Rapport n° 360 (2022-2023) de Mme Catherine PROCACCIA , fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé le 16 février 2023

Disponible au format PDF (1,5 Moctet)

Synthèse du rapport (672 Koctets)


N° 871

N° 360

ASSEMBLÉE NATIONALE

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

SESSION ORDINAIRE 2022-2023

Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale

Enregistré à la présidence du Sénat

le 16 février 2023

le 16 février 2023

RAPPORT

au nom de

L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

sur

L'IMPACT DE L'UTILISATION

DE LA CHLORDÉCONE AUX ANTILLES FRANCAISES

par

Mme Catherine PROCACCIA, sénateur.

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale

par M. Pierre HENRIET,

Président de l'Office

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Gérard LONGUET,

Premier vice-président de l'Office

Composition de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques
et technologiques

Président

M. Pierre HENRIET, député

Premier vice-président

M. Gérard LONGUET, sénateur

Vice-présidents

M. Jean-Luc FUGIT, député

Mme Sonia de LA PROVÔTÉ, sénatrice

M. Victor HABERT-DASSAULT, député

Mme Angèle PRÉVILLE, sénatrice

M. Gérard LESEUL, député

Mme Catherine PROCACCIA, sénateur

DÉPUTÉS

SÉNATEURS

Mme Christine ARRIGHI

M. Philippe BERTA

M. Philippe BOLO

Mme Maud BREGEON

M. Moetai BROTHERSON

M. Adrien CLOUET

M. Hendrik DAVI

Mme Olga GIVERNET

M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI

M. Yannick NEUDER

M. Jean-François PORTARRIEU

M. Alexandre SABATOU

M. Jean-Philippe TANGUY

Mme Huguette TIEGNA

Mme Laure DARCOS

Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS

M. André GUIOL

M. Ludovic HAYE

M. Olivier HENNO

Mme Annick JACQUEMET

M. Bernard JOMIER

Mme Florence LASSARADE

M. Ronan Le GLEUT

M. Pierre MÉDEVIELLE

Mme Michelle MEUNIER

M. Pierre OUZOULIAS

M. Stéphane PIEDNOIR

M. Bruno SIDO

M. Bruno SIDO

SOMMAIRE

Pages

SYNTHÈSE 7

RAPPORT 17

I. ÉTAT DE LA CONTAMINATION DES ÉCOSYSTÈMES ANTILLAIS 21

A. CONTAMINATION DES SOLS 21

1. Une pollution persistante dont la durée varie avec le type de sol 21

2. De récents résultats empreints d'espoirs 21

3. Une cartographie des sols encore parcellaire 23

B. CONTAMINATION DES MILIEUX AQUATIQUES ET DE LEUR FAUNE 25

1. Un transfert vers les eaux de surface et souterraines 25

2. Une contamination qui se prolonge dans les eaux marines 26

3. Des conséquences pour les espèces aquatiques 27

C. CONTAMINATION DE CERTAINS VÉGÉTAUX 29

D. CONTAMINATION DES ANIMAUX TERRESTRES 30

E. IMPACTS SUR LA BIODIVERSITÉ : DES RECHERCHES À CONSOLIDER 31

II. POSSIBILITÉS DE DÉCONTAMINATION ET DE SÉCURISATION DES PRODUCTIONS AGRICOLES 32

A. DÉGRADATION DE LA CHLORDÉCONE PRÉSENTE DANS LES SOLS 32

1. Approche microbiologique 32

2. Approche chimique 33

3. Des recherches complémentaires nécessaires sur les produits de dégradation et les effets cocktails 34

B. SÉCURISATION DE L'EAU ET DE L'ALIMENTATION 36

1. Dépollution des eaux de consommation 36

2. Sécurisation des ressources agricoles et minimisation de l'exposition alimentaire 37

a) Sécurisation et minimisation de l'exposition par les végétaux 37

b) Sécurisation des produits issus des animaux terrestres d'élevage 38

c) Sécurisation et minimisation de l'exposition par les produits de la pêche 39

3. Contrôle des denrées alimentaires grâce aux limites maximales de résidus (LMR) 40

4. Soutien apporté aux agriculteurs et aux marins pêcheurs 42

III. EXPOSITION ET EFFETS SANITAIRES SUR L'HOMME 43

A. RAPPEL HISTORIQUE : INCIDENT DE HOPEWELL 43

B. ÉVALUATION DE L'EXPOSITION AUX ANTILLES 43

1. Exposition des travailleurs agricoles 44

2. Exposition de la population générale 44

a) Imprégnation 44

b) Exposition alimentaire 45

c) Révision des valeurs toxicologiques de référence 46

3. Un nouvel outil de suivi et de prévention : la chlordéconémie 47

4. Études en cours 48

C. EFFETS SANITAIRES 48

1. Caractère cancérogène 48

a) Études scientifiques sur le cancer de la prostate 48

b) Études scientifiques sur les autres cancers 50

c) Reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle 51

2. Grossesse et développement de l'enfant 52

3. Fertilité masculine et féminine 54

4. Effets hépatiques 54

IV. ÉVALUATION DE L'ACTION DE L'ÉTAT ET CONSÉQUENCES SOCIALES 55

A. ÉVALUATION DES TROIS PREMIERS PLANS CHLORDÉCONE 55

B. LA DÉFIANCE DE LA POPULATION 56

1. La responsabilité de l'État mise en cause 56

2. Un sentiment exacerbé par des actions de l'État jugées défaillantes 57

3. Une confiance et une communication à reconstruire 58

C. LES PROGRÈS DU PLAN CHLORDÉCONE IV 60

1. Une nouvelle structuration et un budget augmenté 60

2. Une recherche mieux coordonnée 60

3. Une indispensable inclusion de la population 61

V. BILAN ET RECOMMANDATIONS 63

A. BILAN DES TRAVAUX 63

B. RECOMMANDATIONS 65

1. Recherche 65

2. Communication 66

3. Chlordéconémie 67

4. Suivi et évaluation du plan 67

TRAVAUX DE L'OFFICE 69

I. COMPTE RENDU DE L'AUDITION PUBLIQUE DU 17 FÉVRIER 2022 69

II. COMPTE RENDU DE L'AUDITION PUBLIQUE DU 20 OCTOBRE 2022 103

III. COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE MADAME EDWIGE DUCLAY 131

IV. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 16 FÉVRIER 2023 D'EXAMEN DU RAPPORT 145

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES 163

I. AUDITIONS PUBLIQUES 163

II. AUDITIONS RAPPORTEUR 164

GLOSSAIRE 167

LISTE DES ÉTUDES CITÉES 169

LISTE DES SIGLES ET DES ACRONYMES 171

SYNTHÈSE

La chlordécone est un pesticide qui a notamment été utilisé en Guadeloupe et en Martinique entre 1972 et 1993 pour lutter contre l'invasion du charançon dans les plantations de bananes. En raison de sa rémanence, cette molécule contamine toujours ces territoires, avec des impacts sur les sols, les eaux, la flore, la faune mais également sur l'homme. La lutte contre cette pollution constitue donc un enjeu à la fois sanitaire, environnemental, agricole, économique et social pour les Antilles françaises.

(c) iStock / Ivan-balvan / piyaset / YakobchukOlena / tupungato

En 2009, l'Office a publié un rapport sur les impacts de l'utilisation de la chlordécone aux Antilles, établi par le député Jean-Yves Le Déaut et le sénateur Catherine Procaccia. Ce rapport soulignait un « accident environnemental », tout en précisant « que ce n'était qu'en poursuivant les études scientifiques et médicales que nous pourrions mesurer l'impact sanitaire réel sur la population ».

Treize ans après la publication de ce rapport, l'Office fait le point sur l'évolution des connaissances scientifiques relatives à l'impact de la chlordécone.

État de la contamination des écosystèmes antillais

• Contamination des sols

Le premier rapport de l'Office indiquait que, pour les chercheurs, la dégradation naturelle de la chlordécone était très limitée et son élimination reposait uniquement sur sa diffusion dans l'environnement, principalement par lixiviation. Les durées de contamination des sols étaient estimées à plusieurs siècles, avec une rémanence dépendant fortement du type de sols.

Depuis, plusieurs travaux ont mis en évidence l'existence d'une certaine dégradation naturelle de la chlordécone et ont constaté une diminution de sa concentration dans les sols. Selon de nouvelles estimations, les concentrations en chlordécone dans les sols pourraient être inférieures aux limites de détection actuelles d'ici la fin du siècle. Ce résultat doit toutefois être apprécié avec prudence, des études complémentaires étant nécessaires pour le confirmer ou l'infirmer.

En 2009, l'Office souhaitait que des cartographies des sols pollués soit effectuées. Mais, en 2023, celles-ci ne couvrent qu'une faible partie des territoires antillais puisqu'elles ne reposent que sur les analyses gratuites de sol dont le but est de permettre aux agriculteurs et aux utilisateurs de jardins familiaux d'adapter leurs pratiques agricoles à l'éventuel taux de contamination constaté.

Cartographie des teneurs en chlordécone des sols de Guadeloupe et de Martinique
(crédits : DAAF Guadeloupe et DEAL Martinique)

• Contamination des milieux aquatiques et de leur faune

Bien que la chlordécone présente une forte affinité pour la matière organique et soit peu soluble dans l'eau, elle peut être lessivée à petite dose par les flux pluviométriques. Majoritairement transférée vers les aquifères, elle contamine ensuite les eaux de source et les rivières.

En raison des importants temps de recharge des aquifères antillais, il est probable que, même après la disparition de la chlordécone contenue dans les sols, la pollution des eaux se poursuive pendant plusieurs dizaines d'années.

Naturellement, cette contamination des eaux douces se répercute sur les eaux marines, dont la pollution diminue avec l'éloignement de la côte.

La faune aquatique, qu'elle soit dulçaquicole ou marine, est alors impactée au travers de deux mécanismes : d'une part, par balnéation, qui dépend de la concentration en chlordécone de l'eau, d'autre part, par voie trophique du fait de l'ingestion de proies contaminées.

• Contamination de la faune et de la flore

La chlordécone présente dans les sols peut être transférée dans certains végétaux. Cette contamination ne concerne que les végétaux qui poussent dans le sol, comme les racines et les tubercules, et, dans une moindre mesure, les légumes qui poussent en contact avec le sol. Une certaine variabilité du transfert a été mise en évidence en fonction du type de sol et de la nature de la plante.

Les animaux peuvent également être atteints en buvant de l'eau ou en consommant des aliments contaminés mais également en ingérant involontairement de la terre polluée ; c'est notamment le cas des bovins mais aussi et surtout des animaux dont le comportement les amènent à fouiller le sol comme les poules ou les porcs.

Bien que de nombreuses études se soient intéressées à cette pollution, on remarque un manque de connaissances sur ses effets sur la biodiversité. Ce domaine devra être investi dans une approche « one health », considérant la santé des humains, des animaux et des écosystèmes comme liée et interdépendante.

Possibilités de décontamination et de sécurisation des productions agricoles

• Dégradation de la chlordécone présente dans les sols

En raison de la persistance de la chlordécone dans les milieux naturels antillais, diverses équipes de recherche se sont intéressées à sa suppression ou, à défaut, à sa réduction.

Récemment, des recherches ont montré qu'avec des conditions de laboratoire spécifiques, plusieurs souches de bactéries pouvaient dégrader la chlordécone. La présence des molécules formées au cours de ces dégradations dans des matrices environnementales antillaises démontre l'occurrence de processus similaires en conditions réelles de terrain. Des travaux sont nécessaires, et en cours, afin de déterminer comment stimuler cette dégradation.

En parallèle, une approche reposant sur l'ajout de réducteurs chimiques - du fer zéro valent - dans les sols a été développée et a montré son efficacité pour réduire la concentration en chlordécone, y compris en conditions réelles de terrain. Les limites suivantes sont toutefois soulevées : la dégradation n'a lieu que dans la couche superficielle du sol ; les résultats sont plus modestes dans les andosols ; le coût associé est relativement important.

Ces pistes encourageantes doivent être poursuivies, en facilitant la mise en place d'études en conditions réelles de terrain lorsque les résultats de laboratoire sont prometteurs .

Qu'elle soit naturelle ou artificielle, la dégradation de la chlordécone se traduit par la formation de produits de transformation. Il apparait essentiel d'étudier dans tous leurs effets la toxicité de ces molécules ainsi que leurs propriétés, afin d'évaluer leur rémanence et leur capacité de transfert vers l'eau et les plantes.

• Sécurisation de l'eau et de l'alimentation

L'utilisation de filtres à charbon actif permet une décontamination des eaux de consommation. Cependant des non-conformités continuent d'être observées - probablement en raison de retards dans le remplacement des filtres - et se traduisent par des restrictions d'usage pour les personnes les plus vulnérables voire par des interdictions de consommation. Des efforts doivent être effectués pour que cette solution soit mieux mobilisée.

Face à la difficulté de dégrader la chlordécone présente dans les sols, une alternative est de séquestrer la molécule afin de réduire son transfert vers les plantes. Des recherches ont montré que des amendements de compost permettent de réduire la contamination de différentes cultures. Cette méthode a cependant l'inconvénient de ne pas être pérenne, le compost devant être renouvelé régulièrement et la chlordécone étant seulement immobilisée et non détruite. L'utilisation de charbons d'origine végétale (biochar), notamment issus de sargasses pyrolysées, est une piste de recherche porteuse d'espoirs.

En parallèle de ces solutions techniques, des conseils pratiques peuvent éviter la contamination de la population. Les agriculteurs et les jardiniers sont ainsi invités à adapter leurs cultures en fonction du degré de contamination de leurs parcelles et les consommateurs à modifier leurs habitudes alimentaires ainsi qu'à laver minutieusement et à éplucher généreusement leurs légumes.

Ces bonnes pratiques sont notamment diffusées au travers du programme JaFa, qui offre aux Antillais propriétaires de jardins familiaux la possibilité de bénéficier d'une analyse gratuite de leur sol et de conseils agricoles et nutritionnels permettant de limiter leur exposition.

En matière d'élevage, des solutions de décontamination d'un animal avant son abattage et sa consommation existent. La faisabilité dépend de la durée nécessaire pour éliminer la chlordécone et de sa compatibilité avec la durée d'élevage. Un outil d'aide à la décision visant à estimer la durée de décontamination pour un bovin à partir d'une simple prise de sang a été développé. Appliqué expérimentalement en Guadeloupe et en Martinique, il est aujourd'hui prévu de le déployer plus largement parmi les agriculteurs antillais.

Pour réduire l'exposition alimentaire via les produits de la pêche, des zones de restriction et d'interdiction de pêche et d'aquaculture, tant en rivière qu'en mer, ont été élaborées. Les pêcheurs professionnels sont clairement identifiés et se sont engagés dans une démarche de traçabilité de leurs produits. Un programme d'information destiné aux consommateurs, dénommé « Titiri », a également été lancé.

Les campagnes de contrôles menées ces dernières années montrent que les taux de conformité tendent à augmenter et que les risques sont relativement limités pour les produits issus des circuits commerciaux. En revanche, les denrées échangées dans le cadre de circuits informels demeurent malheureusement en dehors de ces contrôles.

Exposition et effets sanitaires sur l'homme

• Évaluation de l'exposition

La première étude Kannari, conduite en 2013 et 2014, a indiqué que la chlordécone était détectée chez plus de 90 % des adultes antillais. Sur la base de ces prélèvements, il a été récemment estimé que 14 % des adultes guadeloupéens et 25 % des adultes martiniquais dépassaient la valeur toxicologique de référence interne définie par l'Anses (0,4 ìg/L), qui correspond à la concentration de chlordécone dans le sang en dessous de laquelle, sur une longue période, le risque d'apparition d'effets néfastes dans la population est jugé négligeable.

Grâce à un amendement adopté au Sénat dans la loi finances pour 2020, le plan chlordécone IV offre à chaque Antillais la possibilité de faire doser gratuitement sa concentration sanguine en chlordécone. Cet outil, appelé « chlordéconémie », permettra de mieux suivre l'imprégnation de la population et de mener des actions de prévention en fournissant des conseils adaptés aux personnes dont l'imprégnation est élevée. Cependant, une chlordéconémie élevée n'est pas nécessairement synonyme d'impacts futurs sur la santé ; ce dosage n'est pas un outil de prédiction ou de diagnostic.

Un volet de l'étude Kannari a également été consacré à l'exposition alimentaire de la population. Celui-ci montrait que les grands consommateurs de produits de la mer issus des circuits informels, les consommateurs de produits d'eau douce issus de l'autoproduction et du don, et les autoconsommateurs de racines, de tubercules, d'oeufs et de volailles résidant en zone contaminée étaient les personnes les plus exposées. A contrario , un plus faible niveau d'exposition était observé chez les personnes qui suivent les recommandations alimentaires émises par l'Afssa en 2007.

• Effets sanitaires

Les études menées depuis 2009 ont établi un lien de présomption forte entre l'exposition à la chlordécone et la survenue de cancers de la prostate. Si cela a permis de reconnaitre récemment ce cancer comme maladie professionnelle pour les agriculteurs exposés à la chlordécone, peu d'études ont été lancées sur d'autres formes de cancer. Des travaux sont depuis peu en cours, notamment sur un éventuel lien avec la survenue des myélomes multiples ou d'autres lymphomes non-hodgkiniens.

Concernant la grossesse et le développement de l'enfant, la cohorte mère-enfant Timoun a montré que l'exposition à la chlordécone était associée à un risque accru de prématurité mais également, pour l'enfant exposé pré-natalement et post-natalement, à des impacts hormonaux et à des conséquences sur le développement staturo-pondéral et le neuro-développement. Cette étude se poursuit pour évaluer les impacts à l'âge péripubertaire.

Concernant la fertilité, aucun impact chez l'homme n'a été mis en évidence aux Antilles et des études sont enfin en cours chez la femme. Les éventuels effets hépatiques font également l'objet de recherches.

Évaluation de l'action de l'État et conséquences sociales

• Évaluation des premiers plans chlordécone

Des évaluations administratives portant sur les plans chlordécone I et III ont estimé que les actions mises en oeuvre ont été tardives et inadaptées à l'ampleur de la pollution qui nécessitait une stratégie à longue échéance. Les mesures étaient principalement consacrées au volet sanitaire et négligeaient les aspects environnementaux et économiques.

Les instances de gouvernance et les dispositifs de financement ont été jugés trop complexes et peu efficaces, conduisant à un bilan qualifié de « globalement mitigé ». La communication envers les populations a été particulièrement défaillante.

Il en a été de même pour les différentes instances de pilotage de la recherche, au regard de l'ampleur des enjeux. Si les recherches menées ont certes permis de mieux appréhender la contamination des écosystèmes et de réduire l'exposition des populations grâce à des recommandations, les effets sanitaires de cette exposition ont été peu investigués et restent encore mal connus.

• La défiance de la population

Ces défaillances, face à une situation vécue comme un scandale, entrainent un sentiment de colère et de défiance dans la population, avec un impact sur la perception de l'État et des institutions. Cela explique les difficultés d'adhésion aux dispositifs et aux recommandations émises par les services de l'État.

Pour reconstruire cette confiance, il apparait essentiel de mobiliser les sciences humaines et sociales afin de se saisir des problèmes sociétaux posés par cette contamination. Des efforts semblent particulièrement nécessaires pour augmenter l'adhésion aux recommandations alimentaires qui, bien qu'efficaces et connues depuis de nombreuses années, peinent à être pleinement adoptées par la population. Une nouvelle manière de communiquer doit être explorée et faire preuve de transparence sur l'état des connaissances et les actions menées.

• Les progrès du plan chlordécone IV

Le plan chlordécone IV tente de tenir compte des limites des précédents plans. Il a été construit en associant services de l'État, collectivités locales, représentants de la société civile et organisations professionnelles, et les Antillais ont pu s'exprimer sur le projet de plan au travers d'une consultation publique.

En plus du Comité de pilotage stratégique national, sont prévus des Comités de pilotage locaux, présidés par les préfets et associant l'ensemble des parties prenantes (élus, professionnels agricoles, professionnels de santé, experts, associations environnementales et de consommateurs). Un poste de directeur de projet chargé de la coordination interministérielle du plan a été créé pour d'assister les directeurs généraux des outre-mer et de la santé et pour suivre la bonne mise en oeuvre des mesures du plan et leur exécution budgétaire.

Ce plan bénéficie d'une hausse de ses moyens, financiers avec une augmentation d'environ 20 % du budget annuel par rapport au premier plan chlordécone.

Pour répondre aux défaillances des plans précédents et donner plus d'ambition à la recherche, celle-ci bénéficie de près d'un tiers du budget prévisionnel du plan. Un premier appel à projets pleinement consacré à la chlordécone a notamment été organisé. Enfin, ce plan entend donner une nouvelle place aux recherches en sciences humaines et sociales.

En termes de transparence, un bilan indiquant l'avancement des différentes mesures, leur exécution budgétaire et les résultats des analyses conduites (analyses de sols, d'eau, de denrées alimentaires) sera publié annuellement. Des activités pédagogiques et des ateliers de sensibilisation sont également prévus, ainsi que des actions de formation à destination des professionnels de santé et des enseignants. Ils devraient jouer, avec les éco-délégués, la fonction de relai de confiance auprès de la population, qui a jusqu'à présent manqué.

Recommandations

• Recherche

Recommandation 1 : Continuer à conduire de nouveaux appels à projets pleinement consacrés à la chlordécone tous les trois ans, dont les modalités et les axes prioritaires sont définis par le Comité de pilotage scientifique national (CPSN).

Recommandation 2 : Outre les recherches sur les outils de remédiation et sur les impacts sanitaires, promouvoir le financement de travaux sur les thématiques ayant été moins explorées jusqu'à présent : sciences humaines et sociales, impacts de la chlordécone sur la biodiversité, effets cocktail de la chlordécone avec d'autres produits phytosanitaires utilisés aux Antilles, risques environnementaux et sanitaires représentés par les produits de transformation de la chlordécone.

Recommandation 3 : Accompagner les projets dans l'application pratique de leurs résultats, notamment en conditions réelles de terrain et à grande échelle, afin d'en faire bénéficier la population aussi rapidement que possible. Un soutien particulier doit être fourni quant à l'utilisation de biochars à partir de sargasses, qui pourrait résoudre deux problématiques.

Recommandation 4 : Fournir via le CPSN un accompagnement aux équipes de recherche n'ayant pas vu leur projet financé lors du premier appel à projets afin qu'elles puissent faire évoluer leurs projets et bénéficier d'un financement ultérieur.

Recommandation 5 : Suivre les différents projets de recherche en cours et encourager la mise en place de collaborations et d'échanges entre les différentes équipes.

Recommandation 6 : Faire en sorte que les études portent sur des données récentes en actualisant et en suivant dans le temps l'imprégnation et l'exposition de la population, grâce aux résultats des études Kannari 2 et ChlorExpo, mais également à l'aide des analyses de chlordéconémie et les contrôles de denrées alimentaires effectués par les DAAF.

Recommandation 7 : Lorsque cela est possible, élargir les projets de recherche à l'ensemble des produits phytosanitaires utilisés aux Antilles pour construire une approche « exposome ».

• Communication

Recommandation 8 : Repenser la communication pour la rendre moins verticale et tenir compte des réalités socio-culturelles propres aux Antilles, s'appuyer sur l'ensemble des médias disponibles tout en ciblant préférentiellement les populations sensibles et particulièrement à risque d'exposition, et mobiliser des acteurs locaux pouvant servir de médiateurs de confiance auprès de la population locale.

Recommandation 9 : Tenir à jour un site internet regroupant l'ensemble des informations sur la chlordécone, dans un format adapté à l'ensemble de la population.

Recommandation 10 : Développer la communication des résultats de la recherche grâce à l'appui de la Coordination locale de la recherche sur la chlordécone aux Antilles (CloReCA) afin de lutter contre la désinformation, en organisant des conférences destinées au grand public, des visites de laboratoires, des ateliers, des animations, etc.

Recommandation 11 : Actualiser les recommandations alimentaires, notamment concernant la consommation d'oeufs et de volailles. Les messages destinés à la population devront tenir compte des résultats des études Kannari 2 et ChlorExpo, de l'évaluation du programme JaFa, des réalités socio-culturelles locales et des freins à l'adoption de ces recommandations. Revoir la communication autour de ces recommandations, qui ne doit pas uniquement reposer sur le programme JaFa et être centrée sur la population afin de maximiser leur adoption.

Recommandation 12 : À l'aide des organisations professionnelles, mener des actions spécifiques de communication et de formation auprès des travailleurs agricoles et des marins pêcheurs afin de les sensibiliser aux problématiques spécifiques rencontrées et de diffuser les bonnes pratiques et résultats provenant de la recherche. Dans le cadre du plan chlordécone IV, un programme « JaPro » destiné aux agriculteurs est actuellement en cours de mise en place, une initiative analogue destinée aux marins pêcheurs apparait souhaitable.

Recommandation 13 : En raison de l'importance de la consommation de poissons, de crustacés et de mollusques dans l'exposition alimentaire, renforcer le programme Titiri, notamment en Martinique.

Recommandation 14 : Augmenter la communication autour des dispositifs du plan destinés à la population locale (analyses des sols, chlordéconémie, aides financières pour les marins pêcheurs, reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle...) et mettre en place des dispositifs d'accompagnement pour les démarches nécessaires afin que la population puisse s'en saisir pleinement.

Recommandation 15 : Faire preuve de transparence sur les résultats des actions menées et sur l'avancée des différentes mesures du plan en continuant de publier annuellement des bilans de mise en oeuvre du plan chlordécone IV. Construire des indicateurs permettant d'observer la progression des mesures.

• Chlordéconémie

Recommandation 16 : Faire converger les dispositifs mis en place en Guadeloupe et en Martinique pour la chlordéconémie, dans un souci d'efficacité et de lisibilité.

Recommandation 17 : Développer prioritairement les moyens d'analyse locaux afin de diminuer les temps d'attente pour la population.

Recommandation 18 : Utiliser les analyses pour acquérir de nouvelles connaissances sur les liens entre exposition alimentaire et imprégnation et sur les déterminants de l'imprégnation.

Recommandation 19 : Utiliser les analyses pour étudier la variabilité inter-individuelle de la durée de décontamination, grâce aux personnes modifiant leurs habitudes alimentaires et aux personnes quittant les Antilles pour des raisons personnelles ou professionnelles (comme les étudiants).

• Suivi et évaluation du plan

Recommandation 20 : Mettre en place des actions afin d'assurer l'utilisation et le renouvellement de filtres à charbons actifs sur toutes les usines de traitement le nécessitant, afin d'atteindre un taux de conformité de 100 % pour l'eau potable. Parallèlement, communiquer sur les risques de consommation d'eau de source, bien plus polluée. Enfin, rénover les infrastructures de distribution d'eau potable pour faire face aux coupures d'eau régulières et ainsi minimiser le risque d'approvisionnement en eau de source par la population.

Recommandation 21 : Rendre obligatoires les analyses de sol pour les agriculteurs produisant des denrées sensibles, tant animales que végétales. Conduire également des analyses de sol pour évaluer la dégradation naturelle de la chlordécone et la formation de produits de transformation.

Recommandation 22 : Accroître la surveillance des circuits de consommation informels.

Recommandation 23 : Mettre en place des plans de surveillance permettant de contrôler la présence de produits de transformation de la chlordécone dans les aliments.

Recommandation 24 : Mener une évaluation du plan chlordécone IV à mi-parcours pour identifier les éventuelles faiblesses et réorientations nécessaires à l'atteinte des objectifs fixés, en mobilisant des acteurs locaux, représentant les collectivités territoriales, les organisations professionnelles et la société civile, ainsi que la représentation nationale. Conduire une consultation publique afin d'évaluer les perceptions des forces et faiblesses du plan par la population.

*

* *

La pollution des terres antillaises et des Antillais par la chlordécone parait précurseur des futures pollutions que nous allons découvrir au XXI e siècle, qu'il s'agisse de pesticides ou d'autres substances.

Pour mieux gérer les crises futures, où qu'elles se produisent, l'État doit tirer tous les enseignements des lenteurs, erreurs et faiblesses qui ont affecté la prise en charge des populations antillaises et nourri leur défiance.

RAPPORT

La chlordécone 1 ( * ) est un pesticide ayant été utilisé dans diverses régions du monde pour lutter contre un large éventail de parasites. En France, cette molécule a été employée en Guadeloupe et en Martinique entre 1972 et 1993 pour lutter contre l'invasion du charançon dans les plantations de bananes. En raison d'une dégradation naturelle lente, cette molécule contamine toujours les parcelles sur lesquelles elle a été utilisée. L'infiltration des eaux diffuse cette pollution aux nappes souterraines, aux rivières et au milieu marin, et de nombreux végétaux et animaux se trouvent eux aussi contaminés, impactant les hommes à travers la chaîne alimentaire. La lutte contre cette pollution constitue donc un enjeu à la fois sanitaire, environnemental, agricole, économique et social pour les Antilles françaises.

Le Parlement s'est intéressé à plusieurs reprises à la situation liée à l'utilisation de la chlordécone aux Antilles. Le premier rapport parlementaire consacré à cette problématique a été publié en 2005, dans le cadre d'une mission d'information de la commission des Affaires économiques, de l'environnement et du territoire de l'Assemblée nationale 2 ( * ) . Pour la première fois, la représentation nationale constatait officiellement une pollution généralisée de l'environnement et une contamination des populations antillaises par cette molécule.

Cette même commission avait alors saisi, conjointement avec la commission des Affaires économiques du Sénat, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) afin qu'il éclaire le Parlement sur les aspects scientifiques de la situation et qu'il évalue l'application des dispositions scientifiques du premier plan chlordécone, initié en 2008. Publié en 2009, le rapport de l'OPECST relevait l'« accident environnemental » dû à cet « alien chimique », tout en précisant « que ce n'était qu'en poursuivant les études scientifiques et médicales que nous pourrions mesurer l'impact sanitaire réel sur la population » 3 ( * ) .

En 2018, lors d'un déplacement en Martinique, le Président de la République a reconnu un « scandale environnemental » et annoncé que « l'État [devait] prendre sa part de responsabilité dans cette pollution et [devait] avancer dans le chemin de la réparation ». Afin d'établir les responsabilités publiques et privées de cette pollution et d'envisager des modalités de réparation pour les territoires concernés, l'Assemblée nationale a créé une commission d'enquête dont le rapport a été publié le 26 novembre 2019 4 ( * ) . Parmi les 49 recommandations formulées, il était notamment demandé de « confier à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) la mission et les moyens de contrôle et d'évaluation de l'exécution des engagements de l'État ».

En lien avec cette sollicitation et treize ans après la publication de son premier rapport, l'OPECST a souhaité faire le point sur l'évolution des connaissances scientifiques relatives à l'impact de la chlordécone, notamment sur les possibilités de sécurisation des ressources agricoles et de dépollution des sols ainsi que sur les conséquences sanitaires et sociales de cette pollution. Ce rapport n'a pas vocation à évaluer in extenso la mise en oeuvre du plan chlordécone IV mais, en accord avec les missions de l'OPECST, de s'intéresser principalement à son volet scientifique et aux résultats obtenus par la recherche au cours des dernières années, afin d'en informer le Parlement.

Désignée rapporteur, Catherine Procaccia, co-rapporteur du rapport de 2009, a mené trois types d'actions :

- elle a organisé les 17 février et 20 octobre 2022 deux auditions publiques sous la forme de tables rondes, rassemblant chercheurs, services de l'État, représentants politiques et associations locales. La première a été consacrée aux conséquences environnementales et agricoles de la pollution à la chlordécone, la seconde à ses conséquences sanitaires et à ses répercussions sociales ;

- elle s'est déplacée en Guadeloupe pour assister au colloque scientifique organisé dans le cadre des « Rencontres chlordécone 2022 » 5 ( * ) qui a rassemblé l'ensemble de la communauté scientifique engagée sur cette thématique afin de présenter les derniers résultats obtenus, les solutions envisagées et les recherches qui restent à mener ;

- elle a réalisé cinq auditions rapporteur pour compléter ces travaux.

Les présentes conclusions de ces auditions établissent un bilan des connaissances sur la contamination des écosystèmes antillais et sur les solutions développées pour y faire face. L'exposition de la population à cette contamination et les effets sanitaires qui en résultent sont ensuite présentés. Un état des lieux des actions mises en place par l'État est également dressé, en faisant le point sur les conséquences sociales liées à cette contamination. Enfin, une série de recommandations sont énoncées.

I. ÉTAT DE LA CONTAMINATION DES ÉCOSYSTÈMES ANTILLAIS

A. CONTAMINATION DES SOLS

1. Une pollution persistante dont la durée varie avec le type de sol

Comme le décrivait le premier rapport de l'OPECST, la pollution induite par la chlordécone est particulièrement persistante. En 2009, les études disponibles montraient une faible dégradation de la molécule en conditions naturelles et, en conséquence, une élimination qui reposait uniquement sur sa diffusion dans l'environnement. Cependant, en raison d'une faible volatilité et d'une faible solubilité dans l'eau, les évacuations par évaporation, par lessivage et par ruissellement apparaissent relativement limitées. Cette situation est aggravée par la forte affinité de la chlordécone pour la matière organique 6 ( * ) et par la pédologie des sols argileux des Antilles, qui ont une importante teneur en carbone et s'avèrent donc particulièrement propices à sa rétention 7 ( * ) . Les prédictions réalisées en 2009 estimaient des durées de contamination des sols antillais pouvant aller jusqu'à plusieurs siècles.

Les différences alors observées s'expliquaient par le niveau de contamination variable des parcelles mais également par la diversité de la composition et de la structure des sols existant aux Antilles. Comme l'a indiqué M. Thierry Woignier au cours de la première audition publique, une différence importante existe entre les nitisols (composés d'argiles de type halloysite) et les andosols (composés d'argiles de type allophane). Malgré l'observation de teneurs en chlordécone bien plus élevées dans ces derniers types de sol - la différence étant d'environ un facteur cinq -, le taux de transfert de la molécule vers l'eau et les plantes s'y révèle plus limité. Cela s'explique par la structure labyrinthique de ces argiles, constitués d'agrégats contenant des pores formant une sorte de « piège » dont la chlordécone ne s'échappe que difficilement. La rémanence de la molécule s'en trouve ainsi augmentée.

2. De récents résultats empreints d'espoirs

Cependant, des études récentes ont montré qu' une dégradation naturelle de la chlordécone semblait avoir lieu aux Antilles , en contradiction avec le consensus établi. Une première étude menée en laboratoire en 2013 a montré qu'une part de la chlordécone introduite dans des échantillons d'andosols antillais était susceptible de subir une dégradation grâce à l'action de microcosmes de sols 8 ( * ) . En 2015, il a été montré que la présence d'un produit de transformation de la chlordécone - la 5b-monohydrochlordécone 9 ( * ) - découverte dans plusieurs matrices environnementales antillaises 10 ( * ) ne s'expliquait pas exclusivement par les impuretés présentes dans les formulations commerciales initialement utilisées - comme cela était considéré jusqu'alors - mais également par une dégradation de la chlordécone 11 ( * ) . Enfin, plusieurs analyses réalisées plus récemment dans des échantillons de sols et d'eaux provenant des Antilles ont montré la présence d'autres produits de transformation de la chlordécone 12 ( * ) , identiques à ceux qui pouvaient être formés en laboratoire par la voie de dégradations chimiques ou microbiologique s 13 ( * ) .

Ces résultats, associés à des mesures suggérant une diminution de la concentration en chlordécone plus rapide qu'escomptée, ont encouragé la révision des modèles d'élimination de la chlordécone 14 ( * ) . Grâce aux données provenant de 2 545 analyses réalisées entre 2001 et 2020 et de 17 parcelles examinées à deux reprises, le nouveau modèle prédit des concentrations dans les sols antillais inférieures aux limites de détection actuelles (0,002 mg/kg) d'ici la fin du siècle . Bien que ce résultat offre des perspectives positives, il convient de souligner que la durabilité de la pollution dans les sols reste marquée par de fortes incertitudes . En effet, du fait du nombre limité de parcelles analysées à deux reprises, la capacité prédictive de ces travaux doit être considérée avec précaution ; des travaux complémentaires devront être menés pour qu'elle puisse être confortée.

Il est notamment possible que l'élimination rapide constatée soit due à des conditions spécifiques qui pourraient ne pas perdurer. Par ailleurs, une disparition de la chlordécone ne signifierait pas forcément une innocuité des sols, dans le cas où les produits de transformation formés au cours de la dégradation s'avéreraient eux-mêmes toxiques et rémanents. De même, bien que les sols représentent le principal lieu de stockage de la chlordécone, celle-ci s'est répandue dans l'ensemble des écosystèmes antillais, où elle pourrait demeurer durant de nombreuses années malgré une dépollution des sols.

3. Une cartographie des sols encore parcellaire

Pour représenter cette pollution des sols à la chlordécone, le principe d'une cartographie des parcelles potentiellement polluées a été établi dès 2004, en partant des analyses disponibles 15 ( * ) . Cette cartographie s'est depuis affinée avec les analyses réalisées dans le cadre des activités de recherche, du programme JaFa (pour « jardins familiaux ») qui permet aux consommateurs de produits issus de leur jardin de bénéficier d'une analyse gratuite de leur sol, et des mesures d'accompagnement mises en place pour les agriculteurs. Depuis 2017 les cartes réalisées sont librement accessibles en ligne, permettant à tout citoyen de suivre leur avancement 16 ( * ) .

À ce jour, les surfaces analysées ne représentent en Guadeloupe que 17 % de la surface agricole utile des exploitations agricoles, 10 % de la surface agricole utile incluant les zones urbaines cultivables et les surfaces toujours en herbe hors exploitations et 3,4 % du territoire total. En Martinique, les surfaces analysées ne représentent que 23 % des zones agricoles, 21 % des zones d'intérêt agricole incluant les zones urbaines cultivables et environ 9 % du territoire total.

Selon ces analyses, la chlordécone n'est quantifiable que dans 50 % des sols analysés en Guadeloupe et n'est détectable que dans 53 % de ceux-ci en Martinique. Le niveau de contamination est faible (compris entre la limite de quantification, en Guadeloupe, ou de détection, en Martinique, et 0,1 mg/kg) dans 8 % des parcelles analysées en Guadeloupe et dans 19 % de celles-ci en Martinique, à un niveau moyen (compris entre 0,1 mg/kg et 1 mg/kg) dans 18 % des parcelles analysées en Guadeloupe et dans 22 % de celles-ci en Martinique et, enfin, à un niveau fort (supérieur à 1 mg/kg) dans 24 % des parcelles analysées en Guadeloupe et dans 12 % de celles-ci en Martinique. Ces proportions ne doivent cependant pas être perçues comme une représentation de la contamination des territoires antillais puisque les analyses sont principalement réalisées dans les zones connues pour être à risque de contamination.

Les retards pris par cette cartographie - déjà mis en avant par l'OPECST dans son rapport de 2009 - ont fait l'objet de nombreuses critiques, notamment de la part de la population locale. Il convient cependant de noter que les analyses gratuites proposées dans le cadre du plan chlordécone IV n'ont pas pour ambition de réaliser une cartographie exhaustive des territoires antillais mais de permettre aux agriculteurs et aux propriétaires de jardins familiaux de réaliser, s'ils le désirent, une analyse de leur terrain afin qu'ils puissent adapter leurs pratiques agricoles à l'éventuel taux de contamination constaté, dans une optique de protection de la population. Dans ce cadre, en 2021, 1 029 analyses de sols ont été réalisées pour des agriculteurs et 1 371 pour des jardins familiaux, avec une disponibilité de l'offre qui ne semble pas limitante puisque ces nombres n'atteignent pas les objectifs fixés par le plan (74 % de l'objectif a été atteint pour les agriculteurs, 62 % pour les jardins familiaux).

Il est à noter que dans le cadre des plans chlordécone précédents, des cartes des zones à risque de contamination ont été réalisées à partir de données historiques concernant les cultures bananières. Sans se substituer aux analyses des sols, ces cartes permettent de fournir une première information quant à la potentialité d'une contamination. On constate que dans ces zones estimées à risque, seules 19 % des surfaces agricoles ont été analysées en Guadeloupe et 23,8 % des zones d'intérêt agricole (incluant les zones urbaines cultivables) en Martinique.

Enfin, pour les zones habitées, une modélisation des zonages de pollution est en cours afin d'informer les élus et les habitants des contaminations potentielles des sols de ces zones.

À la recherche de la « chlordécone perdue »

Le rapport de l'OPECST de 2009 avait découvert que la chlordécone utilisée aux Antilles ne représentait qu'une faible part de la production totale de cette molécule 17 ( * ) . Une proportion importante de celle-ci avait notamment été transformée puis vendue sous la forme de kélévane - qui s'oxyde ensuite en chlordécone dans les sols - par la société allemande « Spieâ und Sohn » dans divers pays du bloc communiste, sans que les zones d'épandage soient plus précisément connues.

Le rapport appelait en conséquence à mener des recherches sur la présence de chlordécone en Europe continentale afin, d'une part, de protéger les populations potentiellement exposées, d'autre part, d'initier des collaborations scientifiques avec les éventuels pays touchés afin de lutter contre cette pollution.

Le rapporteur regrette vivement que, plus de treize ans après son premier rapport, aucune enquête d'envergure n'ait été conduite à l'étranger, malgré les connaissances sur la rémanence de la chlordécone et sur les risques associés. Néanmoins, pour la première fois, l'étude sur l'utilisation et l'occupation des sols ( Land Use and Coverage Area frame Survey , LUCAS) menée en 2022 par le Centre commun de recherche de l'Union européenne ( Joint Research Centre , JRC) a inclus dans ses analyses la recherche des résidus de 118 pesticides, dont la chlordécone 18 ( * ) . Parmi les 3 431 emplacements analysés, couvrant l'Union européenne continentale et incluant à la fois des terres cultivées et des prairies, aucune trace de chlordécone n'a été découverte. Cependant, le faible nombre d'analyses, ne ciblant pas spécifiquement les sols où de la chlordécone aurait pu être utilisée, ne permet pas de conclure quant à une absence de la molécule.

B. CONTAMINATION DES MILIEUX AQUATIQUES ET DE LEUR FAUNE

1. Un transfert vers les eaux de surface et souterraines

Malgré son affinité pour la matière organique et sa faible solubilité, la chlordécone reste tout de même partiellement mobilisable et peut être lessivée à petite dose par les flux pluviométriques. À titre d'exemple, les flux sortants de chlordécone mesurés sur les bassins de l'Observatoire de la pollution agricole aux Antilles (Opale) sont compris entre 5 et 38 kg par an. Bien que cette quantité soit significative pour la contamination des milieux avals et côtiers, elle ne représente qu'une faible fraction de la chlordécone contenue dans les sols antillais, estimée à 1 600 kg dans l'un des bassins de l'observatoire.

En raison de l'importante perméabilité des sols antillais 19 ( * ) , la voie de transfert principale est la percolation, qui représente de 92 à 100 % du flux sortant, tandis que le ruissellement n'en représente que de 0 à 8 %. Aussi, la chlordécone est majoritairement transférée vers les aquifères 20 ( * ) , qui se retrouvent assez fortement contaminés 21 ( * ) , et est mise en mouvement en phase dissoute par écoulement hypodermique et écoulement de nappe. Le faible transfert par ruissellement présente l'avantage de limiter les transferts latéraux entre parcelles. En revanche, les aquifères contribuant au débit des rivières, ces dernières sont également concernées par la contamination qui, du fait de ce mode de transfert, résulte de la contamination des différentes parcelles du bassin versant associé et non uniquement des parcelles attenantes 22 ( * ) . De même, les eaux de source, qui sont d'origine souterraine, sont également fortement contaminées.

Comme pour les sols, la diversité des contextes conduit à une importante variabilité de la contamination. Celle-ci dépend évidemment de la géographie des sols contaminés mais est également influencée par les pratiques agricoles actuellement utilisées : le travail du sol et l'usage de glyphosate ont montré avoir une incidence sur les transferts de chlordécone vers l'hydrosphère 23 ( * ) .

Le niveau de contamination des eaux souterraines est aussi impacté par le temps de résidence moyen des eaux au sein des aquifères 24 ( * ) . En comparant différents aquifères, on peut observer des variations dans la proportion de 5b-monohydrochlordécone : une faible quantité de ce produit de transformation suggère une recharge datant des périodes d'application de la chlordécone, avant qu'une part significativement importante de cette molécule ne se soit dégradée. Ces travaux témoignent des durées importantes qui peuvent s'avérer nécessaires pour renouveler certains aquifères antillais. Aussi, même après la disparition de la chlordécone contenue dans les sols, la pollution des eaux pourra se poursuivre pendant plusieurs dizaines d'années, en raison des stocks déjà présents dans les aquifères, même si ceux-ci n'ont pu être quantifiés.

Dans les rivières, une variabilité temporelle importante de la concentration en chlordécone peut être observée (d'un facteur 1 à 10), avec une corrélation vis-à-vis du débit 25 ( * ) . Celle-ci peut s'expliquer par les contributions relatives des différents flux. Lors des périodes d'étiage, quand l'eau des rivières provient majoritairement des eaux souterraines qui sont fortement polluées, la concentration en chlordécone y est particulièrement importante. De même, les forts épisodes pluvieux, qui entrainent d'importants ruissellements qui charrient des particules de sol contaminé, expliquent l'observation de concentrations en chlordécone anormalement élevées lorsque le débit est important.

2. Une contamination qui se prolonge dans les eaux marines

Inéluctablement, cette contamination des eaux de surface et souterraines se répercute in fine dans les eaux marines et les sédiments marins. Une certaine variabilité a pu être observée selon les zones côtières, en fonction de la contamination des différents bassins versants mais également des courants maritimes. En 2015, une étude conduite par l'Ifremer a établi une cartographie de la contamination à la chlordécone dans le milieu marin antillais grâce au suivi de la contamination des espèces marines 26 ( * ) .

Cette contamination des eaux marines décroît avec l'éloignement de la côte. De plus, à l'instar de la pollution des rivières, la contamination du milieu marin varie avec le temps 27 ( * ) . En saison humide, une contamination plus importante est observée, particulièrement perceptible en mangrove et en herbier.

Dans le cadre de la directive cadre sur l'eau, la contamination des eaux littorales de Martinique et de Guadeloupe est régulièrement suivie. Bien que les concentrations observées en mer soient plutôt faibles, elles s'avèrent supérieures à la norme de qualité environnementale (0,0005 ng/L). Aussi, lors du diagnostic 2019, la quasi-totalité des masses d'eau côtières martiniquaises (à l'exception d'une masse d'eau, où le dépassement de la norme était indéterminé) et six masses d'eau côtières guadeloupéennes ont été classées comme ayant un état écologique « moyen » 28 ( * ) . L'état écologique des cinq autres masses d'eau côtières guadeloupéennes a quant à lui été classé comme « médiocre ». En raison de la forte rémanence de la chlordécone ne permettant pas d'envisager une réduction des teneurs en chlordécone et l'atteinte d'un « bon » état écologique avant 2027, les masses d'eau contaminées bénéficient d'un report de délais au-delà de 2039 pour conditions naturelles dans le cadre des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) 2022-2027 de Martinique et de Guadeloupe.

3. Des conséquences pour les espèces aquatiques

La contamination des eaux de surface et des eaux marines impacte logiquement les organismes aquatiques autochtones qui peuvent présenter une contamination importante, même dans les milieux faiblement pollués 29 ( * ) .

Ainsi, dans les rivières contaminées, les mollusques, les crustacés et les poissons présentent des concentrations en chlordécone supérieures à la limite maximale de résidus. Cette exposition s'accompagne de conséquences pour ces organismes, en particulier une désorientation des larves des espèces diadromes et des effets physiologiques chez les crevettes géantes d'eau douce ( Macrobrachium rosenbergii ), via un mécanisme d'action de type perturbateur endocrinien 30 ( * ) . Ce même mode d'action a été observé sur des poissons ( Gobiocypris rarus ) 31 ( * ) , sans que les éventuels impacts sur les populations locales aient été étudiés. Enfin, des publications ont indiqué une modification de la structure du biofilm de rivière (communauté de micro-organismes) qui représente un apport nutritif très important pour diverses espèces 32 ( * ) .

En milieu côtier, il a été montré que plus d'une centaine d'espèces étaient contaminées par la chlordécone, que celles-ci se trouvent en mangrove, en herbier ou en récif 33 ( * ) . Le lieu de vie des espèces et leurs éventuels déplacements constituent un paramètre important du niveau de contamination de la faune halieutique. En effet, un gradient décroissant de contamination est observé depuis la côte vers le large : les organismes de mangrove, très proches de la côte, sont plus contaminés que les organismes d'herbier, eux-mêmes plus contaminés que les organismes de récif. En milieu pélagique, les espèces sont assez peu concernées par la contamination à la chlordécone, bien qu'il ait été montré que des cétacés pouvaient présenter une contamination - relativement faible - en chlordécone. Le niveau trophique des espèces joue également un rôle dans leur contamination, celle-ci s'expliquant par deux mécanismes : d'une part, par un mécanisme de balnéation, qui dépend de la concentration en chlordécone de l'eau et représente donc la source majeure de contamination à proximité de la côte (mangrove et herbier), d'autre part, par voie trophique du fait de l'ingestion de proies contaminées, qui explique la contamination d'espèces dans les milieux éloignés. Enfin, une variation temporelle de la contamination est également constatée, du fait d'apports en chlordécone différents entre les saisons sèche et humide 34 ( * ) .

À titre de comparaison, si un déclin relativement rapide de la contamination des eaux de la James River, contaminée lors de l'incident de Hopewell en 1975 aux États-Unis a été observé, les poissons y restent relativement contaminés, de telle sorte que leur consommation continue de faire l'objet de préconisations 35 ( * ) . Aussi, il est probable que, même après l'épuisement des transferts de chlordécone vers les eaux douces et marines, la contamination de la faune halieutique antillaise subsiste encore pendant plusieurs dizaines d'années.

Autres territoires d'outre-mer

Dans le cadre de travaux de recherche, la présence de chlordécone dans des espèces marines a été observée en Polynésie française en 2009-2010 36 ( * ) et en Nouvelle-Calédonie, à Moorea et à Wallis en 2012 37 ( * ) , à des quantités cependant très inférieures aux limites maximales de résidus (jusqu'à plus de 11 ìg/kg de poids sec en Nouvelle-Calédonie et plus de 5 ìg/kg de poids frais en Polynésie française).

Ces observations, relativement surprenantes puisque la chlordécone n'a officiellement jamais été utilisée dans ces territoires, pourraient résulter d'usages isolés de chlordécone ou de l'oxydation de mirex, dérivé de la chlordécone utilisé pour la lutte anti-parasitaire à l'intérieur des habitations.

Par ailleurs, d'après les informations fournies au cours de son audition par le Pr Benoît Vallet, directeur général de l'Anses, un capteur passif mis en place dans le cadre d'un projet de recherche aurait détecté la présence de chlordécone dans des eaux de mangrove à Mayotte en novembre 2022. Des analyses permettant de confirmer et de quantifier cette présence sont en cours.

C. CONTAMINATION DE CERTAINS VÉGÉTAUX

La chlordécone présente dans les sols peut être transférée dans certains végétaux. La concentration en chlordécone dans les plantes est proportionnelle - mais toujours inférieure - à la concentration mesurée dans les sols. Deux processus différents expliquent cette contamination : d'une part, une absorption par les racines de la molécule, d'autre part, une adsorption - c'est-à-dire une fixation - de la molécule sur la surface des racines et des tubercules 38 ( * ) . En raison de la très faible volatilité de la chlordécone, il n'y a pas de contamination aérienne. Si la chlordécone absorbée peut être transportée via le flux de sève, cette dernière se décharge rapidement lors de son ascension. Ainsi, seuls les organes des plantes en contact direct avec le sol se retrouvent contaminés.

La capacité de concentration diffère selon les espèces de végétaux : par exemple, les dachines accumulent la chlordécone de manière plus importante que les ignames ou les patates douces 39 ( * ) . La nature du sol a également un impact sur le transfert de la chlordécone vers les plantes : les andosols induisent une moins grande contamination des végétaux que les nitisols 40 ( * ) . Enfin, il convient de rappeler qu'en raison de la faible mobilité de la chlordécone, une importante hétérogénéité de la contamination peut être observée à l'intérieur d'une même parcelle et se traduire par une certaine variabilité de la contamination des végétaux cultivés.

Ces observations ont permis à l'équipe de Mme Magalie Lesueur-Jannoyer de construire un outil de gestion, indiquant les familles de plantes susceptibles d'être cultivées sans risque selon le niveau de pollution du sol 41 ( * ) . Les plantes produisant un aliment qui pousse en hauteur (arbres fruitiers, solanacées...) peuvent être cultivées quelle que soit la contamination du sol, sans risque de dépasser la limite maximale de résidus. Les aliments qui poussent sur le sol et en contact avec celui-ci (cucurbitacées, cives, laitues...) ne doivent être cultivés que dans des sols modérément contaminés (moins de 1 mg/kg de sol sec). Enfin, les racines et les tubercules ne doivent être cultivés que dans des sols très faiblement contaminés (moins de 0,1 mg/kg de sol sec). Les agriculteurs et les jardiniers peuvent ainsi organiser leur production en fonction de la contamination de leurs parcelles, l'agriculture hors sol permettant également de produire certaines cultures sensibles, dès lors que la terre utilisée n'est pas contaminée.

D. CONTAMINATION DES ANIMAUX TERRESTRES

Les animaux peuvent également être contaminés en cas de consommation d'eau ou d'aliments eux-mêmes contaminés mais aussi et surtout par ingestion involontaire de terre polluée.

