II. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 1ER DÉCEMBRE 2022 DE PRÉSENTATION DES CONCLUSIONS DE L'AUDITION PUBLIQUE DU 10 NOVEMBRE 2022

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office . - Bonjour à tous. Nous avons appris le décès, le 2 novembre dernier, de Bernard Tissot, ingénieur géologue français et membre de l'Académie des sciences. Il a présidé de 1994 à 2006 la commission nationale d'évaluation relative aux recherches sur la gestion des déchets nucléaires, devenue par la suite la CNE2. Fort de son expérience industrielle à l'Institut français du pétrole et de l'étendue de ses connaissances scientifiques, il a su donner une impulsion décisive aux recherches dans ce domaine. Ses résultats ont servi de socle à la loi du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Je lui rends hommage au nom de l'Office tout entier.

Je souhaite la bienvenue à Philippe Berta, député du Gard, professeur en biologie, génétique, biochimie et biotechnique à l'université de Nîmes. Il remplace Perrine Goulet, qui a pris la présidence de la délégation aux droits des enfants. Je l'invite à se présenter brièvement, comme nous l'avons tous fait lors de la première réunion de l'Office de l'actuelle législature.

M. Philippe Berta, député . - J'ai commencé ma carrière en tant que chercheur au CNRS à Montpellier. J'ai ensuite travaillé deux ans à Londres, où j'ai co-découvert le gène de la masculinité. J'ai dirigé une équipe de recherche au CNRS en tant que directeur de recherche INSERM, et j'ai créé l'Université autonome de Nîmes. Je suis président fondateur de l'École de l'ADN, et co-fondateur et vice-président du pôle de compétitivité santé Eurobiomed. J'ai écrit une centaine de publications, et je dirige un master en biotechnologie avec l'École des Mines et la faculté de médecine de Montpellier.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office . - Ces compétences nous seront précieuses. Je rappelle que l'Office a nommé Philippe Berta pour siéger au sein du Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle (CNCSTI).

Je vous propose d'aborder l'ordre du jour de notre réunion en commençant par l'examen des conclusions de l'audition publique sur les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité, présentées par sa rapporteure, Florence Lassarade. Nous avons souhaité mener ce travail dans la perspective de la COP 15 Biodiversité, qui se tiendra du 7 au 19 décembre à Montréal. L'Office se devait d'être force de propositions dans le cadre de cette conférence, qui a d'ailleurs deux ans de retard.

Mme Florence Lassarade , sénatrice, rapporteure. - Je suis sénatrice de la Gironde. Ce département a subi cet été les conséquences directes du réchauffement climatique. Des incendies violents ont fortement affecté la biodiversité. Après avoir majoritairement porté des sujets concernant le covid, je suis honorée de pouvoir aborder cet autre sujet pour l'Office.

Au début du mois de décembre 2022 aura lieu la 15 e session de la Conférence des parties à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (COP 15). Dans la perspective de cette conférence, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a organisé le 10 novembre 2022 une audition publique consacrée aux conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité. Diffusée en direct, cette audition est disponible en vidéo à la demande sur les sites de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Les effets du réchauffement climatique sur la biodiversité font l'objet d'un consensus scientifique depuis plus d'une vingtaine d'années. L'audition entendait explorer, d'un point de vue scientifique, les effets présents et futurs du réchauffement climatique sur la biodiversité, mais aussi évaluer les actions de conservation mises en oeuvre en contexte de changement climatique. Ce faisant, elle s'est penchée sur le cas de quelques milieux et espèces emblématiques. L'audition a fait ressortir l'expertise considérable des laboratoires et des institutions publiques français, alors même qu'ils ne sont pas toujours mobilisés de manière cohérente par les pouvoirs publics.

Comme l'a d'abord indiqué Philippe Grandcolas, directeur adjoint scientifique de l'Institut Écologie et Environnement du CNRS, trois échelles d'étude permettent d'approcher le problème de la biodiversité. La première, la plus évidente, est celle de la diversité des individus appartenant à une même espèce. Elle se constate chez nombre d'espèces d'organismes pluricellulaires, végétaux comme animaux. La diversité du vivant s'observe également dans la diversité des espèces. En France métropolitaine, il existe environ 40 000 espèces d'insectes, aux caractéristiques extrêmement variées. Une troisième forme de diversité biologique réside dans les modalités d'organisation des espèces au sein des écosystèmes. Les forêts tropicales, les savanes, les pâtures tempérées, ou encore les pelouses alpines ne montrent pas les mêmes caractéristiques écologiques.

