C. LE CADRE JURIDIQUE DE LA LIBÉRALISATION
DE L'ÉCONOMIE INDIENNE

1. Intervention de M. Marc Frilet,
Avocat associé au Bureau Francis Lefebvre

M. Marc Frilet - Le titre qui m'a été attribué est le cadre juridique de la libéralisation de l'économie indienne. Cela révèle tout à fait la problématique que je vais devoir aborder, qui est certes de savoir comment traiter les questions juridiques, comment préparer une négociation, comment verrouiller un contrat, mais le tout dans un cadre spécifique, celui de l'évolution de l'économie indienne dans le sens de la libéralisation...

Pour bien comprendre ce nouveau cadre juridique, il est essentiel d'avoir une connaissance suffisante du cadre juridique traditionnel indien et de sa pratique, car il reste encore très présent.

Ce n'est qu'ensuite qu'on pourra utilement évoquer l'ampleur des changements intervenus en matière de libéralisation, à travers un rappel des principales mesures.

Enfin, je m'attacherai à analyser les conséquences pratiques de cette libéralisation sur l'approche juridique du marché indien, en mettant en relief à la fois les contraintes qui demeurent et les perspectives à mon avis fort prometteuses pour nos entreprises dans certains secteurs.

Dans un monde aussi élaboré que le monde indien, le cadre juridique dépasse largement la simple connaissance du droit des affaires mis en oeuvre par les tribunaux. Il doit également englober, si l'on veut bien comprendre ce pays, toute une superstructure réglementaire complexe, traitant d'une part des relations des sociétés indiennes entre elles et, d'autre part, des relations entre les sociétés indiennes et étrangères.

Pour brosser à grands traits le cadre juridique traditionnel et sa pratique, il faut faire un certain nombre de rappels.

L'Inde a été pendant vingt ans, et jusqu'au début de cette décennie, une des économies les plus dirigistes du monde, et très fermée aux étrangers. L'exportation de produits étrangers vers l'Inde était quasiment impossible ; un système très complexe de licences d'importation préalable à toute transaction interdisait notamment l'exportation vers l'Inde des produits de consommation et des produits manufacturés, à l'exception des biens de production, dont il fallait justifier, à travers un système de licences toujours complexes à obtenir, la nécessité impérative pour l'économie indienne.

Même dans ce cas, on hésitait souvent à conclure une transaction face à l'ampleur des droits de douanes, qui ne permettaient pas toujours aux clients indiens de payer le prix.

La principale alternative était constituée par la production en Inde à travers une filialisation. Mais cette alternative était également très difficile à mettre en oeuvre, car il existait en Inde un système de licences industrielles très rigoureux, imposant aux entreprises productrices toute une série d'obligations de multiple nature quant aux quantités à produire, aux lieux dans lesquelles elles pouvaient produire, aux limites de consommation en électricité et en eau, etc.

D'autre part, cette réglementation ne permettait pas aux étrangers de constituer des filiales à 100 %, et en pratique, dans la plupart des cas, à condition d'avoir des autorisations, on ne pouvait posséder que 40 % dans ces filiales.

Enfin, toute constitution de société commune était subordonnée à un engagement de transfert de technologie.

Quelques solutions intermédiaires pouvaient être trouvées, surtout pour les grandes entreprises, en particulier dans le secteur militaire et les grands projets d'infrastructure. Sur ce plan, les Français ont réussi un certain nombre de contrats. Tout n'a pas été facile, mais il faut dire que la période avant 1991 était assez délicate à cet égard...

Pour finir, l'Inde avait un contrôle des changes extrêmement rigoureux et tatillon, qui posait beaucoup de problèmes lorsqu'on cherchait à développer des échanges avec ce pays.

Ce dirigisme économique omniprésent a engendré, au-delà du simple droit des sociétés, une superstructure réglementaire incroyablement complexe et il fallait passer énormément de temps à déterminer cas par cas et projet par projet le type de réglementation administrative applicable.

