C. LES DÉBAT CONJOINT SUR LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

1. L'intervention de Mme Anne Stambach-Terrenoir, au nom du groupe GUE

Merci, Monsieur le Président.

Je tiens d'abord à saluer Mesdames les rapporteures pour leurs travaux passionnants et remarquables.

Nous sommes en 2023, mais garantir les droits des femmes et assurer leur sécurité n'est toujours pas une évidence. Selon l'OMS, en 2021, plus d'une femme sur trois a été victime de violences physiques ou sexuelles, le plus souvent de la part de son partenaire intime. Dans mon pays, la France, au moins 106 femmes ont succombé l'année dernière sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. Notre tâche reste donc immense.

Le rapport de Mme Petra Stienen nous rappelle la nécessité et la possibilité de déconstruire les stéréotypes de genre, à l'origine de la spirale de la violence. Celui de Mme Margreet De Boer propose des pistes pour lutter contre les situations de captivité maritale, qui sont une atteinte à l'indépendance et à l'autodétermination des personnes.

Enfin, derrière les trois textes, un fil rouge : l'importance de la Convention d'Istanbul, dont le rapport de Mme Zita Gurmai présente le suivi.

C'est une convention historique qui a su mettre la lutte contre les violences faites aux femmes en centralité et l'ériger comme une urgence et une question de droit humain. Charge à chacun de nous, parlementaires de cette Assemblée, de la promouvoir avec force et fierté, car le rapport de Mme Zita Gurmai le montre bien : partout où elle est appliquée, la Convention d'Istanbul inspire des évolutions législatives positives.

C'est un traité précieux, car les droits des femmes ne sont jamais acquis : ils sont même les premières victimes de tous les reculs démocratiques.

À l'heure où l'on voit monter l'extrême droite et, avec elle, des dirigeants politiques qui contestent l'égalité des genres et font reculer le droit à l'interruption volontaire de grossesse, la Convention d'Istanbul est un point d'appui important et doit rester notre boussole.

La société civile et les défenseurs des droits des femmes en ont d'ailleurs fait leur slogan dans les rues de Pologne ou de Türkiye par exemple, comme souligné par le rapport.

Mes chers collègues, quel déchirement de voir que le pays qui a donné son nom à la convention, au lieu de le porter comme un honneur historique, a décidé d'en retirer sa signature. Comme la rapporteure, nous appelons de toute urgence la Türkiye à revenir sur cette décision funeste.

Car chaque crise donne lieu à des régressions pour la sécurité des femmes : les périodes de confinement liées à la pandémie de covid-19 et leurs incidences sociales et économiques ont eu pour conséquence d'exposer davantage les femmes à des partenaires violents, tout en limitant leur accès aux services d'accompagnement. La hausse des inégalités, les situations de crise humanitaire et de déplacement, et aujourd'hui la guerre en Ukraine, comme tous les conflits armés en cours, amènent violences physiques et sexuelles envers les femmes.

Nous l'avons affirmé hier : si nous voulons protéger les femmes en temps de guerre, il est capital que la Convention d'Istanbul soit d'abord pleinement appliquée en temps de paix.

C'est pourquoi notre Assemblée doit se prononcer unanimement pour la ratification de la convention par tous les États membres, comme le demandent les rapporteures, et pour la mise en place d'un suivi solide de l'application de ses dispositions.

Nous soutenons notamment la proposition d'un échange annuel sur les progrès de la ratification et de la mise en oeuvre de la convention.

Nous suggérons que ce suivi soit systématiquement présenté à l'Assemblée parlementaire par Mme la Secrétaire générale, en sa qualité de dépositaire des conventions européennes.

Je vous remercie.

2. L'intervention de M. François Calvet

Monsieur le Président,

Mes chers collègues,

Je remercie les rapporteures pour ces trois rapports qui nous permettent de débattre de la situation des violences faites aux femmes et de la mise en oeuvre de la Convention d'Istanbul. Le Conseil de l'Europe est et doit demeurer en pointe sur cette question.