Outre ces trois niveaux d'étude, il faut aussi prendre en compte les trois dimensions de la diversité du vivant. Elles ne sont pas toujours envisagées, parce qu'elles ne sont pas directement perceptibles, mais elles n'en existent pas moins.

La première de ces dimensions concerne la partie microbienne de la biodiversité. Les avancées de l'hygiène pasteurienne réalisées au début du XX e siècle pouvaient donner le sentiment que les microbes sont globalement nuisibles et qu'il faut s'en débarrasser. En réalité, nos propres organismes sont incapables de survivre et de se développer sans la présence des bactéries. Un adulte en bonne santé héberge 30 milliards d'éléments bactériens, qui pèsent environ trois kilogrammes. Ces bactéries permettent notamment le bon fonctionnement du système immunitaire et du système neurodigestif. Par exemple, un enfant né par césarienne, qui n'est pas exposé au microbiote vaginal de sa mère, ne profite pas de cette colonisation digestive primaire. Le lait maternel, entre autres, lui permet d'acquérir un microbiote.

L'évolutivité constitue une seconde dimension mal perçue de la biodiversité. Il est parfois difficile de se rendre compte que tous les organismes descendent d'un ancêtre commun, alors qu'il existe une diversité prodigieuse d'espèces. Ce foisonnement vient de la concurrence entre les phénomènes de disparition et de spéciation. L'évolutivité agit aussi à « l'intérieur » de chaque espèce, celle-ci restant identifiable par rapport aux autres, malgré les modifications de certains traits biologiques qui la caractérisent.

Enfin, une troisième dimension très importante de la biodiversité réside dans les interactions entre espèces. L'une d'elles relie les abeilles et les espèces fleuries. Au plus fort du printemps, une ruche en bonne santé peut compter jusqu'à 50 000 abeilles qui butinent chacune plusieurs heures par jour. Il existe de nombreuses autres interactions, souvent permanentes, au sein des écosystèmes. En France métropolitaine, la pollinisation est d'ailleurs le fait de plus de 5 500 espèces pollinisatrices, relevant essentiellement de la classe des insectes. Ces interactions peuvent être difficiles à appréhender.

L'évolution des espèces donne souvent l'impression d'être inscrite dans le temps long. Au contraire, la biodiversité est extrêmement dynamique. Chaque évènement de reproduction sexuée donne lieu à la fusion de deux génomes, accompagnée d'un certain nombre de mutations. Ainsi, l'espèce humaine transmet à sa descendance entre 100 et 150 mutations à chaque génération. D'autres phénomènes évolutifs se révèlent particulièrement rapides. Par exemple, l'antibiorésistance peut apparaître en seulement quelques années. Elle cause chaque année plusieurs centaines de milliers de morts dans le monde.

Nous nous trouvons aujourd'hui dans la sixième grande crise d'extinction. Les épisodes précédents étaient exceptionnels, mais ils se déroulaient sur des durées de l'ordre de plusieurs millions d'années. L'espèce humaine n'existait pas encore et n'y jouait donc aucun rôle. Dans la phase actuelle, le taux d'extinction effectif est environ mille fois plus important que le taux résiduel estimé lorsqu'on ne tient pas compte de l'activité humaine.

Créée en 2012, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) conduit, en matière de biodiversité, des travaux similaires à ceux du GIEC sur le climat. Environ 150 pays en sont membres auxquels se joignent de nombreux organismes accrédités, dont le CNRS pour la France. L'IPBES a diagnostiqué cinq grandes causes de déclin de la biodiversité. Ces causes sont communément connues, mais des travaux scientifiques en ont désormais mesuré l'intensité et l'importance. Anne-Christine Monnet, chercheuse au Centre d'écologie et des sciences de la conservation (CESCO) du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), l'a aussi souligné.

Le changement climatique est l'une de ces cinq causes, mais il ne vient pas en premier. Il faut citer d'abord la conversion des milieux naturels au profit des activités humaines, qui a notamment déjà entraîné la disparition de près des trois quarts des zones humides de la planète. Viennent ensuite les prélèvements croissants sur la biodiversité, qu'il s'agisse par exemple de la surexploitation des forêts ou de la surpêche. À ceci s'ajoutent les pollutions de toutes sortes. Pour n'en citer qu'une, la masse de plastique présente sur la surface terrestre équivaut désormais à l'ensemble de la biomasse animale. Enfin, les transports d'espèces sont un phénomène ancien, mais qui a connu une croissance exponentielle avec l'essor de la mondialisation après la Seconde Guerre mondiale ; son impact sur la biodiversité est devenu significatif à l'échelle d'une région, d'un pays, voire d'un continent.

