 % ou une réduction lors de la conservation de l'usufruit. Le gain fiscal est significatif. Cependant, il est à noter qu'à terme, l'entreprise paye généralement elle-même les droits de donation et de succession, le dividende étant imposé.

Globalement, le taux est de 15 à 16 % pour une succession et d'environ 8 % pour une donation. Ces taux sont très favorables comparativement aux 45 % de droit commun en France. En revanche, ils sont beaucoup moins avantageux que les taux pratiqués par d'autres pays européens.

M. Emmanuel CUGNY

Frédéric Parrenin, pouvez-vous nous apporter quelques éclairages sur cet aspect fiscal ?

M. Frédéric PARRENIN

Il est nécessaire de garder à l'esprit qu'en France, plus de 80 % des successions en ligne directe sont exonérées.

Le manque de chiffres sur le sujet nous est souvent reproché. Des mesures visant à alléger les obligations déclaratives ont été prises. Or l'allégement occasionne une perte de matière informatique. Ce déficit d'information est donc le corollaire de la simplification de la vie des usagers.

Lors de la précédente table ronde, il avait été rappelé que les TPE représentent 90 % de l'effectif. Il faudrait peut-être rapprocher le nombre de TPE et la part des cessions réalisées en France. Cela ferait écho au propos de M. Bonniou selon lequel les banques ne s'intéresseraient pas aux TPE. Il s'agit de se demander si les enfants eux-mêmes sont intéressés par la perspective de reprendre les TPE de leurs parents. La question est ouverte.

En ce qui concerne les droits de mutation à titre gratuit, le taux appliqué aux transmissions en ligne directe peut atteindre les 45 %. Cependant, cela s'accompagne d'une batterie d'avantages. Dans le cadre de la transmission à des tiers, le taux s'élève à 60 %. Il est donc compréhensible que la transmission à titre gratuit fonctionne assez peu.

Outre le pacte Dutreil qui est un levier extrêmement puissant, il existe un dispositif d'abattement en faveur des transmissions à titre gratuit opérées au profit des salariés. Ce dispositif est assez puissant puisque l'abattement peut atteindre les 300 000 euros.

Mme Nelly HEMMO-HALADJIAN

Ce débat est très technique et semble assez éloigné de notre quotidien de repreneurs d'entreprises. Au-delà des aspects fiscaux, la volonté de reprendre une entreprise est motivée par la passion. Or cette passion est parfois freinée par des débats un peu trop spécialisés.

Des dispositifs utiles existent et nous sommes déjà en mesure de travailler efficacement et en collaboration. Néanmoins, il faut continuer sur cette lancée et sanctuariser un certain nombre de dispositifs afin de les pérenniser.

M. Emmanuel CUGNY

À ce titre, avez-vous des propositions à formuler ?

Mme Nelly HEMMO-HALADJIAN

Les indicateurs participent de la vie de l'entreprise. De fait, nous proposons, avec le METI, de mettre en place un indicateur de transmission concret. Cela ne serait pas très coûteux et permettrait de déterminer si les mécanismes existants contribuent véritablement à la transmission d'entreprises.

M. Emmanuel CUGNY

Florent Bonniou, avez-vous des réactions ou des propositions à formuler ?

M. Florent BONNIOU

Les transmissions et les reprises d'entreprises sont souvent auréolées de mystère. Les annonces proposant des reprises ne sont pas épinglées sur la place publique. Il importe donc de mener des actions d'information sur les dispositifs existants, et cela dès le plus jeune âge.

Qui plus est, il serait peut-être pertinent de centraliser les points d'accès à la reprise d'entreprises.

Sobrefer est la plus grande entreprise de Locmaria-Plouzané. Il est crucial que cette structure soit implantée à cet endroit. La question de l'ancrage territorial est donc fondamentale.

M. Emmanuel CUGNY

Jean-François Desbuquois, quelles réformes peuvent-elles être envisagées pour aller de l'avant et faciliter les transmissions et les reprises ?

