N° 880

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur : « L'Égypte, porte d'entrée de la France dans les crises du Moyen-Orient »,

Par M. Ronan LE GLEUT, Mme Sylvie GOY-CHAVENT, MM. Jacques LE NAY
et Jean-Pierre GRAND,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Rachid Temal, vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury, secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Gilbert Roger, Bruno Sido, Jean-Marc Todeschini, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard.

L'ESSENTIEL

I. UNE PUISSANCE EN CRISE

A. UN « POIDS LOURD » DE LA RÉGION

1. Une importance démographie qui représente à la fois une chance et un fardeau

La population égyptienne a passé le cap symbolique des 100 millions d'habitants en février 2020 et pourrait atteindre 150 millions en 2050 : c'est le troisième pays le plus peuplé d'Afrique après le Nigeria et l'Éthiopie. Mais l'Égypte ne profite pas du « dividende démographique 1(*)» car il est très difficile d'assurer l'intégration de 800 000 nouveaux entrants chaque année sur le marché du travail. Ceux-ci sont donc particulièrement frappés par le chômage (26,5% en 2019). Le niveau de vie par habitants diminue. Cependant, cette population très nombreuse représente un marché très vaste et reste donc une opportunité pour les acteurs économiques du pays ou de ses partenaires.

 
 
 

d'habitants aujourd'hui

d'habitants en 2050

d'arrivants chaque année sur le marché du travail

2. Des ressources énergétiques importantes

Depuis une quinzaine d'années, l'Égypte est devenue excédentaire dans sa production énergétique, notamment grâce à la découverte du champ Zohr en Méditerranée, qui lui a permis de redevenir un exportateur net d'hydrocarbures (73 milliards de mètres3 de gaz naturel en 2021). Elle dispose également d'une infrastructure de liquéfaction pour transformer et acheminer le gaz israélien vers l'Europe. Elle met enfin en avant sa capacité de production d'hydrogène vert et bleu, ayant signé des accords de coopération avec l'Europe et des pays du Golfe dans ce domaine.

3. Un prestige légué par l'histoire récente, qui a toutefois tendance à diminuer

L'Égypte jouit d'un certain prestige en raison de son soutien à la lutte pour l'indépendance des pays africains et des souvenirs de la période nassérienne. Le discours officiel continue à entretenir la vision d'une opposition entre les pays arabes, dont l'Égypte serait le leader naturel, et les pays « non arabes » qui, tels l'Iran et la Turquie, chercheraient à gagner une influence indue dans la région. En Afrique, malgré ses prétentions au leadership, son prestige est désormais fortement concurrencé par l'Éthiopie ou les monarchies du Golfe.

B. UN PAYS EN CRISE

1. Les effets du Covid 19 puis de la guerre en Ukraine

L'économie de l'Égypte a été violemment frappée par la succession de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine. Devant la mission, le vice-ministre de la défense a placé au premier rang de ses préoccupations la crise économique, en raison de ses possibles implications sur la stabilité du pays. En effet, l'Égypte est l'un des pays au monde pour lesquels les effets du conflit en Ukraine sont les plus graves. Le pays est le premier importateur mondial de blé, avec une dépendance aux importations de l'ordre de 80 %, dont 50 % viennent de Russie et d'Ukraine, et de 95% pour l'huile de tournesol. Le pays est donc particulièrement exposé au risque de ruptures d'approvisionnement et à la hausse des prix. L'Égypte est également concernée par les conséquences du conflit sur le plan touristique : les Russes et les Ukrainiens constituaient les plus gros clients du secteur.

La population égyptienne est directement affectée par cette crise. Elle s'appauvrit alors que, déjà en 2019, les deux tiers des Égyptiens vivaient soit sous le seuil de pauvreté, soit juste au-dessus. Le pouvoir d'achat des ménages s'est fortement dégradé en 2022, avec une inflation qui a atteint des niveaux très élevés. La livre égyptienne s'est dépréciée de 89 % depuis le début de 2022. Les subventions de produits de première nécessité sont le seul instrument dont dispose les autorités, mais des appels à manifester ont eu lieu à l'automne 2022, ce qui est rare dans ce pays très contrôlé par l'appareil sécuritaire.

2. Une mainmise en plus en plus forte des monarchies du Golfe et du FMI

L'Égypte a donc été contrainte de solliciter de nouveau l'aide du FMI et a obtenu, difficilement, un nouveau programme d'aide pour 3 milliards de dollars, le 3ème prêt depuis 2016. Le FMI impose au pays de remédier à ses vulnérabilités macroéconomiques et d'assurer une croissance et la création d'emplois par le secteur privé à travers : (i) une politique monétaire permettant le maintien d'un taux de change flexible pour absorber les chocs externes, (ii) la poursuite de la consolidation budgétaire (baisse du ratio dette/PIB) tout en renforçant les dépenses sociales, (iii) des réformes structurelles importantes visant à réduire l'empreinte de l'État (notamment de l'armée) et à accroître le rôle du secteur privé dans l'économie. Ces réformes s'annoncent difficiles pour l'Etat égyptien, particulièrement en ce qui concerne la réduction de l'empreinte de l'armée dans l'économie, car le rôle de celle-ci est central dans de nombreux secteurs.

Enfin, les monarchies du Golfe ont longtemps soutenu l'Égypte à fonds perdus et exigent désormais des contreparties en capital. Ainsi, il a été indiqué à la mission que la quasi-totalité des médias appartiennent désormais à des entreprises des pays du Golfe.

II. UNE POLITIQUE ÉTRANGÈRE SOUCIEUSE DE RAYONNEMENT INTERNATIONAL MAIS SUR LA DÉFENSIVE

A. LE « MULTI-BILATÉRALISME » ET LA DIPLOMATIE DES SOMMETS

L'Égypte s'efforce de mettre en oeuvre une politique étrangère équilibrée et fait preuve actuellement, en comparaison de l'ère Moubarak, d'un certain activisme.

1. Des relations toujours privilégiées avec les États-Unis mais renforcées avec la Russie, la Chine et l'Union européenne

Afin de disposer du maximum de leviers et faute de disposer par elle-même de ressources d'influence majeures, l'Égypte cherche à développer le plus possible ses relations bilatérales, sans exclusive ni partenaire privilégié :

· L'alliance avec les États-Unis reste essentielle, mais l'administration américaine a conditionné une partie (130 millions de dollars) de son aide militaire à des avancées en matière de droits humains ;

· L'Égypte s'est cependant rapprochée de la Russie, avec laquelle la coopération en matière économique et militaire s'est renforcée, ce qui explique en partie sa réticence à prendre parti sur le confit en Ukraine ;

· Elle entretient également une relation économique croissante de la Chine, étant devenue le 1er pays au Moyen-Orient bénéficiaire des investissements des « Nouvelles routes de la Soie » ;

· Avec l'Union européenne, les échanges sont relancés depuis la reprise du dialogue d'association à l'été 2017, l'Égypte étant désormais le 2ème bénéficiaire des instruments de voisinage après le Maroc, et un Conseil d'association UE-Égypte s'étant tenu en juin 2022 ;

· La relation avec l'Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis reste forte, ces pays apportant un soutien financier essentiel au pays, tandis que les tensions importantes avec le Qatar sont en voie d'apaisement.