À l'heure actuelle, le changement climatique n'est pas le facteur le plus important des pertes de biodiversité. Il influe cependant déjà sur celles-ci de trois manières et cette tendance devrait s'accentuer à l'avenir. Wolfgang Cramer, directeur de recherche au CNRS à l'Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale (IMBE), a ainsi brossé une brève prospective des menaces qui pèsent sur la biodiversité du fait du réchauffement climatique. Ce faisant, il a présenté à l'Office certains contenus du sixième rapport du GIEC à paraître cette année.

Ce rapport contient un tableau synthétique qui présente, selon les régions, les impacts du changement climatique sur les structures des écosystèmes, la distribution et la phénologie annuelle des espèces, c'est-à-dire les phases de leur développement saisonnier. Il fournit des informations prospectives à l'échelle de la planète sur les effets du changement climatique sur la biodiversité.

Il est clair que l'élévation de la température constatée depuis le début de l'ère industrielle aura un impact important sur la biodiversité. Toutefois, les pertes varieront localement, car selon les régions, l'élévation des températures et l'ampleur des variations hygrométriques différeront et la biodiversité sera plus ou moins fragile.

Dans les différents scénarios du changement climatique, la biomasse des poissons marins devrait être particulièrement touchée. Atteindre les objectifs de l'accord de Paris de 2015 peut faire espérer un changement relativement modeste de cette biomasse. Cependant, la trajectoire actuelle du réchauffement devrait conduire à des modifications très importantes, avec de fortes baisses de cette biomasse dans certaines régions et une augmentation dans d'autres zones. Qu'elles soient à la hausse ou à la baisse, des variations de l'ordre de 20 % à 30 % induiront une baisse de la biodiversité en raison des fortes perturbations qui en résulteront sur la structure et les interactions des écosystèmes marins.

Philippe Grandcolas a exposé comment le changement climatique peut faire disparaître des écosystèmes entiers. Le cas des récifs coralliens, voués à l'extinction à l'horizon de quelques décennies, est particulièrement bien documenté. Le réchauffement de l'eau des océans et son acidification par dissolution du gaz carbonique provoquent un blanchiment des coraux. Ceux-ci expulsent leurs petites algues symbiotiques et ne peuvent survivre. Si les coraux meurent, ces récifs deviendront des éléments inertes qui finiront par être détruits par le ressac.

Benoît Sautour, professeur habilité à diriger des recherches (HDR) de l'université de Bordeaux, a souligné que l'impact du changement climatique ne se limite pas à une redistribution géographique de la biodiversité, ou à l'apparition de quelques décalages dans le cycle annuel de développement d'une espèce. J'ai été sensible à l'exemple de la mésange charbonnière, qui, lorsqu'elle pond ses oeufs et doit nourrir ses petits, ne trouve plus les larves de chenille dont elle a besoin.

La perturbation des écosystèmes ne concerne pas seulement les milieux emblématiques comme les zones polaires ou tropicales. Elle affecte aussi ce que l'on peut appeler la biodiversité ordinaire. L'estuaire de la Gironde connaît depuis une vingtaine d'années une augmentation de la température et de la salinité de l'eau - due à une érosion accrue résultant de la fonte des glaces terrestres - qui modifie sa composition physico-chimique. Ceci perturbe l'ensemble des réseaux trophiques qui relient les bactéries, les microalgues, le zooplancton et les organismes benthiques. On constate désormais des conséquences directes sur certaines activités humaines, comme la fermeture de plusieurs pêcheries, et la chute de la capacité trophique de l'estuaire menace la capacité des poissons à grandir et à survivre en mer.

En définitive, comme l'a indiqué Anne-Christine Monnet, les scientifiques estiment que le changement climatique exacerbera de manière croissante l'impact des autres facteurs du déclin de la biodiversité au cours du XXI e siècle, tout en gagnant en puissance en tant que facteur direct de ce déclin.