L'ingestion de sol, qui résulte du comportement alimentaire, varie en fonction des espèces : le comportement exploratoire des poules et l'activité de fouissage des porcs entraînent notamment une ingestion particulièrement élevée. Pour les bovins, il a été montré qu'une insuffisance de l'offre fourragère favorisait cette ingestion de sol, tandis qu'une offre abondante permettait de la réduire 42 ( * ) . De même, les salissures du couvert végétal, qui peuvent résulter de fortes précipitations ou de piétinement, accroissent ce phénomène.

La chlordécone alors ingérée est absorbée par l'animal et se transmet via la circulation sanguine dans son foie et - dans une moindre mesure - dans ses muscles et ses tissus gras 43 ( * ) , avec une certaine variabilité en fonction des espèces. Dans les cas des poules pondeuses, une contamination des oeufs relativement importante peut être observée 44 ( * ) .

Très peu d'études se sont intéressées à la contamination de la faune sauvage. Des résidus hépatiques de chlordécone ont cependant été observés chez des tourterelles à queue carrée ( Zenaida aurita ) en Martinique 45 ( * ) . Si les conséquences de cette contamination n'ont pas été étudiées, une récente étude a émis l'hypothèse que l'absence du martin-pêcheur à ventre roux ( Megaceryle torquata stictipennis ) dans les secteurs de Guadeloupe contaminés par la chlordécone pourrait être une conséquence de cette pollution 46 ( * ) .

E. IMPACTS SUR LA BIODIVERSITÉ : DES RECHERCHES À CONSOLIDER

Si les études évoquées ont permis de mettre en évidence la contamination de l'ensemble des écosystèmes antillais par la chlordécone et d'acquérir une vision globale des modes d'exposition de la population, on constate aujourd'hui un manque de connaissances sur les effets de cette contamination sur la biodiversité . Comme l'a indiqué Mme Charlotte Dromard lors de la première audition publique, et comme cela a été souligné dans le récent rapport d'Inrae et de l'Ifremer sur les impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques, les effets de cette contamination sur les organismes eux-mêmes n'ont été que très peu traités par les recherches.

Il est parfaitement légitime que les recherches menées dans le cadre des plans chlordécone aient initialement porté sur les impacts directs de la molécule sur les hommes et sur leurs éventuelles sources d'exposition, dans le but de protéger rapidement la population. Mais il serait opportun d'élargir aujourd'hui les sujets de recherche et d'évaluer les impacts que peut avoir la chlordécone sur la biodiversité et sur les services écosystémiques, en accord avec la volonté d'une approche « one health » de cette pollution, considérant la santé des humains, des animaux et des écosystèmes comme liée et interdépendante.

II. POSSIBILITÉS DE DÉCONTAMINATION ET DE SÉCURISATION DES PRODUCTIONS AGRICOLES

A. DÉGRADATION DE LA CHLORDÉCONE PRÉSENTE DANS LES SOLS

En raison de la persistance de la chlordécone dans les milieux naturels antillais, diverses équipes de recherche se sont intéressées à sa suppression ou, à défaut, à sa réduction.

1. Approche microbiologique

Les premières tentatives de dégradation microbiologique de la chlordécone, menées dans les années 1980 et 1990, se sont révélées peu productives et sans grand espoir 47 ( * ) . La découverte de l'ampleur de la pollution touchant les Antilles a cependant entrainé de nouvelles recherches, conduites à partir des années 2010.

Des premiers travaux ont montré des traces de dégradation de la chlordécone, en conditions aérobies, à l'aide de bactéries du genre Pseudonocardia 48 ( * ) , de microcosmes de sol 49 ( * ) et de souches fongiques 50 ( * ) . Mais c'est l'utilisation de conditions anaérobies qui a permis d'obtenir, pour la première fois, grâce à des bactéries du genre Citrobacter , une dégradation complète de la chlordécone 51 ( * ) , résultat allant à l'encontre du paradigme de non-biodégradabilité de la chlordécone.

Les conditions spécifiques nécessaires à ce résultat laissaient cependant planer un doute sur la possibilité d'une telle dégradation dans des conditions réelles de terrain aux Antilles, moins favorables. Après l'obtention de résultats analogues avec diverses souches de bactéries 52 ( * ) , notamment antillaises 53 ( * ) , indiquant que cette capacité de dégradation n'était in fine pas si rare, il a été montré que les molécules formées au cours de ces dégradations étaient bien présentes dans des échantillons de sols et d'eaux des Antilles françaises, prouvant l'existence d'une certaine dégradation naturelle de la chlordécone. Bien que dans certains cas ces produits de transformation puissent être présents dans des quantités relativement importantes, les données actuelles ne permettent pas de connaître la vitesse de cette dégradation en conditions de terrain.

Ces différents résultats montrent qu'une dégradation microbiologique de la chlordécone est possible, dès lors que les conditions propices sont réunies. Des travaux complémentaires sont nécessaires afin de déterminer comment favoriser ces conditions et ainsi stimuler cette dégradation . Cet objectif est celui de plusieurs des projets retenus par l'Agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre de son récent appel à projets dédié à la chlordécone, mené conjointement avec la collectivité territoriale de Martinique et la région Guadeloupe.

2. Approche chimique

En parallèle de ces tentatives microbiologiques, une approche chimique est également développée. La réduction chimique in situ ( In situ Chemical Reduction , ISCR) consiste en l'ajout de réducteurs chimiques pour dégrader la chlordécone. En laboratoire, via cette approche et après 6 mois de traitement, une diminution significative de la concentration en chlordécone a pu être atteinte (de 74 % dans un nitisol et de 22 % dans un andosol) 54 ( * ) . Une application de cette technique en plein-champ a permis d'observer une importante baisse des concentrations initiales en chlordécone (de près de 70 % après 94 jours), grâce à plusieurs amendements de fer zéro valent de granulométrie fine, associés à une légère contraction du sol et à une irrigation abondante 55 ( * ) . Malgré une légère baisse - probablement temporaire - de la productivité agronomique des parcelles concernées à la suite du traitement, celui-ci permet de diminuer la contamination des végétaux qui y sont cultivés.

Au cours de ce processus, plusieurs produits de transformation sont apparus, bien que tous n'aient pas pu être identifiés. La toxicité des produits identifiés n'a malheureusement pas pu être étudiée extensivement mais semblerait inférieure ou égale à celle de la chlordécone pour les tests réalisés 56 ( * ) .

Si cette approche offre des résultats prometteurs, il convient toutefois d'en évoquer les limites. Tout d'abord, les amendements ne permettent de dégrader que la chlordécone se situant dans la couche superficielle du sol (les 30 à 40 premiers centimètres, où le réducteur chimique est ajouté). Aussi, si ce traitement entraine une réduction du transfert de chlordécone vers les cultures, il ne permet pas de dépolluer en profondeur les sols qui continueront notamment à contaminer les eaux souterraines. Par ailleurs, les résultats sont plus modérés dans les andosols - où la chlordécone est moins facilement accessible - alors que ceux-ci représentent environ la moitié des sols contaminés. Enfin, le coût de ce procédé est élevé : de l'ordre de 160 k€/ha (éventuellement 124 k€/ha selon les données présentées par M. Christophe Mouvet lors de la première audition publique).

Des études restent nécessaires pour estimer les incidences à long terme de cette technique, notamment du fait de la formation de produits de transformation pouvant contaminer à leur tour les aliments, ainsi que pour évaluer la faisabilité pratique et technique d'une mise en oeuvre à large échelle. En tout état de cause, même si cette approche pouvait s'avérer utile pour certains agriculteurs, elle ne constituerait pas une solution pour décontaminer la totalité des sols pollués de Guadeloupe et de Martinique.

Enfin, des études sont en cours pour évaluer si les conditions réductrices utilisées par ce procédé pourraient parallèlement favoriser la dégradation bactérienne de la molécule et ainsi permettre une approche croisée chimique et microbiologique.

3. Des recherches complémentaires nécessaires sur les produits de dégradation et les effets cocktails

Ces différents travaux offrent des pistes encourageantes, qui doivent être poursuivies. Lorsque des résultats de laboratoire prometteurs sont obtenus, il parait essentiel de faciliter et d'encourager la mise en place d'études en conditions réelles de terrain . Par ailleurs, l'ensemble des externalités associées à ces procédés doivent être investiguées, notamment les éventuels impacts des produits de transformation.

Qu'elle soit naturelle ou artificielle, la dégradation de la chlordécone se traduit par la formation de produits de transformation, dont certains présentent une structure relativement similaire à celle de la chlordécone. Il apparait dès lors primordial d'étudier extensivement la toxicité de ces produits ainsi que leurs propriétés, afin d'évaluer leur rémanence et leur capacité de transfert vers l'eau et les plantes. Ce n'est qu'à l'aune de ces connaissances que des décisions pourront être prises quant à la mise oeuvre d'éventuelles techniques de dépollution des sols, afin d'éviter tout risque et, in fine , ne faire que « déplacer » la problématique.

Les études conduites au cours des dernières années ont permis de montrer que ces produits de transformation pouvaient être classés en sept grandes familles de molécules. Toutefois, les données expérimentales concernant ces molécules sont encore relativement limitées. Des tests de toxicité ont été réalisés pour quelques-unes d'entre elles seulement, n'appartenant qu'à deux des sept familles identifiées.

D'après les études menées et en comparaison avec la chlordécone, on observe une toxicité relativement similaire du chlordécol 57 ( * ) , une toxicité inférieure de la 5b-monohydrochlordécone et la 5b,6-dihydrochlordécone 58 ( * ) et, de manière générale, des propriétés pro-angiogéniques qui semblent diminuer avec le nombre de déchloration (substitution des atomes de chlore par des atomes d'hydrogène) dans le cas des hydrochlordécones 59 ( * ) .

Par ailleurs, les données disponibles sur la 5b-monohydrochlordécone montrent une capacité accrue de transfert vers les plantes par rapport à la chlordécone 60 ( * ) . De même, il semblerait que les hydrochlordécones se révèlent d'autant plus lessivables par l'eau qu'un grand nombre d'atomes de chlore ont été substitués par des atomes d'hydrogène 61 ( * ) .

Outre les toxicités inhérentes à ces différentes molécules, il est possible qu'un effet cocktail puisse résulter de leur présence concomitante, bien qu'en comparaison avec la chlordécone seule, une première étude n'ait pas montré un effet plus délétère d'un mélange de chlordécone et d'hydrochlordécones sur la capacité de génération de polypes d'hydres Hydra vulgaris 62 ( * ) .

Il semble donc essentiel de consolider l'état des connaissances sur les produits de transformation pour obtenir une vision large des potentiels effets et des propriétés de l'ensemble de ces produits . À l'avenir, il pourrait également être souhaitable que les analyses des sols et des eaux mais également des végétaux et des animaux cherchent à déterminer l'éventuelle présence de ces composés afin d'évaluer les risques d'exposition correspondants. Enfin, comme l'a suggéré M. Pierre-Loïc Saaidi, si ces travaux le justifiaient, il pourrait être nécessaire d'envisager une révision des limites maximales de résidus afin de prendre en compte l'ensemble des dérivés de la chlordécone, comme cela est par exemple le cas pour les PCB (polychlorobiphényles) où la somme des concentrations des différents congénères est prise en compte.

B. SÉCURISATION DE L'EAU ET DE L'ALIMENTATION

Face à la persistance de la chlordécone dans les sols antillais et à la difficulté de développer des procédés de dépollution, plusieurs solutions pratiques et techniques ont été mises au point afin de réduire l'exposition de la population.

1. Dépollution des eaux de consommation

La pollution des eaux touche directement la population antillaise via les eaux de consommation. Dès 1999, la mise en évidence de chlordécone dans certains captages d'eau a entraîné leur fermeture et la mise en place d'un réseau de surveillance et de traitement pour permettre la distribution d'une eau propre à la consommation.

L'utilisation de filtres à charbon actif permet notamment d'éliminer une part importante de la chlordécone présente dans l'eau et est actuellement retenue comme procédé de traitement. Cependant, malgré l'utilisation de ces filtres, des non-conformités continuent d'être observées - probablement en raison de retards quant à leur remplacement - et se traduisent par des restrictions d'usage pour les personnes les plus vulnérables voire des interdictions de consommation, afin de protéger les populations.

En 2021, sur les 441 prélèvements réalisés pour le contrôle de l'eau potable en Guadeloupe (258 au captage, 183 en sortie d'usine de traitement), 11 non-conformités ont été constatées (8 au captage, 3 en sortie d'usine). En Martinique, sur les 165 prélèvements réalisés sur l'eau mise en distribution, 4 ont présenté des traces de chlordécone, sans que la norme n'ait été dépassée au robinet.

Les eaux de source, pourtant fortement contaminées, n'étant et ne pouvant toutes être traitées, leur non-consommation doit faire l'objet d'une communication adaptée et réellement incitative. Lorsque cela s'avère nécessaire, la fermeture des sources doit être envisagée.

On peut également citer de récents travaux qui ont montré des possibilités de dépollution des eaux par biosorption à partir d'algues du genre Dictyota 63 ( * ) et des déchets issus de la biomasse 64 ( * ) .

2. Sécurisation des ressources agricoles et minimisation de l'exposition alimentaire
a) Sécurisation et minimisation de l'exposition par les végétaux
(1) La séquestration de la chlordécone

En alternative à la dégradation de la chlordécone, il a été proposé de séquestrer celle-ci dans les sols afin de réduire son transfert vers les plantes. En raison de la forte affinité de la chlordécone pour la matière organique, des recherches se sont intéressées à l'amendement de compost sur les sols cultivés afin d'accroître son confinement 65 ( * ) . Cette pratique, simple à mettre en oeuvre, s'est révélée efficace et a permis de réduire de plus de 50 % la contamination de radis et de concombres. Cependant, cette méthode n'est pas pérenne, le compost devant être renouvelé régulièrement et la chlordécone n'étant qu'immobilisée et non détruite. Récemment, des charbons d'origine végétale (biochar), notamment issus de sargasses pyrolysées, ont été utilisés et présentés comme une alternative moins onéreuse et plus durable 66 ( * ) . Des études complémentaires sont néanmoins nécessaires pour évaluer les conséquences agronomiques de cette alternative ainsi que le devenir des biochars contaminés - traitement et risque de dispersion.

Une autre méthode envisagée pour la séquestration de la chlordécone est la phytoextraction, c'est-à-dire l'utilisation du pouvoir d'extraction et de concentration des plantes pour dépolluer les sols 67 ( * ) . Si cette perspective peut apparaitre enthousiasmante, les travaux réalisés à ce jour, portant principalement sur les espèces alimentaires cultivées aux Antilles, ne sont pas parvenus à montrer de bioconcentration de la chlordécone. Des études complémentaires sont donc nécessaires afin d'identifier d'éventuelles espèces adaptées, à la fois efficaces et non invasives. Cette piste n'a été que peu examinée à l'heure actuelle.

(2) Des recommandations de consommation pour minimiser l'exposition

En plus des recommandations de production permettant de limiter la contamination des aliments, plusieurs préconisations de consommation permettent de minimiser les risques d'exposition.

Les consommateurs sont encouragés à laver minutieusement leurs aliments ayant été en contact avec le sol, la terre étant plus polluée que les végétaux. De même, un épluchage généreux est conseillé, du fait de la contamination par adsorption qui conduit à une contamination supérieure de la peau par rapport à la pulpe 68 ( * ) . Enfin, il est également recommandé de limiter à deux fois par semaine la consommation de racines et de tubercules issus des jardins familiaux en zone réputée contaminée 69 ( * ) . Ces aliments peuvent notamment être remplacés par des féculents aériens comme le fruit à pain ou l'igname aérien.

Le programme JaFa, lancé en 2008 en Martinique et en 2009 en Guadeloupe, offre aux Antillais propriétaires de jardins familiaux la possibilité de bénéficier d'une analyse gratuite de leur sol et de conseils agricoles et nutritionnels permettant de limiter leur exposition. Au 1 er janvier 2022, et depuis le début du programme, près de 5 800 analyses ont été réalisées en Martinique et près de 3 750 en Guadeloupe, dont 1 371 pendant la seule année 2021 (1 000 en Martinique, 371 en Guadeloupe). Dans le cadre de ce programme, des ateliers à destination de la population générale et des élèves sont également proposés.

Dans le cadre de l'étude ChlorExpo, lancée en 2021, l'Anses s'intéresse notamment aux impacts des différents modes de cuisson des aliments sur leur teneur en chlordécone - peu explorés jusqu'alors -, dans le but de proposer des recommandations complémentaires.

b) Sécurisation des produits issus des animaux terrestres d'élevage
(1) La minimisation de la contamination des animaux

Plusieurs solutions permettent de réduire l'exposition à la chlordécone des animaux élevés en zone contaminée. De manière évidente, il est nécessaire d'éviter toute eau et tout aliment susceptible d'être contaminé. Il est également recommandé d'utiliser des mangeoires et des abreuvoirs afin d'éviter tout risque de souillure par le sol pollué. Enfin, comme évoqué précédemment, une offre fourragère importante peut également minimiser la contamination des bovins.

Par ailleurs, à l'instar de la méthode présentée pour les végétaux, il est possible de réduire l'ingestion de chlordécone par les animaux grâce à l'utilisation de matières carbonées séquestrant la molécule 70 ( * ) .

(2) La décontamination des animaux

Du fait d'un temps de demi-vie de la chlordécone dans l'organisme relativement modéré, il est possible de décontaminer les animaux en interrompant leur exposition, comme l'a présenté le Pr Guido Rychen au cours de la première audition publique. Lorsque la durée nécessaire à l'élimination de la chlordécone - qui dépend du niveau d'imprégnation mais également de l'espèce - est compatible avec la durée d'élevage, il est possible d'envisager une décontamination de l'animal avant son abattage et sa consommation . Dans ce but, un modèle pharmacocinétique de décontamination a été mis au point pour les ovins adultes 71 ( * ) et ensuite extrapolé aux bovins. Ce modèle a permis de créer un outil d'aide à la décision visant à estimer la durée de décontamination nécessaire à partir d'une simple prise de sang.

Cet outil d'aide à la décision a été appliqué expérimentalement en Guadeloupe et en Martinique, en utilisant, dans les cas où l'éleveur ne disposait que de parcelles contaminées, des box de décontamination en Martinique et un système de pension chez un autre éleveur en Guadeloupe. Les résultats obtenus démontrent l'efficacité du modèle, avec des concentrations observées généralement inférieures aux prédictions. Aujourd'hui validé, il est prévu de le déployer plus largement auprès des les agriculteurs antillais. Des études sont également envisagées afin d'élargir cet outil en prenant en compte le transfert mère-jeune, l'animal en croissance et d'autres espèces d'élevage.

Les déjections des animaux contaminés peuvent représenter une source - cependant faible - de contamination. Un projet de recherche s'intéresse actuellement à la possibilité d'utiliser un procédé de méthanisation afin de dégrader la chlordécone présente dans le fumier et le lisier.

Néanmoins, pour certains animaux comme le porc, le temps de demi-vie de la chlordécone dans l'organisme prévient l'utilisation de cette approche : trois à cinq mois seraient nécessaires pour la décontamination, à mettre en regard d'une durée d'élevage de près d'un an aux Antilles. L'élevage hors sol, avec une alimentation saine, peut alors fournir une alternative pour les agriculteurs ne disposant que de terres contaminées.

c) Sécurisation et minimisation de l'exposition par les produits de la pêche

Les analyses réalisées sur diverses espèces aquatiques ont permis de mettre en évidence les zones les plus contaminées des Antilles et d'élaborer des cartes réglementaires indiquant les zones de restriction et d'interdiction de pêche et d'aquaculture, tant en rivière qu'en mer.

Les zones concernées représentent 5 % des zones maritimes de pêche en Guadeloupe et environ un tiers du linéaire côtier martiniquais. Afin de faire respecter cette réglementation, 280 patrouilles et 73 missions en mer ont été respectivement effectuées en Guadeloupe et en Martinique en 2021. Ces mesures s'avèrent relativement efficaces puisqu'en 2020, seulement 5 % de produits non conformes étaient observés dans le cadre des analyses réalisées, au lieu de 60 % avant le balisage des zones d'interdiction et de restriction. Pour encourager le respect de cette réglementation, un macaron d'identification a été mis en place sur les deux îles pour les marins pêcheurs professionnels engagés dans une démarche de traçabilité de leurs produits.

Malgré ces progrès encourageants, l'autoconsommation, les dons et la vente de produits de la pêche via les circuits informels continuent de causer un risque majeur d'exposition. Pour y faire face, un programme d'information sensibilisant les consommateurs, dénommé Titiri 72 ( * ) , a été mis en place en Guadeloupe par l'Instance régionale d'éducation et de promotion de la santé (Ireps) grâce à un financement de l'Agence régionale de santé et vient d'être initié en Martinique.

3. Contrôle des denrées alimentaires grâce aux limites maximales de résidus (LMR)

Afin de protéger la population, des limites maximales de résidus (LMR) ont été mises en place. Ces valeurs sont définies de manière à ce que l'exposition des consommateurs reste en deçà du seuil toxicologique en-dessous duquel le risque d'apparition d'effets néfastes est jugé négligeable. Les valeurs limites sont prescrites par le règlement (CE) n°396/2005 modifié 73 ( * ) pour les denrées d'origine végétale et provenant d'animaux terrestres et par un arrêté ministériel pour les poissons et produits de la pêche 74 ( * ) . Le concept de LMR reste cependant assez mal compris par une partie de la population antillaise, qui souhaiterait du « zéro chlordécone ».

Évolution des LMR pour les produits carnés

Le règlement (UE) n°212/2013 75 ( * ) modifiant le règlement (CE) n°396/2005 a induit un débat sur les valeurs des LMR concernant les produits carnés, en ne mentionnant plus l'obligation d'effectuer le contrôle dans la graisse. Cependant, la méthodologie des contrôles opérés par les autorités françaises n'a pas été modifiée à cette occasion et cette évolution ne s'est donc pas traduite par une moindre sévérité.

En 2019, à la suite d'études portant sur la distribution de la chlordécone chez les animaux, les valeurs de gestion relatives aux produits carnés - c'est-à-dire les valeurs seuils à ne pas dépasser dans les graisses afin de s'assurer du respect de la LMR dans les autres matrices animales - ont été abaissées 76 ( * ) .

Le respect de ces limites est suivi par les Directions de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) au travers de plans de surveillance - analyses aléatoires permettant d'estimer le niveau de contamination à partir d'un échantillonnage représentatif des produits mis sur le marché - et de plans de contrôle réalisés sur des denrées ciblées identifiées comme à risque accru de contamination, dans le but d'évaluer les mesures de gestion qui sont mises en place.

Entre 2015 et 2020, en combinant les résultats obtenus dans le cadre de ces plans de surveillance et de contrôle, le taux de conformité était de 95,6 % dans les matrices animales (97,2 % en Guadeloupe, 94,3 % en Martinique), dont un taux de conformité de 90,4 % pour les produits de la pêche (86,5 % en Guadeloupe, 91,8 % en Martinique). Concernant les produits végétaux, les taux de conformité sur cette même période étaient respectivement de 98,2 % et 99,7 % en Guadeloupe et Martinique. Bien que des progrès restent nécessaires, on peut globalement constater une amélioration de la conformité des aliments au cours des dernières années. On peut également souligner que, parmi les 3 612 contrôles réalisés en 2021, 60 % des analyses ne révélaient aucune présence de chlordécone 77 ( * ) , avec un taux de conformité global de 97,3 %.

Si ces campagnes semblent indiquer des risques relativement limités pour les produits issus des circuits commerciaux, un manque de connaissance demeure quant aux denrées échangées à travers les circuits informels. L'étude ChlorExpo a notamment pour vocation d'acquérir de plus amples informations à ce sujet. Par ailleurs, un protocole de surveillance est actuellement développé par l'Anses afin d'évaluer plus précisément l'évolution de la contamination des aliments.

4. Soutien apporté aux agriculteurs et aux marins pêcheurs

Les agriculteurs peuvent bénéficier gratuitement d'analyses de sols, d'eau et de fourrage, afin de prendre les dispositions nécessaires pour produire des aliments sains. Dans le cadre du plan chlordécone IV, des actions de communication ont été organisées pour que les agriculteurs se saisissent de ces opportunités. Il est également prévu d'inclure les problématiques liées à la chlordécone dans les formations agricoles aux Antilles et un « livret ressource » a été créé à destination des enseignants et des formateurs 78 ( * ) . Par ailleurs, les agriculteurs peuvent bénéficier d'aides pour décontaminer leurs cheptels et adapter leurs pratiques culturales, notamment pour permettre l'utilisation des terres contaminées pour des denrées non-sensibles et éviter leur déprise. La structuration d'une filière arbre-à-pain, dont le fruit aérien n'est pas contaminé par la chlordécone, a notamment été entreprise à cet effet en Guadeloupe grâce au plan France Relance. Enfin, des initiatives d'élaboration de labels « zéro chlordécone » sont également en cours, en Guadeloupe comme en Martinique.

Les restrictions et interdictions de pêche ont d'importantes conséquences économiques pour les marins pêcheurs antillais. Aussi, une aide de 1,5 million d'euros par an sur 3 ans, couvrant les contributions CSG et CRDS dues à l'Urssaf 79 ( * ) , a été créée afin de compenser les pertes de revenus des marins pêcheurs. L'objectif de cette aide est de permettre un désendettement afin d'offrir aux entreprises la possibilité de devenir éligibles aux aides publiques du Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture (Feampa).

III. EXPOSITION ET EFFETS SANITAIRES SUR L'HOMME

A. RAPPEL HISTORIQUE : INCIDENT DE HOPEWELL

La toxicité de la chlordécone pour l'homme a été mise en évidence pour la première fois à la suite d'un incident survenu en 1975 sur un site de production de cet insecticide à Hopewell (Virginie, États-Unis) 80 ( * ) . Exposés à de fortes doses, plusieurs ouvriers ont présenté des atteintes neurologiques et testiculaires 81 ( * ) . Si ces symptômes ont abouti à l'interdiction de la fabrication et de la commercialisation de cette molécule aux États-Unis en 1976, les études effectuées ne démontraient qu'une toxicité aigüe de la chlordécone et ne s'intéressaient pas aux éventuels effets d'une exposition chronique ; les symptômes n'étaient observés qu'à partir d'un seuil minimal de 1 mg de chlordécone par litre de sang - dose bien supérieure à ce qui peut être observé aux Antilles - et se révélaient réversibles avec la diminution des concentrations après la fin de l'exposition.

Ainsi, bien que de nombreuses connaissances sur la nature des dangers liés à la chlordécone aient été acquises à la fin du XX e siècle - reprotoxicité, neuroxicité, toxicité développementale, cancérogénicité et effets hormonaux en tant que perturbateur endocrinien - 82 ( * ) , des études complémentaires se sont avérées nécessaires pour évaluer les impacts de l'exposition chronique à la chlordécone dans le contexte des Antilles françaises.

B. ÉVALUATION DE L'EXPOSITION AUX ANTILLES

La pollution rémanente des sols et des eaux, qui entraîne celle de la chaîne alimentaire, induit in fine la contamination de la population.

1. Exposition des travailleurs agricoles

Pour les travailleurs de la banane entre 1972 et 1993, l'exposition professionnelle liée à la manipulation de cet insecticide sans, le plus souvent, d'équipements de protection adaptés s'ajoute à l'éventuelle exposition alimentaire.

L'étude Matphyto-DOM a permis de déterminer rétrospectivement l'exposition des travailleurs agricoles antillais à la chlordécone mais également à d'autres pesticides 83 ( * ) . Ces travaux ont permis d'estimer qu'en 1989, 77 % des 12 700 travailleurs de la banane aux Antilles avaient été possiblement exposés à la chlordécone. À l'avenir, des études épidémiologiques pourront être conduites à partir de cette cohorte afin d'étudier les effets de l'exposition à la chlordécone et aux autres produits phytopharmaceutiques utilisés.

2. Exposition de la population générale
a) Imprégnation

L'étude Kannari a été la première à évaluer l'imprégnation - c'est-à-dire la concentration dans le sang - en chlordécone de la population générale antillaise et à identifier les déterminants de cette imprégnation 84 ( * ) . Ses résultats, publiés en 2018, montrent que les niveaux d'imprégnation sont similaires en Guadeloupe et en Martinique, avec une détection de la molécule chez plus de 90 % de la population (95 % des Guadeloupéens et 92 % des Martiniquais) et une concentration moyenne de 0,13 ìg/L en Martinique et 0,14 ìg/L en Guadeloupe. Parmi les personnes contaminées, 5 % étaient concernées par une imprégnation dix fois plus élevée que l'imprégnation moyenne.

Bien que les résultats aient été obtenus avec des méthodes de dosage et des populations d'étude différentes, on peut tout de même remarquer une diminution de la concentration médiane en chlordécone entre les différentes études conduites en Guadeloupe au fil du temps depuis 2003 : 2,20 ìg/L chez les femmes enceintes entre 17 et 45 ans étudiées dans le cadre de l'étude Hibiscus en 2003, 0,60 ìg/L chez les hommes de plus de 45 ans de la cohorte Karuprostate entre 2004 et 2007, 0,39 ìg/L chez les femmes enceintes âgées de 17 à 46 ans inclues dans la cohorte Timoun entre 2004 et 2007 et 0,12 ìg/L chez les hommes et femmes majeurs de l'étude Kannari entre 2013 et 2014. Ces données semblent indiquer une certaine efficacité des actions mises en place, à l'échelle globale.

En revanche, une même tendance n'est pas observée concernant la concentration maximale détectée au cours de ces études : 16,6 ìg/L pour Hibiscus, 49,1 ìg/L pour Karuprostate, 19,7 ìg/L pour Timoun et 18,5 ìg/L pour Kannari. Ces mêmes actions semblent donc inefficaces pour réduire les plus fortes imprégnations susceptibles d'apparaître dans la population.

Les conclusions de cette étude Kannari montraient que le niveau de chlordécone dans le sang augmentait avec la consommation de poissons, notamment s'ils étaient issus de la pêche amateur et des circuits informels de distribution (dons, achats en bord de route). En revanche, la consommation de légumes racines et tubercules ne semblait pas associée à l'augmentation des niveaux d'imprégnation par la chlordécone, suggérant une efficacité des recommandations émises pour leur culture et leur préparation dans le cadre du programme JaFa. Enfin, il a été estimé que les personnes qui résidaient en zone terrestre contaminée ou à proximité d'une zone de contamination maritime présentaient des concentrations de chlordécone dans le sang supérieures.

b) Exposition alimentaire

Un volet de l'étude Kannari a été consacré à l'exposition alimentaire de la population 85 ( * ) , dans le but d'évaluer les risques liés à cette exposition et d'émettre des recommandations sur les habitudes alimentaires. Il est important de rappeler que l'interruption de l'exposition permet à l'imprégnation en chlordécone de diminuer de moitié en environ 6 mois (le temps moyen de demi-vie dans le sang est compris entre 96 et 165 jours) 86 ( * ) , ce qui justifie d'émettre des recommandations de consommation permettant de minimiser l'exposition alimentaire.

Cette étude a permis de déterminer que l'exposition moyenne était comprise entre 0,08 et 0,13 ìg de chlordécone par kg de poids personnel par jour (ìg/kg pc/j) pour les adultes et entre 0,06 et 0,21 ìg/kg pc/j pour les enfants de 3 à 15 ans. Seuls les enfants guadeloupéens résidant en zone non contaminée ne présentaient pas de dépassement de la valeur toxicologique de référence (VTR) chronique externe (alors fixée à 0,5 ìg/kg pc/j), qui correspond à la quantité de chlordécone ingérée quotidiennement via l'alimentation en dessous de laquelle, sur une longue période, le risque d'apparition d'effets néfastes dans la population est jugé négligeable.

L'analyse des résultats montrait que les grands consommateurs de produits de la mer issus des circuits informels, les consommateurs de produits d'eau douce issus de l'autoproduction et du don et les autoconsommateurs de racines, de tubercules, d'oeufs et de volailles résidant en zone contaminée étaient les personnes qui étaient les plus exposées. A contrario , un plus faible niveau d'exposition était observé chez les personnes suivant les recommandations alimentaires émises par l'Afssa en 2007 87 ( * ) .

c) Révision des valeurs toxicologiques de référence

En 2021, à la lumière de nouvelles connaissances, en particulier d'une étude montrant des effets reprotoxiques de la chlordécone chez la souris 88 ( * ) , l'Anses a recommandé d'abaisser la valeur toxicologique de référence chronique externe de 0,5 à 0,17 ìg de chlordécone par kg de poids corporel par jour 89 ( * ) . Elle a également établi pour la première fois une valeur toxicologique de référence chronique interne (0,4 ìg/L), qui correspond à la concentration de chlordécone dans le sang en dessous de laquelle, sur une longue période, le risque d'apparition d'effets néfastes dans la population est jugé négligeable.

À l'aune de ces nouveaux repères toxicologiques, l'Anses a entrepris de réévaluer les risques liés à l'exposition à la chlordécone 90 ( * ) . En comparant ces valeurs aux données obtenues dans le cadre de l'étude Kannari en 2013 et 2014, il a été estimé que, respectivement, 14 % et 25 % de la population adulte en Guadeloupe et en Martinique présentaient un dépassement de la VTR chronique interne et que de 2 à 12 % de la population antillaise présentaient des dépassements de VTR chronique externe. L'analyse des profils de consommation indiquait un rôle prépondérant des oeufs autoproduits en zone contaminée et des poissons et crustacés dans le dépassement des valeurs toxicologiques de référence. Ces résultats confirment l'efficacité des recommandations de réduction des expositions émises en 2007. Leur non-respect - observé chez environ un quart de la population - entraine un risque important de dépassement de la VTR chronique externe (taux de dépassement d'environ 8 à 10 %) alors qu'au contraire, leur respect permet de réduire significativement les risques (taux de dépassement d'environ 1 %). En conséquence, l'Anses recommandait de renforcer l'adhésion des populations aux prescriptions émises et les actions des programmes d'accompagnement, notamment pour l'élevage de volailles en zone contaminée, et d'étudier les éventuels freins au suivi des recommandations actuelles.

3. Un nouvel outil de suivi et de prévention : la chlordéconémie

Grâce à un amendement au projet de loi finances pour 2020 présenté par Mme Victoire Jasmin 91 ( * ) , le plan chlordécone IV offre à la population antillaise la possibilité d'effectuer gratuitement des dosages sanguins de la chlordécone (chlordéconémie). Il convient cependant de souligner qu'en raison d'une certaine variabilité, une chlordéconémie supérieure à la VTR chronique interne, a fortiori ponctuelle, n'est pas nécessairement synonyme d'impacts futurs sur la santé d'un individu. La chlordéconémie doit donc être vue comme un outil de prévention et non de prédiction ou de diagnostic 92 ( * ) .

Afin de pouvoir interpréter les analyses réalisées dans ce cadre à l'échelle populationnelle et ainsi suivre à intervalles réguliers l'évolution de l'imprégnation de la population, Santé publique France devrait prochainement proposer une méthode de calcul statistique permettant de comparer des groupes de population similaires. Ces analyses fourniront un outil supplémentaire permettant d'évaluer l'efficacité des actions mises en place pour protéger la population.

À l'échelle individuelle, dans les cas où les analyses révèlent une imprégnation supérieure à la VTR chronique interne, soit 0,4 ìg/L, un accompagnement est mis en place afin d'informer la personne, de comprendre les causes de cette imprégnation importante et de l'aider à la réduire, notamment par un accompagnement nutritionnel. Une nouvelle analyse est alors proposée 9 mois plus tard pour suivre l'évolution.

Pour les personnes présentant une imprégnation en chlordécone particulièrement élevée, l'utilisation de cholestyramine, permettant une décontamination plus rapide 93 ( * ) , pourrait être envisagée en complément des conseils diététiques. Cette molécule n'offre cependant qu'une solution temporaire pour des cas de contamination aiguë puisqu'elle interfère également avec l'absorption de certaines vitamines, notamment la vitamine K.

Fin 2022, près de 10 000 analyses avaient été effectuées au total sur les deux îles. Des sessions de formation ont été organisées à destination des professionnels de santé afin qu'ils puissent mieux orienter la population vers les dispositifs de dépistage et d'accompagnement. De plus, l'Agence régionale de santé de Martinique a annoncé le 16 décembre 2022 le lancement d'une campagne de chlordéconémie dans les exploitations agricoles, afin d'encourager les travailleurs agricoles à se saisir de cet outil. Il apparait important d'encourager activement les populations sensibles et exposées à réaliser ces analyses, afin qu'elles puissent évaluer leur éventuelle imprégnation et être accompagnées par des professionnels de santé et des équipes formées pour réduire celle-ci .

4. Études en cours

L'étude ChlorExpo, précédemment citée, a pour but de préciser les expositions par voie alimentaire grâce à la prise en compte des habitudes d'approvisionnement, de préparation et de cuisson des aliments. Elle permettra de formuler des recommandations pratiques visant à poursuivre la diminution de l'exposition à la chlordécone.

Une nouvelle étude Kannari, dite Kannari 2, est également en cours afin de réévaluer l'imprégnation sanguine de la population antillaise. Outre la description de l'évolution de la distribution des niveaux d'imprégnation, cette étude a pour ambition de caractériser plus finement le niveau d'imprégnation et les déterminants de l'exposition des sous-groupes de population sensibles (femmes en âge de procréer, enfants) ou à risque d'exposition possiblement plus élevée du fait de leurs métiers ou lieux de résidence (travailleurs agricoles, pêcheurs, personnes résidant en zone contaminée).

C. EFFETS SANITAIRES

1. Caractère cancérogène
a) Études scientifiques sur le cancer de la prostate

La chlordécone est considérée comme susceptible de présenter un risque cancérogène pour l'homme depuis 1979 et est classée « cancérogène possible pour l'homme » (groupe 2B) depuis 1987 par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), à la suite d'études de cancérogenèse réalisées chez l'animal 94 ( * ) . Pour autant, le suivi réalisé durant 15 ans sur les populations impliquées dans l'incident de Hopewell (ouvriers et riverains) n'a révélé aucune sur-incidence tumorale 95 ( * ) .

En 2009, lors de la rédaction du premier rapport de l'OPECST, plusieurs études attestaient d'un plus grand risque de cancer de la prostate pour les exploitants et salariés agricoles exposés à certains pesticides 96 ( * ) mais aucune ne s'était intéressée spécifiquement au cas de la chlordécone, à l'exception de celle de l'Association pour la recherche thérapeutique anti-cancéreuse (Artac) coordonnée par le Pr Dominique Belpomme 97 ( * ) . Or, ce rapport avait été remis en cause et fait l'objet de diverses critiques de la part de la communauté scientifique 98 ( * ) .

En 2010, les résultats de l'étude Karuprostate ont montré, à partir d'une étude cas-témoin, qu'une exposition à la chlordécone - quantifiée par la concentration plasmatique de la chlordécone chez le patient - était bel et bien associée significativement et de manière dose-dépendante à un risque de survenue d'un cancer de la prostate, avec un risque significativement augmenté lorsque l'imprégnation était supérieure à 0,96 ìg/L 99 ( * ) . Sur la base de ces éléments et d'hypothèses mécanistiques compatibles, l'étude « Pesticides : effets sur la santé » réalisée par l'Inserm en 2013 faisait état d'une « présomption forte » d'un lien entre l'exposition à la chlordécone et la survenue du cancer de la prostate 100 ( * ) .

Dans le cadre de cette même étude Karuprostate, le suivi d'une cohorte prospective incluant des patients présentant une forme localisée de cancer de la prostate et traités par prostatectomie totale (ablation de la prostate) a montré que l'exposition à la chlordécone (estimée avant l'intervention chirurgicale) était également associée à un risque significativement augmenté de récidive biochimique (réaugmentation du taux d'antigène spécifique prostatique), qui constitue un facteur de risque de survenue ultérieure de métastases 101 ( * ) .

On peut constater un âge médian au diagnostic du cancer de la prostate aux Antilles légèrement inférieur à celui observé en France métropolitaine (68 ans contre 70 ans), avec une proportion plus élevée de cas chez les moins de 50 ans aux Antilles 102 ( * ) . De plus, le taux d'incidence (standardisé sur l'âge de la population mondiale) du cancer de la prostate était, entre 2007 et 2014, de 173 pour 100 000 en Guadeloupe et de 164 pour 100 000 en Martinique, contre 88,8 pour 100 000 en métropole 103 ( * ) . Cependant, cette sur-incidence ne doit pas être imputée uniquement à la chlordécone, les populations issues de l'Afrique subsaharienne étant connues pour présenter un risque particulièrement élevé de développer cette maladie ; à titre d'exemple, le taux d'incidence (standardisé sur l'âge de la population mondiale) du cancer de la prostate était, entre 1998 et 2022, de 170,9 pour 100 000 pour les États-uniens noirs de Californie et de 200,9 pour 100 000 pour les États-uniens noirs de Détroit 104 ( * ) . Selon le Pr Luc Multigner, 5 à 7 % des cas de cancers de la prostate observés aux Antilles seraient attribuables à la chlordécone.

En 2021, une actualisation de l'étude de l'Inserm sur les effets des pesticides sur la santé confortait la vraisemblance d'une relation causale entre l'exposition à la chlordécone et le risque de survenue du cancer de la prostate, à partir des études épidémiologiques, des données toxicologiques et des hypothèses mécanistiques disponibles.

Une nouvelle étude de cohorte prospective, dénommée KP-Caraïbes-Breizh, est actuellement mise en place dans le but de suivre de manière longitudinale des patients atteints de cancer de la prostate afin de caractériser les déterminants d'évolution et de complication de la maladie. Un programme pluridisciplinaire de recherche a également été initié par l'Institut national du cancer (INCa), à la suite d'une saisine de la Direction générale de la santé (DGS), afin de comprendre le rôle de la chlordécone dans le risque de survenue du cancer de la prostate, ainsi que sa perception et ses conséquences sociales dans les Antilles.

b) Études scientifiques sur les autres cancers

Le rôle de promoteur tumoral de la chlordécone invite à considérer les potentiels risques qu'elle est susceptible de présenter pour d'autres formes de cancers.

Les données obtenues à partir des registres des cancers montrent que les taux d'incidence des cancers et la mortalité par cancer, toutes localisations confondues, sont globalement inférieurs aux Antilles par rapport à la métropole 105 ( * ) . Une sous-incidence est notamment observée pour les cancers du poumon, du côlon-rectum et du sein, tandis qu'une sur-incidence peut-être constatée pour les cancers du col de l'utérus, de l'estomac, de la prostate et pour les myélomes multiples.

En outre, une analyse conduite sur les travailleurs du secteur bananier - sans prendre en compte leur exposition professionnelle effective à la chlordécone - a montré des excès significatifs de décès pour le cancer de l'estomac et du pancréas chez les femmes entre les années 2000 et 2015 106 ( * ) .

Des travaux complémentaires sont en cours sur cette thématique, en particulier une étude cas-témoins ayant pour objectif de mesurer l'association entre l'exposition aux pesticides et la survenue des myélomes multiples et autres lymphomes non-hodgkiniens en Guadeloupe et en Martinique.

c) Reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle

Depuis la fin de l'année 2021, le cancer de la prostate est reconnu comme maladie professionnelle pour les agriculteurs ayant été exposés à des pesticides, dont la chlordécone 107 ( * ) . La définition du tableau s'est appuyée sur une expertise demandée à l'Anses 108 ( * ) , ainsi que sur l'étude de l'Inserm « Pesticides et effets sur la santé : Nouvelles données » précédemment citée. Il prend en compte l'ensemble des travaux agricoles en lien avec les pesticides (manipulation, utilisation, nettoyage, contact avec les cultures exposés), pour une durée d'exposition de 10 ans et avec un délai de prise en charge de 40 ans (délai entre la fin de l'exposition et l'apparition de la maladie). Les personnes ne remplissant pas l'ensemble des conditions du tableau peuvent toutefois effectuer une demande, qui sera traitée par le Comité unique de reconnaissance des maladies professionnelles dédié aux pesticides, mis en place par le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides.

L'État finance en outre un dispositif d'accompagnement des victimes dans leurs démarches administratives préalables à l'indemnisation. Cet accompagnement est pris en charge par les associations France Assos santé Martinique et Phyto-victimes, en relation avec la Caisse générale de sécurité sociale (CGSS), en Martinique, et directement par la CGSS en Guadeloupe.

Au total, quarante demandes de reconnaissance de maladie professionnelle au titre du cancer de la prostate ont été déposées aux Antilles, dont 32 en Martinique et 8 en Guadeloupe. Parmi celles-ci, 25 ont donné lieu à un accord et 4 à un refus, les autres demandes étant encore en cours d'instruction.

Depuis le 1 er janvier 2023, les demandes sont soumises aux règles de prescription de droit commun, c'est-à-dire que les demandes doivent être faites dans un délai de deux ans à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien possible entre la maladie et l'activité professionnelle. Au regard du faible nombre de demandes actuellement émises, on peut craindre que cette contrainte prive de nombreux agriculteurs, qui n'auraient pas été informés de cette opportunité ou n'auraient pas eu le temps de réaliser les démarches, de la possibilité de faire reconnaitre leur cancer de la prostate comme maladie professionnelle.

2. Grossesse et développement de l'enfant

En 2004, l'étude Hibiscus avait révélé la présence de chlordécone dans 87 % des prélèvements de sang maternel, dans 61 % des prélèvements de sang du cordon ombilical et dans 40 % des prélèvements de lait maternel 109 ( * ) . L'étude Timoun 110 ( * ) avait alors été mise en place pour étudier les éventuelles conséquences de cette exposition.

Cette étude avait d'abord permis de montrer que la quantité de chlordécone présente dans le sang de la mère lors de l'accouchement n'était pas associée à un risque de survenue de diabète gestationnel, de pré-éclampsie ou de malformation congénitale 111 ( * ) mais au contraire à un risque diminué d'hypertension gestationnelle 112 ( * ) . En revanche, l'exposition maternelle à la chlordécone semblait associée de manière significative à une réduction de la durée de la grossesse, conduisant à un risque accru de prématurité - soit un accouchement avant la 37 e semaine d'aménorrhée - pour les femmes présentant des concentrations de chlordécone dans le sang supérieures à 0,52 ìg/L, en cohérence avec les propriétés hormonales de la molécule 113 ( * ) .

L'exposition prénatale à la chlordécone - mesurée à partir de la concentration en chlordécone dans le sang du cordon ombilical - est associée chez l'enfant, à 3 mois, à une augmentation de la concentration circulante d'hormone thyréostimuline 114 ( * ) et à un indice de masse corporelle (IMC) plus élevé 115 ( * ) . Si ce dernier effet n'est plus observé à 8 mois chez les garçons, il subsiste jusqu'à l'âge de 18 mois chez les filles. De même, à 7 mois, l'exposition prénatale est associée à une perturbation de certains tests cognitifs et comportementaux, avec une réduction des scores estimant la préférence visuelle pour la nouveauté et la motricité fine 116 ( * ) . Cette réduction du score de motricité fine est toujours observable chez les garçons à 18 mois 117 ( * ) . À l'âge de 7 ans, l'exposition prénatale est associée à un profil plus régulier de tremblements des mains 118 ( * ) ainsi qu'à des modifications des concentrations circulantes d'hormone thyréostimuline, chez les filles, et d'hormones sexuelles stéroïdiennes, quel que soit le sexe 119 ( * ) . Enfin, cette étude de cohorte a montré que l'exposition prénatale à la chlordécone entrainait des modifications épigénétiques, susceptibles de se traduire par des conséquences sanitaires futures 120 ( * ) .

L'exposition post-natale - mesurée à partir de la concentration en chlordécone présente dans le lait maternel puis par estimation de l'exposition alimentaire -, est, elle, associée à une diminution des fractions libres d'hormones thyroïdiennes à 3 mois et à une réduction de l'IMC jusqu'à 18 mois, principalement chez les filles. Si elle n'a pas montré avoir d'influence sur le développement cognitif des nouveau-nés, elle s'est révélée associée à 7 ans à un moins bon traitement de l'information visuelle et à une moins bonne sensibilité aux contrastes visuels chez les garçons 121 ( * ) , l'exposition étant alors déterminée par une analyse de chlordéconémie chez l'enfant.

Cette étude se poursuit actuellement et devrait assurer le suivi des enfants à l'âge péripubertaire dans les prochaines années.

Du fait de ces résultats, des fiches d'information à destination des femmes enceintes ont été mises au point et des consultations préconceptionelles ont commencé à être organisées.

Par ailleurs, grâce au Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides, les enfants exposés in utero en raison de l'exposition professionnelle de leurs parents peuvent également bénéficier d'une indemnisation pour cinq pathologies : la leucémie, la tumeur cérébrale, la fente labio-palatine, l'hypospadias et les troubles du neuro-développement.

3. Fertilité masculine et féminine

Contrairement à ce qui avait pu être observé lors de l'incident de Hopewell aux États-Unis, une étude portant sur les salariés des bananeraies antillaises n'a pas montré d'influence des concentrations plasmatiques en chlordécone sur les qualités spermatiques (volume séminal, nombre, mobilité et morphologie des spermatozoïdes) ni sur le délai nécessaire à concevoir un enfant 122 ( * ) . Cependant, un travail récent a montré que, chez des souris, l'exposition gestationnelle à de faibles doses de chlordécone pouvait entrainer une diminution du nombre de spermatozoïdes matures chez leur descendance mâle jusqu'à la troisième génération 123 ( * ) . Aussi, des impacts pourraient être observés chez les prochaines générations, exposées à la chlordécone in utero , et méritent d'être surveillés.

Contrairement aux hommes, aucune étude épidémiologique n'a été menée à ce jour sur la fertilité féminine. Cependant, chez des souris, l'exposition gestationnelle entraîne, sur la portée femelle, un retard de puberté et des atteintes du développement des follicules ovariens 124 ( * ) . Des études chez la femme seront, enfin, très prochainement menées dans le cadre du projet Karu-Fertil coordonné par l'Inserm.

4. Effets hépatiques

Il a récemment été montré sur un modèle animal que la métabolisation de la chlordécone dans le foie déclenche une hépatomégalie et potentialise la fibrose hépatique induite par un agent hépatotoxique 125 ( * ) . L'étude épidémiologique Hépatochlor entend étudier l'influence de l'exposition à la chlordécone sur l'évolution des hépatites chroniques actives. Les premiers résultats semblent indiquer que l'exposition à la chlordécone serait associée à un moins grand risque de progression de fibrose hépatique. Cette observation pourrait être expliquée par une incidence de la fibrose sur la concentration plasmatique en chlordécone.

IV. ÉVALUATION DE L'ACTION DE L'ÉTAT ET CONSÉQUENCES SOCIALES

A. ÉVALUATION DES TROIS PREMIERS PLANS CHLORDÉCONE

Depuis la publication du premier rapport de l'OPECST en 2009, peu de temps après la mise en place du premier plan chlordécone (2008-2010), deux évaluations administratives ont été conduites 126 ( * ) : une évaluation ex post du premier plan 127 ( * ) et une évaluation in itinere du troisième (2014-2020) 128 ( * ) .

Ces évaluations ont permis de souligner plusieurs échecs et écueils. Tout d'abord, la réaction tardive de l'État : malgré plusieurs alertes antérieures, il a fallu attendre la fin des années 1990 pour que la pollution soit étudiée et mise en évidence, puis 2008 pour que le premier plan d'action structuré soit mis en place 129 ( * ) . En outre, le premier plan n'a apporté que des réponses de court terme, alors que l'ampleur de la pollution nécessitait une stratégie à longue échéance. Les mesures étaient principalement consacrées au volet sanitaire et négligeaient par conséquent les aspects environnementaux et économiques, largement sous-estimés. Malgré la priorité sanitaire, une insuffisance de la surveillance médicale des professionnels et anciens professionnels du secteur bananier était déplorée 130 ( * ) . Les instances de gouvernance et les dispositifs de financement mis en place ont été jugés trop complexes et peu efficaces, conduisant notamment à l'interruption de certaines actions et à un bilan qualifié de « globalement mitigé ». Enfin, la communication envers les populations concernées a elle aussi été jugée défaillante, étant à la fois « tardive, mal clarifiée et souvent différée » ainsi que « finalement peu crédible ».

Si certains progrès ont été constatés dans les plans postérieurs, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale de 2019 et l'évaluation administrative du troisième plan chlordécone publiée en 2020 constataient toujours un volet sanitaire privilégié par rapport aux volets environnementaux et économiques, un pilotage trop vertical avec un éclatement des compétences et un manque de coordination, une sous-utilisation des crédits disponibles et une communication encore difficile avec les populations.

Sur le volet gouvernance des actions de recherche, l'existence d'un Comité de pilotage spécifique semble essentielle pour définir la programmation scientifique et pour suivre et évaluer la qualité et la cohérence des projets. Pourtant, à l'instar de la gouvernance globale, le pilotage de la recherche au cours des premiers plans chlordécone s'est montré peu efficient. Lors du premier plan chlordécone, un Conseil scientifique avait été mis en place dans l'objectif de proposer des axes de recherches, de renforcer la veille sanitaire et d'améliorer la surveillance de l'impact des pesticides. Dans le deuxième plan chlordécone (2011-2013), ce Conseil scientifique a été remplacé par un Groupe d'orientation et de suivi scientifique (Goss), ayant un rôle de suivi et d'appui aux projets de recherches et incluant les aspects environnementaux. Cependant, le rapport d'évaluation du troisième plan chlordécone a souligné plusieurs dysfonctionnements dans la conception du Goss : un manque de moyens en matière de soutien logistique, une implication trop peu importante dans le Comité national de pilotage du plan et une composition non optimale pour assurer un lien avec les opérateurs et les financeurs.