2. Le rapprochement avec la Turquie et la Syrie
a) Avec la Turquie : une détente très progressive

Les relations avec la Turquie sont en voie d'amélioration, avec des visites croisées des ministres des affaires étrangères au printemps 2023. En Méditerranée orientale, l'Égypte estime avoir à gagner à une amélioration des relations avec la Turquie car la sécurisation maritime de ses gisements gaziers est très coûteuse. Toutefois, le vice-ministre des affaires étrangères, Hamdi Loza, a souligné devant la mission que le ministre égyptien avait au préalable pris contact avec Chypre et la Grèce, dont l'Égypte reste très proche. Ainsi, le rapprochement avec la Turquie reste prudent.

b) Le rétablissement des relations avec la Syrie

Un début de rapprochement s'opère également entre l'Égypte et la Syrie à la suite du tremblement de terre qui a frappé ce pays et la Turquie, après 10 ans d'interruption des relations. En avril 2023, le ministre égyptien des affaires étrangères a reçu son homologue. L'Égypte estime que ce rapprochement est nécessaire pour contrecarrer la progression de l'influence iranienne. La Syrie a été réintégrée au sein de la ligue arabe le 7 mai à l'initiative de l'Arabie Saoudite, l'Égypte n'ayant pu qu'accepter ce retour.

3. Une diplomatie des sommets

En rupture avec l'ère Moubarak, l'Égypte fait preuve d'un certain activisme dans les enceintes internationales, avec la présidence de l'Union africaine en 2019 et l'organisation d'événements de dimension internationale : forum mondial de la jeunesse annuel à Charm-el-sheik, la COP14 pour l'environnement en novembre 2018, le sommet UE-Ligue arabe en février 2019 et récemment la COP27 en novembre 2022 à Charm-el-Sheikh. Durant son mandat en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, elle a également voulu être le porte-parole des intérêts africains.

4. La relation privilégiée avec l'Irak et la Jordanie

Une coopération tripartite avec l'Irak et la Jordanie a été progressivement mise en place lors de quatre sommets consécutifs des trois chefs d'État, dont le sommet de Bagdad du 27 juin 2021. Il s'agit pour les trois pays d'augmenter leur coopération sécuritaire et économique. Pour l'Égypte, un tel partenariat doit permettre de contrer l'influence iranienne en Irak et au Levant, et sans doute d'équilibrer la puissance des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) en intégrant, à terme, le Liban, la Syrie et les territoires palestiniens.

B. UN RÔLE TOUJOURS IMPORTANT DANS LE CONFLIT ISRAÉLO-PALESTINIEN, MENACÉ PAR LES ACCORDS D'ABRAHAM

1. Un rôle toujours clef du fait de l'influence sur Gaza

L'Égypte joue traditionnellement un rôle central dans les tentatives de résolution du conflit israëlo-palestinien : médiation entre Israéliens et Palestiniens lors d'épisodes d'affrontements, rôle clé dans la réconciliation inter-palestinienne et accueil de délégations palestiniennes. Elle oeuvre également en faveur d'une relance du processus de paix conformément à une solution à deux États, dans le cadre du groupe d'Amman associant également la Jordanie, l'Allemagne et la France.

Au moment du déplacement de la délégation au Caire en mai 2023, après une escalade meurtrière, un cessez-le-feu entre le Jihad islamique de Gaza et Israël venait d'être signé sous l'égide des services de renseignement égyptiens. L'Égypte continue en effet d'être le seul pays à pouvoir garantir un cessez-le-feu du fait de son contrôle sur Gaza. Toutefois, sur le plan général du conflit israëlo-palestinien, la situation reste totalement bloquée, notamment du fait de l'attitude actuelle de la partie israélienne qui ne fait plus du conflit une priorité, étant davantage focalisée sur l'Iran. Selon le vice-ministre des affaires étrangères égyptien, Israël se satisfait ainsi d'un statu quo qui ne l'oblige à renoncer à rien et compte sur d'autres pays comme le Qatar et l'Égypte pour tenir Gaza à bout de bras.

2. Un risque de marginalisation dû aux accords d'Abraham

Pour L'Égypte, les accords d'Abraham, qui ont vu la signature de traités de paix entre Israël et les Émirats arabes unis et entre Israël et Bahreïn, prolongés par des accords avec le Soudan et le Maroc, signifie, en même temps qu'une marginalisation du conflit israëlo-palestinien, un risque de perte d'influence. Dans ce contexte, les autorités rencontrées par la mission ont tenu à réaffirmer l'importance de la résolution du conflit israëlo-palestinien, d'autant que la cause palestinienne reste essentielle aux yeux de la population.

C. UN PAYS QUI SE VIT COMME ASSIÉGÉ PAR LES MENACES RÉGIONALES

La délégation a été frappée, lors de ses entretiens avec les membres du Gouvernement, par leur conscience aigüe que le pays est « assiégé » par les menaces régionales. Le vice-ministre des affaires étrangères a ainsi souligné que, alors qu'en 1973, la menace ne provenait que de la seule la frontière avec Israël, désormais celle-ci est la seule dont ne provienne aucune menace pour le pays.

Les principaux risques et menaces pesant sur l'Égypte

1. La crise soudanaise : un échec pour l'Égypte

Avant l'éclatement du conflit ouvert entre les deux généraux soudanais Abdel Fattah al-Burhane et Mohamed Hamdane Daglo, les Égyptiens soutenaient davantage le premier des deux, pariant sans doute sur une évolution à l'égyptienne avec un pouvoir militaire fort. Le déclenchement des hostilités a donc consterné l'Égypte. Le début des combats en avril a déclenché un fort afflux de réfugiés : 70 000 personnes ont déjà franchi la frontière et 350 000 au moins sont attendues. Les autorités égyptiennes sont pessimistes sur l'évolution de ce conflit : comme l'a déclaré l'un des interlocuteurs officiels de la mission, « nous avons besoin d'un miracle au Soudan ». Le vice-ministre des affaires étrangères a souligné que les États-Unis avaient décidé de s'appuyer sur l'Arabie Saoudite pour la résolution de ce conflit. Ce choix contribue à mettre en avant la montée en puissance du pays dans la région, au détriment de l'influence égyptienne. L'Égypte cherche cependant désormais à reprendre la main dans les négociations pour un cessez-le-feu.

