IV. AXE 3 (TERRITOIRES) - RENFORCER LA DIFFUSION DE LA CULTURE ET DES PRATIQUES DE L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE DANS LES TERRITOIRES

A. RENFORCER LA DÉCLINAISON DE LA POLITIQUE PUBLIQUE D'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE AU SEIN DES TERRITOIRES

1. Une gouvernance territoriale de la politique publique de sécurité économique en cours de précision depuis plusieurs années

Selon la gouvernance établie par le décret du 20 mars 201945(*), c'est le préfet de région, appuyé de son secrétariat général aux affaires régionales (SGAR), qui est chargé de l'animation et de la mise en oeuvre au niveau territorial de la politique publique de sécurité économique (PPSE). Sous son autorité, des délégués régionaux à l'information stratégique et à la sécurité économiques (DISSE) appartenant à un réseau animé par le SISSE sont chargés de coordonner la mise en oeuvre de la PPSE.

Dans une feuille de route méthodologique de mai 202146(*), le ministère de l'Intérieur préconise de renforcer l'animation territoriale de la PPSE via une gouvernance simplifiée et opérationnelle. Elle prévoit ainsi que le préfet de département désigne un référent départemental à la sécurité économique ayant pour mission d'identifier les enjeux stratégiques locaux, de signaler toute menace ou vulnérabilité à la DISSE ou au SGAR et de sensibiliser le grand public et les acteurs économiques à la sécurité économique. En pratique, ces référents sont la plupart du temps sous-préfets ou directeurs de cabinet du préfet.

Avec l'appui des DISSE, les référents départementaux à la sécurité économique sont en outre chargés de l'organisation et de l'animation des comités départementaux de sécurité économique (CDSE) qui réunissent une à deux fois par an les services de renseignement et les autres services chargés d'une mission de sécurité économique. Les réunions, opérationnelles, permettent un suivi au plus près des entités sensibles du département pour identifier les alertes, coordonner la politique départementale de sécurité économique, identifier de nouvelles entités stratégiques, planifier les actions de sensibilisation et amorcer d'éventuelles actions de remédiation.

Au niveau régional, un Comité régional de sécurité économique (CRSE) se réunit une fois par an sous la présidence du préfet de région pour rassembler les services de l'État chargés de la sécurité économique (référents départementaux des préfectures, services de renseignement, gendarmerie, DISSE, ANSSI) et ceux impliqués dans sa mise en oeuvre (services économiques de l'État en région : DRAAF, DRARI, DREAL, DRFiP, DRDDI, DREETS, ARS) afin d'animer un réseau de détection d'alertes sur les entreprises et laboratoires de la région.

Schéma simplifié de la gouvernance territoriale de la PPSE

Source : commission des affaires économiques du Sénat

2. Affiner la déclinaison territoriale de cette politique via une présence renforcée des services compétents de l'État

Sous l'autorité du préfet de région, de nombreux services de l'État contribuent à la mise en oeuvre de cette PPSE sur plusieurs volets sectoriels.

Ainsi, dans chaque département, les DISSE établissent et tiennent à jour une liste d'entités stratégiques, constituée des entreprises mais aussi des laboratoires et des écosystèmes de recherche et d'innovation. Cette liste est plus large que la liste des entreprises et des unités de recherche à protéger en priorité tenue par le SISSE au niveau national : elle intègre des entités détectées comme ayant un caractère stratégique significatif par les acteurs locaux de la sécurité économique en raison de leur maîtrise d'un savoir-faire ou d'une technologie clé, de leur place dans la chaîne de sous-traitance d'une filière stratégique, de leur potentiel de croissance ou de leur niveau d'innovation.

Triplement rattachés au SGAR, à la DREETS et au SISSE, les DISSE accomplissent donc un travail précieux d'identification et de transmission d'informations. Pourtant, les rapporteurs regrettent que les DISSE sont peu nombreux, ce qui ne permet pas de couvrir toute la diversité et la complexité des territoires : pour une région comme la Bourgogne-Franche-Comté, on ne compte que 2 DISSE pour un total de 23 à l'échelle nationale.

