EXAMEN EN DÉLÉGATION

Lors de sa réunion du 2 février 2023, la délégation aux collectivités territoriales a autorisé la publication du présent rapport.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Mes chers collègues, nous examinons le rapport d'information relatif à la perception, par les élus locaux, de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), dont M. Rémy Pointereau et Mme Céline Brulin sont les rapporteurs. Cette réunion intervient après l'examen du rapport d'information sur la simplification des normes imposées aux collectivités territoriales, que nous avons produit avec le vice-président Rémy Pointereau, rapport qui a eu un certain écho. Il s'agit d'éviter l'inflation des normes - à ce titre, cette semaine de travaux fut un régal.

Nous préparons des États généraux de la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales : nous espérons y conclure une charte d'engagement ; nous invitons aussi le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), le Parlement et le Gouvernement à y définir une conduite collective sur la fabrique de la loi. L'ensemble des associations d'élus nous soutiennent.

L'ANCT a été créée au Sénat, à partir d'un constat toujours valable : les élus locaux ont besoin d'ingénierie face au désengagement des services de l'État. Nous pensions que l'ANCT serait la solution. Lors des débats, il s'agissait de définir la forme que prendrait l'agence, notamment vis-à-vis de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema).

Nous exerçons sur l'ANCT une « filature bienveillante mais exigeante ». L'ANCT existe, elle s'ancre dans les territoires, mais elle n'a pas atteint la profondeur de nos campagnes et de nos villes.

Par ailleurs, au sein du groupe de travail sur la décentralisation, groupe transpartisan sur l'initiative du Président Larcher, nous réfléchissons à l'efficience de l'action publique. Au sein de ce groupe, Mathieu Darnaud et moi-même encourageons une fusion de toutes ces agences et plaidons pour une meilleure territorialisation.

Mme Céline Brulin, rapporteure. - Nous reviendrons sur ce que nous proposons pour le Cerema, l'Ademe et l'ANCT à la fin de notre présentation.

La promesse du Président de la République faite au Congrès des maires de France en novembre 2017 était claire : l'ANCT avait pour mission d'être cet État facilitateur des projets des élus locaux. Trois ans après la création de cette agence, les élus locaux sont toujours à la recherche de ce facilitateur.

La première chose qui nous a frappés est que l'ANCT reste largement méconnue des élus locaux ; son image est floue. À titre d'illustration, à la question « connaissez-vous l'ANCT ? », 52 % des élus répondent par la négative, tandis que 74 % reconnaissent ne pas avoir fait appel à ses services.

Même lorsque l'existence de l'ANCT est connue, les élus locaux peinent à comprendre son organisation et à s'approprier ses dispositifs et son offre de services. Ces difficultés s'expliquent certes par la nouveauté de l'ANCT, mais sont surtout liées à un déficit d'incarnation de l'ANCT sur nos territoires et au rôle joué par les préfets.

Par ailleurs, les collectivités qui connaissent et apprécient l'Agence sont la plupart du temps les collectivités bénéficiaires des programmes nationaux, comme Petites Villes de demain (PVD) ou Action coeur de ville (ACV), ou bénéficiaires de dispositifs d'ingénierie sur mesure. Je précise que 1 162 projets ont pu être soutenus au bénéfice de 494 communes, 594 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et 74 collectivités d'autres strates en trois ans.

La perception de l'Agence par les élus locaux est donc très variable. Mon collègue Charles Guené va maintenant présenter la façon dont les élus locaux apprécient son action.

M. Charles Guené, rapporteur. - Il est vrai que certains élus locaux ont mis en avant des éléments positifs du bilan de l'action de l'ANCT. Cependant, les élus auditionnés ont surtout été majoritairement critiques à l'égard de l'action de l'Agence.

Trois critiques s'adressent à l'Agence. La première est une implication des préfets inégale en matière d'ingénierie et une action qui ne vient pas suffisamment soutenir les écosystèmes locaux. Si dans plusieurs départements les services déconcentrés animent le dialogue entre les élus et l'ingénierie locale, c'est loin d'être une généralité. L'intervention de l'Agence est parfois accusée de générer des effets contreproductifs lorsqu'elle se déroule en décalage avec les équilibres locaux ou en substitution de ses acteurs. L'annonce de prestations d'ingénierie gratuites a, par exemple, entraîné une forte confusion chez les élus locaux et une forme de pénalisation des écosystèmes organisés. Le recours en majorité à des bureaux de consultants privés est parfois adapté, mais il ne contribue pas à renforcer l'écosystème local. Ces consultants ont tendance à livrer des prestations « copier-coller », sans ancrage dans le territoire et sans lendemain. Les territoires ont besoin d'être accompagnés par des acteurs dans la durée.

