N° 758

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 juin 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les programmes de modernisation de la navigation aérienne 4-Flight, Co-Flight et Sysat,

Par M. Vincent CAPO-CANELLAS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

La commission des finances a examiné, le mercredi 21 juin 2023, la communication de M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens », sur son contrôle budgétaire portant sur les grands programmes de modernisation du contrôle de la navigation aérienne.

Dans un rapport d'information de juin 2018, le rapporteur avait dressé le constat alarmant du retard technologique du contrôle aérien français. Avec 20 ans de retard sur ses homologues, il était devenu « l'homme malade de l'Europe », principal générateur de retards du continent.

I. LES GRANDS PROGRAMMES DE MODERNISATION DU CONTRÔLE AÉRIEN ONT MULTIPLIÉ LES COÛTEUSES MODIFICATIONS DE PLANS DE VOL

A. DE DÉRIVES EN DÉRIVES, LA MODERNISATION DE LA DSNA EST LONGTEMPS RESTÉE CLOUÉE SUR LE TARMAC ET SES COÛTS ONT EXPLOSÉ

Pour éviter d'être déclassée par les évolutions technologiques, la DSNA a lancé d'ambitieux programmes d'investissement qui ont accumulé les déboires tant en termes de délais que de surcoûts financiers. En 2018, le rapporteur avait pointé de profondes lacunes de pilotage liées à des dysfonctionnements de la gouvernance des programmes par la DSNA et aux difficultés de la direction de la technique et de l'innovation (DTI), « une organisation trop repliée sur elle-même ».

Évolution des coûts d'investissement
des programmes 4-Flight, Coflight et Sysat

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les annexes budgétaires aux lois de finances

 
 
 
 

de surcoûts des principaux programmes

de délais pris par les projets 4-Flight et Coflight

le nombre de pages du cahier des charges Sysat

dépensés en pure perte sur le programme Sysat

B. LA GESTATION CONTRARIÉE ET DISPENDIEUSE DE 4-FLIGHT ET COFLIGHT

Engagé en 2011, 4-Flight est le programme majeur de modernisation du système français de gestion du trafic aérien. Alors qu'il devait être déployé dès 2015, 4-Flight n'a été mis en service dans deux centres sur cinq qu'en 20221(*) et ne devrait être complètement déployé que d'ici 2026, soit après plus de 10 ans de retard. Entretemps, les coûts prévisionnels du programme ont doublé (+ 435 millions d'euros). Pour arriver à ce résultat, en 2021, la DSNA a pris la décision salutaire du déploiement d'une version harmonisée dans l'ensemble de ses cinq centres en route de la navigation aérienne (CRNA). Cette décision courageuse a rompu avec les habitudes qui privilégiaient des solutions hétérogènes, une pratique parfaitement inefficiente.

Lancé en 2002, le programme Coflight, complémentaire, est un système de traitement automatique des plans de vol. Croyant mutualiser les dépenses, la DSNA s'est associée au prestataire de services de la navigation aérienne (PSNA) italien et avait l'ambition de convaincre d'autres PSNA d'adopter ce système. Cette ambition a fait long feu : la DSNA sera le seul PSNA à assumer les coûts de Coflight qui ont doublé (+ 160 millions d'euros) depuis son lancement. Son bon achèvement reste problématique.

« L'adhérence quasi-totale » des deux programmes a été sous-estimée jusqu'en 2021, une situation qui n'a pas été sans conséquences sur les difficultés du programme 4-Flight. Une évolution contractuelle des deux programmes s'impose afin d'articuler leur pilotage.

C. L'ÉCHEC (TEMPORAIRE ?) DU PROGRAMME SYSAT SYMPTOMATIQUE DES ERREMENTS ANTÉRIEURS DE LA DSNA

Le programme Sysat a été lancé en 2011 pour moderniser les centres d'approche et les tours de contrôle avec un volet pour la région parisienne (Sysat G1) et un autre pour la province (Sysat G2).

Sysat G1 devait passer par l'acquisition « sur étagère » d'un système standard, qui rompait avec les habitudes de la DSNA. Toutefois la DSNA, a rédigé un cahier des charges d'environ 10 000 pages, excluant tout produit existant. Cette sur-spécification caricaturale a conduit l'industriel dans une impasse, entraînant une dérive rapide et considérable des coûts et des délais. L'organisation de la DSNA et sa maîtrise d'ouvrage beaucoup trop dispersée, source d'incohérences, a condamné ce programme dont l'échec a été courageusement acté en 2021. Cet arrêt salutaire est coûteux.

Le programme Sysat G1 a ainsi été complètement restructuré. Le contrat avec l'industriel SAAB/CS pour le site de Roissy Charles-de-Gaulle (CDG) a été résilié au profit d'une simple remise à niveau du système existant des tours de contrôle. Pour Orly, le contrat a dû être revu largement pour y faire entrer un projet certes différent mais plus réaliste : l'achat « sur étagère » d'un système destiné à la tour de contrôle.

Le programme Sysat G2 était totalement irréalisable, sa première mouture envisageant de moderniser l'ensemble des tours de contrôle à horizon 2020. Abandonné, il repart de zéro. Cette révision déchirante était nécessaire. Toutefois, les perspectives restent floues tant en termes techniques que de calendrier. Une restructuration du réseau de la DSNA trop étendu pour être modernisé dans des délais et à des coûts respectables, constitue un préalable et passe par une phase de concertation.

Depuis son lancement, le coût du programme Sysat a plus que quintuplé et au moins 37 millions d'euros auront été dépensés en pure perte.

II. NON SANS DIFFICULTÉS, LA DSNA COMMENCE ENFIN À REPRENDRE LE CONTRÔLE DE SA MODERNISATION

A. LA DSNA SEMBLE AVOIR ENGAGÉ SON INDISPENSABLE AGGIORNAMENTO

Par ses dernières décisions, souvent douloureuses, à l'instar de Sysat, la DSNA a amorcé un virage stratégique à plusieurs facettes qui rejoint en grande partie les recommandations que le rapporteur formule depuis cinq ans. Cet aggiornamento se traduit par un objectif de convergence et d'harmonisation des systèmes, un principe d'achat de produits « sur étagère » et la fin des sur-spécifications pour inscrire si possible l'effort de modernisation de la DSNA dans de véritables feuilles de routes industrielles partagées avec d'autres PSNA. Les dernières décisions témoignent aussi d'un souci de piloter plus les programmes en fonction des dates de mise en service, quitte à faire passer au second plan certaines demandes opérationnelles non essentielles. Alors qu'elle a parfois été dans une logique de quasi-confrontation souvent stérile avec les industriels, la DSNA semble de plus en plus s'inscrire dans des rapports de partenariat exigeant et elle s'emploie désormais à associer les contrôleurs le plus en amont possible des projets.

Parce qu'il appelle depuis 2018 la DSNA à conduire sa nécessaire révolution culturelle et stratégique, le rapporteur encourage ce virage récent qui, s'il est confirmé, permettra au contrôle aérien français d'évoluer d'un mode « artisanal » vers un modèle « industriel ».

B. POUR BRISER SON « VASE CLOS » LA RÉFORME DE LA GOUVERNANCE DE LA DSNA DOIT FRANCHIR UNE ÉTAPE SUPPLÉMENTAIRE

La DGAC et la DSNA ont engagé une réorganisation administrative symbolisée notamment par la création de la direction de la stratégie et des ressources (DSR). Si cette initiative globale va dans le bon sens, elle reste timorée. Le fait qu'aucune autorité en dehors du Sénat n'ait « tiré le signal d'alarme » plus tôt pour imposer des révisions stratégiques témoigne d'un dysfonctionnement grave. Une régulation indépendante des performances de la navigation aérienne peut être un incitateur puissant à son retour puis à son maintien à un niveau d'excellence. Elle serait en mesure de poser un diagnostic objectif sur d'éventuelles nouvelles dérives.

Cette nouvelle gouvernance, associant des interlocuteurs extérieurs, passe à minima, par la création d'un comité d'engagement associant notamment la direction du budget.

III. LES GRANDS PROGRAMMES ONT OCCULTÉ L'OBSOLESCENCE CRITIQUE DES INFRASTRUCTURES DE BASE ET LA DSNA DOIT DÉJÀ RÉFLÉCHIR AU COUTEUX APRÈS 4-FLIGHT

A. UNE NOUVELLE ÉTAPE DE MODERNISATION À L'HORIZON

4-Flight n'a pas d'avenir de long terme car il n'a pas été conçu sur une architecture informatique pérenne. Le coût de sa maintenance et de ses évolutions, que la DSNA devrait assumer seule, n'est pas soutenable. Aussi, la DSNA doit déjà affiner sa stratégie dans la perspective du système qui lui succèdera à l'horizon de la fin de la décennie. La DSNA doit absolument s'inscrire dans des feuilles de route industrielles afin de partager les frais de ses systèmes avec d'autres PSNA. Dans cette perspective, la DSNA a entamé des réflexions portant sur un plan de transition progressive du système 4-Flight vers un outil standard dont le coût pourrait atteindre 524 millions d'euros d'ici 2035.

B. LES GRANDS PROGRAMMES ONT OCCULTÉ L'ÉTAT D'OBSOLESCENCE CRITIQUE DES INFRASTRUCTURES DE LA DSNA

La focalisation sur les grands programmes de modernisation a occulté des situations d'obsolescence sur d'autres systèmes et infrastructures. Le déficit de financement annuel sur les investissements hors grands programmes a pu se chiffrer entre 50 et 70 millions d'euros pour une dette technologique accumulée de 700 millions d'euros. L'ensemble des infrastructures de la DSNA semble aujourd'hui exposé à des phénomènes plus ou moins prononcés d'obsolescence et de vétusté. Il devient désormais urgent de veiller à sanctuariser une enveloppe budgétaire annuelle suffisante pour entretenir les infrastructures critiques de la DSNA.

C. EN CONTREPARTIE D'UNE TRAJECTOIRE D'INVESTISSEMENT PLURIANNUELLE DYNAMIQUE, LA DSNA DOIT CONFIRMER SON VIRAGE STRATÉGIQUE ET DONNER PLUS DE GARANTIES

La DSNA se trouve actuellement, et pour peut-être une décennie, dans une phase critique où elle doit tout à la fois assumer le coût des dérives constatées sur ses différents programmes de modernisation, maintenir en conditions opérationnelles des systèmes anciens, assurer l'aboutissement des programmes en cours, anticiper les modernisations à venir et combler des années de sous-investissement dans ses infrastructures.

Pour répondre à ses enjeux d'investissements, la DSNA a proposé une trajectoire d'investissement pluriannuelle (2024-2029) nettement majorée (de 450 millions d'euros) par rapport aux estimations réalisées à l'automne 2022. Une trajectoire d'investissement si ambitieuse reste à évaluer et ne serait envisageable qu'à la condition que la DSNA donne plus de garanties en termes de transparence, de performance et de pilotage de ses projets. Le respect de la trajectoire de désendettement du BACEA en est une autre condition indissociable.

LISTE DES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1 : à des fins d'optimisation opérationnelle, technique et financière, ainsi que pour garantir le maintien en condition opérationnelle (MCO) de ces outils, faire rapidement aboutir l'objectif d'articuler les programmes 4-Flight et Coflight au sein d'une seule architecture contractuelle (DSNA) ;

Recommandation n° 2 : rationaliser le réseau des tours et des approches de la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) afin de pouvoir en assurer la modernisation et la maintenance (DSNA) ;

Recommandation n° 3 : garantir une régulation réellement indépendante et efficace des performances de la DSNA et mettre en oeuvre un comité de suivi financier des grands programmes du type de ceux qui existent au sein des ministères des armées et de l'intérieur (Loi, DGAC, DB) ;

Recommandation n° 4 : mutualiser les coûts et les risques liés au développement de systèmes de navigation aérienne innovants grâce à des partenariats avec d'autres prestataires de services de la navigation aérienne (DSNA) ;

Recommandation n° 5 : sanctuariser une enveloppe d'investissements dédiée au maintien des infrastructures critiques de la DSNA (DGAC, DB) ;

Recommandation n° 6 : améliorer le pilotage budgétaire des programmes de la DSNA, notamment en généralisant la budgétisation AE ? CP (DGAC) ;

Recommandation n° 7 : instaurer un contrat d'objectifs et de performances pluriannuel entre la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et la direction du budget (DGAC, DB) ;

Recommandation n° 8 : tenir les engagements pris par la DGAC au titre de la trajectoire de désendettement du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (DGAC).

INTRODUCTION
LES TROUS D'AIR SUCCESSIFS DU PLAN DE VOL DE LA MODERNISATION DE LA DSNA

I. UNE MODERNISATION DU CONTRÔLE AÉRIEN QUI A TROP LONGTEMPS FAIT DU « SUR PLACE » PAR DÉFAUT DE PILOTAGE ET D'ORIENTATIONS CLAIRES

Dans son rapport d'information « Retards du contrôle aérien : la France décroche en Europe » publié le 13 juin 20182(*), le rapporteur spécial avait dressé le constat du retard technologique devenu « alarmant » du contrôle aérien français. Il soulignait que cette situation profondément insatisfaisante témoignait d'un décalage flagrant, et de plus en plus gênant, avec le rang de grande nation aéronautique très légitimement revendiqué par la France ainsi qu'avec son influence au sein des instances internationales de régulation de l'aviation civile3(*), le symbole le plus frappant du retard technologique accumulé par la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) étant l'utilisation de bandelettes de papier, communément appelées « strips », par les contrôleurs aériens pour recevoir les données des vols et donner leurs instructions aux pilotes. Le rapporteur spécial regrettait que du fait de ce retard, la France était « tombée de son piédestal » et devenait de plus en plus « un facteur bloquant » en Europe.

La comparaison avec nos homologues européens est particulièrement saisissante lorsque l'on sait qu'un centre de contrôle aérien en-route tel que celui de Maastricht avait basculé en environnement tout électronique dès 1992. En 2018 déjà la DSNA était le seul prestataire de services de la navigation aérienne (PSNA) européen dont l'ensemble des centres n'étaient pas passés en environnement tout électronique. Il est d'ailleurs frappant de constater qu'en 2023, plus de 30 ans après la modernisation du centre de Maastricht, le centre en-route de la navigation aérienne (CRNA) Nord d'Athis-Mons fonctionne toujours avec des bandelettes papier.

Dans ce même rapport, le rapporteur spécial constatait que le système Cautra4(*), qui avait pu être considéré comme particulièrement innovant au moment de sa création en 1959, avait définitivement « atteint ses limites » et était désormais « dépassé ». Son architecture ne permet plus de le faire évoluer pour répondre aux nouvelles exigences du contrôle aérien, notamment dans le cadre du programme de Ciel unique européen.

Ce retard technologique affecte l'économie du transport aérien et la compétitivité de ce secteur en France dans la mesure où, en bridant ses capacités de contrôle aérien, il est à l'origine d'une partie des retards générés par la DSNA. En 2022, le rapporteur spécial note que la DSNA a encore généré 4,1 millions de minutes de retards5(*), soit 1,4 minute par vol et 21 % des délais observés sur le réseau européen.