2. La crise libyenne : un statu quo durable ?

Le frontière avec la Libye à l'Ouest est considérée comme la plus menaçante en raison de sa longueur (1200 km) et du risque de passage de combattants étrangers, l'armes, de munitions, d'IED, de drogue, etc. Le vice-ministre de la défense a également rappelé l'enlèvement et l'exécution en 2015 par un groupe rattaché à l'Etat islamique de 21 coptes égyptiens. Avec la partition de facto du pays en deux parties, avec deux Gouvernements, l'absence actuelle d'affrontements de grande ampleur rend le statu quo supportable pour l'Égypte, qui reste néanmoins préoccupée par la présence et l'influence du rival turc dans l'Ouest du pays. La lutte contre cette ingérence turque reste ainsi d'actualité.

3. La menace iranienne : les conséquences de l'accord inattendu entre Arabie Saoudite et Iran

Le 10 mars 2023 a été signé sous l'égide de la Chine un accord entre l'Arabie Saoudite et l'Iran. Les deux pays sont convenus de renouer leurs relations diplomatiques, rompues depuis sept ans : réouverture des ambassades sous deux mois, cessation des ingérences, réactivation d'un accord sécuritaire et lancement d'une coopération économique, commerciale, technologique et d'investissements. L'Égypte n'a pu que prendre acte et est maintenant dans l'expectative sur les éventuelles conséquences positives de l'accord pour ses intérêts en Syrie, au Liban, en Irak et au Yemen. Deux analyses semblent s'opposer au sein du pays. Selon la première, l'Iran n'est, de toute façon, qu'une menace lointaine pour l'Égypte qui a déjà fort à faire dans son voisinage immédiat. Selon l'autre analyse, l'Iran est la plus grande menace pour l'Égypte, militairement et par les troubles qu'elle entretient dans la région, et le pays doit donc rester mobilisé contre cette menace.

4. La crise du barrage de la Renaissance éthiopien

Tous les interlocuteurs de la mission ont évoqué la menace que constitue le remplissage par l'Éthiopie du réservoir du barrage de la Renaissance. En effet, l'impact sur la zone agricole égyptienne, sur les berges et dans le delta du Nil, est redouté dans un pays qui a déjà fort à faire pour assurer sa sécurité alimentaire. L'Égypte craint également la multiplication de plus petits barrages destinés à l'irrigation en Éthiopie, qui aurait pour effet de réduire définitivement le débit du fleuve en Égypte. Alors que le Soudan s'était souvent montré proche des positions égyptiennes sur cette question (mais le général Abdel Fattah al-Burhane a assuré le 26 janvier 2023, après une rencontre avec son homologue égyptien Abiy Ahmed, être «d'accord sur tous les points» avec l'Éthiopie sur le sujet du barrage), la déstabilisation de ce pays ajoute une nouvelle inconnue.

L'Égypte, qui est reconnaissante à la France d'être un des seuls pays qui la soutient au Conseil de sécurité sur ce dossier, n'écarte pas, dans les déclarations de ses dirigeants, la solution militaire, tout en soulignant le danger extrême que représenterait une telle solution pour la stabilité régionale. Ainsi, elle indique travailler à des solutions alternatives pour assurer l'approvisionnement en eau du pays pendant les périodes de sécheresse, comme la construction de 21 stations de dessalement d'eau, annoncée en décembre 2022 pour un investissement de 3 milliards de dollars par le PDG du fonds souverain égyptien, Ayman Soliman. Ces usines doivent permettre d'atteindre en 2025 une production de 3,3 millions de mètres cubes par jour, contre 830 000 litres actuellement, mais la situation financière actuelle très difficile du pays suscite des doutes sur ce programme.

5. Le lutte contre le terrorisme

Le président égyptien a fait de la lutte contre le terrorisme un axe majeur de sa politique extérieure, en réponse à la situation en Libye mais aussi dans le Sinaï où les attaques dues à l'Etat islamique mais aussi au contexte politique et social local, avec une révolte des tribus bédouines, se sont multipliées depuis 2011, jusqu'à aboutir à une véritable guerre larvée. Les opérations menées dans cette région par l'armée égyptienne constituent ainsi, selon la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), son engagement armé le plus important depuis la guerre de 1973. Cette guerre est peu documentée car les observateurs indépendants sont interdits dans le nord-Sinaï depuis l'été 2013. Les Égyptiens craignaient que La Wilayat Sinaï tente un coup de force à Gaza, la frontière avec l'enclave palestinienne constituant un sujet permanent de préoccupation en raison des tunnels. Ils estiment cependant avoir jugulé en grande partie ce problème dans la période récente, notamment en assouplissant leur politique à l'égard des tribus bédouines, ce qui a permis de faire beaucoup baisser le nombre d'attaques. Toutefois, 11 militaires égyptiens ont été encore tués en juillet 2022.

L'Égypte fait par ailleurs toujours l'objet de nombreuses critiques dans le domaine des droits de l'homme, notamment en raison de l'emprisonnement de militants tels que Ramy Shaath, libéré le 6 janvier 2022 à l'issu d'un dialogue avec la France. Des listes de cas individuels qui font l'objet d'un suivi particulier sont ainsi remises aux autorités par la France.

6. La multiplication des bases militaires en réponse aux menaces

En réponse aux menaces régionales, l'Égypte a récemment déployé de nouvelles bases militaires majeures. En juillet 2021, le pays a ainsi inauguré une base navale baptisée « Nouveau 3 juillet » dans l'extrême nord-ouest du pays, à proximité de la frontière avec la Libye, afin de contribuer à la sécurisation de cette frontière et à la lutte contre l'immigration clandestine. Sur la Mer Rouge, la base de Bérénice, créée en janvier 2020, permet de rapprocher les forces égyptiennes du Sud de la Mer Rouge et du détroit de Bab-el-Mandeb. Elle permettrait donc au pays de faire face plus rapidement que par le passé à une poussée iranienne dans cette région. Enfin, la base Mohamed Naguib a été inaugurée le 22 juillet 2017, près de El'Alamein, à l'Est d'Alexandrie, assurant ainsi une force de projection en Méditerranée orientale.

7. Une politique réactive, une perte d'influence face aux concurrents régionaux et en particulier à l'Arabie Saoudite

Bien que l'Égypte de Sissi ait fait preuve d'un certain activisme international, les difficultés rencontrées par le pays sur le plan intérieur et extérieur (crise économique et nécessité d'éviter un embrasement social, accroissement de la pauvreté, prestige en baisse au Moyen-Orient et en Afrique) l'obligent à assister en spectateur à la montée en puissance de ses concurrents régionaux. La signature des accords d'Abraham et la marginalisation du conflit israélo-palestinien qui en résulte, l'accord irano-saoudien, le déclenchement de la guerre civile soudanaise sont autant d'exemple d'événements lourds de conséquences pour le pays et son statut international. En particulier, la montée en puissance et l'activisme de l'Arabie Saoudite de MBS, qui soutient toujours le pays financièrement mais exige désormais des contreparties, est souligné par les autorités égyptiennes elles-mêmes, qui indiquent s'attendre sans cesse à de nouvelles initiatives de la pétromonarchie.

