N° 227

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 décembre 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) relatif à la modernisation de l'aéroport de Nantes Atlantique,

Par M. Didier MANDELLI,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François ongeot, président ; M. Didier Mandelli, premier vice-président ; Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Hervé Gillé, Rémy Pointereau, Mme Nadège Havet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Yves Roux, Cédric Chevalier, Ronan Dantec, vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Audrey Bélim, MM. Pascal Martin, Jean-Claude Anglars, secrétaires ; Mme Jocelyne Antoine, MM. Jean Bacci, Pierre Barros, Jean-Pierre Corbisez, Stéphane Demilly, Gilbert-Luc Devinaz, Franck Dhersin, Alain Duffourg, Sébastien Fagnen, Jacques Fernique, Fabien Genet, Éric Gold, Daniel Gueret, Mme Christine Herzog, MM. Joshua Hochart, Olivier Jacquin, Damien Michallet, Georges Naturel, Louis-Jean de Nicolaÿ, Saïd Omar Oili, Alexandre Ouizille, Clément Pernot, Mme Marie-Laure Phinera-Horth, M. Bernard Pillefer, Mme Kristina Pluchet, MM. Hervé Reynaud, Pierre Jean Rochette, Bruno Rojouan, Mme Denise Saint-Pé, MM. Philippe Tabarot, Simon Uzenat, Mme Sylvie Valente Le Hir, M. Michaël Weber.

L'ESSENTIEL

Comprendre pourquoi, près de 6 ans après l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes, la modernisation de l'aéroport de Nantes Atlantique est toujours « au point mort » et formuler des recommandations pour sortir au plus vite de l'impasse : telle est la mission confiée à Didier Mandelli, rapporteur de la mission d'information « flash » relative à la modernisation de l'aéroport de Nantes Atlantique, par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Le constat est clair : les nombreuses promesses formulées par l'État depuis 2018 consécutivement à la décision de maintenir en activité l'aéroport de Nantes Atlantique n'ont été que peu suivies d'effets.

L'aéroport demeure dans un état de vétusté avéré et la qualité de service y est toujours insuffisante, au détriment des voyageurs et des compagnies aériennes. En outre, les compensations promises afin d'améliorer la desserte ferroviaire de la région nantaise se font toujours en grande partie attendre.

Surtout, l'appel d'offres (AO) de renouvellement de la concession dont dépendait le lancement des travaux de réaménagement de l'aéroport a été annulé en septembre 2023. De l'avis unanime des acteurs locaux entendus par le rapporteur, cette procédure a par ailleurs été marquée par un manque de transparence et de concertation avec le territoire nantais. Cette situation est lourde de conséquences pour le quotidien des riverains de l'aéroport, qui subissent d'importantes nuisances sonores.

Face à ces constats, suivant les orientations de son rapporteur, la commission a adopté à l'unanimité 15 recommandations selon trois axes :

- agir au plus vite en faveur de la modernisation de l'aéroport, selon une méthode fondée sur la co-construction avec les acteurs du territoire et la transparence ;

maîtriser l'impact environnemental de l'aéroport ;

faire de la santé des populations riveraines une priorité.

I. APRÈS L'ABANDON DU PROJET DE NOTRE-DAME-DES-LANDES, DE NOMBREUSES PROMESSES DÉÇUES

A. APRÈS LE CHOC DE 2018, UNE PLUIE D'ANNONCES, MAIS DES RÉSULTATS AU COMPTE-GOUTTE

 

des votants avaient répondu favorablement au transfert de Nantes Atlantique à Notre-Dame-des-Landes

Le projet de modernisation de l'aéroport de Nantes Atlantique a pour origine l'abandon, en 2018, du projet de création d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes. En 2016, dix ans après la publication de la déclaration d'utilité publique, une consultation sur Notre-Dame-des-Landes est organisée en Loire-Atlantique. En dépit des résultats positifs et à rebours de ses promesses, le Gouvernement annonce l'abandon du projet Notre-Dame-des-Landes le 17 janvier 2018. Ce revirement a suscité un « choc » localement et, dans certains cas, un sentiment de défiance vis-à-vis de la parole publique.