La modernisation des outils du contrôle aérien français était une nécessité impérieuse. Depuis longtemps déjà la DSNA en a pris conscience et a lancé d'ambitieux programmes d'investissements à cette fin. Toutefois, ces programmes se sont enlisés, ils ont accumulés les déboires tant en termes de délais que de surcoûts financiers, à tel point que dans son rapport précité, le rapporteur spécial s'alarmait de l'absence de réussite de ces programmes tout en déplorant leur dérive financière ininterrompue. En 2018, le coût total des grands programmes de modernisation technique de la DSNA dépassait ainsi les 2,1 milliards d'euros sans qu'à l'époque ces projets, à l'exception du système Erato déployé dans les CRNA de Bordeaux et de Brest, ne se soient traduits par des résultats concrets.

Faute d'une information suffisamment précise dans les annexes budgétaires du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA)6(*), le rapporteur spécial avait reconstitué en 2018 les écarts constatés en termes de coûts comme de délais pour chacun des grands programmes de modernisation de la DSNA. À ce titre, il avait constaté une dérive particulièrement significative des programmes 4-Flight, Coflight et Sysat.

Le rapporteur spécial s'était alors interrogé sur le caractère systématique des dérives financières et en termes de délais de chacune des opérations de modernisation technique de la DSNA. Il avait pointé de profondes lacunes en matière de pilotage des grands programmes d'investissements. Les dysfonctionnements de la gestion des opérations de modernisation avaient notamment pour origine une gouvernance sous-optimale, en partie liée aux caractéristiques de la direction de la technique et de l'innovation (DTI) de la DSNA, « une organisation rigide, peu réactive et trop repliée sur elle-même7(*) ».

Le rapporteur spécial faisait notamment le constat que le fonctionnement quasi autonome de la DTI n'était pas sans lien avec le choix systématique de la DSNA de développer des systèmes « cousus main », « sur mesure », plutôt que d'opter pour l'acquisition de systèmes industriels standards « sur étagère », une tendance qui était cependant parfois partagée par les contrôleurs eux-mêmes. En outre, un « tropisme ingénieur » et un « perfectionnisme excessif » ont pu participer à la tendance forte de la DSNA à « surspécifier » les programmes d'investissement. Ce phénomène, lorsqu'il est poussé à l'extrême comme c'était le cas à la DSNA, est source de difficultés pour les industriels, de retards et de surcoûts.

II. COROLLAIRE DE L'ALLONGEMENT DES DÉLAIS, L'EXPLOSION DES COÛTS

A. COFLIGHT, SYSTÈME DE TRAITEMENT DES PLANS DE VOLS, CONÇU COMME UN NOUVEAU STANDARD RÉVOLUTIONNAIRE NE SERA UTILISÉ QUE PAR LA DSNA

Le programme Coflight a démarré en 2002. Sa vocation était de créer un système de traitement automatique des plans de vol de nouvelle génération. Cet outil, qui permet une modélisation des plans de vol en quatre dimensions, devait se traduire par une vraie rupture opérationnelle et technologique. L'intérêt principal de Coflight est de permettre une mise à jour en temps réel et automatique de la trajectoire des plans de vol, notamment en prenant en compte les interventions effectuées par les contrôleurs aériens des différents secteurs traversés.

Grâce à Coflight, le contrôleur aérien doit disposer d'une meilleure prévision de la trajectoire des aéronefs, ce qui doit permettre à la DSNA d'offrir des services de navigation aérienne plus performants8(*) ou de réduire la durée du vol et la consommation de carburant.

L'outil Coflight intéresse aussi le ministère des armées dans la mesure où il doit gérer à lui seul les plans de vol civils et militaires quand les systèmes Cautra et STRIDA gèrent les plans de vol séparément.

Dès l'origine, et afin de mutualiser les dépenses de développement de ce projet, la DSNA s'est associée au PSNA italien, l'ENAV9(*). Pour mener à bien ce projet, la DSNA et l'ENAV ont conclu un contrat avec un consortium formé des industriels Thalès et Leonardo.

Cette coopération franco-italienne ne devait être qu'un début et la DSNA avait l'ambition de convaincre d'autres PSNA européens d'adopter ce système. En 2018 encore, la DSNA escomptait faire évoluer le cadre du programme pour constituer un groupement de commandes transnational afin de mutualiser les coûts de la maintenance corrective et évolutive de l'outil. Cependant, aujourd'hui, cette ambition a fait long feu, l'ENAV se retire du projet et la DSNA sera très vraisemblablement le seul PSNA à opérer Coflight et à assumer les coûts de ses développements futurs (voir infra).

Coflight est désormais intimement lié au programme 4-Flight dont il doit constituer le « coeur ». Ses développements et son calendrier de déploiement se confondent donc avec ceux de 4-Flight.

B. ÉLÉMENT CLÉ DE LA MODERNISATION DU CONTRÔLE AÉRIEN, 4-FLIGHT EST LONGTEMPS RESTÉ CLOUÉ SUR LE TARMAC

Engagé en 2011, 4-Flight est le programme majeur de modernisation du système français de gestion du trafic aérien, dit « ATM10(*) ». Système de contrôle aérien complet de nouvelle génération, 4-Flight a vocation à se substituer à l'outil Cautra utilisé depuis les années 1960. Ce programme a été confié à Thalès en partenariat avec la direction de la technique et de l'innovation (DTI) de la DSNA très impliquée dans cette opération et elle-même conceptrice de certains périphériques de l'outil.

Grâce à une interface homme-machine moderne et des outils d'assistance automatisés, 4-Flight a vocation à générer des gains de productivité et donc à accroître les capacités du contrôle aérien.

En 2018, le rapporteur spécial avait fait le constat des dérives budgétaires et temporelles du programme. Alors que l'accord cadre initial prévoyait un déploiement en 2015, il est vite apparu que l'ampleur du projet n'était pas compatible avec cette échéance. Après la livraison par Thalès de versions pré-opérationnelles11(*), la première étape de déploiement a été une première fois reportée à l'hiver 2018-2019. Cependant, après le test des versions intermédiaires, la DSNA a décidé une nouvelle fois de reporter les premiers déploiements12(*) de 4-Flight de deux ans, à l'hiver 2020-2021. Suite à de nouveaux tests de validation, cette échéance sera une nouvelle fois décalée d'un an et demi pour le CRNA de Reims13(*) et de deux ans pour le centre d'Aix-en-Provence14(*).

Les rapports compliqués entre la DSNA et Thalès à la fin de la décennie 2010 peuvent expliquer une part des difficultés majeures rencontrées sur le programme à cette période. La DSNA reprochait notamment aux versions intermédiaires livrées par Thalès de n'être ni assez robustes pour satisfaire les exigences de fiabilisation et de certification d'assurance logicielle, ni suffisamment résilientes pour fonctionner correctement en mode dégradé, ni suffisamment sécurisées contre les risques cyber. Enfin, il est apparu que les contraintes liées à l'interaction profonde des outils 4-Flight et Coflight avaient été largement sous-estimées et que des développements complémentaires de Coflight étaient indispensables avant de pouvoir déployer 4-Flight.

Des négociations contractuelles très difficiles ont alors été conduites entre la DSNA et Thalès. Elles se sont prolongées un an entre juillet 2017 et juin 2018. Elles ont conduit à rallonger les délais de développement et ont participé à amplifier le dérapage des coûts du programme, passés de 450 millions d'euros en 2011 à 500 millions d'euros en 2013, 583 millions d'euros en 2016, 670 millions d'euros en 2017 puis 850 millions d'euros en 2018 après la conclusion de l'avenant au contrat.

C. SYSAT DEVAIT MODERNISER LES TOURS ET LES APPROCHES MAIS DÈS 2018 NOUS PRÉDISIONS SON ÉCHEC

Le programme Sysat a été lancé en 2011, au même moment que 4-Flight, dans la perspective de procéder à la modernisation des centres d'approche et des tours de contrôle de la DSNA. À l'instar de 4-Flight pour les centres en-route de la navigation aérienne (CRNA), Sysat devait offrir aux contrôleurs aériens de nouveaux outils dans les tours de contrôle ainsi que dans les salles d'approche de la DSNA pour leur permettre de s'affranchir des bandelettes papier et de basculer en environnement tout numérique.

En 2018, le rapporteur spécial avait pu constater à quel point les systèmes de contrôle aérien des tours et des approches de la DSNA étaient « obsolètes et disparates » au détriment du confort de travail et de la productivité des contrôleurs.

Contrairement à 4-Flight, Sysat devait passer par un « achat sur étagère » d'un système industriel standard. Un principe qui en réalité n'a pas du tout été respecté par la DSNA (voir infra).

Le programme Sysat a été divisé en deux groupes :

- un premier groupe, « Sysat G1 », centré sur les centres d'approche et tours de contrôle de région parisienne ;

- un deuxième groupe, « Sysat G2 », concernant les autres centres d'approche et tours de contrôle.

L'appel d'offre lancé en 2017 sur le premier groupe a été attribué au consortium d'industriels SAAB/CS. À l'origine, les mises en service de Sysat G1 devaient intervenir entre le premier semestre 2018 et le début de l'année 2020. Très vite ce calendrier a largement dérapé puisqu'en 2018 seule la modernisation du site de Paris-Orly était programmée pour 2020 avant que le déploiement en soit étendu aux autres sites parisiens au cours des cinq années suivantes.

Alors qu'en 2018 le rapporteur spécial ne masquait pas sa profonde inquiétude quant aux perspectives du projet global, le déploiement prévu à Orly en 2020 n'a pas eu lieu et le programme Sysat initial a été abandonné (voir infra).

PREMIÈRE PARTIE
EN POSITION DE FAIRE ABOUTIR SES PROGRAMMES DE MODERNISATION, LA DSNA CONTINUE DE PAYER CHER SES ERREURS PASSÉES

I. LA GESTATION CONTRARIÉE ET COÛTEUSE DES PROGRAMMES 4-FLIGHT ET COFLIGHT

A. APRÈS 10 ANS DE RETARD ET UN COÛT MULTIPLIÉ PAR DEUX, 4-FLIGHT PARTIELLEMENT DÉPLOYÉ : LA RECHERCHE D'UNE VERSION HARMONISÉE

1. Après de multiples déconvenues, 4-Flight semble finalement en passe d'être déployé de façon uniforme dans l'ensemble des centres en-route de la navigation aérienne (CRNA)

Onze ans après son lancement, le 5 avril 2022 le système 4-Flight15(*) a enfin été déployé dans un centre en route de la navigation aérienne (CRNA), à Reims. Le 9 décembre de la même année, il a été mis en service au CRNA d'Aix-en-Provence. Cet évènement a été si longtemps attendu et espéré qu'il faut s'en réjouir.

À l'occasion de son déplacement au sein du CRNA de Reims, le rapporteur a néanmoins pu constater à quel point le déploiement de 4-Flight y a été tout sauf une sinécure. De nombreuses difficultés qui n'avaient pas été identifiées durant les phases de tests ont été détectées suite à la mise en service. Elles ont dû être résolues presque en temps réel dans des délais extrêmement contraints pour stabiliser l'exploitation et ce grâce à un engagement remarquable et à une collaboration très étroite entre les opérationnels de la salle de contrôle, les directions du centre et de la DSNA et l'industriel Thalès.

Le rapporteur spécial a pu noter que les équipes de Thalès ont été très présentes et investies dans toute la phase du déploiement de 4-Flight à Reims. Les conditions contractuelles ont été révisées en urgence et un fonctionnement en méthode « agile » a été mis en place de façon très réactive pour pouvoir apporter des correctifs dans des délais extrêmement brefs à l'ensemble des dysfonctionnements constatés. Cet aspect a sans doute joué un rôle décisif dans le succès du déploiement et tout particulièrement pour gagner la confiance des opérationnels de la salle de contrôle.

Le rapporteur spécial a le sentiment que la réussite de cette mise en service complexe n'est pas étrangère à l'amélioration évidente, depuis quelques années, des relations entre la DSNA et Thalès. Dans la perspective notamment du déploiement de 4-Flight à Reims, et plus généralement dans le but d'améliorer le pilotage de ce programme crucial pour la modernisation du contrôle aérien, une nouvelle gouvernance avait été mise en place à l'été 2021 entre la direction de la DSNA et Thalès. Ce nouveau modèle de pilotage s'est matérialisé par des réunions de suivi mensuelles du programme entre, pour la DSNA, le directeur des services de la navigation aérienne et, pour Thalès, le vice-président exécutif Land an Air Systems, membre du comité exécutif du groupe, et le directeur de Thalès Air Systems. Ce nouveau mode de gouvernance du projet a considérablement renforcé le suivi des engagements contractuels avec l'industriel, offert davantage de réactivité et d'efficacité à la faveur de boucles de décisions raccourcies et permis une meilleure gestion des risques.

Les conditions du déploiement de 4-Flight à Aix-en-Provence à partir de décembre 2022 ont été beaucoup moins mouvementées, celle-ci ayant profité à plein des enseignements de la mise en service au CRNA de Reims qui avait « essuyé les plâtres ». Le rapporteur spécial note que c'est là un avantage non négligeable de l'harmonisation des systèmes. Le déploiement d'un outil commun facilite grandement la diffusion de la modernisation technologique au sein des différents centres de la DSNA.

Au printemps 2023 subsistait toutefois un problème significatif non résolu qui pénalisait gravement la performance du nouveau système en matière de contrôle des vols dans les espaces aérien dits inférieurs. Ce problème, qui n'avait pas été identifié au cours des phases de tests, y compris en conditions réelles, provenait pourtant d'une fonctionnalité connue de Coflight à savoir le recalcul automatique des trajectoires de plans de vol.

Si cette fonctionnalité ne pose pas de difficultés dans l'espace aérien supérieur, elle s'est avérée potentiellement très gênante pour les contrôleurs dans les espaces aériens inférieurs s'agissant de la gestion des vols en situation de pré-approche. En effet dans ces situations, à partir d'un moment, le contrôleur aérien finit par figer la trajectoire de l'avion pour qu'il sorte de son secteur au niveau et selon la trajectoire souhaitée. Or, Coflight procédait à des changements de trajectoires automatiques pour des raisons techniques y compris après que la trajectoire ait été figée pour des raisons de contrôle, et ce parfois moins de trois minutes avant que le vol ne sorte du secteur contrôlé. Une version correctrice de Coflight, dite V1.4.55, a ainsi été développée et installée dans la nuit du 10 au 11 mai 2023. Les premiers retours semblent positifs, toutefois il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions définitives. La période d'évaluation se poursuit et un premier bilan doit être réalisé à la fin du mois de juin 2023.

Initialement, grâce au déploiement de 4-Flight dans les CRNA de Reims et d'Aix-en-Provence, la DSNA escomptait atteindre des gains de productivité d'environ 20 % à un horizon de trois ans (6 % la première année puis 7 % par an chacune des deux années suivantes).

Cependant, les difficultés imprévues de mise en oeuvre rencontrées à Reims, notamment liées au système Coflight ont, à court terme, nettement affecté les gains de productivité qui étaient espérés, tout particulièrement s'agissant du trafic dans l'espace aérien inférieur. Au printemps 2023, concernant l'espace aérien supérieur, le CRNA de Reims constatait un retour au niveau de capacité antérieur à la mise en service de 4-Flight voire son accroissement de 10 à 20 % selon les secteurs.

Le rapporteur spécial en conclut que le potentiel d'amélioration de la performance du contrôle aérien lié au passage à 4-Flight semble bien confirmé même si les premiers pas du centre de Reims ont été compliqués.