M. Jean-François DESBUQUOIS, avocat fiscaliste

Il n'est pas certain qu'il faille lancer de nouvelles réformes sur la partie fiscale. En effet, la transmission familiale a déjà été beaucoup amendée. Le pacte Dutreil existe depuis 2000. Depuis cette date, 17 réformes législatives sont intervenues. Or, le dispositif étant assez complexe, chaque modification fait perdre un peu de stabilité aux redevables et aux conseils qui doivent alors se réapproprier le système. En outre, l'administration doit de nouveau le commenter, ce qui prend un certain temps. Il serait donc plus raisonnable de laisser ce dispositif fonctionner en l'état pendant un certain temps.

M. Emmanuel CUGNY

Dès lors, sur quels leviers est-il possible d'agir pour répondre aux attentes des entrepreneurs ?

M. Jean-François DESBUQUOIS

Il serait possible d'agir sur la fiscalité, mais en périphérie du pacte Dutreil. Ainsi, le sujet de la holding animatrice est la pierre angulaire de toute la fiscalité du chef d'entreprise. Cette notion a subi un certain nombre d'évolutions jurisprudentielles. Son cadre législatif n'est pas encore formé, ce qui laisse planer un flou et une insécurité juridique dramatique. De fait, une société transmise avec une qualification de holding animatrice qui se révèle erronée doit restituer tous les avantages fiscaux conférés au moment de la transmission. Ce point est donc à stabiliser et à clarifier.

D'autres sujets sur lesquels il serait possible d'agir concernent l'accompagnement du paiement, notamment des droits de donation et de succession. Le régime permettant d'échelonner ces paiements sur 15 ans mériterait d'être amélioré.

La situation est un peu différente dans le cadre d'une transmission familiale, car les successeurs ont vécu dans une famille de chefs d'entreprise. Ils connaissent la société et son activité.

Mme Nelly HEMMO-HALADJIAN

Les parents chefs d'entreprise ne font pas forcément baigner leurs enfants dans l'entreprenariat, à plus forte raison si l'environnement de l'entreprise est extrêmement technique.

Ainsi, notre père souhaitait opérer une séparation entre les sphères professionnelle et privée. Quant à nous, nous essayons d'intéresser nos propres enfants à notre activité et à la compréhension de l'entreprise. Cependant, comprendre l'entreprise et vouloir la reprendre sont deux choses différentes. Se lancer dans une reprise uniquement pour reprendre le flambeau engendre des catastrophes.

M. Emmanuel CUGNY

Quelle est la réaction de vos enfants lorsque vous leur parlez de transmission et d'avenir ?

Mme Nelly HEMMO-HALADJIAN

J'essaie de leur transmettre la passion de notre métier et la compréhension des raisons pour lesquelles nous nous battons quotidiennement. En revanche, il n'y a aucune obligation.

M. Jean-François DESBUQUOIS

La formation précoce des jeunes est un sujet très intéressant. Ainsi, certains grands groupes qui finissent par devenir des ETI ou des entreprises internationales comptent des centaines d'actionnaires familiaux. Les jeunes actionnaires sont formés très tôt afin non seulement de détecter les éventuels dirigeants potentiels, mais aussi de faire en sorte que tous les futurs détenteurs du capital soient conscients de leurs responsabilités.

M. Emmanuel CUGNY

Peut-être faudrait-il évoquer ce sujet avec l'Éducation nationale, laquelle a certainement un rôle à jouer sur ce volet.

Frédéric Parrenin, pourriez-vous synthétiser les changements possibles au niveau fiscal et nous donner des renseignements supplémentaires sur le pacte Dutreil ?

M. Frédéric PARRENIN

Originellement, le pacte Dutreil était limité aux transmissions par décès, avec un engagement de 16 ans. Il est donc clair qu'à l'heure actuelle, nous avons gagné en souplesse puisqu'au fil des ans, les conditions se sont sensiblement allégées. À tel point que nous craignons désormais que le Conseil constitutionnel ne vienne censurer le texte, car il serait en inadéquation avec l'objectif poursuivi. Dans ce cas-là, nous serions amenés à recréer un dispositif qui serait en définitive moins favorable.