La deuxième critique est une approche encore trop descendante, peu attentive aux dynamiques locales. Les élus attendent que l'État respecte les dynamiques et les coopérations existantes, et vienne les appuyer plutôt que d'en lancer de nouvelles. Que ce soit les programmes nationaux ou les contrats de relance et de transition écologique (CRTE), l'Agence déroule ses actions à marche forcée selon les élus. Enfin, elle doit trouver une articulation avec le niveau régional, qui est celui des grandes contractualisations en matière d'aménagement du territoire et de cohésion territoriale.

La troisième critique est une promesse non tenue de simplification et de meilleur soutien aux projets locaux. En un mot, l'espoir de simplification s'est transformé en sentiment de complexification.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Du moins, c'est le ressenti du terrain.

M. Charles Guené, rapporteur. - Même si ce tableau est un peu décevant, trois ans d'existence, pour toute organisation, cela reste très court, et l'Agence s'est constituée pendant la crise du covid. En trois ans, les attentes qui pesaient sur elle n'ont fait que se renforcer. Le besoin d'ANCT dans les territoires reste très fort, particulièrement pour les territoires défavorisés.

Notre mission propose 14 recommandations, regroupées en trois grandes idées : rapprocher l'Agence des élus locaux, faire de l'ingénierie la priorité et consolider et simplifier l'existant.

Notre première série de recommandations vise à rapprocher l'Agence des élus locaux. Nous avons été frappés par la différence de perception et de discours entre les élus et l'ANCT.

Les besoins sont les suivants : créer du dialogue direct entre l'ANCT et élus locaux, au cours de temps d'échange, hors préfecture, par exemple sur des réalisations de l'Agence ; utiliser ces échanges dans le débat entre l'État et les territoires au sein du conseil d'administration de l'Agence, pour élaborer une feuille de route stratégique 2023-2026 qui fixera les grandes priorités de l'ANCT ; délivrer une instruction aux préfets pour les remobiliser et positionner par défaut le sous-préfet d'arrondissement comme interlocuteur de premier niveau sur les questions d'ingénierie ; enfin, de façon plus générale, privilégier une communication plus simple, plus sobre et déconcentrée, qui repose aussi sur le retour d'expérience des élus locaux et de leurs associations. Cette communication pourrait prendre la forme d'un guide pratique pour les élus locaux.

Mme Céline Brulin, rapporteure. - Notre deuxième série de recommandations porte sur l'accès des collectivités à cette ingénierie. Nous avons pris conscience qu'il existe un immense besoin des collectivités en matière d'ingénierie opérationnelle, stratégique et financière. La fin de l'assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atésat) représente un manque pour beaucoup.

Il est temps que l'Agence opère un rééquilibrage entre ses missions. Les programmes nationaux sont bien installés et ses efforts doivent maintenant porter sur la principale attente des collectivités relative à l'ingénierie. Le moment est charnière, alors que l'ANCT change de gouvernance.

Nous recommandons d'étudier la mise en place d'un système de fonds national « 1 % ingénierie » ou plus vraisemblablement « 0,1 % ingénierie », qui serait financé par les dépenses d'investissement des collectivités. Il s'agit d'une proposition de l'Association nationale des pôles d'équilibres territoriaux et ruraux et des pays (ANPP), qui a reçu plus de 11 000 signatures d'élus et d'acteurs locaux.

Ensuite, nous préconisons de terminer les recensements départementaux de l'ingénierie - mission de l'ANCT qui n'est pas encore menée à bien - et de positionner la délégation locale de l'ANCT en animateur de l'ingénierie locale.

Nous suggérons de doter les préfets de moyens humains ou financiers de soutien à l'ingénierie. Nous pourrons revenir sur des exemples précis de soutien sur mesure assuré par les préfets.

Nous proposons aussi d'accroître la couverture du territoire en agences techniques départementales et en conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE).

Enfin, il faudrait instituer un comité de direction commun, trimestriel, entre l'ANCT, l'Ademe et le Cerema, pour réaliser une feuille de route stratégique partagée. La fusion ne nous a pas semblé être la réponse idéale.