En revanche, en attendant la mise en service du patch correctif du système Coflight, le CRNA de Reims enregistrait toujours, un an après le déploiement de 4-Flight, des réductions de capacités de 10 % en moyenne sur les secteurs inférieurs.

À l'heure où ces lignes sont écrites, le centre d'Aix se trouve toujours dans la période transitoire faisant suite à la mise en service et au cours de laquelle les capacités sont volontairement réduites pour des raisons de sécurité. Pour ce centre, il n'est donc pas encore possible de tirer des conclusions robustes sur les effets du déploiement de 4-Flight en termes de gains de performance. Cette analyse est d'autant moins possible qu'au cours du premier semestre 2023, les capacités du contrôle aérien ont été fortement affectées par un autre phénomène, à savoir les mouvements sociaux liés à la réforme des retraites.

En octobre 2021, la DSNA a pris la décision salutaire de viser le déploiement d'une seule et même version harmonisée de 4-Flight dans l'ensemble des CRNA. Le rapporteur salue cette décision courageuse et de bon sens qui rompt avec les habitudes de la DSNA qui, historiquement, privilégiait le développement de solutions hétérogènes propres à chaque centre. Il avait maintes fois eu l'occasion de s'interroger sur cette pratique sous-optimale économiquement en termes d'évolutions ou de maintenance en condition opérationnelle (MCO) et qui constitue un frein à la polyvalence comme à la mobilité des contrôleurs.

Les étapes du programme 4-Flight

Source : DGAC

Les prochaines étapes du déploiement de l'outil 4-Flight sont désormais prévues en janvier 2024 au CRNA Nord d'Athis-Mons puis au cours de l'hiver 2025-2026 dans les CRNA de l'Ouest de Bordeaux et Brest. De vraies incertitudes demeurent cependant quant au respect de ce calendrier, notamment s'agissant de la mise en service au CRNA d'Athis-Mons (voir infra).

Les étapes de déploiement de 4-Flight (2022-2025)

Source : DGAC

2. L'histoire du programme 4-Flight : des délais et des coûts à la dérive
a) Plus de 400 millions d'euros de surcoûts

Après le premier constat de dérive des coûts du programme 4-Flight dressé par le rapporteur spécial dans son rapport précité, le phénomène s'est amplifié puisqu'en 2018, à la suite notamment de la conclusion de l'avenant avec Thalès, les dépenses totales d'investissements prévisionnelles liées au programme ont encore bondi de près de 30 % pour atteindre 850 millions d'euros.

En 2022, le coût total du programme 4-Flight a connu une énième augmentation de 35 millions d'euros cette fois-ci, passant de 850,2 millions d'euros à 885,2 millions d'euros. D'après la DSNA, cette nouvelle hausse avait différentes origines :

- les coûts imprévus induits par la mise en service opérationnelle réalisée au centre de Reims qui a occasionné une série de dysfonctionnements et autres difficultés opérationnelles (voir supra) ;

- la décision de concevoir une version de convergence harmonisée de 4-Flight devant être mise en service à l'identique dans les cinq centres en-route de la DSNA qui supposait notamment d'intégrer de nouvelles fonctionnalités visant à répondre à des besoins exprimés par les CRNA de Bordeaux et Brest ;

- « l'accélération » d'une année16(*) du calendrier de déploiement de cette version harmonisée dans les deux CRNA de l'Ouest17(*) ;

- le contexte d'inflation.

Évolution des coûts d'investissement du programme 4-Flight depuis son lancement

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les annexes budgétaires aux lois de finances

Le rapporteur spécial note que la dérive budgétaire quasi continue du programme s'est traduite par une multiplication par deux de son coût total prévisionnel depuis son lancement.

Le coût total du programme 4-Flight se compose de l'acquisition du logiciel, de l'achat et de l'installation de matériel (baies, meubles, suites du système de contrôle et du simulateur destiné à la formation), de la mise à niveau des infrastructures (énergie, climatisation, aménagement de salles, etc), de l'adaptation nécessaire des composants du système Cautra pour qu'il puisse être interfacé à 4-Flight et du développement de la nouvelle version ultérieure à la généralisation de l'outil dans les cinq CRNA.

Répartition des dépenses d'investissement du programme 4-Flight

(en millions d'euros)

AMO : assistance à maîtrise d'ouvrage.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les annexes budgétaires aux lois de finances

À la fin de l'année 2022, 746 millions d'euros avaient déjà été dépensés, soit 84 % du coût total prévisionnel du projet.

Dépenses d'investissement réalisées et programmées
au titre du programme 4-Flight

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DSNA au questionnaire du rapporteur spécial

b) Une décennie de retard et des incertitudes résiduelles sur les dernières étapes du déploiement

Comme évoqué supra, et même si ce délai est vite apparu complètement irréaliste, la mise en service de 4-Flight avait initialement été prévue pour 2015, soit quatre ans après son lancement. Après une multitude de reports, l'objectif de la DSNA est désormais celui d'une finalisation du déploiement dans ses cinq CRNA d'ici l'hiver 2025-2026, soit avec une décennie de retard sur le planning initial. Le programme a tellement dérapé dans le temps que les calculateurs installés à Reims pour 4-Flight sont désormais obsolètes.

Après tant de rendez-vous manqués, le rapporteur spécial attend désormais que la suite du calendrier de déploiement de 4-Flight soit respectée. Il constate cependant que plusieurs incertitudes pourraient encore une fois fragiliser la réalisation effective des prochaines étapes de ce calendrier.

L'échéance la plus proche est la mise en service du système dans le CRNA Nord d'Athis-Mons. Cette étape jouera un rôle pivot et déterminant avant la généralisation de l'outil à l'ensemble des centres en-route de la DSNA. À ce titre il convient de souligner le caractère sensible et très atypique du CRNA Nord. Il revêt des enjeux majeurs en termes de trafic et contrôle des profils de vol spécifiques aux arrivées et départs de la région parisienne. Dans la mesure où il gère essentiellement de la pré-approche vers les aéroports parisiens, certains à la DSNA le considèrent pratiquement comme un très gros centre d'approche. À ce titre, il est essentiellement concerné par le contrôle de vols dans les espaces inférieurs. Aussi, la mise en service de la version corrective visant à résoudre la problématique du recalcul intempestif des trajectoires de plans de vols par Coflight était-elle un préalable incontournable à la perspective du déploiement de 4-Flight à Athis-Mons.

Toujours programmé en janvier 2024, les conditions préalables à ce déploiement se sont néanmoins fortement compliquées ces derniers mois, principalement en raison des conséquences des mouvements sociaux nationaux concernant la réforme des retraites ou locaux pour des problématiques d'effectifs. Cette situation a conduit la DSNA à reporter plusieurs étapes critiques d'évaluation et d'utilisation opérationnelle programmée (EOP et UOP)18(*) et à les organiser en période hivernale sur un trafic faible non représentatif des périodes les plus tendues.

Désormais la tenue des délais s'avère extrêmement tendue et la DSNA ne dispose plus d'aucune marge. Tout nouveau retard compromettrait probablement irrémédiablement le maintien de l'échéance de janvier prochain.

La procédure de déploiement d'un nouveau système tel que 4-Flight suppose une succession de plusieurs étapes. Immédiatement après la mise en service, une première phase de prise en main de l'outil par les opérationnels se traduit, pour des raisons de sécurité, par une diminution volontaire des capacités de contrôle aérien du centre concerné. Durant cette période, pour les CRNA de Reims ou d'Aix-en-Provence, dans le cadre d'une coordination européenne, des trajectoires de vol ont été modifiées par anticipation pour être prises en charge par des centres adjacents. Cependant, puisqu'il est essentiellement concerné par des trajectoires de pré-approche vers les plateformes aéroportuaires parisiennes, le CRNA d'Athis-Mons ne pourra que très marginalement recourir à cette possibilité. Aussi, durant cette période transitoire, les baisses de capacités du contrôle aérien du CRNA Nord ne pourront, pour ainsi dire, pas être compensées. Dans ce contexte, et pour éviter des conséquences très lourdes pour les compagnies aériennes, il est essentiel que cette période transitoire soit cantonnée à la saison d'hiver et ne déborde pas sur la saison aérienne dite « d'été » qui débute en avril et au cours de laquelle le trafic est beaucoup plus dense. À ce contexte déjà complexe s'ajoute en 2024 l'organisation des Jeux Olympiques de Paris. Pour l'ensemble de ces raisons le déploiement de 4-Flight au CRNA Nord d'Athis-Mons apparaît comme un défi éminemment sensible pour la DSNA.

À ce stade, elle a néanmoins décidé de maintenir l'objectif d'un déploiement l'hiver prochain en envisageant une solution intermédiaire et réversible consistant en une longue EOP de 4 semaines, en janvier 2024, à l'issue de laquelle, en fonction de ses résultats, il sera décidé de pérenniser la mise en service ou, au contraire, s'il y avait un risque avéré que le calendrier de remontée des capacités avant la période d'été ne puisse être respecté, de faire machine arrière pour revenir au système Cautra avant de réaliser le déploiement effectif de 4-Flight à l'automne.

Si le rapporteur spécial est très attaché, après les retards à répétition, à ce que le nouveau calendrier de déploiement de 4-Flight soit respecté, il prend acte des difficultés particulières rencontrées au CRNA d'Athis-Mons au cours des premiers mois de l'année 2023 et considère que, notamment dans la perspective des Jeux Olympiques et compte-tenu de la sensibilité très particulière de ce centre, la DSNA a raison de veiller à ne pas risquer de pénaliser trop lourdement les compagnies. La solution de compromis avec une « corde de rappel » en cas de difficultés proposée par la DSNA qui doit garantir, en toute hypothèse, un déploiement au cours de l'année 2024, lui semble être une option de bon sens.

Après le déploiement de 4-Flight à Athis-Mons, l'étape suivante, sans doute la plus attendue et la plus symbolique pour la DSNA, doit être la généralisation d'une version unique dite de convergence, ou « V2 » dans l'ensemble des cinq CRNA, c'est-à-dire également les centres de l'Ouest situés à Bordeaux et à Brest. Si le centre de Bordeaux est déjà largement projeté vers cette perspective, le rapporteur spécial a pu noter que certaines réticences persistaient au centre de Brest. Ces réticences proviennent du fait que les CRNA de Bordeaux et de Brest avaient déjà basculé dans un environnement tout électronique à la faveur du déploiement de l'outil Erato entre 201519(*) et 201620(*).

Cet outil, qui n'avait qu'une vocation provisoire pour palier la lenteur du développement de 4-Flight, reste adossé au vieux système Cautra et présente donc les mêmes limites en termes de capacité d'évolution. En outre, il ne concerne pas le traitement des plans de vol. Cependant, les contrôleurs s'étaient habitués à ce système et avaient fait développer de nouvelles fonctionnalités « sur mesure » auxquelles ils sont réticents à renoncer.

Si le rapporteur spécial comprend ces réserves, qui sont aussi en partie le résultat de la tradition bien ancrée à la DSNA de concevoir des outils très spécifiques aux besoins de chaque implantation, il demeure absolument convaincu qu'il n'existe pas d'alternative rationnelle à l'harmonisation des systèmes de contrôle dans l'ensemble des centres. Il recommande ainsi à la direction de la DSNA de poursuivre ses efforts de pédagogies et de conviction, notamment en s'appuyant sur les retours d'expérience des contrôleurs des CRNA de Reims et d'Aix-en-Provence qui, si pour certains nourrissaient eux-mêmes certaines réticences avant le jour du basculement effectif, n'envisagent aujourd'hui plus une seule seconde de revenir au système antérieur.

À l'issue de la généralisation d'une version harmonisée de 4-Flight dans les cinq centres en-route de la DSNA, une première évolution du système, la « V3 », est déjà prévue. Elle est actuellement en cours de spécification dans le cadre de groupes d'utilisateurs qui réunissent des opérationnels issus de l'ensemble des CRNA.

Au regard des expériences malheureuses qu'a connu la DSNA dans le passé, cette méthode de spécification apparaît particulièrement appropriée. Si cela semble relever du bon sens, impliquer les opérationnels au plus tôt dans la phase de conception des programmes et tout particulièrement lors de la détermination des spécifications du produit, n'allait pas de soi à la DSNA. Cela sera de nature à éviter l'écueil de la sur-spécification, notamment dû à l'éloignement entre les ingénieurs de la DTI et les opérationnels. Le fait d'impliquer les contrôleurs très en amont du processus permettra d'éviter de découvrir tardivement de mauvaises surprises sources de délais et de surcoûts.

Au-delà même de l'intérêt d'impliquer le plus tôt possible les opérationnels, le rapporteur spécial considère essentiel de réunir des contrôleurs représentant l'ensemble des centres de la DSNA afin de faire émerger un véritable besoin commun et d'ancrer symboliquement dans les esprits comme en pratique le principe d'harmonisation.

Cette nouvelle méthode vertueuse est même imbriquée à une autre des révolutions culturelle et stratégique que la DSNA doit livrer, à savoir le principe de l'acquisition de produits industriels standards. En effet, dans le cadre des groupes utilisateurs, les opérationnels doivent se mettre d'accord sur une harmonisation de leurs besoins et sur le choix de nouvelles fonctionnalités qui sont proposées dans le catalogue existant du produit topsky développé par Thalès.

Le retard de déploiement de 4-Flight conduit également à repousser la fin de l'exploitation du système Cautra dont les coûts de maintien en condition opérationnelle (MCO) sont orientés à la hausse et représentent environ 10 millions d'euros par an. Cette MCO est compliquée et rendue plus coûteuse en raison de la difficulté croissante à trouver les logiciels et les pièces de rechange nécessaires pour faire fonctionner un système si ancien.

Autorisations d'engagement consommées pour la MCO
du système Cautra (2018-2022)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DSNA au questionnaire du rapporteur spécial

Le décommissionnement du volet en-route de Cautra est désormais programmé à horizon 2026, après la déploiement généralisé de 4-Flight. D'après la DSNA, ce décommisionnement aura en lui-même un coût de 28 millions d'euros.

Il est à noter que dès lors que les centres d'approche et les tours ne sont pas modernisés, une partie du système Cautra demeurera toujours en service.

B. COFLIGHT : UNE AMBITION DE COOPÉRATION EUROPÉENNE CONTRARIÉE

1. Un projet malmené par le temps qui n'a plus grand-chose à voir avec son ambition d'origine

Le projet originel envisagé par la DSNA et l'ENAV était de découpler strictement ce nouveau système de traitement automatique des plans de vol d'avec l'outil de visualisation utilisé dans les salles de contrôle21(*). Dans cette logique, les systèmes Coflight et 4-Flight auraient été indépendants l'un de l'autre. L'idée sous-jacente à ce choix originel était de pouvoir, à terme, étendre le partenariat franco-italien à d'autres PSNA, qui auraient pu adopter Coflight, afin notamment d'en mutualiser les coûts d'évolution et de maintenance.

Le rapporteur spécial considère que cette idée n'était pas condamnée d'avance et qu'elle témoignait d'une bonne intention. La marche vers la coopération, la mutualisation, l'harmonisation et l'interopérabilité des systèmes des PSNA, a minima européens, est nécessaire pour concrétiser véritablement les ambitions du ciel unique. Elle est également une nécessité économique pour des programmes d'investissement très onéreux et dans le cadre budgétaire contraint que nous connaissons. Alors que les besoins sont largement similaires, il n'est pas raisonnable que chaque PSNA s'engage dans le développement de systèmes spécifiques dont il devra ensuite assumer seul les coûts d'évolution et de maintenance.