J'abonde donc pleinement dans le sens de Me Desbuquois : il ne faut plus toucher à un texte dont la rédaction est d'ailleurs extrêmement disparate. En effet, ce texte a été modifié un peu à l'emporte-pièce. Il est donc affreusement complexe.

Concernant les holdings animatrices, le concept remonte à 1978 et a connu son essor lors de la mise en place de l'impôt sur les grandes fortunes. Il s'agit d'une construction prétorienne destinée à prendre en considération les grands capitaines d'industrie. Ce concept est cependant transverse et s'applique dans diverses situations de la vie fiscale des entreprises. Par conséquent, cette construction est également devenue un outil de fabrication de structures juridiques afin d'optimiser les transmissions.

Dans tous les cas, la holding animatrice reste une construction jurisprudentielle. Nous sommes donc très embarrassés à l'idée de légiférer sur ce sujet.

Nous avons récemment été confrontés à une décision de jurisprudence qui a montré que l'animation des filiales est un état de fait. En 2021, dans le cadre de l'affaire Finarea, la Cour de cassation a rendu un arrêt dans ce sens. Légiférer pour échafauder des critères sur un état de fait est donc assez compliqué. Il serait peut-être préférable de laisser cela à l'appréciation des juges.

M. Emmanuel CUGNY

Je cède à présent la parole à la salle.

Mme Dominique ALBA

Je dirige un certain nombre de petites entreprises dans le domaine de l'équipement de la personne.

Il a beaucoup été question de transmissions patrimoniales, mais moins de transmissions d'entreprises en difficulté.

Concernant le manque de statistiques, il me semble que ce problème tient à la structure même des entreprises en France et à leur taille. Au sein d'une entreprise de 20 personnes, il y a forcément 3 ou 4 salariés qui font l'entreprise. Lors d'une transmission ou d'une difficulté rencontrée par l'entreprise, ces salariés peinent à reprendre eux-mêmes la structure, cela pour deux raisons : d'une part, leur avis leur est rarement demandé ; d'autre part, parce qu'ils ne disposent pas des fonds nécessaires.

Dès lors, il serait pertinent de créer un compte destiné aux repreneurs/entrepreneurs qui correspondrait à deux ou trois années de salaire. Cela ne représenterait pas une dépense exorbitante pour l'État, compte tenu des indemnités de chômage et du fait qu'il faille, dans tous les cas, indemniser les salariés. Ces derniers pourraient ainsi disposer d'un capital et être intégrés intellectuellement et financièrement dans le fonctionnement de l'entreprise.

En outre, cela améliorerait la transparence. En effet, informer les salariés d'une potentielle transmission suscite généralement de l'inquiétude, de la démotivation et, souvent, des départs. Cela induit donc une dévalorisation de l'entreprise. Le fait de rendre possible l'accession des salariés au capital réglerait beaucoup de problèmes.

Mme Nelly HEMMO-HALADJIAN

Les entreprises familiales ont à composer avec un volet patrimonial, mais aussi avec des aspects très opérationnels. De fait, pour fidéliser les collaborateurs, il est nécessaire de les faire monter au capital. Le groupe Haladjian prépare cette démarche. C'est aussi ainsi que nous pourrons développer notre activité et répondre à une réelle attente des salariés.

M. Jean-François DESBUQUOIS

Dans certains cas de figure, un chef d'entreprise souhaitant prendre sa retraite n'a pas de descendants et ne trouve pas de repreneur. Il arrive donc que ce dirigeant donne sa société à ses salariés. Le pacte Dutreil le permet. Dans ce type de situation, l'ancrage social et territorial d'une PME est conservé, car qui mieux qu'un salarié en activité depuis des décennies pour continuer à faire fonctionner une entreprise ?

Mme Géraldine BOURGEOIS

Je suis à la tête d'une petite entreprise de coiffure et d'esthétique dans l'Yonne.

Je souhaitais alerter sur le fait que pour les entreprises de l'artisanat, la problématique n'est pas de déterminer comment transmettre nos entreprises, mais de savoir qui va les reprendre.

