D. ZONES INDUSTRIELLES, ZONES LOGISTIQUES, ZONES D'ACTIVITÉS, ZONES COMMERCIALES : LE DÉFI D'UNE MEILLEURE ARTICULATION À LEUR ENVIRONNEMENT

1. La spécialisation géographique des activités économiques
a) Des espaces dédiés au développement économique

Si les activités artisanales et proto-industrielles étaient intégrées dans le tissu urbain ou rural, constituant en quelque sorte le prolongement des habitations des artisans ou des fermes, le passage à l'ère industrielle a modifié la géographie de l'implantation des lieux de production. Le lien de proximité s'est distendu à la fois parce que l'on avait besoin de plus d'espace pour construire un appareil de production de masse et parce que le caractère polluant des activités conduisait à rechercher une certaine distance avec la ville. Cependant, la nécessité d'employer une main-d'oeuvre nombreuse conduisait la ville à se reformer autour des grands sites industriels.

Le modèle industriel des usines gigantesques n'a pas totalement disparu mais s'est considérablement affaibli, en partie sous l'effet de la désindustrialisation. Les activités économiques s'inscrivent dans une géographie diffuse mais la spécialisation des espaces demeure. Ainsi, les zones industrielles desservies par des infrastructures de transport sont le lieu privilégié de la production. À côté de la production, se pose la question de l'entreposage et de la logistique : zones industrielles et zones logistiques peuvent ainsi partager les mêmes espaces, souvent en périphérie des zones habitées, qualifiées de zones d'activités économiques (ZAE). On estime qu'il existe aujourd'hui environ 30 000 ZAE occupant 450 000 hectares117(*). La loi Climat et Résilience de 2021 a donné une définition juridique de ces zones et demandé aux EPCI d'en effectuer l'inventaire en deux ans, si celui-ci n'était pas déjà fait. Ces zones ne sont pas les seules à accueillir des activités productives mais elles répondent à une logique de spécialisation et sont très repérables dans le paysage urbain.

Les zones commerciales constituent une autre modalité de spécialisation de l'espace pour y développer des activités économiques, en l'occurrence non plus de production mais de vente. Si elles sont loin de représenter la totalité de l'activité commerciale en France, la vente de détail continuant de relever au moins en partie de commerces de proximité totalement intégrés au tissu urbain, elles en assurent aujourd'hui une part substantielle. Quelque 850 parcs d'activité commerciale regroupent 10 % des commerces de France et représentent plus d'un quart du chiffre d'affaires du commerce de détail. Surtout, le modèle du centre commercial, qui s'est développé rapidement durant les Trente Glorieuses, paraissait particulièrement efficace en proposant en un lieu unique une offre variée. Les centres commerciaux sont particulièrement gourmands en espace : le plus grand centre d'activité économique d'Europe, situé à Saint-Maximin dans l'Oise, réunit ainsi 320 enseignes sur 200 hectares.

Les zones commerciales sont l'emblème du consumérisme de masse, standardisé, très consommateur d'espace pour la vente mais aussi pour les parkings. Ils sont caractérisés par la juxtaposition de bâtiments laids, en forme de boîte à chaussure, et la domination du bitume pour permettre aux voitures des clients de circuler et stationner.

Zones industrielles, zones d'activités, zones commerciales, constituent l'ossature d'un espace spécialisé, dédié aux fonctions économiques, ayant besoin de nombreuses voiries pour assurer la circulation motorisée des marchandises et des personnes, et maintenu à distance des zones d'habitation. Les espaces concernés ne sont pas anecdotiques. Pour ne prendre qu'un exemple, en Loire-Atlantique, département dans lequel près de 14 % du territoire soit 95 000 hectares sont artificialisés, les zones dédiées à l'activité économique représentent 9 800 hectares, soit plus de 10 % des espaces urbains et 1,4 % du territoire118(*).

b) Les avantages de la spécialisation des zones à vocation économique

La spécialisation des zones d'activités économiques répond à une recherche d'efficacité, notamment dans la mutualisation des accès à des infrastructures de transport. L'implantation des industries dépendant de produits lourds est ainsi privilégiée au bord de canaux ou de voies ferrées pour faciliter les flux logistiques, ou encore des autoroutes. Les activités de même type s'implantent de manière contiguë pour bénéficier d'un effet d'agglomération.

La mise à l'écart des villes des activités polluantes répond aussi au besoin de protéger les populations. Les implantations industrielles sont ainsi classées au titre des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et sont soumises à des régimes de contrôle administratif et des réglementations destinées à maîtriser les risques d'évènements accidentels ou de rejets dans l'environnement de produits nocifs pour les milieux ou pour la santé des riverains. Adoptée après le rejet accidentel de dioxine d'une usine en Lombardie, en 1976, la directive européenne de 1982 dite « Seveso », révisée à trois reprises, impose aux exploitants de près de 1 300 sites en France de réaliser des études de danger, de prévenir les risques, et définit un périmètre imposant des restrictions en matière d'urbanisme autour des sites dits « Seveso », à travers les plans de prévention des risques technologiques (PPRT).