Pour autant, force est de constater que la belle idée d'origine a fait long feu et que les perspectives d'élargissement de la coopération franco-italienne, dans lesquelles la DSNA plaçait encore des espoirs en 2018, se sont évanouies. La coopération franco-italienne elle-même a fini par s'étioler avec le temps. Français et italiens n'ont pas pu maintenir une vision commune et se sont finalement engagés sur des chemins très différents, le projet se scindant progressivement en deux programmes différents pour répondre aux besoins distincts exprimés par chacun des deux PSNA. Aujourd'hui l'ENAV et l'industriel Leonardo ont même émis la volonté de se désengager de la coopération.

Entre temps, la DSNA a fait machine arrière s'agissant du concept du découplage entre Coflight et 4-Flight faisant au contraire du premier le « coeur » du second. Née de la lente maturation des deux outils au cours de leur si longue phase de gestation, cette profonde interdépendance impose aujourd'hui de rapidement faire évoluer leur architecture contractuelle afin de mieux articuler le pilotage des deux programmes devenus en pratique un seul et même système (voir infra).

2. 10 ans de retard et des surcoûts de 100 %

Estimé à 153 millions d'euros à l'origine du projet, le coût total du programme Coflight est désormais évalué à 310 millions d'euros par la DSNA, soit plus qu'un doublement.

Coûts d'investissements du programme Coflight

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les annexes budgétaires aux lois de finances

250 millions d'euros, soit 80 % du coût total du projet avait été dépensé à la fin de l'année 2022.

Dépenses d'investissements réalisées et programmées au titre du programme Coflight

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DSNA au questionnaire du rapporteur spécial

Comme 4-Flight sur lequel son calendrier de déploiement est désormais aligné, le programme Coflight aura été mis en service avec dix ans de retard.

Par ailleurs, le rapporteur spécial a été stupéfait de constater l'absence de couverture des besoins en matière de MCO pour le système Coflight au-delà de 2024. Il n'apparaît pas raisonnable de lancer et déployer un nouveau système sans sécuriser le financement de son exploitation et de sa MCO.

Ce phénomène est caractéristique d'une vision « cour-termiste » et centrée sur la seule phase de développement des projets d'investissement. La DSNA avait pris la mauvaise habitude d'investir lourdement pour développer de nouveaux systèmes de modernisation sans se préoccuper réellement par la suite de leurs évolutions voire de leur maintenance.

Elle privilégiait la prise en charge en propre, par la DTI, des évolutions et mises à jour des produits ainsi que de leur MCO. Ce faisant, elle se privait des évolutions technologiques développées par les industriels sur ces produits et dont pouvaient en revanche profiter ses homologues. Ce phénomène explique comment la DSNA a pu accumuler un tel retard technologique sur les autres PSNA.

À terme, faute d'installer les mises à jour industrielles, l'architecture informatique du produit devient complètement obsolète et n'est plus en mesure d'évoluer. C'est la situation dans laquelle se trouve le système Cautra aujourd'hui. Pour faire une analogie, ce serait comme acquérir un smartphone ou une licence informatique sans ne jamais télécharger les mises à jour logicielles. Leur obsolescence s'accroit de façon accélérée jusqu'à ce qu'ils ne soient plus opérationnels du tout.

C. LA NÉCESSITÉ DE RÉUNIR CONTRACTUELLEMENT DEUX PROGRAMMES DEVENUS INDISSOCIABLES

Pour des programmes démarrés il y a si longtemps et dont l'imbrication avait été décidée dès 2011, le rapporteur spécial s'étonne du constat tardif, suite à une analyse technique réalisée au cours de l'été 2021, de l'interdépendance extrêmement forte entre les systèmes 4-Flight et Coflight. Cette « adhérence quasi-totale », expression désormais employée par la DSNA pour qualifier la porosité entre les deux programmes avait été manifestement sous-estimée. Alors qu'il est apparu que chaque modification dans l'un des deux systèmes implique nécessairement une évolution de l'autre, cette sous-estimation n'a pas été sans conséquences sur les difficultés rencontrées lors du développement de 4-Flight et sur les délais et surcoûts observés.

Articulation schématique actuelle des systèmes 4-Flight et Coflight au sein de l'architecture applicative de la DSNA

Source : DGAC

L'interdépendance des deux programmes apparaît en total décalage avec le fait qu'ils ont jusqu'ici été développés de façon quasi-indépendante. Ainsi résulte-t-il de leur découplage contractuel une situation profondément sous-optimale, et ce à plusieurs titres.

Sur le plan opérationnel, le découplage contractuel nuit à la bonne gestion des programmes. Ce phénomène est d'autant plus pénalisant que la majeure partie des difficultés rencontrées dans les dernières phases du développement de 4-Flight et après son déploiement provenait en fait des paramètres de fonctionnement de Coflight. Or, les processus induits par le cadre contractuel actuel sont tout sauf fluides. En effet, dès lors qu'il apparaît que des paramètres de Coflight doivent être ajustés pour être rendus compatibles avec le fonctionnement de 4-Flight, la DSNA et Thalès doivent d'abord convaincre Leonardo de la nécessité de faire évoluer Coflight. Ensuite Leonardo doit développer et tester ces évolutions avant leur livraison effective. Ainsi, pour le moindre besoin d'évolution du système Coflight, les fortes contraintes de cette architecture contractuelle induisent-elles des délais beaucoup trop longs. Par ailleurs, ces problématiques opérationnelles et de pilotage des programmes se doublent parfois de difficultés juridiques pour coordonner les deux contrats.

Outre les problèmes opérationnels et de pilotage des projets qu'il induit, le découplage contractuel entre les programmes 4-Flight et Coflight est générateur d'une multitude de sources d'inefficience économique. Alors que les gains de performance potentiels en termes de mutualisation entre les deux programmes sont évidents, l'architecture contractuelle actuelle les rend impossibles. Elle conduit ainsi à renchérir significativement les coûts de développement, d'intégration ou encore de qualification.

À la faveur d'une refonte du cadre contractuel de 4-Flight et Coflight, et en se basant sur les estimations de Thalès, la DSNA escompte réaliser des économies d'environ 20 % sur les coûts de développement, d'intégration et de qualification des deux programmes.

La DSNA et Thalès ont d'ores et déjà entamé les démarches pour rapatrier 4-Flight et Coflight à l'intérieur d'un même contrat confié à l'industriel français. Cette procédure implique cependant un travail complexe de rétro-ingénierie pour Thalès22(*) qui doit s'approprier les compétences développées par l'industriel italien Leonardo.

Compte-tenu de l'interdépendance devenue totale de deux programmes qui en pratique ne participent désormais plus qu'à un seul et même système et de l'épilogue annoncé de la coopération franco-italienne sur le projet Coflight, le rapporteur spécial considère légitime, à des fins d'efficience économique et de pilotage, de réunir 4-Flight et Coflight au sein d'un même cadre contractuel.

Recommandation n° 1 : à des fins d'optimisation opérationnelle, technique et financière, ainsi que pour garantir la MCO de ces outils, faire rapidement aboutir l'objectif d'articuler les programmes 4-Flight et Coflight au sein d'une seule architecture contractuelle.

II. SYSAT : UN PROGRAMME EN ÉCHEC

A. UNE CARICATURE DES ERREMENTS PASSÉS DE LA DSNA

Le rapporteur spécial tient à rappeler qu'à l'origine, le programme Sysat G1 devait se concrétiser par l'acquisition « sur étagère » d'un système industriel standard. Il avait d'ailleurs eu l'occasion de se féliciter de ce choix qui rompait avec les habitudes de la DSNA et qui allait dans le sens de ses recommandations.

Toutefois, il regrette que le naturel soit « revenu au galop » et que la DSNA n'ait pas respecté son choix initial. En effet, retombant dans ses travers historiques de sur-spécification, dans le cadre de l'appel d'offre, elle a rédigé un cahier des charges d'environ 10 000 pages, excluant de fait tout produit industriel existant.

Ce péché originel a probablement sonné le glas du projet avant même qu'il ne démarre. Cette sur-spécification caricaturale a rapidement conduit l'industriel SAAB dans une impasse en faisant rapidement considérablement dériver la base technique du produit, les coûts et les délais. Les capacités de déploiement nécessaires avaient par ailleurs été manifestement très sous-estimées dans le cahier des charges comme dans la phase de sélection.

Si les défaillances de l'industriel, qui avait lui aussi manifestement surestimé ses capacités à mener à bien ce projet ne doivent pas être ignorées, force est de constater que l'organisation interne de la DSNA avec une maîtrise d'ouvrage trop dispersée, faisant intervenir de multiples intervenants aux mandats non coordonnés, parfois même incohérents et contradictoires, a créé une forte entropie néfaste à la bonne exécution du programme qui a connu maintes restructurations contractuelles avant que son échec ne soit finalement définitivement acté au cours de l'hiver 2021-2022.

Les principaux défauts organisationnels de la DSNA que le rapporteur avait pointés dans son rapport précité de juin 2018, à savoir un tropisme beaucoup trop prononcé sur les aspects techniques, parfois les plus détaillés, au détriment de la maîtrise contractuelle, industrielle et de pilotage des programmes et donc, in fine, du respect des délais et de l'enveloppe budgétaire prévisionnelle, ont irrémédiablement conduit le projet dans un mur.

Dans un retour sur expérience sans complaisance sur le projet Sysat G1, la DSNA elle-même a dressé en 2022 un constat très sévère sur ses propres lacunes. Constat qui pointe notamment les insuffisances du cadrage initial, l'incohérence entre le contenu du cahier des charges et l'objectif d'une acquisition « sur étagère », des défaillances organisationnelles majeures ne permettant pas de distinguer les fonctions d'expertise technique et opérationnelle des fonctions décisionnaires ou encore un pilotage contractuel lacunaire.

Le programme Sysat G2 était quant à lui intenable et irréaliste, sa première mouture envisageant même de moderniser l'ensemble des tours de contrôle de la DSNA à horizon 2020. Il a été abandonné et repart aujourd'hui complètement de zéro. Revenu au stade de la réflexion, ses perspectives restent floues tant en terme de choix techniques que de calendrier (voir infra).

Si cette « opération vérité » et ce constat douloureux devaient être dressés pour stopper la fuite en avant, sur les deux volets du programme Sysat, le rapporteur est frappé par l'ampleur du choc des réalités et à quel point celui-ci révèle les dysfonctionnements qui ont longtemps prévalu à la DSNA. Sur les deux volets du programme Sysat, la DSNA s'était engagée dans une « voie de garage » manifeste et devait au plus vite s'en dégager pour éviter d'y laisser trop de « plumes budgétaires ».

B. ENCORE FLOUES, LES PERSPECTIVES DU « RECYCLAGE » DU PROGRAMME SYSAT SUSCITENT DES INTERROGATIONS

1. Les ambitions drastiquement revues à la baisse de Sysat G1

En 2021, face aux dérives majeures et systématiques sur le plan financier comme des plannings, la DSNA a fini par se rendre à l'évidence et constater l'impasse dans laquelle se trouvait le programme. Aussi, face à cette implacable réalité, en fin d'année 2021, elle a pris la décision qui s'imposait en gelant l'ensemble des activités en cours du projet pour procéder à son complet réaménagement.

En pratique, les décisions prises conduisent à abandonner le projet initial pour un autre, complètement nouveau, beaucoup moins ambitieux mais nettement plus réaliste.

S'agissant des implantations situées au niveau de la plateforme aéroportuaire de Roissy-Charles-de-Gaulle (CDG), le contrat conclu avec le consortium SAAB/CS a été résilié et la DSNA s'est à court terme rabattue sur un projet beaucoup plus modeste de mise à niveau de la partie hardware du système existant dans les tours de contrôle23(*) afin de traiter en priorité, avant les Jeux Olympiques de 202424(*), les phénomènes d'obsolescence les plus marqués25(*) et les plus susceptibles de dégrader la performance opérationnelle.

L'origine de l'obsolescence du système existant et le besoin urgent de procéder à sa modernisation est symptomatique des erreurs passées de la DSNA qui l'ont conduite à accuser un retard technologique si prononcé. Le rapporteur spécial a en effet été surpris de constater que depuis la mise en service du système en question, la DSNA n'avait acquis aucune des mises à jour développées par l'industriel sur son produit.

Concernant Orly, le choix a été fait de ne pas rompre le contrat avec SAAB/CS mais de revoir largement son architecture pour y faire entrer un projet complètement différent du programme initial. Pour moderniser rapidement le système de gestion du trafic aérien de la tour de contrôle, la DSNA a fait le choix de recourir, pour de bon cette fois-ci, à un système industriel standard développé par SAAB et déjà opérationnel sur plusieurs plateformes aéroportuaires. La mise en service de ce nouveau système est programmée en mai 2024 en prévision des Jeux Olympiques.

Le rapporteur salue le choix raisonnable, et qu'il appelle de ses voeux depuis longtemps, de procéder à l'acquisition d'un produit « sur étagère » qui a déjà fait ses preuves. Cette option, qui devrait être désormais systématiquement recherchée, permettra de réaliser des économies en développement, en évolutions comme de maintenance mais aussi de sécuriser les délais de mise en service.

Le profond réaménagement contractuel du projet a également conduit au renoncement du simulateur qui devait être produit par la société CS au profit d'une plateforme déjà utilisée sur d'autres implantations françaises. Si la DSNA estime que cette décision lui permettra de réaliser une économie nette d'un peu plus de 1 million d'euros par rapport au coût estimé du simulateur qui devait être livré par la société CS, cette opération se traduit tout de même par une perte sèche de 8,4 millions d'euros de dépenses non récupérables.

En effet, dans le détail, il apparaît que le simulateur prévu au contrat initial était évalué à 13,2 millions d'euros. Sur ces 13,2 millions d'euros 9,5 millions d'euros avaient d'ores et déjà été dépensés dont 8,4 millions d'euros, en prestations d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) et de gestion de projet, non récupérables (qui expliquent la perte sèche) et 1,1 million d'euros de coûts d'infrastructure qui pourront être utilisés par le nouveau projet. Le coût total du nouveau simulateur est évalué à 3,6 millions d'euros (dont les 1,1 million d'euros récupérés du contrat initial).

Compte-tenu de l'historique de la DSNA en la matière, le rapporteur spécial n'a pas été surpris d'apprendre que les systèmes utilisés par les contrôleurs dans les centres d'approches de CDG et d'Orly sont profondément différents l'un de l'autre et que leur évolution vers un système tout électronique harmonisé réclamerait une refonte globale qui n'est pas réalisable à court terme.

Sur ce sujet la DSNA est toujours en phase de réflexion et conduit actuellement une analyse technique pour identifier les différentes options possibles pour moderniser les systèmes de contrôle des centres d'approche parisiens.