De plus, l'Inde est un état fédéral, et si le rôle du Centre est très important dans l'approbation générale d'un projet, il faut également obtenir une série d'autorisations de l'Etat local. Les praticiens de l'Inde connaissent bien les imprimés administratifs qui établissent, sur des vingtaines de pages, la façon dont on doit élaborer un plan d'entreprise, ou le " non objection certificate " dans lequel on demande à l'administration qu'elle ne s'oppose pas à un projet...

Cette superstructure réglementaire a été mise en oeuvre par une administration très tatillonne, très compétente, et qui n'est pas toujours bien payée. Pour ce qui est de la compétence, l'administration fiscale indienne n'a par exemple rien à envier à la compétence de l'administration fiscale française : on trouve des personnes très spécialisées localement et d'autres absolument remarquables au niveau central !

Cette administration avait un rôle d'autant plus important que la multiplicité des textes et leur interprétation officielle s'entrechoquaient souvent. En fait, cette administration était passée maîtresse -pour employer un euphémisme lourd de sens- dans l'art d'" opérer des distinctions ", au sens juridique et anglo-saxon du terme, entre telle ou telle situation paraissant pourtant totalement identique a priori, surtout pour un Français...

Cette situation est d'autant plus déroutante pour nous, Français, que cette superstructure réglementaire est baignée dans une culture juridique de type " common law ", qui n'a jamais réussi, nulle part dans le monde, à bien formuler ni à bien positionner la règle de droit écrite dans les raisonnements juridiques.

Au risque de caricaturer, on peut dire que tout ce qui n'est pas expressément écrit en termes clairs, positifs et détaillés, peut être considéré comme étant a priori interdit. De plus, il existe rarement une règle suprême et incontestable permettant de recadrer la question en invoquant des principes simples, comme dans les pays de droit civil, à tel point que le sport préféré des juristes de la " common law " consistant en permanence à opérer des distinctions entre telle ou telle situation de fait identique a priori était devenu un sport national en Inde du fait de l'abondance de la règle écrite.

Celui qui souhaite développer un projet doit donc passer beaucoup de temps à identifier la ou les règles applicables, à rechercher la contre-règle ou la contre-interprétation, de façon à avoir un projet le plus adapté possible.

Quant à celui qui, de l'autre côté, est chargé de mettre les règles en oeuvre, et qui est souvent une autorité administrative dont l'autorisation est requise, il s'ingénie le plus souvent à ne jamais considérer deux situations de la même façon, afin à ne pas être lié par la fameuse règle du précédent !

Ce système a généré une armée de juristes et autres consultants réglementaires et fiscaux extraordinairement compétents, très procéduriers. Ceci aboutit à une paralysie relative des tribunaux, qui n'est pas profondément choquante pour la mentalité indienne traditionnelle, mais qui est difficilement acceptable dans les relations commerciales internationales.

Il faut également prendre en compte le fait qu'il demeure dans la culture indienne une certaine philosophie tiers-mondiste, largement relayée dans les médias. L'étranger reste aujourd'hui encore plutôt une personne dont il faut se méfier dans les relations commerciales -il est quelque peu retors-, plutôt que comme une personne qui ne fait qu'apporter son aide à bras ouverts -les articles de presse sur les compagnies multinationales sont d'ailleurs là pour en attester.

Par ailleurs, le bon niveau de formation de la plupart des partenaires indiens en contact avec les étrangers nous déroute beaucoup, et la pratique de ce cadre juridico-réglementaire -l'une des plus complexe du monde- est fort déroutante, en particulier pour un Français.

Cela explique aussi que ceux qui ont su investir le système ont pu assez facilement -après avoir fait ce long travail de compréhension et d'approfondissement- retourner la situation à leur profit, possédant ainsi un avantage compétitif par rapport aux concurrents.

Les conditions du succès pour réussir dans un tel cadre sont dès lors assez faciles à cadrer -il suffit de voir comment travaillent nos concurrents étrangers en Inde-. La première règle est d'avoir recours à des hommes de valeur, ayant l'esprit pionnier, réellement bilingues et rompus à la " common law ".