III. UNE RELATION FRANCO-ÉGYPTIENNE SOLIDE ET CONFIANTE

A. D'EXCELLENTES RELATIONS BILATÉRALES

1. Des relations très suivies

Les relations franco-égyptiennes sont marquées par une grande confiance. Les visites croisées au niveau des chefs d'Etat sont quasiment annuelles depuis l'arrivée au pouvoir du président Sissi, les dernières ayant été celles du Président de la République à Charm-el-Sheikh pour la COP27 et du Président Sissi à Paris en juillet 2022 ; une visite de ce dernier à l'occasion du One Ocean Summit en février 2022 ; deux visites en mai et novembre 2021, ainsi qu'une visite d'Etat en décembre 2020.

2. Une relation-clef dans la gestion des crises régionales

L'Égypte est en effet un partenaire très important de la France au Moyen-Orient, une véritable porte d'entrée pour celle-ci dans les crises de la région. La coopération est particulièrement étroite sur le dossier libyen, en particulier depuis la mise en place du comité franco-égyptien sur la Libye en 2018. Les consultations au niveau des hauts fonctionnaires et ministres sont nombreuses sur de nombreux autres dossiers (Afrique, Syrie au sein du Small Group, lutte contre le terrorisme, processus de paix au Proche-Orient avec le groupe d'Amman, composé également de la Jordanie et de l'Allemagne). La France soutient par ailleurs l'Égypte au sein des Nations unies sur la question du barrage de la Renaissance.

3. Des relations culturelles étroites, des liens économiques en devenir

La relation avec l'Égypte se traduit sur le plan culturel par de grands projets, notamment dans le domaine archéologique, avec plus de 40 missions archéologiques françaises en Égypte. La coopération est également approfondie dans le domaine universitaire.

En revanche, sur le plan économique, la France n'est que le 11ème partenaire commercial de l'Égypte en 2020, et seulement le 5ème partenaire européen, derrière l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni. Une stratégie visant à reconquérir de nouveaux marchés a été mise en place en 2019. Des contrats ont été signés dans le domaine des transports, de l'énergie, de l'eau et de l'agriculture. Il est nécessaire de poursuivre cet effort.

B. UNE RELATION DE DÉFENSE MARQUÉE PAR UNE GRANDE CONFIANCE

La coopération entre la France et l'Égypte dans le domaine de la défense et de l'armement est exceptionnelle depuis plusieurs années.

1. Des Rafales pour l'armée de l'air égyptienne

En matière aérienne, l'Égypte a acquis des Rafale à deux reprises : 24 appareils en 2015 et 30 supplémentaires en mai 2021, qui commenceront à être livrés en 2026. L'Égypte est un client de la France de très longue date pour les avions de combat. L'armée de l'air a acquis des Mirage 5, des Alphajets, des Mirage 2000 puis des Rafale. L'Égypte a été le premier Etat à recevoir le Rafale. Ainsi, l'Égypte souligne à l'envi qu'elle est le « porte-bonheur » du Rafale qui a pu décrocher d'autres contrats par la suite. Il est vrai que l'exemple de l'achat de l'appareil et de son utilisation par les forces égyptiennes a sans doute joué un grand rôle dans les décisions prises par le Qatar, les Émirats arabes unis, la Grèce et l'Indonésie d'acquérir ensuite l'avion. L'Égypte semble pleinement satisfaite des conditions de mise en oeuvre de ce contrat et du MCO associé, qui lui ont permis d'obtenir un taux de disponibilité d'environ 90% selon Dassault, très supérieur à celui obtenu avec les autres avions de combat de la flotte égyptienne (notamment les F-16). En outre, l'Égypte est pleinement autonome dans l'utilisation de ces avions, ce qui n'est pas nécessairement le cas s'agissant des concurrents.

Ces contrats représentent également une forte activité pour le fabricant de moteurs Safran, les Rafale étant des bimoteurs, avec les contrats de maintenance afférents. Le motoriste entretient par ailleurs environ 60 moteurs d'hélicoptères, 40 moteurs d'Alphajet, 15 moteurs de Mirage, ainsi que 150 moteurs civils dans le pays, mais aussi les trains d'atterrissage et les freins de très nombreux avions.

Les deux industriels soulignent que leur avenir en Égypte passe par la localisation d'une partie de l'activité dans le pays, du seul fait de la pression concurrentielle même en l'absence d'obligation légale. Or, l'Égypte possède un bon tissu industriel, le plus développé dans la zone Afrique du Nord /Moyen-Orient. En revanche, il existe dans le pays un déficit de qualifications intermédiaires (type BTS) : c'est donc l'un des domaines dans lesquels la coopération avec la France en matière de formations doit être approfondie.

2. Une coopération très approfondie en matière maritime

Enfin, l'Égypte a acquis de nombreux navires auprès d'industriels français. Il s'agit d'une coopération particulièrement approfondie, notamment en ce qui concerne la fabrication des corvettes Gowind, puisque le montage des navires a lieu entièrement dans un arsenal d'Alexandrie.

Des contrats pour sept navires de guerre de premier rang

4 Corvettes Gowind de 2 500 tonnes ont été vendues par DCNS devenu Naval Group, dont trois sont fabriquées à Alexandrie, pour un montant d'environ 1 milliards d'euros

1 frégate multi-missions (FREMM) prise sur le stock de la marine nationale en 2016

2 porte hélicoptères amphibie (PHA) initialement destinés à la Russie, en cours d'équipement car vendus sans systèmes de combat

Un contrat de maintenance a été signé pour ces 7 navires de 1er rang, sur trois ans.

Ces contrats reçoivent un rayonnement important du fait des coopérations maritimes de l'Égypte en Méditerranée orientale.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 12 juillet 2023, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Ronan Le Gleut, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jacques Le Nay et M. Jean-Pierre Grand, rapporteurs du groupe de travail sur « L'Egypte, porte d'entrée de la France dans les crises du Moyen-Orient ».

M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, pour notre dernière réunion de la législature notre ordre du jour appelle l'examen de deux rapports d'information, une communication sur la coopération militaire entre la France et l'Allemagne et des désignations de rapporteurs ainsi que des membres de la délégation de la commission qui va participer à la conférence interparlementaire pour la politique étrangère et de sécurité commune et la politique de sécurité et de défense commune : j'observe que celle-ci se déroulera à Madrid du 1er au 3 octobre à Madrid, c'est-à-dire au moment de l'élection du président du Sénat, ce qui n'est pas, pour nous, la date la plus appropriée.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Nous allons vous présenter les conclusions de notre déplacement en Égypte de mai dernier, qui visait à faire un état des lieux de notre relation diplomatique et de notre coopération militaire avec ce pays.