M. Charles Guené, rapporteur. - Notre troisième série de recommandations vise à consolider et simplifier l'existant.

L'Agence est aujourd'hui un empilement de programmes, de politiques publiques, de dispositifs, d'expérimentations et de labels qui contribuent à nourrir la confusion des élus. Les élus réclament une pause pour bien intégrer l'existant et gagner en cohérence et en transversalité.

Nous souhaitons conforter l'outil des CRTE, notamment élargis à la dimension sociale, comme le cadre de référence de la mise en oeuvre des politiques publiques de l'État.

Il faut sortir de la vision en silo induite par des programmes spécialisés - pour les petites villes, les villes moyennes, les villes de montagne - pour mieux identifier les dynamiques locales de coopération entre ces catégories de collectivités, les valoriser, les soutenir et y inscrire les interventions de l'Agence.

Nous souhaitons enfin renforcer l'évaluation à travers un système de mesure simple de satisfaction et de réponse aux attentes, pour les programmes nationaux et les dispositifs, et instituer un calendrier pluriannuel d'évaluations externes.

La philosophie sous-jacente à ces trois séries de recommandations est que l'État fasse plus confiance aux acteurs locaux : aux élus, aux collectivités et même à ses propres services déconcentrés. Nous avons entendu des critiques à cet égard.

Mme Céline Brulin, rapporteure. - En conclusion, signalons que l'Agence a renouvelé sa gouvernance politique, avec la désignation de M. Christophe Bouillon, maire de Barentin et président de l'Association des petites villes de France (APVF), et administrative, avec la nomination de M. Stanislas Bourron, ancien directeur général des collectivités locales (DGCL) au poste de directeur général.

Nous aurons le plaisir de remettre ce rapport, avec vous, madame la présidente, le mercredi 8 février à 13 heures à Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Chers collègues, je vous remercie pour cet excellent bilan et la qualité de votre binôme.

La constance de la « filature bienveillante » de la délégation est très importante, a fortiori au moment du changement de gouvernance.

Je me réjouis de la cohérence de la réflexion des sénateurs. Les services déconcentrés sont parfois dans un état de fatigue avancé. Vous avez insisté sur le besoin d'ingénierie des collectivités, ingénierie qui peut être financière, technique, sous forme d'assistance à maîtrise d'ouvrage - voyez le cas des ponts, qui exige l'expertise des ingénieurs du Cerema. Les élus ont besoin de s'appuyer sur une ingénierie neutre, et non de se mettre entre les mains de business men. Des intercommunalités instaurent déjà des fonctions d'ingénierie au service des communes membres, comme la communauté d'agglomération de Saint-Malo. Les mutualisations sont ainsi encouragées.

Mathieu Darnaud et moi-même poussons à la fusion. Nous avons décidé d'être un peu disruptifs, car, même si le Cerema est un organisme de grande qualité, il faut partir des besoins des usagers avant tout, et non se focaliser sur les réticences des personnels. Le préfet de département pourrait piloter le guichet unique de cette ingénierie. Le Cerema dit pouvoir organiser des réunions de concertation, mais ce n'est pas la meilleure manière de créer des dynamiques pour les territoires - lors de réunions pour organiser l'installation d'une entreprise dans un territoire, on trouve bien souvent plus de fonctionnaires que de représentants des entreprises. Soyons agiles. Si l'État souhaite accompagner les collectivités, les élus doivent accéder facilement aux services compétents.

M. Laurent Burgoa. - Je serai peut-être un peu provocateur. Avez-vous envisagé la suppression de cette agence ?

M. Thierry Cozic. - Quel art de la concision !

Mme Muriel Jourda. - Cela valait-il la peine de supprimer la direction départementale de l'équipement (DDE) pour la remplacer par trois agences différentes ? La DDE fonctionnait plutôt bien, son action avait du sens.

M. Rémy Pointereau. - L'ANCT est une coquille vide. Les préfets n'ont pas de moyens supplémentaires, notamment humains. Il n'y a pas de dialogue avec les départements, les services ne se parlent pas, tout est fait en silo. L'utilité de l'Agence est vraiment en question ; la fusion entre le Cerema et l'ANCT serait sûrement une bonne chose. Les élus ne connaissent pas cette agence et il n'y a aucun référent dans les territoires.