Le rapporteur spécial note que le choix fait de dissocier la temporalité des programmes de modernisation entre CDG et Orly fait peser le risque d'un maintien d'une situation insatisfaisante de dispersion des systèmes pour le contrôle des approches et des tours en région parisienne. Il comprend aussi l'arbitrage que la DSNA a malheureusement dû faire « dos au mur », en raison de l'imminence des Jeux Olympiques, entre d'un côté l'ambition d'harmonisation et de l'autre la nécessité d'avancer au plus vite sur les besoins de modernisation. Il convient que, dans cette situation inconfortable née de l'échec inéluctable du programme Sysat G1, il était difficile de trouver un équilibre idéal entre ces deux objectifs.

2. Sysat G2 : des perspectives techniques et un calendrier flous subordonnés à la rationalisation des implantations de la DSNA

Faisant le constat d'un enlisement manifeste du projet, la DSNA a complètement « débranché » le programme Sysat G2. Après l'arrêt du programme, la DSNA est repartie de zéro en reprenant les choses dans l'ordre dans lequel elles auraient dû être menées, à savoir commencer par une véritable étude de marché fournisseurs26(*) afin d'identifier les produits industriels standards déjà opérationnels susceptibles de répondre aux besoins de modernisation des centres d'approche et des tours de contrôle.

Si cela peut paraître comme allant de soi, le rapporteur spécial note qu'il n'était pas dans les habitudes de la DSNA de procéder à de véritables études de marché avant de lancer ses programmes de modernisation, notamment car elle privilégiait la conception de produits « à façon ». Cette lacune manifeste n'est pas sans lien avec les déboires rencontrés par les projets de la DSNA et notamment avec l'échec de Sysat. Aussi le rapporteur tient-il à saluer cette nouvelle pratique qu'il appelle bien sûr, et en cohérence avec la révision stratégique de la DSNA, à systématiser.

Cependant, le rapporteur spécial note que cette prospection est rendue difficile par le fait d'une autre particularité française qui consiste à associer le contrôle aérien des tours avec celui des approches. Partout ailleurs dans le monde le contrôle de l'approche est associé à celui de l'en-route et fonctionne avec le même système, au sein des CRNA.

Pour les tours de contrôle, des systèmes existent, en revanche, ils sont beaucoup plus rares pour les approches. Aussi, à rebours de sa nouvelle stratégie, la DSNA n'exclue-t-elle toujours pas de concevoir son propre système pour le contrôle des approches.

La DSNA prévoit de lancer un appel d'offre au cours du premier trimestre 2024 dans la perspective de moderniser dix tours de contrôle d'ici 2030 à travers l'acquisition d'un système industriel « sur étagère ». Concernant la modernisation des centres d'approche, rien n'est encore décidé.

Le réaménagement complet du programme Sysat G2 s'est accompagné d'une réflexion plus large de la DSNA sur sa capacité opérationnelle à assurer l'entretien et la modernisation de son réseau actuel de tours de contrôle et de centre d'approche.

Aujourd'hui l'empreinte territoriale de la DSNA est particulièrement étendue. Elle compte 30 centres d'approche et 80 tours de contrôle. Ce réseau génère des coûts de structure (des coûts d'intervention et de maintenance en particulier) très importants qui pèsent sur le budget du BACEA et obèrent les capacités à moderniser ces implantations. De plus en plus la DSNA prend conscience que l'ampleur de son réseau territorial constitue l'un des freins à sa modernisation.

À titre d'exemple, la durée de vie moyenne d'une tour est de 40 ans. Avec un réseau de 80 installations la DSNA devrait en moderniser deux par an, or, actuellement, elle n'en modernise que difficilement une tous les deux ans. Il n'apparaît pas réaliste de pouvoir, dans le futur, continuer d'entretenir et de moderniser efficacement un tel réseau. Le constat est identique pour les centres d'approche.

S'il mesure la sensibilité de la question et ses enjeux sociaux, qui devront faire l'objet d'un accompagnement approprié, le rapporteur spécial convient que la modernisation des tours et des approches de province, et donc l'aboutissement du programme Sysat G2, ne pourra réellement s'envisager qu'à condition d'en restructurer le réseau. Cette restructuration devra être précédée d'une phase de concertation approfondie.

Recommandation n° 2 : rationaliser le réseau des tours et des approches de la DSNA afin de pouvoir en assurer la modernisation et la maintenance.

C. LES DÉRIVES FINANCIÈRES ET TEMPORELLES D'UN PROJET AVORTÉ

Évolution des coûts d'investissement du programme Sysat
(2013-2023)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les annexes budgétaires aux lois de finances

Depuis son lancement, le coût prévisionnel du programme Sysat a plus que quintuplé sans qu'il ne puisse se concrétiser. Il est aujourd'hui évalué à 430 millions d'euros dont 230 millions d'euros pour son volet parisien (Sysat G1) et 200 millions d'euros pour les centres de province (Sysat G2).

À la fin de l'année 2022, 112 millions d'euros avaient tout de même déjà été dépensés pour un projet qui se dirigeait droit vers une impasse, soit 26 % du coût total désormais évalué.

Par ailleurs, jusqu'en 2022, des dépenses communes aux volets parisien et provincial du programme Sysat étaient imputées sur le seul programme Sysat G2 ce qui ne permet pas d'avoir une vision précise et réellement représentative des crédits déjà consommés sur chacun des deux volets du projet. Cette lacune, que le rapporteur spécial ne peut que regretter, est symptomatique des fragilités qui caractérisaient le pilotage budgétaire des programmes d'investissement de la DSNA.

Dépenses d'investissements réalisées et programmées
au titre du programme Sysat

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DSNA au questionnaire du rapporteur spécial

Si la résiliation de deux marchés conclus avec SAAB/CS dans le cadre de Sysat G1 ne devrait coûter que 90 000 euros à la DSNA, 37 millions d'euros27(*) auront été dépensés en pure perte et ne seront pas récupérables.

L'explosion des délais du programme Sysat par rapport aux ambitions initiales est à l'image de celle observée sur les autres programmes de la DSNA. Il était initialement prévu que les premières mises en service du programme Sysat G1 aient lieu en 2018 et elles devraient finalement intervenir en 2024 dans une version beaucoup moins ambitieuse. Le programme Sysat G2 prévoyait à l'origine de moderniser le réseau des tours de contrôle de la DSNA à horizon 2020 quand un objectif de modernisation de 10 tours d'ici 2030 est aujourd'hui visé.

III. DES CHANGEMENTS STRATÉGIQUES ET UNE RÉVOLUTION CULTURELLE INDISPENSABLES POUR QUE LA DSNA RETROUVE SON RANG

A. INDISPENSABLE AU REGARD DE LA DÉRIVE DES GRANDS PROGRAMMES, LA DSNA SEMBLE AVOIR ENGAGÉ SON AGGIORNAMENTO

Le rapporteur spécial l'avait déjà identifié dans son rapport précité de juin 2018, la gestion de ses projets de modernisation par la DSNA souffrait d'une série de faiblesses qui sont largement à l'origine des difficultés rencontrées sur les programmes 4-Flight, Coflight et Sysat. Une profonde révolution stratégique et culturelle était indispensable pour que la DSNA puisse enfin rattraper son retard technologique en mettant un terme à ce cycle d'échec et à son incapacité à faire aboutir ses programmes de modernisation.

À travers les dernières décisions, parfois douloureuses à l'instar de Sysat, prises sur ses grands programmes, le rapporteur spécial a le sentiment que la DSNA a commencé à amorcer un revirement stratégique à plusieurs facettes qui rejoint en grande partie les recommandations qu'il formule depuis cinq ans.

Un vrai changement de paradigme semble en effet émerger des dernières orientations stratégiques prises par la DSNA à travers un objectif de convergence et d'harmonisation des systèmes entre les différents centres et le renoncement à la logique du « sur-mesure », le principe d'achat de produits « sur étagère » et la volonté de mettre un terme au phénomène de sur-spécification pour, à terme, une fois son retard technologique comblé, et notamment en perspective de « l'après 4-Flight », inscrire l'effort de modernisation de la DSNA dans de véritables feuilles de routes industrielles partagées avec d'autres PSNA afin de ne plus se laisser distancer.

Les dernières décisions prises par la DSNA, notamment dans le cadre du déploiement de 4-Flight témoignent aussi d'un souci de piloter davantage les programmes par les dates de mise en service, quitte à faire passer au second plan, au moins temporairement, certaines demandes opérationnelles non prioritaires. La DSNA le revendique d'ailleurs désormais explicitement : « la maîtrise des plannings dans le pilotage des programmes est également centrale dans la stratégie et devra guider les décisions intervenant dans la vie des programmes afin de permettre leur mise en service dans les délais prévus »28(*).

Alors qu'elle a parfois été dans une logique de quasi confrontation souvent stérile avec les industriels, la DSNA semble de plus en plus s'inscrire dans des rapports de partenariat exigeant. Le rapporteur spécial a notamment pu constater cette évolution sur le programme 4-Flight.

Le rapporteur note également que, notamment dans le cadre de la spécification de la version post convergence de 4-Flight, la DSNA a pour préoccupation d'associer les contrôleurs le plus en amont possible des projets puis tout au long de leur développement. Ce principe est absolument déterminant pour éviter les mauvaises surprises découvertes trop tardivement et génératrices de délais importants.

Cette dernière évolution, comme le souci d'en finir avec le phénomène de sur-spécification, est indissociable de l'enjeu de la réorganisation de la DTI dont le rapporteur avait démontré en 2018 qu'elle était beaucoup trop coupée des opérationnels.

Le rapporteur spécial a noté que la DTI avait été réorganisée au 1er octobre 2021 dans le but notamment de créer des équipes dédiées à chaque programme pour supprimer le fonctionnement en silos et le phénomène de dilution de la maîtrise d'ouvrage (MOA) qui a conduit à des incohérences ou des injonctions contradictoires aux industriels par le passé, de renforcer le pilotage par le planning ou encore de rapprocher les opérationnels des développeurs29(*). Par ailleurs, tout ce qui relève de la gestion de projet des grands programmes est désormais du ressort de la direction de la stratégie et des ressources (voir infra).

Ces évolutions vont dans le sens d'une rationalisation de l'activité de MOA de la DSNA. Le rapporteur spécial considère néanmoins qu'il est nécessaire d'aller encore plus loin dans le rapprochement des ingénieurs de la DTI d'avec les opérationnels, notamment en permettant à davantage de contrôleurs d'intégrer ses rangs. Pour que la nouvelle organisation fonctionne et que la DTI s'approprie pleinement les nouvelles orientations stratégiques de la DSNA, il est par ailleurs essentiel de faire aboutir rapidement le plan de recrutement qui a été engagé pour intégrer de nouvelles compétences. Pour cela, la DSNA ne doit pas se priver de l'opportunité d'engager des contractuels.

Pour résumer, le rapporteur spécial considère que la DSNA, et à travers elle la DTI, doit avant tout se concentrer sur le « quoi » plutôt que sur le « comment », qui est davantage du ressort des industriels, et ne pas vouloir réinventer systématiquement et dans les moindres détails chaque système.

Parce qu'il appelle depuis 2018 la DSNA à conduire ce nécessaire aggiornamento, le rapporteur spécial ne peut qu'encourager le virage stratégique et culturel qui vient d'être amorcé. Aussi, dans les prochaines années, pour ses projets de modernisation, la DSNA devra-t-elle conforter sa transition d'un modèle « artisanal » vers un véritable modèle « industriel ».

B. SANS RÉGULATEUR INDÉPENDANT, UNE RÉFORME DE LA GOURVERNANCE INABOUTIE

Pour résoudre certaines de ses lacunes en matière de pilotage de programmes, la DSNA a engagé une réorganisation administrative. La création de la direction de la stratégie et des ressources (DSR) en est la réalisation la plus emblématique. Elle a pour vocation de centraliser toutes les questions relatives au pilotage budgétaire des grands programmes, un pilotage qui était jusqu'ici trop diffus et trop déresponsabilisant. Aussi, au sein de la DSR, le pilotage et la gestion budgétaire des grands programmes de la DSNA sont-ils désormais traités par le département support aux transformations et directions de portefeuille30(*). Cette évolution va dans le bon sens dans la mesure où la DSNA avait de toute évidence besoin de disposer d'outils décisionnels et budgétaires beaucoup plus efficaces pour piloter ses programmes de façon optimale et mieux en maîtriser les coûts comme les délais.

La création de la DSR s'est accompagnée de la rationalisation du nombre des portefeuilles de suivi budgétaire des investissements de la DSNA qui sont passés de 10 à 3 au 1er janvier 2022. Désormais, la DSNA envisage de réaménager sa cartographie budgétaire pour tenir compte de cette évolution.

Sur les questions de pilotage contractuel et tout particulièrement pour le suivi des investissements de modernisation technologique de la DSNA, la DGAC a créé une commission de cadrage et de contrôle contractuel dite « C4 ». Elle doit veiller à la cohérence entre la stratégie contractuelle des marchés et les objectifs et caractéristiques de chaque programme de modernisation. Cette commission consultative doit notamment émettre des avis sur la stratégie industrielle de la DSNA, notamment en matière d'acquisition et de coopération.

Si le rapporteur spécial a le sentiment que ces différentes initiatives sont de nature à atténuer certaines des lacunes les plus manifestes de la DSNA en matière de pilotage de projets, il estime qu'elles ne vont pas assez loin. Le principal problème de la DSNA et de la manière dont elle mène à bien ses ambitieux programmes de modernisation technologique est qu'elle continue de trop fonctionner en « vase clos ».

Le rapporteur spécial considère qu'au regard de l'ampleur et du caractère systématique des dérives constatées sur l'ensemble des programmes, le fait qu'aucune autorité n'ait été en mesure de « tirer le signal d'alarme » plus tôt pour imposer les révisions stratégiques qui s'imposaient constitue un dysfonctionnement évident. Il estime que c'est avant tout cet aspect qu'il faut corriger pour éviter à la DSNA de retomber dans ses travers passés. Il faut désormais garantir qu'une autorité, le moment venu, soit en mesure de poser un diagnostic objectif sur d'éventuelles nouvelles dérives pour permettre à la DSNA d'infléchir sa stratégie de façon beaucoup plus réactive qu'elle ne l'a fait dans le cadre de la gestion des programmes actuels.

La DSNA est encore trop dans « l'entre soi » et a un besoin manifeste de regards et d'avis externes, tout particulièrement s'agissant du pilotage de ses grands programmes de modernisation.

Le rapporteur spécial a notamment acquis la conviction qu'un véritable régulateur indépendant de la DSNA aurait pu et dû dresser beaucoup plus tôt les constats qui s'imposaient afin de guider les décisions de la DSNA et d'éviter certains des surcoûts, retards, abandons constatés sur les différents programmes. Une régulation indépendante des performances de la navigation aérienne peut être un incitateur puissant à son retour puis à son maintien à un niveau d'excellence. Elle serait en mesure de poser un diagnostic objectif sur d'éventuelles nouvelles dérives.

Il est indispensable de mettre en oeuvre une nouvelle gouvernance plus adaptée, associant des interlocuteurs extérieurs afin de disposer d'une expertise non uniquement ciblée sur des préoccupations internes et afin de circonscrire bien en amont les risques de dérive des projets en termes de délais et de coût.