Les imperfections de ces différentes instances ont logiquement eu un impact sur la conception et le positionnement des différents volets recherche des plans chlordécone successifs, conduisant à un bilan insuffisant au regard de l'ampleur des enjeux. Si les recherches conduites ont permis de mieux appréhender la contamination des écosystèmes et de réduire l'exposition des populations, les effets sanitaires de cette exposition restent encore mal connus.

B. LA DÉFIANCE DE LA POPULATION

1. La responsabilité de l'État mise en cause

La contamination par la chlordécone est vécue comme un véritable scandale par la population locale 131 ( * ) .

Pour de nombreux acteurs locaux, l'autorisation de la chlordécone - et le maintien de cette autorisation - est vue comme une faute de l'État. Les risques représentés par la molécule auraient été sous-évalués, malgré l'existence de données quant à sa toxicité et l'incident de Hopewell qui a conduit les États-Unis à interdire sa production et sa commercialisation, bien que cela n'ait pas été le cas de la plupart des pays utilisateurs 132 ( * ) . Les dérogations ministérielles ayant permis l'utilisation de la chlordécone dans les bananeraies antillaises entre 1990 et 1993 malgré son interdiction en métropole accentuent ce sentiment et induisent l'idée d'un traitement différencié des populations ultramarines. Dans ce contexte, une plainte contre l'État a été déposée par plusieurs associations en 2006 pour empoisonnement, mise en danger de la vie d'autrui et administration de substance nuisible.

L'annonce le 5 janvier 2023 d'une décision de non-lieu dans le cadre de cette plainte a suscité d'importantes réactions aux Antilles. Pour beaucoup, cette décision est vécue comme injuste et incompréhensible, alors même que l'ordonnance de non-lieu souligne « une atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants » et que le président de la République avait annoncé en 2018 que « l'État [devait] prendre sa part de responsabilité dans cette pollution ».

2. Un sentiment exacerbé par des actions de l'État jugées défaillantes

À cela, s'ajoute la perception négative des actions mises en oeuvre par l'État pour gérer cette pollution et protéger la population, estimées insuffisantes, comme l'ont montré les interventions des représentants de l'association guadeloupéenne Vivre et du collectif martiniquais Lyannaj pou dépolyé Matinik .

Pour une part de la population antillaise, le délai entre la mise en évidence de la pollution et la mise en place des premières actions donne l'impression d'un déni de l'État vis-à-vis de la situation. Par ailleurs, plusieurs actions sont perçues comme avançant trop lentement, à l'instar de la cartographie des sols qui ne couvre - aujourd'hui encore - qu'une faible partie des territoires. Il en est de même pour les recherches sur les techniques de dépollution et pour les études concernant les effets sanitaires de la chlordécone, pour lesquelles les financements ont été insuffisants. La méconnaissance des conséquences potentielles de l'exposition induit un sentiment d'anxiété pour la population qui se sait contaminée. Ce sentiment est exacerbé par la diffusion de la contamination, qui touche l'alimentation et frappe de suspicion les aliments locaux.

Bien que des recommandations alimentaires existent pour prévenir l'exposition, elles se heurtent aux habitudes alimentaires traditionnelles et à des difficultés socio-économiques qui préviennent leur large adoption et leur pleine efficacité. Si la reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle constitue indéniablement un progrès, la population exposée en dehors du cadre professionnel et les travailleuses agricoles se considèrent lésés et invisibilisés par cette mesure qui ne leur permet pas de prétendre à une indemnisation. Enfin, la communication mise en place dans le cadre des plans chlordécone est perçue comme trop verticale, infantilisante et déconnectée des réalités des territoires par une partie de la population.

Par ailleurs, les conséquences induites par la pollution sur les agriculteurs, sur les marins pêcheurs, sur les pisciculteurs et sur une partie de la population qui fait face à des surcoûts en raison d'une réduction de ses capacités d'autoproduction alimentaire, ajoutent un aspect économique à cette crise sanitaire et environnementale, dans des territoires déjà marqués par la pauvreté 133 ( * ) .

L'ensemble de cette situation conduit, comme l'a indiqué Mme Chatenay-Rivauday lors de la seconde audition publique, à un « sentiment de colère, d'injustice, de défiance » parmi la population antillaise et a un impact sur la perception de l'État, passé d'« une sorte thaumaturge générateur de liberté et d'égalité dans le prolongement de l'abolition de l'esclavage » à « un organe étranger, avec lequel les populations antillaises entretiennent un rapport plus que jamais ambivalent », comme l'a exposé par le Pr Justin Daniel lors de cette même audition. Les tensions créées dans la société antillaise constitueraient même un « terrain favorable à la réactivation de représentations associées à des hiérarchies socio-raciales héritées de l'histoire et de l'esclavage », accentuées par le sentiment que l'autorisation et l'utilisation dérogatoire de la chlordécone auraient été guidées par les intérêts économiques des grands propriétaires des exploitations bananières descendant des colons 134 ( * ) .

Cette perte de confiance et ce rapport de défiance touchent par extension l'ensemble des institutions et du personnel politique, central comme local, et se traduisent par des difficultés d'adhésion aux dispositifs et aux recommandations émis par les services de l'État , comme l'a notamment illustré la faible couverture vaccinale contre la Covid-19 en Guadeloupe et en Martinique.

3. Une confiance et une communication à reconstruire

Il apparait en conséquence essentiel de mobiliser les sciences humaines et sociales afin de se saisir des problèmes sociétaux posés par la contamination à la chlordécone. En 2019, un atelier de travail sur la « chlordécone au prisme des sciences humaines et sociales », organisé à l'Université Paris Dauphine, constatait l'absence de recherches dans ce champ pluridisciplinaire - au-delà de quelques initiatives personnelles isolées -, les financements étant entièrement dirigés vers les sciences de la vie et de l'environnement 135 ( * ) .

Des efforts semblent particulièrement nécessaires pour augmenter l'adhésion aux recommandations alimentaires qui, bien qu'efficaces et connues depuis de nombreuses années, peinent à être pleinement adoptées par la population. Une telle réflexion vient d'être prise en compte dans le cadre de l'évaluation du programme JaFa par Santé publique France, dans le but d'optimiser et de développer le programme à plus grande échelle. Un comité d'acteurs locaux et nationaux explore actuellement les déterminants de la confiance dans les messages de santé publique et les leviers susceptibles d'être actionnés pour accroitre cette confiance. D'après les premiers résultats obtenus dans le cadre d'une étude qualitative, les freins reposeraient sur : « un sentiment de déni, de fatalité et de scepticisme dû à la répétition des crises sanitaires et à l'emploi généralisé des pesticides » ; « une faible légitimité des discours officiels voire une défiance vis-à-vis de la parole publique » ; « un attachement culturel fort à la pêche locale et aux pratiques culturales issues du jardin créole » ; « un découragement vis-à-vis de la difficulté de mise en pratique des recommandations » ; « un surcoût économique » . La co-construction de nouveaux messages semble dès lors primordiale pour surmonter l'ensemble de ces freins et proposer des solutions adaptées aux réalités locales.

Il parait nécessaire de repenser la communication mise en place dans le cadre des plans chlordécone , en faisant preuve de transparence sur l'état des connaissances et sur les actions menées. Dans la mesure du possible, ces dernières doivent être co-construites et impliquer la population. Des progrès doivent également être réalisés quant à la communication sur les dispositifs accessibles aux Antillais ; la sous-utilisation de l'offre ouverte pour l'analyse des sols, la chlordéconémie ou l'indemnisation des travailleurs agricoles victimes d'un cancer de la prostate semble indiquer une méconnaissance de ces mesures ou de leur utilité. Ces opérations de communication doivent s'appuyer sur l'ensemble des médias (prospectus, radio, télévision, réseaux sociaux, etc.) et mobiliser des acteurs locaux, médiateurs de confiance, pour lutter contre la défiance envers les services étatiques.

C. LES PROGRÈS DU PLAN CHLORDÉCONE IV

1. Une nouvelle structuration et un budget augmenté

Le plan chlordécone IV, lancé en 2021 pour une durée de 7 ans, a tenté de répondre aux critiques et recommandations émises dans le cadre de ces évaluations et du rapport d'enquête réalisé à l'Assemblée nationale 136 ( * ) .

Ce plan, qui dispose d'un budget de 92 millions d'euros, a été structuré autour de trois stratégies thématiques (« santé - environnement - alimentation », « santé - travail » et « socio-économique » qui correspondent respectivement à 59 %, 1,5 % et 5,6 % du budget prévisionnel) et trois stratégies transversales (« communication », « recherche » et « formation et éducation » qui correspondent respectivement à 4,4 %, 29,1 % et 0,4 % du budget prévisionnel). En s'appuyant sur les acquis des plans précédents, ce plan a pour objectif de protéger la population des risques sanitaires, soutenir l'agriculture et la pêche et tendre vers le « zéro chlordécone » dans l'alimentation, développer les recherches sur la chlordécone, et rétablir la confiance de la population antillaise envers l'État grâce à une meilleure information et une action en commun.

Du point de vue financier, ce plan bénéficie d'une hausse des moyens, avec une augmentation d'environ 20 % du budget annuel par rapport au premier plan chlordécone, le mieux doté jusqu'alors avec un budget de 33 millions d'euros pour 3 ans (2008-2010).

Le système de pilotage du plan a été réformé avec la création d'un Comité de pilotage stratégique national, co-présidé par la directrice générale des outre-mer et le directeur général de la santé et rassemblant un représentant de chacun des ministères compétents, des représentants des préfectures de Guadeloupe et de Martinique, des collectivités territoriales et des élus nationaux, et des Comités de pilotage locaux, présidés par les préfets et associant l'ensemble des parties prenantes (élus, professionnels agricoles, professionnels de santé, experts, associations environnementales et de consommateurs). En outre, un poste de directeur de projet chargé de la coordination interministérielle du plan a été créé, dans le but d'assister les directeurs généraux des outre-mer et de la santé et de suivre la bonne mise en oeuvre des mesures du plan et leur exécution budgétaire.

2. Une recherche mieux coordonnée

Un Comité de pilotage scientifique national (CPSN) a été créé afin de programmer, animer et coordonner les actions de recherche. Présidé par le Pr Guido Rychen, il s'appuie sur la Coordination locale de la recherche sur la chlordécone aux Antilles (CLoReCA) qui réunit les acteurs de la recherche aux Antilles, des représentants de l'État, des associations et les collectivités afin d'organiser un dialogue sur les questions scientifiques et répondre aux attentes de la population et des élus. Cette structuration, qui bénéficie d'un chargé de mission recruté à temps plein, entend répondre aux défaillances constatées dans les plans précédents et porter une recherche ambitieuse sur la chlordécone.

Un premier appel à projets pleinement consacré à la chlordécone, soutenu par l'Agence nationale de la recherche, la collectivité territoriale de Martinique et la région Guadeloupe a permis de financer 6 projets pour un total de 8,8 millions d'euros 137 ( * ) . À titre de comparaison, depuis les 17 années d'existence de l'ANR, 12 projets ont été financés dans le cadre des appels à projets génériques pour un total de 5,2 millions d'euros 138 ( * ) .

Le plan offre de nouvelles perspectives quant à la mobilisation des sciences humaines et sociales. Les projets soumis dans le cadre de l'appel à projets lancé par l'ANR en 2022 devaient nécessairement intégrer un axe de travail sur l'identification des freins et des leviers aux échanges et aux interactions entre science et société. De même, le programme de recherche pluridisciplinaire mené par l'Institut national du cancer comporte un axe de travail sur l'expérience individuelle, les mobilisations sociales et les dispositifs institutionnels liés à la contamination par les pesticides. Enfin, on peut noter que la vice-présidence du CPSN a été confiée à M. Justin Daniel, professeur de science politique à l'Université des Antilles, ce qui témoigne d'une volonté de donner une place plus importante à ces disciplines.

3. Une indispensable inclusion de la population

Contrairement aux plans précédents, le plan chlordécone IV a été construit grâce à la contribution de groupes de travail associant services de l'État, collectivités locales, représentants de la société civile et organisations professionnelles. Bien que les réunions publiques initialement prévues au premier semestre 2020 n'aient pas pu être conduites du fait de la crise sanitaire, les citoyens ont été invités à s'exprimer sur les mesures du projet de plan au travers d'une consultation publique organisée à l'automne 2020, via des permanences organisées dans plusieurs mairies et un site internet dédié. Plus de 1 500 contributions écrites émanant de citoyens, d'associations et de professionnels ont ainsi proposé des améliorations.

La publication d'un bilan annuel du plan qui indique l'avancement des différentes mesures, leur exécution budgétaire et les résultats des analyses conduites constitue une amélioration en termes de transparence 139 ( * ) . La présentation de ce bilan aux élus guadeloupéens et martiniquais par M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des Outre-mer, et Mme Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des professions de santé, est également à saluer, bien que des actions de communication à l'égard de la population soient également nécessaires.

Concernant la communication des connaissances scientifiques, la rédaction d'un « point de situation 2022 sur les connaissances scientifiques » 140 ( * ) par le Comité de pilotage scientifique national (CPSN) devrait permettre de lutter contre la circulation de fausses informations. Cependant, des efforts devront être réalisés afin de faire connaître l'existence de ce document et en assurer la diffusion parmi la population. Dans le cadre des « Rencontres chlordécone 2022 », de courtes vidéos ont également été produites par le Carbet des sciences, association martiniquaise de médiation scientifique, afin que des chercheurs puissent répondre aux questions de la population 141 ( * ) . En complément, il serait pertinent, qu'avec l'appui de la Coordination locale de la recherche sur la chlordécone aux Antilles (CLoReCA) et un soutien financier du plan chlordécone IV, les chercheurs antillais mobilisés sur cette thématique puissent organiser des conférences destinées au grand public pour transmettre ces informations.

Le colloque scientifique organisé dans le cadre des « Rencontres chlordécone 2022 » a eu le mérite de réunir en une unique session les recherches portant sur l'environnement, la santé et les sciences humaines sociales. En revanche, les journées d'information destinées à la société civile étaient organisées de manière séparée. Au cours des prochaines éditions, il serait souhaitable qu'un rapprochement ait lieu entre ces évènements et qu'une place plus importante soit offerte au mouvement associatif au sein du colloque scientifique, dans une démarche de démocratie sanitaire inspirée de la lutte contre l'épidémie de sida.

La mise en place d'ateliers et d'activités pédagogiques destinés à sensibiliser les populations aux problématiques liées à la chlordécone et aux méthodes pour se prémunir d'une contamination, comme la création d'un jeu de société (dénommé « chlordicus ») et d'un « escape game » ainsi qu'une pièce de théâtre « Djol dou » et un spectacle « Joséphine2b » sont autant d'initiatives de communication complémentaires.

Enfin, la formation de professionnels de santé doit être accélérée et proposée à l'ensemble des soignants antillais afin que ceux-ci puissent être en mesure de répondre aux questionnements de la population sur cette thématique. La formation d'enseignants et d'éco-délégués doit également être poursuivie, ceux-ci pouvant ensuite jouer un rôle de relais de confiance auprès de la population. Dans cette perspective, il convient de souligner la démarche de l'Agence régionale de santé (ARS) de Martinique qui a récemment mis en place un appel à projets afin de mobiliser des associations locales et différents acteurs locaux pour porter les messages de prévention.

V. BILAN ET RECOMMANDATIONS

A. BILAN DES TRAVAUX

Si des progrès ont été réalisés dans la connaissance des atteintes environnementales et sanitaires liées à la chlordécone, les résultats obtenus depuis 2009 ne sont cependant pas à la hauteur de la situation. Au regard de la diffusion de cette contamination à l'ensemble des écosystèmes antillais et de l'importante imprégnation des populations locales, il est primordial de travailler à obtenir une meilleure vision globale des risques auxquels la population est exposée, et de développer des solutions de remédiation et de réduction de cette exposition. Certains domaines de la recherche, comme celui des sciences humaines et sociales ou la question des impacts de la pollution à la chlordécone sur la biodiversité, peu investis jusqu'à présent, doivent désormais être pris en compte. Certes, une partie de ce bilan peut s'expliquer par le temps long nécessaire à la recherche et par la difficulté à obtenir des résultats, mais la conception des trois premiers plans chlordécone et le manque de moyens alloués à la recherche en portent aussi la responsabilité.

En déployant un nouveau système de pilotage de la recherche et en finançant un premier appel à projets pleinement destiné à cette thématique, le plan chlordécone IV est un progrès. Néanmoins, les appels à projets devront être renouvelés au cours des années afin de soutenir les initiatives aboutissant à des résultats prometteurs et de lancer de nouveaux axes de recherche, identifiés comme prioritaires par le Comité de pilotage scientifique national (CPSN).

Parallèlement, un suivi des projets en cours et des échanges réguliers entre les chercheurs mobilisés devront être menés pour créer des synergies et des collaborations et éviter tout risque d'une recherche en silo et de redondances. Par ailleurs, le lancement de ces appels à projets ne doit pas aboutir à un définancement des projets portant sur la chlordécone lors des appels à projets génériques de l'ANR. Les projets n'ayant pas été retenus lors de l'appel à projets 2022 doivent pouvoir bénéficier d'un soutien du CPSN afin d'évoluer, en tenant compte des remarques exprimées par le Comité d'évaluation scientifique, et pouvoir ainsi être à nouveau soumis lors d'appels à projets ultérieurs. Enfin, une attention toute particulière doit être portée à la mise en application des résultats de laboratoire prometteurs aux conditions réelles de terrain et, subséquemment, à leur utilisation comme outils pour les politiques publiques afin de protéger au mieux la population.

Si la recherche apparaît nécessaire pour préparer l'avenir, les connaissances actuelles fournissent d'ores et déjà de nombreux outils pour prévenir la contamination et minimiser les risques. Il est essentiel que les solutions existantes puissent être pleinement appliquées. L'efficacité des recommandations alimentaires édictées par l'Afssa en 2007, avant tout plan chlordécone, est à cet égard particulièrement éloquente. Aussi, la communication doit évoluer pour permettre à la population de se saisir des solutions et des dispositifs existants. La communication et les recommandations doivent être pensées et construites avec le soutien d'acteurs locaux afin de tenir compte des réalités socio-culturelles propres aux Antilles, être abondantes et s'appuyer sur l'ensemble des médias disponibles tout en ciblant préférentiellement les populations sensibles et particulièrement à risque d'exposition et, enfin, être portées autant que possible par des acteurs locaux pouvant servir de médiateurs de confiance auprès de la population. Parallèlement, un effort de transparence doit être réalisé afin de lutter contre la défiance systémique ancrée dans la population.

Le plan chlordécone IV répond à plusieurs des limites identifiées lors des plans précédents. La création du poste de directeur de projet chargé de la coordination interministérielle devrait notamment permettre un meilleur suivi et une meilleure exécution des différentes mesures. Néanmoins, compte tenu de la durée du plan, soit 7 ans, une évaluation externe à mi-parcours pourrait s'avérer utile pour identifier les éventuelles faiblesses et réorientations nécessaires à l'atteinte des objectifs fixés. À l'inverse des évaluations des plans précédents, ce travail ne devra pas uniquement mobiliser des services administratifs mais inclure des acteurs locaux, représentant les collectivités territoriales, les organisations professionnelles et la société civile, ainsi que la représentation nationale.

Plusieurs actions de ce plan devront être renforcées. Outre les analyses de sol conduites sur la base du volontariat pour les agriculteurs et les propriétaires de jardins familiaux, des analyses pourraient être conduites proactivement chez les agriculteurs qui produisent des denrées sensibles. Ces analyses devront également permettre d'évaluer la dégradation naturelle de la chlordécone et la formation de produits de transformation. Bien que les travaux conduits dans le cadre des plans chlordécone aient permis d'améliorer les méthodes d'analyse et de relocaliser une partie de ces analyses aux Antilles, l'offre locale ne permet toujours pas de répondre à la totalité des demandes, y compris pour la chlordéconémie. Le développement de cette offre s'avère donc nécessaire afin de répondre rapidement à l'ensemble des besoins. La mise en place d'une plate-forme d'analyses permettant de détecter et quantifier les produits de transformation de la chlordécone, prévue par le plan, s'inscrit également comme une priorité pour évaluer les risques représentés par ces molécules. Un effort doit être effectué quant au contrôle des circuits informels. Enfin, les analyses de chlordéconémie disponibles gratuitement doivent être utilisées comme un véritable outil de prévention et permettre d'acquérir de nouvelles connaissances sur les liens entre exposition alimentaire et imprégnation sanguine, sur les déterminants de cette imprégnation et sur les possibilités de décontamination.

B. RECOMMANDATIONS

1. Recherche

Recommandation 1 : Continuer à conduire de nouveaux appels à projets pleinement consacrés à la chlordécone tous les trois ans, dont les modalités et les axes prioritaires sont définis par le Comité de pilotage scientifique national (CPSN).

Recommandation 2 : Outre les recherches sur les outils de remédiation et sur les impacts sanitaires, promouvoir le financement de travaux sur les thématiques ayant été moins explorées jusqu'à présent : sciences humaines et sociales, impacts de la chlordécone sur la biodiversité, effets cocktail de la chlordécone avec d'autres produits phytosanitaires utilisés aux Antilles, risques environnementaux et sanitaires représentés par les produits de transformation de la chlordécone.

Recommandation 3 : Accompagner les projets dans l'application pratique de leurs résultats, notamment en conditions réelles de terrain et à grande échelle, afin d'en faire bénéficier la population aussi rapidement que possible. Un soutien particulier doit être fourni quant à l'utilisation de biochars à partir de sargasses, qui pourrait résoudre deux problématiques.

Recommandation 4 : Fournir via le CPSN un accompagnement aux équipes de recherche n'ayant pas vu leur projet financé lors du premier appel à projets afin qu'elles puissent faire évoluer leurs projets et bénéficier d'un financement ultérieur.

Recommandation 5 : Suivre les différents projets de recherche en cours et encourager la mise en place de collaborations et d'échanges entre les différentes équipes.

Recommandation 6 : Faire en sorte que les études portent sur des données récentes en actualisant et en suivant dans le temps l'imprégnation et l'exposition de la population, grâce aux résultats des études Kannari 2 et ChlorExpo, mais également à l'aide des analyses de chlordéconémie et les contrôles de denrées alimentaires effectués par les DAAF.

Recommandation 7 : Lorsque cela est possible, élargir les projets de recherche à l'ensemble des produits phytosanitaires utilisés aux Antilles pour construire une approche « exposome ».

2. Communication

Recommandation 8 : Repenser la communication pour la rendre moins verticale et tenir compte des réalités socio-culturelles propres aux Antilles, s'appuyer sur l'ensemble des médias disponibles tout en ciblant préférentiellement les populations sensibles et particulièrement à risque d'exposition, et mobiliser des acteurs locaux pouvant servir de médiateurs de confiance auprès de la population locale.

Recommandation 9 : Tenir à jour un site internet regroupant l'ensemble des informations sur la chlordécone, dans un format adapté à l'ensemble de la population.

Recommandation 10 : Développer la communication des résultats de la recherche grâce à l'appui de la Coordination locale de la recherche sur la chlordécone aux Antilles (CloReCA) afin de lutter contre la désinformation, en organisant des conférences destinées au grand public, des visites de laboratoires, des ateliers, des animations, etc.

Recommandation 11 : Actualiser les recommandations alimentaires, notamment concernant la consommation d'oeufs et de volailles. Les messages destinés à la population devront tenir compte des résultats des études Kannari 2 et ChlorExpo, de l'évaluation du programme JaFa, des réalités socio-culturelles locales et des freins à l'adoption de ces recommandations. Revoir la communication autour de ces recommandations, qui ne doit pas uniquement reposer sur le programme JaFa et être centrée sur la population afin de maximiser leur adoption.

Recommandation 12 : À l'aide des organisations professionnelles, mener des actions spécifiques de communication et de formation auprès des travailleurs agricoles et des marins pêcheurs afin de les sensibiliser aux problématiques spécifiques rencontrées et de diffuser les bonnes pratiques et résultats provenant de la recherche. Dans le cadre du plan chlordécone IV, un programme « JaPro » destiné aux agriculteurs est actuellement en cours de mise en place, une initiative analogue destinée aux marins pêcheurs apparait souhaitable.

Recommandation 13 : En raison de l'importance de la consommation de poissons, de crustacés et de mollusques dans l'exposition alimentaire, renforcer le programme Titiri, notamment en Martinique.

Recommandation 14 : Augmenter la communication autour des dispositifs du plan destinés à la population locale (analyses des sols, chlordéconémie, aides financières pour les marins pêcheurs, reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle...) et mettre en place des dispositifs d'accompagnement pour les démarches nécessaires afin que la population puisse s'en saisir pleinement.

Recommandation 15 : Faire preuve de transparence sur les résultats des actions menées et sur l'avancée des différentes mesures du plan en continuant de publier annuellement des bilans de mise en oeuvre du plan chlordécone IV. Construire des indicateurs permettant d'observer la progression des mesures.

3. Chlordéconémie

Recommandation 16 : Faire converger les dispositifs mis en place en Guadeloupe et en Martinique pour la chlordéconémie, dans un souci d'efficacité et de lisibilité.

Recommandation 17 : Développer prioritairement les moyens d'analyse locaux afin de diminuer les temps d'attente pour la population.

Recommandation 18 : Utiliser les analyses pour acquérir de nouvelles connaissances sur les liens entre exposition alimentaire et imprégnation et sur les déterminants de l'imprégnation.

Recommandation 19 : Utiliser les analyses pour étudier la variabilité inter-individuelle de la durée de décontamination, grâce aux personnes modifiant leurs habitudes alimentaires et aux personnes quittant les Antilles pour des raisons personnelles ou professionnelles (comme les étudiants).

4. Suivi et évaluation du plan

Recommandation 20 : Mettre en place des actions afin d'assurer l'utilisation et le renouvellement de filtres à charbons actifs sur toutes les usines de traitement le nécessitant, afin d'atteindre un taux de conformité de 100 % pour l'eau potable. Parallèlement, communiquer sur les risques de consommation d'eau de source, bien plus polluée. Enfin, rénover les infrastructures de distribution d'eau potable pour faire face aux coupures d'eau régulières et ainsi minimiser le risque d'approvisionnement en eau de source par la population.

Recommandation 21 : Rendre obligatoires les analyses de sol pour les agriculteurs produisant des denrées sensibles, tant animales que végétales. Conduire également des analyses de sol pour évaluer la dégradation naturelle de la chlordécone et la formation de produits de transformation.

Recommandation 22 : Accroître la surveillance des circuits de consommation informels.

Recommandation 23 : Mettre en place des plans de surveillance permettant de contrôler la présence de produits de transformation de la chlordécone dans les aliments.

Recommandation 24 : Mener une évaluation du plan chlordécone IV à mi-parcours pour identifier les éventuelles faiblesses et réorientations nécessaires à l'atteinte des objectifs fixés, en mobilisant des acteurs locaux, représentant les collectivités territoriales, les organisations professionnelles et la société civile, ainsi que la représentation nationale. Conduire une consultation publique afin d'évaluer les perceptions des forces et faiblesses du plan par la population.

*

* *

La pollution des terres antillaises et des Antillais par la chlordécone parait précurseur des futures pollutions que nous allons découvrir au XXIe siècle, qu'il s'agisse de pesticides ou d'autres substances.

Pour mieux gérer les crises futures, où qu'elles se produisent, l'État doit tirer tous les enseignements des lenteurs, erreurs et faiblesses qui ont affecté la prise en charge des populations antillaises et nourri leur défiance.

TRAVAUX DE L'OFFICE

I. COMPTE RENDU DE L'AUDITION PUBLIQUE DU 17 FÉVRIER 2022

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Bonjour à tous. Je voudrais d'abord excuser notre président Cédric Villani qui nous rejoindra un peu plus tard.

Nous organisons aujourd'hui une première audition publique sur l'actualisation des données scientifiques concernant l'impact de la chlordécone aux Antilles. En 2009, avec Jean-Yves Le Déaut, nous avions élaboré, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), un rapport dressant un bilan et des perspectives d'évolution sur les conséquences de l'utilisation de la chlordécone aux Antilles. Nous avions pu constater l'ampleur de la pollution induite par cet insecticide mais, comme la plupart des projets de recherche venaient d'être lancés, nous manquions de données pour établir des conclusions solides. C'est pour cela qu'aujourd'hui, plus de dix ans après ce premier rapport, l'Office a voulu faire un point sur l'évolution des connaissances scientifiques qui ont pu être acquises sur ce sujet d'importance majeure pour nos compatriotes aux Antilles.

Pour traiter au mieux le sujet, nous avons fait le choix d'y consacrer deux auditions publiques. Cette première audition s'intéressera aux conséquences environnementales et agricoles de cette pollution ainsi qu'aux solutions susceptibles d'être mises en oeuvre. Une seconde audition sera davantage centrée sur la santé humaine et sur les répercussions sociales aux Antilles.

L'audition d'aujourd'hui est captée et diffusée en direct sur le site du Sénat. Comme il est d'habitude pour les travaux de l'Office, les internautes qui nous suivent à distance peuvent poser des questions par l'intermédiaire d'une plateforme en ligne. Nous relaierons un certain nombre de ces questions au cours des débats que nous aurons avec les intervenants.

Notre audition de ce jour s'organise autour de deux tables rondes : la première concernera l'impact de la chlordécone sur les sols et les perspectives de remédiation qui sont actuellement développées, la seconde s'intéressera aux ressources agricoles et halieutiques.

La première table ronde réunit Thierry Woignier, directeur de recherche au CNRS à l'Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale, Pierre-Loïc Saaidi, maître de conférences à l'université d'Evry-Val-d'Essonne et Christophe Mouvet, ancien chef de projet au BRGM. Je vous propose d'intervenir pendant 7 à 8 minutes chacun, de telle sorte que nous puissions débattre à la suite de ces présentations. Monsieur Woignier, vous avez la parole.

M. Thierry Woignier, directeur de recherche au CNRS à l'Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale (IMBE) . - J'ai intitulé mon intervention « Approche physique de la pollution des sols par la chlordécone : l'influence de l'argile et l'idée de la séquestration ». C'est un travail qui a été réalisé avec mon collègue Luc Rangon, technicien pédologue à l'IMBE, au campus agro-environnemental caribéen. Notre objectif était d'essayer d'acquérir des connaissances à différentes échelles, de la microstructure du sol jusqu'à la parcelle, et d'essayer de proposer des solutions de gestion de cette pollution, adaptées au sol, aux plantes cultivées et à la ressource en eau. Je présenterai la contamination des sols et le confinement naturel de la chlordécone dans les sols en fonction du type d'argile ainsi que le phénomène de séquestration de la chlordécone, qui est une technique de gestion que je propose comme une alternative à la dépollution. J'évoquerai également les limites physiques de la décontamination.

Les sols de la Martinique qui ont été les plus contaminés sont ceux du nord et du centre de l'île. Nous nous sommes intéressés à deux types de sol : les nitisols et les andosols. Les études montrent que les taux de concentration en chlordécone dans les nitisols sont relativement faibles et qu'ils sont bien plus importants - avec environ un facteur 5 - dans les andosols. Pourtant, lorsque l'on s'intéresse au transfert de la chlordécone des sols aux plantes, on voit que, pour des plantes identiques, le taux de transfert est plus faible au niveau des andosols. On a donc un paradoxe : les andosols sont fortement pollués mais faiblement contaminants.

Dans les andosols, on a des argiles de type allophane qui ont des caractéristiques physico-chimiques très spéciales. Ce sont des argiles jeunes qui viennent de roches volcaniques et qui n'ont pas été complètement transformés. Plus le sol est riche en allophanes, plus la concentration en chlordécone y est élevée. Or, comme pour le transfert aux plantes, si on s'intéresse au transfert de la chlordécone du sol à l'eau, on peut voir que plus il y a d'allophanes dans le sol - et donc de chlordécone - moins le transfert est important.

On peut donc se demander si cela est lié aux propriétés physiques de ces argiles. Par microscopie électronique, on peut voir que la structure des argiles est très différente entre les nitisols (composés d'halloysite) et les andosols (composés d'allophane). Si on fractionne avec des tamis les sols pour séparer les particules d'argile selon leur taille et que l'on regarde la concentration en chlordécone dans les différentes fractions obtenues, on peut constater que, si pour les nitisols les concentrations en chlordécone sont constantes, on a une concentration en chlordécone dans les petites particules d'andosol (de moins de 50 um) bien plus élevée que dans les particules de plus grande taille.

Les particules d'allophane sont formées par un agrégat de particules, elles-mêmes formées de particules. Cela forme une structure labyrinthique. Par des techniques de diffusion de rayons X ou de neutrons, on peut mesurer la taille des agrégats ainsi que le volume de pores présentes et la tortuosité de ces agrégats, qui représente la complexité de la structure. La concentration en chlordécone dépend de ces paramètres physiques qui sont des caractéristiques importantes de ces argiles. En revanche, le taux de relargage présente une dépendance inverse à ces paramètres. Les allophanes forment donc une sorte de piège duquel on ne peut que difficilement faire ressortir la chlordécone.

Grâce à des modèles simples, on a calculé la perméabilité et la diffusion à l'intérieur de ces agrégats, afin de déterminer l'accessibilité de la chlordécone à l'intérieur de ces structures. À faible échelle, la perméabilité et la diffusion sont toutes deux très diminuées et rendent difficile l'extraction de la chlordécone. Au vu de ce constat, la décontamination semble complexe.

C'est ce qui m'a poussé à proposer il y a quelques années une alternative : la séquestration. Puisqu'il est difficile d'extraire la chlordécone de ces structures pièges, il pourrait être intéressant, à l'inverse, d'accentuer le confinement de la chlordécone à l'intérieur des sols pour ne pas qu'elle soit transférée à l'eau ou aux plantes.

La chlordécone a une grande affinité pour la matière organique. On a donc essayé d'accroître le confinement en ajoutant de la matière organique sur les sols, par exemple avec du compost. Après des premières expériences en laboratoire, on a fait des tests comparatifs sur des parcelles avec des radis, des laitues et des concombres. On a pu observer que le taux de transfert de la chlordécone aux plantes était bien plus faible avec l'ajout de compost. Des résultats similaires ont été obtenus à l'aide de biochar.

Ainsi, l'approche physique a permis de comprendre pourquoi certains sols fortement contaminés piègent la chlordécone et de questionner l'accessibilité de cette chlordécone. La faible accessibilité que nous avons démontrée interroge sur la faisabilité des éventuelles techniques de décontamination. Pour moi, il sera physiquement impossible de décontaminer totalement les sols. Il ne faut pas faire croire aux Antillais qu'en mettant plus d'argent dans les programmes de recherche on trouvera forcément des solutions. On a proposé une alternative à la décontamination, qui est moins élégante, mais qui peut être utilisée facilement par les agriculteurs. On n'enlève pas la contamination mais on la confine et on limite ses effets.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Merci beaucoup. Je vais maintenant passer la parole à Pierre-Loïc Saaidi qui est maître de conférences à l'université d'Evry-Val d'Essonne et qui s'intéresse à la transformation bactérienne de la chlordécone.

M. Pierre-Loïc Saaidi, maître de conférences à l'université d'Evry-Val d'Essonne . - Merci beaucoup pour cette invitation. Je vais vous faire part des connaissances acquises sur la dégradation bactérienne de la chlordécone avec comme perspective la dépollution de la chlordécone par voie bactérienne qui, à ce jour, n'est pas encore actée.

Entre les années 1980 et les années 2000, quelques travaux ont eu pour objectif d'essayer d'approcher une dégradation de la chlordécone par des micro-organismes. Globalement, ce qu'il faut retenir des résultats de cette époque, c'est que la dégradation était généralement faible, sauf dans un cas qui utilisait des conditions réductrices. Malheureusement, à cette époque, les techniques analytiques ne permettaient pas d'identifier tous les produits de dégradation de la chlordécone et donc d'étudier complétement cette dégradation.

À partir des années 2010, une deuxième vague d'études ont été menées avec, encore une fois, un succès très relatif. Selon les cas, il y avait soit uniquement des traces de dégradation, soit de la bio-fixation, soit un manque de données analytiques permettant de rendre des conclusions vraiment solides.

C'est à cette époque que nous avons commencé nos travaux de biodégradation de la chlordécone. Au bout de quatre-cinq ans, nous avons réussi à identifier des conditions de culture et des bactéries qui permettaient de dégrader la chlordécone. Ainsi, dans une expérience menée en bouteille, grâce à des bactéries, un milieu de culture et des conditions réductrices (en anaérobiose), et après plusieurs centaines de jour, nous avons pour la première fois observé la disparition complète de la chlordécone qui avait été ajoutée initialement. Un produit de dégradation, alors inconnu, s'était parallèlement formé.

Nous avons ensuite étudié la biodégradation avec plusieurs bactéries et dans différentes conditions et on s'est rendu compte d'un vrai paradoxe : la chlordécone, molécule réputée très récalcitrante, pouvait - dans certaines conditions microbiologiques - être dégradée en une multitude de molécules filles, appelées produits de dégradation, que l'on peut globalement regrouper en sept grandes familles.

Nous nous sommes alors demandé si cette capacité de dégradation de la chlordécone n'était pas déjà existante aux Antilles. En collaboration avec Thierry Woignier, nous avons étudié des échantillons de sol, de sédiments et d'eau martiniquais, à la recherche de ces produits de dégradation. Leur présence aurait démontré une certaine dégradation naturelle de la chlordécone. Nous avons alors observé que bon nombre de ces composés - environ les trois quarts - étaient présents aux Antilles. Certains ne l'étaient qu'à l'état de traces, d'autres en quantité nettement plus importante. Cela nous a conduits à remettre en cause l'idée que la dégradation de la chlordécone était impossible en conditions environnementales.

Nous avons alors poursuivi nos travaux avec des échantillons de bactéries antillaises, qui ont permis - en conditions de laboratoire - d'observer cette même capacité de dégradation. Cela a été conforté par une étude de collègues antillais et canadiens qui ont publié l'année suivante des résultats similaires. Parallèlement, nous avons travaillé sur différentes bactéries isolées, certaines conduisant à des produits de transformation différents. Enfin, plus récemment, une autre équipe a montré qu'il était possible de dégrader la chlordécone avec des bactéries que je qualifierais « de métropole », issues de la station d'épuration d'Orléans. Cette capacité de dégradation n'est donc pas forcément rare dans le monde bactérien.

Nous avons également montré par un travail de microbiologie et de biologie moléculaire que des corrinoïdes, co-facteurs très répandus chez les bactéries, étaient impliqués dans la dégradation de la chlordécone. Ce résultat constitue un autre indice montrant qu'il y a probablement énormément de bactéries qui, mises dans les bonnes conditions, peuvent être amenées à induire une dégradation de la chlordécone.

L'ensemble de ces résultats nous ont donc convaincus qu'il y avait un fort potentiel aux Antilles pour dégrader la chlordécone. Le message que je voudrais vous faire passer est que, comme pour un départ de feu qui nécessite un comburant, un combustible et de la chaleur, la dégradation de la chlordécone nécessite une chlordécone accessible - ce qui fait le lien avec la présentation de Thierry Woignier -, des conditions globalement réductrices - c'est ce que nous avons mis en évidence - ainsi que des bactéries qui aiment vivre en conditions réductrices. La question qui se pose aujourd'hui est donc de savoir comment réaliser la concomitance spatiale et temporelle de ces conditions.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Merci beaucoup pour ces informations et ces progrès intervenus depuis une dizaine d'années. Je vais maintenant laisser la parole à Christophe Mouvet, ancien chef de projet au BRGM, qui a travaillé sur la décontamination grâce au procédé d' in situ chemical reduction , que vous allez nous présenter.

M. Christophe Mouvet, ancien chef de projet au BRGM . - Je vais vous parler de la décontamination des sols par le procédé d' in situ chemical reduction (ISCR), ou en français réduction chimique in situ . Je vais vous présenter des travaux qui ont été menés en laboratoire, mais aussi et surtout sur le terrain, par le BRGM entre 2009 et 2018.

Le principe de l'ISCR est de générer de manière temporaire dans le sol des conditions physico-chimiques permettant de transformer la chlordécone. Pour rappel, la chlordécone est une molécule composée de 10 atomes de chlore, 10 atomes de carbone et un atome d'oxygène. L'ISCR est une sorte de « chimiothérapie du sol » qui va enlever un certain nombre d'atomes de chlore.

Les résultats que je vais vous présenter ont été obtenus en conditions réelles sur une parcelle de la plaine du Lamentin, composée d'un nitisol qui avait une teneur en chlordécone de l'ordre de 0,7 #177; 0,3 mg par kilogramme de sol, et qui était en jachère. Le propriétaire était très motivé à nous accompagner dans ces travaux sur sa parcelle.

L'ISCR consiste à incorporer un amendement sur le terrain, sur une profondeur de 30 à 40 centimètres, et de procéder ensuite à une légère contraction du sol, par exemple en passant dessus avec un tracteur. On irrigue ensuite abondamment la parcelle pour maintenir une forte teneur en eau et des conditions réductrices.

En comparaison avec une parcelle témoin, l'incorporation de fer zéro valent d'une granulométrie fine - un des cinq amendements que nous avons testés - permet d'observer une diminution de la concentration en chlordécone de l'ordre de 63 % après 24 jours, et de 68 % après 94 jours. Si l'on regarde le résultat après 24 jours, cela correspond à 85 % de l'effet maximum qui pourrait être obtenu. On a donc un effet qui est à la fois très significatif et très rapide.

Outre les teneurs en chlordécone, nous avons fait pousser sur ces parcelles différentes cultures vivrières, en collaboration avec le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et l'IRD (Institut de recherche pour le développement). Ainsi, pour le radis, la concentration en chlordécone obtenue dans les parcelles traitées était inférieure à la limite maximale de résidus (LMR), alors que ce n'était pas le cas pour les parcelles non traitées. De même, nous sommes parvenus avec certaines modalités d'ISCR à descendre sous la LMR pour des patates douces et à faire diminuer la teneur en chlordécone dans des concombres.

Il faut cependant se demander si ce procédé n'a pas un impact agronomique négatif. Vous pouvez voir sur cette diapositive illustrative qu'il est très difficile d'identifier quelle parcelle a été traitée et celle qui ne l'a pas été. Les bananiers n'ont pas l'air impactés.

Comme pour la dégradation bactérienne, il est important d'étudier les dérivés formés au cours de cette transformation. Quels sont-ils ? Quel est leur devenir ? Quelle est leur toxicité ? Ce que l'on a observé dans le cadre de cette étude, c'est le remplacement d'atomes de chlore par des atomes d'hydrogène - une déchloration - qui peut atteindre jusqu'à 7 atomes de chlore. On peut également obtenir une ouverture de la structure en cage mais, malheureusement, ces produits, qui ont été notamment décrits par Pierre-Loïc Saaidi, n'avaient pas été recherchés lors de nos travaux. Ce sont des expériences en laboratoire réalisées récemment qui ont permis de les identifier.

Si on essaye de réaliser un bilan de masse à l'issue de cette dégradation, on constate que celui-ci est incomplet : la masse de la chlordécone restante et celle des produits de dégradation identifiés n'atteignent pas la masse initiale. Il est probable que cela s'explique par l'absence de recherche de certains produits de dégradation qui auraient été formés. Il est également possible qu'une partie de la chlordécone ait été minéralisée (transformation en dioxyde de carbone, en eau et en chlorure). Pour avancer sur ces recherches, il faudrait conduire des expériences avec des molécules marquées au carbone 14, ce qui est compliqué en laboratoire et quasiment impossible sur le terrain.

Concernant la toxicité des produits formés, celle-ci a pu être évaluée dans le cadre de collaborations. En ce qui concerne la cytotoxicité, elle a été évaluée comme inférieure à celle de la chlordécone pour la totalité des produits de transformation testés. La génotoxicité a quant à elle été quantifiée comme nulle pour les trois produits de transformation principaux, issus d'une, de deux ou de trois déchlorations. Enfin, pour l'un des principaux produits de dégradation - issu d'une triple déchloration -, l'effet pro-angiogénique, l'effet sur la croissance tumorale et l'effet perturbateur endocrinien ont été évalués via des tests réalisés in vitro et in vivo et se sont révélés moindres que ceux de la chlordécone.

L'ISCR, qui permet de diminuer de manière significative la concentration en chlordécone dans les sols traités, devrait entrainer une diminution de la contamination des eaux. Cependant, la chlordécone n'est pas uniquement située dans les 30 à 40 premiers centimètres du sol. Aussi, l'effet quantitatif bénéfique pourrait être moindre qu'espéré et le temps de réponse relativement long (potentiellement plusieurs décennies). En laboratoire, il a été montré que les produits de transformation de la chlordécone pouvaient être entrainés par l'eau mais à des concentrations plus faibles que celle de la chlordécone.

Nous avons donc réussi à atteindre, en conditions réelles de plein champ et en trois mois, une baisse de près de 70 % de la chlordécone. Cette technique ne nécessite que des équipements agronomiques classiques, ainsi que des équipements de protection individuels dans le cas du fer zéro valent. Nous avons montré que les produits de dégradation sont essentiellement des produits déchlorés, moins toxiques que la chlordécone. Enfin, cette technique permet de baisser significativement les concentrations en chlordécone dans les plantes cultivées, avec un effet agronomique nul sur les bananiers et faible sur les cultures vivrières.

Quel est le coût de cette technique ? Le fer zéro valent n'est malheureusement pas commun et indisponible sur place aux Antilles. Pour cette étude, nous avions trouvé un fournisseur en Pologne qui nous le vendait à raison de 1500 tonnes à 0,5 €/kg. Comme on appliquait une dose de l'ordre de 4 % de fer zéro valent sur 30 centimètres de profondeur, cela correspondait à environ 6 € par mètre carré pour la matière première. En ajoutant les frais de transport et des droits de mer ainsi que les coûts du fuel pour le tracteur et la rémunération du personnel agricole, on arrive à un prix de l'ordre de 160 000 euros par hectare. Ce coût pourrait peut-être baisser autour de 124 000 euros par hectare avec un fournisseur français.

Enfin, je tiens à remercier le propriétaire de la parcelle qui a accepté qu'on occupe son terrain pendant presque un an, le ministère en charge de l'environnement et la Direction générale de la prévention des risques qui a soutenu financièrement le BRGM sur cette thématique pendant presque 10 ans.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Merci Monsieur Mouvet. Nous avons donc entendu trois intervenants nous présenter trois méthodes et trois approches différentes pour essayer de venir à bout de la chlordécone, certaines testées uniquement en laboratoire, d'autres sur le terrain. Avant de laisser la parole à mes collègues il y a quelque chose qui me surprend dans les légumes qui ont été testés. Il me semblait que c'étaient les légumes racines qui étaient principalement pollués. On peut considérer que le radis en est un mais le concombre pousse sur le sol et non dans le sol, tout comme la salade. Pourquoi avoir fait le choix de ces légumes qui ne me paraissent pas être les plus concernés par la pollution par la chlordécone ?

M. Christophe Mouvet . - Vous avez tout à fait raison. Le radis est un légume racine, il était intéressant à ce titre de voir si l'ISCR permettait de le rendre consommable et la réponse est affirmative. Nous avons également étudié la patate douce qui est également un légume racine, et pour laquelle nous avons des résultats moyennement positifs. En ce qui concerne le concombre, ce sont nos collègues du Cirad qui souhaitaient l'étudier en tant que modèle scientifique. Je pense que c'est également la réponse qui peut s'appliquer à la laitue.

M. Thierry Woignier . - Ces légumes ont été proposés par le Cirad, à la suite d'études qu'ils avaient réalisées. Nous avons également procédé à des études sur la patate douce et d'autres légumes, que je n'ai pas présentées. Le radis est un légume modèle car il se charge très vite en chlordécone - lorsqu'il y en a - et pousse très vite, ce qui permet d'obtenir des résultats assez rapidement. Avec les patates douces, il est plus compliqué de réaliser les expériences en laboratoire et cela prend beaucoup plus de temps. Concernant le concombre, comme il touche le sol - et c'est pareil avec les feuilles de salade -, il se contamine aussi, bien que de manière moins significative. Il était important de voir si le procédé de séquestration que l'on voulait tester marchait sur les cultures les plus sensibles mais également sur les moins sensibles. Ce ne sont que des modèles et il faudra - quand il y aura des financements - tester sur d'autres légumes : des dachines, des ignames, etc.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Je lance à présent le débat avec mes collègues.

Mme Justine Benin, députée . - Je suis députée de la Guadeloupe, et ai été rapporteure de la commission d'enquête présidée par le député Serge Letchimy sur le sujet de la pollution à la chlordécone des sols de Guadeloupe et de Martinique. Je souhaite tout d'abord vous remercier pour votre invitation. Pour notre rapport, nous nous étions appuyés sur le premier rapport de l'Office et je suis ravie de l'organisation de cette table ronde ainsi que de la perspective d'une seconde audition publique sur l'impact de la chlordécone sur la santé humaine.

Ma première question est la suivante : vous avez montré des résultats pour la Martinique, est-ce que vous travaillez en partenariat avec l'université des Antilles concernant le sujet de la décontamination ? Deuxièmement, nous avions souligné l'importance de la recherche sur la dépollution des sols qui devait être une priorité stratégique : est-ce que les financements disponibles sont à la hauteur de cet enjeu ? Nous savons très bien que les terres de Guadeloupe et de Martinique sont polluées pour de nombreuses années. Troisièmement, est-ce que nous pourrions réellement tendre vers le « zéro chlordécone » ? Enfin, et même si la réponse a été donnée, sachez que je souscris totalement à la question de Mme Catherine Procaccia : plutôt que des radis j'aurais préféré que l'on me parle de dachines, d'ignames et d'autres légumes racines.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Je vous remercie. En effet, pour cette dernière question, nous avons obtenu une réponse de nos deux intervenants. Je laisse la parole à présent à Cédric Villani, président de l'Office.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office . - Merci, chère collègue. Félicitations aux intervenants pour la qualité de leurs interventions. On a vu à quel point il était difficile de se débarrasser de la chlordécone et à quel point il existait une variété de solutions envisageables, méritant d'être investiguées. Je vais vous poser mes propres questions mais aussi celles posées par les internautes qui nous suivent.

J'ai d'abord une question concernant l'intervention de M. Mouvet. La question du coût a été évoquée, pourrait-on avoir des éléments de comparaison sur les coûts des différentes méthodes ? Est-ce que l'on pourrait disposer également d'une estimation du coût que cela représenterait au total pour l'ensemble des terres polluées ? Cela permettrait de se faire une idée de l'ordre de grandeur des sommes qu'il convient d'investir ou de réserver. J'imagine que le sujet a déjà dû être abordé dans les rapports précédents - je suis naïf sur le sujet - mais je pense qu'il est bon de rappeler les ordres de grandeur.

J'en viens à présent aux questions posées par les internautes. On a parlé de la rémanence dans les sols et de la façon dont la chlordécone pouvait migrer en profondeur mais que peut-on dire de l'éventuel transfert de la chlordécone entre parcelles ? Une question sur la toxicité des produits de dégradation : on a vu que la dégradation conduisait à plusieurs familles de molécules, que peut-on dire de leur toxicité relative ? Dans son intervention, M. Mouvet a parlé d'une étude sur la toxicité des composés qu'on obtenait à la suite du traitement par ISCR, qu'en est-il dans le cas d'une dégradation bactérienne ? Concernant la dégradation bactérienne, des essais ont-ils eu lieu à l'échelle de parcelles ? Les conditions réductrices requises pour la dégradation bactérienne sont-elles compatibles avec des conditions agronomiques propices à la croissance des végétaux ? Une question pour M. Mouvet : quel est le devenir du fer ajouté lors du procédé d'ISCR ? Quel impact environnemental a-t-il ? Peut-il être transféré dans l'eau ou dans les végétaux ?

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Je vous laisse répondre à cette première série de questions et on demandera ensuite à nos collègues présents s'ils ont d'autres interrogations.

M. Christophe Mouvet . - En ce qui concerne l'ISCR, une des questions posées concerne la comparaison de son coût avec celui des autres méthodes. Je laisserai Thierry Woignier compléter mais, outre l'ISCR, seule la méthode de séquestration a prouvé une capacité à diminuer le transfert de la chlordécone vers les plantes et vers l'eau en conditions réelles de terrain. Il n'y a donc que très peu de méthodes avec lesquelles on peut comparer les coûts. L'utilisation de compost est intrinsèquement moins coûteuse que celle de l'ISCR, d'un facteur deux voire trois - tout dépend de la nature du compost et d'où il est importé - mais c'est une technique qui doit être répétée. Après un certain nombre d'années, le compost aura perdu son effet séquestrateur alors que l'ISCR détruit définitivement la chlordécone.

Parmi les autres questions qui relèvent de mon domaine, il y avait celle sur la toxicité des produits de dégradation. Comme je l'ai indiqué au cours de ma présentation, l'ISCR ne génère pas de produits plus nocifs que la chlordécone.

En ce qui concerne la compatibilité des conditions réductrices avec la croissance des végétaux, je crois qu'il y a une réponse simple : il suffit d'imposer des conditions réductrices pour quelques mois - voire un an ou deux - avant de revenir ensuite à des conditions normales. Au regard du problème de la chlordécone, qui dure depuis plusieurs décennies, l'effet négatif au niveau agronomique est selon moi extrêmement restreint.