L'état des connaissances disponibles montre que les mesures propres à lutter contre le changement climatique peuvent contribuer à lutter contre le déclin de la biodiversité, à condition d'être correctement calibrées. Cependant, la lutte contre le changement climatique ne permettra pas de résoudre à elle seule la crise de la biodiversité. La synthèse d'études de la plateforme de l'IPBES alerte même sur l'existence d'effets secondaires indésirables, du point de vue de la biodiversité, de certaines actions de lutte contre le réchauffement climatique. Par exemple, les monocultures ou la production de bioénergie réduisent l'espace disponible pour le déploiement de la biodiversité.

Quoi qu'il en soit, Wolfgang Cramer a attiré l'attention sur le fait que le bénéfice, au regard de la biodiversité, de la lutte contre le réchauffement dépendra aussi du chemin suivi par celle-ci. En effet, quand bien même le réchauffement climatique parviendrait in fine à être contenu au niveau de 1,5 degré prévu par l'accord de Paris de 2015, il n'est pas indifférent qu'une telle stabilisation intervienne directement, ou bien après un dépassement critique de ce seuil suivi d'une atténuation des températures. Dans ce dernier scénario, la biodiversité serait fortement impactée tant dans sa richesse que dans ses aspects fonctionnels, car un très grand nombre d'écosystèmes seraient irrémédiablement touchés par le dépassement critique.

Anne-Christine Monnet a mis en avant le fait qu'indépendamment de ces considérations globales, il faut compter sur l'existence de méthodes efficaces de conservation de la biodiversité à une échelle géographique plus facilement maîtrisable, comme la création de zones protégées, la restauration d'habitats naturels, ou encore les plans d'action, de protection et de réintroduction d'espèces au bord de l'extinction. La mise en oeuvre de ces leviers a mené à de nombreux succès. À cet égard, une importante responsabilité revient à la France dans la préservation des écosystèmes insulaires, particulièrement fragiles. Les collectivités françaises d'outre-mer couvrent seulement 0,08 % de la surface terrestre, mais abritent 3 450 espèces de plantes et 380 espèces de vertébrés strictement endémiques, c'est-à-dire totalement restreintes à cette aire spécifique. Le nombre d'espèces endémiques y est ainsi plus important que sur l'ensemble de l'Europe continentale.

Philippe Grandcolas a souligné que la nature est elle-même porteuse de solutions et qu'il est possible de diffuser un message de « solutions heureuses » face aux menaces qui pèsent sur la biodiversité. On peut par exemple planter des arbres, à condition de tenir compte de leur capacité à vivre dans un climat qui poursuivra son évolution. Wolfgang Cramer a évoqué la possibilité de s'appuyer sur les écosystèmes et sur leur capacité à absorber du carbone. Il a souligné que l'adaptation au changement climatique repose, pour une grande partie, sur cette mise à profit des caractéristiques des écosystèmes actuels. Pour autant, une perte importante de biodiversité, telle qu'elle est projetée par le GIEC et l'IPBES, pourrait compromettre une partie de ces solutions basées sur la nature.

Au cours du débat, Philippe Grandcolas a également rappelé que l'introduction d'espèces modifiées par forçage ou par modification génétique plus classique présente un risque de mal-adaptation. En effet, la plupart du temps, les organismes modifiés en laboratoire ne présentent pas une grande vitalité en milieu naturel et les modifications apportées peuvent être rapidement contre-sélectionnées. En témoigne l'exemple du maïs Bt. Il produit une toxine contre des ravageurs, qui y sont très vite devenus résistants, alors que cette espèce de maïs n'est pas par elle-même extraordinairement productive.

L'affaiblissement de la biodiversité limite aussi les capacités d'adaptation des espèces. Andreaz Dupoué, chargé de recherches à l'IFREMER, a évoqué l'huître plate, autrefois commune dans le bassin d'Arcachon. Sa surexploitation en a fait baisser drastiquement les effectifs, et l'espèce s'est trouvée vulnérable aux zoonoses. En effet, un effectif trop faible réduit la capacité de résilience de l'espèce, car la probabilité de trouver des individus résistants à la zoonose s'en trouve diminuée. L'IFREMER soutient aujourd'hui la réintroduction de l'huître plate en rade de Brest. Les résultats sont encourageants.