Cette évolution de la gouvernance des grands programmes de la DSNA doit à minima passer par la création d'un comité d'engagement associant notamment la direction du budget. De tels comités ont par exemple été mis en oeuvre au sein des ministères des armées31(*) et de l'intérieur32(*). Ils ont notamment vocation à rendre des avis financiers très en amont des grands programmes d'investissement. Ils permettent ensuite de suivre finement l'exécution financière de ces projets grâce à des réunions régulières, deux fois par mois par exemple pour le comité mis en place au sein du ministère des armées. Ces comités ont également vocation à suivre les engagements au titre des activités de MCO qui deviennent de plus en plus importants en termes financiers.

Recommandation n° 3 : garantir une régulation réellement indépendante et efficace des performances de la DSNA et mettre en oeuvre un comité de suivi financier des grands programmes du type de ceux qui existent au sein des ministères des armées et de l'intérieur.

C. LA DSNA RETROUVE CONFIANCE ET oeUVRE À SON RETOUR DANS LA COUR DES GRANDS PSNA

Le revirement stratégique multifacettes de la DSNA et les premières phases du déploiement de 4-Flight ont pour elle une véritable dimension symbolique tant en interne que vis-à-vis de ses partenaires extérieurs. En stoppant une « spirale d'échec », la DSNA atténue un certain sentiment d'impuissance et de résignation qui commençait à s'immiscer dans ses rangs. Ce faisant, et le rapporteur spécial a pu le constater au cours de ses auditions, elle a également commencé à redorer son crédit auprès de l'ensemble des acteurs du secteur aérien.

En interne, les contrôleurs veulent se projeter avec des outils de travail modernes et nombre d'entre-eux ressentaient une vraie frustration et beaucoup d'incompréhension par rapport à l'incapacité de la DSNA à faire aboutir ses programmes, à sa « non modernisation » et aux archaïsmes qui tranchaient de plus en plus avec les environnements de travail de leurs homologues européens.

Alors que ces dernières années les déboires de sa modernisation avaient commencé à entamer la réputation de la DSNA auprès des autres PSNA, le rapporteur spécial a pu noter que le regard de ces dernières a déjà radicalement changé depuis que la DSNA s'est engagée à poursuivre de nouvelles orientations stratégiques et en raison du déploiement de 4-Flight. Elle est à nouveau considérée comme un PSNA de référence. Ce changement de regard des partenaires extérieurs de la DSNA est également partagé par Eurocontrol, les compagnies aériennes ou encore les industriels. Cette amélioration rapide de sa réputation est très encourageante et doit conforter la DSNA dans sa réforme stratégique.

DEUXIÈME PARTIE
MASQUÉE PAR LES GRANDS PROGRAMMES, L'OBSOLESCENCE DES INFRASTRUCTURES DEVIENT CRITIQUE ALORS QU'IL FAUT DÉJÀ SE PROJETER
DANS L'APRÈS 4-FLIGHT

I. LA DSNA DOIT DÉJÀ SE PROJETER DANS « L'APRÈS 4-FLIGHT »

Alors qu'il a été si longtemps attendu, mais notamment parce qu'il a été imaginé il y a de cela maintenant près de quinze ans, il apparaît que le système 4-Flight n'a pas d'avenir de long terme car il n'a pas été conçu sur une architecture informatique pérenne. Il sera ainsi difficile de le faire évoluer et il ne pourra pas être adopté par d'autres PSNA. À long terme, le coût de sa maintenance et de ses évolutions, estimé à plus de 70 millions d'euros par an, qu'elle devrait assumer seule, n'apparaît pas financièrement soutenable pour la DSNA qui risquerait de se laisser une nouvelle fois distancer en matière de modernisation technologique. Aussi, et alors même que son calendrier de déploiement vient tout juste de débuter, la DSNA doit déjà affiner sa stratégie dans la perspective du système qui succèdera à 4-Flight à l'horizon de la fin de la décennie.

Une fois son retard comblé et pour qu'elle se maintienne durablement au niveau technologique de ses homologues, la DSNA doit absolument parvenir à s'inscrire dans les feuilles de route industrielles standards du secteur afin de pouvoir partager les frais de ses systèmes avec d'autres PSNA. Pour cela, la DSNA doit poursuivre ses efforts pour recoller au cycle technologique et pouvoir ainsi durablement bénéficier des dernières avancées industrielles. La DSNA reconnait d'ailleurs qu'elle est « aujourd'hui le seul prestataire européen à supporter à lui seul le coût d'un système ATC33(*) spécifié pour ses propres besoins. Il y a donc une nécessité impérieuse de définir une trajectoire permettant de rejoindre un produit industriel avant la fin de la décennie »34(*).

La situation actuelle est en effet particulièrement sous-optimale d'un point de vue économique pour la DSNA qui se prive d'un potentiel pourtant bien réel d'influer sur les orientations des industriels et de réaliser des économies substantielles. À l'avenir, elle doit pouvoir profiter de sa masse critique significative, en tant que principal PSNA européenne, et la conjuguer avec celle de partenaires pour peser dans la négociation avec les industriels dans un secteur caractérisé par sa concentration et dont la structure de marché, selon les produits, est, dans le meilleur des cas, oligopolistique.

L'alliance de PSNA « Coopans », qui est en passe de s'étendre dans la perspective de développer à horizon 2027-2028 un outil commun produit par Thalès, est à ce titre un exemple intéressant pour la DSNA.

Consciente de la non soutenabilité à moyen-terme de la situation actuelle qui reviendrait à compromettre une nouvelle fois ses capacités à se moderniser, la DSNA a entamé des réflexions portant sur un plan de transition progressive du système 4-Flight, à travers le développement d'une série de nouvelles versions, vers une architecture susceptible de permettre à la DSNA d'intégrer des feuilles de routes industrielles mutualisées avec d'autres PSNA. Le coût prévisionnel de cette phase de transition, qui pourrait s'étaler de 2024 à 2029 est aujourd'hui évalué par la DSNA à 342 millions d'euros. Sur cette base, à compter de 2030 et dans le cadre d'une architecture informatique largement rationalisée et centralisée, le déploiement d'un nouveau système est envisagé par la DSNA pour un coût prévisionnel de 182 millions d'euros entre 2030 et 2035.

Les prolongements du programme 4-Flight, dont le coût est aujourd'hui estimé à 885 millions d'euros, pourraient donc se chiffrer à 524 millions d'euros d'ici 2035, soit un total de 1,4 milliard d'euros.

Comme il avait déjà pu le recommander dans son rapport précité de 2018, le rapporteur spécial estime que la DSNA a tout intérêt à s'inscrire au plus vite dans des feuilles de routes industrielles partagées pour mutualiser les coûts de développement et de maintenance de ses systèmes avec certains de ses homologues. Pour ne pas exposer la DSNA aux dérives financières qu'elle a connues sur ses programmes de modernisation actuels, à l'horizon 2030, le successeur de 4-Flight devra impérativement s'inscrire dans cette logique.

Recommandation n° 4 : mutualiser les coûts et les risques liés au développement de systèmes de navigation aérienne innovants grâce à des partenariats avec d'autres prestataires de services de la navigation aérienne.

II. LES GRANDS PROGRAMMES ONT OCCULTÉ L'OBSOLESCENCE DU RESTE DES INFRASTRUCTURES DE LA DSNA

Aussi nécessaire fusse-t-elle, la focalisation des investissements de la DSNA sur ses grands programmes de modernisation a occulté, et probablement conduit à négliger, des situations d'obsolescence rencontrées sur d'autres de ses systèmes et infrastructures.

Selon les années, la DSNA estime aujourd'hui que le déficit de financement annuel sur les investissements hors grands programmes de modernisation a pu se chiffrer entre 50 et 70 millions d'euros pour une dette technologique accumulée de plus de 700 millions d'euros.

La situation est préoccupante puisque l'ensemble des infrastructures de la DSNA semble aujourd'hui exposé à des phénomènes plus ou moins prononcés d'obsolescence et de vétusté : systèmes radios, radars, génie civil, etc. Cependant, ces phénomènes ne font pas courir de risques sécuritaires en raison de l'ensemble des redondances prévues pour chaque système.

Le coût de l'entretien des infrastructures de la DSNA, également renforcé par l'ampleur de son parc, est alourdi par ces phénomènes d'obsolescence. En 2022, les coûts du maintien en condition opérationnelle des infrastructures de la DSNA représentaient environ 35 % du total de ses investissements.

Les phénomènes d'obsolescence se doublent de difficultés pour la DSNA à maintenir des compétences sur des technologies anciennes qui datent parfois des années 1980 et à disposer des supports industriels ou des composants matériels nécessaires à l'entretien de ses infrastructures les plus vieillissantes.

Concernant les infrastructures de génie civil, notamment le réseau des tours de contrôle, la DSNA évalue la dette d'investissement à plus de 200 millions d'euros. En 2023, faute de crédits, la DSNA a dû mettre en attente toutes ses opérations de génie civil, y compris sur des sites sensibles comme à CDG. Face à ce constat, la DSNA a en perspective la réalisation d'une opération dite « infrastructures bas carbone de la DSNA » qui consisterait à engager 140 millions d'euros d'investissements en deux phases, 45 millions d'euros entre 2024 et 2026, puis 95 millions d'euros entre 2027 et 2029.

D'après la DSNA, ses équipements d'aide à la navigation par radio (VOR35(*) et DME36(*)) sont également touchés à 50 % par des phénomènes d'obsolescence et le coût de leur MCO augmente. Le rattrapage de la dette d'investissement dans ce domaine représenterait environ 3 millions d'euros par an pendant six ans.

L'infrastructure de surveillance de l'espace aérien par radar date des années 1990 et 2000. Les premières alertes d'obsolescence ont été signalées au début des années 2010 et la vétusté du réseau radar est avérée depuis cinq ans. L'entretien de ces infrastructures réclamerait environ 10 millions d'euros par an, soit 3 millions d'euros de plus que les sommes qui y sont consacrées aujourd'hui.

Les principaux systèmes de communication vocale sont également en situation d'obsolescence. À titre d'exemple, les chaines radios des CRNA arrivent dans leur dernière décennie de cycle de vie et le niveau de stock de matériel de rechange est très faible. Dans ce contexte, le risque d'une interruption du service dans un centre n'est pas exclu. Des investissements apparaissent également nécessaires pour renforcer la résilience des chaînes radios face aux risques cyber. Les projets de modernisation NVCS et CATIA apparaissant aujourd'hui insuffisants pour traiter ces enjeux, la DSNA a lancé une task force « communications vocales » pour réaliser une étude de marché fournisseurs dans le but de trouver un produit « sur étagère » susceptible de répondre aux besoins.

Au regard du diagnostic d'obsolescence qui a pu être objectivé, le rapporteur spécial considère qu'il devient urgent de ne plus se focaliser uniquement sur les grands programmes de modernisation mais également de veiller à sanctuariser une enveloppe budgétaire annuelle suffisante pour entretenir les infrastructures critiques de la DSNA.

Recommandation n° 5 : sanctuariser une enveloppe d'investissements dédiée au maintien des infrastructures critiques de la DSNA.

III. SOLDER LES COMPTES DU PASSÉ, FAIRE ATTERRIR BUDGÉTAIREMENT LES GRANDS PROGRAMMES EN COURS ET ASSURER L'ENTRETIEN ET LA MODERNISATION DES INFRASTRUCTURES : L'ENJEU DE DÉFINIR UNE TRAJECTOIRE D'INVESTISSEMENT PLURIANNUELLE

Le rapporteur spécial a pu constater qu'en termes d'investissements, la DSNA se trouve actuellement, et pour au moins encore quelques années, dans une phase critique dans laquelle elle doit tout à la fois assumer le coût financier des dérives constatées sur ses différents programmes de modernisation, assurer leur aboutissement, anticiper les projets de modernisation à venir et combler des années de sous-investissement dans des infrastructures aujourd'hui en situation d'obsolescence avérée.

Il a le sentiment que cette situation pourrait perdurer une décennie encore, avant que la DSNA ait pu remettre à niveau et moderniser l'ensemble de ses infrastructures et systèmes. Ce n'est qu'à partir de ce moment que le niveau de ses besoins d'investissements annuels pourrait être amené à refluer. Cependant, il tient à rappeler une nouvelle fois que pour éviter que cette « bosse » d'investissements ne se transforme en « plateau », la DSNA doit d'ici là mobiliser l'ensemble des leviers qu'elle s'est engagée à activer, au premier rang desquels la restructuration du réseau de ses implantations territoriales et la mutualisation de ses investissements avec d'autres PSNA.

Évolution des coûts d'investissement des programmes 4-Flight, Coflight et Sysat

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les annexes budgétaires aux lois de finances

Le rapporteur spécial tient à rappeler que les surcoûts enregistrés sur les principaux programmes de modernisation du contrôle de la navigation aérienne 4-Flight, Coflight et Sysat se chiffrent à près d'un milliard d'euros.

Pour répondre à l'ensemble des enjeux d'investissements détaillés supra, la DSNA a proposé cette année à la direction du budget (DB) une trajectoire d'investissement pluriannuelle (2024-2029) nettement majorée (de 450 millions d'euros) par rapport aux estimations réalisées à l'automne 2022 dans le cadre de la préparation de la loi de finances initiale pour 2023. Cette trajectoire intègre notamment les coûts prévisionnels de la transition de 4-Flight vers un système mutualisé (342 millions d'euros entre 2024 et 2029) et les investissements nécessaires à remédier aux situations d'obsolescence identifiées sur les infrastructures de la DSNA (voir supra).

Trajectoire d'investissements prévisionnelle
proposée par la DSNA (2024-2029)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses de la DGAC au questionnaire du rapporteur spécial

Ces montants d'investissements prévisionnels sont assez nettement supérieurs à la moyenne constatée ces dernières années.

Trajectoire d'investissements (en autorisations d'engagement) de la DSNA (2018-2022)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les annexes budgétaires aux lois de finances

Le rapporteur spécial note qu'il existe un enjeu certain pour la DSNA à engager budgétairement dès 2024 les investissements qu'elle anticipe pour les années à venir afin que les coûts d'amortissement qui leur sont liés puissent être inscrits dans le plan de performance de la période de régulation européenne dite RP4 qui s'applique sur la période 2025-2029.

Le rapporteur spécial est conscient des besoins de visibilité budgétaire pluriannuelle qui sont ceux de la DSNA ainsi que de la situation de « bosse d'investissements » dans laquelle elle se trouve. Il a aussi accueilli favorablement ses récentes évolutions stratégiques susceptibles d'éviter que ne se reproduisent les dérives budgétaires qui ont marqué la conduite des programmes de modernisation actuels.

Toutefois, l'engagement dans une trajectoire d'investissement si ambitieuse n'est envisageable qu'à la condition que la DSNA donne davantage de garanties en matière de transparence, de performance ou encore de pilotage opérationnel et budgétaire de ses projets. Le respect de la trajectoire de désendettement du BACEA sur laquelle la DGAC s'est engagée est une autre condition indissociable de cette trajectoire d'investissement fortement inflationniste.

Le rapporteur spécial a pu constater que, malgré des progrès, le suivi et la programmation budgétaire des investissements de la DSNA restent insuffisamment maîtrisés et comportent d'importantes marges de progression. Il note cependant que la DSNA part de très loin puisqu'elle commence tout juste à se familiariser avec le principe de la budgétisation en AE ? CP qui est pourtant une règle de base de la comptabilité budgétaire publique et une nécessité pour piloter efficacement des programmes d'investissements pluriannuels. En effet, faute de comptabilité budgétaire en AE ? CP, les programmes d'investissements doivent faire l'objet d'arbitrages annuels et la visibilité des crédits budgétaires qui leur sont affectés s'en trouve fortement diminuée. Cette situation nuit de manière évidente au pilotage de ces programmes et peut être la source de retards.