S'il y a spécialisation, il n'y a pas pour autant une mise à distance totale. En réalité, les zones d'activités et les zones industrielles doivent cultiver une certaine proximité avec les zones d'habitation, ne serait-ce que pour permettre aux personnes qui y travaillent d'y accéder sans parcourir de trop longues distances. Ces espaces se situent donc souvent en périphérie des villes, dans une certaine continuité urbaine, comme par exemple la zone industrielle de Lyon-Sud, qui, le long du Rhône et de l'autoroute A6, s'étend sur plus de 1 200 hectares, et forme la première agglomération industrielle de France. En matière de logistique, il est nécessaire de penser l'ensemble de la chaîne, sans négliger les stockages urbains de proximité et les enjeux du dernier kilomètre, comme le soulignait lors de son audition la professeure Laetitia Dablanc, qui appelait à développer un nouvel urbanisme logistique qui pourrait être innovant, notamment sur le plan architectural, et pourrait ainsi mieux s'intégrer dans l'espace urbain.

Il en va de même des zones commerciales. Elles ne peuvent pas être trop éloignées des lieux de vie, d'où une implantation préférentielle dans des entrées ou sorties de ville, le long des axes routiers. Les magasins d'usine et commerces spécialisés se sont parfois implantés à distance, mais à condition de bénéficier de conditions d'accès privilégiées, en sortie d'autoroute ou de rocade routière.

Les collectivités territoriales trouvent leur compte dans le développement de zones spécialisées dans la logistique, l'industrie ou le commerce. D'abord, il s'agit d'activités pourvoyeuses d'emplois, et donc des moteurs de développement économique. Ensuite, elles génèrent des recettes fiscales à la fois pour les EPCI et pour les communes d'implantation, à travers la taxe foncière. Les activités économiques constituent ainsi le socle d'une certaine richesse des collectivités, qui ne doivent mobiliser en contrepartie des recettes de fiscalité économique qu'assez peu de dépenses : nul besoin de construire des crèches, des écoles, des gymnases ou des salles des fêtes supplémentaires, contrairement à un développement urbain axé sur l'arrivée de nouveaux habitants.

2. Le défi de la promotion d'un développement économique respectueux des territoires
a) Des activités économiques qui ont besoin d'espace

Si les inquiétudes relatives à l'application du principe du ZAN se manifestent souvent à l'égard des besoins en construction de logements, il fait également peser la pression sur le foncier économique. Or, du fait du caractère de carrefour de l'Europe du Sud, avec ses quatre grandes interfaces portuaires avec le monde (Le Havre, Dunkerque, Marseille et l'aéroport de Roissy) et ses trois axes de circulation de marchandises (couloir rhodanien, vallée de la Seine, axe Paris-Lille), la France continue à être une plaque tournante de la logistique et a encore besoin de surfaces de stockage. L'association française de l'immobilier logistique (Afilog) met en évidence le faible taux de vacance des entrepôts logistiques (la plupart des régions ayant un taux inférieur à 5 %, qui est considéré comme un taux minimal) pour caractériser la tension foncière actuelle sur le secteur119(*).

Les entrepôts ne représentent qu'environ 1 % des surfaces artificialisées mais impriment leur marque dans le paysage. On dénombre plus de 5 000 entrepôts et plateformes logistiques (EPL) de plus de 5 000 m² en France120(*). Les implantations sont rarement isolées : beaucoup d'entrepôts sont juxtaposés dans des zones logistiques. Le développement du commerce électronique a intensifié les flux logistiques et la poursuite des tendances actuelles implique une progression des surfaces de stockage et des services de livraison à domicile. Le stockage vertical est une solution, mais assez coûteuse et donc limitée aux territoires où le foncier est soit indisponible soit extrêmement cher. Par ailleurs, les besoins en surfaces logistiques se diversifient : outre les grands entrepôts, le défi consiste à acheminer les marchandises sur les derniers kilomètres. La filière logistique doit donc innover et rechercher des surfaces plus petites dans les territoires fortement urbanisés, par exemple en utilisant les parkings inutilisés. L'enjeu de compétitivité n'est pas mince, la phase finale de distribution des produits pouvant représenter jusqu'à 30 % du coût d'acheminement vers le client final.