M. Charles Guené, rapporteur. - Vous avez la tentation de jeter le bébé avec l'eau du bain. Nous nous sommes posé la question. Je rappelle que le Sénat est à l'origine de l'Agence ! Il est légitime de voir ensuite si elle répond bien aux besoins. Entre 60 et 70 départements n'ont pas besoin d'ingénierie, soit parce que les territoires se sont déjà organisés, puisqu'ils en avaient les moyens, soit parce que des personnels motivés, dans les conseils départementaux, ont pris les choses en main. Cependant, 30 départements sont dans un dénuement presque total en la matière. Je serai plus précis : dans ces 30 départements, en général, les grandes villes et grandes communautés d'agglomération se sont organisées, tandis que règne autour un no man's land, où les petites communes ne bénéficient pas de cette ingénierie. Quand les départements, ensuite, essaient de mettre en place des agences départementales, ils n'ont plus assez de masse critique pour organiser les choses.

Ainsi, faut-il donner la main aux départements ou aux préfets ? Ce serait aujourd'hui difficile pour les départements ; les préfets semblent les mieux placés pour organiser le terrain et travailler avec tous les acteurs, dont le département. Voilà le bon niveau d'action.

L'ingénierie regroupe des réalités différentes. Dans les 30 départements évoqués, nous parlons souvent d'ingénierie classique, celle qui correspond au retrait de la DDE et à l'ancien périmètre de l'Atésat. Aujourd'hui, une nouvelle ingénierie émerge, sur la transition énergétique, le numérique, la démographie et la désertification médicale. Enfin, l'ingénierie du Cerema est une ingénierie d'expertise, dont les petites communes n'ont pas besoin, mais qui répond à des demandes importantes des grandes collectivités.

Mme Céline Brulin, rapporteure. - Quoi qu'il en soit, il convient d'apporter une réponse à tous les besoins d'ingénierie que Charles Guené vient d'évoquer. Cela nous a conduits à réfléchir à des moyens humains et financiers supplémentaires dans les préfectures. Je pense à des experts sur certains sujets très pointus, mais aussi à de l'ingénierie opérationnelle, énormément recherchée par les petites communes.

Au-delà du phénomène de « copier-coller » pour ce qui concerne les études, l'ANCT doit être en mesure d'avoir des référents régionaux connaissant mieux le terrain et apportant des réponses sur mesure.

Avant une fusion entre le Cerema, l'Ademe et l'ANCT, ces trois acteurs doivent se mettre « au chevet des territoires », conformément à la logique des CRTE. À l'heure actuelle, ils travaillent en silo et ne considèrent pas l'ensemble des problématiques du territoire.

Je ne suis pas sûre que la fusion de grands organismes contribue de fait à un décloisonnement. Je pense notamment aux agences régionales de santé (ARS), résultat de la fusion de sept entités différentes, qui n'ont pas vraiment donné les résultats attendus.

Nous avons privilégié un travail en commun, sans passer par une fusion, qui demande du temps.

M. Pascal Martin. - Je salue le travail des deux rapporteurs, qui traduit bien ce que nous vivons sur le terrain.

Dans le département de la Seine-Maritime, qui compte un peu plus de 700 communes, dont 600 ont moins de 1 000 habitants, l'immense majorité des maires ignore totalement l'existence de l'ANCT. Et ceux qui la connaissent s'interrogent sur son utilité !

Nous retrouvons le constat que vous avez dressé pour de très nombreuses agences, avec une approche en silo, une simplification manquée, une démarche descendante et presque jamais ascendante, qui ne répond pas à l'attente des maires et une absence d'évaluation.

L'empilement des agences pose un véritable questionnement. J'entends ce que disent nos collègues de manière quelque peu provocatrice concernant la raison d'être et la plus-value de l'ANCT.

M. Antoine Lefèvre, vice-président. - Dans mon département, l'ANCT est également méconnue par les acteurs, notamment du monde rural.

Vous proposez une sorte de modèle type, en faisant référence à des agences existantes. Toutefois, d'un département à un autre, la situation est très contrastée. En effet, certains besoins ont d'ores et déjà été pris en compte. Je rappelle à cet égard le rapport d'information intitulé Faire confiance à l'intelligence territoriale. Dans ce contexte, sans doute un modèle type n'est-il pas applicable partout.

Certes, en évoquant une agence nationale, on rêve peut-être d'un modèle idéal. Cependant, il convient d'introduire davantage de pragmatisme.

