C/ L'absence de solution pour le stockage des déchets très faiblement radioactifs

Comme on vient de le voir, le démantèlement des installations destinées à répondre aux besoins de la Défense nationale va entraîner la production d'une masse importante de déchets qui peuvent se répartir en quatre catégories.

Il y a tout d'abord les déchets C, à haute activité et à vie très longue, qui se présentent dans la majeure partie des cas sous une forme vitrifiée. Ces déchets, bien identifiés et bien contrôlés, sont pour le moment entreposés sur les sites de production dans l'attente d'une solution actuellement recherchée dans le cadre de la loi du 30 décembre 1991.

Viennent ensuite les déchets B d'activité moyenne mais contenant des éléments à vie longue, et notamment des émetteurs alpha, ce qui leur interdit l'accès au centre de stockage en surface de l'ANDRA. Ces déchets, le plus souvent conditionnés en fûts bitumés, sont en général bien identifiés mais, dans quelques cas, leur conditionnement s'est détérioré au fil des années et devra être repris. La destination finale des déchets de moyenne activité à vie longue fait également l'objet de recherches dans la cadre de la loi de 1991.

Pour les déchets A, de faible et moyenne activité à vie courte, il n'y a en revanche pas de problème, car ils peuvent être admis au centre de stockage en surface dès lors qu'ils répondent aux normes très strictes fixées par l'ANDRA, ce qui impose parfois, pour les plus anciens, un nouveau tri et un reconditionnement.

Malgré les clarifications apportées par la loi de 1991 et par l'ouverture du centre de stockage en surface de l'Aube, il reste trois catégories de déchets pour lesquelles aucune solution n'est, à l'heure actuelle, définitivement arrêtée.

Il s'agit tout d'abord de déchets souvent de faible activité, mais contenant soit du radium soit du tritium, et donc susceptibles de dégazer. La conception du centre de stockage de l'Aube, entièrement cerné de galeries de surveillance souterraines, interdit en effet d'y placer des déchets produisant des gaz qui pourraient envahir ces galeries et présenter un danger pour les travailleurs appelés à y circuler.

Restent enfin les déchets de très faible activité, dits déchets TFA, provenant essentiellement du démantèlement de réacteurs et d'installations nucléaires diverses, qui ne présentent qu'un taux d'activité de quelques Becquerels par gramme mais qui sont cependant suffisamment radioactifs pour ne pas être envoyés dans les décharges ordinaires.

Si la distinction entre les différentes catégories de déchets A, B et C telle qu'elle est présentée ci-dessus est relativement claire, il est beaucoup plus difficile de tracer une frontière précise entre les déchets A et les déchets considérés comme non radioactifs et qui peuvent donc être banalisés. Il faut tout d'abord se souvenir que la radioactivité est présente dans tous les éléments existant sur notre terre et qu'il ne peut donc pas, par voie de conséquence, exister de déchets de radioactivité nulle. Un kilo de granite ordinaire peut en effet avoir une activité de 200 Becquerels au kilo et l'eau de mer de 13 Becquerels par litre.

Comme le notait déjà Jean-Yves Le Déaut dans un rapport de l'Office publié en 1992 29 ( * ) , la réglementation sur ce sujet est mal adaptée, incertaine et parfois même contradictoire. En 1994, le responsable des déchets à la DSIN était encore plus catégorique et relevait que la gestion des déchets TFA était "révélatrice d'un certain nombre d'insuffisances : insuffisance de stratégie clairement formalisée et identifiée, insuffisances réglementaires, insuffisances de procédures, insuffisance de rigueur" . 30 ( * )

Depuis lors, aucun progrès notable n'a été enregistré dans ce domaine, un groupe de travail de la DSIN y réfléchit mais rien de tangible n'est pour le moment sorti de ces réflexions.

Si la recherche d'un exutoire pour les déchets TFA ne semble pas être considérée comme une priorité, c'est qu'ils n'ont posé jusqu'ici aucun problème véritablement crucial, les exploitants se contentant de les laisser en attente sur les sites, à proximité des installations démantelées.

Il n'en sera certainement pas de même dans les années à venir. En effet, selon les prévisions de l'ANDRA, les volumes attendus de déchets de toutes catégories devraient être les suivantes :

Volumes attendus

Activité (en Térabecquerels)

d'ici 2020 (en m3)

et

Haute activité à vie longue

6 000

5 000 000

1 000 000 000

Moyenne activité à vie longue

90 000

500 000

17 000 000

Faible et moyenne activité à vie courte

500 000

250

30 000

Très faible activité

250 000

3

Il s'agit là de tous les déchets nucléaires, civils et militaires confondus, mais l'exemple du démantèlement des installations travaillant pour la Défense nationale à Marcoule, qui est en avance sur le démantèlement des installations destinées à la production d'électricité, montre bien que, très rapidement, on ne pourra plus se contenter des solutions provisoires en vigueur jusqu'à maintenant.

A l'heure actuelle sont déjà entreposés sur le site de Marcoule les déchets TFA suivants :

-   4 000 tonnes de fonte en lingots (dont 100 % Défense)

- 13 000 tonnes de fonte et d'acier (dont   40 % Défense)

-   4 300 tonnes de plomb (dont   40 % Défense)

-   2 600 tonnes de béton (dont   40 % Défense)

- 11 800 tonnes de déchets divers (dont   40 % Défense)

- 15 000 tonnes de gravats (dont   40 % Défense).

La répartition entre les déchets provenant des activités civiles et ceux produits par les activités liées à la Défense nationale ne résulte que d'estimations grossières, les déchets perdant, quand il s'agit de les gérer, leur identité d'origine.