Il faut que ces hommes sachent de surcroît identifier les règles applicables pour les contourner le cas échéant, en se rattachant à d'autres ou en jouant sur la distinction et l'absence de précédent. Rien n'est jamais figé en Inde, et pour un problème réel, on dit toujours qu'il existe toujours au moins deux solutions pratiques.

Ces pionniers savent également que, pour être efficace, il faut énormément écrire, ne pas se contenter de promesses verbales et consacrer du temps à des opérations de lobbying, afin d'adapter tel ou tel aspect de la réglementation au meilleur intérêt du projet.

En fait, le meilleur des hommes ayant ses limites, une des plus grandes qualités de ces pionniers a toujours été d'identifier les compétences spécialisées, de former des réseaux et de contrôler en permanence les conclusions des spécialistes qu'ils ont choisis.

La plupart des entreprises étrangères qui ont travaillé en Inde avec une approche juridico-réglementaire de cette nature ont raisonnablement réussi, y compris des entreprises françaises.

Ce cadre juridico-réglementaire avait encore cours pour l'essentiel en 1990. Il avait commencé à évoluer sous Gandhi, et a énormément changé avec la vague de libéralisation intervenue depuis.

Pour le juriste praticien de l'Inde et pour celui qui a pu faire des comparaisons avec d'autres pays, on peut dire que cette vague de libéralisation a abouti à une grande simplification, mais n'a pas encore atteint tous les secteurs.

Les licences d'importation ont été quasiment supprimées partout, sauf pour les produits de consommation. Les droits de douane, quant à eux, ont été considérablement réduits. Les licences industrielles qui enserraient les producteurs indiens dans un carcan ont été supprimées à peu près partout.

L'investissement étranger en Inde a été favorisé grâce à un système d'approbation automatique jusqu'à 51 % sous certaines conditions. Une approbation automatique a également été mise en place pour certains contrats de transfert de technologie en deçà de certains seuils.

Il a par ailleurs été mis en place des systèmes facilitant le processus d'approbation, en particulier à travers le " Foreign investissement promotion board ", le FIPB, qui est encore en train d'évoluer.

L'emploi des techniciens étrangers a été grandement facilité. La simplification de la réglementation des changes a été spectaculaire. On peut, depuis quelques années, utiliser largement les marques étrangères en Inde.

Des avantages fiscaux multiples ont été octroyés, en particulier pour les entreprises tournées vers l'exportation et dans les secteurs prioritaires. Une grande politique facilitant le développement du secteur des infrastructures a été ébauchée.

Aujourd'hui, il est ainsi possible d'envisager les fameux BOT, dont l'Inde aura désespérément besoin dans le secteur des infrastructures dans les années à venir -encore que tout ne soit pas encore parfaitement finalisé... Le BOT représente un système de concessions dans lequel l'entrepreneur privé est chargé de construire, de gérer, de se payer sur les ressources générées par le projet lui-même, puis de transférer à terme, sous certaines conditions, l'ensemble de l'investissement à l'Etat. Dans des pays qui n'ont pas suffisamment de ressources, cette formule présente un grand intérêt...

Par ailleurs, la promulgation d'un ensemble réglementaire très attractif pour des secteurs prioritaires, comme l'énergie, a donné lieu à la conclusion de contrats spectaculaires.

Enfin et surtout, vous permettrez au juriste que je suis de signaler la promulgation d'une ordonnance sur l'arbitrage et la conciliation. Ce texte récent, qui a été longuement mûri en Inde, basé sur les modèles de l'ONU, s'il est intelligemment utilisé, va radicalement changer les procédures de règlement des litiges. Tout ceci est très vivement encouragé par les différents gouvernements indiens. Grâce à ce texte, on pourra mettre en place des systèmes efficaces de résolution des litiges avec l'Inde.

Pour vérifier les conséquences de cette ouverture, j'invite chacun à aller visiter Bombay ou Delhi, où les choses ont en effet radicalement changé...

Il ne faut pas pour autant tomber dans un optimisme béat, car il existe encore un immobilisme réel dans de nombreux secteurs et un certain nombre de limites.