Enfin, Cédric Marteau, directeur du pôle Protection de la nature à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO France), a plaidé pour le maintien de zones protégées propices à la halte des oiseaux migrateurs, telle la réserve naturelle nationale de Moëze-Oléron. Il a montré qu'il n'est pas nécessaire de s'arc-bouter sur l'existant pour répondre à la menace. En effet, il est possible de reculer l'emplacement de la zone en réponse aux progrès de la submersion marine. Il s'agirait en l'espèce de retransformer en marais des terres agricoles gagnées sur des marais dans les années 1970. De cette façon, la zone protégée qui accueillerait les oiseaux migrateurs pourrait être déplacée de 1,5 kilomètre vers l'intérieur des terres. Ceci permettrait de préserver des noyaux de populations qui représentent plus de 350 espèces d'oiseaux, dont plusieurs centaines d'espèces d'oiseaux migrateurs. Cette opération est un exemple d'action très concrète, réalisable sur le territoire. Elle aurait néanmoins des conséquences non négligeables sur la vie de la population locale, avec la nécessaire reconversion de certaines zones agricoles.

Sur la base de ces considérations, je soumets à votre examen les recommandations suivantes :

1. Favoriser la participation des chercheurs aux travaux conjoints du GIEC et de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) ;

2. Ne pas dissocier lutte contre le changement climatique et préservation de la biodiversité, mais élaborer au contraire dans ces deux domaines des stratégies nationales et internationales qui se répondent et s'appuient l'une sur l'autre ;

3. Prendre en compte toutes les échelles et dimensions de la biodiversité, y compris l'échelle microbienne, pour concevoir les stratégies de préservation les mieux adaptées ;

4. Continuer à promouvoir, dans le cadre international, des plans globaux susceptibles de se prolonger dans une mise en oeuvre au niveau local (comme pour les oiseaux sur la côte vendéenne ou l'estuaire de la Gironde) ;

5. Étendre en France le recours aux instruments juridiques qui permettent le maintien de la biodiversité, telles les réserves naturelles qui garantissent les haltes des oiseaux migrateurs ;

6. Inclure, dans les études d'impact législatives et dans les analyses coûts-avantages réalisées en amont des investissements publics, une évaluation chiffrée des services rendus par la biodiversité sur le temps long.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Je vous propose d'échanger prioritairement sur la formulation des recommandations, que l'Office destine aux participants à la COP 15. La restitution des conclusions a parfaitement traduit les réflexions échangées lors des auditions.

M. Hendrick Davi, député. - J'ai beaucoup apprécié vos propos concernant les trois échelles et les trois dimensions de la biodiversité. Il me paraît essentiel de rappeler que nous vivons une crise majeure de la biodiversité, en même temps qu'un changement climatique. Les actions qu'il faut mener doivent être cohérentes dans ces deux cadres.

Actuellement, le changement climatique intervient pour seulement 6 % des extinctions. L'un des chercheurs auditionnés a toutefois indiqué qu'à horizon 2100, certaines projections montrent que cette proportion pourrait atteindre 80 %. Ainsi, l'interaction entre changement climatique et extinction des espèces est amenée à être de plus en plus forte.

Les deux premières recommandations sont très importantes. Elles imposent de regarder, sur chaque mesure publique, comment à la fois lutter contre le changement climatique et préserver la biodiversité. En général, trois actions peuvent être proposées pour atteindre ce dernier objectif. La première est la non-artificialisation des terres, puisque l'artificialisation favorise l'érosion - nous savons ce qu'elle occasionne en cas d'inondation. La diversité de l'agriculture est également très importante. Ici, la diversité intra-spécifique est primordiale. Nous observons une baisse de la diversité agricole, alors qu'une plus grande diversité dans les semences utilisées permettrait de s'adapter au changement climatique.

La recommandation 5 porte sur la gestion des réserves naturelles. Je pense que nous devons aller un peu plus loin, en expliquant comment les développer, au niveau national mais aussi régional. Dans son dernier rapport, le GIEC recommande que 30 à 50 % des espaces naturels soient préservés. La France en est très loin, pour des raisons historiques. Nous devons donc probablement durcir cette recommandation.

Enfin, je ne vois pas s'il est prévu une recommandation concernant la préservation des ressources actuelles. Elle entre peut-être dans le point 6. Il est par exemple nécessaire de promouvoir une gestion durable de la forêt. Nous pourrions également être plus précis sur la préservation des stocks de poissons, ce qui permettra d'adapter notre alimentation au changement climatique.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Ce rapport concerne-t-il la France, ou vise-t-il plus globalement le niveau mondial ? Ne devrions-nous pas moduler nos recommandations, pour cibler ce que doit faire notre pays et ce qui doit être fait à l'échelle de la planète ?