Chacun sait que nous avons une relation ancienne, solide et approfondie avec l'Égypte. En même temps, les bouleversements et les équilibres qui changent au Moyen-Orient incitent à nous interroger sur l'avenir de cette relation et sur ce que nous pouvons en attendre.

Je voudrais d'abord évoquer rapidement la situation économique et sociale du pays. L'Égypte est d'abord caractérisée par une démographie explosive. La population a passé le cap des 100 millions d'habitants en février 2020 et pourrait atteindre 150 millions en 2050. C'est le troisième pays le plus peuplé d'Afrique après le Nigeria et l'Éthiopie. Pour le moment, elle ne profite pas du « dividende démographique » : il est très difficile d'intégrer 800 000 nouveaux entrants chaque année sur le marché du travail et le chômage des jeunes atteint 26,5 %. Plus grave, le niveau de vie par habitants diminue. Il est vrai que malgré ces difficultés, cette population nombreuse représente tout de même un marché très vaste pour les acteurs économiques du pays et de la région. C'est déjà pour nous une raison de continuer à y renforcer la présence de nos entreprises.

L'Égypte a par ailleurs un atout : depuis une quinzaine d'années, elle est devenue excédentaire dans sa production énergétique grâce à la découverte du champ Zohr en Méditerranée. Elle dispose également d'une infrastructure de liquéfaction pour transformer et acheminer le gaz israélien vers l'Europe. Elle a également signé des accords de coopération avec l'Europe et des pays du Golfe pour produire de l'hydrogène vert et bleu, domaine dans lequel elle pourrait briller dans les prochaines années.

Cependant, l'Égypte est surtout un pays en crise aggravée par la Covid 19 puis la guerre en Ukraine. C'est même l'un des pays au monde pour lesquels les effets du conflit sont les plus graves. En effet, l'Égypte est le premier importateur mondial de blé, avec une dépendance aux importations de l'ordre de 80 %, dont 50 % viennent de Russie et d'Ukraine, et une dépendance de 95 % pour l'huile de tournesol. Le pays est donc très exposé au risque de ruptures d'approvisionnement et à la hausse des prix. Il serait l'un des premiers concernés, à terme, par un déficit de la production mondiale. Le conflit a aussi d'énormes conséquences sur le plan touristique, car les Russes et les Ukrainiens constituaient les plus gros clients du secteur.

La population égyptienne est directement affectée par cette crise, alors que, déjà en 2019, les deux tiers des Égyptiens vivaient soit sous le seuil de pauvreté, soit juste au-dessus. L'inflation a atteint 21,3% l'année dernière et la livre égyptienne s'est dépréciée de 89 % depuis le début de 2022. Les subventions de produits de première nécessité sont le seul instrument dont dispose le pouvoir pour tenter de limiter les effets de la crise. Des appels à manifester ont eu même lieu à l'automne 2022, ce qui est rare dans ce pays dont la population est très contrôlée par l'appareil sécuritaire. Bref, des troubles sociaux importants ne sont selon nous pas à exclure totalement.

En tout état de cause, je pense qu'il faut que nous continuions à soutenir ce pays dans cette passe difficile, comme nous le faisons déjà notamment à travers notre aide au développement, l'Agence française de développement (AFD) étant très investie dans le pays. L'agence a ainsi prévu de contribuer à l'offre française de financement et d'investissement en Égypte à hauteur d'un milliard d'euros de 2021 à 2025.

Conséquence de cette crise, l'Égypte se met de plus en plus dans les mains des monarchies du Golfe ainsi que du FMI. Les pays du Golfe ont le sentiment d'avoir longtemps soutenu l'Égypte à fonds perdus dans ses grands projets, comme la nouvelle capitale construite au milieu du désert. Ils exigent désormais un retour sur investissement, en particulier sous la forme de prises de participation dans les entreprises égyptiennes. À titre d'exemple, la quasi-totalité des médias égyptiens appartiennent désormais à des entreprises des pays du Golfe, ce qui soulève tout de même un problème de souveraineté. Par ailleurs, l'Égypte a été contrainte de solliciter à nouveau l'aide du FMI et a obtenu, difficilement, un nouveau programme pour 3 milliards de dollars, le troisième depuis 2016. Le FMI impose une politique monétaire permettant le maintien d'un taux de change flexible, une consolidation budgétaire et surtout des réformes structurelles. En clair, il s'agit de réduire l'empreinte de l'armée et d'accroître le rôle du secteur privé dans l'économie. À vrai dire, cela paraît compliqué car l'armée est partout en Égypte, dans tous les secteurs économiques.

Nous avons donc identifié un certain nombre de facteurs d'instabilité. Cependant, nous soulignons que l'Égypte reste un acteur incontournable dans la région. D'abord, nos relations sont marquées par une très grande confiance. Les visites croisées au niveau des chefs d'État sont quasiment annuelles, les dernières ayant été celles du Président de la République à Charm-el-Sheikh à l'occasion de la COP27 et du Président Sissi à Paris en juillet 2022. Surtout, l'Égypte est un partenaire très important de la France au Moyen-Orient et une véritable porte d'entrée dans les crises de la région. La coopération est particulièrement étroite sur le dossier libyen, en particulier depuis la mise en place du comité franco-égyptien sur la Libye en 2018. Les consultations au niveau des hauts fonctionnaires et ministres sont nombreuses sur les autres sujets portant sur l'Afrique, la Syrie au sein du Small Group, la lutte contre le terrorisme et le processus de paix au Proche-Orient avec le groupe d'Amman. Enfin, la France soutient l'Égypte au sein des Nations unies sur la question du barrage de la Renaissance.

Permettez-moi à présent de vous lire l'intervention de Mme Sylvie Goy-Chavent qui n'a pas pu se rendre disponible ce matin. Elle a souhaité vous exposer le rôle clef que joue l'Égypte dans plusieurs crises régionales, ce qui justifie d'entretenir notre excellente relation mutuelle.

La première de ces crises est bien sûr le conflit israëlo-palestinien. L'Égypte joue toujours un rôle de médiation entre Israéliens et Palestiniens lors des épisodes de tensions ou d'affrontements, ainsi qu'entre les diverses factions palestiniennes. Elle oeuvre également en faveur d'une relance du processus de paix conformément à la solution à deux États, dans le cadre du groupe d'Amman associant aussi la Jordanie, l'Allemagne et la France. Au moment de notre déplacement en mai dernier, après une escalade meurtrière, un cessez-le-feu entre le Jihad islamique de Gaza et Israël venait d'être signé sous l'égide des services de renseignement égyptiens. L'Égypte continue en effet d'être à peu près le seul pays à pouvoir garantir un tel cessez-le-feu, du fait de son contrôle sur Gaza. L'Égypte partage notre constat d'une situation totalement bloquée, notamment parce que la partie israélienne ne fait plus du conflit une priorité, étant davantage concentrée sur la menace iranienne. Le vice-ministre des affaires étrangères, M. Hamdi Loza, nous a dit qu'à son avis Israël se satisfait d'un statu quo qui ne l'oblige à renoncer à rien, et compte sur d'autres pays comme le Qatar et l'Égypte pour tenir Gaza à bout de bras.