Enfin, si l'objectif est d'arriver au résultat des ARS, cela laisse songeur !

M. Jérôme Durain. - Nous devons retrouver quelques principes simples : proximité, solidarité territoriale et égalité de traitement.

Finalement, plusieurs niveaux d'ingénierie cohabitent : l'État, mais aussi des structures de niveau départemental, lesquelles ont été déconstruites par l'émergence des intercommunalités, et la « ligue des champions » de l'ingénierie, avec les intercommunalités de premier niveau, qui ont leurs propres structures. Les structures départementales vieillissent mal, parce qu'il n'y a plus de solidarité territoriale. Quant aux petites intercommunalités, elles disposent d'une ingénierie « déportée », qui est un peu trop loin.

Sans doute existe-t-il une solution avec certains financements associés à des postes dédiés localement, dans le cadre d'une politique contractuelle.

Il semble que l'ANCT n'ait pas répondu complètement à cette problématique.

Mme Françoise Gatel, présidente. - À un moment donné, l'État a décidé d'externaliser ses fonctions, en créant des agences, sources, semblait-il, d'efficience. Or aujourd'hui, ces dernières, quelle que soit la diversité des territoires, n'assurent pas le service.

Face aux directions régionales du Cerema, structure remarquable, comment une commune située au coeur de la région peut-elle se faire connaître ?

Je ne suis pas étatiste ni nostalgique. Simplement, nous avons besoin d'un accompagnement de l'État et des collectivités pour la réalisation des missions.

Vous avez évoqué la fusion de ces énormes « machins », qui nous prendrait des années. Certes, mais la crise montre l'importance d'un État déconcentré à une échelle d'efficacité de proximité, qui correspond très souvent à l'échelle départementale, que je ne confonds pas avec le conseil départemental. Les services doivent être largement déconcentrés, avec la capacité d'agir. Quant au préfet, il doit être l'interlocuteur privilégié, le chef d'orchestre.

Mme Céline Brulin, rapporteure. - Vous avez qualifié nos propos, mon cher collège, de « provocateurs ». À mes yeux, ils ne le sont pas !

Le premier enjeu, c'est la différence de perception des élus locaux et la façon dont l'Agence se voit elle-même. Il convient de faire en sorte que chacun s'appuie sur la même réalité.

Nous n'envisageons absolument pas un modèle type ! Au contraire, il convient de doter les territoires, au niveau départemental, d'une ingénierie développée, afin de répondre aux différents besoins. Il est d'abord nécessaire de coordonner ce qui existe déjà, ensuite de compléter les solutions, l'Agence apportant une ingénierie propre, mobilisable sur le terrain, à la demande des collectivités territoriales. Enfin, l'État doit se positionner sur les grands domaines stratégiques : comment aider les territoires à affronter les enjeux à venir ?

M. Charles Guené, rapporteur. - Permettez-moi d'apporter une autre approche.

En réalité, l'Agence possède trois secteurs d'action. Tout d'abord, elle est le promoteur des politiques publiques. Dans ce rôle de missi dominici, elle a assez bien réussi.

Ensuite, s'agissant du service qu'elle rend aux territoires, l'Agence possède des moyens relativement faibles. Elle oeuvre à une sorte de mise en cohérence des grands acteurs et apporte une réponse, lorsqu'elle est demandée par le territoire.

Enfin, elle doit faire l'analyse du terrain, dans chaque département, pour évaluer les besoins, les mettre en cohérence, afin de répondre à l'attente des élus. Si l'Agence accomplissait partout cette mission, ce serait déjà très bien !

Ainsi, dans quelques départements, il existe un guichet unique pour l'État, le département et la région. Or c'est exactement ce que les élus souhaitent ! En la matière, la marge de progression est énorme.

M. Olivier Paccaud. - L'Oise a eu le privilège de traiter avec une présidente de l'ANCT issue de son territoire, qui a fait beaucoup de « propagande ». Nous avons ainsi eu droit à quelques grands-messes en préfecture. Toutefois, à l'arrivée, l'ANCT n'a quasiment rien fait dans l'Oise ! La nature ayant horreur du vide, les collectivités se sont dotées elles-mêmes de leur propre ingénierie.

Mme Catherine Di Folco. - Seulement les grandes collectivités !