Par ailleurs, la raison pour laquelle la biodiversité est nécessaire n'est pas exposée. On peut se demander si l'on a toujours besoin d'autant d'espèces, ou si leur disparition n'est pas simplement liée au cycle de l'évolution. Sur le second point, il est bien indiqué que c'est l'activité humaine qui fait diminuer la biodiversité, mais en quoi cette baisse est-elle vraiment gênante ?

Le projet de conclusions indique que la nature est elle-même porteuse de solutions. Ne devons-nous pas appuyer ce message positif ? En outre, voit-on apparaître de nouvelles espèces qui pourraient s'adapter au changement climatique ?

L'Office a travaillé sur les huîtres dans le cadre du rapport d'avril 2017 sur les biotechnologies. J'avais compris que la France, à la suite de zoonoses, s'était concentrée sur une seule huître. Ainsi, j'ai le sentiment que la mention d'une résilience de l'espèce n'est qu'une vision partielle. Cette expression me semble un peu réductrice par rapport à ce qui a été dit lors de l'audition.

Enfin, qu'entend-on par « transport d'espèces » ?

Mme Florence Lassarade , sénatrice, rapporteure. - Je parle notamment des parasites transportés par les palettes, des frelons asiatiques et autres.

Je rappelle que ce document présente les conclusions d'une audition publique, et qu'il ne s'agit pas d'un rapport complet sur le réchauffement climatique. Il est important que les parlementaires se saisissent de sujets qui ne sont pas nécessairement leur spécialité. C'est ainsi que nous pourrons les vulgariser et les diffuser au mieux auprès de nos collègues.

Hendrik Davi préconise une moindre artificialisation des terres, d'autant que celles-ci seront moins productives en raison de la chute de la biodiversité - c'est déjà un peu le cas. Néanmoins, les chercheurs essaient de trouver des solutions allant au-delà du principe de « zéro artificialisation nette » (ZAN). Les agriculteurs sont parfois contraints de faire de l'agriculture extensive et ne comprennent pas toujours la nécessité des jachères. Nous connaissons actuellement une pénurie alimentaire partielle qui sera peut-être transitoire, mais qui interroge beaucoup. Les paysages ont vu une disparition des haies et de toutes les zones favorisant la biodiversité. On entend beaucoup parler d'agroforesterie, mais ces projets sont souvent marginaux. Certes, chacun a compris que le public était maintenant sensible à ces sujets, et ce peut être une façon de faire accepter une agriculture moins intensive. Pour autant, nous devons faire preuve de vigilance. Les produits bio provenant du Brésil n'ont par exemple de bio que le nom. Le poulet bio brésilien fait pousser les seins des petites filles, comme j'ai pu le constater en tant que pédiatre. Nous devons trouver un bon équilibre pour nos agriculteurs. Ils sont tout de même assez avancés en matière de préservation de la biodiversité.

S'agissant de la forêt, on parle beaucoup de monoculture et il va falloir discuter du reboisement de la forêt de Gascogne. Malheureusement, à certains endroits, seul le pin est capable de passer six mois les pieds dans l'eau et six mois dans la sécheresse. Après la tempête de 2009, les essais de reboisement n'ont fonctionné que sur l'eucalyptus, qui flambe plus que le pin. Le chêne n'est pas parvenu à reprendre son essor. Ainsi, nous avons tout intérêt à replanter des espèces variées, mais il faut tenir compte d'un sol très pauvre.

Les parcs doivent-ils être nationaux ou régionaux ? Je pense que l'échelle des régions est la plus adaptée, dans le cadre d'une législation claire. En baie de Somme, on a permis à la mer de reprendre du terrain à des endroits qui avaient été poldérisés pour faire pousser des fleurs. La diversité des oiseaux qui y passent désormais illustre l'effort humain réalisé en faveur de leur migration.

S'agissant des poissons, j'ai participé il y a quelques mois à une réunion de crise à la criée d'Arcachon. La population de soles avait baissé de 30 %. On demande aux pêcheurs de diminuer drastiquement leurs prélèvements. Est-ce que cela suffit ? La migration des soles vers des zones plus froides explique-t-elle leur disparition dans le golfe de Gascogne ? Je pense que nous assistons à une extinction progressive de la race. Il a été rappelé que la Terre connaît la sixième extinction, qui s'emballe, sans doute en partie par la main de l'Homme. En 2019, Jérôme Bignon avait établi une note scientifique très intéressante sur l'extinction des espèces. Nous devons, à mon avis et sans vouloir être trop pessimiste, être conscients de celle-ci, qui est extrêmement rapide.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Je pense que nous devrions expliquer en quoi la perte de la biodiversité est un problème, ou pas.