Conscient de cette cassure, le Gouvernement signe, le 8 février 2019, un « Contrat d'avenir » avec la région Pays de la Loire comportant 37 engagements compensatoires, dont 21 concernant les transports. Outre la modernisation de l'aéroport de Nantes Atlantique, deux projets étaient prioritaires : renforcer l'accessibilité en transport en commun de l'aéroport et améliorer la desserte ferroviaire de la région.

Quel bilan tirer de ces engagements ? Malheureusement, quatre ans après, ils sont loin d'avoir produit des résultats à la hauteur des attentes.

B. L'APPEL D'OFFRES : UN ATTERRISSAGE FORCÉ APRÈS QUATRE ANS DE PROCÉDURE

Le calendrier initial de modernisation de l'aéroport de Nantes Atlantique était ambitieux. Le Gouvernement entendait désigner le nouvel exploitant fin 2021 afin que les travaux commencent dès 2022. Si l'avis de concession a été publié dès le 31 octobre 2019, le 29 septembre dernier, près de quatre ans plus tard, l'appel d'offres a été annulé par le Gouvernement.

De fait, cette décision unilatérale revient à renvoyer la modernisation de l'aéroport aux calendes grecques : la procédure d'attribution de la concession doit repartir de son point de départ et aucuns travaux d'ampleur ne pourront donc avoir lieu avant 2027, alors que Nantes Atlantique est dans un état de vétusté avéré.

Pourtant, le trafic aérien connaît une forte croissance dans cet aéroport : le nombre de passagers annuels devrait prochainement rattraper le niveau d'avant-crise sanitaire (7,2 millions de passagers en 2019) et même atteindre 8 millions en 2030. Le risque d'une dégradation de la qualité de service et d'une saturation des infrastructures est bien réel. Cette situation est également défavorable au développement économique de la région, dont la connectivité avec le territoire français et le reste du monde se trouve dégradée.

Comment expliquer cet échec préjudiciable pour le territoire ?

Un seul candidat a remis une offre en juin 2022, alors que trois acteurs avaient manifesté leur intérêt en 2019. Plusieurs options retenues par l'État ont rendu l'appel d'offres peu attractif : la question du partage des risques revêt en effet une importance sensible dans le contexte particulier de l'aéroport de Nantes compte tenu de son historique. Un sujet en particulier a concentré les difficultés : l'allongement de la piste.

Afin de réduire les nuisances sonores pour les riverains, l'allongement de la piste a été envisagé par l'administration. Cependant, les candidats à l'appel d'offres ont très tôt montré leur réticence envers cette option, compte tenu de l'impact environnemental des travaux, des lourdeurs administratives et des potentielles contestations qu'ils pourraient engendrer. Des études complémentaires ont montré que les gains acoustiques attendus étaient négligeables. Pourtant, le Gouvernement a fait le choix de maintenir ce projet dans le cahier des charges.

Le projet de modernisation de l'aéroport de Nantes aurait dû marquer un nouveau départ après les années d'errance sur le dossier de Notre-Dame-des-Landes. Or, nombre d'élus locaux et d'habitants ont fustigé la méthode employée par le Gouvernement au cours de l'appel d'offres, marquée par de multiples revirements et des efforts jugés très insuffisants en matière de dialogue et de transparence. En définitive, cette approche n'a pas permis de créer un climat de confiance avec les acteurs locaux sur ce dossier pourtant particulièrement sensible et stratégique pour le territoire.

II. MODERNISATION DE L'AÉROPORT DE NANTES : UNE PROCÉDURE À RELANCER D'URGENCE EN TENANT COMPTE DES ATTENTES DU TERRITOIRE

A. AGIR AU PLUS VITE POUR LA MODERNISATION DE L'AÉROPORT, EN ÉTANT À L'ÉCOUTE DES ACTEURS LOCAUX

À court terme, l'État doit s'assurer de la réalisation de travaux urgents à l'aéroport de Nantes à deux titres. D'une part, améliorer la qualité de service et la sécurité, tant au niveau de l'aérogare que de la piste, et développer l'offre de stationnement. D'autre part, anticiper le déploiement d'infrastructures d'alimentation électrique sur les postes de stationnement au contact qui sera obligatoire en 2025 (règlement européen « AFIR » de 2023).