Par ailleurs, la politique de réindustrialisation affichée par le Gouvernement nécessite de mobiliser des terrains pour accueillir les activités créées ou relocalisées sur le territoire national. Par ricochet, le développement de l'industrie va demander encore plus de surfaces logistiques destinées au circuit de distribution des produits fabriqués.

La tâche ne devrait pas être impossible, dans la mesure où l'industrie ne représente qu'environ 4 % des surfaces urbanisées, soit un peu plus de 200 000 hectares et que nous disposons de friches industrielles et de lisières urbaines aménageables. Il convient toutefois de prendre en compte le fait que les grands terrains sont rares, bien que nécessaires pour installer des grandes unités de production, comme celles devant fabriquer des batteries électriques : la « gigafactory » de Dunkerque du groupe Prologium annoncée mi-2023 devrait ainsi couvrir 180 hectares. Par ailleurs, les sites doivent répondre à un cahier des charges exigeant : il faut prévoir les agrandissements possibles, construire les infrastructures d'acheminement des fluides, de l'énergie (renforcement des réseaux), les équipements routiers, mais aussi permettre le recrutement de personnels en proximité et faciliter l'installation de partenaires, en particulier les sous-traitants. Enfin, une partie de la réindustrialisation est le fait de PME. Dans un rapport remis début 2023, l'organisation professionnelle représentative des industriels, France Industrie, alertait sur le fait que 53 % des startups industrielles déclaraient rencontrer des difficultés pour identifier un foncier adéquat, et recommandait de mettre à disposition des sites « clefs en main »121(*).

b) Vers une nouvelle géographie du commerce ?

Mieux occuper l'espace nécessite aussi de repenser la manière dont sont aménagées les zones commerciales. L'ère du développement de la grande distribution et des centres commerciaux a donné lieu à des implantations en bordure des villes d'ensembles très similaires sur le plan architectural, devenus avec le temps assez peu attractifs. Certains centres ont d'ailleurs mal vieilli et perdent en attractivité.

Les centres commerciaux apparaissent aujourd'hui menacés par le regain d'attractivité du commerce de centre-ville et par le développement du commerce électronique, qui représente près de 14 % du commerce de détail. D'après le Conseil national des centres commerciaux (CNCC) renommée Fédération des acteurs du commerce dans les territoires (FACT) en 2022, le commerce physique n'est pas en si mauvaise santé. Certes, d'après l'édition 2023 de l'Observatoire des sites commerciaux, la fréquentation de ceux-ci est encore inférieure de 11,7 % fin 2022 à ce qu'elle était en 2019, période pré-pandémie, mais la crise a aussi eu la vertu d'accélérer les nécessaires transformations du commerce.

Les centres commerciaux sont ainsi amenés à se réinventer : ils deviennent tout autant des centres de loisirs et de restauration et des plateformes de services que des lieux de vente de marchandises. Les aménagements rustiques et l'absence d'efforts architecturaux ne sont plus possibles. Le renouvellement commercial passe par un effort esthétique mais aussi de diversification des quartiers commerciaux. Ainsi, la requalification de la zone commerciale Nord de Strasbourg, menée par le groupe Frey, consiste à restructurer totalement la zone commerciale de 150 hectares, en implantant des circulations douces, en créant 400 logements, 11 000 m² d'activités tertiaires et en faisant des efforts esthétiques pour favoriser la promenade dans un centre commercial en large partie à l'air libre, combinant commerces, restaurants, loisirs et même services de santé.

La géographie des espaces commerciaux est ainsi appelée à évoluer. Même les supérettes de quartier doivent faire des efforts de meilleure intégration à leur environnement et d'amélioration de leur attractivité, y compris visuelle. Un paramètre doit toutefois être pris en compte : l'embellissement des espaces commerciaux a un coût, forcément répercuté sur le client. Le contexte nouveau d'inflation et la recherche de prix bas par une partie de la population pourrait faire des centres commerciaux ou des commerces de centre-ville des espaces réservés de fait à une clientèle disposant de moyens élevés, tandis que les consommateurs les plus pauvres dont les budgets sont les plus contraints seraient condamnés à recourir à des enseignes « discount » n'ayant pas fait ces efforts d'embellissement et d'attractivité visuelle. Il pourrait en résulter une dualisation des espaces commerciaux, inscrivant dans l'espace la stratification économique et sociale de la France plus encore qu'aujourd'hui.


* 117 Source : étude d'impact de la loi Climat et Résilience (article 53)

* 118  https://www.insee.fr/fr/statistiques/4488557

* 119  https://afilog.org/articles/la-france-s-est-desindustrialisee-ne-la-laissons-pas-se-de-logisticiser/

* 120  https://www.ecologie.gouv.fr/logistique-en-france

* 121  https://www.franceindustrie.org/publications/acces-au-foncier-pour-les-startups-industrielles/