Les études supérieures ont été fortement encouragées. Le corollaire est que les artisans ont énormément de mal à recruter des salariés et à trouver des personnes susceptibles de faire perdurer nos activités. Cela nous pousse à nous interroger sur le devenir des diplômés du tertiaire lorsqu'il n'y aura plus personne pour produire.

M. Jean-François DESBUQUOIS

Faire des études supérieures n'empêche pas d'envisager d'exercer des métiers manuels ou artisanaux. Certains jeunes retrouvent un attrait pour la gestion de toutes petites structures et souhaitent jouer un rôle social et avoir un ancrage local.

M. Guillaume MULLIEZ, président de l'association 60 000 Rebonds

Je préside l'association 60 000 Rebonds. Cette communauté de bénévoles accompagne les dirigeants qui déposent le bilan ou font faillite afin de les aider à rebondir.

Une des difficultés rencontrées dans le cadre d'un projet de reprise est le manque d'informations. Il n'existe pas de fichier regroupant les dirigeants souhaitant transmettre leurs entreprises.

En outre, il est à noter que les personnes souhaitant rebondir ont à coeur de recréer leurs structures et ne souhaitent pas immédiatement recruter des employés. Pourtant, environ 3 ans après la création, ils ont en moyenne 3,5 salariés.

Une autre problématique touche aux financements. Les entrepreneurs n'ont pas droit aux allocations chômage. Dès lors, il serait judicieux de prévoir une cagnotte afin de les aider à se remettre en selle.

M. André KERVEADOU

Je dirige une entreprise spécialisée dans l'ossature en bois implantée dans le Morbihan. Cette structure compte une trentaine de collaborateurs.

Je souhaitais apporter un témoignage concernant deux transmissions intervenues dans cette entreprise. La première a eu lieu il y a 10 ans. L'entreprise avait alors 60 ans. Aucun membre de la famille du dirigeant ne souhaitait reprendre la société. La réserve de participation a permis aux salariés de monter au capital. Les banques ont suivi, car le dirigeant s'était rapproché de l'Union des SCOP, laquelle propose un financement interne voué à appuyer le financement bancaire. Le vendeur a en outre mis en place un crédit vendeur. Le montage a été réalisé très simplement et la reprise s'est extrêmement bien passée.

Pour ma part, je prendrai potentiellement ma retraite dans un an. La transmission est d'ores et déjà organisée. La gouvernance et le conseil d'administration sont en place et mon successeur est déjà nommé.

Tout cela pour dire qu'il est possible de conserver un ancrage territorial et de transmettre les entreprises aux salariés dans de bonnes conditions. Des systèmes existent, mais ils sont sans doute trop confidentiels. Je vous encourage donc, si vous le souhaitez, à vous rapprocher de vos Unions régionales de SCOP.

M. Nicolas TOUCHARD, associé Eurallia Finance

Eurallia Finance est une banque d'affaires dédiée aux PME. Nos 15 bureaux en France oeuvrent dans le domaine de la transmission d'entreprises. Nous aidons des chefs d'entreprise à trouver des repreneurs. Inversement, nous accompagnons aussi la recherche d'entreprises lorsqu'une ETI ou une PME souhaite se lancer dans une démarche de croissance externe. L'année dernière, nous avons réalisé 56 opérations de ce type.

Je souhaitais revenir sur la difficulté à trouver un repreneur pour les entreprises de très petite taille. À partir d'une certaine taille, si l'entreprise ne présente pas de défaut majeur, il est toujours possible de trouver un acquéreur. En revanche, pour les très petites structures, les entreprises unipersonnelles ou encore les sociétés ayant un très petit nombre d'employés ou de clients, il est extrêmement compliqué de trouver un repreneur.

Mme Élodie GARCIA, membre élue de la CCI d'Aix-en-Provence

Nous disposons, au sein de la CCI d'Aix-en-Provence, d'une cellule dédiée aux personnes souhaitant vendre ou racheter une entreprise. En outre, des études sont menées pour estimer si l'entreprise proposée au rachat est saine. Les chambres de commerce sont donc des portes d'entrée à ne pas négliger.