 Demander au concessionnaire un programme d'investissements urgents en faveur de l'aéroport de Nantes Atlantique, en mettant l'accent sur l'amélioration des conditions d'accueil des voyageurs, la sécurité de la piste et la conformité des infrastructures aux obligations issues du règlement européen « AFIR » (proposition n° 1).

L'AO de la nouvelle concession doit être mené à bien dans les meilleurs délais, en tirant les enseignements du passé : les acteurs locaux ont fustigé « une culture de l'opacité » dans la gestion du précédent AO par les services de l'État.

Deux points doivent faire l'objet d'une forte vigilance : l'association des acteurs locaux dans l'élaboration du futur cahier des charges et la publicité de ce document. En outre, le rapporteur s'alarme du recours étonnamment « massif » aux prestations de conseil par le Gouvernement dans le cadre du nouvel appel d'offres, un an après la publication du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques.

Une nouvelle approche est indispensable pour renouer les liens de confiance avec le territoire nantais, selon trois mots d'ordre rappelés par les maires des 24 communes de la métropole de Nantes : « transparence - clarté - confiance ».

 Assurer une meilleure transparence de la nouvelle procédure d'appel d'offres, à travers (proposition n° 4) :

la conduite de réunions de concertation régulières avec les acteurs de terrain (élus locaux, milieux socio-économiques et riverains), notamment au cours de l'élaboration du cahier des charges ;

la soumission pour avis du projet de cahier des charges aux collectivités territoriales directement concernées par le projet de modernisation de l'aéroport ;

la publicité du cahier des charges. 

 Encadrer strictement le recours à des cabinets privés dans la gestion du projet de modernisation de l'aéroport de Nantes Atlantique et assurer la publicité des prestations demandées (proposition n° 5).

B. MAÎTRISER L'IMPACT ENVIRONNEMENTAL DE NANTES ATLANTIQUE

L'aéroport de Nantes Atlantique génère des nuisances environnementales liées notamment aux aéronefs (émissions de particules fines) et aux engins de piste. Or, il est situé à moins de 3 kilomètres de la réserve naturelle nationale du lac de Grand-Lieu (zone Ramsar) qui constitue l'un des plus grands lacs de plaine d'Europe. D'une superficie de 2 695 hectares, elle abrite des centaines d'espèces protégées et une population d'oiseaux exceptionnelle.

Si des traces d'hydrocarbures ont été retrouvées dans l'eau du lac, il n'existe pas de données étayées sur l'impact de l'activité de la plateforme (nuisances sonores liées au survol des aéronefs, émissions polluantes et eaux de ruissellement non traitées) sur la réserve. Dans ces conditions, la mise en oeuvre de mesures préventives et correctives est rendue particulièrement difficile.

 Assurer une intégration durable de l'aéroport dans son environnement par (proposition n° 7) :

- le lancement dès aujourd'hui d'une étude destinée à mesurer les effets des nuisances issues de l'aéroport sur la réserve naturelle nationale du lac de Grand-Lieu ;

- l'établissement d'un cahier des charges plus ambitieux sur le plan environnemental pour le prochain appel d'offres (par exemple, sur la gestion des eaux de ruissellement, la décarbonation des engins de piste et la maîtrise du foncier utilisé).

C. FAIRE DE LA SANTÉ DES POPULATIONS RIVERAINES UNE PRIORITÉ

Les riverains de l'aéroport de Nantes subissent un haut niveau de nuisances sonores aériennes, du fait de la proximité immédiate de l'aéroport avec le centre-ville de Nantes et des trajectoires de décollage et d'atterrissage des avions, qui survolent à basse altitude des zones habitées.

Ces nuisances sont un enjeu majeur de santé publique (maladies cardiovasculaires, perturbations du sommeil, etc.). Il est donc impératif de répondre à la demande pressante et légitime des populations d'être mieux protégées.