En effet, les violences faites aux femmes restent encore beaucoup trop nombreuses. Une étude menée par l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne indique qu'au sein de l'Union européenne, un peu plus d'une femme sur cinq a subi des violences physiques ou sexuelles de la part d'un ancien compagnon ou de son compagnon actuel.

Toujours selon cette étude, 43 % des femmes ont été victimes, dans le cadre d'une relation amoureuse, de maltraitance psychologique ou de comportements dominateurs.

En France, une étude du Haut Conseil à l'égalité présentée la semaine dernière a malheureusement montré qu'un quart des hommes de moins de 35 ans estime qu'il faut parfois être violent pour se faire respecter. Cela montre l'ampleur du travail qu'il reste à accomplir. Face à ce triste constat, éduquer nos jeunes à l'égalité entre les femmes et les hommes m'apparaît essentiel pour jeter les bases d'une société sans violence.

Au-delà de l'éducation, il faut également mettre en place une politique globale de lutte contre les violences faites aux femmes, à l'image de ce qui a été fait en Espagne, comme le relève le rapport de notre collègue Mme Petra Stienen. Des campagnes de sensibilisation et de formation à destination des hommes sont bien organisées, mais elles s'accompagnent également en parallèle d'un durcissement de la loi pénale et d'un soutien aux victimes.

Aujourd'hui, la Convention d'Istanbul initiée par le Conseil de l'Europe est reconnue comme un outil particulièrement utile pour lutter contre les violences faites aux femmes.

Elle fournit un cadre essentiel pour les législations nationales et de nombreux codes pénaux ont été adaptés pour être en phase avec la Convention. J'encourage tous les États membres de notre Organisation à signer et ratifier cette convention et je me félicite de la déclaration faite hier, dans notre hémicycle, par la ministre allemande des Affaires étrangères. Je forme également le voeu que l'Union européenne, en tant que telle, adhère à cette convention.

Au-delà de cette phase, il importe bien sûr que les États respectent ensuite leurs engagements. Je veux à cet égard souligner le rôle essentiel du GREVIO, dont les recommandations doivent être suivies d'effets. Une évaluation régulière des législations nationales est également nécessaire pour s'assurer de leur efficacité.

Je voterai donc les trois projets de résolution qui nous sont proposés aujourd'hui.

3. L'intervention de M. Bertrand Bouyx

Merci, Monsieur le Président.

Mes chers collègues,

Dans mon pays, la France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint ou ancien conjoint et les violences au sein du couple ne font qu'augmenter. Je suis sûr qu'il en est de même chez la plupart des pays que nous représentons dans cette Assemblée. Et encore, ces meurtres ne sont que la partie émergée de l'iceberg.

Les violences envers les femmes prennent en effet des formes variées, de la violence d'un partenaire intime aux mutilations génitales féminines en passant par la cyberviolence, qui est en pleine croissance. Quelle que soit leur forme, où qu'elles se produisent, les violences tirent leur origine d'une cause principale : l'inégalité entre les sexes. Elles ont de lourdes répercussions pour les victimes et représentent un lourd fardeau pour les sociétés.

Pourtant, et au moins depuis cinq ans, le monde se mobilise davantage. C'est ainsi que le Président de la République française, Emmanuel Macron, pour une société plus égalitaire, vient de faire de cette journée du 25 janvier une journée nationale contre le sexisme. J'invite aujourd'hui tous les membres du Conseil de l'Europe à nous rejoindre sur cette journée.

Le combat contre ces violences a permis des avancées réelles. Le Conseil de l'Europe est unanimement reconnu comme étant à l'avant-garde avec son outil phare : la Convention d'Istanbul.

Cette convention a trois atouts majeurs :

- Elle traite de la violence envers les femmes dans toutes ses dimensions et tend ainsi à incriminer un large ensemble d'infractions.

- Bien qu'il s'agisse d'un instrument d'origine régionale, la Convention d'Istanbul est d'emblée ouverte à tous les pays. Elle a une vocation universelle.

- Enfin, elle a une dimension contraignante puisqu'elle oblige à des aménagements des droits internes des États.