Par ailleurs, l'Égypte a perdu de l'influence à cause des accords d'Abraham. Ces traités de paix entre Israël et les Émirats arabes unis ainsi qu'entre Israël et Bahreïn, prolongés par des accords avec le Soudan et le Maroc, signifient en effet une marginalisation du conflit israélo-palestinien et donc une perte d'influence pour l'Égypte. Dans ce contexte, les autorités que nous avons rencontrées ont tenu à réaffirmer l'importance de la résolution du conflit. Les relations entre Égypte et Israël restent bonnes mais les Égyptiens souhaiteraient qu'Israël s'investisse davantage pour améliorer la situation.

Au-delà du conflit israélo-palestinien, nous avons été frappés, lors de nos entretiens avec les membres du Gouvernement, par le fait que le pays se perçoit comme assiégé par les menaces. Le vice-ministre des affaires étrangères a ainsi expliqué qu'alors qu'en 1973, la menace ne provenait que de la seule frontière avec Israël, désormais celle-ci est la seule parfaitement sûre, toutes les autres frontières étant menaçantes.

La crise soudanaise est la menace la plus actuelle pour le pays et représente une forme d'échec pour l'Égypte. En effet, avant l'éclatement du conflit entre les deux généraux al-Burhane et Hemetti, les Égyptiens soutenaient davantage al-Buhrane, pariant sans doute sur une évolution « à l'égyptienne », avec un pouvoir militaire fort. Le déclenchement des hostilités a donc consterné les Égyptiens. Le début des combats a déclenché un fort afflux de réfugiés : 70 000 personnes avaient déjà franchi la frontière en mai, et 350 000 au moins sont attendues. Les autorités égyptiennes sont pessimistes sur l'évolution du conflit : comme l'a déclaré l'un de nos interlocuteurs, « nous avons besoin d'un miracle au Soudan » ! Le vice-ministre des affaires étrangères a souligné que les États-Unis avaient décidé de s'appuyer sur l'Arabie Saoudite pour la résolution du conflit. Ce choix contribue à mettre en avant la montée en puissance de ce pays dans la région, au détriment de l'influence égyptienne.

Par ailleurs, la frontière avec la Libye à l'Ouest est considérée comme la plus menaçante en raison de sa longueur - 1 200 km - et du risque de passage de combattants étrangers, d'armes, de munitions, d'engins explosifs improvisés (IED), de drogue, etc. Le vice-ministre de la défense nous a également rappelé l'enlèvement et l'exécution en 2015 par un groupe rattaché à l'État islamique de 21 coptes égyptiens. La partition de facto de la Libye avec deux Gouvernements, est en réalité un statu quo supportable pour l'Égypte, qui reste néanmoins préoccupée par la présence et l'influence du rival turc dans l'Ouest du pays. La lutte contre cette ingérence turque reste ainsi d'actualité et bien entendu nous partageons la position égyptienne sur ce point.

L'autre menace importante pour les Égyptiens est l'Iran. Le 10 mars 2023 a été signé un accord inattendu entre l'Arabie Saoudite et l'Iran sous l'égide de la Chine. L'Égypte n'a pu que prendre acte. Elle se contente maintenant d'en espérer d'éventuelles conséquences positives pour ses intérêts en Syrie, au Liban, en Irak et au Yémen. Parmi les responsables que nous avons rencontrés, deux analyses s'opposent. Selon le ministère des affaires étrangères, l'Iran n'est qu'une menace lointaine pour l'Égypte qui a déjà fort à faire dans son voisinage immédiat. Selon l'autre analyse, qui nous a été présentée par le vice-ministre de la défense, l'Iran est au contraire clairement un danger prégnant. L'Égypte doit donc rester mobilisée contre ce pays qui menace, selon elle, le caractère « arabe » de la région.

Je laisse la parole à Jacques le Nay pour évoquer les autres crises dans lesquelles l'Égypte est impliquée.

M. Jacques Le Nay, rapporteur. - Je poursuis la présentation de notre rapport en évoquant les menaces qui semblent aux Égyptiens littéralement les « assiéger ». Pas un de nos interlocuteurs n'a omis d'évoquer le remplissage par l'Éthiopie du réservoir du barrage de la Renaissance. Son impact sur l'unique zone agricole égyptienne est redouté. En réalité, plus que le barrage de la Renaissance, l'Égypte craint la multiplication de plus petites retenues destinées à l'irrigation en Éthiopie, car elles auraient pour effet de réduire définitivement le débit du fleuve. Le Soudan s'était souvent montré proche des positions égyptiennes sur cette question, mais le général al-Burhane a assuré le 26 janvier dernier être « d'accord sur tous les points » avec l'Éthiopie. La déstabilisation du Soudan ajoute ici une nouvelle inconnue. L'Égypte nous est très reconnaissante d'être un des seuls pays qui la soutient au Conseil de sécurité sur ce dossier. Le ministre adjoint de la défense nous a dit quasiment dans la même phrase qu'il n'excluait plus la solution militaire et qu'une telle solution serait catastrophique. Il nous a donc indiqué que l'Égypte travaillait à une autre solution pour assurer l'approvisionnement en eau du pays, à savoir la construction de 21 stations de dessalement. La situation financière actuelle très difficile du pays suscite toutefois des doutes sur ce programme.

Un autre front pour les autorités égyptiennes reste la lutte contre le terrorisme. Les craintes à cet égard viennent de Libye mais aussi du Sinaï. Dans cette région, les attaques dues à l'État islamique mais aussi au contexte politique et social local, avec une révolte des tribus bédouines, se sont multipliées depuis 2011, jusqu'à aboutir à une véritable guerre larvée. Les opérations menées dans cette région constituent l'engagement le plus important de l'armée depuis 1973. Cette guerre est peu documentée car les observateurs indépendants sont interdits dans le Nord-Sinaï depuis l'été 2013. Les Égyptiens craignent aussi que l'État islamique (EI) ne tente un coup de force à Gaza, la frontière avec l'enclave palestinienne constituant une préoccupation permanente. L'Égypte estime cependant avoir jugulé en grande partie ce problème grâce à un assouplissement de sa politique à l'égard des tribus bédouines, ce qui a permis de faire beaucoup baisser le nombre d'attaques. Toutefois, 11 militaires égyptiens ont encore été tués en juillet 2022.

Ce conflit est l'un des dossiers dans lesquels l'Égypte est critiquée sur le plan des droits de l'homme. L'administration américaine a conditionné une partie des 130 millions de dollars de son aide militaire à des avancées en la matière. La France conduit avec l'Égypte un dialogue sur ce sujet, qui a notamment permis la libération de l'activiste Ramy Shaath le 6 janvier 2022. Des listes de cas individuels faisant l'objet d'un suivi particulier sont remises aux autorités. En marge de la COP27, le Président de la République a notamment évoqué avec son homologue égyptien la situation du militant et prisonnier Alaa Abdel Fattah.