Plusieurs mesures ont d'ores et déjà été prises pour atténuer les nuisances sonores, à commencer par la mise en place en avril 2022 d'un couvre-feu entre minuit et six heures du matin. Cependant, ce dispositif n'est pas suffisamment respecté. Les compagnies aériennes peuvent en effet mettre en avant des « raisons indépendantes de leur volonté » pour y déroger. En outre, le caractère flou de cette dérogation est source de divergences d'interprétation entre ces dernières et l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa), chargée de prononcer les sanctions. De surcroît, les amendes fixées par l'Acnusa en cas de violation du couvre-feu sont insuffisamment dissuasives.

 Renforcer le couvre-feu à l'aéroport de Nantes Atlantique et en améliorer l'application par (proposition n° 9) :

- la réécriture de l'arrêté établissant le couvre-feu, afin de clarifier les conditions exonératoires pouvant être invoquées par les compagnies aériennes en cas d'atterrissage en dehors des horaires programmés ;

- le doublement du plafond des amendes de l'Acnusa en cas de non-respect du couvre-feu ;

- l'interdiction des atterrissages avant 7 heures du matin et des décollages après 21 heures.

En outre, afin de réduire les nuisances sonores « à la source », le renouvellement des flottes d'aéronefs utilisés à Nantes Atlantique est un levier à exploiter. Les dernières générations d'avions mises sur le marché sont en effet bien plus performantes acoustiquement que les plus anciennes et peuvent permettre des gains sonores marqués. Le rapporteur estime que le renouvellement des flottes pourrait être encouragé, de façon volontariste, grâce à une modulation des redevances aéroportuaires1(*).

 Assurer rapidement le renouvellement des flottes d'aéronefs utilisés à l'aéroport de Nantes Atlantique par la modulation des redevances aéroportuaires selon la classe acoustique des aéronefs utilisés par les compagnies aériennes, grâce à un barème ayant vocation à être renforcé au fil des années (proposition n° 11).

En complément de ces mesures visant à réduire les nuisances sonores à la source, les mesures d'atténuation de leurs effets sont à renforcer, notamment par l'insonorisation des logements. Des dispositifs existent déjà pour accompagner les riverains dans ces travaux, mais ils restent encore insuffisants. Les aides à l'insonorisation sont en effet plafonnées à un niveau fixé en 2011 alors que le coût des travaux a augmenté de 33,4 % depuis cette année. À cet égard, le rehaussement de 25 % de ce plafond annoncé par le Gouvernement n'est pas à la hauteur des besoins. En outre, certains riverains ont bénéficié d'une aide à une époque où les techniques d'insonorisation étaient moins performantes et le trafic plus faible qu'aujourd'hui et n'y sont donc plus éligibles : des travaux de mise à niveau peuvent être indispensables pour ces personnes.

 Renforcer les dispositifs d'atténuation des effets des nuisances sonores pour les riverains de Nantes Atlantique par (proposition n° 13) :

- le rehaussement du plafond des aides à l'insonorisation en tenant compte de l'inflation ;

- la réouverture du droit à l'isolation phonique pour les travaux effectués avant une date qui serait fixée par voie réglementaire, pour tenir compte des évolutions intervenues en matière de techniques d'isolation.

Enfin, la procédure aujourd'hui utilisée pour éviter le survol du centre-ville de Nantes engendre de nombreuses nuisances sonores pour d'autres populations riveraines et des risques pour la sécurité des vols, faute d'outils technologiques adéquats. Une solution (dite approche « RNP AR ») permettrait de conserver la trajectoire dérogatoire actuelle, tout en la rendant plus sûre et fluide et donc moins bruyante pour les populations survolées. Le rapporteur juge opportun de prévoir une application obligatoire de ce dispositif d'ici à 2027.

 Mettre en place la procédure d'approche « RNP AR » pour limiter les nuisances sonores autour de l'aéroport de Nantes Atlantique et assurer une meilleure sécurité des vols (proposition n° 15).


* 1 Ces modulations seront facilitées par le dispositif prévu à l'article 20 du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, en cours d'examen, qui permet une dérogation au principe de modération tarifaire au cours de la première année d'une concession aéroportuaire.

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