Ce n'est qu'à partir de 2021 que la DSNA a commencé à expérimenter, sur quatre opérations d'investissement dites « pionnières », une budgétisation AE ? CP. À ce stade, le bilan de cette expérimentation apparaît mitigé, notamment car le choix de certaines des opérations n'était pas le plus adapté, mais, ce faisant elle a mis en évidence les difficultés de programmation budgétaire de la DGAC puisque l'une des opérations37(*) n'a toujours donné lieu à aucune consommation de crédits et que le programme Sysat, lui aussi intégré, a été totalement restructuré.

Malgré ces difficultés, le rapporteur spécial considère qu'il est absolument nécessaire que la DSNA généralise le plus rapidement possible, avec le concours de son contrôleur budgétaire, la budgétisation en AE ? CP de l'ensemble de ses dépenses d'investissement. Cette évolution est une condition sine qua non de l'amélioration structurelle du pilotage de ses opérations. Il va de soi que le projet visant à prendre le relai de 4-Flight ne peut s'envisager sans une budgétisation en AE ? CP.

Recommandation n° 6 : améliorer le pilotage budgétaire des programmes de la DSNA, notamment en généralisant la budgétisation AE ? CP.

Une autre des garanties que la DSNA doit nécessairement apporter pour pouvoir prétendre à la trajectoire d'investissement qu'elle recommande, est celle d'une plus grande transparence, en particulier s'agissant des gains de productivité attendus de la mise en oeuvre de ses programmes de modernisation et, plus généralement, de ses engagements de performance.

À ce titre, le rapporteur spécial considère que l'instauration d'un contrat de performance pluriannuel entre la DGAC et la DB, dans lequel la DSNA prendrait des engagements, notamment en matière de gains de performance ou encore de respect des délais et des coûts de ses programmes, doit être envisagée.

Recommandation n° 7 : instaurer un contrat d'objectifs et de performances pluriannuel entre la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et la direction du budget.

À compter de 2023, la DGAC s'est engagée à mener à bien une trajectoire de désendettement du BACEA avec un objectif de réduire sa dette à 1,3 milliard d'euros à horizon 2027. Cet engagement, que la DGAC a maintenu en dépit de la nouvelle trajectoire d'investissements qu'elle a soumise à la DB, constitue un autre des gages de crédibilité budgétaire indispensables qui pourront légitimer les demandes de crédits d'investissements pluriannuels effectuées par la DSNA.

Recommandation n° 8 : tenir les engagements pris par la DGAC au titre de la trajectoire de désendettement du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (DGAC).

De façon plus générale, le rapporteur spécial considère que la DSNA n'aura la crédibilité budgétaire et la légitimité suffisante pour prétendre à la trajectoire pluriannuelle d'investissements qu'elle estime nécessaire qu'à la seule condition qu'elle mène à bien une profonde réforme qui s'appuie sur trois piliers qui doivent chacun générer des gains de performance significatifs et dont la modernisation technologique fait partie intégrante :

- une réforme ambitieuse de l'organisation du travail des contrôleurs aériens ;

- une restructuration du réseau de ses implantations ;

- sa modernisation technologique.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 21 juin 2023 sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente, la commission a entendu une communication de M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial, sur les programmes de modernisation de la navigation aérienne 4-Flight, Co-Flight et Sysat.

Mme Sylvie Vermeillet, présidente. - Nous entendons maintenant Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial des crédits du budget annexe « Contrôle et exploitations aériens », qui nous présente les conclusions de son contrôle budgétaire sur les programmes de modernisation de la navigation aérienne.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial. - Je reviens ce matin sur un sujet que j'ai déjà eu l'occasion d'aborder devant la commission des finances en 2018, mon rapport ayant suscité quelques vagues à l'époque. Nous avions tiré ensemble la conclusion d'une modernisation de la navigation aérienne très mal engagée, à la fois sur le plan financier et en termes de délais. Nous avions dénoncé les retards technologiques du contrôle aérien français, qui en faisaient « l'homme malade de l'Europe ». Nous étions alors le principal générateur de minutes de retard du continent, avec 20 années de retard technologique par rapport à nos voisins.

Alors que, de nombreuses années auparavant, la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) et la direction générale de l'aviation civile (DGAC) avaient annoncé avoir engagé des programmes de modernisation, un défaut de gouvernance et un pilotage inadéquat avaient entraîné retards et surcoûts.

Cinq ans après le constat accablant de 2018, il ne m'a pas semblé inutile de revenir sur ce sujet et de dresser un état des lieux.

Le programme phare 4-Flight - système de visualisation et outil d'assistance automatisée servant de base au travail des contrôleurs - a été lancé en 2011 et devait être mis en place dans les cinq centres en route de la navigation aérienne (CRNA) en 2015. Aujourd'hui, seuls deux centres en bénéficient. J'ai eu l'occasion de me rendre au centre de Reims, le premier à expérimenter sa mise en place, avec succès et grâce au courage des contrôleurs - une telle révolution culturelle est effectivement une véritable source de stress pour eux, compte tenu de leurs responsabilités. Le succès est également au rendez-vous sur le centre d'Aix-en-Provence. Il faut saluer ces réussites relatives.

Le nouveau calendrier de la DSNA prévoit un déploiement complet en 2026, soit un retard de onze ans par rapport au programme initial et des coûts multipliés par deux, avec un budget proche de 900 millions d'euros.

Malgré tout, il y a une bonne nouvelle : la DSNA a choisi de reprendre notre recommandation selon laquelle il fallait arrêter de faire du contrôle aérien « à façon ». Il n'y avait effectivement aucune harmonisation entre les centres, avec, chaque fois, un maintien en condition opérationnelle artisanal et coûteux. La DSNA a donc repris l'idée de mettre tous les centres à niveau, avec le même système, en essayant, au passage, de réduire les coûts. Cela n'y paraît pas, mais c'est une petite révolution !

Le succès relatif du programme 4-Flight, malgré le coût et les retards, cache d'autres difficultés. Il existe en effet un autre système, dit Co-Flight, permettant le traitement automatisé des plans de vols, et ce programme a été développé « à côté » du premier, dans le cadre d'une coopération franco-italienne. Le retrait actuel des Italiens va, d'une certaine manière, simplifier la situation et la DSNA, qui à l'avenir assurera seule le financement du projet, reconnaît, selon sa propre formule, l'« adhérence quasi-totale » des deux systèmes Co-Flight et 4-Flight.

On va donc mettre fin à un pilotage indépendant, ce qui nécessitera de revoir l'architecture contractuelle et l'articulation entre les deux programmes, qui, en réalité, auraient dû n'en faire qu'un.

La deuxième grande difficulté concerne le programme Sysat, qui vise à moderniser les centres d'approche et les tours de contrôle. Organisé en deux volets territoriaux - Sysat groupe 1 pour la région parisienne et Sysat groupe 2 pour le reste de la France -, il devait aboutir en 2018 pour sa première partie et en 2020 pour la seconde. Or aucun de ces deux volets ne s'est concrétisé jusqu'à présent.

La volonté initiale était de procéder à l'achat « sur étagère » d'un système standard fonctionnant déjà dans d'autres pays. L'intention était louable. Cependant, le cahier des charges fixé par la DSNA, long de 10 000 pages, définissait un programme très spécifique qu'aucun produit industriel standard ne pouvait satisfaire. L'industriel s'est donc retrouvé dans une impasse avec une maîtrise d'ouvrage désordonnée, des injonctions contradictoires en matière de spécification, des reports d'échéance et des surcoûts à répétition.

En 2021, la DSNA a pris la décision courageuse de restructurer le programme et d'en revenir à une simple modernisation du système existant pour les tours de Roissy et à l'achat d'un produit « sur étagère » pour moderniser la tour d'Orly d'ici à l'été prochain. Au moins 37 millions d'euros sont partis en fumée. Quant à Sysat groupe 2, il a été abandonné.

Ces décisions peuvent susciter les critiques, mais elles sont opérationnelles. Mieux valait repartir sur de nouvelles bases plutôt que s'obstiner dans un mauvais choix pendant dix ans.

Pour Sysat groupe 2, il n'apparaît pas réaliste de vouloir moderniser les approches et les tours sans restructurer le réseau en profondeur. Le constat est difficile à faire et il faudra une concertation approfondie. On doit néanmoins admettre que les approches et les tours sont très nombreuses de sorte que l'on ne pourra pas moderniser le système tel qu'il est avant plusieurs dizaines d'années. Mieux vaut donc réfléchir à une restructuration du réseau préalablement à la modernisation des approches et des tours.

Je salue les révisions mises en oeuvre par la DSNA qui s'est montrée consciente de ses lacunes et qui a su engager une réforme stratégique, voire culturelle, en remettant en cause des habitudes qui lui ont valu tant de déconvenues. Des décisions parfois coûteuses ont été prises récemment sur les grands programmes, qui témoignent d'un virage que nous appelions déjà de nos voeux il y a cinq ans.

La DSNA privilégie désormais l'harmonisation des systèmes, ce qui est de bonne logique et permet de rompre avec de mauvaises habitudes. Elle recherche quand elle le peut les achats « sur étagère ». Elle lutte contre sa fâcheuse tendance à la surspécification. Elle a introduit le principe du pilotage des projets par la date de mise en service, ce qui oblige les acteurs à avancer de manière efficace. Enfin, elle prévoit la participation des opérationnels, à savoir les contrôleurs, le plus en amont possible des projets.

Ainsi, la DSNA a su basculer d'un mode de fonctionnement artisanal vers un autre, plus industriel et plus conforme à ce que l'État doit mettre en oeuvre.

Pour consolider cette évolution, la DSNA doit franchir une étape supplémentaire en lançant une réforme de sa gouvernance et en s'ouvrant davantage sur l'extérieur. Je propose notamment la création d'un comité d'engagement, sur le modèle de ce qui se pratique déjà au sein du ministère de la défense et du ministère de l'intérieur : on pourra ainsi prévoir une revue régulière des programmes pour vérifier la mise en application et la pertinence des choix sans que cela se fasse en vase clos. J'introduis également une recommandation visant à prévoir l'intervention d'un régulateur indépendant sur la performance de cette direction.

La DSNA et la DGAC se trouvent dans une situation critique. Elles doivent solder les erreurs du passé, y compris financièrement. Elles doivent faire aboutir les programmes, ce qui est déjà presque le cas pour 4-Flight et dans une moindre mesure pour Co-Flight. En revanche, le programme Sysat reste compliqué à mettre en oeuvre et la nouvelle étape de la modernisation ne se fera pas sans difficulté. Entre-temps, il faut maintenir en condition opérationnelle les anciens systèmes. Enfin, l'avenir se dessine déjà sous la forme d'un nouveau grand programme pour lequel il faudra engager des budgets.

Cette nouvelle étape de modernisation doit s'inscrire dans des feuilles de route industrielles qu'il nous faudra partager avec les autres prestataires de service de navigation aérienne (PSNA) européens pour mutualiser les coûts des systèmes.

À cela s'ajoute le fait que ces grands programmes masquent la nécessité de maintenir une infrastructure solide, qu'il s'agisse de la radio, des radars ou des tours de contrôle. En effet, les infrastructures de base que nous utilisons ont beaucoup vieilli et les grands programmes ont masqué leur obsolescence.

Certes, il n'y a pas péril en la demeure, car, conformément au principe de redondance, des installations de secours existent. Toutefois, on estime que la dette de modernisation des infrastructures techniques se chiffre à 700 millions d'euros. La DSNA est en négociation avec la direction du budget pour étudier la possibilité de réinvestir dans ces installations techniques critiques. Nous n'avions pas conscience de ce sujet, il y a cinq ans. La DSNA devra faire des progrès en matière de productivité et offrir des garanties de sérieux budgétaire.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Comment expliquer rationnellement que l'on ait tant tardé à faire aboutir ce plan de modernisation ? La conséquence est que le coût est désormais exorbitant et que le montant de la dette technologique l'est aussi. Certes, il n'y a pas péril en la demeure, mais faut-il voir dans cette lenteur un lien avec le fait que le transport aérien soit mis en cause dans la problématique du changement climatique ?

Mme Sylvie Vermeillet, présidente. - En quoi les programmes 4-Flight, Co-Flight et Sysat nous prémunissent-ils contre des attaques terroristes ou des dérèglements climatiques violents ?

M. Michel Canévet. - Le salon du Bourget promeut l'excellence de l'aéronautique française. Pourtant, vous nous avez dressé le tableau d'un naufrage de la DGAC, à cause des délais très longs de mise en oeuvre des programmes et de leur coût exorbitants. La DGAC a-t-elle les moyens de financer ces programmes ?

Notre collègue Gérard Longuet a déjà évoqué devant nous les errements de l'État sur les applications informatiques. Il me semblait que des dispositions avaient été mises en oeuvre pour que la direction du numérique valide les programmes informatiques. Est-ce que cela a été le cas pour ceux que vous avez mentionnés ?

Le contrôle aérien fonctionne naturellement dans un cadre international. Des avancées existent-elles à l'échelle européenne ? Il paraîtrait cohérent de mener des programmes conjoints avec les 27 États membres de l'Union européenne.

M. Christian Bilhac. - La DSNA a 18 ans, c'est l'âge de raison. Elle ne semble pas avoir atteint cette majorité ni les compétences qui vont avec.

Monsieur le rapporteur, vous vous montrez très prudent pour encourager le virage récent que vous demandez pourtant depuis 2018. Toutefois, faut-il conserver un dispositif qui ne fonctionne pas ? Jusqu'en 2005, la DSNA n'existait pas, mais les avions ne s'écrasaient pas toutes les semaines. Cette direction coûte cher et ne sert à rien, mais on continue de la financer, car on ne supprime jamais aucune administration dans ce pays.

Alors que le programme européen Sesar (Single european sky air traffic management research) existe déjà, pourquoi persister à multiplier les systèmes nationaux plutôt que de réguler nos avions par un système européen ?

Mme Christine Lavarde. - Le système d'information de la DGAC est éclaté entre des opérations d'intérêt vital et des opérations commerciales. Vous nous avez surtout parlé du contrôle. Une réforme de plus grande ampleur est-elle prévue pour consolider les problèmes de réseau informatique ? Le manque d'investissement est certain, mais il y a aussi une redondance des serveurs.

M. Philippe Dominati. - Lorsque j'ai été élu au Sénat pour la première fois, Jean-Pierre Raffarin était Premier ministre et ma première intervention lors de la séance des questions au Gouvernement portait sur la grève des contrôleurs aériens. Au premier trimestre de cette année, à peu près 30 % des vols en Europe ont été perturbés à cause de la grève des contrôleurs aériens français, soit 237 000 vols, et le taux de ponctualité est passé de 79 % à 70 %.

Nous organiserons les jeux Olympiques en 2024. Si un événement social comme la réforme de l'âge de retraite a pu avoir un tel impact sur le trafic européen, qu'en sera-t-il au moment des jeux Olympiques ? La corporation a pris dix ans de retard, car l'État ne suit aucune direction et que le personnel défend ses intérêts. L'incohérence est totale. Des négociations ont-elles été prévues pour veiller au bon déroulement des jeux Olympiques ?