M. Olivier Paccaud. - Cela dépend ! Jérôme Durain a évoqué une « ligue des champions ». Ainsi, Beauvais ou Compiègne disposent de moyens d'ingénierie qui fonctionnent très bien. Les intercommunalités de taille plus restreinte ont aussi mis en place des systèmes d'ingénierie fonctionnant plus ou moins bien. Quant au département, il avait instauré une assistance départementale pour les territoires de l'Oise, qui propose ses services moyennant cotisation. Cela fonctionne plus ou moins bien.

Une agence n'est pas là pour remplacer l'État ! Est-ce un « machin » ? C'est vraiment le sentiment qu'en ont les élus de l'Oise !

M. Bernard Buis. - Le cas de la Drôme ressemble fort à ceux qui viennent d'être décrits. Au moment de la disparition de l'Atésat, un service d'ingénierie plutôt efficace avait été mis en place pour les petites communes au niveau du département. Dans ce contexte, l'ANCT n'a pas su trouver sa place : les maires ne la connaissent pas. Les rares qui savent de quoi il s'agit sont ceux des Petites Villes de demain.

M. Bernard Delcros, vice-président. - Je partage l'essentiel des remarques qui ont été faites. Lorsqu'il a été décidé de créer l'ANCT, il s'agissait de répondre au besoin réel de mieux accompagner les élus locaux et les territoires dans leurs démarches, qui sont de plus en plus complexes. Le besoin d'ingénierie a changé : au temps de l'Atésat, les petites communes avaient surtout besoin d'accompagnement en matière de voirie communale...

Les résultats ne sont pas au rendez-vous, sachant que la situation est très différente d'un département à l'autre. La création de l'ANCT ne s'est pas assortie de moyens supplémentaires ; on aurait pu au moins imaginer une réorganisation des services de l'État... Ce besoin d'accompagnement n'a pas disparu ; il concerne essentiellement les petites communes, qui sont précisément celles qui ne savent pas du tout ce qu'est l'ANCT. Cette dernière est identifiée seulement par les communes qui bénéficient de programmes nationaux, Petites Villes de demain notamment ; mais, justement, celles-là n'ont pas besoin de l'ANCT...

L'ANCT ne répond pas complètement au besoin : les petites communes ne tirent aucun bénéfice de sa création, les grandes s'en passent très bien. Il faut donc réorienter l'action de l'ANCT en redéfinissant son rôle ; ce chantier reste à mener.

Je rejoins ce qui a été dit sur l'évaluation : aucun miracle n'est à attendre de la fusion.

Une question sur le « 1 %o » : comment imaginez-vous concrètement un tel dispositif, sachant que l'accompagnement en ingénierie qui a été mis en place dans le cadre du programme Petites Villes de demain s'est révélé efficace ?

Mme Céline Brulin, rapporteure. - Vos exemples, mes chers collègues, vont dans le sens de ce que nous proposons : les préfets et sous-préfets doivent s'impliquer beaucoup plus et beaucoup mieux pour répondre aux besoins de tel ou tel territoire ; même en supposant qu'elle soit parfaite, ce ne peut être le rôle de l'Agence, depuis Paris, d'y pourvoir.

À la faveur de l'apparition de nouveaux enjeux complexes - gestion de l'afflux touristique, problèmes écologiques, etc. -, on en oublie qu'il faut répondre aussi aux problèmes de voirie. Or, telle n'est pas la vocation de l'ANCT, dont le rôle est plus général - il est d'organiser la réponse.

Pour ce qui est du 1 %o, l'idée est la suivante : à chaque fois que des investissements sont réalisés, on prélèverait une toute petite partie - 1 %o - des montants dépensés pour abonder un fonds commun national d'ingénierie. Comme on dit, il pleut toujours là où c'est mouillé : les grandes collectivités, qui ont les moyens de développer de l'ingénierie, ont par là même accès à des financements dont les petites collectivités sont privées. Nous appelons de nos voeux une forme de ruissellement vertueux : comment faire en sorte que les dépenses globales d'investissement profitent aux territoires qui ont moins de moyens d'ingénierie ?

M. Charles Guené, rapporteur. - Il existait une règle, autrefois, qui faisait obligation de réserver 1 % des dépenses engagées dans le cadre d'un grand chantier à la réalisation d'une oeuvre d'art... C'est un peu le même principe que nous proposons d'appliquer à l'ingénierie. Vu le montant des investissements locaux, la somme ainsi dégagée ne serait pas neutre.