Dernier point sur lequel je voudrais intervenir : le devenir du fer zéro valent. Il va s'oxyder et être fixé dans le sol. Or, les sols antillais sont connus pour leur très grande richesse en fer. Il n'y a donc aucune inquiétude à avoir en ce qui concerne l'impact environnemental potentiel de l'ajout de 4 % de fer zéro valent dans des sols antillais.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - M. Woignier, souhaitez-vous intervenir et compléter ces réponses ?

M. Thierry Woignier . - Pour compléter ce qu'a dit mon collègue Christophe Mouvet, nous avions fait une étude d'estimation comparative entre ses résultats et les nôtres : les coûts de la séquestration sont de l'ordre de 3 à 5 fois moindres. Cependant, il a tout à fait raison, l'ajout de compost n'est pas pérenne. Au bout d'un moment, le compost va se détruire et la matière organique disparaître. C'est pour cela que nous travaillons actuellement sur des biochars, qui sont aussi de la matière organique mais stabilisée. Mais je vous avouerai que je n'ai pas les coûts en tête.

Cependant, comme je l'ai expliqué tout à l'heure en jouant les Cassandre, dans les cas des andosols, les techniques d'ISCR ne permettent d'éliminer que 30 % de la chlordécone, et répéter trois fois le procédé ne permet pas d'éliminer 90 %. L'ISCR ne pourra donc pas décontaminer totalement ce type de sols. Je ne dis pas qu'il y a une méthode qui est meilleure que l'autre mais, qu'en fonction des types de sols et de certains paramètres, il faudra ajuster les traitements, qui pourront être de la remédiation ou de la gestion. Les andosols représentent 50 % des sols contaminés et, pour le moment, la technique d'ISCR n'y est pas très efficace.

Je voudrais également répondre à la question d'un éventuel transfert de la chlordécone entre les parcelles. Si vous ne faites pas de transfert de sol, il n'y aura pas ou très peu de transfert d'une parcelle à l'autre. Les travaux du Cirad ont montré qu'à l'intérieur d'une même parcelle qui n'avait pas été remaniée, on pouvait avoir des variations très importantes des taux de chlordécone puisque celle-ci n'a pas été épandue par voie aérienne mais déposée aux pieds des bananiers. Aussi, vous pouvez avoir une forte concentration à l'endroit où la chlordécone était déposée et, deux mètres plus loin, des concentrations très faibles. Ce faible transfert est lié à la faible solubilité de la chlordécone dans l'eau. Elle ne s'en va donc que très lentement avec l'eau. Si ce n'était pas le cas, cela ferait longtemps qu'une bonne partie de la chlordécone aurait été éliminée par les flux d'eau.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Merci. Monsieur Saaidi, souhaitez-vous intervenir ?

M. Pierre-Loïc Saaidi . - Personnellement, je ne vais pas vous vendre une méthode de dégradation bactérienne. Notre but est d'apporter des connaissances, notamment sur les capacités de dégradation par des bactéries déjà présentes aux Antilles, afin d'essayer de connaître l'avenir de la chlordécone si un jour des techniques permettent de la dégrader de façon microbiologique.

En pratique, ce que nous avons montré avec mes collègues, c'est qu'il y a une dégradation naturelle qui est d'ores et déjà opérante, même si elle est probablement de très faible ampleur. L'approche actuelle de suivi de la pollution à la chlordécone ne permet pas de mettre cette dégradation en avant. Il n'y a pas assez d'analyses dans les sols - compte tenu de l'ampleur des sols pollués et de la difficulté et du coût des analyses, c'est bien normal - ni de suivi temporel dans les sols, qui permettrait de voir l'abattement naturel de la chlordécone au cours des années. La présence des produits de transformation que nous avons identifiés démontre une certaine dégradation, sans apport particulier de l'homme. Même si personnellement je ne suis pas agriculteur, j'imagine que le travail du sol par l'agriculture peut peut-être dans certains cas stimuler la dégradation naturelle. Or, c'est quelque chose qui n'a pas été investigué pour l'instant.

Par ailleurs, il existe des procédés de biostimulation du sol, soit par apport de bactéries, soit par traitement, qui vont permettre de stimuler l'activité bactérienne mais cela sort de mon domaine de compétences et cela n'a, pour l'instant, pas été vraiment tenté. Ce que je peux dire par contre c'est que lorsque l'on va traiter un sol par ISCR, on peut avoir de manière simultanée une dégradation à la fois chimique et biologique grâce aux bactéries qui sont présentes et susceptibles de se trouver dans les bonnes conditions pour pouvoir dégrader la chlordécone.

Concernant la toxicité des différents produits de dégradation, c'est quelque chose d'assez compliqué. En fait, l'enjeu de la toxicité des produits de dégradation de la chlordécone est très relatif. On a mis en évidence la présence de ces composés dans les sols mais, comme pour l'instant il n'y a pas eu d'études quant à leur éventuelle présence dans les aliments, la justification de mener des études de toxicité étendue n'est pas démontrée. Autrement dit, cela fait quatre ans que je demande des financements pour des campagnes d'étude de la toxicité de ces composés mais ce n'est pas une priorité puisque l'on n'a pas encore montré une exposition de la population à ces composés. Cependant, nous n'avons pas les outils pour suivre l'éventuelle exposition de la population à ces composés. Aussi, bien que cette question existe, elle n'est pour l'instant pas prioritaire.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Merci. Je me tourne à présent vers nos collègues présents dans la salle. Monsieur Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, vous avez la parole.

M. Stéphane Artano , sénateur . - Merci à l'Office pour son invitation qui permet d'associer les parlementaires ultramarins à cette audition. Je ne suis pas un scientifique mais sur le plan du bon sens, j'ai bien entendu que la chlordécone se trouvait majoritairement dans les 30 à 40 premiers centimètres des sols puisque ce sont ceux que l'on cultive et ceux que l'on retourne. Est-ce qu'il serait pertinent de procéder à des carottages sur les zones identifiées pour voir en profondeur comment se situe la pollution constatée en surface ? Est-ce que cela présente une pertinence quelconque ? J'ai bien compris que s'il n'y avait pas de transport de terre d'une parcelle à une autre, il n'y avait pas de transfert de la pollution, est-ce que dans le sous-sol on peut imaginer qu'une pollution puisse exister malgré tout ? Un lessivage par des eaux en sous-sol ne pourrait-il pas polluer d'autres parcelles à travers le bassin versant ? Concernant les traitements, est-ce qu'on peut imaginer un cumul des méthodes scientifiques ? Est-ce que vous l'avez envisagé ? Cela présente-t-il un intérêt ? Pensez-vous que cela soit réalisable ? J'ai en effet le sentiment, pour être tout à fait honnête, que vous travaillez chacun indépendamment dans vos secteurs de recherche.

M. Bruno Sido , sénateur . - Pour répondre à notre président, je me suis amusé à calculer combien la dépollution pourrait coûter. J'ai pris la surface totale de la Martinique et la surface totale de la Guadeloupe, et les ai multipliées par le prix à l'hectare qui nous a été indiqué. Si l'on retient entre un et deux cinquièmes des terres contaminées, cela représente un coût entre 10 et 15 milliards d'euros.

Mme Angèle Préville , sénatrice, vice-présidente de l'Office . - Merci pour toutes les informations que vous nous apportez. J'ai pour ma part une question très précise. Cela a été indiqué tout à l'heure, la chlordécone était répandue aux pieds des bananiers. Je suppose - même si je n'en sais rien - qu'elle contaminait les végétaux. Qu'est-ce qu'on faisait des feuilles qui pouvaient éventuellement tomber ? Où est-ce que cela a été stocké ? Y a-t-il eu un questionnement sur les déchets agricoles qui auraient pu être contaminés et ainsi permettre le transfert de la pollution à d'autres terrains ?

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Je vais pouvoir répondre à cette question : c'est uniquement le sol qui a été contaminé. La banane n'a jamais été contaminée et la canne à sucre n'était contaminée que sur un ou deux centimètres. Je laisse nos intervenants répondre aux autres questions.

M. Thierry Woignier . - Pour répondre à la personne qui nous a dit que nous travaillions chacun dans notre coin, ce n'est que partiellement vrai car nous avons beaucoup travaillé ensemble. J'ai par exemple participé à un travail avec M. Saaidi et, quand M. Mouvet indique que les expériences d'ISCR ont été faites en partenariat avec l'IRD, il s'agissait d'une collaboration avec mon collègue Luc Rangon et moi-même. Sur les mêmes parcelles, nous avons fait des études avec le procédé ISCR et avec le procédé séquestration. Ce sont les résultats que nous avons évoqués tout à l'heure.

M. Pierre-Loïc Saaidi . - Effectivement, au fil du temps nos chemins se sont croisés et actuellement je travaille avec la successeure de M. Mouvet au BRGM sur une approche croisée ISCR et stimulation des bactéries du sol. Nous avons bien diagnostiqué que le but est l'efficacité avant tout et que, s'il est possible d'obtenir un effet synergique, il sera plus que bienvenu.

M. Christophe Mouvet . - Je voudrais revenir sur la question de l'intérêt de faire des carottages. Je vais tout à fait dans ce sens, sachant qu'il y a dans la littérature un certain nombre de données disponibles sur des profils en profondeur mais qui, en général, s'arrêtent à 60 ou 70 centimètres. On a effectivement de la chlordécone jusqu'à cette profondeur, bien qu'il y ait une tendance claire de diminution de la concentration avec la profondeur. Si on a 10, 20 ou 30 mètres de zone non saturée en dessous du sol avant d'arriver, par exemple, à une nappe d'eau souterraine, et même si ces horizons plus profonds sont 10, 20 ou 30 fois moins contaminés que la zone cultivée du sol, on y trouve in fine la même masse de chlordécone. Aussi, sans vouloir dresser un tableau noir, si régler la contamination du sol agronomique sur 30 à 40 centimètres est, bien sûr, tout à fait souhaitable, cela ne règle absolument pas la totalité du problème, compte tenu du stock que l'on sait exister plus bas. Il faudrait effectivement pouvoir faire un nombre suffisant de carottages, bien que cela soit très coûteux et compliqué scientifiquement et techniquement. Mais il est clair que l'on ne peut pas se contenter d'une vision se limitant aux 40 premiers centimètres.

Pour revenir sur l'andosol et compléter ce que Thierry Woignier a indiqué, nous avons montré, au BRGM, par des travaux de laboratoire, que l'ISCR ne permet d'abattre que de 30 à 35 % la teneur en chlordécone dans les andosols. Mais je ne souhaiterais pas laisser l'image selon laquelle l'ISCR ne serait d'aucun intérêt pour les andosols. Il est tout à fait possible que les 30 à 35 % - voire les 25 % - qui sont éliminés par l'ISCR sont ceux auxquels les plantes auraient eu accès. Cette faible efficacité de l'ISCR sur les andosols pourrait donc être tout de même très intéressante du point de vue agronomique, bien que l'on n'ait pas pu l'étudier in situ , faute de financement.

M. Bruno Sido , sénateur . - Je vais parler en tant qu'agronome : certes les plantes vivrières ont des racines qui ne vont pas très profond mais il y a beaucoup de plantes qui ont des racines qui vont au-delà de 40 centimètres de profondeur. Par conséquent, ne traiter que les 40 premiers centimètres destine le sol à ces cultures vivrières mais pas à d'autres.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Peut-être qu'aux Antilles, compte tenu du type volcanique de la roche, on a des plantes qui n'ont pas beaucoup de racines, mais je ne suis pas agronome.

M. Hervé Macarie, chercheur à l'IRD . - Je me suis également amusé à faire le calcul concernant le coût de l'ISCR. À 160 000 euros par hectare pour 20 000 hectares, j'étais arrivé à un coût de 3,2 milliards. Si on le divise par 65 millions d'habitants en France, cela fait 50 euros par habitant. Je pense qu'il faut remettre les choses dans leur contexte. De plus, il y a d'autres éléments qui doivent être pris en compte et dont nous ne disposons pas aujourd'hui : personne n'est capable de nous dire combien coûtent les interdictions de pêche, le fait d'avoir mis 40 % - je crois - des pêcheurs au chômage, les interdictions de culture, la fermeture de fermes aquacoles, l'obligation de faire des contrôles des aliments sur les marchés et dans les supermarchés. Il faut mettre tous ces coûts en regard du budget que représenterait une dépollution des sols.

Enfin, concernant le « zéro chlordécone », jamais personne ne sera capable de certifier qu'un produit est véritablement « zéro chlordécone ». Les équipements analytiques dont nous disposons ont des limites et il sera, au mieux, possible d'indiquer qu'aucune trace n'a été détectée.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Merci M. Macarie de rapprocher la réalité du coût de la recherche à l'ampleur des enjeux pour les Antilles.

M. Thierry Woignier . - Je voudrais simplement ajouter un commentaire à propos du « zéro chlordécone ». Excusez-moi M. Mouvet, je ne voulais pas dire que faire de l'ISCR ne servait à rien mais, à cause de la physique, on ne pourra pas entièrement décontaminer ces sols. On entend régulièrement la revendication du « zéro chlordécone ». Je ne voudrais pas que certains pensent que des techniques miraculeuses vont arriver à nettoyer complètement la chlordécone dans les sols car, dans certains cas, ce sera physiquement impossible. J'abonde aussi avec ce qu'a dit Hervé Macarie : faire une mesure de « zéro chlordécone » n'a pas réellement de sens. On peut dire que l'on est proche de zéro mais on ne pourra jamais affirmer y être complétement.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Merci beaucoup. On pourra éventuellement revenir sur ces sujets tout à l'heure mais je souhaiterais que l'on essaie de respecter l'ordre du jour et que l'on passe à la seconde table ronde.

M. Pierre-Loïc Saaidi . - Excusez-moi, je me permets simplement un petit ajout au sujet de la comparaison entre l'ISCR et les autres techniques. Au regard des connaissances actuelles, les produits de dégradation formés par l'ISCR ont un profil de toxicité encourageant. Ils pourraient de fait être plus facilement incorporés dans la chaîne alimentaire. En ce qui concerne les voies alternatives de dégradation, les produits formés sont différents et nous manquons d'information quant à leur toxicité et leur mobilité. Ces connaissances sont selon moi importantes à acquérir pour pouvoir les inclure dans la prise de décision concernant la dépollution des sols, et ce, au-delà des aspects financiers et d'efficacité.

Madame Justine Bénin nous a interrogés sur le soutien financier que nous avons reçu pour la dépollution des sols. Il y a eu un appel à projets sur la remédiation de la chlordécone en 2019 mais la recherche nécessite un important soutien pour pouvoir conforter ses résultats et apporter des compléments. En tant que chercheurs, nous ne pouvons que donner des informations, c'est ensuite à vous d'être décisionnaires, mais il faut que l'on puisse vous apporter des informations complètes. Notre devoir est de vous dire ce que l'on sait, ce que l'on ne sait pas, et les informations qu'on n'aimerait mais que l'on ne peut pas vous donner. Et donc, selon moi, des informations manquent aujourd'hui pour pouvoir mettre les différentes techniques en perspective.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Nous allons passer à la seconde table ronde qui va s'intéresser à la pollution des ressources agricoles et halieutiques. Nous avons le plaisir de recevoir Magalie Jannoyer, adjointe à la direction générale déléguée à la recherche et à la stratégie du Cirad, qui a mené de nombreux travaux sur la chlordécone - nous nous souvenons, Jean-Yves Le Déaut et moi-même, avoir pu bénéficier de votre éclairage il y a plusieurs années -, Marc Voltz, directeur de recherche à l'INRAE, professeur consultant à Montpellier SupAgro, membre correspondant de l'Académie d'agriculture de France et chercheur en sciences du sol et en hydrologie, Charlotte Dromard, maître de conférences à l'université des Antilles, dont les travaux s'intéressent à l'incidence de la contamination à la chlordécone sur les organismes marins, et Guido Rychen, professeur des universités à l'ENSAIA et président du comité de pilotage scientifique national du Plan chlordécone IV.

Nous allons commencer avec vous Mme Jannoyer, au sujet du transfert de la chlordécone du sol aux plantes. Cela sera l'occasion de répondre à ma collègue Angèle Préville, qui s'interrogeait sur ce transfert, et de nous présenter les progrès que vous avez pu réaliser dans vos recherches. Vous avez la parole.

Mme Magalie Jannoyer, adjointe à la direction générale déléguée à la recherche et à la stratégie du Cirad . - Merci beaucoup pour votre invitation. Cette présentation a été réalisée avec différents collègues mais ne reflète pas toutes les collaborations que nous avons pu mettre en place sur ces sujets. Je vais vous parler essentiellement du transfert du sol vers la plante, avec des rappels préliminaires sur le contexte pour bien comprendre la situation sur le terrain.

La chlordécone est une molécule qui a une très faible solubilité dans l'eau, une forte affinité envers la matière organique et une faible biodégradabilité, même si Pierre-Loïc Saaidi vous a expliqué qu'aujourd'hui, on avait des espoirs de ce point de vue. Ces propriétés physico-chimiques conduisent à une pollution persistante. Une première publication qui utilisait un modèle très simple montrait que la décontamination naturelle des sols pouvait durer plusieurs décennies, voire des siècles. Comme je vais vous le présenter, les perspectives ont aujourd'hui un peu évolué.

Cette molécule a été utilisée dans les bananeraies entre les années 1970 et 1990 aux Antilles. Comme vous l'avez indiqué, l'application était hétérogène : la chlordécone était appliquée sous forme de poudre autour des bananiers, ce qui a conduit à une pollution hétérogène des sols. Cette pollution est diffuse et chronique dans le temps. La chlordécone a été stockée dans les sols, qui sont aujourd'hui des réservoirs de pollution, avec un impact sur les chaînes alimentaires et les différents compartiments environnementaux. En effet, bien que peu soluble, une part de la chlordécone est tout de même entrainée par l'eau. Elle peut également être transférée vers les cultures et être absorbée et bioconcentrée chez les animaux. Guido Rychen abordera ce dernier sujet. Cette molécule finit donc par atterrir dans nos assiettes, ce qui constitue la principale source d'exposition à la chlordécone aux Antilles actuellement.

Très rapidement, nous nous sommes intéressés aux possibilités de réduction de l'exposition des consommateurs, notamment lors de la consommation de fruits et légumes. Nous essayons de trouver des pratiques permettant de produire des fruits et légumes conformes à la réglementation, qui n'exposent pas - ou en tout cas le moins possible - les populations. Pendant de nombreuses années, nous avons acquis des connaissances génériques, qui ont montré que le transfert de la chlordécone du sol vers la plante était un transfert passif, avec un gradient décroissant du sol vers les racines puis les tiges et les feuilles, avec un positionnement des fruits qui est un peu intermédiaire. Il existe deux processus assez différents : d'une part, une absorption par les racines fines de la chlordécone soluble dans l'eau, d'autre part, une adsorption, c'est-à-dire que la molécule se colle sur la surface des racines et des tubercules et est ensuite transportée via le flux de sève au sein de la plante. En revanche, elle n'est pas absorbée de manière aérienne mais uniquement du fait de la présence de la molécule dans le sol.

Grâce à nos nombreuses expérimentations, nous avons réussi à mettre en évidence trois types de réponse en fonction des plantes cultivées. Cela nous a permis de construire un outil de gestion, en fonction du niveau de pollution du sol et des limites maximales de résidus. Cet outil est très utile pour les agriculteurs puisque cela leur permet d'anticiper les possibilités de culture sur leurs parcelles, en fonction de leur niveau de pollution. Comme je vous le disais, nous avons identifié trois types de production. Tout d'abord, celles qui sont peu sensibles, c'est-à-dire qui peuvent être cultivées quel que soit le niveau de pollution du sol : cela correspond aux arbres fruitiers et aux solanacées, c'est-à-dire les tomates, les piments, les aubergines, les christophines, les ananas... Il y a ensuite les productions intermédiaires qui sont plus sensibles : ce sont les cucurbitacées, les laitues et la canne à sucre. Enfin, la catégorie de production très sensible est celle des racines et tubercules.

Nous nous sommes également aperçus que le lien entre le sol et la plante était assez complexe. L'explication de la teneur en chlordécone dans la plante est liée à la nature du sol mais aussi aux pratiques agricoles et à l'utilisation qui était faite des parcelles. Comme Thierry Woignier vous l'a expliqué, on sait que les nitisols et les andosols, ne sont pas pollués de la même manière, en raison de leurs structures différentes. La pollution du sol dépend également du type d'exploitation : les exploitations de type agro-industriel qui avaient plus de moyens ont utilisé plus massivement la chlordécone. Les pratiques agricoles jouent également un rôle, notamment le travail du sol qui conduit à une homogénéisation de la pollution. Cette observation nous a conduits à proposer une méthode d'échantillonnage qui permet de caractériser correctement le niveau de pollution moyen d'une parcelle. Le niveau de pollution dépend également de l'usage d'herbicides - on a récemment mis en évidence que l'usage du glyphosate pouvait augmenter le flux de chlordécone dans les autres compartiments - et des pratiques d'amendement organique, comme Thierry Woignier vous l'a présenté. Enfin, le niveau de dégradation intervient lui aussi. Comme je vous le disais, les premiers modèles de diffusion de la chlordécone dans l'environnement ont été révisés et les perspectives actuelles sont un peu plus réjouissantes, avec l'annonce d'une fin possible de la pollution par la chlordécone. Il faudra cependant regarder l'éventuelle pollution représentée par les molécules filles issues de cette dégradation.

En effet, plusieurs questions restent en suspens au sujet des propriétés, du devenir et de l'impact des molécules filles. On peut donc se demander quel sera l'impact de ces molécules sur les productions agricoles. La question de la représentation est également posée : la pollution par la chlordécone est invisible et les processus mis en jeu sont complexes, ce qui les rend difficiles à matérialiser et à expliquer. La question de la durabilité de la pollution et de ses conséquences est marquée par de fortes incertitudes qui doivent être clarifiées. La question des données et de la temporalité me semblent essentielles dans la compréhension des processus.

Pour conclure, je vous livre quelques propositions. Il me semble important de promouvoir et de soutenir des systèmes et des pratiques agroécologiques pour éviter de nouvelles catastrophes, en particulier sur les parcelles non polluées. Une partie des sols agricoles ne sont pas pollués, on pourrait beaucoup mieux les valoriser avec ces pratiques. Concernant les questions scientifiques, il y aurait besoin de nouvelles approches pour acquérir de nouvelles connaissances. Pour les transferts sol-plante, il faut réussir à comprendre de manière plus fine les interactions entre la physiologie de la plante et les propriétés des molécules. L'utilisation de la modélisation mériterait peut-être d'être intégrée aux recherches grâce aux données que l'on a pu acquérir. Enfin une approche systémique et interdisciplinaire de type santé globale pourrait - il me semble - être assez adaptée. Elle permettrait d'intégrer toutes les échelles, tant spatiales que temporelles, et inclurait aussi tous les compartiments environnementaux.

Dès 2010, on a fait le choix de travailler à l'échelle du bassin versant et je crois que cela a permis d'assembler de nombreuses connaissances et de les diffuser auprès des parties prenantes. Ces travaux ont fait l'objet de valorisations à travers des fiches techniques très simples qui ont été diffusées auprès des professionnels agricoles et de publications d'articles dans des revues internationales.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Merci Mme Jannoyer. Avant de passer la parole aux autres intervenants de la table ronde, je souhaiterais vous demander ce que vous entendez par une pollution qui cesserait plus rapidement. Je me souviens qu'on évoquait des périodes allant de 350 à 750 ans. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Mme Magalie Jannoyer . - On revient à des durées qu'on pourrait qualifier de plus humaines, plutôt de l'ordre du siècle que de plusieurs siècles. En fonction des sols, il pourrait même y avoir des dynamiques un peu plus rapides, de l'ordre de quelques décennies. Ce sont des durées plus facilement appréhensibles par les populations.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - C'est une bonne nouvelle !

Mme Magalie Jannoyer . - Je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle...

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Par rapport à 750 ans, 100 ans, ça paraît très peu.

Mme Magalie Jannoyer . - Cela ne veut pas dire que les impacts sont moindres.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office . - Au Sénat, on accueille les nouvelles avec la sérénité qui convient pour une institution qui travaille dans le temps long.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Je passe à présent la parole à M. Marc Voltz, directeur de recherche à l'INRAE, qui va nous parler d'hydrologie.

M. Marc Voltz, directeur de recherche à l'INRAE . - Je vais vous parler de la contamination des eaux de surface par la chlordécone. Cet exposé s'appuie sur les données acquises par l'observatoire Opale, opérationnel depuis 2016, et sur des contributions d'un ensemble de collègues, basés en métropole et aux Antilles. Comme cela a été dit, la contamination des eaux provient de la contamination des sols. Dans la plupart des sols contaminés, on a 1 à 10 kilogrammes de chlordécone par hectare. Cette chlordécone est fortement adsorbée par le sol et, bien que peu soluble, elle reste tout de même mobilisable et peut être lessivée à petite dose. C'est ce qui explique que la pollution reste présente encore de nombreuses années après la période d'épandage.

À partir de nombreuses études expérimentales que nous avons pu faire sur un ensemble de sols volcaniques des Antilles, nous avons pu constater que la voie de transfert principale est la percolation, qui représente plus de 90 % du flux sortant. Le ruissellement ne représente que moins de 10 %. Ce résultat était attendu puisque nous savons de longue date que ce type de sol est très perméable, ce qui favorise l'infiltration et la percolation qui, au fur et à mesure, lessivent la chlordécone présente dans le sol, bien qu'à faible dose.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office . - Quand vous indiquez sur vos documents 0 à 8 % pour le ruissellement et 92 à 100 % pour la percolation, l'intervalle traduit-il une incertitude ou une variabilité en fonction des situations ?

M. Marc Voltz . - C'est une variabilité en fonction des situations. On a fait des études sur différents types de sol et je vous donne ici la fourchette des résultats obtenus.

Ainsi, la chlordécone va être majoritairement transférée de manière souterraine, notamment vers les aquifères, qui sont assez fortement contaminés par la chlordécone dans les zones où le sol est contaminé. Or, les aquifères contribuent aux rivières, d'où une contamination des rivières, avec des temps de transfert qui dépendent de la nature des aquifères. Il y a également d'autres types d'écoulement, qu'on appelle les écoulements hypodermiques, qui sont aussi une source de contamination, notamment au moment des crues lorsque les sols sont saturés.

Les eaux de rivière sont constituées d'un mélange d'eaux souterraines et de surface, bien que dans la plupart des situations aux Antilles, ce sont essentiellement des eaux de surface. Ce sont les eaux de nappes qui vont déterminer les concentrations en chlordécone dans les eaux de surface.

Pour illustrer ces propos, je vais m'appuyer sur des résultats de l'observatoire Opale. Cet observatoire comprend un bassin versant en Martinique et deux bassins versants en Guadeloupe. Les relevés qui ont été réalisés montrent une contamination très élevée, bien au-dessus de la limite de potabilité, et que cette contamination est d'autant plus élevée que la part de sols contaminés sur le bassin d'alimentation de la rivière est importante. On peut également constater une variabilité forte à court terme de la concentration en chlordécone puisque, d'une semaine à l'autre, la concentration peut varier d'un facteur 1 à 10. Cette variabilité représente un problème pour la surveillance.

On a fait des études un peu plus fines ces dernières années pour comprendre ce phénomène. Si on regarde l'évolution des concentrations en fonction du débit de la rivière, on constate que les concentrations sont élevées lorsque les débits sont faibles. On pouvait s'y attendre puisque les nappes sont fortement polluées et que, quand les débits sont faibles, ce sont les nappes qui contribuent essentiellement au débit de la rivière. Mais on a également constaté qu'il y avait une augmentation de la concentration assez importante lorsque les débits étaient extrêmement forts. Cela s'explique par un transport particulaire important lors de forts ruissellements, qui charrient des particules de sol contaminé et font donc augmenter la concentration. Il y a ainsi plusieurs facteurs qui expliquent les fortes concentrations.

La contamination des rivières se fait donc, à l'échelle annuelle, essentiellement par les écoulements de nappe de manière dissoute, même si, au moment de crues importantes, on peut avoir des transports particulaires qui deviennent momentanément majoritaires. Cela rend très difficile de contrôler la contamination des eaux et ce, d'autant plus qu'il existe déjà de forts stocks de chlordécone dans les aquifères, qui vont probablement mettre des années ou des décennies à se vidanger en contaminant les rivières. Malheureusement, nous n'avons pas d'idée exacte de ces stocks.

S'il existe des espoirs quant à la contamination des sols, la contamination des eaux sera un problème de long terme. En guise d'exemple, les flux mesurés sur les bassins de l'observatoire Opale vont de 5 à 38 kilos par an, ce qui est à la fois significatif en termes de contamination des milieux avals et côtiers mais relativement faible par rapport aux stocks de chlordécone qui sont actuellement dans les sols, puisque dans l'un des bassins de l'observatoire, il a été quantifié une masse de l'ordre de 1 600 kilos.

Je signale enfin qu'un travail important a été réalisé, notamment en Guadeloupe, pour identifier les bassins versants dont les rivières sont contaminées.

Les impacts de cette pollution concernent les écosystèmes aquatiques dulçaquicoles et marins, qui seront présentés par Mme Dromard, et bien sûr sur les prélèvements qui peuvent être faits pour le bétail. En revanche, les conséquences sont relativement limitées sur les adductions en eau potable car la plupart des prises d'eau sont faites en amont des zones contaminées. Les derniers relevés établis montrent qu'il y a très peu de dépassement des normes.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Merci beaucoup pour cet exposé très clair. Nous allons maintenant entendre Mme Dromard, maître de conférences à l'université des Antilles, qui va aller un peu plus en aval puisqu'elle va nous parler des poissons et des crustacés. Je vous laisse la parole.

Mme Charlotte Dromard, maître de conférences à l'Université des Antilles . - Je vous présente un travail collégial réalisé avec mes collègues de l'Université des Antilles et des collègues d'Ifremer Martinique pour essayer de synthétiser au maximum les résultats obtenus depuis 2009 relatifs au milieu marin et également à la faune dulçaquicole.

En ce qui concerne les rivières, depuis 2009, les travaux les plus probants ont été réalisés dans le cadre de la thèse de Sophie Coat. Pour votre précédent rapport, il y avait eu une présentation préliminaire de ces résultats, qui s'intéressaient à la contamination de mollusques, de crevettes et de poissons. Les principaux résultats montraient que l'ensemble de ces compartiments affichaient des concentrations en chlordécone très élevées, qui dépassaient systématiquement 1 000 microgrammes par kg, ce qui est bien au-dessus de la limite maximale de résidus. À la suite donc de ces résultats, une interdiction de pêche en rivière a été mise en place au niveau régional en Guadeloupe et en Martinique.

Dans ces travaux, il a été mis en évidence que la matière organique dérivante était une voie de transfert privilégiée de la chlordécone de la rivière vers la mer, ce qui découle directement de la forte affinité de la chlordécone pour la matière organique. Ce fait nous amène à deux observations : on remarque une forte contamination du plancton lorsqu'il est collecté à l'embouchure des rivières, puisque celui-ci va intégrer les particules de matière organique les plus fines, et également une contamination des sédiments marins à l'embouchure des rivières. Mais si ces sédiments sont contaminés, ils ne le sont pas très fortement. Il y aurait donc assez peu d'accumulation de la chlordécone dans le sédiment marin ou une éventuelle désorption de la molécule vis-à-vis de la matière organique.

Dans les travaux les plus récents, il y a plusieurs résultats nouveaux et intéressants au sujet du comportement des larves des espèces dulçaquicoles. On sait à présent que la chlordécone modifie le comportement des larves, notamment pour les espèces diadromes, c'est-à-dire les espèces qui effectuent des migrations entre la rivière et le milieu marin. Par ailleurs, les dernières publications ont indiqué une modification de la structure du biofilm de rivière, qui représente un apport nutritif très important pour les organismes. Ce biofilm a ainsi été identifié comme un indicateur très prometteur pour suivre la contamination.

La matière organique dérivante qui débouche dans le milieu côtier conduit inévitablement à une contamination du milieu marin. Parmi les travaux qui ont été menés postérieurement à 2009, il y a deux études assez importantes : les projets ChloHal et ChloAnt. Leur objectif était double : compléter la cartographie marine de la contamination et comprendre les voies de contamination des animaux marins. Dans ces différents projets, on a échantillonné de nombreux organismes appartenant à des groupes trophiques différents et vivant dans des habitats différents : des organismes de mangrove qui sont très proches de la côte et donc de la source de pollution, des organismes d'herbier qui ont une localisation intermédiaire, et des organismes de récif qui sont les plus éloignés de la source de pollution. Au-delà du récif, on est en milieu pélagique, au-delà du plateau continental et il va s'agir d'espèces assez peu concernées par la contamination à la chlordécone.

Dans ces différents projets, on a montré une décroissance de la contamination de la côte vers le large et on a démontré les deux voies de contamination. La première est celle du bain. Il s'agit d'une contamination qui résulte du contact des téguments et des branchies avec l'eau polluée. Cette voie de contamination est prédominante en mangrove : tous les organismes y présentent des concentrations en chlordécone très fortes, quel que soit leur groupe trophique, simplement parce qu'ils baignent dans la même eau contaminée. La seconde voie de contamination est la voie trophique, c'est-à-dire que les animaux vont se contaminer en consommant des proies contaminées. Cette voie de contamination est plutôt prédominante dans les milieux éloignés. En récif, il y a très peu de contamination par bain, les eaux étant diluées, mais il y a une bioaccumulation liée à la voie trophique, les animaux se déplaçant entre les habitats.

Dans ces différentes études, on a également travaillé sur la variation saisonnière, en prélevant des organismes à différentes saisons. Cela a permis de mettre en évidence une contamination plus élevée des organismes lorsqu'ils sont prélevés durant la saison humide, du fait du fort débit de la rivière et de la diffusion du panache turbide qui sort de la rivière et va aller rejoindre des habitats côtiers marins plus ou moins éloignés. Cet effet saisonnier est très perceptible en mangrove et en herbier mais assez peu ressenti au niveau des récifs.

Une partie de ces différents travaux menés dans le milieu marin a été consacrée à l'amélioration de la cartographie. Un manque de données avait été noté dans les rapports précédents concernant la contamination de la faune. Il y a vraiment eu un effort d'échantillonnage qui a été réalisé. On dispose à présent d'une base de données assez conséquente, avec 2 000 échantillons en Martinique et 1 500 en Guadeloupe. Cela a permis d'effectuer des analyses statistiques, de mettre en évidence les zones les plus contaminées et d'élaborer des cartes réglementaires concernant les zones d'interdiction de pêche et de restriction, au sein desquelles une liste d'espèces est interdite à la pêche.

En ce qui concerne l'exposition de la population, la DAAF met en oeuvre des plans de surveillance et de contrôle. Ce sont des échantillonnages réalisés sur les étals, notamment à proximité des zones contaminées, pour évaluer l'exposition des consommateurs. Cette cartographie et ces réglementations sont plutôt efficaces puisqu'on observait 5 % de produits non conformes en 2020 alors qu'avant le balisage de la zone d'interdiction de pêche on était à 60 % de produits non conformes sur les marchés. Il reste cependant des produits non conformes sur les marchés. Il y a deux explications à cela. Tout d'abord, le non-respect des zones d'interdiction par les marins-pêcheurs. Pour gérer ce problème, le comité des pêches a proposé un label pour les marins-pêcheurs qui s'engagent à ne pas aller pêcher dans les zones contaminées. La seconde raison est la mobilité des espèces marines. On dispose d'assez peu de données sur le déplacement des poissons. On sait que certains poissons sont très sédentaires et vont avoir des territoires d'une dizaine de mètres de circonférence mais d'autres organismes se déplacent entre les habitats pour se nourrir et se reproduire, et sont donc susceptibles de rejoindre des zones contaminées ou non contaminées. Il y a peut-être un travail à réaliser sur l'expansion de la contamination via la mobilité des espèces.

En guise de perspectives, je mentionnerais l'extension en cours de l'observatoire Opale, déjà évoqué, vers le milieu côtier, et la conduite de travaux de recherche sur des espèces sentinelles qui vont permettre de suivre la contamination.

En conclusion, je voudrais souligner qu'à ce jour nous n'avons aucun travail sur l'effet direct de la contamination sur les organismes eux-mêmes, sur leur métabolisme, leur physiologie et leur reproduction. Ce sont sans doute des travaux qu'il faudrait mener dans les prochaines années pour savoir si cette contamination impacte la physiologie de ces organismes marins.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Merci Mme Dromard. Je vais passer la parole à M. Guido Rychen, professeur des universités à l'ENSAIA et président du comité de pilotage scientifique national du plan chlordécone IV.

M. Guido Rychen, professeur des universités à l'ENSAIA . - Ma présentation portera sur les avancées de la maîtrise de la contamination des animaux d'élevage terrestre entre 2011 et 2021, volet complémentaire de ce que l'on vient d'entendre sur le transfert vers les végétaux et les espèces marines.

Au cours de ces dix années de recherche, une trentaine d'expérimentations, menées sur le terrain et en conditions contrôlées, ont été réalisées sur les différentes espèces d'élevage : poules pondeuses, canards, porcins, bovins, caprins et ovins. Je ne vais pas présenter l'ensemble de ces résultats qui ont donné lieu à autant de publications que d'études. Ces travaux ont été financés par les projets Chlordepan (CIRAD et INRAE), PITE puis ANR INSSICA, par un contrat avec la DGAL et un ensemble de bourses de thèse. Les résultats que je vais vous présenter sont majoritairement issus de deux thèses : celle de Maïlie Saint-Hilaire, actuellement à l'Institut Pasteur en Guadeloupe, et celle d'Aurore Fourcot, actuellement chargée de projet au CPSN. Ces travaux nous ont permis d'avoir une bonne connaissance des facteurs d'exposition et du devenir de la chlordécone dans l'organisme animal.

Il faut savoir qu'un bovin qui pâture à l'extérieur ingère des quantités de sol qui ne sont pas négligeables et qui, dans certaines conditions, peuvent monter jusqu'à 10 % de son ingestion quotidienne, ce qui peut correspondre à près d'un kilogramme de sol ingéré. Cette ingestion de sol peut conduire à une ingestion de chlordécone et donc à une contamination. Or, l'exposition à la chlordécone conduit à une contamination de tous les organes et tissus, et ce, assez rapidement, ce qui entraine un dépassement des limites maximales de résidus autorisées.

La bonne nouvelle est que, lorsque l'exposition est interrompue, la chlordécone est éliminée progressivement de l'organisme et des tissus. C'est quelque chose qui n'est pas vrai pour tous les polluants organiques persistants. La cinétique de décontamination dépend fortement de l'espèce mais, chez les ruminants, elle permet d'envisager une stratégie de décontamination avant abattage.

Je vais donc vous présenter la conception et la mise en oeuvre d'un outil d'aide à la décision pour sécuriser les filières bovines. Comme je l'évoquais, nous avons mené un ensemble d'expérimentations à partir desquelles nous avons construit un modèle pharmacocinétique chez les ovins adultes. Caractériser le devenir de la molécule dans tous les tissus et tous les organes est quelque chose d'extrêmement complexe, d'où notre choix de l'ovin, qui est un petit ruminant et qui est plus pratique et adapté à ce type d'études. Il a ensuite fallu extrapoler ce modèle au bovin, que nous sommes actuellement en train de tester. L'objectif est de pouvoir prédire la contamination de l'animal à partir d'une prise de sang et d'un dosage de la chlordécone dans le sérum.

Dans les zones contaminées, les animaux élevés à l'extérieur se contaminent rapidement et peuvent avoir une teneur en chlordécone supérieure à la limite maximale de résidus, ce qui les rend impropres à la consommation. Cela représente une perte importante pour les éleveurs. Dans notre travail, nous avons cherché à recruter des éleveurs sur les deux îles avec des animaux a priori contaminés au-delà de la limite maximale de résidus. Nous avons réussi à sélectionner un panel d'animaux assez large, provenant des deux îles et dont la plupart d'entre eux étaient soit légèrement au-dessus de la limite, soit très au-dessus.

Ce travail s'est fait avec l'administration, en collaboration les DAAF de chacune des deux îles, mais également avec les professionnels, avec le Groupement de défense sanitaire de la Martinique et le Sanigwa, organisme équivalent en Guadeloupe. Une première prise de sang est réalisée lorsque l'animal quitte la parcelle contaminée puis une seconde après la durée estimée nécessaire par le modèle pharmacocinétique pour la décontamination. Les animaux peuvent alors être abattus, étant conformes et propres à la consommation.

Plusieurs cas existent. Il y a d'abord le cas de l'agriculteur qui dispose à la fois de parcelles contaminées et de parcelles peu ou pas contaminées. Il peut très bien utiliser ces dernières pour décontaminer ses animaux. Dans le cas où l'éleveur ne dispose que de parcelles contaminées, deux stratégies peuvent être mises en oeuvre : utiliser des box de décontamination mis à disposition par le GDSM avec de l'affouragement non contaminé (stratégie mise en place en Martinique), ou mettre les animaux en pension chez un autre éleveur avec la mise en place d'une convention (stratégie mise en place en Guadeloupe).

Les résultats de l'étude montrent que les concentrations observées après la durée déterminée par le modèle sont généralement inférieures à ce qui avait été anticipé, prouvant sa pertinence. Actuellement, nous ne sommes qu'au milieu de l'étude et nous attendons de nouvelles données d'ici la fin de l'année. Pour ce qui est des résultats actuellement disponibles, à l'issue de la décontamination, 100 % des teneurs en chlordécone mesurées dans le tissu adipeux périrénal sont inférieures à la limite maximale de résidus (27 ug/kg). En Martinique, les collègues souhaitent aller en dessous de 20 microgrammes, ce qui est encore une fois le cas de tous les animaux testés. Enfin, si on considère la limite de quantification de la chlordécone, qui est de 3 ug/kg, on a 60 % des mesures qui se trouvent en dessous. L'outil est donc tout à fait adapté, intéressant et pertinent.

En guise de perspectives, notre objectif pour 2022 est de valider cet outil d'aide à la décision chez le bovin adulte. À terme, dans une version 2 ou 3 de cet outil, il faudra l'élargir pour prendre en compte le transfert mère-jeune, l'animal en croissance ainsi que d'autres espèces d'élevage. Il faudra également améliorer les connaissances sur l'exposition pour prévenir la contamination de l'animal en fonction de la contamination du sol et des pratiques d'élevage. Enfin, il serait nécessaire d'élargir la capacité de cet outil d'aide à la décision afin de recommander des mesures de gestion optimales en fonction de la contamination du milieu, de façon à protéger le consommateur tout en pérennisant l'élevage. Je dirai simplement en conclusion que ces approches-là sont particulièrement bien accueillies par les éleveurs, qui sont tout à fait contents de pouvoir prédire ce que sera la contamination de leur animal. Ils sont donc partants pour travailler avec cet outil.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Merci M. Rychen pour votre intervention. Déjà en 2009, lorsque nous avions été aux Antilles avec Jean-Yves Le Déaut, nous avions vu qu'il suffisait de changer de bassin les ouassous contaminés pour, qu'après quelques semaines, ils ne le soient plus du tout. Cela est relativement rassurant. J'ai une question : ce qui est vrai pour le bovin est-il vrai pour toutes les espèces animales ? Vous avez par exemple mentionné les poules.

M. Guido Rychen . - Nous avons des mesures du temps de demi-vie de la molécule dans l'organisme pour toutes les espèces. Pour le porc, c'est plus long et il y a donc un problème de compatibilité avec la durée d'élevage de l'animal. Chez le bovin, ce n'est pas un problème puisqu'il est tout à fait possible d'attendre deux ou trois mois pour décontaminer un animal qui a entre deux et trois ans. En revanche, pour un porcin qui a une durée de vie aux Antilles de près d'un an - contre six mois dans les élevages industriels en métropole -, c'est plus compliqué d'attendre trois, quatre ou cinq mois pour le décontaminer. Mais en tout cas nous avons les données pour en discuter avec les éleveurs.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - D'accord, donc cela s'applique à tous les animaux. Il n'y a plus qu'à espérer que cela s'applique à l'homme et qu'on puisse le décontaminer en changeant son alimentation. J'ouvre maintenant le débat avec mes collègues.

Mme Angèle Préville , sénatrice, vice-présidente de l'Office . - J'ai plusieurs questions sur ce qui vient de nous être exposé, qui est très intéressant. Par rapport à ce qui a été mentionné sur la modification du comportement des larves, vous ne nous avez pas dit comment il était modifié. Si vous avez ces informations, je serais intéressée. Concernant la contamination dans les mangroves - dont je suis étonnée mais qu'à moitié -, j'aurais voulu savoir si, en dehors des espèces impactées, cette contamination avait un impact global sur cet écosystème, que l'on sait très fragile. Enfin, au sujet de la dernière intervention, j'ai bien compris que les bovins pouvaient être décontaminés en allant sur des parcelles saines mais comment cette décontamination a-t-elle lieu ? En chimie, on sait bien que rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Les molécules de chlordécone sont-elles dégradées ? Si oui, comment ? Si non, où se retrouvent-elles ? Dans les déjections ? Dans ce cas, n'y a-t-il pas un risque de contaminer les parcelles concernées ? Est-ce que cela a été évalué ?

Mme Charlotte Dromard . - Généralement, pour les organismes diadromes, les oeufs dévalent la rivière, les larves se développent en mer et ensuite les organismes juvéniles remontent la rivière. Concernant le comportement des larves qui sont donc en estuaire, on a une désorientation lorsqu'elles sont en contact avec des eaux contaminées. Elles vont percevoir de façon plus limitée le site qu'elles doivent rejoindre pour leur croissance, c'est-à-dire remonter la rivière. La migration n'est pas forcément coupée mais elles sont désorientées.

Concernant l'impact sur les mangroves, c'est effectivement assez préoccupant de se dire que ce milieu est contaminé. Pour répondre simplement à votre question, l'écosystème entier est contaminé. Quand on a fait nos travaux sur les chaînes alimentaires, on a prélevé de la litière de feuille, des sédiments, des crustacés et des poissons, soit à la fois des proies et des prédateurs. On a constaté une contamination qui touche toutes les strates de l'écosystème. Mais comme je l'indiquais dans mes perspectives, l'impact direct sur le fonctionnement de cet écosystème, c'est-à-dire sur la physiologie des organismes, leurs relations, leur reproduction, sont des sujets qui n'ont pas encore été abordés du point de vue de la recherche, bien que nécessaires.

M. Guido Rychen . - Il y a deux niveaux différents dans la question qui m'est posée. Tout d'abord, la question du devenir de la molécule dans l'organisme et comment celui-ci fait pour l'excréter. Il faut savoir que, quel que soit le polluant - avant de travailler avec la chlordécone, nous avons travaillé sur d'autres polluants organiques persistants, notamment les dioxines et les PCD -, l'organisme va excréter ou métaboliser la molécule. Pour l'instant, nous avons peu abordé la question des métabolites. Il y a bien évidemment des questions qui sont en lien direct avec ce que nous exposait tout à l'heure Pierre-Loïc Saaidi. Globalement, l'organisme excrète ces toxiques. Pour les dioxines et le PCB c'est relativement long et la chance que l'on a avec la chlordécone - entre guillemets bien sûr - c'est que la demi-vie est plus courte. La question de la présence dans les fèces est une question que l'on nous pose souvent. Effectivement, on va retrouver la molécule parente - et probablement des métabolites - dans les fèces ainsi que, dans une moindre mesure, dans les urines, qui vont se retrouver sur les parcelles. Cependant, il y a des calculs qui montrent que par rapport à une parcelle contaminée, l'apport est vraiment très faible. Ceci étant, nous menons, avec plusieurs collègues, des travaux qui visent à dégrader la chlordécone dans le fumier et le lisier, grâce à des processus de méthanisation, par exemple. On a quelques résultats encourageants. Mais cela ne fait qu'environ dix ans qu'on travaille sur la partie animale terrestre et une part des questions posées relèvent encore de sujets de recherche, que nous nous proposons, avec nos partenaires, d'élucider dans les mois et les années qui viennent.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Monsieur le président, avez-vous des questions des internautes ?

M. Cédric Villani, député, président de l'Office . - Oui, je vais me faire le relais de quelques questions d'internautes. Il y avait la même question que celle posée par notre collègue Angèle Préville sur le risque de contamination par les déjections animales mais vous y avez répondu. Parmi les autres questions : y a-t-il des études sur l'impact de la chlordécone sur les coraux ? Quels moyens pour traiter les nappes phréatiques ou pour empêcher que la chlordécone s'y diffuse ? Les résultats des analyses réalisées par ces travaux de recherche sont-ils publics et accessibles ?

M. Guido Rychen . - Concernant la dernière question, vous connaissez sans doute le comité de pilotage scientifique national du plan chlordécone IV. Plusieurs groupes de travail ont été mis en place, sur les sujets qui ont été abordés aujourd'hui et sur les sujets qui feront l'objet de la seconde audition publique. Pour chacun de ces groupes de travail, il y aura des synthèses bibliographiques et d'actualisation des connaissances. Concrètement, cela signifie que, dans quelques mois, nous aurons en plus des publications scientifiques, qui sont très complètes mais toujours en langue anglaise, des synthèses rédigées en français qui seront accessibles à toutes et tous. L'objectif du comité de pilotage scientifique national est bien de faire connaître l'actualité des travaux de recherche et leurs applications dans un langage le plus accessible possible.

Mme Magalie Jannoyer . - Pour compléter sur l'accessibilité des résultats, contrairement à l'usage classique, certaines équipes ont commencé par diffuser leurs résultats avant de les publier au niveau scientifique. Il existe tout un tas de fiches techniques et de petits clips vidéo qui sont disponibles à la fois sur les sites des institutions de recherche mais également sur les sites des préfectures et sur le site chlordecone-infos. Les informations sont donc normalement disponibles.

Concernant le traitement des nappes phréatiques, Marc Voltz pourra ensuite compléter, à l'heure actuelle cela me semble compliqué. D'autant plus que la structure des nappes phréatiques est loin d'être simple aux Antilles, avec un système de superpositions et d'emboîtements. Cela me paraît donc assez utopique. En revanche, on peut traiter l'eau et il y a de nombreux travaux qui se sont intéressés au captage de la chlordécone par du charbon actif.

Enfin, on n'a pas parlé de phyto-remédiation. La capacité des plantes à extraire la molécule des parcelles est assez réduite et, au vu des résultats obtenus avec les plantes que l'on a pu explorer, on a relativement peu d'espoir. En outre, cela poserait la question de la filière de traitement pour ces plantes.

M. Marc Voltz . - Je ne peux que confirmer ce que vient de dire Magalie Jannoyer : les possibilités de traitement des nappes phréatiques sont très réduites. En revanche, le traitement de l'eau est quelque chose de très bien maîtrisé, qui ne pose pas de problème.

M. Christophe Mouvet . - En effet, traiter les eaux souterraines aux Antilles est un défi que je n'aimerais pas devoir imaginer relever. On peut effectivement traiter l'eau. En revanche, pour éliminer la contamination des rivières par les eaux souterraines, il faudrait pouvoir capter toutes les zones de recharge des rivières par les eaux souterraines, ce qui est tout à fait impossible. On peut traiter un point de captage destiné à l'eau potable mais pas remédier à la contamination des eaux de surface en traitant les flux qui viennent des eaux souterraines.

Concernant la question de l'accessibilité des données, pour la technique d'ISCR, le BRGM a, outre les publications en langue anglaise, produit toute une série de rapports en français, qui sont très détaillés et publics.

M. Hervé Macarie . - Il n'est pas difficile d'envisager l'amplitude du problème du traitement des nappes phréatiques. Mais la mise en place de barrières réactives disposées sur le trajet de ces nappes vers les eaux de surface, ou bien l'injection dans ces nappes de fer zéro valent, sont-elles complètement inimaginables ?

M. Marc Voltz . - Le système des aquifères en milieu volcanique est extrêmement complexe. Les solutions proposées pourraient fonctionner avec des aquifères simples, bien repérés et bien dimensionnés. Aux Antilles, nous avons un système de superposition d'aquifères, sans doute pas très bien délimités. Cela me semble particulièrement compliqué.

M. Christophe Mouvet . - Sur la suggestion de mise en place de barrières réactives, c'est quelque chose qui est effectivement utilisé mais pour des systèmes hydrogéologiques très simples et principalement pour des cas de pollution industrielle ponctuels, où le flux est assez limité et facilement focalisable. Ce n'est pas du tout ce que l'on a à traiter aux Antilles.

Quant à l'injection de fer zéro valent dans les nappes souterraines, ce n'est techniquement pas évident d'arriver à injecter et à faire circuler convenablement dans un milieu semi-poreux des particules fines. Je ne parierais pas là-dessus.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Vous avez dit que l'on pouvait très bien traiter l'eau, en particulier avec du charbon actif. Il y a dix ans, lors de notre premier rapport, se posait la question du devenir des filtres à charbon actif qui ne pouvaient pas être traités sur les îles. Est-ce qu'il y a eu des progrès dans ce domaine ?

M. Hervé Macarie . - En Martinique, à une certaine époque, on n'utilisait pas du charbon actif granulaire mais en poudre, qui était mis ensuite en décharge. Dans le film de Bernard Crutzen, sorti en 2019, il est dit que les charbons actifs de Guadeloupe sont envoyés en Belgique où ils sont recyclés par traitement thermique à 600 ou 650 degrés, pour éliminer la chlordécone.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Merci pour cette information que je n'avais pas. Nous avons pu largement aborder les avancées de la recherche à l'occasion de cette table ronde. Pendant des années, j'ai interpelé les ministres de la recherche successifs au sujet des projets de recherche portant sur la chlordécone financés par l'ANR, qui ont toujours été très limités. Mais, prochainement, il devrait y avoir un appel à projets dédié, ce qui est une bonne nouvelle.