En réponse à ces menaces régionales, l'Égypte a récemment déployé de nouvelles bases militaires majeures. En juillet 2021, a ainsi été inaugurée une base navale baptisée « Nouveau 3 juillet » dans l'extrême nord-ouest, à proximité de la frontière avec la Libye, afin de contribuer à la sécurisation de cette frontière et à la lutte contre l'immigration clandestine. Sur la Mer Rouge, la base de Bérénice, créée en janvier 2020, permet de rapprocher les forces égyptiennes du Sud de la Mer Rouge et du détroit de Bab-el-Mandeb, dans une optique anti-iranienne. Enfin, la base Mohamed Naguib a été inaugurée le 22 juillet 2017, près d'El'Alamein, à l'est d'Alexandrie, assurant ainsi une force de projection en Méditerranée orientale.

Pour conclure sur ce volet, l'Égypte de Sissi fait preuve d'un certain activisme international. Cependant les difficultés rencontrées par le pays sur le plan intérieur et extérieur l'obligent à assister en spectateur à la montée en puissance de ses concurrents régionaux. La signature des accords d'Abraham, l'accord irano-saoudien, le déclenchement de la guerre civile soudanaise sont autant d'exemple d'événements lourds de conséquences pour le pays et son statut international. En particulier, la montée en puissance et l'activisme de l'Arabie Saoudite de MBS (Mohammed ben Salmane), qui soutient toujours le pays financièrement mais exige désormais des contreparties, sont soulignés par les autorités égyptiennes elles-mêmes.

Au final, les seules évolutions positives pour l'Égypte du point de vue de sa sécurité régionale viennent de l'amélioration de ses relations avec la Turquie et avec la Syrie. Je mentionne la rencontre turco-égyptienne entre ministres des affaires étrangères qui a eu lieu au printemps dernier. Le vice-ministre des affaires étrangères, Hamdi Loza, a tenu à nous indiquer qu'un contact avait été pris au préalable avec Chypre et la Grèce. En réalité, le rapprochement avec la Turquie reste très prudent et dépendra de l'évolution de la situation en Méditerranée orientale. Il est certain que l'Égypte estime avoir à gagner d'une amélioration des relations avec la Turquie car la sécurisation maritime de ses gisements gaziers est très coûteuse.

Un début de rapprochement s'opère également aujourd'hui avec la Syrie à la suite du tremblement de terre, après 10 ans de brouille. En avril dernier, le ministre égyptien des affaires étrangères a reçu son homologue au Caire. Nous ne partageons pas nécessairement son analyse, mais l'Égypte estime que ce rapprochement est nécessaire pour contrecarrer la progression de l'influence iranienne dans la région. Sur ce sujet également, l'Égypte reste finalement prudente. Elle n'a pas encouragé la réintégration de Bachar au sein de la ligue arabe, qui s'est produite le 7 mai à l'initiative de l'Arabie Saoudite.

Je laisse à présent la parole à Jean-Pierre Grand pour évoquer la coopération militaire.

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur. - J'évoquerai pour ma part notre excellente coopération militaire avec l'Égypte et la confiance qui règne sur ce sujet entre nos deux pays.

Nous avons en effet pu rencontrer quelques-uns de nos principaux industriels au Caire. Ainsi, nous avons évoqué avec le représentant de Dassault la coopération déjà très ancienne en matière d'avions de combat. Je rappelle qu'au fil des années l'Égypte a acquis le Mirage 5, l'Alphajet, le Mirage 2000 et, bien sûr, le Rafale. Selon notre interlocuteur, ces excellentes relations contrastent avec celles entretenues avec les Américains, qui se seraient montrées décevantes sur plusieurs points. Les relations avec les Britanniques sont également difficiles. Par ailleurs, les Chinois essaient de vendre davantage mais sans grand succès, et il en va de même avec les Russes. Ainsi, la relation avec la France est véritablement essentielle pour l'Égypte dans ce domaine. Deux tranches de 24 et 30 avions Rafale ont donc été vendues à l'Égypte en 2015 et en 2021. Les livraisons de la nouvelle série commenceront en février 2026. Les Égyptiens se considèrent comme nos « porte-bonheur » pour la vente de cet avion de combat car ils estiment avoir servi d'exemples pour les acheteurs suivants.

Les contrats « Rafale » sont appréciés car ils offrent une grande autonomie stratégique aux Égyptiens. Le vice-ministre de la défense égyptien nous a ainsi expliqué qu'il était en capacité de déplacer les Rafale en Égypte ou en Arabie Saoudite sans l'assistance de Dassault et avec un effectif réduit, ce qui n'est pas le cas avec les avions américains. J'ajoute que les pilotes égyptiens du Rafale sont formés en Égypte dès le départ. Grâce au contrat sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) signé après la vente, le taux de disponibilité des Rafale égyptiens serait très élevé et supérieur à celui des F16.

La confiance est également très grande dans les relations avec le motoriste Safran, présent en Égypte depuis les années 1970 et qui a un champ d'activité très large : moteurs d'avions de combat mais aussi optronique, navigation, trains d'atterrissage et roues, aussi bien dans le domaine civil que militaire. Pour l'armée de l'air, Safran intervient en Égypte sur 60 moteurs d'hélicoptères, 40 d'Alphajets, 15 de Mirage et 120 de Rafale. S'agissant de la maintenance des moteurs de Rafale, le représentant de Safran nous a indiqué que l'entreprise aurait sans doute des difficultés en la matière du fait du grand nombre d'avions récemment vendus. Tant les représentants de Safran que ceux de Dassault ont insisté sur le fait que la coopération industrielle deviendra à l'avenir un passage obligé. Il n'y a aucune obligation légale de localiser de l'activité en Égypte, mais la simple concurrence nous y oblige. Le fait que l'Égypte ait le tissu industriel le plus développé de la zone Afrique du Nord-Moyen-Orient (ANMO) constitue un atout à cet égard, même si persiste un manque de qualifications intermédiaires type BTS.

Nous avons également pu nous entretenir avec un représentant de Naval Group, pour qui cette coopération industrielle est déjà une réalité dont les Égyptiens sont très fiers. En effet, la fabrication des corvettes Gowind est entièrement réalisée dans un arsenal d'Alexandrie. Un total de sept navires de premier rang ont ainsi été acquis par l'Égypte : quatre Corvettes Gowind de 2 500 tonnes ont été vendues par Naval Group, dont trois sont fabriquées à Alexandrie, pour un montant d'environ 1 milliard d'euros ;

- une frégate multi-missions (FREMM) a été prise sur le stock de la marine nationale en 2016 ;

- deux porte-hélicoptères amphibie (PHA) sont en cours d'équipement car ils ont été vendus sans systèmes de combat. Je rappelle qu'il s'agit des Mistral que nous avions vendus à la Russie et que François Hollande avait décidé de ne pas livrer après l'invasion de la Crimée.