Sans vouloir anticiper sur les conclusions du groupe de travail des experts de la DSIN, il convient de rappeler un certain nombre de principes sur lesquels j'estime qu'il ne serait pas souhaitable de revenir.

Les responsables des installations à démanteler, mais aussi certaines instances internationales, envisagent de fixer un seuil en deçà duquel un déchet provenant d'un site nucléaire ne serait pas considéré comme radioactif et pourrait donc être géré comme n'importe quel autre déchet. Bien que l'idée d'un seuil de banalisation ou de libération, comme le prévoit la Directive Euratom du 13 mai 1986 pour les déchets dont l'activité se rapproche de la radioactivité naturelle, puisse apparaître comme théoriquement séduisante, il convient de s'y opposer pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, quelques exemples récents nous montrent que le contrôle en continu d'une masse importante de déchets hétérogènes est très difficile à réaliser et que des intermédiaires peu scrupuleux peuvent profiter de cette difficulté technique pour envoyer dans des décharges ordinaires des déchets contenant des points chauds.

L'affaire de la société Radiacontrôle, révélée en 1993 par la CRII-RAD et jugée en 1996 31 ( * ) , montre qu'il ne s'agit pas d'un risque purement théorique et que des opérations de traitement de déchets confiées à des sociétés négligeantes ou malhonnêtes peuvent donner lieu à des fraudes regrettables.

En second lieu, l'existence d'un seuil de banalisation des déchets, comme le soulignait le directeur général de l'ANDRA, M. Yves Kaluzny, "pourrait conduire à des pratiques de dilution des déchets de façon à se placer au-dessous du seuil fatidique" 32 ( * ) . Il suffit en effet de mélanger une faible quantité de déchets fortement contaminés avec une grande masse de produits neutres pour obtenir une activité massique moyenne au-dessous de ce seuil. Ce risque de "dilution" de la radioactivité n'est pas non plus théorique car cette pratique avait été envisagée notamment pour l'évacuation des déchets de l'usine Rhône-Poulenc de La Rochelle, ceux-ci devant être mélangés à des résidus miniers des anciennes installations de l'Ecarpière.

Enfin, devant le peu de garanties qu'on pourrait leur apporter, il faudrait s'attendre à une vive réaction des populations concernées qui apprendraient, et on peut compter sur certaines associations pour les en informer, qu'une décharge prévue à l'origine pour accueillir des déchets ordinaires reçoit des déchets radioactifs pas toujours bien identifiés et contrôlés.

Dans l'état actuel de nos connaissances techniques et compte tenu de la sensibilité particulière d'une partie de la population à ces problèmes, il convient donc que les déchets, même très faiblement radioactifs, soient stockés définitivement dans des installations où ils pourront être soumis à une gestion spécifique, ce qui permettrait d'obtenir une traçabilité totale de leur origine à leur destination finale.

Pour cela, il faudrait mettre en place :

- des centres de stockage "dédiés" s'inspirant des décharges industrielles de classe 1 mais adaptés au stockage ou de déchets TFA ou de déchets tritiés ou encore de déchets radifères. Ces centres de stockage devraient être placés sous la responsabilité exclusive de l'ANDRA et soumis à la réglementation des INB ;

- des filières adaptées pour le recyclage de certains éléments TFA et notamment de certaines ferrailles, à la condition expresse que le produit de ces recyclages ne puisse être réemployé qu'à l'intérieur d'un site nucléaire classé en INB.

Dans bien des cas, ces précautions se révéleront sans doute inutiles ou superflues mais la réglementation doit être élaborée, dans un secteur aussi sensible, non pas en fonction des situations normales mais en tenant compte des erreurs et des dérives toujours possibles.

Les opérations d'assainissement des anciennes installations de Marcoule pourraient constituer, pour tout ce qui concerne la gestion des déchets TFA, une expérience intéressante à condition qu'il soit décidé dès à présent :

- de faire une évaluation précise des quantités et des différentes catégories de déchets TFA qui résulteront des opérations de démantèlement,

- de présenter une étude technico-économique des solutions envisagées pour le stockage définitif de ces déchets,

- de prévoir les modifications réglementaires nécessaires pour le mise en place des solutions retenues.

Faute d'un tel programme et en l'absence de tout exutoire réglementairement ou socialement possible, on continuera à utiliser le site de Marcoule comme centre d'entreposage plus ou moins provisoire de déchets, les solutions transitoires risquant bien souvent de se transformer, par passivité, en solution définitive ainsi que le redoutait le directeur de la DSIN dans son dernier rapport d'activité.

Une fois de plus, le problème crucial sera celui de la localisation de la ou des futures décharges de TFA, il est à parier en effet que certains des écologistes qui acceptent aujourd'hui l'idée de la création de stockages pour les déchets de très faible activité prendront la tête de la contestation dès que l'emplacement d'un site sera annoncé.

Dans cette affaire, comme dans tous les dossiers qui concernent les déchets radioactifs, c'est aux responsables politiques d'exprimer clairement leur volonté de trouver dès maintenant des solutions raisonnables et de ne pas laisser aux générations futures le soin de gérer les problèmes que nous avons créés.

* 29 Rapport sur la gestion des déchets très faiblement radioactifs, Jean-Yves Le Déaut, Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, avril 1992.

* 30 Contrôle, revue de la DSIN, décembre 1994, page 21.

* 31 Le Monde, vendredi 19 avril 1996, page 9.

* 32 Les déchets dits de très faible activité, Yves Kaluzny. Contrôle, revue de la DSIN, Op. déjà cité, page 31.

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