Je vais maintenant laisser la parole à Jean-Yves Le Déaut pour qu'il nous fasse part de ses remarques, qu'il dresse les conclusions des différentes interventions et qu'il nous en dise un peu plus sur le financement de la recherche.

M. Jean-Yves Le Déaut, ancien député, ancien président de l'Office . - Je voudrais tout d'abord vous remercier de m'avoir sorti de ma retraite pour jouer le rôle de témoin à l'occasion de cette table ronde. C'est une reconstitution de ligue dissoute puisque j'avais contribué avec Catherine Procaccia au premier rapport de l'OPECST sur la chlordécone en 2009. Je salue tous les élus présents qui s'intéressent à ce sujet : Catherine Procaccia, Cédric Villani, Bruno Sido, Stéphane Artano, Angèle Préville et Justine Benin.

Je vais souligner les points qui m'ont marqué. Est-ce que la science peut résoudre les problèmes que les gens rencontrent aux Antilles aujourd'hui ? C'est une question importante et elle a été posée. Je vais donner mon avis sur ce sujet. La chlordécone est une molécule qui a été traitée de monstre chimique. Elle est composée de 10 atomes de chlore, 10 atomes de carbone, une fonction cétone, une structure en cage et a un pouvoir de fixation très important vis-à-vis de certains sols. Elle est très difficilement métabolisable et, comme on vient de le voir aujourd'hui, elle est fortement rémanente. On parlait de plusieurs siècles, ce ne serait plus qu'un seul aujourd'hui, mais cela reste beaucoup. C'est une molécule qui a une affinité pour les substances hydrophobes - c'est-à-dire qui n'aiment pas l'eau -, qui est faiblement volatile et qui est faiblement soluble dans l'eau. Elle reste donc accrochée au sol. On est ainsi condamné à la voir dans les sols de la Martinique et de la Guadeloupe et il faut donc trouver des solutions. Cela a été très bien dit par les intervenants : comme elle s'accroche au sol, lors des pluies très fortes, elle se retrouve dans les zones littorales par l'intermédiaire de lixiviats. Un cinquième des sols sont pollués en Guadeloupe, et deux cinquièmes en Martinique. Cela correspond à 20 000 hectares, d'où un coût considérable pour la remédiation.

Ce qui m'a paru très important c'est qu'il n'y a pas un type de solution pour résoudre cette question. Je pense qu'il faut des solutions de cohabitation avec cette molécule, même si certains parlent de « zéro chlordécone ». Un peu comme l'amiante, on est condamné à vivre avec cette molécule pendant un temps. Il faut trouver des solutions pour qu'elle ne se retrouve pas dans les produits alimentaires, en cultivant dans les zones contaminées des plantes qui ne captent pas la molécule. Il faut qu'on ait des solutions de contrôle, aussi bien pour les aliments que pour les hommes et les femmes. En 2009, les moyens de contrôle n'étaient pas disponibles aux Antilles, on n'en n'a pas parlé aujourd'hui mais j'imagine que vous le ferez lors de la prochaine audition publique.

Vous avez proposé un certain nombre de solutions. À l'époque, on nous avait parlé de retirer la terre, de phyto-remédiation ainsi que des solutions chimiques et biologiques. Je trouve que cela a progressé depuis 2009 et je voudrais féliciter les chercheurs qui ont travaillé sur ce sujet, dans des conditions quelquefois difficiles car on n'a peut-être pas pris assez rapidement conscience de l'importance de ce sujet. Les solutions de séquestration ou de remédiation qui ont été proposées sont des solutions importantes qu'il faut mettre en place. Dans les prochains appels d'offres, il faudra insister sur les solutions de remédiation qui sont selon moi des solutions importantes. Il y a déjà eu un appel à projets en 2019 de la DRT Martinique et Guadeloupe sur la pollution à la chlordécone. Il insistait sur le travail en conditions in situ et sur la recherche des conditions de dégradation naturelle. Il ne faut pas apporter des produits extérieurs qui risquent de modifier les écosystèmes de Martinique ou de Guadeloupe. Il insistait également sur l'aspect quantitatif de ces solutions. Quand il y a des bactéries qui dégradent la chlordécone, c'est très bien, mais est-ce marginal ou en grande quantité ? Vous nous avez montré que le traitement par du fer zéro valent, on pouvait arriver jusqu'à près de 70 %, ce sont déjà des chiffres importants. Il faut également qu'on travaille sur l'écotoxicité des produits de dégradation. M. Saaidi nous a dit qu'il fallait mieux connaître les métabolites, je pense qu'il a raison. Il faut réussir à arriver à une dégradation accélérée.

Toutes les interventions nous ont montré que la recherche avait fortement progressé. Est-ce qu'il faut de la recherche ? M. Woignier a indiqué qu'il ne fallait pas faire croire que la recherche allait résoudre tous les problèmes. Ce n'est pas le cas mais sans recherche les problèmes vont continuer. Il faut accélérer la recherche tout en insistant effectivement sur toutes les autres solutions, c'est-à-dire la prévention et la cohabitation. Il faut tendre vers le « zéro chlordécone » même si on n'y arrivera pas immédiatement.

Dans le cadre du plan chlordécone IV pour la période 2021-2027, un appel à projets de recherche devrait être publié très prochainement par l'ANR. La somme des financements s'élèvera à 2,4 millions d'euros, avec pour objectif une approche intégrative, systémique et unifiée des santés humaine, animale et environnementale. L'appel à projets demande, comme le souhaitait Mme Justine Benin, à ce que des équipes de recherche métropolitaines et antillaises soient associés sur ces projets. Cet engagement est important et doit être salué, même s'il faut reconnaitre que l'ANR a déjà financé un certain nombre de travaux - environ une dizaine sur les sujets qui nous ont intéressés aujourd'hui.

Je terminerai par trois remarques. Au vu des interventions d'aujourd'hui, je constate que tous les grands axes de recherche avaient bien été identifiés lors du premier rapport de l'Office en 2009. En revanche, je regrette des progrès trop lents. Je salue le travail de fond des élus ultramarins qui se sont saisis de ce sujet. J'ai été élu au Parlement pendant 31 ans et ne vais donc pas renier mon propre travail mais parfois les propos des élus ne sont pas suivis d'une continuité dans l'action. Il faut encourager cette continuité et continuer de travailler sur les solutions de remédiation, tout en développant en même temps les solutions d'aide à la population.

Le deuxième sujet que je voulais aborder est la question du « zéro chlordécone ». Il faut se méfier des slogans. La chlordécone va rester présente pour un certain temps. Ce qu'il faut c'est qu'il y ait « zéro chlordécone » dans les aliments consommés par les Antillais. On a fait une grande erreur en utilisant ce produit et en attendant 1993 pour l'interdire complétement, alors qu'il y avait eu un accident à Hopewell aux États-Unis et qu'on connaissait les conséquences de l'exposition sur l'homme. Il faut traiter toutes les questions, y compris celle des indemnités. Il y a récemment eu des avancées au sujet de la reconnaissance des maladies professionnelles. L'idée d'expérimenter sur une même parcelle plusieurs solutions, évoquée lors de ce débat, me semble une bonne idée. Cela doit faire partie des pistes qui devront être investiguées dans le cadre de l'appel à projets de l'ANR.

Enfin, je voudrais souligner que la question de la chlordécone n'est qu'une des nombreuses questions soulevées par les pesticides. L'Académie d'agriculture vient de me confier la présidence d'une mission sur la réduction de leur impact. Je pense qu'il faut se méfier des slogans et de ceux qui pensent qu'il existe une unique solution. Il faut utiliser des bouquets de solutions. Bien sûr, l'usage des pesticides doit être réduit, on a fait le plan Ecophyto. Certains disent qu'il ne va pas assez vite...

M. Cédric Villani, député, président de l'Office . - Il faudrait surtout réellement le mettre en oeuvre.

M. Jean-Yves Le Déaut . - Oui, il faudrait le mettre en oeuvre, absolument. Les solutions issues de l'agroécologie, évoquées par plusieurs intervenants, incluant les techniques de biocontrôle et des nouvelles techniques culturales ne doivent pas être opposées aux biotechnologies. Les variétés végétales résistantes aux herbicides peuvent par exemple permettre d'utiliser moins d'herbicide. Les solutions informatiques peuvent également permettre de développer une agriculture productive. Les produits de synthèse ne doivent pas non plus y être opposés, à partir du moment où ils sont utilisés dans de bonnes conditions. Les solutions doivent être adaptées aux cultures et aux problèmes rencontrés, ce n'est que de cette manière qu'on arrivera à traiter ces questions.

Je voudrais une nouvelle fois féliciter l'Office, son président Cédric Villani et sa vice-présidente Catherine Procaccia d'avoir organisé cette audition sur un sujet majeur, qui a eu tendance à être oublié. Merci beaucoup.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Merci Jean-Yves. Je voudrais pour ma part remercier tous les chercheurs qui ont répondu présent aujourd'hui pour faire le point sur les recherches. Il y a eu des avancées, on peut juger qu'elles ne vont pas assez vite mais la recherche et la science ne vont pas aussi vite que les désirs des citoyens ou des politiques. Je me félicite en tout cas que l'État mette enfin, par le biais de l'ANR, la chlordécone comme un sujet prioritaire. Je laisse la parole au président de l'Office pour conclure.

M. Cédric Villani, député, président de l'Office . - Merci beaucoup, chers collègues. Je remercie pour leur implication les parlementaires présents, Jean-Yves Le Déaut, qui vient de nous faire cette conclusion passionnée qui témoigne de son engagement sur le sujet, et Catherine Procaccia, dont on connaît l'extrême sérieux et la très grande rigueur pour traiter ce sujet sur la durée.

Ce n'est pas la première fois qu'on reconnait que l'Office a eu raison tôt sans que rien ne bouge, c'est un peu dommage. On a dit la même chose quand il y a eu la pandémie de la Covid au sujet des stocks de masques et à bien des occasions. J'ai en tête plusieurs rapports que nous avons faits récemment, dans lesquels nous avons alerté sur le besoin d'agir rapidement et de débloquer des fonds, et qui n'ont pas été vraiment suivis d'effets. Je pense notamment à notre rapport sur la transition électrique dans la mobilité mais on pourrait en citer bien d'autres. Ici, nous avons un rapport de 2009 qui évaluait bien le bon ordre de grandeur - qui se compte en milliards - des moyens qu'il était nécessaire de mobiliser et évoquait la nécessité de conduire des recherches.

Que voyons-nous aujourd'hui ? Ce matin nous assistions avec Catherine Procaccia à une audition du directeur général de l'alimentation et nous découvrions que le recensement des degrés de contamination des différentes parcelles n'était toujours pas achevé. Nous venons d'entendre que, sur une question aussi naturelle et importante que l'évaluation de la toxicité des dérivés de la chlordécone, nos chercheurs n'arrivent pas à avoir de financement. C'est quelque chose de sidérant. Si ce genre de sujets n'est pas suffisamment bien pris en compte, cela fera prospérer l'idée selon laquelle l'État joue à l'autruche quand il s'agit de réparer les graves dommages environnementaux et minera le sentiment de solidarité nationale entre la métropole et les Antilles, ce qui un serait un désastre absolu. Il est vital qu'on puisse mettre le sujet chlordécone en haut de l'agenda, avec les actions et les budgets qui correspondent.

Je voudrais remercier les chercheurs, qui se sont succédé pour nous exposer tout un panel de travaux, et dont on a pu apprécier l'inventivité, la ténacité et la rigueur. On a bien vu à quel point il était important que ces travaux soient communiqués dans l'espace public et ne restent pas dans la sphère spécialisée, que ce soit celle des scientifiques ou des décideurs. C'est le travail de l'Office que de contribuer à la diffusion des connaissances scientifiques et au débat public sur ce thème, mais c'est aussi le travail de l'État et des institutions de recherche. Il est fondamental que ces sujets ne soient pas mis sous le tapis, au prétexte qu'ils seraient sensibles ou que la population ne serait pas capable d'y porter un avis éclairé. Cette attitude infantilisante mène toujours à des réactions plus graves que ce qu'on aurait cherché à éviter. Il faut au contraire en parler et témoigner de l'état de la science et des recherches en cours.

Mes chers collègues, il me reste à remercier les uns et les autres pour leur implication et à adresser tous nos voeux aux personnes qui vont continuer à se battre contre le fléau de la chlordécone.

Mme Catherine Procaccia , sénateur, vice-présidente de l'Office . - Je vous donne rendez-vous dans quelques semaines pour la seconde audition publique sur le sujet. Je vous remercie.

II. COMPTE RENDU DE L'AUDITION PUBLIQUE DU 20 OCTOBRE 2022

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office . - En 2009, Catherine Procaccia, sénateur et vice-présidente de l'Office, et Jean-Yves Le Déaut, alors député et président de l'Office, avaient établi un premier rapport sur la pollution liée à la chlordécone. Ils y soulignaient l'ampleur de ce problème sanitaire et environnemental et l'importance de poursuivre les études scientifiques et médicales pour mesurer l'impact réel de cette pollution et trouver des solutions de remédiation. Treize ans après la publication de ce rapport, l'Office a décidé de faire le point sur l'évolution des connaissances scientifiques qui ont pu être acquises sur ce sujet d'importance majeure.

Une première audition publique organisée en février 2022 par Catherine Procaccia a été consacrée aux conséquences environnementales de cette pollution et aux solutions de remédiation des sols et de sécurisation des productions agricoles. De manière complémentaire, l'audition de ce jour entend explorer les conséquences sanitaires de cette pollution, ainsi que les répercussions sociales aux Antilles.

Je précise que l'audition est captée et diffusée en direct sur le site du Sénat. Elle sera disponible en vidéo à la demande. Par ailleurs, les internautes ont la possibilité de soumettre des questions en ligne par l'intermédiaire de la plateforme dont le lien figure sur les pages Internet de l'Office. Nous en relaierons un certain nombre au cours de nos débats.

Je laisse à présent la parole à Catherine Procaccia pour introduire nos débats, qui se dérouleront sous la forme de deux tables rondes.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Je remercie les intervenants d'avoir répondu à notre invitation. Je remercie également mes collègues présents.

Comme l'indiquait à l'instant le président, l'audition de ce matin va se tenir sous la forme de deux tables rondes successives : la première concernera les conséquences sanitaires de la pollution ; la seconde portera sur les répercussions sociales.

L'audition publique du mois de février était consacrée à la recherche et aux avancées scientifiques en matière environnementale et agricole. Nous avions découvert avec plaisir les résultats qui avaient pu être obtenus, bien qu'après treize ans, nous aurions pu espérer de plus grandes avancées. J'en profite pour remercier Jean-Yves Le Déaut qui nous avait fait le plaisir de se joindre à nous.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - La première table ronde réunit M. Luc Multigner, directeur de recherche de l'INSERM à l'Institut de recherche en santé, environnement et travail, Mme Laetitia Huiart, directrice scientifique de Santé publique France, accompagnée par M. Jacques Rosine, responsable de la cellule régionale Antilles de Santé publique France, M. Olivier Cunin, sous-directeur du travail et de la protection sociale au ministère de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire, ainsi que Mme Pascale Barroso et M. Jérôme Cauët, respectivement cheffe du bureau des prestations sociales agricoles et adjoint au chef du bureau des relations et des conditions de travail dans ce même ministère.

Nous allons débuter cette table ronde avec M. Multigner, qui s'est penché sur le sujet de la chlordécone dès 1997. Lors de nos premiers entretiens en 2009, vous nous aviez expliqué que la prévalence du cancer de la prostate aux Antilles n'excluait pas que la chlordécone fût un facteur aggravant. Vous avez continué à travailler sur ce sujet ainsi que sur les conséquences de l'exposition prénatale et postnatale des enfants. L'an passé, j'ai lu des interviews dans lesquelles vous parliez de la durée de vie de la molécule dans le sang, qui pouvait s'éliminer en évitant une exposition permanente.

Aujourd'hui, nous souhaitons vous entendre sur les travaux que vous avez menés depuis 2009, afin d'actualiser nos connaissances sur les effets sanitaires de la chlordécone.

M. Luc Multigner, directeur de recherche Inserm à l'Institut de recherche en santé, environnement et travail (IRSET) . - Je vous remercie, Madame le sénateur. Je ne pourrai pas résumer les 70 publications scientifiques produites depuis 2009 sur la chlordécone et son environnement mais je tenterai d'être le plus synthétique possible dans le temps qui m'est imparti.

Je commence par les circonstances dans lesquelles les connaissances ont été acquises. Je précise que je parle de connaissances et de risques identifiés dans le cadre de la recherche médicale, et non dans le cadre de l'évaluation des risques réalisée par les agences sanitaires.

La question du risque sanitaire a été posée dès 1999, au moment de la redécouverte de la pollution de l'environnement par la chlordécone. Je vous rappelle que le risque est le produit d'un danger intrinsèque et d'une exposition. En 1999, nous possédions beaucoup de connaissances, établies dans les années 1970 et 1980, sur la nature des dangers liés à la chlordécone, notamment sa reprotoxicité, sa neuroxicité, sa toxicité développementale, sa cancérogénicité et ses potentiels effets hormonaux en tant que perturbateur endocrinien. En revanche, nous n'avions aucune information sur les niveaux d'exposition de la population.

C'est pourquoi nous avons rapidement entrepris de développer un outil de mesure de la chlordécone dans le sang dans le cadre d'un partenariat avec l'université de Liège. Deux premières études nous ont permis de constater la présence de chlordécone dans la grande majorité des populations étudiées, puis de montrer le passage transplacentaire et, de façon plus modeste, dans le lait maternel. La survenue du syndrome neurotoxique du Kepone, décrit aux États-Unis chez les travailleurs intoxiqués par la molécule, a en revanche été exclue, par le constat que les niveaux moyens chez les populations étaient 10 à 1 000 fois inférieurs à celui déclenchant ce syndrome.

Une fois ces premières connaissances sur le niveau d'exposition de la population obtenues, nous nous sommes interrogés sur les dangers et les maladies à étudier. Nous avons pris en compte le profil toxicologique de la molécule, la prévalence des maladies dans les territoires antillais et la faisabilité des recherches. Nous avons donc majoritairement orienté nos recherches vers des atteintes non cancérogènes touchant soit la fertilité, soit la grossesse et le développement de l'enfant prénatal et postnatal. S'agissant des atteintes cancérogènes, nous nous sommes intéressés au cancer de la prostate, du fait de sa prévalence élevée et de son caractère hormonodépendant.

En matière de fertilité masculine, une étude réalisée dans les années 2000 a montré que les niveaux d'exposition de la population masculine adulte n'étaient pas associés à des conséquences sur les caractéristiques du sperme ou sur le délai nécessaire à concevoir un enfant. Cependant, des études plus récentes ont montré que l'exposition de souris à la chlordécone au cours de leur gestation entraînait, chez la portée mâle, une diminution de la production spermatique, au moins jusqu'à la troisième génération. Ces altérations sont probablement associées à des modifications épigénétiques et soulignent un danger potentiel d'ordre transgénérationnel. S'agissant de la fertilité féminine, nous manquons de données car aucune étude épidémiologique n'a été mise en place. Nous traiterons la question dans un très proche avenir. Des travaux récents sur des souris, en revanche, ont montré qu'une exposition durant la période de gestation entraînait, chez la portée femelle, des atteintes du développement des follicules ovariens. Ces altérations étaient associées à des modifications épigénétiques.

Concernant le développement postnatal, nous nous sommes appuyés sur une cohorte mère/enfant. Nous n'avons pas observé de risque lié à l'exposition de la femme enceinte au regard d'un certain nombre de pathologies classiques : diabète, hypertension gestationnelle, pré-éclampsie, malformation congénitale. Des travaux postérieurs ont en revanche montré que l'exposition pouvait entraîner un sur-risque de survenue de prématurité. Chez les enfants, nous avons observé un ensemble de données. Sur le plan anthropométrique, nous avons observé par exemple des effets sur l'indice de masse corporelle chez les filles et les garçons entre la naissance et 18 mois. Le phénomène avait néanmoins disparu lors de l'étude à l'âge de 7 ans. En revanche, l'impact sur le neuro-développement des enfants, que ce soit moteur ou cognitif, se maintient au cours du temps. Un autre travail mené chez des nouveau-nés de cette cohorte a montré, par l'étude de leur ADN, des modifications de la distribution de certaines marques épigénétiques, laissant à penser que la chlordécone a des effets, bien que nous ne sachions pas les traduire en conséquences sanitaires.

Par ailleurs, des publications ont montré, à partir de données issues de Guadeloupe, que l'exposition des hommes adultes à la chlordécone était associée à un excès de risque de survenue du cancer de la prostate. Il nous avait été demandé par M. Didier Houssin, alors directeur général de la santé, de conduire une étude similaire en Martinique. Malheureusement, celle-ci n'a pas pu être menée, les financements qui nous avaient été attribués ayant été interrompus. Nous avons en revanche pu nous intéresser à la récidive de cancer de la prostate et avons montré que la chlordécone était associée à un excès de risque de récidive du cancer de la prostate.

Plus récemment, nous avons pu compléter ces observations avec des études expérimentales chez la souris montrant que l'exposition des femelles gestantes entrainait, chez la portée mâle, une augmentation des lésions prénéoplasiques et ce jusqu'à la troisième génération au moins. Les études sur le cancer de la prostate ont pour l'instant porté sur des hommes qui étaient nés avant le début de l'utilisation de la chlordécone. La question des effets transgénérationnels se pose pour les personnes nées après le début de son utilisation. Il va donc falloir attendre encore quelques années avant de pouvoir éventuellement l'observer épidémiologiquement, même si cela risque d'être très compliqué.

Je souhaite conclure en vous indiquant qu'au vu de ces observations, il est nécessaire de faire tout ce qu'il est possible pour que la population ne soit plus exposée à la chlordécone, bien que cela ne soit pas facile. Il faut que toutes ces connaissances aient une portée sanitaire. La déclinaison passe par l'identification et par le fait d'écarter le risque. Il faut suivre l'évolution des expositions au cours du temps. Santé publique France s'exprimera par la suite pour montrer à travers les études de biosurveillance que, progressivement, les niveaux d'exposition ont diminué. Dans ce cadre, nous avons toujours veillé à apporter des informations pour l'évaluation et la gestion des risques. Je citerai par exemple les recommandations de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) concernant l'allaitement maternel, l'avis de la Haute Autorité de Santé concernant le dépistage du cancer de la prostate, l'expertise collective de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) « Pesticides et santé », l'expertise collective de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) sur la reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle chez les travailleurs exposés aux pesticides, et le travail de l'ANSES sur les valeurs sanitaires de référence.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Merci Professeur. Santé publique France s'est penché depuis plusieurs années sur la chlordécone. Je laisse donc sa directrice scientifique présenter les travaux dans lesquels cette agence a été impliquée.

Mme Laetitia Huiart, directrice scientifique de Santé publique France . - L'agence est chargée de la surveillance et de la protection de la population. J'ai choisi des exemples d'études qui illustrent l'action de Santé publique France à la fois pour appuyer les politiques publiques et pour accompagner les populations dans leurs habitudes de consommation individuelle, qui est un enjeu majeur dans la problématique que nous abordons aujourd'hui.

Plusieurs travaux ont été menés à bien. Quelques-uns sont en cours de clôture. Certains seront présentés en décembre prochain au colloque qui se tiendra en Guadeloupe.

Dans les travaux conduits par Santé publique France, figure en premier lieu l'étude Matphyto. Elle repose sur l'utilisation de matrices cultures-expositions, qui sont des bases de données internes à Santé publique France, et sur des données provenant des recensements agricoles menés aux Antilles. Ces travaux permettent de reconstruire les expositions historiques de personnes qui ont pu être exposées professionnellement à la chlordécone ou à d'autres pesticides. Pour la première fois, l'ensemble des pesticides utilisés sur la banane aux Antilles entre 1960 et 2015 ont été recensés. Une soixantaine de pesticides ont ainsi pu être explorés. En 1989, 77 % des 12 700 travailleurs de la banane aux Antilles ont été possiblement exposés à la chlordécone. Ces travaux sont importants car ils peuvent être exploités pour caractériser les expositions des travailleurs agricoles et permettre ensuite de travailler sur l'impact sanitaire de ces expositions.

Je souhaite également parler de l'étude Kannari 1, en particulier de son volet imprégnation. Il s'agit de la première étude menée en population générale qui permet de disposer de données sur la distribution des niveaux d'imprégnation à la chlordécone et sur les déterminants de ces imprégnations. Les données ont été recueillies en 2013 et 2014. Le rapport a été produit en 2018. Trois résultats sont importants. En premier lieu, les niveaux moyens d'imprégnation sont comparables en Guadeloupe et en Martinique. La chlordécone et les composés organochlorés ont été détectés chez 90 % des participants. Cela ne signifie pas qu'il y a un impact sanitaire pour 90 % de ces personnes mais qu'on retrouve chez eux de la chlordécone à des seuils variables. Par ailleurs, 5 % des participants subissent une imprégnation dix fois plus élevée que l'imprégnation moyenne.

Il a été mis en évidence, en outre, que les niveaux d'imprégnation variaient en fonction de la consommation alimentaire - notamment de la consommation totale de poisson frais, en particulier dans les circuits informels de distribution -, en fonction du fait de résider dans une zone de contamination terrestre ou en fonction du fait de résider à proximité d'une zone de contamination maritime.

Plus largement, l'étude a permis une description des niveaux d'imprégnation à la chlordécone dans la population générale, avec une détection de la chlordécone dans une large proportion de la population et avec une variabilité importante. Elle a permis d'identifier les principaux aliments et circuits de distribution contributeurs de l'imprégnation. Elle a pu également appuyer les travaux de l'ANSES pour évaluer les risques liés à l'exposition, principalement par la voie alimentaire. Il est ainsi possible d'établir des valeurs toxicologiques de référence et d'émettre des recommandations sur les habitudes alimentaires. Cela a permis de préciser les recommandations qui ont été données aux bénéficiaires des programmes JAFA (Jardins familiaux), en les informant des aliments qu'il était possible de cultiver et de consommer tout en limitant les risques.

Parmi les travaux en cours chez Santé publique France, figure l'étude Kannari 2. Elle a pour objet de décrire l'évolution de la distribution des niveaux d'imprégnation, de rechercher les déterminants de cette imprégnation, de décrire les caractéristiques d'imprégnation des sous-groupes les plus sensibles et de s'intéresser plus particulièrement au groupe des plus exposés en identifiant leurs caractéristiques.

Un autre travail est en cours chez Santé publique France, c'est l'évaluation du programme JAFA. Il s'agit d'évaluer l'impact de ce programme et d'analyser les conditions de son efficacité, afin d'émettre des recommandations pour l'optimiser et le développer à plus grande échelle.

Enfin, Santé publique France a entamé un important travail sur l'élaboration de nouveaux messages sur les recommandations et les consommations alimentaires. Un comité composé d'acteurs locaux et nationaux travaille à cet objectif dans une approche scientifique, en explorant les déterminants de la confiance dans les messages de santé publique et les leviers possibles pour accroitre cette confiance. Les résultats d'une première étude qualitative réalisée auprès de la population des Antilles seront présentés en détail en décembre prochain lors du colloque qui se tiendra en Guadeloupe. Si ces résultats ne sont pas des nouveautés scientifiques, il est important de pouvoir formaliser les freins et leviers à l'égard des recommandations sanitaires pour pouvoir construire de nouveaux messages.

Les freins d'adoption rapportés par les personnes consultées dans le cadre de cette étude qualitative sont des sentiments de déni et de fatalité, de scepticisme dû à la répétition des crises sanitaires et à l'emploi généralisé des pesticides, une faible légitimité des discours officiels voire une défiance vis-à-vis de la parole publique, un attachement culturel fort à la pêche locale et aux pratiques culturales issues du jardin créole avec des changements qui sont perçus comme une perte d'identité, un découragement vis-à-vis de la difficulté de mise en oeuvre des recommandations et le surcoût économique dû aux changements de pratique et de consommation.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Merci Madame. Sera-t-il possible de suivre le colloque à distance, en visioconférence ?

Mme Laetitia Huiart . - Nous ne sommes pas les organisateurs. Il semble cependant que le colloque pourra être accessible en visioconférence.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Je donne à présent la parole à Olivier Cunin pour une intervention sur le cancer de la prostate, reconnu maladie professionnelle en 2021 pour les travailleurs agricoles exposés aux pesticides.

M. Olivier Cunin, sous-directeur du travail et de la protection sociale au ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - Au sein du ministère de l'agriculture, nous menons des actions de prévention et de protection des populations pour limiter l'exposition à la chlordécone. Aujourd'hui, cependant, je me focaliserai sur la création du tableau des maladies professionnelles.

Auparavant, il existait déjà des tableaux de maladies professionnelles liées à l'exposition aux pesticides. Je pense notamment aux tableaux 58 et 59 sur la maladie de Parkinson et les lymphomes. Il n'en existait pas, en revanche, pour le cancer de la prostate.

Les tableaux des maladies professionnelles sont proposés par une commission paritaire, la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture ou COSMAP pour l'agriculture. Cette commission regroupe des organisations patronales et des organisations salariales, ainsi que des associations de victimes, des organismes scientifiques et des personnalités qualifiées. Elle est chargée de proposer au gouvernement la création de tableaux de maladies professionnelles.

Depuis 2018, une nouvelle doctrine d'élaboration a été mise en place, tant pour le régime général que pour le régime agricole. Il est demandé que les tableaux s'appuient préalablement sur une expertise scientifique collective et indépendante. C'est pourquoi, systématiquement désormais, nous sollicitons l'avis de l'ANSES avant de débattre de la création d'un tableau. Concernant le cas qui nous intéresse aujourd'hui, la COSMAP s'est en outre appuyée sur l'étude de l'INSERM « Pesticides : effets sur la santé ». Sur ces bases, les membres de la COSMAP ont demandé le 12 octobre 2021 la création d'un tableau de maladie professionnelle pour le cancer de la prostate lié à l'exposition aux pesticides. Si la COSMAP a été unanimement d'accord quant à la création du tableau, les différents paramètres proposés n'ont pas fait l'objet d'un consensus.

Le gouvernement a créé ce tableau par décret le 20 décembre 2021. Un tableau est constitué de trois colonnes. La première correspond à la désignation de la maladie, ici le cancer de la prostate lié à l'exposition aux pesticides, et non pas seulement à la chlordécone. La deuxième colonne correspond au délai de prise en charge et au délai d'exposition. C'est cette colonne qui est susceptible de soulever des débats car les avis scientifiques ne sont pas nécessairement clairs quant à ce type de critère. Le délai de prise en charge est le délai entre la fin de l'exposition et l'apparition de la maladie. Le choix s'est porté sur un délai de 40 ans. L'ANSES nous a indiqué qu'il fallait un délai d'au moins 10 ans et nous a recommandé de nous appuyer sur les données utilisées pour les autres cancers solides, soit 30 ou 40 ans. La durée d'exposition retenue, quant à elle, est une durée de 10 ans. Enfin, la troisième colonne du tableau recense les principaux travaux concernés soit, très concrètement, tous les travaux agricoles en lien avec des pesticides : manipulation, utilisation, nettoyage, contact avec les cultures exposées.

Le tableau a été adopté. Les personnes qui souffrent d'un cancer de la prostate peuvent demander une reconnaissance en maladie professionnelle. Si elles remplissent la totalité des conditions du tableau, elles sont automatiquement reconnues. Dans le cas contraire, une commission régionale de reconnaissance des maladies professionnelles doit statuer. Dans le cas des pesticides, cependant, le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides a décidé la création d'une commission unique de reconnaissance des maladies professionnelles. Ce nouveau tableau s'inscrit pleinement dans ce fonds qui permet une procédure plus simple, plus rapide et plus juste, ainsi qu'un niveau d'indemnisation plus important que pour une autre maladie professionnelle. Ce fonds permet également d'indemniser les retraités agricoles avant 2002 - soit avant l'instauration du régime obligatoire d'accidents du travail et de maladies professionnelles pour les travailleurs agricoles - et les enfants exposés in utero du fait de l'exposition professionnelle de leurs parents. Les indemnisations diffèrent en fonction de l'incapacité, selon qu'elle est temporaire ou permanente, mais sont plus importantes que pour un régime classique. Pour l'indemnisation des enfants, nous avons dû créer un barème forfaitaire spécifique, via l'arrêté du 7 janvier 2022. C'est le conseil de gestion du Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides qui a proposé ce barème qui mentionne cinq pathologies : la leucémie, la tumeur cérébrale, la fente labio-palatine, l'hypospadias et les troubles du neuro-développement. Cependant, si un enfant souffre d'une autre maladie et qu'il est considéré que cela est lié à l'exposition de ses parents, il peut déposer un dossier qui sera examiné.

Je termine par quelques chiffres sur le nombre de victimes professionnelles. Depuis la création du Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides le 1 er janvier 2020, nous avons constaté une augmentation du nombre de dossiers déposés. En 2020, 226 dossiers avaient été déposés. En 2022, au 30 septembre, 468 dossiers avaient été déposés. Au total, depuis le 1 er janvier 2020, 1 020 dossiers ont été déposés et 642 accords ont déjà été donnés. Des dossiers restent en cours de traitement.

Les données du régime agricole montrent que les maladies professionnelles liées aux pesticides représentent, en 2021, 4 % de l'ensemble des maladies professionnelles reconnues. Sur la décennie 2010-2019, le taux était de 0,4 %. Nous constatons par conséquent une forte augmentation. Les principales maladies professionnelles reconnues restent cependant les troubles musculo-squelettiques, qui représentent plus de 90 %.

Enfin, avant la création du Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides, nous avions enregistré dix demandes de reconnaissance de maladie professionnelle au titre du cancer de la prostate. Entre le 1 er janvier 2020 et la création du tableau, c'est-à-dire en environ deux années, nous avons enregistré 18 demandes. Depuis le 22 décembre 2021, nous avons reçu 207 demandes. La création du tableau constitue par conséquent un outil permettant d'améliorer la reconnaissance en maladie professionnelle. Pour les enfants, pour lesquels la procédure est nouvelle, neuf demandes ont été déposées à ce jour. J'ajoute également que sur les 207 demandes reçues depuis la création du tableau, 150 ont donné lieu à un accord, dont 14 pour les Antilles. Cela s'explique par le fait que ce tableau ne concerne pas que la chlordécone et qu'outre les dossiers des Antilles, probablement liés à la chlordécone, nous avons également des demandes venant de métropole et des autres territoires ultramarins.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Merci. J'ai plusieurs questions à vous poser. En premier lieu, le modèle des souris permet-il des projections exactes sur l'homme et la femme ? Trois générations de souris, en particulier, correspondent-elles à trois générations de femmes et d'hommes ? Par ailleurs, avez-vous pu mesurer un facteur aggravant du risque en étant né et en vivant aux Antilles ? Le taux de 5 % d'imprégnation évoqué par Santé publique France concerne-t-il strictement les populations qui vivent aux Antilles ? Concerne-t-il au contraire l'ensemble des populations d'origine antillaise ? Enfin, ma dernière question concerne l'indemnisation des enfants. Des études ont-elles été menées démontrant que les pesticides ou la chlordécone sont à l'origine des maladies ?

M. Luc Multigner . - Les études d'exposition de la population ont pour la plupart été mises en place sur la période 2004-2007, c'est-à-dire avant les grandes mesures de gestion du risque. Je parle des risques qu'a pu subir la population du fait de la pollution des milieux naturels depuis le milieu des années 1970. Il ne faut pas « se reposer sur ses lauriers » en se contentant d'observer la diminution des niveaux d'exposition grâce aux mesures mises en place. La contamination des milieux perdure et les mesures de prévention et de réduction des risques devront être maintenues et développées durant plusieurs dizaines d'années. À votre question sur la souris, je réponds qu'il est effectivement possible d'établir un équivalent du processus de la gestation et des processus biologiques fondamentaux chez la souris et chez l'homme. Les souris ayant été exposées à des doses relativement faibles, il s'agit surtout de montrer la possibilité de risques à venir si nous ne protégeons pas, en particulier, les populations les plus sensibles, c'est-à-dire les femmes enceintes.

Par ailleurs, je voudrais revenir sur les maladies susceptibles de toucher les enfants. Dans le cas de la chlordécone, nous observons un certain nombre d'effets qui sont cependant difficilement quantifiables en tant que maladies proprement dites. En revanche, le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides couvre l'ensemble des atteintes suspectées et connues au regard de l'ensemble des divers pesticides. Aussi, cela ne concerne pas que la chlordécone ; il y a beaucoup de questions sur la survenue de cancers chez l'enfant liés à l'exposition à d'autres pesticides. Sachez qu'en 2013, l'expertise collective de l'INSERM soulignait déjà les risques associés entre l'exposition aux pesticides d'une façon générale, en particulier en milieu professionnel, et l'excès de risque de survenue du cancer de la prostate, sans que l'on puisse nécessairement identifier la molécule responsable. C'est pourquoi il est important que le tableau de reconnaissance ne concerne pas que la chlordécone. C'est également important pour les Antilles car les travailleurs de la banane n'ont pas utilisé que la chlordécone, mais de nombreux autres pesticides, de surcroît à des doses relativement massives, tenant compte des conditions climatiques qui favorisent les nuisances.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - La différence est que la chlordécone ne disparaît peut-être pas aussi facilement que d'autres pesticides.

M. Luc Multigner . - Pour que la moitié de la chlordécone disparaisse de notre organisme, 5 ou 6 mois environ sont nécessaires. 98 % disparaîtra après 2 à 3 ans. Je vais citer mon exemple personnel : j'ai vécu 8 ans aux Antilles avant de revenir en métropole. En 8 ans, j'ai peut-être été exposé à la chlordécone mais je suis revenu en métropole il y a 5 ans et n'ai donc plus de trace de chlordécone dans mon organisme. Pour autant, l'exposition passée peut éventuellement contribuer à un effet sur la santé. S'agissant des études sur la chlordécone, nous nous fondons sur l'idée d'une population qui réside sur place, même s'il existe de nombreux cas d'espèce (le touriste, l'Antillais qui part en métropole durant un certain nombre d'années avant de revenir, etc.).

Mme Laetitia Huiart . - S'agissant du taux de 5 % d'imprégnation, l'enquête Kannari est une enquête transversale. Elle concerne les personnes sur le territoire à un moment donné. Il existe une notion de durée puisque ce sont des personnes présentes depuis un certain temps, majeures, et présentes encore un certain temps pour qu'on puisse les inclure et obtenir des dosages. Nous sommes par conséquent sur une notion de temps statique, de personnes présentes à un moment donné sur le territoire.

Le taux de 5 % ne correspond pas à des personnes affichant une valeur supérieure à la valeur qui définira l'impact sanitaire. Simplement, dans la variabilité des résultats, les 5 % sont dix fois plus exposés que la moyenne. La proportion de personnes au-dessus de la valeur toxicologique de référence interne sera présentée au colloque du mois de décembre prochain. Ce sera la population pour laquelle il sera nécessaire de définir des politiques publiques ciblées et adaptées à cette exposition.

M. Olivier Cunin . - Pour compléter la réponse sur les enfants, nous nous sommes fondés sur les dernières connaissances scientifiques. Dans le rapport de l'INSERM de 2021, il était notamment mentionné, pour les pathologies de l'enfant avec une présomption forte de lien avec l'exposition aux pesticides, l'altération des capacités motrices sensitives et sensorielles, le trouble du comportement (en particulier de type internalisé), des tumeurs du système nerveux central et des leucémies. Ces maladies ont donc été reprises dans l'arrêté pour permettre une reconnaissance plus facile. En-dehors de ces maladies, comme je le disais, il est possible de prétendre à une indemnisation en parvenant à démontrer un lien avec l'exposition des parents. Mais pour ces maladies, le lien de présomption est déjà établi.

Par ailleurs, avec le déclenchement de la maladie et l'exposition, l'application des critères du tableau entraîne une reconnaissance automatique. Les tableaux des maladies professionnelles créant une présomption d'imputabilité, la définition des critères constitue un sujet compliqué. Un équilibre est à trouver. Une personne peut en effet souffrir d'une maladie qui n'est pas nécessairement liée à une exposition professionnelle. Les critères du tableau doivent par conséquent être positionnés correctement pour englober la maladie liée à l'exposition professionnelle.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Il est question des travailleurs des bananeraies. Or le nombre de bananeraies est aujourd'hui moins élevé qu'il y a quelques dizaines d'années. Il est par exemple possible d'avoir cultivé des plantes racines sur les terres des bananeraies. Ces travailleurs sont-ils concernés ?

M. Olivier Cunin . - Dès lors qu'ils démontrent une exposition pendant dix ans sur une terre polluée, ils sont concernés. Nous entrons ainsi dans l'examen au cas par cas. Il s'agit de démontrer que le travail sur la terre expose aux pesticides, en l'occurrence à la chlordécone.

M. Luc Multigner . - La chlordécone n'est pas la seule molécule concernée. Il est en effet possible de reconvertir un sol pollué de bananeraie par exemple en culture d'aubergines et traiter les aubergines par des pesticides. Le travailleur est alors exposé aux pesticides, sachant, de surcroît, que la chlordécone est éventuellement présente dans le sol.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Je donne à présent la parole à mes collègues.

M. Alexandre Sabatou, député . - J'ai été élu en juin dernier. Je n'ai pas assisté à la première réunion. Je poserai donc peut-être des questions dont mes collègues ont déjà les réponses.

J'ai compris que les intoxications se poursuivaient aujourd'hui, notamment par l'alimentation et la proximité avec des zones où le produit a été utilisé. J'ai lu dans des articles que la durée de vie de la chlordécone dans l'environnement était évaluée entre 250 et 650 ans dans les sols. Avez-vous des prévisions quant à l'horizon de disparition du problème ? Les sols sont-ils condamnés ? Existe-t-il un traitement pour réhabiliter les sols ? Plus généralement, il a beaucoup été question aujourd'hui du traitement des conséquences, avec aides et accompagnements. Vous êtes-vous penchés sur le traitement des causes, notamment la réhabilitation des sols ? La manière de s'alimenter a notamment été évoquée. Je comprends les réticences car les modes de vie touchent à la tradition. Pouvez-vous nous indiquer les recommandations alimentaires émises pour que nous puissions comprendre les refus ?

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - La chlordécone est une molécule particulière qu'il est compliqué de casser, que ce soit naturellement ou par d'autres systèmes. En outre, la chlordécone reste dans le sol pour une durée variable selon le type de sol. Dans les sols volcaniques, la situation est encore plus compliquée. Les scientifiques de la première audition publique semblaient cependant indiquer que cette durée ne serait pas de 350 à 700 ans, mais « seulement » d'une centaine d'années. La difficulté vient de l'absence de solution scientifique à la dépollution des sols. Les recherches ont cependant avancé depuis 10 ans vers une possibilité d'atténuation de la pollution - et non dépollution - des sols. L'opération coûte cependant extrêmement cher, bien que la vie des hommes et des femmes n'ait toutefois pas de prix. Cela étant, il s'agit de recherches de laboratoire. Les scientifiques nous ont expliqué que quelques molécules de chlordécone pouvaient être détruites naturellement mais nous restons cependant en phase de recherche.

Lors des travaux de 2009, nous nous étions dit qu'il était impossible que la chlordécone, qui n'était plus produite officiellement aux États-Unis mais produite en douce au Brésil, soit produite uniquement pour le petit territoire des bananeraies des Antilles. Nous avions découvert que plusieurs tonnes étaient produites au Brésil, dont seulement 10 à 20 % étaient destinées aux Antilles. Le reste de la production a été utilisé dans les pays de l'Est pour lutter contre le doryphore (Allemagne de l'Est, Pologne, etc.). Nous étions allés jusqu'au Parlement européen et en Allemagne en espérant une coopération scientifique. Je rappelle que l'unique objectif de l'OPECST est un objectif scientifique et qu'il n'était pas question de pointer des responsabilités. La responsabilité scientifique est simplement d'aboutir à des solutions. Aucun des autres pays qui ont utilisé la chlordécone n'avait voulu reconnaître l'existence de la chlordécone dans leurs sols. La recherche scientifique ne repose par conséquent que sur les équipes françaises. Il s'agit d'un réel souci.

Mme Laetitia Huiart . - J'ajoute, à propos de l'accompagnement des populations, que le programme JAFA que nous accompagnons et que nous évaluerons repose sur des techniques de culture visant à limiter le contact avec les sols contaminés. Pour les recommandations alimentaires, je laisse mon collègue Jacques Rosine, responsable de la cellule Antilles, vous répondre.

M. Jacques Rosine, responsable de la cellule Antilles de Santé Publique France . - Les études menées depuis 2003 aux Antilles, notamment l'étude Kannari de 2013-2014, ont permis d'identifier les aliments les plus contributeurs à la contamination humaine, mais également les circuits de distribution. En lien avec les équipes de l'ANSES, il a été recommandé par conséquent de diminuer la fréquence de consommation de certains produits (poissons et crustacés pêchés dans des zones contaminées, oeufs produits sur les sols contaminés, etc.) pour limiter la contamination et, ainsi, respecter les valeurs de référence mises en place par l'ANSES.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office . - Vous avez indiqué que l'exposition de souris à la chlordécone au cours de leur gestation entraînait, chez la portée mâle, une diminution de la production spermatique au moins jusqu'à la troisième génération. Devrons-nous suivre par conséquent les humains sur plusieurs générations ? Par ailleurs, vous avez mentionné les cancers liés aux travailleurs. En lien avec les perturbations endocriniennes, des cancers féminins sont-ils également à craindre ? Un suivi est-il prévu dans le domaine ? Je pense en particulier au cancer du sein.

Je suis impressionnée par le nombre de pesticides employés en Guadeloupe et en Martinique. Les effets cocktail sont extrêmement difficiles à étudier. Des réactions chimiques ont-elles été analysées, avec des métabolites plus toxiques ou non qui se seraient formés ?

En population générale, l'imprégnation montre une grande variabilité. Avons-nous déjà identifié les facteurs à l'origine d'un impact plus important chez certaines populations ?

Mme Michelle Meunier, sénatrice . - J'ai une question pour Luc Multigner. Vous avez évoqué l'infertilité masculine. Pensez-vous utiliser les données sur le lien entre pesticides et infertilité masculine en Bretagne ou vous rapprocher des auteurs de ces études ? Vous avez évoqué, en outre, des perspectives à venir concernant les femmes. Pouvons-nous obtenir davantage de détails ?

Mme Victoire Jasmin, sénatrice . - Vous avez parlé des contaminations directes des utilisateurs. Des contaminations indirectes ont également eu lieu chez les personnes vivant sur ces terrains. L'épandage aérien est aussi un sujet. Il n'en est pas beaucoup question. Je pense que de nombreuses personnes ont été victimes de l'épandage aérien. Par ailleurs, la molécule de chlordécone n'étant pas miscible, elle continuera d'exister pendant longtemps et, par exemple, de contaminer la mer en cas d'inondations. Enfin, vous avez évoqué le programme JAFA. Les sols ne peuvent pas être utilisés de n'importe quelle manière mais des usages restent possibles, dont la portée reste à évaluer. Des cultures sont adaptables, car elles ne sont pas dans le sol. Ces éléments doivent être évalués sur le moyen et le long terme.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office . - J'ai une question pour Monsieur Cunin. Vous évoquiez la prise en charge des ouvriers agricoles. Qu'en est-il des travailleurs sans contrat de travail ? Par ailleurs, un internaute souhaite comprendre l'augmentation d'un facteur 10 de la proportion des maladies professionnelles liées aux pesticides et l'éventuelle responsabilité de la chlordécone.

M. Luc Multigner . - J'ai parlé des souris car il existe une dimension observée chez l'animal susceptible d'exister également chez l'homme. Il s'agit de se donner un argument supplémentaire pour les politiques de réduction des expositions.

Par ailleurs, les travaux réalisés sur le cancer de la prostate aux Antilles concernent la population générale. Certes, les travailleurs ont été potentiellement davantage exposés. Dès la fin des années 1990 cependant, nous avions constaté que, même si les travailleurs agricoles de la banane présentaient davantage de chlordécone dans le sang que le reste de la population, l'écart n'était pas aussi important que celui observé entre un agriculteur et un habitant de métropole pour un pesticide lambda.

Nous avons rencontré des difficultés à nous intéresser au cancer du sein pour une série de raisons strictement logistiques, notamment parce que le système de prise en charge est multiple. Des réflexions sont en cours pour mettre en place des études de faisabilité.

La question sur les effets cocktail n'a pas de réponse simple. En revanche, les études n'ont pas dosé que la chlordécone. Les résultats prennent ainsi en compte les effets multiples. En termes de réaction chimique, la molécule de chlordécone présente la particularité d'être incapable de réagir avec une quelconque autre molécule.

Concernant l'infertilité masculine, la situation de la Bretagne n'est pas pire que la situation des autres régions. Il n'existe pas de particularité bretonne.

La chlordécone n'a jamais été appliquée par épandage aérien, c'est une fausse idée. Il s'agit d'une poudre utilisée à la main, souvent par des femmes. L'épandage aérien a concerné d'autres pesticides.

Concernant le devenir de la chlordécone, le sol est un réservoir. S'il ne pleuvait pas, la chlordécone y resterait. Avec la pluie, par un effet de percolation ou de ruissellement, elle se retrouve dans les nappes phréatiques supérieures, les rivières, jusqu'aux côtes. Nous estimions initialement qu'un tiers des surfaces agricoles utiles et un tiers des littoraux marins de la Guadeloupe et de la Martinique avaient été contaminés. Selon le dernier rapport de l'INRAE sur les pesticides et l'environnement, les taux pourraient aller jusqu'à 50 %. Des dizaines de milliers d'hectares sont donc concernés. La dépollution serait extrêmement difficile.

M. Olivier Cunin . - Concernant la maladie professionnelle, il est question de l'exposition à tous les pesticides. De fait, l'effet cocktail est intégré.

Pour répondre aux questions du président, nous nous plaçons dans le cadre d'une exposition professionnelle. L'objectif est de démontrer l'exposition professionnelle pour bénéficier de l'indemnisation. De fait, pour les personnes non déclarées, il est par conséquent extrêmement difficile, voire impossible, de bénéficier de l'indemnisation. L'affiliation du salarié au régime est en effet examinée.

L'augmentation d'un facteur 10 de la proportion des maladies professionnelles liées aux pesticides s'explique notamment par le fait que l'ensemble des tableaux ont été revus en 2019 et 2020 pour tenir compte des données scientifiques les plus récentes et par la reconnaissance automatique qu'ils induisent.

Mme Laetitia Huiart . - J'ajoute, s'agissant des enfants, que des dosages sont prévus dans l'étude Kannari 2. En outre, un registre des malformations congénitales a été mis en place en 2009. Il est fondamental pour disposer d'une approche populationnelle sur l'ensemble du territoire. Dans le rapport 2022 portant sur l'année 2020, nous ne trouvions pas de sur-incidence de malformations congénitales aux Antilles.

Par ailleurs, un registre des cancers a été mis en place en Guadeloupe en 2008. Il complète celui de la Martinique. Outre les activités de registre habituelles, deux volets de recherche spécifiques ont été définis : cancer et facteurs environnementaux en Guadeloupe ; sciences humaines et sociales. Dans les incidences rapportées sur les registres en comparaison de la métropole, nous ne trouvons pas de sur-risque concernant les cancers du sein. Nous trouvons un sur-risque de cancer de l'utérus et de myélome, nécessitant des travaux complémentaires en cours.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Je vous remercie. Nous avons enregistré des progrès mais pas autant que ce qu'on aurait pu espérer lorsque l'on a remis notre premier rapport en 2009. Nous aurions par exemple pu espérer qu'après 13 ans, la cartographie des sols pollués soit terminée. Les problèmes de communication autour des jardins familiaux sont également un échec puisqu'en 2009 le programme JAFA était déjà lancé. Il s'agit d'un avis personnel, il ne s'agit pas de l'avis de l'OPECST, dont les conclusions seront discutées en commun d'ici quelques semaines.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Nous allons maintenant revenir sur les répercussions sociales qu'a eues cette pollution massive. Pour cela, nous accueillons Justin Daniel, professeur de sciences politiques à l'Université des Antilles, Justine Benin, rapporteure de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'utilisation de la chlordécone et du paraquat, Victoire Jasmin, sénatrice de Guadeloupe, Patricia Chatenay-Rivauday, présidente de l'association guadeloupéenne Vivre, et André Edouard, représentant du collectif martiniquais Lyananj pou dépolyé Matinik.

Je donne la parole à Justin Daniel qui a écrit et déclaré : « L'affaire de la chlordécone a, en partie, contribué à la défiance vis-à-vis de l'État ».

M. Justin Daniel, professeur de sciences politiques à l'Université des Antilles . - Je souhaite organiser mes propos en trois séries de considérations. La première d'entre elles tourne autour de la question de la défiance généralisée à l'égard des autorités, étatiques et autres, pouvant constituer une entrave à la mise en oeuvre des dispositifs d'action, y compris le plan chlordécone IV. Ensuite, j'aborderai l'enjeu crucial de l'information des populations. Enfin, je terminerai par le rôle que pourrait jouer le levier de la démocratie participative.

S'agissant de la défiance à l'égard des autorités, je crois que la perception de l'État a fondamentalement changé dans un contexte de crise qui s'apparente à un véritable scandale. Le terrain est favorable à la réactivation de représentations associées à des hiérarchies socio-raciales héritées de l'histoire et de l'esclavage. Ces représentations sont également associées à des revendications identitaires, qui peuvent être couplées à un activisme politique qui déborde les canaux habituels de l'expression politique. Nous avons pu le mesurer par exemple en Martinique en 2020, à la veille du premier confinement, par une mobilisation, parfois violente, chaque samedi matin.

