RAPPORT

I. L'URGENCE DE DÉFINIR UNE VÉRITABLE STRATÉGIE FRANÇAISE D'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE

A. UN CONCEPT VASTE DONT LA DÉCLINAISON EN ACTIONS CONCRÈTES EST DIFFICILE

1. Une définition historique de l'intelligence économique qui cohabite avec de nombreuses acceptions portées par les différents acteurs

Dans le cadre de cette mission d'information, la première question posée aux différentes personnes auditionnées a été celle de la définition de l'intelligence économique. Malgré la simplicité apparente de cette question, la réponse apportée a été, presque à chaque fois, différente.

L'intelligence économique est en effet à la croisée de la sécurité économique, du renseignement économique et de l'influence. Si son caractère interdisciplinaire rend l'intelligence économique difficile à appréhender, c'est bien cette complémentarité d'approches qui doit permettre une plus grande efficacité dans la défense des intérêts de la France.

Au cours des auditions menées, l'intelligence économique a ainsi pu être alternativement définie comme :

- une dynamique collective qui vise l'agilité par un usage stratégique de l'information ;

- une culture de la connaissance et de l'anticipation de l'environnement international ;

- une méthode reposant sur la veille, la sécurisation et l'influence ;

- un mode de gouvernance fondé sur la maîtrise et l'exploitation de l'information stratégique pour créer de la valeur durable dans une entité ;

- un mode de pensée et d'action permettant de passer d'une culture et d'une pratique dominante de l'adaptation sous contraintes à une culture de l'anticipation collective ;

- une démarche agile visant à favoriser le management de l'information stratégique afin d'identifier les risques et les opportunités d'un écosystème dans le but d'alimenter le processus de décision ;

- un domaine de recherche interdisciplinaire croisant économie, sciences de gestion, sciences et technologies de l'information et de la communication, sciences politiques, droit, sciences humaines, en particulier sociologie et psychologie, et utilisant pleinement les potentialités offertes par le numérique ;

- une politique publique, dont l'organisation administrative n'est pas encore stabilisée ni aboutie.

Au-delà des différentes tentatives de définition de l'intelligence économique par sa nature, l'intelligence économique a également été présentée au regard des objectifs et des finalités qu'elle permet d'atteindre et d'accomplir.

Pour une entreprise, l'intelligence économique a surtout été présentée comme un moyen de renforcer la compétitivité dans une optique de performance ou de création de valeur. Pour un État, l'intelligence économique vise surtout à défendre et à promouvoir ses intérêts stratégiques nationaux. Plus largement, pour un État comme pour une entreprise, l'intelligence économique regroupe une dimension offensive et une dimension défensive. C'est pourquoi les termes « anticiper », « influencer » et « se protéger » ont été mentionnés à plusieurs reprises pour caractériser les actions pouvant être entreprises au nom de l'intelligence économique.

Sans rentrer dans un débat de nature universitaire sur la définition et la traduction des termes « intelligence économique », il convient tout de même de souligner que la définition à laquelle il a été fait le plus souvent référence demeure celle issue du rapport publié par Henri Martre en 1994.

L'intelligence économique y est ainsi définie comme « l'ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution en vue de son exploitation, de l'information utile aux acteurs économiques. Ces diverses actions sont menées légalement avec toutes les garanties de protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l'entreprise, dans les meilleures conditions de qualité, de délais et de coût » 1(*).

Cette définition a posé les fondamentaux de l'intelligence économique, le rapport d'Henri Martre ayant octroyé au concept sa notoriété. Aujourd'hui, il n'existe pas de définition législative de l'intelligence économique, mais les pouvoirs publics l'ont défini à plusieurs reprises depuis.

Dans la circulaire interministérielle du 15 septembre 2011 relative aux actions de l'État en matière d'intelligence économique, il est indiqué que l'intelligence économique consiste « à collecter, analyser, valoriser, diffuser et protéger l'information économique stratégique, afin de renforcer la compétitivité d'un État, d'une entreprise ou d'un établissement de recherche »2(*).