Mme Florence Lassarade , sénatrice, rapporteure. - Devrions-nous insister davantage sur des sujets comme la pollinisation ?

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Je ne sais pas. Lorsque l'on parle d'extinction, comment connaît-on le nombre d'espèces présentes sur Terre avant l'Homme ? Qu'elle était la biodiversité à cette époque ? On ne le sait pas vraiment. Vous dites que nous en sommes à la sixième extinction, mais c'est la seule que nous pouvons réellement mesurer.

M. Pierre Médevielle , sénateur. - Permettez-moi de revenir sur le sujet des soles. Les problèmes sont toujours multifactoriels. L'impact de la température de l'eau est net. Il se passe des choses bizarres à la surface de la Terre, mais aussi sous l'eau. On assiste depuis quelques années à une prolifération étonnante du poulpe. Pour la sole, nous sommes confrontés au problème des migrateurs mer-rivière. La population a atteint un niveau très bas, et elle ne peut pas se reconstituer en cas de surpêche ou de prédation. Si la pêche n'est pas maîtrisée, l'espèce risque de s'éteindre. Je rappelle que la régulation drastique de la pêche du thon a donné des résultats immédiats.

Nous devons amener le débat sur la biodiversité à une discussion sur l'aménagement du territoire. Je prendrai pour exemple le pastoralisme en montagne. Des espèces disparaîtront par effet secondaire. Lors des dernières élections sénatoriales, j'ai réalisé une enquête. Elle a montré que sur les 25 dernières années, le massif pyrénéen a perdu 50 % de ses surfaces d'estive. Elles sont remplacées par des taillis, des ronces, des noisetiers. Nous avons vu ce qu'il en advenait en cas d'incendie. La forêt landaise ne constituant qu'un seul bloc, les feux auraient pu toucher quasiment tout le massif.

Mme Florence Lassarade , sénatrice, rapporteure. - Ils l'ont touché, mais les pompiers landais ont été très efficaces.

M. Pierre Médevielle , sénateur. - Il va falloir aménager le territoire pour éviter les incendies catastrophiques. En raison de l'engrillagement des parcelles, certaines espèces n'ont pas pu fuir le domaine, dont 70 % est privé.

Je conclus en rappelant que l'on parle toujours de ce qui ne va pas, mais on n'évoque pas les progrès réalisés, qui sont énormes. J'ai été co-rapporteur de la proposition de loi sur l'agrivoltaïsme. Ce procédé montre l'effet bénéfique des ombrières sur la biodiversité. Les installations sont réputées démontables, critère d'acceptabilité publique. Elles ont permis de baisser la température de 1,5 à 2 degrés dans les parcelles concernées du Languedoc Roussillon, empêchant certainement une délocalisation de la production du sucre. On obtient des résultats similaires sur des pelouses et pâturages. Les ombrières réduisent l'évaporation et améliorent le confort des animaux qui peuvent s'abriter à l'ombre. Dans les champs de céréales, elles permettent un gain de production et de biodiversité, et une moindre évaporation de l'eau. Le procédé ne consomme pas de terres agricoles, tout en apportant un revenu supplémentaire aux agriculteurs et en agissant en faveur de la biodiversité.

Je pense que nous inventons ainsi les solutions de demain. Les animaux vont s'adapter. L'Homme aussi, mais il doit faire preuve d'anticipation.

Mme Florence Lassarade , sénatrice, rapporteure. - Nous pouvons assurément intégrer un élément plus optimiste dans le rapport, en valorisant la participation des agriculteurs, qui ont la main sur nombre de ces sujets. J'en connais beaucoup qui sont très avancés sur des solutions telles que la méthanisation. Ils s'emparent de nombreux sujets. Parmi les agriculteurs, on trouve d'ailleurs beaucoup d'ingénieurs agronomes. Il reste ensuite une question d'acceptation par le public.

M. Pierre Médevielle , sénateur. - Dans le Bordelais, d'importants efforts ont été réalisés pour réduire l'usage des produits phytosanitaires.