Je souligne que ces contrats bénéficient d'un rayonnement important dans la région du fait des coopérations maritimes de l'Égypte en Méditerranée orientale : Grèce, Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis... C'est ainsi que deux corvettes Gowind ont également été acquises par les Émirats Arabes Unis. Naval Group a par ailleurs insisté sur ce partenariat stratégique avec l'Égypte.

Enfin nous avons rencontré un représentant du fabriquant de missiles MBDA. L'entreprise travaille aussi beaucoup avec l'Égypte, que ce soit avec les armées de Terre, la marine ou l'armée de l'air, avec des produits comme le Mistral, le VL MICA (Missile d'Interception, de Combat et d'Auto-défense) et le système SAMP/T. Une interrogation subsiste encore aujourd'hui sur l'acquisition à venir des MICA/NG (nouvelle génération) pour les 30 nouveaux Rafale : pour l'instant ils ne sont pas encore commandés, sans doute du fait de la situation financière compliquée de l'Égypte. En revanche ils ont déjà été commandés en version sol/air par la marine égyptienne, ce qui dénote encore une fois une grande confiance dans nos fabrications car c'est la première commande de matériels qui ne sont pas encore opérationnels.

Pour conclure sur l'ensemble de notre visite, je souligne à nouveau l'excellente relation qui nous lie à l'Égypte, qui reste un acteur important dans cette région déchirée par de nombreuses crises. Toutefois, il nous faut également mesurer la perte d'influence de ce pays, notamment au profit des monarchies du Golfe, au premier rang desquels l'Arabie Saoudite. La visite officielle de MBS à Paris le mois dernier illustre bien cette évolution. Elle montre toutefois aussi que nos intérêts sur les dossiers du Moyen-Orient - en particulier la Syrie ou l'Iran - sont loin d'être alignés avec la monarchie saoudienne. Dans ce contexte, la confiance qui prévaut dans notre relation avec l'Égypte reste un capital à entretenir. Le pays a des atouts économiques et humains importants sur lesquels il nous faut résolument continuer à parier.

M. Christian Cambon, président. -J'ouvre à présent la discussion sur cet excellent rapport dont je vous remercie.

M. Pascal Allizard.- Je voudrais à mon tour d'abord féliciter nos collègues pour la qualité et la précision de leur rapport. Je souhaite surtout insister, comme cela a été fait à plusieurs reprises, sur l'absolue nécessité de garder avec ce pays, les meilleures relations possibles. Il s'agit de les aider, dans la mesure de nos capacités et notre influence dans les enceintes internationales, à régler leurs problèmes de développement économique comme cela a été excellemment dit au début de votre exposé. L'Égypte est, dans sa zone d'influence, un pays d'équilibre essentiel dont nous avons besoin pour notre propre sécurité tant d'un point de vue global qu'en Méditerranée orientale. Je suis attentivement ce pays dans le cadre de mes responsabilités à l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) et il faut travailler dans le sens de vos préconisations. Un grand merci pour votre excellent travail.

M. André Gattolin.- À mon tour de féliciter les rapporteurs. Je souhaite évoquer les relations entre l'Égypte et la Chine qui ont été historiquement, et depuis la guerre froide, assez bonnes : tel a été le cas à l'époque de Moubarak, des Frères musulmans et aujourd'hui sous la gouvernance d'Al-Sissi. Le ministre des Affaires étrangères chinois s'est rendu en début d'année au Caire. Il est vrai que l'Égypte attends plus de la Chine que l'inverse mais le canal de Suez est une des principales routes commerciales principale qui intéresse beaucoup Pékin. Par ailleurs la Chine et les entreprises chinoises sont au coeur de grands projets de développement urbanistiques comme le dédoublement de la ville du Caire. Certains géopolitologues comme Emmanuel Veron considèrent que l'Égypte est une porte d'entrée de la Chine au Moyen-Orient et dans le monde musulman : avez-vous des compléments d'information à ce sujet?

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Nous n'avons pas recueilli de données complémentaires à ce sujet mais, en toute logique, la Chine fait certainement la même analyse que nous tous, à savoir que l'Égypte, qui compte plus de 100 millions d'habitants, est un pilier fondamental par son influence intellectuelle et sa position géographique, à la fois au Moyen-Orient et en Afrique. L'analyse géopolitique et géostratégique de l'importance de l'Égypte est un des facteurs de l'engagement de la France pour un partenariat stratégique avec ce pays et il en va sans doute de même pour la stratégie de la Chine.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je m'associe aux félicitations adressées à ce rapport. Ma question porte sur la relation entre l'Égypte et la Libye qui a connu des moments de tensions exacerbées, avec un rassemblement militaire sur la frontière libyenne : où en est-on aujourd'hui ?

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - La frontière avec la Libye est d'abord perçue comme une menace. En effet, c'est une frontière poreuse où circulent armes, drogue et engins explosifs improvisés (IED). La question du contrôle de cette frontière de 1200 kilomètres entre l'Égypte et la Libye subsiste donc. Cependant le relatif « statu quo » actuel - je mets des guillemets à cette expression car la situation reste instable - est plutôt de nature à rassurer l'Égypte plutôt que d'avoir une Libye totalement déstabilisée. Une forme de compromis est en train de s'installer en Lybie avec deux blocs et cette situation est plutôt de nature à permettre, à l'Égypte de renforcer le contrôle de cette frontière.

La commission adopte à l'unanimité le rapport d'information ainsi modifié et en autorise la publication.

M. Christian Cambon, président. - Merci encore à nos rapporteurs pour cet excellent travail qui s'inscrit dans la construction que nous avons élaborée tout au long de ce mandat avec des missions en Israël, en Palestine, au Liban et en Jordanie. Le Sénat a pu ainsi produire une vision à peu près globale de la situation - au demeurant assez peu encourageante - dans cette région du monde.

DÉPLACEMENT EN EGYPTE (LE CAIRE),
DU 13 AU 17 MAI 2023

- M. Hamdi Lauza, vice-ministre des Affaires étrangères

- M. Ehab Nasr, ministre adjoint des Affaires étrangères

- M. Khaled Megawer, vice-ministre de la défense

- M. Olivier Le Van Xieu, Consul général au Caire

- Entretiens avec des députés et sénateurs au Parlement égyptien ; groupe d'amitié France-Égypte

- Réunion sur les questions économique et de développement (AFD-service économique - Business France)

- Conseillers des français de l'étranger

- M. Tewfick Aclimandos, chercheur à l'Egyptian Center for Strategic Studies

- Représentants de l'industrie de défense française en Égypte


* 1 Situation dans laquelle un pays atteint son optimum dans le rapport entre la population active et la population « dépendante » (les plus jeunes et les plus âgés)