Pour les entreprises, l'intelligence économique repose sur les trois piliers suivants, pouvant chacun donner lieu à des actions différentes :

la veille stratégique ou concurrentielle, qui consiste à rechercher, recueillir et analyser l'information afin de poser un diagnostic fiable sur l'environnement concurrentiel de l'entreprise ;

la protection du patrimoine matériel et immatériel de l'entreprise, qui permet de se prémunir de toute tentative de pillage et d'assurer la protection du savoir-faire et de l'information stratégique ;

les opérations d'influence, qui visent à convaincre, séduire ou dissuader les organismes décideurs évoluant dans l'environnement direct de l'entreprise.

2. Des « entrées » diversifiées de l'intelligence économique qui rendent cette notion difficile à décliner opérationnellement

Au-delà de sa définition, la pertinence de la traduction d'intelligence économique est également discutée. L'intelligence économique peut en effet être comprise comme un anglicisme découlant du terme « economic intelligence », traduction littérale de « renseignement économique ».

Or, l'intelligence économique dans son acception commune en France recouvre l'activité des entreprises comme celle des collectivités territoriales et repose en partie sur le traitement de l'information en source ouverte, sans recours au privilège étatique qu'est l'utilisation de techniques de renseignement.

Selon plusieurs personnes auditionnées, le concept d'intelligence économique pourrait être remplacé, pour ce qui relève de l'action de l'État, par les notions plus opérationnelles de « sécurité économique » au niveau défensif et de « promotion économique » au niveau offensif.

Ainsi, malgré une existence de plus de trente ans dans le débat public, l'intelligence économique demeure une notion difficile à décliner en actions qui fait l'objet d'une appropriation inégale selon les acteurs et souvent d'une grande dispersion des actions destinées à la mettre en oeuvre.

À cet égard, le décret du 22 août 2013 instituant un délégué interministériel à l'intelligence économique3(*), aujourd'hui abrogé, fournit un bon exemple du vaste champ des actions associées à la notion : il englobait dans la définition de l'intelligence économique à la fois des objectifs sans prescrire les moyens de les atteindre - par exemple, la protection des intérêts économiques nationaux et du patrimoine scientifique, technologique et économique de l'État et des entreprises ou encore le rayonnement de la France dans les institutions internationales d'intérêt national stratégique - aussi bien que des missions plus concrètes - par exemple, la coordination d'une veille, l'identification de secteurs économiques porteurs d'intérêts nationaux stratégiques, la mise en place de mesures de protection des entreprises sensibles et la définition d'une stratégie de normalisation.

Depuis 2019, l'intelligence économique est essentiellement appréhendée au niveau de l'État par le biais de la sécurité économique, elle-même communément définie comme une composante de l'intelligence économique. La sécurité économique intègrerait le volet défensif des actions menées au titre de l'intelligence économique, notamment la collecte et le recueil d'informations visant à identifier les menaces et à maîtriser les risques, y compris immatériels, ainsi que la mise en place de mesures de protection des entreprises et des autres entités sensibles.

Pour les entreprises, ces définitions ne permettent toutefois pas d'identifier concrètement et précisément les actions de nature à mettre en place une démarche d'intelligence économique, au-delà de la réalisation d'une veille technologique ou concurrentielle.

Il est donc apparu aux rapporteurs que la perception du « flou » de la notion est indiscutablement liée à la dimension culturelle et organisationnelle de l'intelligence économique en France. Conformément à plusieurs constats dressés depuis près de 30 ans, ce sont donc certains modes d'organisation et certains réflexes culturels de partage de l'information qu'il convient de réformer afin d'accélérer le développement de l'intelligence économique en France.


* 1  Rapport du Groupe « Intelligence économique et stratégie des entreprises » du Commissariat général au Plan présidé par Henri Martre, février 1994.

* 2 Circulaire interministérielle 5554/SG du 15 septembre 2011 « actions de l'État en matière d'intelligence économique ».

* 3  Décret n° 2013-759 du 22 août 2013 relatif au délégué interministériel à l'intelligence économique.