Par ailleurs, d'autres services de l'État n'étant pas spécifiquement compétents en matière de sécurité économique contribuent à la mise en place de cette PPSE. La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) suit, sensibilise et conseille les entreprises et les instituts de formation et de recherche aux risques d'ingérences étrangères, souvent via une ou deux antennes territoriales à l'échelle d'un département. Autre service de renseignement, la Direction du renseignement de la sécurité de la défense (DRSD), compétente pour la contre-ingérence dans le domaine de la défense, mobilise des équipes en région pour remonter les alertes sur des entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Le service central de renseignement territorial (SCRT) rattaché à la police nationale, accomplit lui aussi des missions relatives à la sécurité économique en rencontrant des dirigeants d'entreprises, responsables syndicats et salariés et en remontant des informations et des alertes sociales sur d'éventuels phénomènes de déstabilisation d'un bassin d'emploi.

L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) dispose aussi de délégués en région depuis 2015. Au nombre de 17 en métropole et outre-mer, ils contribuent à la prévention des incidents et à la sensibilisation des acteurs locaux publics et privés aux bonnes pratiques de sécurité informatique.

Au sein de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), les sections de sécurité économique et de protection des entreprises (SECOPE) - 281 militaires mobilisés au 1er avril 2023 - accomplissent à l'échelon régional une importante mission de sensibilisation des entreprises du tissu économique local et plus particulièrement des TPE-PME, pour lesquelles la visite du SECOPE est souvent la première rencontre avec la notion de sécurité économique. En 2022 :

971 visites de sensibilisation d'entreprises aux menaces contre les intérêts économiques et industriels de la Nation ont été menées ;

212 conférences locales de sensibilisation d'entreprises ainsi que 6 conférences nationales ont été organisées.

Ces visites de sensibilisation et d'échange sont dans leur immense majorité très bien accueillies par les dirigeants qui n'ont que très peu d'informations en la matière et relaient de nombreuses inquiétudes face auxquelles ils se sentent généralement démunis. L'action des SECOPE touche jusqu'aux plus petites entreprises - l'une pouvant être sensibilisée parce qu'elle est stratégique à l'échelle d'un bassin d'emploi, l'autre parce qu'elle fournit un grand groupe avec un produit essentiel pour la chaîne de valeur. L'action des SECOPE est donc essentielle à la fois pour remonter des cas d'alerte, identifier de nouvelles entreprises potentiellement sensibles, instituer des réflexes défensifs et plus largement, contribuer à la diffusion d'une culture de la sécurité économique.

Recommandation n° 11 : former des correspondants « intelligence économique » au niveau des compagnies de gendarmerie (arrondissements) pour démultiplier les capteurs et les habiliter à conduire des visites de sensibilisation afin de toucher les PME-TPE au plus près des territoires.

Enfin, l'instauration sur certains territoires de référents en sécurité économique au sein de directions régionales comme les directions régionales des douanes et droits indirects (DRDDI), des finances publiques (DRFiP) ou encore du SCRT montre qu'ils permettent de fluidifier encore davantage les échanges d'informations en étant, au sein de leur administration, les interlocuteurs privilégiés des DISSE et des autres administrations chargées de la PPSE. À ce titre, la désignation de référents en sécurité économique devrait être systématisée dans toutes les administrations déconcentrées chargées de missions économiques et financières.

Dans tous les cas, la bonne déclinaison territoriale d'une stratégie nationale d'intelligence économique doit reposer sur des moyens humains et financier suffisants, permettant aux agents de l'État de mener convenablement leurs missions, d'autant plus lorsque l'intelligence économique s'ajoute aux missions normalement confiées à ces administrations.

Les rapporteurs ont ainsi pu constater, lors de leurs auditions, une insuffisante mobilisation des préfectures en matière d'intelligence économique, même si le constat varie selon les régions et les départements. C'est pourquoi ils souhaitent revaloriser l'échelon préfectoral comme levier stratégique de mise en oeuvre de la stratégie nationale d'intelligence économique (SNIE).

Recommandation n° 12 : constituer un réseau de sous-préfets référents à l'intelligence économique désignés par les préfets de département et de référents à l'intelligence économique au sein de chaque administration déconcentrée de l'État chargée d'une mission économique ou financière.

Enfin, les rapporteurs rappellent que si la région demeure le chef de file en matière de développement économique, l'échelon départemental est incontournable en matière d'intelligence économique pour assurer un suivi au plus proche du tissu économique local.


* 45  Décret n° 2019-206 du 20 mars 2019 relatif à la gouvernance de la politique de sécurité économique.

* 46 Feuille de route méthodologique en matière de sécurité économique du ministère de l'intérieur du 10 mai 2021