Enfin, de nombreuses réformes restent à parachever pour permettre aux projets de se développer réellement. Le BOT prendra encore du temps avant d'être réalisé, en particulier pour les infrastructures publiques. Il reste encore à répondre, dans une grande mesure, aux questions relatives à la propriété, à la fixation des tarifs, au rapatriement des profits, à l'équilibre des clauses contractuelles de ce type de projet, à la façon dont on résoudra les litiges dans dix ou vingt ans. D'ailleurs, la partie indienne le reconnaît volontiers...

Dans le secteur de l'énergie, prioritaire parmi les priorités, tout n'est pas si simple non plus. Qui n'a pas entendu parler du problème de cette entreprise américaine qui avait été autorisée à réaliser en Inde un grand projet de 2.000 mégawatts, et dont le contrat à été résilié... A mon avis, l'entreprise américaine détient d'ailleurs sa part de torts. Tout cela -comme toujours en Inde- finira par se régler un jour prochain !

Je pourrais citer divers autres freins qui existent aujourd'hui en matière juridique de façon plus spécifique, comme un droit du travail encore très protecteur, une " exit policy " qui a de la peine à se développer, et une fiscalité indirecte d'une complexité exceptionnelle...

En conclusion, je dirai que les entreprises qui vivent en Inde au jour le jour aujourd'hui font le plus souvent encore un bilan contrasté. En effet, si la libéralisation est réelle, en particulier dans les grandes villes, on demeure encore confronté à un monde juridico-administratif encore très lourd.

Faut-il alors s'arrêter là et attendre le parachèvement des réformes pour s'intéresser à ce marché ? Non, compte tenu à la fois de l'importance du marché et des multiples autres facteurs positifs ! Beaucoup d'entreprises françaises possèdent des atouts très précieux par rapport à leurs concurrents étrangers, qui réussissent bien en Inde aujourd'hui.

Je me bornerai à citer la haute technologie française à tous les niveaux -y compris celle des PME- et la très précieuse expérience française en matière de financement privé des infrastructures.

Toutefois, ces atouts essentiels ne sont pas à mon avis suffisants, et les entreprises françaises doivent, comme leurs concurrentes, posséder les pionniers aux multiples qualités dont j'ai parlé. Ceux-ci doivent s'investir dans plusieurs domaines, et tirer le meilleur profit d'un système juridico-réglementaire extrêmement riche, d'où l'arbitraire peut être aujourd'hui largement gommé.

Au lieu d'avoir peur du cadre réglementaire, ces pionniers n'hésiteront pas à jouer avec lui, à aller à la source de la règle, le cas échéant à débattre avec ses auteurs des conditions d'application et de sa modification. Les Indiens sont en effet très réceptifs à ce genre d'approche !

Les pionniers n'hésiteront pas non plus, enfin, à tirer profit de l'approche contractuelle anglo-saxonne. Sous ces conditions, à mon avis incontournables dans la problématique juridique indienne actuelle, le pari indien dont on parle aujourd'hui aura alors de grandes chances de réussir !

M. le Président - C'est l'une des conclusions à laquelle nous sommes arrivés au cours de notre mission en Inde : ces problèmes juridiques sont fondamentaux et doivent être totalement maîtrisés !

La parole est maintenant à l'assistance...

M. Michel Boulat - J'ai trente-cinq ans d'expérience en Inde, et j'aimerais évoquer deux problèmes...

Le premier est celui des outils d'accompagnement à l'échelon local. Je pense que la France ne dispose pas de suffisamment de structures techniques d'ingénierie ou de conception de projets avec les Indiens pour détenir une connaissance suffisante de ce dont l'Inde a besoin, et mieux formuler la demande indienne. Celle-ci s'adresse en effet à une série de sociétés qu'il faut arriver à fédérer, pour les positionner et parvenir à un résultat.

Le deuxième problème est celui des coûts promotionnels, que les groupes industriels et beaucoup de moyennes entreprises françaises ne peuvent assumer. Ce n'est pas qu'un problème d'argent, mais aussi d'utilisation des moyens dont on dispose en France.