Concernant l'évolution de la perception de l'État et du rapport à ce dernier, nous sommes passés d'un État perçu comme une sorte de thaumaturge générateur de liberté et d'égalité dans le prolongement de l'abolition de l'esclavage à un État perçu presque comme un organe étranger, avec lequel les populations antillaises entretiennent un rapport plus que jamais ambivalent. L'État est, à la fois, le réceptacle de tous les reproches, notamment en termes de gestion de crise, et le premier et le dernier recours, y compris de la part des acteurs locaux qui exercent des responsabilités. Parallèlement, nous voyons émerger, au sein de l'espace public, des associations qui ont développé une expertise et des savoirs concurrents qui leur permettent de contester le « monopole » de la parole officielle. Il en résulte une perte de confiance et un rapport de défiance à l'égard de l'ensemble des institutions et du personnel politique, central comme local.

Nous assistons ainsi aux Antilles à une politisation de l'enjeu sanitaire lié à la chlordécone à travers l'exacerbation d'affirmations identitaires, qui tendent à devenir une forme privilégiée de l'expression politique. Aux dernières élections, l'abstention a d'ailleurs battu tous les records. Cette situation se traduit également par la prise en charge de l'enjeu de la chlordécone par des coalitions de plus en plus hétéroclites. Elles fonctionnent parfois sur le mode de l'horizontalité, au risque de s'enfermer, pour certaines d'entre elles, dans une rhétorique dénonciatrice.

Le contexte apparaît donc extrêmement difficile. Dans certaines circonstances, il peut se révéler inflammable, en particulier lorsque plusieurs crises se télescopent, comme en fin d'année dernière.

À propos de l'information des populations antillaises, je distingue information et communication. La communication a été mauvaise s'agissant de la gestion du dossier de la chlordécone, notamment lorsqu'elle a été assurée par l'État. Nous pouvons le comprendre, l'État étant placé dans une situation inconfortable pour des raisons évidentes. Certes, des progrès ont été réalisés. Je crois que nous devons à présent absolument entrer dans la voie de la transparence. J'y vois une condition pour rétablir la confiance. Par ailleurs, nous éprouvons, sur le terrain, une difficulté d'appropriation des informations. Les informations circulent, mais n'atteignent pas nécessairement leur cible, d'autant qu'elles mélangent souvent des données scientifiques et des considérations relatives aux attentes immédiates des populations. Cela peut être montré par deux exemples. Combien de personnes au sein de la population antillaise maitrisent le débat technique autour des limites maximales de résidus ? Comment concilier les informations fiables et vérifiées, parfois en concurrence avec des inepties qui circulent sur les réseaux sociaux, avec les pratiques culturellement ancrées et constitutives d'une identité considérée comme menacée ?

J'ai d'ailleurs pu observer lors de l'élaboration du plan chlordécone IV que les plans qui avaient précédé étaient passés inaperçus en dehors des acteurs directement concernés. Souvent ces problèmes sont ramenés à des considérations relatives aux moyens. Si c'est un facteur évident, il s'agit également et surtout d'une difficulté d'appropriation des dispositifs par les populations cibles des actions publiques. En Guadeloupe et en Martinique, la simple édiction d'une norme ne signifie pas son effectivité. Les réticences, voire les résistances, peuvent être très fortes et il faut les combattre. Il faut passer à une information appropriée, en passant par des forums où les points de vue sont échangés de façon à se mettre d'accord sur un socle minimum de connaissances et de savoirs partagés. Il faut veiller à rendre les informations accessibles au plus grand nombre en mobilisant tous les vecteurs possibles. Les réseaux sociaux peuvent avoir un côté positif et il faut les investir pour faire passer certaines informations et toucher certaines catégories de la population. Un travail de traduction des informations disponibles est à réaliser, y compris des informations scientifiques. Nous autres scientifiques ne sommes pas armés pour faire de la médiation. Le langage que nous utilisons lors de colloques n'est pas nécessairement accessible.

Je conclus par quelques considérations sur la démocratie participative comme élément de réponse, à condition de lui donner un contenu et un sens, tout en restant conscient de ses limites. Les limites sont connues. Je pense que les parlementaires connaissent ces difficultés. Nous savons que la mise en place de dispositifs de participation citoyenne équivaut à prendre acte d'une faible implication des citoyens, doublée généralement d'un retrait des populations précaires, au profit des notabilités locales ou des détenteurs de la parole. Néanmoins, s'agissant de la chlordécone, cette faiblesse peut être compensée par la nature des enjeux. Tous les Antillais, en effet, se sentent concernés.

Partant de ce constat, je pense que nous devons nous défaire de toute posture surplombante et de toute démarche qui prendrait la forme d'une validation de décisions déjà prises. En outre, l'espace public doit être réhabilité en libérant la parole, qui doit être donnée aux experts, aux associations, aux scientifiques, aux décideurs. N'évacuons pas les controverses socio-techniques. À ces fins, nous devons mobiliser les outils à notre disposition, comme les forums hybrides, qui permettent de croiser les différents types de savoirs et de connaissances.

Je suis conscient que l'exercice est difficile. Il nécessite également de la transparence. La production de savoirs et de connaissances partagés n'en demeure pas moins la seule condition pour s'inscrire dans une démarche de co-construction, avec la difficulté à éviter, dans un contexte de décrédibilisation de la parole publique et de la parole scientifique, de tomber dans un relativisme absolu où l'ensemble des formes de connaissances et de savoirs se vaudraient.

Nous mesurons l'intérêt de mobiliser les ressources des sciences humaines et sociales qui ont été pourtant maintenues à l'écart du plan chlordécone III. Je me félicite aujourd'hui que l'appel à projets spécifique 2022 de l'ANR place les sciences humaines et sociales au centre des préoccupations, en les faisant fonctionner en articulation avec les sciences dites dures.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Merci, Professeur, pour cet éclairage. J'espère que nous répondons avec cette table ronde de l'Office à vos recommandations, puisque nous donnons la parole à des scientifiques, à des politiques et à des associations. Je donne maintenant la parole à Mme Justine Benin, qui a été rapporteure de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la chlordécone.

Mme Justine Benin, députée . - Durant 6 mois, dans le cadre de la commission d'enquête sur la pollution à la chlordécone, nous avons entendu l'ensemble des acteurs concernés par cette pollution. Nous avons rencontré les agences sanitaires, les administrations centrales, les experts, les scientifiques. Nous sommes allés au contact des populations de Guadeloupe et de Martinique. Nous avons rencontré l'ensemble des instances locales et des associations, mais également les agriculteurs, les marins-pêcheurs et différentes autres populations.

Nous avons auditionné près de 150 personnalités, dans le cadre d'un travail de longue haleine et de précision. Un travail a également été réalisé sur les archives que nous a transmises le ministère de l'agriculture. Ces archives nous ont été extrêmement précieuses, car elles nous ont permis de retracer l'histoire même de la pollution et d'apporter des réponses quant aux responsabilités. L'objectif de la commission d'enquête était en effet d'apporter des réponses sur les responsabilités publiques et privées. Notre travail minutieux a démontré ainsi que la responsabilité de l'État était engagée. Différents ministres ont été successivement auditionnés, affirmant précisément la responsabilité de l'État dans la pollution et dans l'empoisonnement des terres de Guadeloupe et de Martinique.

La Guadeloupe et la Martinique font face à une contamination durable et généralisée par la chlordécone, dans les sols, dans les eaux et, parfois, dans l'alimentation. En matière de santé, il est important de souligner que les risques sanitaires sont aujourd'hui mal quantifiés. 90 % des populations ont de la chlordécone dans le sang. Or il est établi que la chlordécone possède des effets cancérigènes, avec également des impacts possibles sur la prématurité des naissances et le développement cognitif des nouveau-nés.

Ensuite, nous avons abordé la question des risques sanitaires. L'ensemble des experts scientifiques auditionnés ont reconnu le caractère cancérogène de la chlordécone et le risque lié au cancer de la prostate. Surtout, les populations vivent dans un climat anxiogène, car tous les effets de la chlordécone ne sont pas encore appréhendés et les citoyens sont sous-informés. Nombreuses sont les personnes, par exemple, qui testent la présence de chlordécone dans leur sang. Or ces personnes ne font l'objet d'aucun suivi et ne bénéficient d'aucune explication, d'aucune prise en charge et d'aucune information pour les aider à interpréter leurs analyses, les accompagner et les conseiller.

À cette difficulté, s'ajoute, pour la Guadeloupe et la Martinique, la pollution qui impacte fortement les maraîchers, les producteurs de fruits, les éleveurs et les marins-pêcheurs. Sur certaines parcelles contaminées, il n'est plus possible de cultiver des produits dits sensibles. Lors de nos travaux sur le terrain, nous n'avons pu que constater les défaillances dans l'accompagnement des agriculteurs et des marins-pêcheurs, ces derniers souffrant particulièrement des différents arrêtés d'interdiction de la pêche sur les zones côtières contaminées. Le nombre de marins-pêcheurs a ainsi diminué de près de 50 % en 10 ans. Environ 75 % des produits de la mer consommés aujourd'hui dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique sont importés, alors que la Guadeloupe et la Martinique figurent parmi les consommateurs de poissons les plus importants dans le monde. Il s'agit par conséquent aujourd'hui de restaurer la confiance des consommateurs envers les produits locaux et vis-à-vis des agriculteurs et des marins-pêcheurs. Il est également nécessaire d'amplifier nos efforts d'accompagnement à l'égard de ces professions. Les marins-pêcheurs se sont sentis abandonnés face aux difficultés rencontrées. Aussi, la défiance vis-à-vis des politiques publiques et de l'État est vécue naturellement dans ces territoires après cet empoisonnement.

Nos travaux ont également montré les défaillances profondes en matière de recherche scientifique sur la chlordécone, d'une part concernant la recherche médicale sur les impacts de la chlordécone sur la santé et sa part attribuable dans les pathologies qu'elle peut occasionner (le cancer de la prostate notamment), d'autre part s'agissant de la recherche dans les techniques de dépollution. Je tiens à souligner que des chercheurs de haut niveau sont intéressés par la problématique de la chlordécone. Les ressources humaines existent, non seulement dans les grands instituts de région parisienne, mais également aux Antilles. Quand nous avions mené la commission, pourtant, des difficultés perduraient. On constatait un manque de coordination entre l'ensemble des acteurs de la recherche, et entre recherche fondamentale et recherche expérimentale.

Les populations, constatant l'ensemble de ces difficultés, s'interrogeaient et considéraient la commission d'enquête comme une première réponse à différentes questions sur leur vécu et l'empoisonnement de leurs terres pour plusieurs siècles. Pour notre part, nous avons émis des recommandations dans le rapport de la commission d'enquête. Elles ont été pour la plupart reprises dans le cadre du plan chlordécone IV.

Pour terminer, je souhaite ajouter que, dans le cadre de la commission d'enquête, nous avions dressé le constat de lourdes défaillances en matière de communication et d'information, au niveau des différents plans chlordécone, I, II et III. Les archives montrent les défaillances de l'État, prouvant sa responsabilité dans la pollution à la chlordécone. Sur l'ensemble des aspects que j'ai précédemment soulignés, la défiance vis-à-vis de l'État et des politiques publiques mises en place sur nos territoires de Guadeloupe et de Martinique est donc normale. Vous avez pu le constater par rapport à la crise sociale et par rapport à la crise sanitaire. Vous avez également pu le constater lors des résultats des différentes élections qui se sont tenues dernièrement.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Merci Madame Benin. Je donne la parole à Victoire Jasmin, sénatrice, qui, en 2019, a fait voter au Sénat un amendement ayant permis le remboursement des tests sanguins pour déterminer le taux de chlordécone. Elle a également fait voter la majoration de 2 millions d'euros de crédits en 2020 pour lutter contre l'exposition de la population de Guadeloupe et de Martinique.

Mme Victoire Jasmin, sénatrice . - Merci Madame la présidente. Je félicite Justine Benin pour son exposé.

Les tests, même si aucun suivi sanitaire n'a été prévu, étaient initialement réalisables ailleurs que sur notre territoire. Même lorsqu'ils ont été disponibles aux Antilles, les personnes devaient prendre en charge l'intégralité des frais, ce qui créait de grandes disparités. Cette situation a motivé ma proposition d'amendement, en fléchant un budget pour permettre la prise en charge.

Au niveau sanitaire, les conséquences de la chlordécone ont été nombreuses. Aujourd'hui encore, elles sont vécues difficilement par les familles. Nos territoires ont en effet une vocation agricole. Or la chlordécone a entraîné une perte de foncier agricole et une perte de valeur du foncier disponible pour certaines familles qui possédaient jusqu'alors un jardin créole à proximité de la maison. Nous avons récemment beaucoup parlé du pouvoir d'achat. La fin de la culture de proximité dans les jardins familiaux a posé des difficultés de ce point de vue. Même si, aujourd'hui, un certain nombre de partenaires ont mis en place les jardins créoles avec JAFA pour le choix des produits, nous voyons qu'il continue d'exister un déficit au niveau de la capacité pour les familles à se nourrir correctement. Les personnes ont changé leurs habitudes alimentaires, tandis que les habitudes précédentes nous permettaient notamment de compter beaucoup de centenaires en Guadeloupe et en Martinique.

La situation a par ailleurs été marquée initialement par un déni, qui a été mal vécu par les populations. Quand les premières personnes touchées ont déclaré des signes de maladie, elles continuaient pourtant, avec leur entourage, à consommer des produits de la terre par méconnaissance. En outre, les travailleurs professionnels n'ont pas reçu d'équipements de protection. Malgré les conséquences humaines, l'écoute s'est ainsi révélée inexistante. Désormais, les enfants d'alors sont devenus des adultes. Nous savons que la douleur est grande dans les familles quand les générations se succèdent avec des maladies, sans qu'aucune réponse ne soit apportée.

L'élevage est également un sujet sur ces territoires. Des analyses des sols ont eu lieu et une cartographie a été établie. Elle ne porte cependant pas sur l'ensemble du territoire. Il existe peut-être encore des lieux non identifiés empoisonnés par la chlordécone et par d'autres pesticides. Il s'agit d'un sujet pour l'élevage, mais également pour les pêcheurs, dont la situation est dramatique. Les pêcheurs ne peuvent plus pêcher sur de nombreuses côtes. Ils doivent aller pêcher de plus en plus loin des côtes, parfois dans des zones territoriales qui ne sont pas les nôtres, avec un risque de confiscation de leur matériel. Si vous y ajoutez l'augmentation du prix du carburant, un nombre croissant de pêcheurs en grande souffrance délaissent l'activité de pêche, n'ayant pas bénéficié d'une écoute particulière de la part des acteurs capables de les aider.

La qualité de l'eau potable pose question. Les normes y tolèrent un taux résiduel de chlordécone. Ce taux devrait être nul dans l'eau qui est consommée pour la boisson. On voit régulièrement des communiqués interdisant l'utilisation de l'eau potable, par exemple récemment à la suite de la tempête Fiona. Les ménages doivent alors acheter de l'eau, ce qui représente un coût, alors que notre territoire connait un taux de chômage élevé, notamment chez les femmes, et un nombre de familles monoparentales important.

L'ensemble des collectivités sont confrontées à ces situations. Les personnes ont de plus en plus recours aux CCAS, aux conseils de département, etc., c'est-à-dire à l'ensemble des solidarités existantes. S'y ajoutent les interventions des associations caritatives et des initiatives individuelles.

Le plan chlordécone IV contient peut-être des initiatives intéressantes. Davantage doit cependant être fait. Les associations doivent être davantage impliquées. Les informations doivent être davantage relayées en proximité. Même quand elles sont pertinentes, elles restent en effet méconnues. Les moyens limités de certaines personnes les poussent alors à poursuivre le mésusage de certains produits.

L'absence de contrôle pose également question, avec de nombreuses ventes informelles. Des moyens de contrôle et de traçabilité des produits livrés à la Martinique et à la Guadeloupe doivent également être mis en place. Les normes européennes et les normes françaises contraignent en effet de plus en plus les agriculteurs à ne pas utiliser certains produits alors que beaucoup de produits, en provenance du Brésil ou des Caraïbes, ne sont pas contraints par les mêmes normes et font concurrence aux produits de nos agriculteurs et de nos pêcheurs. Ces produits, dits de dégagement car ils sont à bas coûts, constituent un moyen de recours pour les ménages à faibles revenus, créant d'autres difficultés sur le moyen et le long terme. Il est beaucoup question actuellement de souveraineté alimentaire ; je crois que l'ensemble de ces problématiques doivent par conséquent être traitées.

Aujourd'hui, il existe une méfiance, une suspicion, une défiance vis-à-vis de tous les élus. Les élus de proximité sont accusés d'avoir cautionné un certain nombre de dispositions. Nous devons désormais humaniser davantage les dispositions prises. Certes, la situation s'améliore, notamment avec le plan chlordécone IV et l'implication grandissante des associations. Les associations ont cependant dû porter plainte pour être enfin entendues. Aujourd'hui, il est temps de prendre en compte la souffrance des familles et, collectivement, de prendre en compte les différentes problématiques qui se posent pour mieux les régler.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Merci Victoire. Je donne à présent la parole aux associations, avec tout d'abord Mme Patricia Chatenay-Rivauday pour l'association Vivre.

Mme Patricia Chatenay-Rivauday, présidente de l'association Vivre . - L'association Vivre, ses adhérents, ses partenaires et moi-même vous remercions de nous donner ce temps d'échange et de partage sur notre vision de la situation actuelle en Guadeloupe et en Martinique.

Je viens dans cette instance relayer humblement la voix de nos adhérents, de nos partenaires, dont le collectif martiniquais Lyananj pou dépolyé Matinik représenté par André Edouard, de nos familles, de nos parents et amis, plus particulièrement de nos proches actuellement en soins pour des maladies métaboliques, et, bien entendu, de nos défunts, de l'ensemble des victimes inoubliables que nous avons vu souffrir de maladies métaboliques. Nous portons un regard particulier sur les femmes ouvrières agricoles qui ont été oubliées par l'État dans le cadre des fonds d'indemnisation. Dans leur chair et leurs pensées, elles vivent une forme de discrimination.

L'OMS souligne que la santé environnementale comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, déterminés par des facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement. La santé environnementale concerne également la politique et les pratiques de gestion, de résorption, de contrôle et de prévention des facteurs environnementaux susceptibles d'affecter la santé des générations actuelles et futures. Nous vivons précisément ce type de situation depuis plus de 40 ans, avec le scandale de la contamination et de la pollution sur les territoires de Guadeloupe et de Martinique.

En Guadeloupe et en Martinique, des familles entières, des personnes qui n'ont jamais utilisé aucun pesticide, ont perdu des parents, souffrent avec des parents en cours de traitement, et auront probablement encore à subir des impacts psychosociaux et économiques scandaleux. Le peuple meurt en silence, pour avoir été exposé depuis longtemps et insidieusement à un pesticide et à des cocktails de pesticides terriblement dangereux et mortifères. Malgré les efforts des dernières années, à travers les différents plans chlordécone, à travers des mobilisations, à travers une forme de prise de conscience, même si elle a été infantilisante jusqu'à ce jour, il reste urgent d'entendre la souffrance des peuples et de parer à une explosion sociale qui sera probablement terrible. La conjonction de l'ensemble des souffrances, des inégalités et des injustices fera que les personnes touchées et leurs proches n'accepteront plus en effet cette situation.

Le sentiment de colère, d'injustice, de défiance, de génocide latent dont certains parlent envers les peuples de Guadeloupe et de Martinique, constitue une cocotte-minute dont il faut rapidement retirer la soupape. Les manifestations pacifiques que nous accompagnons peuvent à tout moment laisser cours à des accès de violence. Certes, nous ne pouvons pas soutenir ces excès. Nous attirons néanmoins l'attention de tous sur la répression, sur les arrestations et sur le manque de dialogue avec certains qui souffrent et ne trouvent de solution pour communiquer que dans des gestes illégaux.

Des personnes âgées ou des personnes qui n'ont toujours eu que leurs jardins créoles, qu'elles ne peuvent plus exploiter à cause de la chlordéone, subissent des dépenses nouvelles surpassant leurs budgets. De même, du fait de la présence de chlordécone dans l'eau, des familles entières procèdent à des dépenses supplémentaires d'achat de bouteilles d'eau. Les situations actuelles de ces personnes s'en trouvent fortement dégradées.

Les ouvriers agricoles, les ouvrières agricoles, les agriculteurs, les maraîchers, les éleveurs, les pêcheurs, les aquaculteurs vivent, depuis plusieurs années, un désastre économique. Les faillites se multiplient. Les familles s'effondrent. Le nombre de divorces augmente. Les activités professionnelles périclitent. Les endettements se font légion. Les difficultés familiales sont innombrables. Des étudiants ont dû abandonner leurs études. Certes, des efforts sont accomplis par le biais du plan chlordécone, d'un montant de 92 millions d'euros sur la période 2021-2026, mais pour deux territoires qui totalisent, en moyenne, près de 790 000 âmes. Le rapport aboutit ainsi à un montant de 19,40 euros par habitant et par an. Ce monde est-il sérieux ? Est-ce qu'avec 19,40 euros par Martiniquais et Guadeloupéen par an nous couvrons les besoins qui doivent être pris en compte dans le cadre de ce scandale ?

S'il existe des solutions, la communication, les modes d'information, les modalités d'apprentissage sont, de surcroît, actuellement totalement insuffisants. Des personnes ont besoin d'être accompagnées pour s'assurer que les produits achetés, plantés ou consommés sont sains. Des personnes vivent des peurs. L'accompagnement psychologique des personnes reconnues comme contaminées doit notamment être revu. Certaines personnes sont accompagnées, quand d'autres ne le sont pas. Les impacts psychosociaux doivent être urgemment pris en compte, avec une forme de communication et d'accompagnement jusqu'aux personnes et à leurs domiciles. Certaines personnes n'ont plus la force en effet de se rendre à l'ARS ou dans les pharmacies. Il est urgent enfin de sacraliser les terres qui n'ont pas été contaminées. Il s'agit d'éviter les transbordements de terre entre territoires contaminés et territoires qui ne le sont pas.

L'accompagnement des professionnels est capital. Il doit être financier. Il doit permettre de reclasser ces professionnels. Il doit également être psychologique. Il doit permettre aux personnes de s'exprimer librement, sans honte de leur vécu, car beaucoup de victimes culpabilisent de leur situation.

L'association Vivre a proposé la création d'une commission « Justice et vérité », qui apporterait la pédagogie et l'accompagnement nécessaires. Il faut que le fonds d'indemnisation ne soit pas uniquement consacré aux maladies professionnelles mais à toutes les maladies, y compris celles touchant les femmes. Nous devons en outre penser un projet économique écologique différent, notamment avec la participation des politiques, des économistes et des chercheurs de la Guadeloupe et de la Martinique. L'ensemble des décisions ne doivent plus en effet être prises au niveau national. Les sciences sociales et humaines, de leur côté, sont capitales, comme l'est la mise en place d'une démocratie participative à tous les niveaux (collectivités, éducation nationale, cellules familiales et associations) pour restaurer la confiance et avancer dans la résorption du scandale que nous vivons. La communication doit pouvoir être faite au niveau des familles et des quartiers avec des ambassadeurs guadeloupéens et martiniquais formés en amont.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Je vous remercie et passe la parole à André Edouard.

André Édouard, représentant du collectif Lyannaj pou deployé Matinik . - Le collectif que je représente, Lyannaj pou dépolyé Matinik, regroupe des associations, des syndicats, des partis et des individus qui militent pour la protection de l'environnement et contre toutes les pollutions dont est victime notre territoire. Le combat contre les conséquences de l'empoisonnement par la chlordécone est un de nos combats.

Cet empoisonnement des populations des Antilles est de mieux en mieux connu. Les populations sont passées du fatalisme à la prise de conscience active, puis à la défiance envers l'État, du fait des conséquences sur notre mode de vie et sur notre relation avec les auteurs de cet empoisonnement.

Quand, après 15 ans d'instruction des plaintes contre l'État, un juge parisien a fait planer la menace d'un non-lieu, plus de 10 000 personnes sont descendues dans les rues pour protester contre le risque d'impunité des coupables. Si l'État, par la voix du Président de la République lui-même, a fini par reconnaître une part de responsabilité, il n'a pas désigné les autres responsables, à savoir les fabricants, les importateurs et les vendeurs de ce poison, que chacun, pourtant, connaît. Cette situation est vécue, par la population, comme une complicité de fait. Quand notre mouvement a rencontré le préfet de la Martinique, il a parlé de la seule responsabilité morale des acteurs économiques locaux. L'État ne s'est jamais prononcé sur cet aspect. Comment dès lors continuer à faire confiance à nos gouvernants ?

Les plans successifs élaborés depuis 2008 n'ont jamais bénéficié des financements nécessaires pour faire face à l'ampleur de la tâche. Les promesses telles que la traçabilité des aliments, source d'anxiété, ou la cartographie des terres polluées restent, à ce jour, inachevées. La population vit une anxiété permanente devant son assiette. Elle doit inventer une nouvelle vie professionnelle et une nouvelle vie personnelle, avec des règlements européens non adaptés à cette situation particulière. Les marins-pêcheurs sont par exemple interdits de pêche côtière, sans disposer des moyens adaptés à la pêche au grand large ou à leur reconversion. Les agriculteurs subissent les pires difficultés pour accéder aux terres non polluées. Les maraîchers souffrent, comme les agriculteurs, d'une situation schizophrénique, puisque la population est incitée à manger des produits locaux dont elle se méfie, faute de traçabilité. Les éleveurs endurent des difficultés identiques. Le résultat est une fracture nette entre l'État et ses colonies, entre la population et les acteurs économiques.

La prolongation de l'utilisation du glyphosate, le report des décisions européennes sur l'utilisation des pesticides minent davantage encore les relations entre la population et les décideurs. Le scandale local de l'utilisation de l'éthéphon pour accélérer le murissement de certaines catégories de bananes incite même les plus sceptiques à évoquer un moyen de diversion pour faire oublier le scandale de la chlordécone.

Jusqu'à quand l'État continuera-t-il à « jouer la montre » ?

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Je vous remercie. Grâce à vos interventions, je comprends mieux l'anxiété des populations et les raisons pour lesquelles les mesures mises en place, même avec lenteur, n'ont pas fonctionné comme attendu. Je note cependant une meilleure implication de vos points de vue dans l'élaboration du plan chlordécone IV. Je donne la parole à mes collègues.

M. Alexandre Sabatou, député . - Je remercie les intervenants pour leurs témoignages. Je comprends mieux également les réactions apparues lors de la crise sanitaire ou lors des campagnes de vaccination, du fait de la méfiance vis-à-vis du gouvernement. Vous avez mentionné également les difficultés d'accès à l'eau potable. Une telle situation me semble impensable au 21 ème siècle dans un département français.

J'ai des questions techniques pour ma collègue sénatrice, Mme Jasmin. Vous avez mentionné la concurrence entre produits locaux soumis aux normes européennes et produits en provenance notamment du Brésil, aux normes plus facilitatrices. J'ai travaillé à la douane. Il me semblait que les départements d'Outre-mer se voyaient appliquer un régime douanier particulier. Dans le cas contraire, je souhaite savoir si le gouvernement envisage des mesures douanières pour protéger l'agriculture de nos départements d'Outre-mer.

Mme Victoire Jasmin, sénatrice . - Pour le moment, tel n'est pas le cas. Nous recevons une part importante de produits en provenance de France hexagonale. La situation est donc très particulière. L'octroi de mer avait pour objectif de protéger notre agriculture mais contribue au contraire à l'arrivée de produits de moindre qualité. Par exemple, la banane durable de Martinique et de Guadeloupe est désormais d'excellente qualité mais la population continue de s'en méfier. Surtout, par manque de moyens, elle se tourne vers les produits étrangers, notamment les produits qui viennent de manière informelle des îles des Caraïbes. Les contrôles sur notre territoire à ce niveau sont effectivement insuffisants. Les douaniers manquent de personnel. Des mesures doivent être prises pour que nos côtes soient mieux surveillées.

M. Justin Daniel . - Je souhaite appuyer les propos précédents. Il se trouve que je suis également président du Conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l'éducation de Martinique, dont le président de la chambre d'agriculture de Martinique est membre. Nous avons eu ce débat en interne. Je peux confirmer les propos précédents. Du fait de la difficulté de contrôle, faute de moyens de la part de l'État, les supermarchés de Martinique et, j'imagine, de Guadeloupe sont submergés de produits importés qui coûtent moins cher que les produits locaux de bonne qualité et ne sont pas soumis aux mêmes normes contraignantes. Cette situation contribue à renforcer les inégalités sociales, déjà profondes dans nos sociétés.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - J'en viens à présent aux remarques et questions des internautes. Certaines d'entre elles portent sur la communication à mettre en place pour lutter contre la méfiance de la population. Puisque vous avez participé à l'élaboration du plan chlordécone IV, j'espère que les modalités d'une communication plus associative et, surtout, plus efficace seront mises en place. On est revenu sur les jardins familiaux, certains légumes peuvent tout de même y être cultivés, notamment tous ceux qui poussent en hauteur. Je me demande si, dans certains cas, on ne pourrait pas faire des cultures hors-sol. Concernant les agriculteurs et les marins-pêcheurs, nous avions pu constater dès 2009 ce désarroi que vous mentionnez, notamment vis-à-vis de certaines décisions. Je me souviens d'un éleveur de ouassous qui avait été contraint d'arrêter la totalité de sa production alors qu'il disposait de bassins qui n'étaient pas contaminés. J'ai noté que vous réclamez un accompagnement de proximité et un accompagnement psychologique, avec la prise en compte de l'anxiété des populations, qui explique peut-être les raisons pour lesquelles la communication a échoué jusqu'à présent. Puisque le moyen de dépolluer les sols n'a pas encore été trouvé, il s'agit de « vivre avec », en protégeant la santé des Antillais.

Mme Victoire Jasmin, sénatrice . - J'ajoute que des initiatives citoyennes ou associatives sont prises. Par exemple, il existe une association baptisée Sa Nou Ak Bwè Manje ( ce que nous allons boire et manger ). Des initiatives sont prises également pour la valorisation des produits locaux. Des associations itinérantes se déplacent sur le territoire pour proposer aux personnes d'utiliser d'autres produits pour s'alimenter. Une association avait organisé un concept intitulé « mon jardin sur mon balcon », qui avait pour but de remplacer les fleurs ornementales par des fruits et légumes. Ces initiatives citoyennes et associatives sont à féliciter, elles permettent à la population de mieux connaitre la biodiversité et mieux maitriser son budget. Elles sont parfois accompagnées par les communes.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Je donne la parole à présent au vice-président de l'association Vivre avant de clore la séance.

M. Janmari Flower, vice-président de l'association Vivre . - Beaucoup de pièces du puzzle ont été évoquées. Je souhaite les relier entre elles. La première d'entre elles, en réalité, n'a pas été citée, mais soulevée par notre avocat dans l'action collective conjointe que nous menons pour la reconnaissance du préjudice d'anxiété. Depuis les années 1970, il y a eu un décrochage de l'évolution de l'espérance de vie dans les départements de Martinique et de Guadeloupe par rapport à l'évolution en métropole. Bizarrement, au moment de l'utilisation de la chlordécone et d'autres biocides et perturbateurs endocriniens, nous constatons ce décrochage. Nous observons également une prévalence de plus en plus importante des maladies métaboliques, au point qu'aujourd'hui, un tiers des décès sont par exemple liés à des insuffisances cardiaques. Il se trouve que l'un de nos membres, le docteur Mona Hédreville, cardiologue, a trouvé une publication scientifique qui établit la cardiotoxicité de la chlordécone, fait qui n'a, pour le moment, pas reçu d'attention particulière en termes de recherche scientifique. Il peut s'agir d'un élément supplémentaire venant s'ajouter à ceux décrits pour expliquer le déni d'une partie des populations, le fatalisme d'une autre partie des populations, la colère de certaines personnes, concernant la pollution.

Il est certain que, désormais, nous devons vivre avec ce pesticide, alors que nous ne savons pas précisément où il se trouve dans nos sols et dans nos eaux. La cartographie des sols n'est en effet pas achevée. De surcroît, elle est organisée de telle sorte qu'elle ne peut que donner une vision floue de la situation, en l'absence notamment d'un nombre suffisant de prélèvements par hectare qui permettrait d'aboutir à une vision fine. L'effet cocktail sanitaire a été évoqué mais il faut aussi mentionner l'effet cocktail environnemental. L'usage du glyphosate a favorisé l'érosion de sols qui étaient contaminés par la chlordécone et donc son transfert du milieu terrestre au milieu aquatique.

L'ensemble des éléments précédents militent, de notre point de vue, pour une augmentation considérable des moyens alloués au plan chlordécone IV. Il faudrait peut-être d'ailleurs le rebaptiser plan perturbateurs endocriniens, car la chlordécone n'est pas le seul produit en cause. Aussi longtemps que l'État, dans toutes ses composantes, ne se sera pas mis en cohérence pour reconnaître la responsabilité au plus haut niveau et cumulée dans le temps de tous les acteurs, sa parole sera toujours accueillie avec une défiance d'autant plus dommageable que nous avons grand besoin actuellement, face à l'accélération du dérèglement climatique et à l'effondrement de la biosphère, d'une action de planification publique.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Je vous remercie. En tant que rapporteur du dossier, je suis prête à recueillir l'ensemble des contributions complémentaires des personnes qui souhaiteraient me les transmettre. Nous sommes prêts également, le cas échéant, à organiser des auditions supplémentaires.

Je remercie les intervenants pour la franchise de leurs propos et pour les clarifications qu'ils nous ont apportées. Elles nous ont permis, en tant que métropolitains, de mieux comprendre les blocages qui peuvent exister en Martinique et en Guadeloupe.

III. COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE MADAME EDWIGE DUCLAY

Mme Edwige Duclay, directrice de projet chargée de la coordination du plan chlordécone IV . - Je vous propose d'organiser ma présentation autour de trois axes : mes missions en tant que directrice de projet chargée de la coordination interministérielle du plan chlordécone IV, les objectifs du plan et leur état d'avancement. J'aborderai également les « rencontres chlordécone » qui se tiendront en fin d'année et qui tombent à point nommé vis-à-vis de vos travaux. Ce sera une formidable opportunité pour rencontrer l'ensemble des acteurs et des différents publics cibles.

J'occupe mes fonctions depuis la validation du plan chlordécone IV par le gouvernement, en février 2021. Je suis ingénieure agronome de formation et j'ai travaillé une vingtaine d'années au ministère de l'Écologie, principalement sur des thématiques liées aux pollutions, notamment de l'eau et de l'air, mais également sur des enjeux transversaux comme le développement durable. Aujourd'hui, je travaille à la fois pour le ministère de la Santé et pour celui des Outre-mer. Je suis rattachée aux deux directeurs généraux - de la Santé et des Outre-mer - qui sont les deux co-pilotes du plan. Le plan implique neuf ministères, d'où la nécessité d'un important travail de coordination. Dans les territoires, le plan est piloté et mis en oeuvre par les préfets et les agences régionales de santé.

Mon rôle est de coordonner la mise en oeuvre de ce plan ; j'impulse et je facilite. Je suis basée à Paris car c'est à l'échelle nationale que les décisions sont prises mais je passe environ 20 % de mon temps en Martinique et en Guadeloupe pour assurer la coordination entre l'échelle nationale et l'échelle locale. Je participe ainsi à l'ensemble des comités de pilotage locaux, aux côtés des préfets et des agences régionales de santé. C'est aussi et surtout l'occasion d'être à l'écoute des acteurs de terrain et de constater les besoins, notamment en moyens humains. À titre d'exemple, j'ai facilité le recrutement d'une personne en charge de la chlordéconémie dans chacune des agences régionales de santé et mon ambition est qu'il y ait également un médecin inspecteur sur place.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . - Auparavant cette fonction de coordination n'existait donc pas ?

Mme Edwige Duclay . - En Martinique, Monsieur Godard avait eu un rôle proche mais mon poste a été créé par le plan chlordécone IV.

Je prépare également les comités de pilotage nationaux, qui sont organisés de manière semestrielle. Ce sont des rendez-vous importants qui nous permettent d'accélérer les décisions sur un certain nombre de dispositions. Quand des besoins d'arbitrage se font ressentir, je demande l'organisation de réunions interministérielles. Mon rôle n'est pas de me substituer aux pilotes mais de faciliter leur action et d'apporter une vision globale. Chaque ministère reste responsable des mesures qu'il doit mettre en oeuvre. Pour illustrer cela, je vous renvoie à la figure 14 que vous pouvez trouver à la page 27 du premier bilan annuel du plan. Vous pouvez y voir l'ensemble des acteurs mobilisés sur ce plan : les ministères, les acteurs locaux, les partenaires. Vous pouvez également constater la nouvelle structuration de la communauté scientifique, avec une personne à temps plein qui travaille pour les deux comités créés. Pour ma part, je suis à l'interface de l'ensemble de ces acteurs.

Mme Laure Darcos, sénatrice . - Concernant la recherche, j'ai été rapporteure pour le budget de la recherche du projet de loi de finances pour 2023 et, dans ce cadre, M. Thierry Damerval m'avait parlé de l'appel à projets dédié de l'ANR.

Mme Edwige Duclay . - Oui, pour la première fois il y a eu un appel à projets pleinement dédié à la chlordécone. Les résultats seront dévoilés au cours d'une conférence de presse qui aura lieu le 8 décembre. Les projets seront ensuite présentés au cours du colloque scientifique qui aura lieu en Guadeloupe la semaine suivante.

Mme Laure Darcos . - Quel est le montant des financements ?

Mme Edwige Duclay . - Sur la durée du plan, l'Agence nationale de la recherche mettra 9 millions d'euros. Pour ce premier appel à projets, l'ANR participera à hauteur de 3 millions, tandis que la région Guadeloupe et la collectivité territoriale de Martinique mettront 1,5 million chacune, soit une enveloppe totale de 6 millions d'euros.

Mon rôle inclut un travail d'articulation entre les deux îles, même si chaque île a ses spécificités. Je rends également des comptes sur l'avancée du plan. Le bilan annuel que nous venons de publier a pour but de témoigner des progrès des différentes actions du plan, avec un dispositif de tableau de bord et d'indicateurs que nous avons mis en place. Je rends régulièrement des rapports et émet des propositions lorsque j'estime que des actions doivent être réorientées ou amplifiées. Enfin, j'essaie également de faire le lien avec d'autres politiques publiques. Cela peut notamment permettre de mobiliser d'autres financements et d'autres leviers.

Pour mener à bien l'ensemble de ces missions, je suis assistée par des chargés de missions qui travaillent sur le plan chlordécone dans les préfectures, dans les agences régionales de santé et dans les différentes administrations. Au total, 150 personnes travaillent dans cet écosystème.

Je vais revenir rapidement sur la genèse du plan, même si ma nomination a été postérieure. Une consultation publique a été conduite, c'était une première par rapport aux plans précédents. Il y a également eu une volonté d'intégration des travaux parlementaires, notamment du rapport d'enquête de l'Assemblée nationale. Globalement, la majorité des recommandations qui y étaient effectuées ont été intégrées au plan. On peut notamment citer : le volet recherche qui représente 30 % du budget total et l'organisation d'appels à projets que nous avons évoqués, l'amplification de la communication et de l'information, l'accompagnement des agriculteurs et des pêcheurs, un volet spécifique pour la formation et l'éducation, un volet santé-travail avec des dispositifs de réparation et de prévention, dont le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides, et la création de mon poste qui faisait également partie de leurs recommandations. Pour les quelques recommandations qui n'ont pas été directement intégrées, cela s'explique soit par la mise en place d'autres dispositifs permettant d'atteindre les mêmes objectifs, soit parce que ces recommandations sortaient du périmètre stricto sensu du plan chlordécone.

Par rapport au plan précédent, il y a une réelle continuité. Ce sont les plans précédents et leurs acquis qui nous amènent aujourd'hui à pouvoir proposer certaines réponses. Je pense par exemple au dispositif de chlordéconémie et à l'outil d'aide à la décision pour la décontamination des bovins ; leur mise en place résulte d'actions lancées en amont. Les travaux scientifiques et les connaissances qu'ils ont apportées ont été utilisés au service de l'action dans la mise en oeuvre du plan IV.

Pour autant, le plan IV va plus loin que les plans précédents. Il dispose notamment d'un budget inédit : 92 millions d'euros. C'est à peu près la somme des budgets des trois plans précédents. En outre, comme je l'évoquais, d'autres politiques publiques peuvent être mobilisées. La gouvernance du plan a été revue, avec la création de mon poste mais également du Comité de pilotage scientifique national (CPSN) et de la Coordination locale de la recherche sur la chlordécone aux Antilles (CloReCA). De nouveaux leviers sont mobilisés, notamment grâce au volet santé-travail, qui était un grand oublié des plans précédents. Ce dernier vise à réparer, avec le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides - qui ne concerne pas la chlordécone -, mais également à prévenir, en prenant en compte l'ensemble des pesticides. Le volet formation-éducation est également une nouveauté, avec notamment des dispositifs à destination du personnel enseignant et des agriculteurs. Enfin, le volet socio-économique apporte des aides pour les pêcheurs et les agriculteurs.

Les mesures qui fonctionnaient, comme le programme JaFa, ont bien évidemment été conservées et amplifiées. Les contrôles sur les denrées alimentaires ont également été renforcés, notamment sur les ventes informelles qui se font en bord de route. Enfin, il y a une vraie volonté d'« aller vers » les publics cibles.

En résumé, ce plan a quatre ambitions : protéger la santé des populations, tendre vers le « zéro chlordécone » dans l'alimentation, prendre en charge les impacts de cette pollution et agir en commun entre État, élus, associations et citoyens. Comme vous avez pu le voir lors de votre seconde audition publique, il y a des marges de progrès sur ce dernier point. L'intervention du Pr Justin Daniel a bien illustré le contexte de défiance vis-à-vis de l'État dans lequel nous nous trouvons, exacerbé par les affaires judiciaires. Agir en commun, c'est donc un véritable défi car pour atteindre les publics cibles, l'État seul ne suffira pas.

On peut d'ailleurs voir que, pour certains dispositifs - la chlordéconémie, l'analyse de sols, l'indemnisation par le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides -, l'offre est supérieure à la demande alors même que ces actions répondent à des attentes fortes de la population. Il est donc essentiel de travailler avec les associations et les élus pour porter ces dispositifs.

Mme Catherine Procaccia . - J'avais du mal à comprendre pourquoi les préconisations relativement simples du programme JaFa n'étaient pas pleinement appliquées. Cette audition m'a permis de comprendre la défiance généralisée vis-à-vis de la parole de l'État. C'est quelque chose que je n'avais pas senti aussi fort il y a treize ans.

Mme Edwige Duclay . - En effet, il y a encore beaucoup d'efforts à faire. Le volet communication correspond à 5 % du budget du plan. Vous parlez de défiance, j'irai même jusqu'à parler, dans certains cas, de fausses informations particulièrement anxiogènes qui découragent la population de faire des efforts. Une des nouveautés de ce plan est de prendre en compte les sciences humaines et sociales pour comprendre les freins et les leviers à activer. C'est un domaine qui n'avait pas vraiment été exploré et qui prend toute sa place dans le plan chlordécone IV. À titre d'exemple, un volet sciences humaines et sociales était obligatoire pour répondre à l'appel à projets de l'ANR et la vice-présidence du CPSN est occupée par le Pr Justin Daniel.

La conclusion que je souhaite retenir c'est que nous avons besoin de tout le monde pour que ce plan parvienne à se déployer. Il y a des avancées mais nous devons faire preuve d'humilité. Il y a encore beaucoup de choses à faire - c'est un plan qui s'inscrit dans la durée - et nous avons besoin de mobiliser. C'est pour cela que les ministres Jean-François Carenco et Agnès Firmin Le Bodo ont souhaité présenter le bilan annuel du plan aux élus des Antilles, avant sa publication. Au cours des « rencontres chlordécone », il y aura également des moments d'échange avec les élus, les collectivités et les associations. On a des exemples très concrets de mobilisation d'élus, notamment dans la commune du Lorrain en Martinique, qui permet un vrai déploiement d'actions. Il y a des problèmes de colère et de défiance mais, concernant la protection de la population, l'objectif du « zéro chlordécone » dans l'alimentation et la réparation des impacts, il y a des choses qui peuvent être faites.

Mme Catherine Procaccia . - Quels sont vos objectifs à l'issue du plan ? Ont-ils été chiffrés ?

Mme Edwige Duclay . - Nous avons commencé à y travailler, comme vous pouvez le voir dans le bilan annuel qui inclut un tableau de bord résumant l'avancée des différentes actions.

Pour autant, l'idéal serait que ce ne soit pas l'État qui évalue la réussite du plan mais des instances externes et indépendantes. Le Haut Conseil de la santé publique pourrait par exemple être saisi pour conduire ce travail. À travers vos travaux ou d'autres travaux parlementaires, vous pourrez peut-être également jouer ce rôle.

Certains indicateurs de suivi existent, comme, par exemple, l'imprégnation de la population, dont on peut suivre l'évolution. La chlordéconémie devrait nous permettre d'effectuer un suivi plus fin. Nous avons saisi Santé publique France afin qu'une méthode de calcul robuste soit développée pour réaliser ce suivi.

Mme Catherine Procaccia . - Quels sont vos objectifs vis-à-vis du nombre de personnes testées et de la réduction de l'imprégnation ?

Mme Edwige Duclay . - Pour l'instant, en Martinique, l'objectif est de l'ordre de 7 000 analyses par an. Nous n'avons cependant pas fixé d'objectif pour la baisse de l'imprégnation car il est au préalable nécessaire de définir une méthode de calcul. Les personnes inclues aujourd'hui dans les analyses de chlordéconémie ne sont pas forcément représentatives de la population générale, une méthode statistique doit donc être développée pour pouvoir comparer les résultats d'un point de vue populationnel d'une année sur l'autre.

Mme Catherine Procaccia . - Ne serait-il pas possible de suivre spécifiquement les personnes ayant un jardin familial contaminé ? Cela permettrait de vérifier que la communication fournie permet bien de faire baisser l'imprégnation.

Mme Edwige Duclay . - C'est prévu. Nous avons d'ailleurs un dispositif d'évaluation du programme JaFa.

Mme Catherine Procaccia . - Ce programme a-t-il évolué depuis sa mise en place ?

Mme Edwige Duclay . - Oui, notamment du point de vue de la communication. Par exemple, en Martinique, on a créé un numéro vert unique pour prendre rendez-vous et un site internet qui regroupe certaines informations. L'ARS de Martinique a également mis en place un appel à projets pour mobiliser des associations et différents acteurs locaux pour porter les messages de prévention. Ainsi, douze porteurs de projet vont pouvoir amplifier les mesures d'accompagnement.

Mme Catherine Procaccia. - Est-ce que les communes proposent une alimentation « zéro chlordécone » dans la restauration scolaire comme certaines communes proposent de l'alimentation biologique en métropole ?

Mme Edwige Duclay . - Non, le label « zéro chlordécone » n'est pas encore totalement mûr. Des financements sont prévus dans le plan pour le développer.

Pour revenir à l'imprégnation, l'étude Kannari 2 va également apporter de nouvelles informations mais, comme je vous le disais, nous voulons un « baromètre » de la chlordéconémie pour ne pas avoir à attendre 10 ans afin d'observer l'évolution de l'imprégnation.

À la suite des analyses de chlordéconémie, un dispositif d'accompagnement est mis en place. Pour les personnes ayant une concentration particulièrement élevée, une nouvelle analyse est proposée après 9 mois. Dans ces cas, une visite à domicile est organisée afin d'aider à réduire cette imprégnation, notamment en proposant des conseils nutritionnels. Lorsque les résultats sont donnés, il est bien rappelé qu'avoir de la chlordécone dans le sang n'induit pas forcément de tomber malade.

Un programme de recherche mené par le CHU de Guadeloupe a également été mis en place afin de comprendre, avec les personnes volontaires, les déterminants permettant de faire baisser l'imprégnation.

Mme Catherine Procaccia . - Y a-t-il un axe pour les femmes enceintes ?

Mme Edwige Duclay . - Notre priorité est la chlordéconémie gratuite pour tous, on souhaite que chacun puisse se saisir de cet outil. À terme, nous souhaiterions que ces analyses soient prises en charge par la sécurité sociale afin de simplifier le dispositif.

Il y a une priorité claire pour les personnes les plus exposées et les plus vulnérables, dont les femmes en âge de procréer et les femmes enceintes font partie. Un programme « génération future » se déploie progressivement avec des consultations préconceptionnelles. A ce stade, 200 consultations ont pu être conduites. Un dispositif de formation des professionnels de santé - sages-femmes, médecins, diététiciens - sur la chlordéconémie a également été mis en place. Pour l'instant, plus de 200 personnels de santé ont été formés.

Mme Catherine Procaccia . - Ne peut-on pas imaginer que la concentration en chlordécone soit systématiquement analysée pour tout Antillais faisant une analyse de sang, quelle qu'en soit la raison ?

Mme Edwige Duclay . - Cela est proposé en Guadeloupe, où une ordonnance est nécessaire pour effectuer l'analyse, mais cela nécessite que le professionnel de santé soit sensibilisé à la chlordéconémie.

À l'avenir, notre objectif est également de travailler avec les acteurs de la périnatalité pour faire le lien avec les 1 000 premiers jours.

Mme Laure Darcos . - Des actions sont-elles organisées dans le cadre scolaire ?

Mme Edwige Duclay . - C'est un relais qui est mobilisé. Dans certaines écoles, des éco-délégués et le personnel enseignant ont été formés. Des initiatives très concrètes comme la création de jeux de société et d'un « escape game » ont également été mises en place. L'enjeu est de réussir à sensibiliser sans paniquer.

Concernant la stratégie de recherche, les travaux sur l'impact de la chlordécone se poursuivent. La santé féminine est parfois évoquée comme une oubliée des plans chlordécone. Il ne faut pas se focaliser uniquement sur le cancer de la prostate. Il y a plusieurs pistes de recherche sur la santé féminine, notamment concernant l'endométriose.

Notre objectif est également d'insérer la thématique chlordécone dans un contexte plus large de réduction de l'exposition aux différents perturbateurs endocriniens et aux substances chimiques et de l'intégrer dans le parcours des femmes enceintes. C'est un exemple d'intégration dans une autre politique publique. L'objectif est de gagner en efficacité et de ne pas rajouter un dispositif supplémentaire à ce qui pourrait exister par ailleurs.

Pour résumer, nos objectifs concernant la protection des personnes incluent le baromètre de la chlordéconémie, le suivi des publics les plus vulnérables et les plus exposés, la sensibilisation des professionnels de santé et la poursuite des travaux de recherche avec les agences sanitaires qui sont très mobilisées sur le sujet.

L'autre enjeu est de tendre vers le « zéro chlordécone » dans l'alimentation. Nous sommes en train d'y travailler, notamment avec l'ANSES, afin de savoir si les aliments consommés aujourd'hui sont moins contaminés que par le passé. L'étude ChlorExpo a été lancée avec l'objectif de faire le point sur la contamination des différentes denrées. Nous souhaitons notamment savoir si, au-delà du respect de la LMR, la contamination diminue. Aujourd'hui, d'après les analyses réalisées, 62 % des aliments ne présentent pas de trace de chlordécone. Une amélioration est observable au niveau de la viande, avec une baisse significative du nombre de carcasses contaminées. J'aimerais qu'on ait un indicateur robuste pour pouvoir apprécier si on tend vers le « zéro chlordécone ».

Comme je vous le disais, le programme JaFa a été amplifié, tout comme l'accompagnement des agriculteurs. Nous espérons pouvoir développer l'outil d'aide à la décision qui permet d'estimer, à partir d'une prise de sang, la durée de décontamination nécessaire pour les bovins. Il y a également une opération « macaron de pêche » avec les pêcheurs professionnels qui s'engagent à respecter les zones d'interdiction. Pour les produits de la mer, le taux de non-conformité a également baissé de manière non négligeable. Cela témoigne très probablement de changements de pratiques car, malheureusement, il n'y a pas eu de baisse de la contamination au niveau de la mer.

Concernant la prise en charge des impacts, le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides n'est pas encore assez bien connu. Quarante demandes ont été déposées aux Antilles, 32 en Martinique et 8 en Guadeloupe. Parmi celles-ci, à l'heure actuelle, 25 ont donné lieu à des accords du Fonds et 4 à des refus. Les 11 demandes restantes sont en cours d'instruction. En Martinique, une association financée par l'État aide les victimes à construire leurs dossiers, en se déplaçant directement chez les personnes. Un système a été mis en place afin que les personnes laissent leurs informations personnelles et que l'association les rappelle, dans une perspective d'« aller vers ». De même, lorsque j'étais en Martinique, il y a dix jours, nous avons formé avec la préfecture les correspondants des maisons France Services. Notre enjeu est de réussir à montrer que c'est un dispositif qui ne concerne pas que la chlordécone et les plantations de banane. Concernant les pêcheurs, le dispositif mis en place a pour objectif d'aider les pêcheurs à se désendetter afin qu'ils puissent ensuite bénéficier d'aides européennes.

