II. POUR UNE OUVERTURE DES TÉLÉCOMMUNICATIONS COHÉRENTE, MAÎTRISÉE ET RESPECTUEUSE D'UN SERVICE UNIVERSEL AMBITIEUX

Les deux dernières années qui séparent l'Union européenne de la libéralisation complète des télécommunications doivent permettre de mettre en place un cadre réglementaire prenant en compte un certain nombre de nécessités, qui concernent notamment le service universel, l'importance d'alliances stratégiques dans un environnement libéralisé, l'impératif d'une réciprocité en ce qui concerne l'ouverture du marché européen aux entreprises d'États tiers. Dans ces domaines, les projets actuellement en discussion n'apportent pas pleinement satisfaction. En outre, la forme choisie par la Commission européenne pour l'élaboration de ce futur cadre réglementaire est très contestable.

A. UNE MÉTHODE CONTESTABLE

La manière dont la Commission européenne a choisi de procéder afin de parachever le cadre dans lequel s'opérera l'ouverture complète du secteur des télécommunications apparaît critiquable à deux titres. D'une part, la Commission a décidé d'utiliser à nouveau l'article 90-3 du traité de Rome comme base juridique des deux textes sur la libéralisation complète et la libéralisation des communications mobiles, d'autre part la dispersion de certaines notions à l'intérieur de textes différents conduit parfois à des incohérences.

Depuis qu'a débuté la politique d'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications, la Commission européenne a pris l'habitude de libéraliser des pans entiers de ce secteur en utilisant l'article 90-3 du traité de Rome.

Cet article, tel qu'il est interprété par la Cour de justice des Communautés européennes, permet à la Commission de prendre seule des directives visant à l'application des règles de concurrence auxquelles sont soumises les entreprises titulaires de droits spéciaux ou exclusifs en vertu du traité. Ainsi, les instances communautaires pourvues d'une légitimité démocratique - Parlement européen d'une part, Conseil des ministres d'autre part, dont les membres sont individuellement responsables devant les Parlements nationaux - sont totalement exclues du processus décisionnel.

Certes, lors des dernières utilisations de cet article, la Commission européenne a accepté de consulter le Parlement européen et le Conseil sur les textes concernés, mais sans que l'avis de ces institutions ne la lie d'une quelconque manière.

C'est sur la base de l'article 90-3 que la Commission a adopté en 1988 la directive sur les marchés de terminaux de télécommunications, en 1990 la directive sur les services de télécommunications, en 1994 la directive sur les communications par satellites et en 1995 la directive sur l'ouverture des réseaux câblés de télévision. C'est sur cette base également qu'elle se propose d'adopter les deux textes relatifs à l'ouverture complète du marché des télécommunications à la concurrence et aux communications mobiles et personnelles.

Cette situation ne peut être acceptée. Les télécommunications constituent un secteur fondamental de l'économie, et chacune des mesures conduisant à son ouverture à la concurrence doit faire l'objet d'un examen approfondi par les institutions communautaires et être adoptée par les institutions détentrices d'une légitimité démocratique que sont le Parlement européen et le Conseil des ministres.

Par ailleurs, si l'on continue à accepter l'attitude de la Commission en cette matière, on peut craindre qu'elle utilise l'article 90-3 pour prendre des textes qui posent de graves problèmes au fond. C'est ainsi qu'elle envisage de décider seule en 1998 de la libéralisation de secteurs très importants du marché postal (publipostage, courrier transfrontalier).

La Délégation du Sénat pour l'Union européenne a protesté à plusieurs reprises contre l'utilisation de cette procédure. En mars dernier, sur proposition de nos collègues Christian de La Malène et Jacques Oudin ( ( * )11), le Sénat a adopté une résolution demandant au Gouvernement « de tout mettre en oeuvre pour qu `une réforme de l'article 90-3 du traité de Rome intervienne lors de la révision institutionnelle de 1996 afin que le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne soient systématiquement associés au processus décisionnel ».

Dans l'attente de la Conférence intergouvernementale, nous ne pouvons que protester une nouvelle fois contre l'utilisation de cet article qui, indépendamment de son caractère non démocratique, conduit à des incohérences dans l'établissement du cadre réglementaire. En effet, les directives présentées sur la base de l'article 90-3, que la Commission souhaite adopter avant la fin de l'année, contiennent des dispositions relatives à l'interconnexion, alors même que les institutions communautaires examinent une proposition de directive spécifiquement consacrée à ce thème et qui fera l'objet de négociations approfondies tout au long de l'année 1996 !

L'adoption de textes portant sur les mêmes matières selon des rythmes et des procédures différentes crée un risque non négligeable d'incohérence. C'est ce qu'a noté la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications dans l'avis qu'elle a rendu le 25 octobre 1995 sur le projet de directive relatif aux communications mobiles « personnelles : « (...) l'éparpillement des thèmes concernant le secteur des télécommunications dans différentes directives, dont l'adoption se fait à des rythmes différents, nuit à la cohérence de la réglementation ».

Ainsi, par exemple, à propos de l'interconnexion, le projet de directive sur les communications mobiles et personnelles impose aux États membres de définir dans les licences un nombre minimal de points d'interconnexion au réseau public fixe, tandis que la proposition de directive spécifiquement consacrée à l'interconnexion insiste sur la priorité a la libre négociation commerciale des accords d'interconnexion.

Il aurait été préférable d'éviter la dispersion de certains thèmes dans plusieurs directives ; il est, en tout état de cause, indispensable que tout risque d'incohérence soit écarté avant l'adoption des différents textes.

* (11) Proposition de résolution sur le projet de directive de la Commission modifiant la directive de la Commission 90/388/CEE concernant la suppression des restrictions à l'utilisation de réseaux câblés de télévision par la fourniture de services de télécommunications (n° E 385), n° 236 (deuxième session extraordinaire de 1994-1995).

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