C'est pour ces raisons que nous ne pouvons qu'inciter les pays membres de notre Organisation qui n'ont pas encore ratifié ou même signé la convention de le faire : il en va de notre crédibilité sur cette question essentielle.

La France, comme je vous l'ai dit en introduction, est encore loin d'en avoir fini avec ce fléau. Je voudrais cependant conclure avec une petite victoire remportée la semaine dernière. En effet, notre Assemblée nationale a adopté à l'unanimité une proposition de loi du Sénat créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales. En effet, la règle est aujourd'hui celle de l'éloignement du conjoint violent. Or, la démarche n'est pas adaptée aux situations d'urgence qui nécessitent une protection immédiate. Ainsi, la dépendance financière constitue aujourd'hui un frein majeur qui dissuade les victimes de quitter le domicile conjugal. Cette aide votée à l'unanimité permettra peut-être une meilleure protection avant qu'il ne soit trop tard.

Notre session - et ce débat - permettra, je l'espère, de réfléchir à ce qui fonctionne dans nos différents pays afin de le généraliser.

Je vous remercie toutes et tous.

4. L'intervention de M. Bernard Fournier

Monsieur le Président,

Mes chers collègues,

Je voudrais commencer par remercier nos trois collègues pour leurs rapports qui soulignent combien la lutte contre les violences faites aux femmes reste un combat d'actualité.

La Convention d'Istanbul est une avancée majeure à mettre au crédit du Conseil de l'Europe. Elle a permis d'influencer de nombreuses législations nationales dans le but de protéger davantage les femmes contre les violences dont elles pourraient être victimes. Ceci devra, me semble-t-il, être rappelé dans le cadre du Sommet de Reykjavik pour mettre en exergue l'intérêt des conventions du Conseil de l'Europe.

Les avancées concrètes, sur le terrain, n'auraient pas été possibles sans le concours des parlements nationaux, qui adoptent des mesures allant dans le sens souhaité par la convention.

Il nous appartient en effet à nous, parlementaires, de nous assurer que nos législations sont conformes à la Convention d'Istanbul et que les recommandations du GREVIO sont mises en oeuvre. Les politiques éducatives dans les établissements scolaires, les formations dispensées - notamment aux forces de l'ordre - et les dispositifs destinés à venir en aide aux victimes doivent être développés.

Malgré son intérêt évident, la Convention d'Istanbul a été dénoncée par la Türkiye. Je le regrette vivement et m'inquiète particulièrement pour les femmes turques, à un moment où leurs droits sont particulièrement menacés. Je regrette également les fausses représentations véhiculées sur cette convention par certaines organisations transnationales qui s'efforcent de saper les droits des femmes pour maintenir une société patriarcale.

Il est notamment reproché à la Convention d'Istanbul l'emploi du mot « genre », laissant entendre qu'elle viserait en fait à promouvoir une certaine idéologie du genre. Or, le mot « genre » doit être entendu comme une conception sociale qui vise à maintenir les femmes sous la domination des hommes et à légitimer la violence.

Bien sûr, la convention aborde le cas des femmes LGBTI+ mais dans le seul but de leur assurer la protection à laquelle elles ont légitimement droit face aux violences. Il en va de même pour les femmes qui demandent l'asile en Europe et qui peuvent être victimes de groupes mafieux.

Nous vivons une période qui pose de nouveaux défis pour la protection des femmes face aux violences. L'épidémie de covid-19 et ses confinements successifs ont favorisé l'isolement et les tendances violentes de certains. De nombreuses violences domestiques ont été signalées durant cette période.

Nous devons donc rester vigilants et continuer à promouvoir la Convention d'Istanbul au sein de nos États respectifs. Je me félicite à cet égard de la décision courageuse de l'Ukraine, qui a ratifié la convention à un moment particulièrement difficile de son histoire. C'est un symbole extrêmement fort qui exerce une réelle force d'entraînement, comme nous l'a montré hier le discours de la ministre allemande des Affaires étrangères.

Je vous remercie.

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