Quelle est la situation en Europe et dans le monde ? Des perspectives d'évolution existent-elles ?

M. Jean-Michel Arnaud. - Y a-t-il un pilote dans l'avion, autre que l'administration ? Quelle est la position du Gouvernement face à ces dérives ? Le programme Sysat a coûté 37 millions d'euros en six ans sans concrétisation : cela nécessite des explications. On a vu, notamment à propos du fonds Marianne, que l'État ne maîtrisait pas toujours ses services. On a là un cas patent de dysfonctionnement.

Sur le trafic aérien, peut-on évaluer l'impact carbone des dysfonctionnements et des retards qui ont eu lieu pour démontrer à l'État que lorsqu'il ne gère pas ses services, cela a pour conséquence, notamment, d'alimenter le bashing aérien ?

Enfin, des différences territoriales existent au sein de l'Hexagone en matière de contrôle aérien. Certains aéroports ont-ils perdu en compétitivité ? Y a-t-il eu un basculement du trafic depuis la France vers d'autres destinations européennes avec la perte de compétitivité qui s'ensuit ?

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial. - J'ai le sentiment que le fait que le Gouvernement, tout comme la DGAC, craint les grèves des contrôleurs a pu jouer un rôle dans les difficultés rencontrées. On peut néanmoins se fixer une obligation de franchise et l'équipe actuelle commence à le faire en portant un regard nouveau sur la situation. Le directeur de la DSNA a dirigé le programme Sesar. Il a une vision plus proche du terrain et plus technologique de la situation. Avec le directeur de la DGAC, ils ont contribué à poser le principal programme - certes en catastrophe mais il fonctionne. Ils osent tenir un langage de vérité aux contrôleurs.

L'ancienne équipe n'est pas en cause. Ses efforts sont d'ailleurs à saluer. Cependant, ils n'ont pas abouti. La situation s'améliore à présent.

Jean-Michel Arnaud a demandé s'il y avait un pilote dans l'avion. Il manque un régulateur, capable de « challenger » la DSNA, pour questionner ses performances et lui fixer des exigences opérationnelles. Le système actuel est déresponsabilisant, car il repose sur un budget annexe. Comme les recettes proviennent des compagnies, et comme le trafic augmentait jusqu'à présent, le corps social de la DGAC ne s'inquiétait pas de sa capacité à trouver de l'argent. L'exigence de performance financière était faible. En cas de mauvaise année, l'on avait recours à la dette. Ce sont les défauts du budget annexe. Ce dernier a toutefois l'avantage de ne pas trop peser sur le contribuable.

En l'absence d'un régulateur indépendant, c'est donc une autre direction de la DGAC qui régule sa voisine, ce qui n'est pas sans soulever des difficultés - d'autant qu'un régulé n'aime généralement pas son régulateur.

Pour ce qui concerne les grèves, nous avons voté la semaine dernière une proposition de loi que j'ai présentée, relative à la prévisibilité de l'organisation des services de la navigation aérienne en cas de mouvement social et à l'adéquation entre l'ampleur de la grève et la réduction du trafic. Ce texte prévoit une double prévisibilité : l'idée est que les contrôleurs soient astreints à l'obligation de se déclarer grévistes 48 heures à l'avance, et qu'à titre de réciprocité la DGAC soit dans l'obligation de les informer des astreintes - dans le cadre du service minimum - l'avant-veille de la grève. De la sorte, la prévisibilité s'applique pour les compagnies, les voyageurs, comme pour les contrôleurs.

Le texte doit à présent être examiné à l'Assemblée nationale, ce qui devrait se faire prochainement.

L'enjeu est donc de sortir du système actuel qui fonctionne en vase clos : la DGAC se contrôle elle-même, et pense que l'argent vient facilement parce que le trafic augmente.

Il s'agit d'une grande maison, rassemblant de grands ingénieurs, reconnus dans le monde entier. Elle était cependant en queue de peloton, mais elle a commencé à rattraper son retard et à retrouver un statut - au moyen de la réussite du programme 4-Flight et de son entrée dans l'interopérabilité du ciel unique.

Il faut d'abord aller au bout du programme de modernisation avant de réfléchir à la suite, et passer le « pic » budgétaire que représente le maintien en condition opérationnelle de tous les vieux systèmes, doublé de l'aboutissement des programmes actuels et d'une réflexion sur l'avenir. La maison se mobilise en ce sens.

Je défends l'idée d'un régulateur indépendant. Il faudra aussi s'interroger sur la meilleure façon d'améliorer la performance. Ce sujet relève du dialogue social. La question est notamment de savoir comment les contrôleurs pourraient faire preuve d'une certaine flexibilité en fonction des variations de trafic. D'autres difficultés sont par ailleurs à traiter, liées au nombre des contrôleurs ou à la durée de leur formation, qui est actuellement de cinq ans.

La maison se modernise donc. Elle a fauté sur un plan budgétaire, mais elle se mobilise pour se rattraper. Je pense que cela ne peut se faire que dans le dialogue.

La DSNA, qui existe depuis dix-huit ans, existait auparavant sous la forme d'un service technique. Ce service est nécessaire, c'est un élément de souveraineté. L'enjeu est en effet la maîtrise du ciel et la maîtrise de l'espace aérien. Les États considèrent d'ailleurs qu'il s'agit d'un élément régalien. Les tentatives de ciel unique qui ont été menées n'ont pas abouti pour cette raison. Ainsi, un seul centre international a été ouvert à Maastricht, et non plusieurs comme prévus initialement.

Un projet plus vaste de ciel unique pourra néanmoins resurgir. Pour peser dans ce projet, nous devons être capables de faire passer le trafic, et d'être interopérables. Tout en ayant encore une marge de progression dans ce domaine, nous sommes en train d'y parvenir.

Je reviens à présent sur la dette de modernisation des infrastructures techniques, évaluée à 700 millions d'euros. Certains de nos systèmes - non critiques, heureusement - sont parfois encore dotés de disquettes et l'on peut encore trouver un minitel à certains endroits. Tout ceci devra être traité méthodiquement. Les équipes s'y emploient. Cependant, comme il sera impossible de moderniser toutes les tours et toutes les approches en même temps, il faudra faire des choix.

Nous sommes donc engagés dans un chemin de rationalisation. Ce n'était pas le cas précédemment, parce que l'on pensait que l'argent était facile, parce que rien ne poussait à le faire et parce qu'il s'agissait d'une boîte noire pour Bercy.

La DSNA a compris qu'elle devait se montrer transparente, en basculant de son système budgétaire propre au système de droit commun qui repose sur le principe de la distinction des autorisations d'engagement (AE) et des crédits de paiement (CP), pour une meilleure visibilité. Un comité d'engagement est par ailleurs nécessaire sur les grands projets, ainsi qu'un régulateur indépendant, comme je l'ai souligné, chargé de la maintenir sous pression.

En matière informatique, des progrès sont à faire. La DSNA dispose en effet de 28 000 serveurs, ce qui représente une charge d'entretien aberrante. De plus, jusqu'en 2022, il n'existait pas de cartographie globale de l'architecture informatique de la DSNA. C'est la nouvelle direction qui l'a demandée. Pour autant, le système fonctionne malgré tout.

Il faut désormais fixer à la DSNA une exigence de transparence, de productivité, de rationalisation et d'ouverture. Ce processus est en cours, et des changements sont en train de survenir. Malheureusement, ils s'arrêteront si nous relâchons la pression, et ils reposent trop, en outre, sur quelques individus. Il faut à présent que le système oblige le service public à se mettre régulièrement lui-même sous pression.

À l'échelon européen, nous verrons quelles seront les prochaines avancées. Le projet de ciel unique tâtonne cependant, faute d'une réelle volonté des États membres.

Enfin, concernant la protection contre les attaques terroristes, le fait d'avoir un vieux système nous protège, paradoxalement. Toutefois, nous n'avons pas beaucoup documenté ce sujet, car il aurait réclamé des investigations particulières. Selon les éléments dont nous avons pu disposer, il n'y a cependant pas lieu de s'inquiéter - même si la vigilance reste de mise. Le basculement vers de nouveaux systèmes nous fournira par ailleurs davantage de garanties de sécurité, le risque étant que nos systèmes soient détournés ou qu'un arrêt survienne - situations face auxquelles nous savons néanmoins réagir.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et a autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Direction des services de la navigation aérienne (DSNA)

- M. Florian GUILLERMET, directeur.

Direction générale de l'aviation civile

- M. Damien CAZÉ, directeur général de l'aviation civile ;

- Mme Aline PILLAN, secrétaire générale de la DGAC ;

- M. Édouard GAUCI, secrétaire général adjoint ;

- M. Jean GOUADAIN, directeur de cabinet du directeur général ;

Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique - 4ème sous-direction du budget

- M. Laurent PICHARD, sous-directeur en charge des transports, du développement durable et du logement ;

- M. Frédéric DE CARMOY, chef du bureau des transports.

Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique - service du contrôle général économique et financier (CGEFI)

- M Thierry PELLÉ, contrôleur budgétaire chargé du contrôle du budget annexe du contrôle et exploitation aériens et de certains opérateurs.

Thalès

- M. Christian RIVIERRE, vice-président Airspace Mobility Solutions ;

- Mme Isabelle CAPUTO, vice-présidente des relations institutionnelles (Thales SA).

Air France

- M. Alain-Hervé BERNARD, directeur général adjoint en charge des Opérations et du Cargo ;

- M. Raphael EYROLLE, expert ATM au sein de la direction des opérations ;

- M. Aurélien GOMEZ, directeur des affaires parlementaires et territoriales.

Fédération Nationale de l'Aviation et de ses Métiers (FNAM)

- M. Pascal de IZAGUIRRE, président ;

- M. Laurent TIMSIT, délégué général.

International Air Transport Association (IATA)

- Mr Rory SERGISON, head ATM infrastructure Europe ;

- Mr Loic LESPAGNOL, assistant director ATM infrastructure ;

- Mme Manuella GOYAT, manager Campains & Policy France, Belgium & Netherlands.

Eurocontrol

- M. Razvan BUCUROIU, head of Airspace and Capacity Division, Eurocontrol network manager.

Syndicat national de la navigation aérienne (SNNA-FO)

- M. Laurent NOTEBAERT, secrétaire général ;

- M. Raynald DROLEZ, secrétaire national.

Syndicat National Autonome des Ingénieurs du Contrôle de la Navigation Aérienne (UNSA-ICNA)

- M. Christophe MERLIN, secrétaire national ;

- M. Sylvain HERIVAUX, secrétaire national ;

- M. Frédéric LIORZOU, secrétaire national de l'UNSA-IESSA.

Union Syndicale de l'Aviation Civile-CGT (USAC-CGT)

- M. Éric OUANES, membre du bureau national (IESSA à la DTI) ;

- M. Charles-André QUESNEL, secrétaire national (ICNA au CRNA/Nord) ;

- M. Grégory POINTEAU, membre du bureau national (ICNA à Roissy).

Syndicat National des Contrôleurs du Trafic Aérien (SNCTA)

- M. David GIRAUD, secrétaire national ;

- M. Yohann LE PETITCORPS, secrétaire national ;

- M. Loïc PARISI, secrétaire national.

Syndicat des Personnels de l'Aviation Civile (SPAC-CFDT)

- M. Aymeric BIDET, secrétaire national de la branche contrôleurs aériens ;

- M. Jean-Philippe HECKLY, secrétaire général adjoint chargé de la communication (SNA SSE).

PERSONNES ENTENDUES
DANS LE CADRE DU DÉPLACEMENT AU CENTRE EN-ROUTE DE LA NAVIGATION AÉRIENNE (CRNA) EST
DE REIMS (24 AVRIL 2023)

- M. Philippe BASSOT, directeur du CRNA-Est ;

- M. André ROSSIGNOL, adjoint au directeur du CRNA-Est ;

- Mme Marianne LEPLAT, responsable du Système de Management Intégré du CRNA-Est ;

- M. Yves CATOIS, chef du service Technique du CRNA-Est ;

- M. Vincent BOBIN, chef du service Exploitation du CRNA-Est ;

- M. Hervé ROBERT, adjoint au chef du service Exploitation du CRNA-Est.


* 1 Et quand bien même des incertitudes demeurent quant à ses prochaines échéances de déploiement.

* 2 Retards du contrôle aérien, la France décroche en Europe, rapport d'information n° 568 (2017-2018) réalisé au nom de la commission des finances du Sénat par Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens ».

* 3 En l'occurrence au sein de l'Organisation internationale pour l'aviation civile (OACI).

* 4 Système de coordination automatique du trafic aérien.

* 5 Les grèves relatives à la réforme des retraites expliquent une partie de ces retards.

* 6 Les projets et rapports annuels de performance ont été enrichis suite au rapport de juin 2018.

* 7 Parfois qualifiée « d'État dans l'État » au sein de la DSNA par des contrôleurs aériens.

* 8 Comme par exemple les alertes de détection des conflits.

* 9 L'Ente nazionale assistenza al volo.

* 10 Pour « air traffic management ».

* 11 En 2015, en 2017 puis en 2018.

* 12 Dans les CRNA de Reims et d'Aix-en-Provence.

* 13 Déploiement en avril 2022.

* 14 Déploiement en décembre 2022.

* 15 Qui fonctionne avec Coflight.

* 16 En 2021 la programmation du déploiement dans ces deux centres a été avancée à l'hiver 2025-2026 quand la précédente révision du calendrier de déploiement avait retenue l'hiver 2026- 2027.

* 17 Bordeaux et Brest.

* 18 Les EOP et les UOP sont des phases de tests permettant d'évaluer en condition réelle la performance technique du système, sa résilience aux pannes ou encore sa tenue en charge.

* 19 Pour Brest.

* 20 Pour Bordeaux.

* 21 Actuellement modernisé dans le cadre du programme 4-Flight.

* 22 Une société du groupe Thalès dédiée à cette activité (Thalès services numériques) est notamment mobilisée sur ce projet.

* 23 Produit par l'industriel espagnol Indra.

* 24 L'échéance a été fixée au mois de mai 2024.

* 25 Les calculateurs sur lesquels repose le système datent notamment des années 1990.

* 26 De type « sourcing ».

* 27 Sur les 91 millions d'euros déjà dépensés dans le cadre du programme.

* 28 Réponse de la DSNA au questionnaire du rapporteur spécial.

* 29 Notamment en diffusant largement les principes de conduite de projets dits « agiles ».

* 30 Un département structuré autour de deux pôles : le pôle planification et assistance opérationnelle aux projets et le pôle support et conseil méthodologique.

* 31 Depuis 2009.

* 32 Récemment institué par l'arrêté du 30 mars 2023 modifiant l'arrêté du 16 décembre 2013 relatif au cadre de la gestion budgétaire et au contrôle budgétaire des ministères de l'intérieur et des outre-mer pris en application de l'article 105 du décret no 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.

* 33 Air traffic control.

* 34 Réponse de la DSNA au questionnaire du rapporteur spécial.

* 35 VHF omnidirectional range.

* 36 Distance measuring equipment.

* 37 Le projet « vigie Saint-Denis » qui vise à disposer d'une tour de contrôle apte à opérer depuis Saint Denis de la Réunion le nouveau service d'approche de Mayotte.

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