Je suis également cheffe d'entreprise. Or, mes enfants ne souhaitent pas reprendre ma société. Il est en effet évident que les dirigeants d'entreprise ne sont pas aidés, sont confrontés à des crises, rentrent tard le soir, etc. Beaucoup de jeunes ne veulent pas forcément de cette vie-là. La situation est un peu différente pour ce qui concerne les ETI, mais les PME n'exercent pas un pouvoir d'attraction très fort sur la jeune génération.

M. Emmanuel CUGNY

Par ailleurs, l'image donnée de l'entreprise dans certaines prises de paroles politiques n'est pas toujours très favorable. Cela n'aide pas en termes de communication et de pédagogie.

Mme Élodie GARCIA

J'ajouterais que ce désintérêt des jeunes n'est pas entièrement le fait de l'éducation, car il existe des écoles alternatives qui intègrent les sujets liés à l'entreprenariat.

M. Thibaut MAXIME, dirigeant d'ACPM

Je suis dirigeant d'ACPM, entreprise de plasturgie implantée dans les Hauts-de-France. Dans le cadre d'une croissance externe, nous avons fait l'acquisition d'une société située à Brétigny et comptons désormais 30 collaborateurs. Je me suis également lancé dans la reprise d'une entreprise familiale.

Dans l'industrie, les actifs sont importants. Les entreprises valent donc cher. Dans mon cas, la problématique majeure est de contracter un crédit pour payer l'impôt de mon père. Il est possible d'échelonner les paiements, mais les choses deviennent rapidement lourdes à porter.

Je souhaite aujourd'hui tirer la sonnette d'alarme : mon père s'est acquitté d'impôts toute sa vie. Or, nous devons une nouvelle fois payer des sommes exorbitantes, cela malgré les dispositifs existants. Nous n'en pouvons plus. Car en outre, dans le secteur de l'industrie, les crises s'enchaînent sans discontinuer. Le mot « résilience » a été prononcé dans le cours des débats. Cette notion est, à mon sens, celle qui caractérise le mieux les chefs d'entreprise.

J'ai deux enfants. Je ne souhaiterais pas qu'ils vivent ce que je vis actuellement. En outre, en travaillant 35 heures, ils gagneront peut-être mieux leur vie.

Nous sommes épuisés. Il est crucial d'abaisser la fiscalité en France sans attendre et de façon drastique. Ces problématiques sont connues depuis longtemps. Il importe désormais de cesser de discuter et d'agir.

M. Sébastien Gindro, dirigeant de Gindro S.A.S.

Je dirige une entreprise familiale de 45 salariés en Haute-Saône.

Nous avons abordé la question des transmissions, il serait aussi utile d'évoquer les manières de pérenniser ces transmissions. De fait, pour que ces projets s'inscrivent sur la durée, il est nécessaire de former correctement les chefs d'entreprise. Dans le cadre d'une transmission familiale, les repreneurs connaissent généralement l'entreprise, mais pas forcément tous les métiers qui la composent.

Pour ma part, j'ai été formé à l'école des managers. À l'époque, cette formation n'était pas diplômante. Il est dorénavant possible d'obtenir une qualification, mais au prix de démarches très contraignantes.

Mme Nelly HEMMO-HALADJIAN

Ce point est fondamental, d'autant plus que les enjeux actuels sont extrêmement complexes. Il est donc impossible de tout savoir. En outre, le monde évoluant extrêmement vite, il est nécessaire de se former à des thématiques qui ne nous sont pas forcément familières.

De surcroît, nous sommes parfois enlisés dans nos problématiques opérationnelles liées à la gestion quotidienne et à la survie de l'entreprise. Dès lors, aider les chefs d'entreprise grâce à des dispositifs et à des accompagnements n'est pas dénué de bon sens.

M. Jean-Pierre RICHARD, président de la Chambre des métiers de l'Yonne et vice-président régional Bourgogne Franche-Comté

Pour les personnes recherchant une entreprise, la Chambre des métiers dispose de fichiers trans-artisanat et trans-commerce.

Par ailleurs, comme évoqué précédemment, la France va devoir faire face à un grave problème de gestionnaires. À force d'aller dans le sens d'une simplification du processus de création d'entreprise, nous allons perdre les capacités de gestion qui existaient auparavant.