Bernard Delcros a dit que les politiques publiques nationales n'avaient pas besoin de l'ANCT. Mon sentiment est que l'inaction ou la méfiance des préfets vient de là : eux aussi se sont demandé ce que c'était que ce « bidule ». Il a été assez difficile de leur expliquer que l'ANCT avait vocation à se décliner localement, à leur niveau, son rôle étant de mettre en cohérence l'ingénierie mobilisée sur le terrain. Des ressources sont souvent déjà en partie disponibles au niveau de leur département, mais elles ne sont pas toujours utilisées de façon judicieuse...

Les préfets disent avoir besoin à la fois de « petites mains » et de chefs de projet ; l'ANCT, qui met beaucoup de monde, désormais, sur le terrain, pourrait mettre certains de ses agents à leur disposition. Gardons en tête, néanmoins, que les collectivités se sont longtemps battues pour disposer, en interne, de leurs propres ressources d'ingénierie.

Dans les départements où il ne « pleut » pas assez, où le niveau d'ingénierie est faible, les marges de progression sont considérables ; il peut suffire, y compris à moyens constants, de mieux organiser les choses. Et les préfets sont les mieux placés pour conduire ce travail.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Lors de l'examen du projet de loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), il a beaucoup été question des relations du préfet avec les ARS ou avec l'Ademe : nous avons fait officiellement du préfet le « référent Ademe », mettant fin à une situation dans laquelle une agence fonctionnait pour ainsi dire en autonomie, définissant elle-même ses propres objectifs sans comptes à rendre à personne.

Dès lors qu'une agence est financée par l'État et exerce des fonctions pour son compte, il me semble normal que celui-ci ait une réelle autorité sur les services de ladite agence. Mais, comme l'Ademe nous l'a expliqué, dépendre du préfet, quand on a pris goût à l'autonomie, peut se révéler insupportable...

Dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur de M. Darmanin, un progrès énorme a été accompli : dorénavant, le préfet de département, en cas de crise, aura autorité sur tous les établissements publics de l'État et services déconcentrés. De la même façon, le préfet doit exercer une autorité réelle sur l'ANCT. Abstraction faite de la bonne volonté de chacun de travailler en intelligence, il faut une véritable chaîne d'efficience à l'échelle déconcentrée. Le préfet doit avoir à sa disposition des chefs de projet compétents et les prérogatives de chacun doivent être clairement établies.

Pour ce qui est du programme Petites Villes de demain, je n'ai eu que des échos très positifs de la fonction de chef de projet, qui donne aux élus la capacité de réfléchir à ce qu'ils vont faire avant de le faire...

Je pense notamment au financement de la transition écologique, qui va reposer sur les collectivités. Quid de l'efficience de la dépense ? On l'estime à 12 milliards d'euros par an. Il est évidemment nécessaire, et d'ailleurs obligatoire, d'agir en la matière, mais ce sujet emporte aussi des questions d'image. À cet égard, confier le travail aux seuls cabinets privés est dangereux : ceux-ci peuvent répugner à vous dire non et vous laisser vous engager dans des investissements dont la pertinence n'a pas été mesurée.

Je plaide ainsi pour que le Cerema intervienne en tant qu'assistant à maîtrise d'ouvrage. Le recours à des sociétés privées ne doit pas être systématique.

M. Bernard Delcros. - Aucun maire d'une petite commune ne sait que le Cerema existe...

Mme Céline Brulin, rapporteure. - Les collectivités ont désormais la possibilité d'adhérer directement au Cerema ; cela fait partie du paysage complexe qu'elles ont à s'approprier...

M. Charles Guené, rapporteur. - Un mot sur la complexité des chaînes de commandement : l'ANCT est sous tutelle de la direction générale des collectivités locales quand les préfets sont rattachés au ministère de l'intérieur. Autrement dit, il n'est pas toujours facile de communiquer et d'imposer des décisions...

Le nouveau directeur général de l'ANCT est confronté à ce problème : quel véhicule utiliser pour dialoguer avec les préfets ?

Mme Françoise Gatel, présidente. - C'est précisément la raison pour laquelle nos collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche, dans leur rapport d'information déposé en septembre dernier, ont proposé que les préfets soient dorénavant rattachés au Premier ministre, ce qui favoriserait l'exercice de leur mandat interministériel. Une telle recommandation est si disruptive qu'elle n'a pas été sans créer quelques malaises, mais la question mérite d'être posée, car le fonctionnement en silos n'est pas efficace !

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