Dans tout l'est de l'Inde, il n'y a pas un Français pour faire du promotionnel ! A une époque où il existe 3 millions de chômeurs en France, dont certains cadres qui sortent des écoles de commerce ou d'ingénieur, on pourrait placer au sein des " chapters " de la chambre indienne des jeunes cadres qui feraient de l'identification de projets et faciliteraient la tâche des moyennes entreprises souhaitant s'intéresser à des activités indiennes !

M. Yves de Ricaud - La proposition de M. Boulat est intéressante... Une trentaine de CSN travaille déjà dans les entreprises françaises en Inde. Leur nombre a d'ailleurs beaucoup augmenté récemment. Avec une surveillance suffisante, c'est un excellent moyen de former les jeunes, qui apportent une aide précieuse aux entreprises, y compris les PME. C'est une façon d'aborder le marché indien qui me paraît excellente...

Quant au renforcement des structures des organismes consulaires, en particulier des chambres de commerce indo-française et franco-indienne, qui travaillent de plus en plus ensemble, je crois qu'il y a effectivement des choses à faire...

On est en train de redynamiser les différents conseils régionaux de la chambre de commerce indo-française. Toutes les participations, en particulier celle de jeunes expatriés volontaires, sont naturellement les bienvenues !

M. le Président - Je voudrais saluer M. Deepak Banker, président de la fédération des chambres de commerce indienne, qui arrive à la tête d'une impressionnante délégation...

S'agissant de l'accompagnement des entreprises françaises, qui est probablement indispensable dans le contexte indien, peut-être M. Doré a-t-il un rapide commentaire à faire...

M. Francis Doré - Les chambres de commerce indo-française et franco-indienne ont décidé de passer un accord de coopération qui devrait être signé courant août, et permettra de mieux servir les intérêts des industriels des deux pays.

Par ailleurs, le problème des sociétés de moyenne ou de petite importance est un vrai problème. Il est d'ailleurs assez remarquable qu'une grande partie du commerce extérieur des deux pays soit assurée par des sociétés de moyenne et de petite importance... Elles ont effectivement de grandes difficultés à pénétrer sur le marché indien, et on peut espérer que les chambres pourront les aider mieux encore que jusqu'à présent...

Néanmoins -c'est un propos qui a été mené il y a quelques mois au sein de l'administration française- je me tourne vers les grandes sociétés installées en Inde, qui ont ouvert ce pays à la France et qui ont fait connaître la France en Inde, afin qu'elles servent de relais et de lieu d'introduction aux petites sociétés !

Un intervenant - Je suis à Paris délégué de l'Inde aux Nations-Unies pour le développement industriel, et je suis indien.

Ce qu'a dit M. Frilet à propos du système juridique en Inde est peut-être vrai, mais cela n'a pas empêché les investissements européens !

On se demande donc ce qui empêche les Français d'aller en Inde, les organisations comme l'ambassade de l'Inde ou la chambre franco-indienne essayant de tout faire pour favoriser les PME et les PMI françaises...

M. Bernard Livry - Je suis magistrat au tribunal de commerce et j'aimerais connaître la part et l'influence des populations musulmanes en Inde sur le plan de la structure économique, sachant que l'un des voisins est un pays de 185 millions d'habitant, qui devient l'un des dragons du sud-est.

M. le Président - Selon M. Doré, Mme Graff est experte sur ce sujet...

Mme Violette Graff - Il est très difficile de répondre à cette question, car les Musulmans indiens sont passés par des décennies de très grandes difficultés : difficultés d'ordre personnel, d'ordre politique, d'ajustement à l'Inde contemporaine indépendante. Pendant longtemps, le citoyen indien moyen ne leur a pas pardonné l'affaire du Pakistan.

Les Musulmans de l'Inde, qui représentent une population considérable -plus de 100 millions d'habitants- ont donc longtemps rencontré de grandes difficultés et ont été appelés à s'intégrer, alors qu'ils le sont parfaitement ! J'ai souvent eu l'occasion de dire à quel point les Musulmans de l'Inde sont de bons citoyens, parfaitement intégrés et nullement des agents de l'extérieur, comme on les dépeint quelquefois !