M. Florent BONNIOU

Dans le cadre du cheminement qui m'a mené à la reprise de Sobrefer, j'ai effectué trois stages de trois semaines. J'ai contacté des entreprises spécialisées dans la fabrication d'armatures et suis parvenu à obtenir une convention. J'étais encore salarié et ai dû, pour ce faire, me rapprocher de Pôle Emploi après m'être mis en congé.

Ces stages m'ont été extrêmement bénéfiques, car j'ai pu découvrir la façon de travailler des entreprises qui m'accueillaient. J'ai également conservé des contacts qui m'ont été utiles par la suite, notamment en termes d'échanges de bonnes pratiques.

Par conséquent, il serait probablement profitable de mettre en place un système de stages dédiés aux futurs repreneurs d'entreprise.

M. Tony MIRANDE, président du Réseau Entreprendre Guyane

Je dirige le groupe Guy Hoquet en Guyane française et suis également président du Réseau Entreprendre et vice-président de l'association 60 000 Rebonds Antilles-Guyane.

À l'heure actuelle, il semble particulièrement important de prendre des mesures pour vaincre l'isolement des chefs d'entreprise. Il est en effet essentiel que les dirigeants de société puissent être entourés d'autres dirigeants. Des associations telles que Réseau Entreprendre ou 60 000 Rebonds jouent un rôle d'accompagnement crucial. Il serait donc pertinent de leur allouer plus de moyens.

M. Florent BONNIOU

Je fais moi-même partie de Réseau Entreprendre et ai pu bénéficier d'un prêt à taux zéro de 40 000 euros. En outre, cette association m'a assuré un suivi par un autre chef d'entreprise sous la forme de rendez-vous mensuels permettant de faire le point et de relater les difficultés rencontrées.

M. Christophe MAS, dirigeant du Cabinet 3LM

Je dirige un cabinet d'intermédiation et accompagne les cédants souhaitant trouver un repreneur ou les sociétés souhaitant entamer un processus de croissance externe.

Comme évoqué précédemment, le fait d'apprendre qu'une entreprise est en vente peut être facteur de stress. À ce titre, la loi Hamon apparaît comme un dispositif inadapté. De fait, lorsque les salariés sont avertis deux mois avant la cession, le processus est déjà achevé et le repreneur déjà trouvé. Par conséquent, cela ne fait que générer de l'inquiétude, voire des départs, ce qui peut remettre en cause l'acquisition.

M. Olivier RIETMANN, Sénateur de la Haute-Saône et co-rapporteur

L'une des 11 propositions formulées par notre rapport sur la transmission d'entreprises porte justement sur l'abrogation du dispositif d'information Hamon lequel génère effectivement de l'incertitude, voire parfois un effet de panique, et nuit gravement à la bonne transmission des entreprises.

M. Christian NIEL, ancien chef d'entreprise

Je suis stagiaire retraité. Mon associé et moi avons en effet vendu notre entreprise à deux jeunes repreneurs.

Nous nous sommes préparés à la transmission pendant près de 4 ans. L'un des repreneurs a été inscrit à l'école des jeunes dirigeants de la Fédération française du bâtiment pour une durée de 800 heures de formation. Le second repreneur avait un peu plus d'expérience. Nous l'avons donc inscrit au même module, mais sur un format beaucoup plus condensé correspondant à 200 heures de formation.

Bien que l'OPCO ait financé le coût pédagogique, l'entreprise a quand même dû assumer une charge d'environ 20 000 euros.

En outre, l'absence de deux éléments hyper-qualifiés de l'entreprise pendant 1 000 heures n'est pas sans impact. Les repreneurs ont donc accepté de travailler quelques heures supplémentaires afin de rattraper les chantiers. Or ces heures doivent être payées.

Tout cela génère un coût non négligeable. Un levier portant sur la formation des salariés à la reprise d'entreprises serait donc bienvenu.

M. Emmanuel CUGNY

Merci pour ces précieux témoignages.

Je vous rappelle que la version finalisée du rapport de la Délégation aux entreprises sera mise en ligne dans quelques jours.

Merci pour votre attention.

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