Enfin, le dernier point que je souhaitais évoquer avec vous est les « rencontres chlordécone » qui auront lieu du 12 au 16 décembre. Le mot d'ordre est « connaître pour agir ». Ces rencontres comprendront un temps d'échange avec les scientifiques, grâce au colloque qui va durer trois jours et qui inclura des visites de terrain, des ateliers et des présentations, mais également des temps d'échange avec les différents publics cibles sur les deux îles. Des réunions auront lieu avec les professionnels de santé afin que des scientifiques puissent leur présenter les impacts de la chlordécone sur la santé, le dispositif de chlordéconémie et le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides. Il y aura également un temps fort avec les élus, autour des préfets, et plusieurs événements auront lieu auprès des scolaires, des acteurs de la pêche et de l'agriculture.

Pour toucher le grand public et valoriser les travaux scientifiques, le plus efficace est d'utiliser les médias comme la radio et la télévision. Aussi, une émission télévisée sera réalisée et diffusée sur Guadeloupe La Première en janvier. En Guadeloupe, une réunion sera organisée autour de Jessica Oublié, qui a écrit le livre « Tropiques Toxiques ». En Martinique, une pièce de théâtre sur la chlordécone a été montée par l'Instance régionale d'éducation et de promotion de la santé (IREPS) à la demande de l'ARS et sera présentée dans une salle de cinéma pour, ensuite, ouvrir le débat. Il y aura également un moment d'échange grâce à des vidéos réalisées par le Carbet des sciences, qui fait de la médiation scientifique. Ces vidéos, dans lesquelles des scientifiques répondent à des questions émanant de la population, pourront être valorisées par la suite. Les projets pédagogiques qui ont mobilisé des scolaires seront également présentés. Un travail est réalisé avec la presse pour médiatiser les avancées et les solutions, toujours dans une optique de « connaître pour agir ».

Mme Catherine Procaccia . - Je me demande pourquoi la cartographie des sols n'a pas été terminée et pourquoi, dans certains cas, l'eau potable reste contaminée malgré les solutions de traitement. Cela m'interroge d'autant plus qu'il y a d'importants problèmes d'alimentation en eau en Guadeloupe. Est-ce que ces deux problèmes sont liés ou la chlordécone est-elle un problème qui s'ajoute ?

Mme Edwige Duclay . - Concernant la cartographie des sols, je me permets de vous remettre les dernières cartes à jour. Les précédentes cartes utilisaient un dispositif de morcèlement qui laissait penser qu'on avait des « confettis » d'analyse de sol.

Je souhaite souligner que les analyses des sols sont gratuites pour tout le monde, agriculteurs comme particuliers. L'objectif de ces analyses n'est pas de couvrir la totalité du territoire mais que chacun puisse savoir s'il a de la chlordécone sur son terrain afin de pouvoir prendre les dispositions adaptées. Cela implique de croiser plusieurs informations : est-ce qu'on se situe dans une zone à risque et est-ce qu'il existe une culture à risque ? Par exemple, même dans une zone à risque, si on cultive des bananes, l'analyse de sol n'est pas utile. L'objectif est donc de permettre à chacun de se saisir de ces informations et de décider en conséquence. Le dispositif fonctionne à travers un guichet ouvert et toutes les personnes qui le souhaitent peuvent bénéficier de ces analyses.

Aujourd'hui, les zones à risque de contamination sont connues. Celles-ci ne sont pas pleinement couvertes par les analyses, nous en sommes à environ 20 %. Nous avons demandé aux Directions de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt d'identifier sur ces cartes les zones de culture de banane et de canne à sucre. Ces cultures n'étant pas à risque, les analyses n'y sont pas nécessaires.

Mme Catherine Procaccia . - Quel est le temps nécessaire pour réaliser ces analyses ?

Mme Edwige Duclay . - Dans certains cas, il faut envoyer les échantillons dans l'hexagone, cela peut prendre quelques mois.

Mme Catherine Procaccia . - Est-ce facile à demander ?

Mme Edwige Duclay . - Oui. En Guadeloupe, il y a même un formulaire de demande en ligne. En Martinique, la Chambre d'agriculture a passé une convention avec la préfecture. Cela permet ensuite aux agriculteurs d'obtenir des conseils en fonction du résultat. Nous avons déjà atteint 80 % des objectifs en 2022.

Mme Catherine Procaccia . - Les objectifs sont-ils plus facilement atteints avec les professionnels qu'avec les particuliers ?

Mme Edwige Duclay . - Non, nous atteignons également nos objectifs avec les particuliers.

Mme Catherine Procaccia . - Est-ce que vous faites face à des personnes qui adoptent la « politique de l'autruche » et ne souhaitent pas savoir ?

Mme Edwige Duclay . - Oui, il y a des gens qui ont peur que cela dévalorise leur patrimoine. C'est pour cela qu'il est primordial de communiquer pour indiquer qu'une contamination du sol n'est pas une fatalité. C'est le mot d'ordre du programme JaFa en Martinique.

Mme Laure Darcos . - Est-ce que les agriculteurs culpabilisent ?

Mme Edwige Duclay . - Je ne pourrais pas vraiment vous dire, il est vrai que les agriculteurs peuvent parfois être montrés du doigt.

Concernant l'eau, le taux de conformité est de 100 % en Martinique et de 97,5 % en Guadeloupe. Les non-conformités en sortie d'usine peuvent provenir de trois causes différentes. Dans certains cas, le traitement de l'eau peut avoir pour seul objectif la désinfection de l'eau et ne pas concerner les pesticides. Dans d'autres cas, le traitement peut être insuffisamment efficace. Enfin, cela peut provenir d'une défaillance dans le suivi des installations de traitement, notamment des filtres à charbon qui doivent être renouvelés fréquemment. D'après les informations que nous avons eues des Agences régionales de santé, les non-conformités proviendraient principalement d'un problème de défaillance sur l'étape de traitement avec des difficultés ou des retards dans le changement des filtres.

Cependant, dès que le dépassement est constaté, des mesures de gestion sont immédiatement mises en oeuvre.

Mme Catherine Procaccia . - Il me semblait que la consommation d'eau de source était assez commune aux Antilles, est-ce toujours le cas ?

Mme Edwige Duclay . - Dans le cadre du plan chlordécone IV, il est prévu d'effectuer un inventaire de la qualité des eaux de source. En Guadeloupe, les résultats sont assez mauvais, tandis qu'en Martinique, les études sont encore en cours. Les eaux de source sont susceptibles d'être bien plus contaminées que l'eau du robinet, alors même que dans l'inconscient collectif elles sont vues comme pures et donc consommées par la population. C'est un des enjeux du plan de communiquer sur cet aspect.

Mme Catherine Procaccia . - La possibilité de mettre des filtres à charbon n'a-t-elle pas été envisagée ?

Mme Edwige Duclay . - Non, ce sont des eaux qui ne sont pas destinées à être potabilisées. Des panneaux de prévention ont été installés mais cela ne suffit pas forcément à transmettre le message. Des efforts supplémentaires doivent être conduits, y compris avec les élus.

Je souhaiterais revenir à la chlordéconémie. Le nombre de dosages peut paraitre modeste mais il est nécessaire de considérer tout le travail qui a été réalisé en amont. Nous avons dû développer un dispositif d'accompagnement gradué en fonction de la quantité de chlordécone présente dans le sang. En Guadeloupe, les analyses sont faites sur place par l'Institut Pasteur, ce qui a demandé des travaux préliminaires. Il a également fallu former les médecins et coordonner les deux ARS, afin que les messages fournis à la population soient identiques.

Mme Catherine Procaccia . - Quand quelqu'un fait spontanément un dosage, quel est l'accompagnement qui est organisé après ? La démarche doit-elle être effectuée par la personne concernée ou est-ce automatique ?

Mme Edwige Duclay . - Une plateforme téléphonique est en train d'être mise en place en Martinique et en Guadeloupe afin d'orienter vers les différents dispositifs.

Mme Catherine Procaccia . - C'est donc à la personne de téléphoner ?

Mme Edwige Duclay . - Non, c'est la plateforme qui s'en occupe.

M. Nassim Mekeddem . - Le dispositif s'appuie sur la plateforme RIPOSTE qui avait été utilisée pour les personnes ayant été testées positives à la Covid-19.

Mme Edwige Duclay . - En Guadeloupe, le souhait était d'avoir mis en place l'ensemble du dispositif d'accompagnement avant d'ouvrir la possibilité d'analyse. Malgré une ouverture au mois de juin, 1 500 analyses ont déjà été conduites et nous observons une montée en puissance.

En Martinique, en raison d'un contexte différent, une autre stratégie a été adoptée et il a été décidé de permettre ces analyses le plus rapidement possible. Le dispositif d'accompagnement y est en cours d'amélioration et de finalisation.

Une coordination est effectuée au niveau national par la Direction générale de la santé pour qu'il n'y ait pas de différences de discours entre la Martinique et la Guadeloupe et que les seuils d'accompagnement soient harmonisés. Notre objectif à terme est bien entendu d'accroitre le nombre de dosages. Pour cela, nous avons besoin de relais encourageant la population à aller évaluer son imprégnation.

À terme, nous aimerions que ces analyses soient prises en charge par la sécurité sociale. Initialement, elles étaient financées par le Programme des interventions territoriales de l'État (PITE) et le sont maintenant par les ARS, via le fonds d'intervention régional. Cela permettrait de faciliter le transfert d'information et le suivi. Actuellement, il est nécessaire de réaliser des conventions avec les laboratoires, ce qui peut s'avérer relativement lourd à mettre en place.

Comme évoqué précédemment, ces analyses nous permettront de suivre plus finement l'évolution de l'imprégnation de la population. L'étude Kannari avait montré que plus de 90 % de la population antillaise avait de la chlordécone dans son sang. Lors des « rencontres chlordécone », l'ANSES présentera la proportion des Antillais qui présentent une imprégnation inférieure au seuil en-dessous duquel on considère que le risque de maladie est négligeable.

Mme Catherine Procaccia . - Comment avait été déterminé ce taux de 90 % ?

Mme Edwige Duclay . - Des analyses avaient été menées sur un échantillon représentatif de la population en 2013 et 2014. L'outil d'analyse permettait de détecter des concentrations en chlordécone très faibles, jusqu'à 0,02 ìg/L. La valeur toxicologique de référence interne définie par l'ANSES est de 0,4 ìg/L. Il devrait donc y avoir une part importante de personnes qui, bien qu'ayant de la chlordécone dans le sang, se situent sous ce seuil.

Les résultats dont nous disposons grâce aux premières analyses de chlordéconémie ne peuvent pas être comparés avec cette proportion de 90 %. Premièrement, parce que les personnes ayant fait ces analyses ne constituent pas un échantillon représentatif. Deuxièmement, parce que la sensibilité des méthodes d'analyse n'est pas identique. À titre d'exemple, la limite de détection atteinte par l'Institut Pasteur en Guadeloupe est de 0,05 ìg/L.

L'étude Kannari 2 apportera également des résultats qui permettront d'évaluer l'exposition de la population.

Mme Catherine Procaccia . - Est-ce que des études ont été réalisées sur l'imprégnation d'Antillais qui quitteraient les Antilles pour venir en métropole ?

Mme Edwige Duclay . - Non, pas à ma connaissance.

Pour les personnes dont le dosage révèle une concentration en chlordécone supérieure à 0,4 ìg/L, un accompagnement personnalisé est proposé avec une visite à domicile, des conseils de professionnels de santé et de diététiciens et une nouvelle analyse après 9 mois.

Mme Catherine Procaccia . - Ce dispositif est déjà mis en place ?

Mme Edwige Duclay . - Cela vient de commencer.

M. Nassim Mekeddem . - En Guadeloupe, une cinquantaine de personnes ont pu bénéficier d'une visite à domicile.

Toutes les personnes qui font un dosage de chlordéconémie se voient proposer un accompagnement. Celui-ci est renforcé et personnalisé pour les personnes ayant une concentration en chlordécone dans le sang supérieure à 0,4 ìg/L.

Mme Edwige Duclay . - Au-dessus ou en-dessous de ce seuil, il est de toute façon important que chacun tente de réduire son imprégnation. Ce seuil permet de graduer et de cibler l'accompagnement mais l'objectif est toujours de la réduire.

Mme Victoire Jasmin, sénatrice . - Comment les tests sont-ils homologués ? Sont-ils tous aussi performants ?

Mme Edwige Duclay . - Les tests sont choisis pour être fiables dans les gammes de concentration les plus courantes.

M. Nassim Mekeddem . - Chaque laboratoire qui réalise des analyses de chlordéconémie met en place sa méthodologie en étalonnant ses appareils en comparaison avec d'autres laboratoires.

Mme Edwige Duclay . - Ces développements restent relativement récents. En Martinique, l'État a financé un appareil d'analyse. Il y a toute une procédure qui doit être suivie pour mettre en place la méthodologie et former les acteurs.

J'aimerais revenir sur la manière dont les citoyens et les associations sont associés au plan. Les citoyens ont tout d'abord pu participer à l'élaboration du plan grâce à la consultation publique. De plus, les Comités de pilotage locaux, qui sont animés par les préfets, regroupent les associations de consommateurs, les syndicats et les associations environnementales. Enfin, les citoyens sont évidemment associés grâce aux mesures qui leurs sont destinées (programme JaFa, analyses de chlordéconémie...).

Par ailleurs, l'appel à projets lancé par l'ARS Martinique a permis de retenir 12 lauréats qui pourront porter des messages auprès de la population afin de réduire l'exposition. On retrouve parmi les lauréats une certaine diversité avec la Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles (FREDON), un collège et un lycée, le Centre communal d'action sociale (CCAS) du Lorrain, le Groupement de défense sanitaire de la Martinique, l'Université des Antilles, le Carbet des sciences, les Familles rurales, la Fédération des associations agréées de pêche, une association qui fait de la formation pour les consommateurs des produits de la pêche, une association avec un projet de jardins partagés et l'association Le panier de Gabriel, aussi autour du jardin.

La mobilisation de la jeunesse nous semble également essentielle. Un jeu de société a été créé par des lycéens avec Jessica Oublié et sera remis à chaque établissement scolaire.

Mme Catherine Procaccia . - La méthode a changé, cela donne de l'espoir. J'espère qu'à l'issue des sept ans du plan chlordécone IV, la situation se sera améliorée.

Même si les chercheurs trouvaient une solution permettant de se débarrasser de la chlordécone à des prix acceptables, la dépollution prendra assurément un certain temps. Cette communication et ces actions sont donc essentielles.

Mme Edwige Duclay . - Oui, je pense qu'il faut donner de l'espoir.

IV. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 16 FÉVRIER 2023 D'EXAMEN DU RAPPORT

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. Chers collègues, nous nous retrouvons ce matin pour l'examen du rapport de Catherine Procaccia sur l'évolution de la contamination des Antilles par la chlordécone. Je voudrais commencer par remercier notre collègue, et cela pour trois raisons. La première est son souci d'effectuer un suivi approfondi d'un travail qu'elle avait mené pour l'Office avec Jean-Yves Le Déaut, dès 2009, il y a donc bientôt 14 ans.

Le rapport de l'époque avait eu un très fort impact dans la communauté scientifique et aux Antilles, ainsi que dans les sphères gouvernementales. Malheureusement, il a mis beaucoup de temps à être suivi d'effets. Il était donc très important d'en faire le bilan aujourd'hui et surtout de voir où en sont la contamination, la prise en charge des populations et les recherches sur cette molécule bien particulière. Cette action de suivi doit être un modèle pour les rapports de l'Office.

La deuxième raison de vous remercier tient aux deux très intéressantes auditions publiques que vous avez organisées devant l'Office, en février et octobre dernier, avec des interlocuteurs de grande qualité, certains connectés depuis les Antilles, où ces auditions ont d'ailleurs été très remarquées.

Enfin, la troisième est votre participation au colloque scientifique, consacré à la chlordécone, qui s'est tenu, en Guadeloupe, au mois de décembre. Je sais que votre participation a été très appréciée, qu'elle a donné, à travers vous, une excellente image de l'Office. Je tiens donc à vous en remercier. Sans aller plus loin, je vous laisse la parole pour nous présenter votre rapport.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. Merci, Monsieur le Président. C'est moi qui dois remercier l'Office de m'avoir permis de suivre ce dossier depuis autant d'années et d'avoir mis en place ce suivi.

La chlordécone est un pesticide, qui a été notamment utilisé en Guadeloupe et en Martinique, entre 1972 et 1993, pour lutter contre le charançon, un insecte qui détruisait les plantations de bananes. Trente après son interdiction, en raison de sa rémanence, cette molécule contamine toujours les deux départements. La découverte de son impact sur les sols, sur l'eau, sur la flore, sur la faune, sur l'Homme et sur ses activités ont fait de la lutte contre cette pollution un enjeu majeur, mais seulement depuis la fin des années 2000.

À l'époque, avec Jean-Yves Le Déaut, alors président de l'Office, nous avions établi un premier rapport. Nous qualifiions alors la chlordécone d'alien chimique. Nous évoquions un accident environnemental susceptible de s'étendre sur plusieurs siècles, mais nous précisions bien que ce n'était qu'en poursuivant des études scientifiques et médicales que nous pourrions mesurer l'impact sanitaire sur la population.

Treize ans après la publication de notre rapport, j'ai souhaité faire le point sur les études scientifiques et médicales qui ont été menées et évaluer les progrès des connaissances, particulièrement sur les possibilités de dépollution des sols, de sécurisation des ressources agricoles et sur les conséquences sanitaires et sociales.

J'ai organisé deux auditions publiques sous forme de tables rondes, avec des chercheurs, les services de l'État, des représentants politiques et des associations locales de citoyens. La première, le 17 février, a permis de faire le point sur les recherches en matière de dépollution et sur les conséquences environnementales et agricoles de cette contamination ; la seconde, en octobre, sur ses conséquences sanitaires et ses répercussions sociales.

Je me suis également rendue en Guadeloupe pour les rencontres Chlordécone 2022, qui ont rassemblé l'ensemble de la communauté des chercheurs engagés sur cette thématique, une communauté relativement réduite. Au cours de ces trois jours très denses, les chercheurs nous ont présenté leurs derniers résultats et les recherches qui restent à mener. J'ai complété ces travaux par cinq auditions rapporteur auxquelles j'avais convié mes collègues et certains ont pu y assister. Je précise que les procédures judiciaires en cours n'ont jamais interféré avec nos travaux.

Dans un premier temps, je vous présenterai l'état des connaissances sur la contamination aux Antilles, puis les solutions qui ont été développées et je terminerai par la mise en oeuvre des actions de l'État.

En 2009, lors de la publication de notre premier rapport, les études indiquaient une faible dégradation de la molécule en conditions naturelles et l'impossibilité technique de la détruire. L'élimination de la chlordécone ne reposait que sur sa diffusion dans l'environnement. Alors, les prédictions évaluaient une durée de contamination des sols antillais pouvant aller jusqu'à sept siècles, avec une rémanence dépendant fortement des types de sols, qui sont volcaniques aux Antilles. C'est donc avec autant d'étonnement que de satisfaction que j'ai appris que les perspectives avaient évolué.

Plusieurs travaux ont mis en évidence une dégradation naturelle de la chlordécone et ont montré que sa concentration dans les sols diminuait plus rapidement qu'escompté. Les sols antillais pourraient ainsi présenter, d'ici la fin du siècle, des taux inférieurs aux limites de détection actuelles. Pour autant, ces travaux doivent être appréciés avec prudence. Comme j'ai pu le mesurer lors du colloque scientifique, il n'existe pas vraiment un consensus clair, dans la communauté scientifique, sur ce sujet. Seules des études complémentaires pourront confirmer ces résultats et j'espère, ne pas les infirmer.

En 2009, nous avions insisté sur la cartographie des sols. Malheureusement, ce travail indispensable n'a pas été effectué en totalité. Celle qui a été réalisée à ce jour ne couvre qu'une faible partie des territoires antillais. Cela s'explique par le choix de faire reposer les cartographies sur les seules analyses gratuites de sols, proposées aux agriculteurs et non imposées, et aux propriétaires de jardins familiaux, dans le but qu'ils adaptent leurs pratiques agricoles à un éventuel taux de contamination des terres.

À l'époque, nous avions aussi un autre sujet de préoccupation. Nous avions découvert que la chlordécone utilisée aux Antilles ne représentait qu'une faible part de la production de cet insecticide. Interdit sur le sol américain, après un accident industriel, cet insecticide a cependant continué à être fabriqué et utilisé ailleurs dans le monde. Une proportion très importante avait été transformée et vendue dans différents pays du bloc communiste contre le doryphore de la pomme de terre.

Malgré nos recommandations et le souhait d'une coopération scientifique internationale, aucune enquête n'a été conduite à l'étranger et en Europe. Seulement très récemment, une étude, menée par l'Union européenne, a étudié 3 431 échantillons de sol et n'a pas trouvé de trace de chlordécone. En 2009, des traces avaient été trouvées dans l'eau en Allemagne.

J'en viens aux modalités de contamination des milieux par la chlordécone, d'abord à la contamination de l'eau.

Bien que la chlordécone présente une forte affinité pour la matière organique et soit peu soluble dans l'eau, elle peut être lessivée à petites doses par les flux pluviométriques. Elle est alors majoritairement transférée vers les aquifères, qui se retrouvent fortement contaminées. Ceux-ci contribuant au débit des rivières, ces dernières se trouvent également touchées, de même que les eaux de source.

De récents travaux ont montré que le temps de résidence des eaux au sein des aquifères, aux Antilles, pouvait être de plusieurs dizaines d'années. Aussi, même après la disparition de la chlordécone contenue dans les sols, la pollution des eaux se poursuivra pendant plusieurs dizaines d'années, le temps d'épuiser les stocks contenus dans les aquifères.

Naturellement, cette contamination se répercute dans les eaux marines. Elle diminue avec l'éloignement de la côte. Elle varie en fonction des saisons, les apports de chlordécone étant forcément plus importants en période pluvieuse. Les espèces marines sont alors impactées au travers de deux mécanismes. D'une part, le mécanisme de balnéation, qui représente la source majeure de contamination à proximité de la côte, dans la mangrove et les herbiers, et qui dépend de la concentration de chlordécone dans l'eau. D'autre part, par voie trophique, du fait de l'ingestion des proies contaminées, ce qui explique la contamination d'espèces dans des milieux éloignés, même si l'eau est faiblement polluée.

J'ai été particulièrement interpellée par la découverte de chlordécone dans plusieurs poissons, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis. Jamais cela n'avait été évoqué jusqu'à présent. Même si les concentrations sont faibles, cette contamination interroge, puisque la chlordécone n'a a priori jamais été utilisée dans ces territoires et qu'elle est interdite depuis plus de 30 ans.

Concernant la contamination des végétaux, la chlordécone, présente dans le sol, se transfère dans les racines et tubercules qui poussent dans le sol et, dans une moindre mesure, dans les légumes qui poussent en contact avec la terre, comme les cucurbitacées et les salades. La contamination varie selon le type de sol et la nature de la plante. En revanche, un fruit ou un légume, qui pousse en hauteur, même en terre contaminée, ne l'est pas. Je rappelle que les terres contaminées sont celles sur lesquelles poussaient les bananiers où la chlordécone était déposée à leurs pieds, mais la banane, puisqu'elle pousse en hauteur, n'a jamais été contaminée.

Après la contamination de l'eau et des végétaux, j'en viens à celle des animaux. Ils peuvent être naturellement contaminés par l'eau ou par l'ingestion d'aliments eux-mêmes contaminés, mais aussi et surtout par l'ingestion involontaire de terres polluées. Cette contamination varie en fonction des espèces. Le comportement exploratoire des poules et l'activité de fouissage des porcs entraînent une ingestion particulièrement élevée, mais cela concerne aussi les bovins, qui peuvent ingérer de la terre en broutant.

Il faut noter que les effets de la contamination sur la biodiversité n'ont été jusqu'à présent quasiment pas étudiés. Ce domaine me paraît devoir être investi à l'avenir, dans une approche One Health , la santé des humains, des animaux, des écosystèmes étant liée et interdépendante.

En mangeant des légumes racines, des viandes, des oeufs ou des poissons contaminés, ou en buvant des eaux polluées, les Hommes se trouvent eux-mêmes contaminés par la chlordécone, sans oublier les travailleurs des bananeraies, qui, jusqu'en 1993, manipulaient cette poudre sans protection.

Après vous avoir exposé les mécanismes de cette pollution, je vais vous présenter les pistes qui ont été développées pour y faire face. En 2009, un consensus existait sur la très grande difficulté de dégrader la chlordécone. Diverses équipes de recherche ont continué à travailler sur plusieurs méthodes pour la détruire.

Les nouvelles recherches qui nous ont été présentées ont montré que dans des conditions de laboratoire spécifiques, plusieurs souches de bactéries pouvaient dégrader la chlordécone. Les molécules formées au cours de ces dégradations en laboratoire sont également présentes dans des échantillons de sols et d'eaux aux Antilles, prouvant l'existence d'une certaine dégradation naturelle de la chlordécone. Des travaux complémentaires sont en cours et ils sont indispensables, afin de déterminer s'il est possible de stimuler cette dégradation dans les conditions réelles de terrain.

Une seconde méthode repose sur l'ajout de réducteurs chimiques dans les sols, en l'occurrence du fer zéro valent. Cela permet de réduire de manière relativement importante la concentration en chlordécone du sol et cette méthode a montré son efficacité en conditions réelles. C'est en quelque sorte une chimiothérapie du sol. Cependant, la dégradation n'a lieu que dans la couche superficielle du sol, dans les quarante premiers centimètres. Aussi, cette technique réduit le transfert de la chlordécone vers les cultures, ce qui est une bonne chose, mais elle est peu efficace pour les transferts vers l'hydrosphère. De plus, les résultats obtenus sur les sols de type andosols sont plus modestes, alors qu'ils représentent la moitié des sols contaminés. Enfin, le coût associé est important, 160 000 euros par hectare, soit 3,2 milliards d'euros, dans l'hypothèse de 20 000 hectares contaminés.

Les recherches sont donc encore nécessaires avant de disposer d'une réelle solution de dépollution. Lorsque des résultats de laboratoire sont prometteurs, il me paraît essentiel de faciliter et de financer la mise en place des études en conditions réelles de terrain. Il apparaît aussi indispensable que les produits de transformation issus de ces méthodes soient analysés. Naturelle ou artificielle, la dégradation de la chlordécone entraîne la formation de produits de transformation, dont certains présentent une structure relativement similaire à celle de la chlordécone. La toxicité de ces produits et leurs propriétés doivent être étudiées, afin d'évaluer leur rémanence et leur transfert vers l'eau et les plantes. À l'heure actuelle, les informations disponibles sur ces composés sont relativement succinctes.

Pour la pollution de l'eau, les filtres à charbon actif sont assez efficaces. Ils assurent une décontamination des eaux de consommation. Même si quelques non-conformités continuent d'être constatées, probablement en raison d'un retard dans le remplacement de ces filtres, cette technique est efficace. Les efforts doivent être faits par les autorités pour éviter des restrictions d'usage ou interdictions temporaires de l'usage de l'eau, qui ont des incidences, notamment sur les personnes les plus vulnérables qui ne peuvent pas aller acheter de l'eau en bouteille, et pour éviter que les Antillais utilisent les eaux de source qui, elles, sont polluées et ne sont pas systématiquement contrôlées.

Face à la difficulté de dégrader la chlordécone présente dans les sols, une alternative est de séquestrer la molécule dans les sols, afin de réduire son transfert vers les plantes. Les recherches ont montré que les amendements de compost permettent de réduire de plus de 50 % la contamination de légumes, comme les radis qui sont dans le sol ou les concombres qui affleurent le sol. L'inconvénient est que le compost doit être renouvelé régulièrement et que la chlordécone est seulement immobilisée et non détruite.

Une piste pleine d'espoir repose sur l'utilisation de charbons d'origine végétale, dénommés biochars, notamment issus des sargasses pyrolysées. Ce serait une merveilleuse solution pour résoudre deux problèmes antillais.

Il n'y a sans doute pas une solution unique pour réduire la contamination liée à la chlordécone, mais diverses méthodes de dépollution. En attendant, des conseils permettent de vivre en évitant aux populations d'ingérer de la chlordécone. Les consommateurs sont invités à laver minutieusement et à éplucher généreusement leurs légumes, afin de réduire leur exposition. Agriculteurs et jardiniers sont invités à adapter leurs cultures en fonction de la contamination de leurs parcelles, puisque les plantes ne sont pas toutes impactées par un sol contaminé.

Les bonnes pratiques sont diffusées depuis 2010, au travers d'un programme appelé Jafa, qui propose aux Antillais propriétaires de jardins familiaux de bénéficier de l'analyse gratuite de leurs sols et de conseils agricoles et nutritionnels pour limiter leur exposition.

En matière d'élevage, la décontamination de l'animal, avant son abattage et sa consommation, est possible en le déplaçant sur des sols non pollués ou dans des élevages hors-sol. La faisabilité pratique dépend de la durée d'élevage de l'animal et de la durée nécessaire pour la décontamination. Pour les bovins, un outil d'aide à la décision permettant d'estimer la durée de décontamination à partir d'une simple prise de sang a été mis au point. Cette technique doit être développée plus largement parmi les agriculteurs aux Antilles.

Pour les produits de la pêche, des zones de restriction et d'interdiction, tant en milieu marin qu'en eau douce, ont été élaborées. Un dispositif de macaron a été mis en place pour les pêcheurs professionnels engagés dans une démarche de traçabilité de leurs produits.

Des campagnes de contrôle et des études ont montré que les risques étaient relativement limités pour les produits alimentaires issus des circuits officiels. En revanche, les auto-consommateurs de poissons, de crustacés, de tubercules et d'oeufs, résidant en zone contaminée, sont beaucoup plus exposés. Il est à déplorer que le contrôle des produits issus des circuits informels soit quasi inexistant et que les études leur étant consacrées soient très limitées. J'ai d'ailleurs positivement noté que les recommandations alimentaires émises par l'AFSSA, dès 2007, sont efficaces pour réduire le niveau d'exposition.

J'en viens à l'exposition de la population et aux effets sanitaires. D'après les prélèvements réalisés dans le cadre de l'étude Kannari, en 2013-2014, la molécule était détectée dans le sang de plus de 90 % des Antillais. 14 % des adultes guadeloupéens et 25 % des adultes martiniquais dépassaient le seuil de 0,4 microgramme par litre, récemment établi par l'ANSES comme la valeur toxicologique de référence en-dessous de laquelle, sur une longue période, le risque d'apparition d'effets néfastes dans la population est jugé négligeable.

Il faut préciser qu'en l'état actuel des connaissances, une chlordéconémie élevée ne signifie pas nécessairement des impacts futurs sur la santé et que ce dosage ne peut être considéré comme un outil de médecine prédictive. C'est d'ailleurs grâce à un amendement sénatorial de notre collègue Victoire Jasmin que chaque habitant antillais a dorénavant la possibilité de se faire doser gratuitement la chlordécone dans le sang. Cela va permettre aux scientifiques de mieux suivre l'imprégnation de la population, avec des éléments récents, puisque les chiffres que j'ai cités tout à l'heure sont tirés d'études menées il y a dix ans. Nous pourrons sans doute engager des actions de prévention, en fournissant des conseils adaptés aux personnes dont l'imprégnation est élevée.

J'en viens aux effets sanitaires, qui sont le coeur du sujet de la pollution à la chlordécone. Des études menées depuis 2004 établissent une forte présomption entre l'exposition à la chlordécone et la survenue de cancers de la prostate, même si le taux d'incidence de ce cancer est plus élevé chez les populations d'origine subsaharienne et ce, quel que soit le pays dans lequel elles vivent. Le cancer de la prostate a donc été inscrit au tableau des maladies professionnelles pour les agriculteurs et salariés des bananeraies. Cependant, seules quarante demandes ont été déposées, à ce titre, depuis la fin de l'année 2021.

Il est à regretter que peu d'études sur d'autres formes de cancer aient été conduites jusqu'à présent, malgré le rôle de promoteur tumoral de la chlordécone. Des travaux sont en cours sur un éventuel lien avec la survenue de myélomes multiples ou de lymphomes non hodgkiniens et sur d'éventuels effets hépatiques.

Par contre, des études avaient été lancées très rapidement sur les effets de la chlordécone sur la grossesse et le développement de l'enfant. La cohorte mère-enfant, appelée Timoun, avait montré que l'exposition à la chlordécone était associée à un risque accru de prématurité, mais également que l'enfant, exposé dans le ventre de sa mère et post-natalement, pouvait connaître des impacts hormonaux, ainsi que sur son développement staturo-pondéral et sur son neuro-développement. Cette étude se poursuit maintenant sur la même cohorte à l'âge péri-pubertaire.

Concernant la fertilité, qui avait été montée en épingle, il y a une dizaine d'années, aucun impact chez l'homme n'a été mis en évidence. Des études sont enfin en cours chez la femme.

Comment l'État a-t-il géré la situation ? Il l'a gérée à travers des plans chlordécone, qui se succèdent depuis 2008. Dans les trois premiers plans, les aspects environnementaux et économiques ont été négligés. Les instances de gouvernance et les dispositifs de financement ont été trop complexes, trop administratifs et peu efficaces, la communication envers les populations particulièrement défaillante. Ne parlons pas du pilotage de la recherche, inefficace au regard de l'ampleur des enjeux.

Des recherches ont certes permis de réduire l'exposition des populations, grâce à l'appréhension de la contamination des écosystèmes et des conseils alimentaires, mais les effets sanitaires de cette exposition, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, restent mal connus, après pourtant tant d'années de pollution. Ce n'est pas moi qui l'affirme seule, mais les évaluations administratives des plans I, II et III, qui ont estimé que les actions de l'État ont été tardives, inadaptées à l'ampleur de la pollution, et qu'elles auraient nécessité une stratégie à longue échéance.

S'agissant de la recherche, un véritable appel à projets a enfin été lancé l'année dernière. Ce n'est pas faute de l'avoir régulièrement demandé personnellement aux différents ministres, au titre de l'Office ou au titre du Sénat. Ces différentes défaillances confortent le sentiment de colère et de défiance de la population antillaise qui vit la situation comme un scandale. Cela se traduit par des difficultés d'adhésion aux dispositifs et aux recommandations émis par les services de l'État et par extension, par une défiance envers les institutions et le personnel politique de tous niveaux. Nous pouvons comparer les difficultés d'adhésion aux recommandations nutritionnelles permettant de réduire l'exposition à la chlordécone au refus de se faire vacciner aux Antilles.

Pour reconstruire cette confiance, les sciences humaines et sociales, qui ont été jusqu'à présent oubliées, doivent maintenant être mobilisées. Elles devraient nous permettre d'augmenter l'adhésion aux recommandations alimentaires qui, bien qu'efficaces et connues depuis plus d'une dizaine d'années, peinent à être pleinement adoptées par la population. Elles devraient indiquer une nouvelle manière de communiquer envers la population et faire accepter l'idée que l'on peut vivre sur des terres polluées à la chlordécone, tant que la science n'a pas trouvé une solution pour la dépollution.

Le plan chlordécone IV, lancé l'année dernière, semble tirer un certain nombre d'enseignements des plans précédents. Il a été, pour une fois, construit en associant les services de l'État, les collectivités locales, les représentants de la société civile, les organisations professionnelles et a permis aux citoyens de s'exprimer sur le projet de plan, à travers une consultation publique. Les instances de gouvernance intègrent, en plus du comité de pilotage stratégique national, des comités de pilotage locaux, présidés par les préfets et associant l'ensemble des parties prenantes : élus, professionnels agricoles, professionnels de santé, experts, associations environnementales et consommateurs. Un poste de directeur de projet chargé de la coordination interministérielle a été créé pour assister les directeurs généraux des outre-mer et de la santé.

Le budget annuel de ce plan 4 est supérieur de 20 % à celui du premier plan chlordécone. La recherche bénéficie aussi d'une nouvelle structuration et de près d'un tiers du budget prévisionnel du plan. Il a permis de lancer ce premier appel à projets, déjà évoqué, soutenu par l'ANR mais aussi par la collectivité territoriale de Martinique et la région Guadeloupe, que nous appelions, scientifiques et Office, de nos voeux, depuis de nombreuses années. Enfin, les sciences humaines et sociales y trouvent leur place.

Un bilan du plan, indiquant l'avancement des différentes mesures, leur exécution budgétaire et les résultats des analyses conduites, sera publié annuellement. Des ateliers et des activités pédagogiques, destinés à sensibiliser les populations aux problématiques liées à la chlordécone et aux méthodes pour se prémunir d'une contamination, commencent à être mis en place, ainsi que des actions de formation déployées auprès des professionnels de santé, des enseignants et des éco-délégués, qui pourront prendre le rôle de relais de confiance, qui n'existe pas pour l'instant auprès de la population.

J'en viens à mes conclusions et mes recommandations. Le rapport en comporte 24 ; je ne vais pas toutes les citer. Je les ai regroupées autour de quatre axes : la recherche, la communication, la chlordéconémie et le suivi.

Du point de vue de la recherche, je suis satisfaite de constater des progrès depuis 2009, mais les résultats ne sont pas à la hauteur de la situation et des attentes de la population, sans compter que certaines études, en particulier sanitaires, s'appuient sur des résultats d'il y a dix ans. Il est primordial d'obtenir une vision plus complète des risques auxquels la population est exposée, y compris concernant les effets cocktails de la chlordécone avec d'autres pesticides, et de tenter, puis de développer, des solutions de remédiation et de réduction de l'exposition.

Des appels à projets entièrement consacrés à cette thématique doivent être lancés régulièrement. On ne peut pas se limiter à un seul appel à projets d'envergure, ce qui, en 13 ans, ne fait pas beaucoup. Sincèrement, je félicite les chercheurs, peu nombreux sur ce créneau qui, pendant toutes ces années, n'ont pas abandonné leurs travaux. Aujourd'hui, je crois essentiel que les résultats de laboratoire prometteurs soient appliqués aux conditions réelles de terrain, afin de valider les solutions de dépollution, puis leur utilisation comme outil, pour mieux protéger la population, qui verra ainsi que les choses évoluent enfin dans le bon sens.

En attendant, les connaissances actuelles fournissent d'ores et déjà de nombreux outils pour prévenir la contamination et minimiser les risques. Il est essentiel que les solutions existantes puissent être pleinement appliquées, car si elles ne le sont pas, c'est parce que la communication a été déficiente, tout comme la crédibilité de l'État. Toute la population doit être informée et s'approprier les solutions et les dispositifs existants. Pour cela, la communication doit être repensée. Elle doit être construite avec les acteurs locaux, qui sauront tenir compte des réalités socioculturelles des Antilles. Elle doit surtout sortir du cadre très limitatif qui était le sien et s'appuyer sur ceux qui pourront servir de médiateurs de confiance.

Les données obtenues via les analyses de chlordéconémie doivent pouvoir être utilisées par la recherche pour acquérir de nouvelles connaissances sur les liens entre exposition alimentaire et imprégnation et étudier les déterminants de cette imprégnation et de la variabilité interindividuelle qui existe. Il faut en faire un outil de dialogue avec la population, afin de mieux diffuser les recommandations alimentaires, tout en rassurant les Antillais. J'ai par exemple suggéré de suivre une cohorte d'étudiants qui viennent en métropole, afin de confirmer que la disparition de la chlordécone, en ne mangeant plus d'aliments contaminés, est effective.

Enfin, compte tenu de la durée du plan chlordécone IV, de sept ans, une évaluation externe à mi-parcours devra être conduite, pour effectuer les réorientations nécessaires à temps et non pas attendre la fin du plan, comme auparavant.

En conclusion, je dirais que ce qui est arrivé aux Antilles doit servir de modèle afin que l'État apprenne à gérer les pollutions que nous ne manquerons pas de découvrir en France, sur des territoires plus ou moins étendus. Jusqu'à présent, la liste des erreurs était plus longue que celle des actions efficaces. Une vision globale à long terme, associant tous les acteurs et la population, est nécessaire. La recherche, qui est la seule façon de trouver des solutions, doit être soutenue sans arrêt.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. Merci, chère collègue, pour cette présentation très complète qui vient parachever un travail de longue haleine et qui permet véritablement de faire un point d'évaluation et un point de situation. Je suppose que cette présentation appelle un certain nombre d'interrogations et de questions.

M. Hendrik Davi, député. Merci pour ce travail remarquable et très intéressant. Je voulais rebondir sur quelques aspects.

En premier lieu, ce cas d'étude mérite d'être analysé pour voir comment nous pourrions faire mieux dans le futur. Combien de temps s'est écoulé entre le lancement de l'alerte, le moment où nous avons su que ce produit était dangereux, et le moment où l'État a agi pour l'interdire ? Ensuite, est-ce qu'il existe encore des risques que ce produit soit utilisé sur le territoire français, bien qu'il soit interdit ? Le deuxième point, qui me semble important en termes de cas d'étude, concerne le pilotage de la recherche. Ce sujet est le deuxième sur lequel nous discutons et sur lequel ceux qui travaillent dans le domaine nous disent que le pilotage de la recherche, en France, ne fonctionne pas. Sur la rénovation thermique des bâtiments, on nous avait dit qu'à l'ANR, les chercheurs avaient quitté ce domaine parce qu'il n'était pas assez attractif. Vous savez que je défends la suppression de l'Agence nationale de la recherche, mais un débat est rouvert, avec la ministre, sur le rôle des instituts de recherche. Le Président avait parlé d'agences de moyens ou d'agences de pilotage. Je crois que ce débat est de nouveau sur la table. Pour ma part, je reste persuadé que le meilleur pilotage est au niveau des instituts de recherche finalisée, qui ont la capacité de savoir comment faire ces recherches. Il convient de renforcer, au fil des appels d'offres, les communautés scientifiques qui travaillent spécifiquement sur ces questions, par des embauches, etc. Au sein des instituts de recherche, nous pouvons avoir des champions. C'est assez facile sur ces questions environnementales, en matière de sols, pollutions, etc. parce qu'on a l'Inrae qui peut faire office de leader et peut organiser la recherche sur ces questions. Je pense qu'il faut leur redonner le rôle de pilotage et la confiance pour piloter ces sujets.

Ce peut être par ailleurs un problème plus global de recherche sur la santé environnementale. Nous n'avons jamais été très bons, sur ces sujets, en France. Il faut peut-être réfléchir entre l'Inserm, les CHU. Sur de nombreuses questions liées à la cancérologie, nous manquons de données.

Je finirai juste par une question plus scientifique sur la bioaccumulation qui est l'un des problèmes essentiels et l'un des principes forts, en éco-toxicologie. Parfois, un polluant qui n'est pas présent en très grande quantité va se bio-accumuler dans certains tissus et s'y retrouver très concentré. Je n'ai pas entendu parler de bioaccumulation dans le cadre de la chlordécone. Je voulais savoir si des recherches avaient été faites en la matière.

Merci pour ce travail, qui sera utile à tous les acteurs.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . La chlordécone a été interdite en 1990 sur le sol français, sauf aux Antilles, qui a pu l'utiliser trois ans de plus, parce qu'à l'époque, il n'existait aucune méthode pour lutter contre le charançon qui détruisait les bananeraies. Or à l'époque - et encore maintenant -, les bananes étaient l'essentiel de la production et de la richesse. Détruire les bananeraies signifiait détruire des emplois. Différents ministres ont ainsi accordé des dérogations. Ces trois ans avant l'interdiction sont critiqués. Compte tenu de tout ce que j'ai appris depuis dix ans, trois ans de plus ou trois ans de moins n'auraient rien changé à la pollution des sols, puisque les sols étaient pollués depuis le début de l'utilisation de la chlordécone et que, 40 ans plus tard, elle est encore dans le sol. Par contre, les premières inquiétudes ne se sont manifestées qu'à la fin des années 1990 et les premières études ont été lancées au début des années 2000. Le délai a été tout de même très long.

Il faut aussi tenir compte de l'état des connaissances. À la fin du XX e siècle, nous n'avions pas les connaissances que nous avons maintenant. Vous avez parlé tout à l'heure, par exemple, d'écotoxicité. Dans les années 2000, très peu de spécialistes, de chercheurs, s'intéressaient à cette notion. Concernant la bioaccumulation, elle est particulièrement visible chez les animaux marins. Les connaissances ont beaucoup évolué. Pendant les auditions, l'année dernière, j'ai entendu parler pour la première fois des oeufs, alors que jusqu'à présent, aucun conseil alimentaire ne recommandait de ne surtout pas en manger. Aux Antilles, l'alimentation est pour beaucoup une auto-alimentation, avec des poules qui se promènent partout. Toutes les terres ne sont pas polluées, mais dans les régions où les terres sont polluées, cela est une difficulté.

Comme je le disais, il est problématique de ne pas avoir fait la cartographie de l'ensemble de la pollution des sols. Si elle avait été faite, nous saurions qu'à tel endroit, il est possible de manger des oeufs et d'autres aliments. Cette cartographie est uniquement basée sur le volontariat, sans compter qu'une parcelle peut contenir de la chlordécone à un endroit et pas à un autre, parce qu'un bananier était planté à tel endroit. C'est une vraie préoccupation. Nous avons la carte des bananeraies de l'époque ; beaucoup d'entre elles ont disparu et ont été remplacées par des immeubles, avec au pied, des jardins familiaux. Les mesures sont assez difficiles à réaliser.

Concernant l'ANR, je ne vais pas prendre position, mais j'ai toujours considéré qu'au sujet de la chlordécone, il y avait une dichotomie complète entre les appels d'offres de l'ANR et les préoccupations de l'État, qui lançait des plans chlordécone, mais qui ne donnait pas les moyens. L'ANR répond qu'ont toujours été financés des petits bouts de programme sur la chlordécone. Nous ne savons pas pourquoi tel programme était choisi. Quelques années plus tard, des chercheurs me contactaient en me disant qu'il leur manquait 20 000 euros pour avoir tel instrument pour approfondir une piste de dépollution et qu'ils n'arrivaient pas à les obtenir. J'avais beau écrire, nous n'avons jamais pu les obtenir.

Le taux de succès à l'ANR a légèrement augmenté, même s'il reste bien moindre que dans d'autres États. Depuis 10 ou 15 ans, l'État a toujours déclaré que la chlordécone, aux Antilles, était une priorité. Désormais, il existe un véritable appel à projets sur la chlordécone, mais j'estime qu'il y a un réel écart entre les grandes options de l'État et les choix qui ont été faits.

L'ANR était présente en Guadeloupe et nous avons pu échanger lors du colloque de décembre. J'ai l'impression que sur la chlordécone, ils souhaitent envisager les choses différemment. Certains projets ont été retenus, d'autres retoqués. Naturellement, les chercheurs retoqués ne comprennent pas toujours pourquoi, mais l'ANR va réétudier les dossiers et peut-être leur redonner une chance, parce que la recherche doit partir tous azimuts. Cette pollution concerne tout le monde, tous les secteurs. Il faut donc que les recherches puissent continuer et non pas, ce que je crains, après le grand appel à projets de l'année dernière, retourner vers des petits bouts de programme. Il y a vraiment un suivi à faire. J'ai eu le sentiment d'une prise de conscience un peu plus importante. Les chercheurs avec lesquels je me suis entretenue étaient plutôt contents, certains même surpris de l'ampleur du financement de leur projet. Pourvu que cela dure ! Nous avons déjà eu, par le passé, à l'Office, un débat sur le fonctionnement de l'ANR et les appels à projets.

S'agissant de la santé environnementale, l'approche plus globale commence tout juste d'être évoquée. Au début, la chlordécone était uniquement dans la terre, pour se rendre compte, quelques années plus tard, qu'elle était dans l'eau, quelques années plus tard, qu'elle allait jusque dans les mers, quelques années plus tard, qu'elle touchait des poissons, y compris en pleine mer et non pas seulement au bord des embouchures.

Ces études ont permis de montrer que l'on peut vivre sur une terre avec de la chlordécone, avec un certain nombre de précautions et de conseils. Les précautions alimentaires pour les Hommes ont été édictées dès 2007. Il était notamment demandé de ne pas manger plus de deux à trois fois par semaine des légumes racines. Ceux qui ont suivi ces recommandations se retrouvent avec un taux de chlordécone bien moindre. Néanmoins, nous ne savons pas, en matière sanitaire, quels sont les réels impacts de la chlordécone. Aux Antilles, la population accepte difficilement que les impacts de la chlordécone puissent être inférieurs à ceux de n'importe quelle autre pollution. Or en prenant ces précautions alimentaires, la population pourrait avoir moins de soucis, mais toute la culture antillaise et les circuits d'autoconsommation et informels font qu'il reste encore beaucoup de chlordécone. Je trouve que les chercheurs ont fait des progrès en matière de remédiation des sols, mais il faut que ces progrès soient validés à l'épreuve de la réalité du terrain et sortent des laboratoires. Ces recherches donnent des espoirs, mais si ces espoirs ne se concrétisent pas, la situation sera encore pire pour la population.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office . Merci Catherine, de ton engagement, de ton travail et de l'indépendance d'esprit qui te caractérise et qui permet d'avoir un document qui, je crois, fera autorité et honorera le travail collectif de l'Office parlementaire. J'ai une question technique. Tu as évoqué, pour le traitement des sols pollués, l'utilisation du biochar. Comme ce sujet m'intéresse, je voulais savoir de quoi il s'agissait exactement en ce qui concerne la chlordécone et comment le lier à la pyrolyse ou à la torréfaction des sargasses.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur . Les sargasses sont pyrolysées et sont déposées ensuite comme amendement. Le biochar absorbe la chlordécone. Des recherches et des expériences ont été faites sur le terrain. Maintenant, il faudrait que cela puisse être fait à grande échelle. Mais je ne sais pas si la pyrolyse des sargasses peut être faite localement à grande échelle et si ces îles disposent des équipements nécessaires.

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office. Merci pour ce rapport très intéressant. Nous savons combien ce sujet est important pour nos amis ultramarins. Il existe aujourd'hui une défiance très importante de la population ultramarine vis-à-vis de la sincérité et de l'engagement de l'État. Nous l'avons constaté à travers le faible taux de personnes vaccinées et un refus massif, lié à cette défiance. Vous avez évoqué la faiblesse des financements, la lenteur des recherches, les tergiversations et l'insuffisance de la cartographie. Est-ce que le plan 4, qui est présenté, vous semble de nature à rassurer sur l'engagement de l'État et à permettre de retrouver une confiance républicaine de la part de la population ? Est-il de nature à calmer et à rassurer ? La question essentielle est de savoir comment éviter de nouvelles catastrophes et comment faire mieux dans le futur, mais avant de parler de futur et d'ailleurs, comment aujourd'hui, ici et maintenant, aux Antilles, ce plan chlordécone IV peut-il rassurer ?

Est-ce que vous pouvez nous éclairer, même si vous avez donné déjà des éléments importants d'appréciation, tout en sachant que j'ai été surpris par le très faible nombre de personnes ayant saisi les autorités médicales pour le cancer de la prostate, une quarantaine, alors que nous pouvions nous attendre, la porte étant ouverte, à un nombre beaucoup plus important de dossiers. Merci de ce retour de terrain.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. Le plan 4 me paraît, sur le papier et en présentation, enfin, un peu plus complet, un peu plus engageant de la part de l'État et avec surtout une meilleure coordination des services. La faillite des précédents plans, bien que faillite soit peut-être un mot excessif, s'explique par le fait que chacun des secteurs de l'État faisait ses recommandations et prenait ses décisions. Ce plan 4 permet une coordination. J'espère que celle-ci sera un peu plus efficace et que l'État travaillera enfin avec les acteurs locaux et avec les collectivités.

Je crois que l'efficacité viendra si les acteurs locaux sont des relais. Ces relais ne sont pas les politiques sur place, mais plutôt des associations. Je suis allée à des réunions d'agriculteurs et j'ai vu l'engagement des équipes agricoles locales. Je pense que c'est par l'engagement des acteurs locaux que nous réussirons à convaincre. Par exemple, sur la chlordéconémie, j'ai demandé à mes collègues d'outre-mer sénateurs, s'ils s'étaient fait tester et ils m'ont répondu qu'ils n'avaient pas eu le temps. Il faut qu'ils s'engagent. Ils pourraient montrer qu'ils se sont fait tester, qu'ils n'ont pas de chlordécone dans le sang ou, s'ils en ont un peu, refaire un test six ou huit mois plus tard, en disant qu'ils ont évité de manger trop d'igname, ou qu'ils n'ont acheté que du poisson dont ils connaissaient la provenance et qu'ils n'ont plus de chlordécone dans le sang. Il faut que l'engagement des acteurs locaux soit vraiment réel.

Concernant les cancers de la prostate, la chlordécone expliquerait entre 5 et 7 % de cancers supplémentaires de la prostate. Le cancer de la prostate ne survient pas à 30 ou 40 ans et l'indemnisation est limitée aux travailleurs des bananeraies. Si le travailleur avait 20 ans quand la chlordécone a cessé d'être utilisée, il a tout juste 50 ans aujourd'hui. Le cancer de la prostate va peut-être se développer plus tard, à l'âge où les hommes déclarent, en métropole ou ailleurs, des cancers de la prostate. Ce peut être une explication. Par ailleurs, la communication sur la possibilité de bénéficier d'une indemnisation et d'une prise en charge du cancer de la prostate n'a sans doute pas été très efficace.

Nous allons peut-être découvrir que l'alerte, qui avait été faite en 2009, sur le cancer de la prostate, n'est pas la conséquence la plus importante et que d'autres maladies et d'autres cancers peuvent être liés, non seulement à la chlordécone, mais à l'effet cocktail de plusieurs pesticides dont parlent de plus en plus les chercheurs et médecins. Lorsque la chlordécone a été interdite, d'autres pesticides, qui n'étaient pas très efficaces contre le charançon, ont été utilisés. Depuis maintenant une quinzaine d'années, sont utilisées des méthodes très naturelles, avec des phéromones, pour attirer le charançon. D'autres maladies vont peut-être découler de la chlordécone.