Il n'empêche que, sur le plan économique, les Musulmans ont beaucoup souffert de cette situation. Ils en sortent néanmoins. Un tournant important a eu lieu au moment de l'ouverture vers le Golfe et les nombreux travailleurs musulmans qui envoient maintenant des sommes importantes chez eux participent à cette montée des classes moyennes si impressionnante aujourd'hui.

Ce n'est pas encore très visible, mais c'est un mouvement très important qu'il faut prendre en compte : ces Musulmans d'origine modeste se transforment et évoluent. Il est certain qu'ils participent peu aux responsabilités industrielles et que l'on compte peu d'hommes d'affaires parmi eux, mais cela peut venir. Ce n'est toutefois pas encore très visible aujourd'hui.

M. Ranjit Sethi - Le fait même de poser cette question peut étonner. Nous avons un système laïque, et chaque population est assurée de ses pleins droits.

Vous dites que les musulmans sont de bons citoyens et qu'ils sont bien intégrés. En fait, ce sont des citoyens à part entière. Il n'y a pas de distinction entre les musulmans et les autres communautés, car nous en avons plusieurs. Même au sein d'une communauté, il y a des tendances différentes. C'est d'ailleurs le cas de l'hindouisme...

Or, on peut mesurer le statut de l'une ou l'autre des communautés en fonction des lois et du cadre constitutionnel qui assurent l'égalité de tous les citoyens.

La partie musulmane de l'électorat a toujours été très importante pour les partis politiques et a fait l'objet d'une forte sollicitation.

Dans chaque circonscription existent dans l'électorat des éléments religieux et communautaires. Les recensements de population en Inde ne comportant pas de volets économiques et autres, il n'est pas possible de déterminer les catégories selon les revenus par tête d'habitant, mais, selon les hommes politiques, l'élément musulman est déterminant dans au moins 400 circonscriptions électorales.

Cela donne une idée de l'influence musulmane et de sa participation au processus politique -comme tout autre groupe social...

Afin de respecter la place qui leur revient en raison de leur spécificité, la Constitution indienne a d'ailleurs conservé la possibilité d'un code civil musulman. Ils ne sont donc pas tenus de renoncer à certaines des pratiques traditionnelles qui appartiennent au monde musulman.

En fait, l'élément musulman est profondément ancré dans tous les aspects de la culture indienne : musique, poésie, histoire moderne...

Enfin, aucun Musulman ne quitte l'Inde pour d'autres pays, y compris ceux de notre voisinage !

M. le Président - ... A l'inverse, les Musulmans du Bangladesh qui arrivent en Inde posent des problèmes aux provinces qui les reçoivent.

M. Pierre Amado - Il y a même eu un Président de la République indien qui était Musulman.

M. Ranjit Sethi - ... Deux présidents...

M. Pierre Amado - ... Monsieur le Président, vous avez eu l'honneur de dîner avec le vice-président de l'Inde lorsque vous étiez à New-Delhi : c'était un intouchable !

M. le Président - Nous n'avons pas dîné avec lui mais il nous a consacré une bonne heure et demie, et cela a figuré parmi les entretiens les plus intéressants, car il nous a fait toucher du doigt ces contradictions qu'il peut exister en Inde, entre ces explosions de violence auxquelles on assiste -et qui sont souvent ce que l'opinion publique mondiale retient- et d'autre part ce fonds de tolérance, qui est un véritable exemple pour le monde !

Entre ces deux pôles de la réalité sociale indienne, on doit établir un équilibre, et c'est cet équilibre auquel je faisais allusion.

C'est à mon avis ce qui caractérise ce que j'appellerai la " stabilité profonde de l'Inde ", contrairement à ce que de nombreux observateurs étrangers disent souvent, de façon inexacte !

Je donne maintenant la parole à Mme Chauvet, directeur du Centre français du commerce extérieur, qui est également ancien ministre du commerce.

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