Mme Florence Lassarade , sénatrice, rapporteure. - La Gironde étant le plus grand territoire viticole, c'est là qu'on employait les plus grandes quantités de ces produits. On ne trouve plus de résidus dans la Garonne aujourd'hui.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office . - Pouvons-nous reprendre ces différents éléments dans les recommandations ?

Mme Florence Lassarade , sénatrice, rapporteure. - Je propose de consacrer les recommandations 1, 5 et 6 à l'échelle de la France, et les autres au niveau mondial.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office . - Dans la recommandation 5, nous pourrions éventuellement supprimer la mention « en France ».

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Je suis très engagée sur les îles du Pacifique, l'un des plus hauts lieux de la biodiversité marine. Certaines recommandations ne peuvent s'y appliquer. Par exemple, certaines terres n'appartiennent qu'aux tribus et il ne peut y avoir de recours, pour ces terres, aux instruments juridiques usuellement mobilisés ailleurs.

Mme Florence Lassarade , sénatrice, rapporteure. - Nous pouvons peut-être indiquer qu'il faudrait étendre « comme en France » le recours aux instruments juridiques.

M. Hendrick Davi, député. - En termes de parcs naturels, les pays anglo-saxons sont bien au-dessus de la France.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office . - Pour éviter cette dichotomie, nous ne sommes pas obligés de faire référence à la France sur cette recommandation relative à l'extension des instruments juridiques.

Mme Florence Lassarade , sénatrice, rapporteure. - D'accord, supprimons cette mention.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office . - Les recommandations 1 et 6 peuvent également être comprises au niveau international.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - La recommandation 6 ne peut concerner que la France. L'Office ne peut pas demander d'études d'impact au Brésil ou à d'autres pays.

Mme Florence Lassarade , sénatrice, rapporteure. - Nous pourrions ajouter l'idée que les agriculteurs doivent être largement associés aux actions à conduire en faveur de la biodiversité.

M. Pierre Médevielle , sénateur. - Il est effectivement important de les associer.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Partout dans le monde, l'agriculture a un rôle essentiel à jouer en la matière.

M. Pierre Médevielle , sénateur. - Les agriculteurs sont demandeurs de cette implication.

Mme Florence Lassarade , sénatrice, rapporteure. - Nous pourrions intégrer cette idée dans la deuxième recommandation.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office . - Le lien entre les stratégies de prévention, de préservation et d'aménagement du territoire devrait davantage être mis en évidence dans le rapport.

M. Hendrick Davi, député. - Ce point pourrait entrer dans la quatrième recommandation. Les stratégies passent par l'aménagement du territoire, en France comme ailleurs. L'agriculture est la première cause de perte de la biodiversité.

M. Pierre Médevielle , sénateur. - Le pastoralisme correspond bien à l'interdépendance entre l'homme, l'animal et le milieu.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Je connais très bien l'Indonésie. On y parle souvent de grandes cultures. Pour autant, la population y a triplé depuis mon arrivée au Sénat, et elle atteint aujourd'hui 250 millions d'habitants. Ainsi, l'agriculture n'est pas le seul facteur impactant la biodiversité et les terres.

M. Pierre Médevielle , sénateur. - La croissance de la population implique notamment plus d'agriculture.

M. Hendrick Davi, député. - Je ne cherche pas à incriminer l'agriculture. Simplement, à un moment donné, il faut bien constater que les activités humaines prennent des espaces à la nature. Il faut donc trouver d'autres façons de procéder.

Mme Florence Lassarade , sénatrice, rapporteure. - Je me suis rendue dans le Grand Nord, où j'ai pu prendre connaissance des problématiques auxquelles sont confrontés les éleveurs de rennes. En raison du réchauffement climatique, la neige y est trop molle et les animaux ne parviennent plus à gratter la mousse. C'est tout un système qui s'effondre. L'Homme vivait pourtant en parfaite symbiose avec ces bêtes. Celles-ci sont aujourd'hui nourries par des aliments pour chevaux. Elles vont être élevées comme des animaux d'élevage.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office . - Nous avons fait le tour de ce projet de conclusions. Nous vous laissons les préciser au vu de nos échanges, afin qu'elles soient rapidement répercutées pour être prises en compte au moment de la COP 15.

L'Office adopte les conclusions de l'audition publique du 10 novembre 2022 et autorise la publication, sous forme de rapport, du compte rendu de l'audition et de ces conclusions.

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