Il est effarant que l'on se soit préoccupé, en ciblant les travailleurs des bananeraies, d'abord du cancer de la prostate et de la fertilité des hommes, et que l'on ne commence que maintenant à s'occuper des problèmes des femmes. Dès 2004, on s'est tout de même préoccupé de la femme enceinte, puisque l'on trouvait de la chlordécone dans le cordon ombilical et dans le lait. Comme la chlordécone a une durée de vie de trois mois dans l'organisme humain, en faisant attention à l'alimentation, le taux de chlordécone diminue très vite. Si les conseils alimentaires et sanitaires avaient été appliqués et suivis par la population, la situation serait plus favorable.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office. Merci pour ce rapport très instructif et absolument nécessaire pour montrer que l'on se préoccupe de ce qui s'est passé en Guadeloupe et en Martinique. Je me sens particulièrement concernée puisque j'ai été nommée professeure en Guadeloupe, en septembre 1981, je n'y suis restée que six mois et j'étais enceinte. Ce sujet me préoccupe aussi parce que même si je suis partie très tôt de Guadeloupe, j'habitais très près des bananeraies. J'habitais à Capesterre-Belle-Eau, en plein coeur des bananeraies et je me suis promenée dans ces bananeraies. J'avais déploré à l'époque de trouver, dans les magasins, beaucoup de légumes qui venaient des États-Unis et que nous ne pouvions pas nous fournir suffisamment en légumes locaux.

Les recommandations sont vraiment exhaustives et très bien faites, avec notamment une approche exposome, que je trouve très intéressante, sur l'ensemble des produits phytosanitaires. Sur la confiance que nous pourrions rétablir avec ces départements, vous le mentionnez dans la recommandation n°20 par exemple : mettre en place des actions afin d'assurer l'utilisation et le renouvellement des filtres à charbons actifs. Je me demande si l'État ne devrait pas davantage se préoccuper d'être très présent, de fournir, surveiller, etc. pour renouer cette confiance perdue maintenant. Pour moi, c'est très important parce que la prise en compte trop lente et mal menée de ce sujet aura des conséquences à long terme sur les populations antillaises. Comme vous le mentionnez également, il est très important d'accroître la surveillance des circuits de consommation informels, parce que là-bas, les gens vivent avec leur jardin, leur poulailler, etc. Il faut absolument être très près d'eux, les accompagner. Je trouve que l'Office envoie un signal très fort vers ces populations, pour montrer que l'on se préoccupe du sujet et les recommandations sont vraiment très intéressantes.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. Je crois surtout que l'administration a fait au plus facile, dans les plans qui ont été faits. La cartographie concerne ceux qui veulent bien faire cartographier leurs sols et les analyses ne vont pas plus loin. Il n'y avait peut-être pas les financements nécessaires. On continue à nous dire que le contrôle des produits informels n'est pas possible et que la surveillance ne concerne que les produits officiels. Or les produits officiels sont tous surveillés, contrôlés et la conformité est quasiment totale. La population a encore de la chlordécone parce que beaucoup de produits ne sont pas conformes. C'est une vraie difficulté, tout comme le problème des eaux de source. On surveille bien l'eau de consommation, l'eau du robinet, et il n'y a quasiment aucun problème, mais culturellement, on va boire l'eau de source. En 2009, je me souviens que certaines sources de bord de route avaient été fermées, pour que les populations n'en consomment pas. On nous répond que les habitants n'accepteraient pas culturellement que nous fermions les sources. Si ces eaux de source sont les plus polluées, nous devons pouvoir les clôturer, mettre une chape en béton et détourner l'eau. Nous n'avons pas tout fait. Il existe maintenant une telle méfiance de la population vis-à-vis des décisions gouvernementales et des administrations que la population risque de le prendre très mal. Je conçois qu'elle puisse se dire que la chlordécone est interdite depuis 30 ans et qu'en 30 ans, peu de choses ont été faites. Nous avons fait un certain nombre de choses ces dix dernières années, mais nous aurions pu le faire auparavant et la population n'y croit pas.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. Le tableau est donc gris, ce qui ne veut pas dire qu'il soit noir, mais il n'est pas blanc non plus. Un grand merci encore pour ce rapport excellent. Au vu de l'ensemble des interventions et des remarques, je pense que nous pouvons le valider tel qu'il nous a été présenté, avec encore une fois toutes nos félicitations pour ce travail acharné, qu'il faudra poursuivre, notamment si nous voulons tenter de continuer à donner de la confiance à nos concitoyens d'outre-mer, qui attendent que nous soyons à la hauteur de ces enjeux.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. Il est important que l'Office continue à suivre les plans et les budgets relatifs à la chlordécone.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. Nous allons veiller à ce qu'il y ait un suivi continu.

L'Office adopte le rapport sur l'actualisation des données scientifiques sur l'impact de la chlordécone aux Antilles françaises.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

I. AUDITIONS PUBLIQUES

Jeudi 17 février 2022

- Thierry Woignier , directeur de recherche au CNRS à l'Institut Méditerranéen de Biodiversité et d'Écologie marine et continentale ;

- Pierre-Loïc Saaidi , maître de conférences à l'Université d'Évry Val d'Essonne ;

- Christophe Mouvet , ancien chef de projet au BRGM ;

- Magalie Lesueur-Jannoyer , adjointe à la Direction générale déléguée à la Recherche et à la Stratégie du Cirad ;

- Marc Voltz , directeur de recherche à l'INRAE, professeur consultant à Montpellier SupAgro ;

- Charlotte Dromard , maître de conférences à l'Université des Antilles ;

- Guido Rychen , professeur des Universités à l'ENSAIA, président du CPSN.

Jeudi 20 octobre 2022

- Luc Multigner , directeur de recherche Inserm à l'Institut de recherche en santé, environnement et travail (IRSET) ;

- Laetitia Huiart , directrice scientifique de Santé publique France, et Jacques Rosine , responsable de la cellule régionale Antilles de Santé publique France ;

- Olivier Cunin , sous-directeur du travail et de la protection sociale au Ministère de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire (MASA), Pascale Barroso , cheffe du bureau des prestations sociales agricoles au MASA, et Jérôme Cauët , adjoint au chef du bureau des relations et des conditions de travail au MASA ;

- Justin Daniel , professeur de science politique à l'Université des Antilles ;

- Justine Benin , rapporteure de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'utilisation du chlordécone et du paraquat (2019) ;

- Victoire Jasmin , sénatrice de Guadeloupe ;

- Patricia Chatenay-Rivauday , présidente, et Janmari Flower , vice-président de l'association Vivre ;

- André Edouard , représentant du collectif Lyannaj pou depolyé Matinik .

II. AUDITIONS RAPPORTEUR

Jeudi 17 février 2022

À 9 heures :

- Bruno Ferreira , directeur général de l'alimentation.

Lundi 14 novembre 2022

À 16 heures :

- Claire Giry , directrice générale de la recherche et de l'innovation ;

- Bertrand Schwartz , adjoint de la cheffe du secteur biologie et santé du Service de la stratégie de la recherche et de l'innovation ;

- Anne Puech , adjointe du chef du secteur environnement, agronomie, écologie, sciences du système terre et de l'univers du Service de la stratégie de la recherche et de l'innovation.

Mercredi 30 novembre 2022

À 17 heures :

- Edwige Duclay , directrice de projet chargée de la coordination interministérielle du plan chlordécone IV ;

- Nassim Mekeddem , conseiller en santé publique et environnementale à la Direction générale de la santé ;

- Niels Enslen , chargé de mission plan chlordécone IV à la Direction générale des outre-mer.

Mercredi 1 février 2023

À 9 heures :

- M. Philippe Duclaud , directeur général de la performance économique et environnementale des entreprises ;

- M. Jean-Marc Landelle , conseiller Outre-mer et Corse à la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises.

À 18 heures :

- M. Benoît Vallet , directeur général de l'Anses ;

- M. Matthieu Schuler , directeur général délégué du pôle sciences pour l'expertise de l'Anses ;

- M. Jean Luc Volatier, adjoint au directeur de l'évaluation des risques à l'Anses ;

- Mme Sarah Aubertie , chargée des relations institutionnelles, direction de la communication et des relations institutionnelles à l'Anses.

GLOSSAIRE

5b-monohydrochlordécone : molécule issue de la substitution de l'un des dix atomes de chlore de la chlordécone par un atome d'hydrogène (en position 5b d'après la nomenclature CAS)

5b,6-dihydrochlordécone : molécule issue de la substitution de deux atomes de chlore de la chlordécone par deux atomes d'hydrogène (en positions 5b et 6 d'après la nomenclature CAS)

Adsoption : fixation d'une substance sur la surface d'un solide

Allophane : silicate de formule Al 2 O 3 •(SiO 2 ) 1.3-2 •(H 2 O) 2.5-3

Andosol : type de sol volcanique noir composé d'allophane

Biochar : charbon d'origine végétale

Biosorption : concentration passive d'une espèce chimique par un organisme

Chlordécol : molécule issue de la réduction de la fonction cétone de la chlordécone en alcool

Chlordéconémie : mesure du taux de chlordécone dans le sang

Conditions aérobies : en présence de dioxygène (à l'inverse, les conditions anaérobies correspondent à l'absence de dioxygène)

Contamination par balnéation : contamination par immersion dans une eau contaminée

Contamination par voie trophique : contamination par ingestion de proies contaminées

Effet pro-angiogénique : effet favorisant la croissance de nouveaux vaisseaux sanguins à partir de vaisseaux préexistants

Espèce diadrome : espèce vivant alternativement en eau douce et en eau salée

Espèce dulçaquicole : espèce vivant en eau douce

Exposition : concentrations ou quantités d'une substance auxquelles sont soumis des individus ou une population

Halloysite : silicate de formule Al 2 Si 2 O 5 (OH) 4

Hépatomégalie : augmentation du volume du foie

Hydrochlordécones : ensemble des molécules issues de la substitution d'un ou de plusieurs des atomes de chlore de la chlordécone par des atomes d'hydrogène

Imprégnation : concentration ou quantité d'une substance présente chez un individu ou dans un organisme exposé

Limite maximale de résidus (LMR) : limite réglementaire concernant la teneur d'une substance dans une denrée alimentaire

Lixiviation : extraction d'une substance par percolation

Nitisol : type de sol volcanique brun-rouille composé d'halloysite

Phytoextraction : extraction et concentration d'un polluant contenu dans le sol par une plante

Produits de transformation : molécules formées lors de la dégradation de la chlordécone, qu'elle soit naturelle ou artificielle

Programme JaFa : programme offrant aux Antillais propriétaires de jardins familiaux la possibilité de bénéficier d'une analyse gratuite de leur sol et de conseils agricoles et nutritionnels permettant de limiter leur exposition

Programme Titiri : programme d'information sensibilisant les consommateurs aux risques représentés par les produits de la pêche

Temps de demi-vie : durée nécessaire pour que la concentration d'une substance soit divisée par deux

Valeur toxicologique de référence chronique externe : exposition en dessous de laquelle, sur une longue période, le risque d'apparition d'effets néfastes dans la population est jugé négligeable

Valeur toxicologique de référence chronique interne : imprégnation en dessous de laquelle, sur une longue période, le risque d'apparition d'effets néfastes dans la population est jugé négligeable

LISTE DES ÉTUDES CITÉES

Étude ChlorExpo : étude lancée en 2021 par l'Anses dans le but de préciser les expositions par voie alimentaire à la chlordécone grâce à la prise en compte des habitudes d'approvisionnement, de préparation et de cuisson des aliments.

Étude Hépatochlor : étude épidémiologique menée par l'Inserm depuis 2011 concernant l'impact de la chlordécone sur l'hépatite chronique active.

Étude Hibiscus : étude menée par l'Inserm en 2003 et 2004 afin de déterminer l'exposition à la chlordécone de femmes enceintes et de leurs nouveau-nés.

Étude Kannari : étude menée conjointement par Santé publique France, l'Anses et les observatoires de santé de Guadeloupe et Martinique entre 2011 et 2017 afin de décrire les comportements alimentaires et l'état de santé de la population et de déterminer l'imprégnation et l'exposition alimentaire à la chlordécone. Une étude Kannari 2 est en cours afin de réévaluer l'imprégnation de la population antillaise.

Étude KP-Caraïbes-Breizh : étude menée par l'Inserm dans le but de suivre de manière longitudinale des patients atteints de cancer de la prostate afin de caractériser les déterminants d'évolution et de complication de la maladie.

Étude Karu-Fertil : étude menée par l'Inserm concernant les liens entre l'exposition à la chlordécone et l'infertilité féminine.

Étude Karuprostate : étude épidémiologique menée par l'Inserm entre 2004 et 2007 concernant les liens entre l'exposition à la chlordécone et le cancer de la prostate.

Étude Matphyto-DOM : étude menée par Santé publique France afin de déterminer l'exposition historique des travailleurs agricoles antillais aux pesticides.

Étude Timoun : étude prospective menée par l'Inserm depuis 2004 concernant les impacts de l'exposition à la chlordécone sur la grossesse et sur le développement de l'enfant.

LISTE DES SIGLES ET DES ACRONYMES

Afssa : Agence française de sécurité sanitaire des aliments (dissolue en 2010 pour fonder l'Anses)

ANR : Agence nationale de la recherche

Anses : Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail

ARS : Agence régionale de santé

Artac : Association pour la recherche thérapeutique anti-cancéreuse

BRGM : Bureau de recherches géologiques et minières

CAS : Chemical Abstracts Service

CGAAER : Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux

CGEDD : Conseil général de l'environnement et du développement durable

CLoReCA : Coordination locale de la recherche sur la chlordécone aux Antilles

CGSS : Caisse générale de sécurité sociale

CHU : Centre hospitalier universitaire

CPSN : Comité de pilotage scientifique national

CSG : Contribution sociale généralisée

CRDS : Contribution au remboursement de la dette sociale

DAAF : Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt

DGS : Direction générale de la santé

Feampa : Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture

Goss : Groupe d'orientation et de suivi scientifique

Ifremer : Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer

IGAS : Inspection générale des affaires sociales

IGAENR : Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche

IGESR : Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche

IMC : Indice de masse corporelle

INCa : Institut national du cancer

Inrae : Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement

Inserm : Institut national de la santé et de la recherche médicale

Ireps : Instance régionale d'éducation et de promotion de la santé

ISCR : In situ Chemical Reduction

JaFa : Jardin familial

JRC : Joint Research Centre

LMR : limite maximale de résidus

LUCAS : Land Use and Coverage Area frame Survey

OPECST : Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Opale : Observatoire de la pollution agricole aux Antilles

Sdage : Schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux

Urssaf : Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales

VTR : valeur toxicologique de référence


* 1 Les genres masculin et féminin sont tous deux communément utilisés avec le mot chlordécone, en fonction d'une référence à l'insecticide (masculin) ou à la molécule, une cétone (féminin). Par cohérence avec le rapport de l'OPECST de 2009, le féminin sera utilisé dans ce rapport.

* 2 Rapport de M. Joël Beaugendre sur l'utilisation du chlordécone et des autres pesticides dans l'agriculture martiniquaise et guadeloupéenne, en conclusion des travaux d'une mission d'information présidée par M. Philippe Edmond-Mariette - Assemblée nationale n° 2430 (12 e législature) ( http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i2430.asp )

* 3 Rapport de M. Jean-Yves Le Déaut, député, et Mme Catherine Procaccia, sénateur, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques : « Les pesticides aux Antilles : bilan et perspectives d'évolution » - Assemblée nationale n° 1778 (13e législature), Sénat n° 487 (2008-2009) ( https://www.senat.fr/notice-rapport/2008/r08-487-notice.html ).

* 4 Rapport de Mme Justine Benin sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires, en conclusion d'une commission d'enquête présidée par M. Serge Letchimy - Assemblée nationale n° 2440 (14 e législature) ( https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cechlordec/l15b2440-ti_rapport-enquete.pdf ).

* 5 Voir le site internet dédié : https://web-eur.cvent.com/event/044d636c-05aa-47c1-82e3-29b267ce4c6f/summary

* 6 Y.-M. Cabidoche et al., Environ. Pollut. 2009, 157, 1697 ( https://doi.org/10.1016/j.envpol.2008.12.015 ).

* 7 T. Woignier et al., J. Hazard. Mater. 2013, 262, 357 ( https://doi.org/10.1016/j.jhazmat.2013.08.070 ).

* 8 J. Fernandez-Bayo et al., Sci. Total Environ. 2013, 463-464, 395 ( https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2013.06.044 ).

* 9 Produit issu de la substitution de l'un des dix atomes de chlore de la chlordécone par un atome d'hydrogène. En fonction de la nomenclature utilisée pour la numération de la chaîne carbonée, cette molécule peut également être nommée 8-monohydrochlordécone.

* 10 a) S. Coat et al., Environ. Pollut. 2011, 159, 1692 ( https://doi.org/10.1016/j.envpol.2011.02.036 ) ; b) F. Martin-Laurent et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2014, 21, 4928 ( https://doi.org/10.1007/s11356-013-1839-y ) ; c) F. Clostre et al., Environ. Sci Pollut. Res. 2014, 21, 1980 ( https://doi.org/10.1007/s11356-013-2095-x ) ; d) F. Clostre et al., Sci. Total Environ. 2014, 490, 1044 ( https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2014.05.082 ).

* 11 D. A. Devault et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2016, 23, 81 ( https://doi.org/10.1007/s11356-015-4865-0 ).

* 12 a) M. L. Chevallier et al., Environ. Sci. Technol. 2019, 53, 6133 ( https://doi.org/10.1021/acs.est.8b06305 ) ; b) O. Della-Negra et al., Sci. Rep. 2020, 10, 13545 ( https://doi.org/10.1038/s41598-020-70124-9 ) ; c) L. Lomheim et al., PLoS One 2020, 13, 20231219 ( https://doi.org/10.1371/journal.pone.0231219 ).

* 13 Voir la sous-partie dédiée à la problématique des produits de dégradation.

* 14 I. Comte et al., Environ. Pollut. 2022, 303, 119091 ( https://doi.org/10.1016/j.envpol.2022.119091 ).

* 15 J. F. Desprats et al., « Cartographie du risque de pollution des sols de Martinique par les organochlorés », Rapport phase 3, BRGM/RP-53262-FR, 2004 ( https://agritrop.cirad.fr/533313/1/document_533313.pdf ).

* 16 Pour la Martinique : https://carto.geomartinique.fr/1/layers/pref_chlordecone_analyse_sol_s_972.map
Pour la Guadeloupe :
https://carto.karugeo.fr/1/l_chld_carte_dyn_971.map

* 17 D'après le premier rapport de l'OPECST, les usages des Antilles ne représentent qu'environ 300 tonnes des 1 800 tonnes produites entre 1958 et 1991.

* 18 A. Orgiazzi et al., Eur. J. Soil Sci. 2022, 73, e13299 ( https://doi.org/10.1111/ejss.13299 ).

* 19 P. Cattan et al., J. Hydrol. 2009, 368, 251 ( https://doi.org/10.1016/j.jhydrol.2009.02.020 ).

* 20 a) J. B. Charlier et al., Hydrol. Process. 2008, 22, 4355 ( https://doi.org/10.1002/hyp.7040 ) ; b) J. B. Charlier et al., J. Hydrol. 2011, 398, 155 ( https://doi.org/10.1016/j.jhydrol.2010.10.006 ).

* 21 E. Civallero et al., « Observatoire pour la Pollution Agricole aux AntilLEs (OPALE) Volet eaux souterraines Rapport d'activité 2020-2021 », Rapport BRGM RP-71130-FR, 2021 ( http://ficheinfoterre.brgm.fr/document/RP-71130-FR ).

* 22 O. Della-Rossa et al., Sci. Total Environ. 2017, 574, 1232 ( https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2016.07.065 ).

* 23 a) C. Mottes et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2019, 27, 40999 ( https://doi.org/10.1007/s11356-019-06247-y ) ; b) P. Sabatier et al., Environ. Sci. Technol. 2021, 55, 2296 ( https://doi.org/10.1021/acs.est.0c05207 ).

* 24 J. B. Charlier et al., « CHLOR-EAU-SOL - Caractérisation de la contamination par la chlordécone des eaux et des sols des bassins versants pilotes guadeloupéen et martiniquais », Rapport BRGM RP-64142-FR, 2015 ( http://ficheinfoterre.brgm.fr/document/RP-64142-FR )

* 25 a) L. Ponchant et al., « Transfert des pesticides par voies dissoutes et particulaires aux Antilles. Évaluation de la contamination par la chlordécone en rivière : rôle des voies de transfert dissout et particulaire » 2020 ( https://hal.inrae.fr/hal-02945573 ) ; b) A. Crabit et al., Environ. Pollut. 2016, 212, 615 ( https://doi.org/10.1016/j.envpol.2016.02.055 ).

* 26 C. R. Dromard et al., « Consolidation des connaissances sur la contamination de la faune halieutique par la chlordécone autour de la Martinique et de la Guadeloupe (Projet « CHLOHAL ») » 2015 ( https://archimer.ifremer.fr/doc/00429/54058/55370.pdf ).

* 27 C. R. Dromard et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2022, 29, 81546 ( https://doi.org/10.1007/s11356-022-21528-9 ).

* 28 a) Impact Mer, « Suivi chimique des stations du Réseau de Surveillance des Masses d'Eau Côtières et de Transition de Martinique au titre du marché 2019 », Rapport de campagne, 2021 ( https://www.observatoire-eau-martinique.fr/base-documentaire/document/1059 ) ; b) Observatoire de l'eau Guadeloupe, « État des eaux littorales » ( https://www.observatoire-eau-guadeloupe.fr/milieux-aquatiques/eaux-littorales/ ).

* 29 a) S. Coat et al., Environ. Pollut. 2011, 159, 1692 ( https://doi.org/10.1016/j.envpol.2011.02.036 ) ; b) C. Dromard et al., « Consolidation des connaissances sur la contamination de la faune halieutique par la chlordécone autour de la Martinique et de la Guadeloupe (Projet « CHLOHAL ») » 2015 ( https://archimer.ifremer.fr/doc/00429/54058/55370.pdf ).

* 30 a) A. Lafontaine et al., Ecotoxicol. Environ. Saf. 2017, 141, 306 ( https://doi.org/10.1016/j.ecoenv.2017.03.043 ) ; b) A. Lafontaine et al., Chemosphere 2017, 185, 888 ( https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2017.07.099 ) ; c) A. Lafontaine et al., Aquat. Toxicol. 2016, 176, 53 ( https://doi.org/10.1016/j.aquatox.2016.04.006 ) ; d) A. Lafontaine et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2016, 23, 20661 ( https://doi.org/10.1007/s11356-016-7273-1 ).

* 31 L. Yang et al., Chemosphere 2016, 161, 372 ( https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2016.07.034 ).

* 32 a) D. Monti et al., Sci. Rep. 2020, 10, 17309 ( https://doi.org/10.1038/s41598-020-73948-7 ) ; b) C. Hubas et al., Sci. Total Environ. 2022, 825, 153942 ( https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2022.153942 ).

* 33 a) S. Coat et al., Aquat. Living Resour. 2006, 19, 181 ( https://doi.org/10.1051/alr:2006016 ) ; b) X. Bodiguel et al., « Devenir de la chlordécone dans les réseaux trophiques des espèces marines consommées aux Antilles (CHLORETRO). Rapport final de Convention Ifremer. » 2011 ( https://archimer.ifremer.fr/doc/00036/14684/ ) ; c) S. Coat et al., Environ. Pollut. 2011, 159, 1692 ( https://doi.org/10.1016/j.envpol.2011.02.036 ) ; d) C. Dyc et al., Reg. Stud. Mar. Sci. 2015, 2, 158 ( https://doi.org/10.1016/j.rsma.2015.09.004 ) ; e) C. R. Dromard et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2016, 23, 73 ( https://doi.org/10.1007/s11356-015-4732-z ) ; f) C. R. Dromard et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2018, 25, 14294 ( https://doi.org/10.1007/s11356-017-8924-6 ) ; g) P. Méndez-Fernandez et al., Mar. Pollut. Bull. 2018, 137, 56 ( https://doi.org/10.1016/j.marpolbul.2018.10.012 ).

* 34 C. R. Dromard et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2022, 29, 81546 ( https://doi.org/10.1007/s11356-022-21528-9 ).

* 35 a) B. Salvat et al., Revue d'Ecologie 2012, 67, 12 ( https://doi.org/10.3406/revec.2012.1629 ) ; b) Virginia Department of Health, « Fish Consumption Advisory » ( https://www.vdh.virginia.gov/environmental-health/public-health-toxicology/fish-consumption-advisory/ ).

* 36 a) H. Roche et al., Revue d'Ecologie 2011, 66, 3 ( https://doi.org/10.3406/revec.2011.1553 ) ; b) B. Salvat et al., Revue d'Ecologie 2012, 67, 12 ( https://doi.org/10.3406/revec.2012.1629 ).

* 37 P. Fey et al., Sci. Total Environ. 2019, 667, 208 ( https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2019.02.311 ).

* 38 a) Y. M. Cabidoche et al., Pedosphere 2012, 22, 562 ( https://doi.org/10.1016/S1002-0160(12)60041-1 ) ; b) F. Clostre et al., Sci. Total Environ. 2015, 532, 292 ( https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2015.06.026 ) ; c) C. Letondor et al., Chemosphere 2015, 118, 20 ( https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2014.03.102 ) ; d) F. Clostre et al., Environ. Pollut. 2017, 223, 357 ( https://doi.org/10.1016/j.envpol.2017.01.032 ).

* 39 F. Clostre et al., Chemosphere 2015, 118, 96 ( https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2014.06.076 ).

* 40 T. Woignier et al., J. Hazard. Mater. 2012, 241, 224 ( https://doi.org/10.1016/j.jhazmat.2012.09.034 ).

* 41 F. Clostre et al., Environ. Pollut. 2017, 223, 357 ( https://doi.org/10.1016/j.envpol.2017.01.032 ).

* 42 a) C. Collas et al., Sci. Total Environ. 2019, 668, 161 ( https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2019.02.384 ) ; b) C. Collas et al., Sci. Rep. 2020, 10, 1 ( https://doi.org/10.1038/s41598-020-74317-0 ) ; c) S. Jurjanz et al., Animal 2017, 11, 1363 ( https://doi.org/10.1017/S1751731116002755 ).

* 43 a) M.-L. Lastel, « Chlordécone et filières animales antillaises : de la distribution tissulaire aux stratégies de décontamination chez les ruminants » 2015 ( https://hal.univ-lorraine.fr/tel-01752201 ) ; b) Anses, « Recherche de chlordécone dans la graisse périrénale, le foie et le muscle de bovins en Martinique et Guadeloupe (TRIPLET) », Rapport de synthèse n°PBM/2017/03, 2018 ( https://www.anses.fr/fr/content/rapport-de-synth%C3%A8se-recherche-de-chlord%C3%A9cone-dans-la-graisse-p%C3%A9rir%C3%A9nale-le-foie-et-le-muscle ) ; d) A. Fourcot et al., Chemosphere 2021, 277, 130340 ( https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2021.130340 ) ; e) S. Jurjanz et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2020, 27, 41117 ( https://doi.org/10.1007/s11356-020-08172-x ).

* 44 S. Jurjanz et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2020, 27, 41117 ( https://doi.org/10.1007/s11356-020-08172-x ).

* 45 L. Mamy et al., « Impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques. », Rapport d'ESCo, Inrae - Ifremer, 2022 ( https://dx.doi.org/10.17180/0gp2-cd65 ).

* 46 P. Villard et al., J. Caribb. Ornithol. 2021, 34, 32 ( https://jco.birdscaribbean.org/index.php/jco/article/view/1284/984 ).

* 47 a) S. A. Orndorff et al., Appl. Environ. Microbiol. 1980, 39, 398 ( https://doi.org/10.1128/aem.39.2.398-406.1980 ) ; b) B. M. Francis et al., Environ. Health Perspect. 1984, 341 ( https://doi.org/10.2307/3429823 ). ; c) S. E. George et al., Xenobiotica 1988, 18, 407 ( https://doi.org/10.3109/00498258809041677 ) ; d) P. E. Jablonski et al., FEMS Microbiol. Lett. 1996, 139, 169 ( https://doi.org/10.1111/j.1574-6968.1996.tb08198.x ).

* 48 F. Sakakibara et al., Biochem. Biophys. Res. Commun. 2011, 411, 76 ( https://doi.org/10.1016/j.bbrc.2011.06.096 )

* 49 J. D. Fernández-Bayo et al., Sci. Total. Environ. 2013, 463, 395 ( https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2013.06.044 ).

* 50 C. Merlin et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2014, 21, 4914 ( https://doi.org/10.1007/s11356-013-1971-8 ).

* 51 S. Chaussonnerie et al., Front. Microbiol. 2016, 7, 2025 ( https://doi.org/10.3389/fmicb.2016.02025 ).

* 52 a) M. L. Chevallier et al., Environ. Sci. Technol. 2019, 53, 6133 ( https://doi.org/10.1021/acs.est.8b06305 ) ; b) O. Della-Negra et al., Sci. Rep. 2020, 10, 13545 ( https://doi.org/10.1038/s41598-020-70124-9 ) ; c) H. Hellal et al., Front. Microbiol. 2021, 12, 742039 ( https://doi.org/10.3389/fmicb.2021.742039 ).

* 53 a) L. Lomheim et al., PLoS One 2020, 13, 20231219 ( https://doi.org/10.1371/journal.pone.0231219 ) ; b) L. Lomheim et al., Environ. Sci. Technol. Lett. 2021, 8, 662 ( https://doi.org/10.1021/acs.estlett.1c00505 ).

* 54 C. Mouvet et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2017, 24, 25500 ( https://doi.org/10.1007/s11356-016-7582-4 ).

* 55 a) C. Mouvet et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2020, 27, 41063 ( https://doi.org/10.1007/s11356-020-07603-z ). ; b) C. Mouvet et al., « Décontamination par In Situ Chemical Reduction d'un nitisol et d'un sol alluvionnaire pollués par la chlordécone. Résultats physico-chimiques et agronomiques. », BRGM/RP-65462-FR, 2016 ( http://infoterre.brgm.fr/rapports/RP-65462-FR.pdf ).

* 56 a) S. Legeay et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2018, 25, 14313 ( https://doi.org/10.1007/s11356-017-8592-6 ) ; b) E. A. Alibrahim et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2020, 27, 40953 ( https://doi.org/10.1007/s11356-019-04353-5 ).

* 57 Le chlordécol correspond au produit issu de la réduction de la fonction cétone de la chlordécone en alcool. Voir : a) D. Desaiah et al., Bull. Environ. Contam. Toxicol. 1975, 13, 153 ( https://doi.org/10.1007/bf01721729 ) ; b) S. D. Soileau et al., J. Toxicol. Environ. 1988, 24, 237 ( https://doi.org/10.1080/15287398809531157 ) ; c) S. D. Soileau et al., Toxicol. Appl. Pharmacol. 1983, 67, 89 ( https://doi.org/10.1016/0041-008x(83)90247-8 ).

* 58 S. D. Soileau et al., Toxicol. Appl. Pharmacol. 1983, 67, 89 ( https://doi.org/10.1016/0041-008x(83)90247-8 ).

* 59 Les hydrochlordécones correspondent à l'ensemble des molécules issues de la substitution d'un ou de plusieurs des atomes de chlore de la chlordécone par des atomes d'hydrogène. Voir : a) S. Legeay et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2018, 25, 14313 ( https://doi.org/10.1007/s11356-017-8592-6 ); b) E. A. Alibrahim et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2020, 27, 40953 ( https://doi.org/10.1007/s11356-019-04353-5 ).

* 60 F. Clostre et al., Sci. Total Environ. 2015, 532, 292 ( https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2015.06.026 ).

* 61 a) P. Ollivier et al., Sci. Total Environ. 2020, 743, 140757 ( https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2020.140757 ) ; b) P. Ollivier et al., Sci. Total Environ. 2020, 704, 135348 ( https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2019.135348 ).

* 62 X. Moreau et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2022, 29, 91017 ( https://doi.org/10.1007/s11356-022-22050-8 ).

* 63 P.-E. Contarini et al., Aquat. Bot. 2021, 169, 103346 ( https://doi.org/10.1016/j.aquabot.2020.103346 ).

* 64 P.-E. Deyris et al., Chemosphere 2023, 313, 137307 ( https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2022.137307 ).

* 65 a) F. Clostre et al., J. Soils Sed. 2014, 14, 23 ( https://doi.org/10.1007/s11368-013-0790-3 ) ; b) T. Woignier et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2016, 23, 98 ( https://doi.org/10.1007/s11356-015-5111-5 ) ; c) T. Woignier et al., Eur. J. Soil Sci. 2012, 63, 717 ( https://doi.org/10.1111/j.1365-2389.2012.01471.x ).

* 66 a) R. Ranguin et al., J. Environ. Chem. Eng. 2021, 9, 105280 ( https://doi.org/10.1016/j.jece.2021.105280 ) ; b) R. Ranguin et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2020, 27, 41093 ( https://doi.org/10.1007/s11356-019-07366-2 ).

* 67 D'autres approches de phytoremédiation peuvent également être envisagées, comme la phytophytodégradation (biotransformation de la molécule à l'intérieur des tissus végétaux) ou la rhizodégradation (dégradation de la molécule sous l'action des racines et des micro-organismes associés). À l'heure actuelle, ces pistes n'ont pas encore été explorées pour la chlordécone.

* 68 F. Clostre et al., Sci. Total Environ. 2014, 490, 1044 ( https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2014.05.082 ).

* 69 Afssa, « Actualisation de l'exposition alimentaire au chlordécone de la population antillaise » 2007 ( https://www.anses.fr/fr/system/files/RCCP-Ra-ChlAQR2007.pdf ).

* 70 a) M. Delannoy et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2020, 27, 41023 ( https://doi.org/10.1007/s11356-019-06494-z ) ; b) M. L. Lastel et al., Chemosphere 2018, 93, 100 ( https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2017.10.120 ).

* 71 A. Fourcot et al., Chemosphere 2021, 277, 130340 ( https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2021.130340 ).

* 72 « Titiri » signifie « alevin » en créole. Voir le site dédié : https://titiri.ireps.gp/

* 73 Règlement (CE) no 396/2005 du Parlement européen et du Conseil du 23 février 2005 concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux d'origine végétale et animale et modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil ( https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A02005R0396-20221214 ).

* 74 Arrêté du 23 mai 2019 modifiant l'arrêté du 25 janvier 2019 relatif aux limites maximales applicables aux résidus de chlordécone que ne doivent pas dépasser certaines denrées alimentaires d'origine végétale et animale pour être reconnues propres à la consommation humaine ( https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038506379 ).

* 75 Règlement (UE) n°212/2013 du 11 mars 2013 remplaçant l'annexe I du règlement (CE) n°396/2005 du Parlement européen et du Conseil aux fins d'ajouts et de modifications relatifs aux produits concernés par ladite annexe ( https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A32013R0212 ).

* 76 a) Anses, « Note d'appui scientifique et technique de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail relative à la fixation d'une limite maximale de résidus de chlordécone dans la graisse pour les denrées carnées », 2018 ( https://www.anses.fr/fr/system/files/ERCA2018SA0202.pdf ) ; b) Anses, « Avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail relatif à la fixation d'une limite maximale de résidus de chlordécone dans les muscles et dans la graisse pour les denrées carnées », 2019 ( https://www.anses.fr/fr/system/files/ERCA2018SA0265.pdf ) ; c) a) Arrêté du 25 janvier 2019 modifiant l'arrêté du 30 juin 2008 relatif aux limites maximales applicables aux résidus de chlordécone que ne doivent pas dépasser certaines denrées alimentaires d'origine végétale et animale pour être reconnues propres à la consommation humaine ( https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038062740 ) ; d) Arrêté du 23 mai 2019 modifiant l'arrêté du 25 janvier 2019 relatif aux limites maximales applicables aux résidus de chlordécone que ne doivent pas dépasser certaines denrées alimentaires d'origine végétale et animale pour être reconnues propres à la consommation humaine ( https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038506379 ).

* 77 Soit un taux de chlordécone inférieur à la limite de détection.

* 78 Ministère de l'Agriculture et de l'alimentation, « Livret ressources chlordécone » 2020 ( https://chlorofil.fr/fileadmin/user_upload/02-diplomes/ressources/livret-chlordecone.pdf ).

* 79 Décret n° 2021-1713 du 20 décembre 2021 portant création d'une aide exceptionnelle en soutien au secteur de la petite pêche Antilles, dans le cadre de la pollution des eaux marines par la chlordécone ( https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044525582 ).

* 80 Des études antérieures avaient pu montrer une toxicité chez l'animal mais uniquement à travers l'administration orale de fortes doses. Les symptômes comprenaient alors des troubles neurologiques, une atrophie testiculaire et des lésions hépatiques tumorales. Voir : a) National Cancer Institute, « Report on the carcinogenesis bioassay of technical grade chlordecone (Kepone) » 1976 ( https://ntp.niehs.nih.gov/ntp/htdocs/lt_rpts/trchlordecone(kepone).pdf ) ; b) E. E. Good et al., J. Econ. Entomol. 1965, 54, 754 ( https://doi.org/10.1093/jee/58.4.754 ) ; c) J. J. Huber, Toxicol. Appl. Pharmacol. 1965, 7, 516 ( https://doi.org/10.1016/0041-008X(65)90036-0 ).

* 81 a) S. B. Cannon et al., Am. J. Epidemiol. 1978, 107, 529 ( https://doi.org/10.1093/oxfordjournals.aje.a112572 ) ; b) J. R. Taylor et al., Neurology 1978, 28, 626 ( https://doi.org/10.1212/WNL.28.7.626 ).

* 82 Inserm, « Pesticides et effets sur la santé : Nouvelles données. », Collection Expertise collective, Montrouge : EDP Sciences, 2021 ( https://www.inserm.fr/expertise-collective/pesticides-et-sante-nouvelles-donnees-2021/ ).

* 83 C. Gentil et al., « Évaluation des expositions professionnelles aux pesticides utilisés dans la culture de la banane aux Antilles et description de leurs effets sanitaires. Projet Matphyto DOM. », 2018 ( https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/exposition-a-des-substances-chimiques/pesticides/documents/rapport-synthese/evaluation-des-expositions-professionnelles-aux-pesticides-utilises-dans-la-culture-de-la-banane-aux-antilles-et-description-de-leurs-effets-sanita ).

* 84 C. Dereumeux et al., « Imprégnation de la population antillaise par la chlordécone et certains composés organochlorés en 2013-2014 : Étude Kannari » 2018 ( https://www.santepubliquefrance.fr/regions/antilles/documents/rapport-synthese/2018/impregnation-de-la-population-antillaise-par-la-chlordecone-et-certains-composes-organochlores-en-2013-2014-etude-kannari ).

* 85 Anses, « Exposition des consommateurs des Antilles au chlordécone, résultats de l'étude Kannari » 2017 ( https://www.anses.fr/fr/system/files/ERCA2014SA0029Ra.pdf ).

* 86 a) J. Adir et al., Life Sci. 1978, 22, 699 ( https://doi.org/10.1016/0024-3205(78)90494-0) ; b). J. Cohn et al., N. Engl. J. Med. 1978, 298, 243 ( https://doi.org/10.1056/nejm197802022980504 ).

* 87 Afssa, « Actualisation de l'exposition alimentaire au chlordécone de la population antillaise » 2007 ( https://www.anses.fr/fr/system/files/RCCP-Ra-ChlAQR2007.pdf ).

* 88 A. Gely-Pernot et al., Sci. Rep. 2018, 8, 10274 ( https://doi.org/10.1038/s41598-018-28670-w ).

* 89 Anses, « Avis révisé de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail relatif aux valeurs sanitaires de références pour le chlordécone » 2021 ( https://www.anses.fr/fr/system/files/ERCA2018SA0166Ra.pdf ).

* 90 Anses, « Avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail relatif à la réévaluation des risques sanitaires prenant en compte la construction et la mise à jour de valeurs sanitaires de référence (externe et interne) du chlordécone. » 2022 ( https://www.anses.fr/fr/system/files/ERCA2018SA0166.pdf ).

* 91 Amendement n° II-726 rect. du 30 novembre 2019 présenté par Mme Jasmin et MM. Lurel et Antiste ( https://www.senat.fr/amendements/2019-2020/139/Amdt_II-726.html ).

* 92 L. Multigner et al., « Chlordéconémie : portée et limites », IRSET, 2022 ( https://www.irset.org/sites/www.irset.org/files/medias/files/Chlrod%C3%A9con%C3%A9mie%2C%20port%C3%A9e%20et%20limites%20-%202022.pdf ).

* 93 Cette molécule avait été notamment utilisée pour traiter les ouvriers contaminés lors de l'incident de Hopewell aux États-Unis. Voir : P. S. Guzelian, J. Toxicol. Environ. Health 1981, 8, 757 ( https://doi.org/10.1080/15287398109530111 ).

* 94 En 2019, le groupe consultatif chargé d'identifier les priorités en termes d'évaluation pour le CIRC a recommandé une nouvelle évaluation avec toutefois une priorité faible (« low priority »). Voir : a) International Agency for Research on Cancer, « IARC Monographs on the Evaluation of the Carcinogenic Risk of Chemicals to Humans » 1979, 20, 67 ( https://publications.iarc.fr/Book-And-Report-Series/Iarc-Monographs-On-The-Identification-Of-Carcinogenic-Hazards-To-Humans/Some-Halogenated-Hydrocarbons-1979 ) ; b) International Agency for Research on Cancer, « Overall Evaluations of Carcinogenicity: An Updating of IARC Monographs Volumes 1-42 » 1987, 7, 59 ( https://publications.iarc.fr/Book-And-Report-Series/Iarc-Monographs-Supplements/Overall-Evaluations-Of-Carcinogenicity-An-Updating-Of-IARC-Monographs-Volumes-1%E2%80%9342-1987 ) ; c) International Agency for Research on Cancer, « Report of the Advisory Group to Recommend Priorities for the IARC Monographs during 2020-2024 », 2019 ( https://monographs.iarc.who.int/wp-content/uploads/2019/10/IARCMonographs-AGReport-Priorities_2020-2024.pdf ).

* 95 Donnée provenant du premier rapport de l'OPECST. Il est néanmoins possible qu'une sur-incidence soit survenue après la fin du suivi, l'âge moyen de diagnostic des cancers de la prostate étant de 71 ans en 2005. Voir : Haute Autorité de santé, « Cancer de la prostate : identification des facteurs de risque et pertinence d'un dépistage par dosage de l'antigène spécifique prostatique (PSA) de populations d'hommes à haut risque ? » 2012 ( https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2012-04/rapport_dorientation_-_cancer_de_la_prostate_2012-04-03_16-39-9_898.pdf ).

* 96 a) M. C. R. Alavanja et al., Scand. J. Work Environ. Health 2005, 31, 39 ( https://www.jstor.org/stable/40967435 ) ; b) G. Van Maele-Fabry et al., Cancer Causes Control 2006, 17, 353 ( https://doi.org/10.1007/s10552-005-0443-y ).

* 97 Artac, « Rapport d'expertise et d'audit externe concernant la pollution par les pesticides en Martinique : Conséquences agrobiologiques, alimentaires et sanitaires et proposition d'un plan de sauvegarde en cinq points. » 2007 ( https://www.artac.info/fic_bdd/pdf_fr_fichier/Rapport_Martinique_12947558980.pdf ).

* 98 Rapport de M. Jacques Le Guen en conclusion des travaux du comité de suite sur le chlordécone - Assemblée nationale n° 734 (13e législature) ( https://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-info/i0734.pdf ). Le Pr Belpomme avait refusé l'audition proposée par l'OPECST lors de la rédaction du rapport de M. Le Déaut et Mme Procaccia en 2009.

* 99 a) L. Multigner et al., J. Clin. Oncol. 2010, 28, 3457 ( https://doi.org/10.1200/JCO.2009.27.2153 ) ; b) E. Emeville et al., Environ. Health Perspect. 2015, 123, 317 ( https://doi.org/10.1289/ehp.1408407 ).

* 100 Inserm, « Pesticides : Effets sur la santé. », Rapport (Expertise collective), Paris : Inserm, 2013 ( https://www.inserm.fr/expertise-collective/pesticides-effets-sur-sante/ ).

* 101 L. Brureau et al., Int. J. Cancer 2020, 146, 657 ( https://doi.org/10.1002/ijc.32287 ).

* 102 L. Multigner et al., Bull. Epidemiol. Hebd. 2016, 39, 730 ( http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2016/39-40/pdf/2016_39-40_6.pdf ).

* 103 Inserm, « Pesticides et effets sur la santé : Nouvelles données. », Collection Expertise collective, Montrouge : EDP Sciences, 2021 ( https://www.inserm.fr/expertise-collective/pesticides-et-sante-nouvelles-donnees-2021/ ).

* 104 L. Brureau et al., Bull. Cancer 2009, 96, 165 ( https://doi.org/10.1684/bdc.2008.0811 ).

* 105 a) J. Deloumeaux et al., « Estimations régionales et départementales d'incidence et de mortalité par cancers en France, 2007-2016. Guadeloupe. », Santé publique France, 2019

( https://www.santepubliquefrance.fr/regions/antilles/documents/rapport-synthese/2019/estimations-regionales-et-departementales-d-incidence-et-de-mortalite-par-cancers-en-france-2007-2016-guadeloupe ) ; b) C. Joachim-Contaret et al., « Estimations régionales et départementales d'incidence et de mortalité par cancers en France, 2007-2016. Martinique. », Santé publique France, 2019

( https://www.santepubliquefrance.fr/regions/antilles/documents/rapport-synthese/2019/estimations-regionales-et-departementales-d-incidence-et-de-mortalite-par-cancers-en-france-2007-2016-martinique ).

* 106 Concernant le cancer du pancréas, l'excès est observé uniquement chez les femmes propriétaires d'exploitations agricoles. Voir : D. Luce et al., Environ. Sci. Pollut. Res. 2020, 27, 41014

( https://doi.org/10.1007/s11356-019-06481-4 ).

* 107 Décret n° 2021-1724 du 20 décembre 2021 révisant et complétant les tableaux de maladies professionnelles annexés au livre VII du code rural et de la pêche maritime

( https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044538004 ).

* 108 Anses, « Avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail relatif à l'expertise sur les pesticides incluant le chlordécone en lien avec le cancer de la prostate en vue de la création d'un tableau de maladie professionnelle ou de recommandations aux comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) » 2021

( https://www.anses.fr/fr/system/files/2018SA0267Ra.pdf ).

* 109 L. Multigner et al., « Exposition à des polluants environnementaux chez la femme enceinte et son enfant dans le département de la Guadeloupe », Inserm U625 et service gynécologie-obstétrique CHU Pointe-à-Pitre, Rapport final, 2004.

* 110 « Timoun » signifie « petit môme » en créole.

* 111 Dans le rapport 2022 du registre des malformations congénitales, mis en place en 2009, aucune sur-incidence de malformations congénitales était observée aux Antilles.

* 112 a) L. Saunders et al., Environ. Int. 2014, 68, 171 ( https://doi.org/10.1016/j.envint.2014.03.024 ) ; b) F. Rouget et al., Environ. Sci. Pollut. Res. Int. 2020, 27, 40992 ( https://doi.org/10.1007/s11356-019-06031-y ).

* 113 P. Kadhel et al., Am. J. Epidemiol. 2014, 179, 536 ( https://doi.org/10.1093/aje/kwt313 ).

* 114 S. Cordier et al., Environ. Res. 2015, 138, 271 ( https://doi.org/10.1016/j.envres.2015.02.021 ).

* 115 N. Costet et al., Environ. Res. 2015, 142, 123 ( https://doi.org/10.1016/j.envres.2015.06.023 ).

* 116 R. Dallaire et al., Environ. Res. 2012, 118, 79 ( https://doi.org/10.1016/j.envres.2012.07.006 ).

* 117 O. Boucher et al., Neurotoxicology 2013, 35, 162 ( https://doi.org/10.1016/j.neuro.2013.01.007 ).

* 118 M. Desrochers-Couture et al., Neurotoxicology 2022, 88, 208 ( https://doi.org/10.1016/j.neuro.2021.12.003 ).

* 119 G. Ayhan et al., Front. Endocrinol. 2021, 12, 771641 ( https://doi.org/10.3389/fendo.2021.771641 ).

* 120 L. Legoff et al., Life Sci. 2021, 4, e202000944 ( https://doi.org/10.26508/lsa.202000944 ).

* 121 D. Saint-Amour et al., Neurotoxicology 2020, 78, 195 ( https://doi.org/10.1016/j.neuro.2020.02.012 ).

* 122 a) L. Multigner et al., Epidemiology 2006, 17, S372 ( https://doi.org/10.1097/00001648-200611001-00989 ) ; b) L. Multigner et al., Environ. Health 2008, 7, 40 ( https://doi.org/10.1186/1476-069X-7-40 ).

* 123 A. Gely-Pernot et al., Sci. Rep. 2018, 8, 10274 ( https://doi.org/10.1038/s41598-018-28670-w ).

* 124 L. Legoff et al., Epigenetics Chromatin. 2019, 12, 29 ( https://doi.org/10.1186/s13072-019-0276-7 ).

* 125 E. Tabet et al., Toxicol. Lett. 2016, 255, 1 ( https://doi.org/10.1016/j.toxlet.2016.02.005 ).

* 126 Ces évaluations ont été conduites par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) et l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR, pour la première évaluation) et l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR, pour la seconde évaluation).

* 127 P. Blanchard, A. Femenias, H. Gillet, A. Renucci, « Rapport d'évaluation des plans d'action Chlordécone aux Antilles (Martinique, Guadeloupe) », CGEDD (rapport n°007645-01), IGAS (rapport n°RM2011-184P), CGAAER (rapport n°11075), IGAENR (rapport n°2011-10), 2011 ( https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/124000126.pdf ).

* 128 C. Branchu, M.-E. Oppelt, C. Mir, A. Renucci, H.-L. Thibault, « Évaluation du troisième plan chlordécone et propositions », CGEDD (rapport n°012862-01), IGAS (rapport n°2019-053R), CGAAER (rapport n°19051), IGESR (rapport n°2020-011), 2020 ( https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/275533.pdf ).

* 129 Entre 1999 et 2008, on peut noter la mise en place d'un plan interministériel d'évaluation et de gestion des risques en 2003 et le lancement des études de suivi médical Timoun et Karuprostate en 2004.

* 130 Dans le cadre du plan chlordécone IV, un rapport a été demandé à l'Institut national de médecine agricole afin de formuler des recommandations pour le suivi médical des travailleurs exposés. Voir : Institut national de médecine agricole, « Suivi médical et prise en charge des professionnels des bananeraies exposés aux pesticides et en particulier la chlordecone dans les départements français des Antilles » 2022 ( https://www.inma.fr/wp-content/uploads/2022/03/INMA-Rapport_VDEF.pdf ).

* 131 M. Ferdinand, Revue française des affaires sociales 2015, 1-2, 163 ( https://doi.org/10.3917/rfas.151.0163 ).

* 132 Ce n'est qu'en 2009 que la chlordécone sera inscrite dans la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants (POP), interdisant son utilisation et sa production dans l'ensemble des pays signataires.

* 133 L. Audoux et al., « Une pauvreté marquée dans les DOM, notamment en Guyane et à Mayotte », Insee Première n° 1804, juillet 2020 ( https://www.insee.fr/fr/statistiques/4622377 ).

* 134 M. Ferdinand, Revue française des affaires sociales 2015, 1-2, 163 ( https://doi.org/10.3917/rfas.151.0163 ).

* 135 M. Ferdinand, « Le chlordécone au prisme des sciences humaines et sociales. Rapport scientifique du workshop organisé les 6 et 7 novembre 2019 à l'Université Paris Dauphine. », 2020 ( https://irisso.dauphine.fr/fileadmin/mediatheque/irisso/images/ACTU/Rapport_scientifique_du_workshop_Le_CLD_au_prisme_des_SHS_nov_2019_Ferdinand.pdf ).

* 136 « Plan stratégique de lutte contre la pollution contre la chlordécone », 2021 ( https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_chlordecone_iv_fevrier_2021-2.pdf ).

* 137 Agence nationale de la recherche, « Appel à projets sur la pollution par la chlordécone aux Antilles : six projets de recherche lauréats », 2022 ( https://anr.fr/fr/actualites-de-lanr/details/news/appel-a-projets-sur-la-pollution-par-la-chlordecone-aux-antilles-six-projets-de-recherche-laureats/ ).

* 138 Parmi ces 12 projets, 8 portaient exclusivement sur la chlordécone, 3 sur la chlordécone et d'autres molécules et 1 sur l'utilisation de sargasses pour traiter la pollution due à la chlordécone.

* 139 « Plan stratégique de lutte contre la pollution par la chlordécone 2021-2027. Premier bilan annuel. Situation au 31 mars 2022 », 2022

( https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_strategique_de_lutte_contre_la_pollution_par_la_chlordecone_2021-2027_bilan_annuel.pdf ).

* 140 Comité de pilotage scientifique, « Point de situation 2022 sur les connaissances scientifiques » 2022 ( https://www.chlordecone-infos.fr/sites/default/files/documents/Livretchlordecone2023.pdf ).

* 141 Ces vidéos sont disponibles sur la chaîne YouTube de l'association, voir : https://www.youtube.com/playlist?list=PLptVk_qLsXeHTx6fbSZzoHrE5FxU2Aatz

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page